II. QUI MALGRÉ DE RARES PROGRÈS, NUIRA AU RAYONNEMENT DIPLOMATIQUE FRANÇAIS

Les auditions menées dans le cadre de la préparation de ce rapport, les échanges avec de nombreux hauts responsables politiques et la table ronde organisée en amont de la grève du 2 juin dernier, qui a rassemblé les responsables de toutes les organisations syndicales et associations professionnelles du MEAE, ont permis de constater que seules les administrations en charge de la conduite de la réforme lui étaient favorables et ce malgré des aménagements de la réforme pour le MEAE.

1. Les aménagements obtenus par le MEAE

Une réelle incompréhension et une ferme opposition à la réforme se sont exprimées. L'incompréhension tient notamment aux efforts régulièrement produits par le ministère pour se réformer de façon constante et profonde.

Preuve en est, une mission de réflexion et de proposition sur l'organisation des carrières diplomatiques avait été confiée à M. Jérôme Bonnafont . Insistant sur la spécificité du métier de diplomate, elle a abouti au premier semestre 2021 , avant que ne soit prise l'ordonnance portant réforme de l'encadrement de la fonction publique. Nombreux sont ceux qui ont alors pensé fondée l'exclusion des diplomates du champ de la réforme. Il n'en a finalement rien été. Le travail de qualité de la mission Bonnafont, mené en profondeur, a pu, dès lors, paraître caduc aux personnels.

Le Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, alors en poste, Jean-Yves Le Drian, confronté à la décision d'inclure son ministère dans la réforme globale de l'encadrement de l'État, a oeuvré à la prise en compte des conclusions de la mission Bonnafont et de la spécificité des métiers diplomatiques, avec quelques succès .

Par un courrier de novembre 2021, le ministre affirmait ainsi « avoir obtenu gain de cause sur trois sujets essentiels qui conditionnent le maintien d'un outil diplomatique performant, professionnel et attractif :

- le concours d'Orient (...) restera une voie d'accès directe et spécifique au Quai d'Orsay . (...)

- la revalorisation des parcours et des carrières des agents qui ont rejoint le ministères comme secrétaires des affaires étrangères (...) [ Ils pourront ] bénéficier de modalités de passage dans le corps des administrateurs de l'État qui seront en réalité plus favorables à celles existant aujourd'hui pour passer dans le corps des affaires étrangères. (...)

- [ et ] celles et ceux qui sont aujourd'hui en poste au Quai d'Orsay en tant que conseillers des affaires étrangères ou ministres plénipotentiaires et qui feront le choix de ne pas opter pour le reversement dans le corps des administrateurs d'État, non seulement ne [ seront ] pas pénalisés, mais [ pourront ] aussi poursuivre leur carrière au ministère dans des conditions satisfaisantes et au moins comparables à celles qui prévalent aujourd'hui . »

Le Ministre soulignait également « avoir obtenu :

- la levée des restrictions des conditions d'accès des conseillères et des conseillers des affaires étrangères à un poste d'ambassadrice ou d'ambassadeur ,

- la révision à la hausse de la cartographie des emplois fonctionnels du ministère pour mieux tenir compte de la réalité des responsabilités exercées par l'encadrement supérieur ,

- et le maintien de l'autonomie de l'inspection générale des affaires étrangères qui conserve son identité et n'est pas soumise de ce fait au statut d'emploi des services de l'inspection générale ».

Enfin, la rémunération indemnitaire du MEAE a été alignée , au 1 er janvier 2022, sur la fourchette haute des pratiques antérieures des ministères. Ceci cumulé avec une grille indiciaire rehaussée, qui doit être adoptée cet été, doit rendre les métiers diplomatiques plus attractifs.

Cela suffit-il à rendre la réforme acceptable et efficace ? La gestion moderne et entrepreneuriale de l'État que doit permettre la réforme ne parvient pas à convaincre, comme le montre les nombreuses réactions dans la presse 12 ( * ) . Mais quel PDG nommerait son directeur des affaires financières (DAF) au marketing ? Sa directrice de la logistique à la communication ? Son ambassadeur directeur d'administration pénitentiaire ? Son consul général inspecteur des impôts ? Son directeur de maison de santé ambassadeur d'un pays riche en matières premières stratégiques ?

Les aménagements techniques de la réforme ne paraissent pas à la hauteur des prouesses réalisées par la diplomatie française qui pour citer ses derniers actes d'excellence :

- s'est adaptée à la pandémie mondiale en temps réel, ramenant 370 000 compatriotes bloqués à l'étranger, alors que les liaisons internationales étaient interrompues, a garanti la vaccination des personnels à l'étranger et les équivalences vaccinales des ressortissants français afin qu'ils ne soient pas bloqués aux frontières,

- a organisé la périlleuse évacuation de 2 805 personnes d'Afghanistan en août 2021, et le soutien aux filles et femmes afghanes et aux ONG défendant les droits de l'homme et les libertés en Afghanistan après la prise de pouvoir des talibans,

- a négocié les positions de consensus pendant la PFUE sur les sanctions à la Russie en réponse à son invasion de l'Ukraine, l'achat groupé d'énergie, et négocie en même temps la stratégie indopacifique de l'Union européenne ou encore les conditions d'une réintégration des États-Unis à l'accord sur le nucléaire iranien de 2015 et le retour de l'Iran au respect intégral de ses engagements tels que prévus par le JCPOA,

- fait face au quotidien au x défis d'un monde de plus en plus instable et caractérisé par des crises protéiformes . Ces dernières années, les diplomates français ont fait face au déclenchement d'une guerre de la Russie contre l'Ukraine, à un coup d'État et une répression sanglante des forces civiles (en Birmanie notamment), aux menaces de mort et à la possibilité d'être déclaré persona non grata tout en continuant à défendre les intérêts français (au Pakistan notamment), aux risques d'attentat sur toutes les emprises françaises, à la fin du « contrat du siècle », à la proclamation du pacte AUKUS et à ses répercussions sur les relations entre la France, les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni, etc.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat tient en très haute estime et considération les agents du Quai d'Orsay, tous grades, titres et formes de contrat de travail confondus. Ils oeuvrent ainsi à la protection de nos concitoyens et de nos intérêts partout dans le monde , en n'épargnant ni leur peine, ni leur temps, dans une abnégation et un investissement qui forcent l'admiration .

2. La concurrence interministérielle réduira la possibilité de construire et mener la carrière diplomatique projetée

Le décret du 16 avril 2022 13 ( * ) (voir annexe) ne paraît pas à la hauteur des légitimes attentes des personnels diplomatiques qui ont choisi de consacrer leur vie à la France, aux termes d'une vocation voire d'un sacerdoce qui s'exerce dans ces conditions extrêmement difficiles.

Sans perspectives de carrière pour nos diplomates, notre appareil diplomatique a-t-il encore un avenir ?

L'inclusion dans la grande fusion interministérielle des corps de l'État, malgré les aménagements obtenus, reste indubitablement une mauvaise nouvelle pour les agents, qui voient leurs parcours dorénavant obstrués au sein du ministère. C'est également une mauvaise idée pour l'avenir de notre appareil diplomatique et sa capacité à assurer le rayonnement de notre pays.

Les parcours des agents, nomades perpétuels , spécificité du MEAE, sont compromis . La CAED a entendu Jean-Yves Le Drian affirmer, en audition, le 16 février 2022 : « J'ai obtenu la garantie que les agents qui ont fait le choix de la diplomatie, quel que soit leur statut ou leur concours, auront la possibilité d'accomplir toute une carrière au Quai d'Orsay ». Cette décision ne paraît pas avoir trouvé toute sa traduction, notamment pour les SAE. Surtout, l'existence même d'un corps des administrateurs de l'État pose de réelles questions.

Contrairement à ce qui prévaut ailleurs, les fonctionnaires qui servent au ministère des affaires étrangères sont pour la plupart de véritables nomades, de leur entrée au ministère jusqu'à leur retraite. S'ils peuvent rester aussi longtemps qu'ils le souhaitent en poste en administration centrale, au bout de trois ou quatre ans, les agents ont la possibilité de se porter candidat pour partir à l'étranger, dans une ambassade. Le fonctionnaire s'expatrie alors, avec sa famille, y sert trois ou quatre ans, enchaine éventuellement avec une deuxième ambassade, pour la même durée. En général, un retour de trois ou quatre ans en France précède si l'agent le souhaite un nouveau départ à l'étranger. Chaque année, dans chaque ambassade et dans chaque service d'administration centrale, environ le tiers des effectifs se renouvelle ainsi.

Le corps est le cadre de ce nomadisme . Jusqu'à présent, ce qui permettait cette rotation de chaque agent d'un poste à l'autre, c'était son appartenance à un corps . L'agent pouvait se porter candidat à tous les postes que son corps a vocation à occuper, dans tous les pays. Une fois ses voeux formulés, il appartenait à la DRH de trouver chaque année un point de chute pour chaque agent et un agent pour chaque poste laissé vacant par les partants.

La fusion interministérielle des corps va totalement bouleverser ce système de rotation . Les agents de l'ensemble des ministères pourront se porter candidats sur l'ensemble des postes d'encadrement supérieur dans le réseau diplomatique et consulaire. Cela veut dire que là où il pouvait y avoir 10 à 15 candidats du MEAE pour un poste jusqu'à présent, il pourra désormais y en avoir 80 en provenance de tous les ministères . Certains diplomates ont ainsi le sentiment que l'institution a rompu le contrat qu'ils avaient conclu ensemble lors de leur réussite au concours d'entrée.

Pour chaque agent, l'enjeu est de taille. Les rémunérations et l'intérêt professionnel des postes à l'étranger sont significativement plus élevées qu'en administration centrale et, globalement, l'attractivité du MEAE est très forte par rapport aux autres ministères. Les agents du Quai ressentent cette concurrence accrue comme illégitime pour les quatre raisons suivantes :

-il est très difficile d'entrer dans un corps du MEAE , toutes catégories confondues, sans doute plus que dans bien des ministères. En témoignent le niveau de sélectivité sans comparaison des concours et le très faible nombre de postes ouverts chaque année,

- à catégorie similaire, les responsabilités qui sont confiées aux diplomates sont particulièrement lourdes . Selon les informations recueillies, les mobilités des personnels du MEAE dans d'autres ministères sont souvent l'occasion d'exercer des responsabilités qui leur paraissent subalternes par rapport à celles qu'ils ont connues en ambassade, où la gestion de crise fait partie du quotidien des agents,

- alors que les personnels du MEAE acceptent des postes dans des pays difficiles ou en guerre , en espérant ensuite alterner avec des affectations dans des pays moins austères, la concurrence interministérielle privera certainement nombre d'entre eux de cette possibilité au profit d'administrateurs de l'État qui n'auront pas fait le même investissement, voire le même sacrifice, et ne se seront pas aguerris au contact de situations difficiles, voire extrêmes,

- Enfin, contrairement aux agents des autres ministères, ceux du MEAE acquièrent au fur et à mesure de leurs affectations à l'étranger, une expérience de l'expatriation , de la vie et du travail en ambassade qui leur permet d'être plus rapidement opérationnels à l'étranger que ceux qui ont toujours vécu en France.

Perdant des chances d'être affectés dans le réseau diplomatique en raison de la concurrence interministérielle, les personnels du MEAE devront, souvent à regret, postuler en dehors du Quai . Si certains trouveront là une respiration dans une carrière exigeante, nombreux sont ceux qui craignent de devoir accepter des postes dans des ministères beaucoup moins demandés , sur des fonctions et dans des départements en France où ils ne se seraient jamais projetés à l'époque de leur vie pendant laquelle ils ont consenti les sacrifices leur permettant d'entrer au prestigieux ministère des affaires étrangères pour y accomplir leur vocation. La pyramide des âges du MEAE montre que 39 % des agents de catégorie A ont moins de 45 ans, les femmes quant à elles représentent 69 % des ministres plénipotentiaires de moins de 55 ans. La crainte pour ces catégories en particulier de ne pouvoir accomplir leur projet professionnel, qui est souvent assimilé à un parcours de vie, est réelle.

Si tous ces personnels devaient se détourner de leur projet, que deviendrait notre appareil diplomatique ? Peut-on vraiment penser que tous les administrateurs de l'État sont interchangeables ?

3. Des répercussions regrettables de cette réforme sur l'appareil diplomatique français ?

L'appareil diplomatique et consulaire français garantit aujourd'hui, à la France de tenir un rang conforme à son siège au Conseil de sécurité des Nations Unies . La qualité de la diplomatie française, son professionnalisme reconnu dans toutes les enceintes internationales, par nos alliés, comme par nos compétiteurs ou rivaux systémiques, depuis des décennies, hisse la France au niveau des plus puissants acteurs internationaux, des plus grandes puissances, bien au-dessus de ce que devrait permettre le poids économique et militaire de notre pays . La qualité et l'investissement personnels et professionnels des agents de toutes les catégories est ce qui permet d'atteindre cette performance.

D'une diplomatie professionnelle au service de l'État à une diplomatie au service des carrières de certains administrateurs de l'État

La fusion interministérielle des corps induira le passage d'une diplomatie professionnelle, reposant sur un petit nombre d'agents nomades faisant l'essentiel de leur carrière au sein du MEAE, à une diplomatie au service de la gestion interministérielle des carrières de certains administrateurs de l'État. Elle s'accommodera d'un grand nombre d'agents de tous horizons ministériels qui effectueront une courte mobilité, valorisante dans la construction de leur parcours professionnel, dans une ambassade ou un consulat général, avant de regagner une vie plus stable quelque part en France.

Pour l'appareil diplomatique, il en résultera une perte sèche, à plusieurs égards :

- le très haut niveau de compétences professionnelles des diplomates français ne sera plus 14 ( * ) . Sélectionnés actuellement sur le critère, linguistique, notamment, les diplomates français ont des compétences généralement au-dessus de la moyenne dans ce domaine, mais aussi en droit international et en histoire des relations internationales. Le passage successif par des services en administration centrale et par les ambassades leur permet actuellement de se forger une culture et un ensemble de compétences qui les rendent de plus en plus performants à mesure qu'ils accumulent de l'expérience , par sédimentation et transmission de la mémoire de l'institution. Ils se familiarisent avec les codes et les règles de la diplomatie internationale et de ses enceintes de négociation. Peu à peu, ils apprennent ce qu'aucune école n'enseigne comme la signification et l'utilité des fonctions de représentation (ces soirées éreintantes, après la journée de travail, pendant lesquelles se nouent les relations indispensables à l'exercice du métier). Ils apprennent à adopter une posture particulière, celle de l'étranger , et un savoir-être qui les rendent plus audibles et convaincants dans leurs démarches auprès des autorités ou de l'opinion des pays dans lesquels ils résident. Ils se constituent un réseau personnel de collègues au sein du ministère et parmi les collègues étrangers qu'ils recroisent de loin en loin. Ils connaissent de mieux en mieux le fonctionnement d'un ministère complexe et résolvent de plus en plus facilement des problèmes qui se posent dans des termes proches dans toutes les ambassades. En comparaison, le fonctionnaire de passage ponctuellement dans le réseau diplomatique sera un éternel débutant . Pour résumer, contrairement aux autres fonctionnaires, un diplomate n'administre que peu et ne régule pas. Il n'écrit pas de décret ni d'arrêté, il ne crée pas de règle. Il gère l'urgence et la crise. Il négocie avec des pays étrangers et protège nos ressortissants. Enfin il représente et incarne la France à l'étranger.

- les personnels du MEAE internalisent en entrant au ministère, et même, souvent en amont, l'ensemble des contraintes , notamment personnelles et familiales, associées à l'expatriation : séparation avec la famille et particulièrement les parents âgés (la pandémie de covid 19 avec des diplomates n'ayant pu rentrer en France pendant de très longs mois, parfois plus d'une année, a conduit dans ce domaine à des extrêmes particulièrement difficiles à gérer et vivre) et les amis restés en France, mal du pays, fatigue linguistique, renonciation le plus souvent à l'emploi du conjoint, arrachement tous les quatre ans des enfants à leur environnement amical et scolaire, report des soins de santé aux vacances d'été en France, exposition à des conditions dangereuses pour la santé (les taux de pollution dans certains pays ont pu entraîner des incapacités temporaires ou permanentes), etc. Les agents qui auront à connaître une seule expatriation, comme étape d'un parcours, par ailleurs construit en France seront forcément moins aguerris face à cette réalité . Il en résultera un risque d'échec plus élevé qu'actuellement, avec la difficulté pour la DRH du MEAE, si elle garde bien la main sur ces sujets, d'identifier dans l'urgence des relèves pour les agents qui décrocheront (arrêt-maladie, démission, burn-out) voire de gérer les risques d'une gestion maltraitante des personnels par un chef en difficulté.

- la transformation du corps diplomatique va enfin se traduire par une perte de prestige dans la façon dont les interlocuteurs étrangers considèrent la France en particulier alors que la Chine 15 ( * ) , l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Turquie et les États-Unis renforcent leurs réseaux diplomatiques. Il est d'ailleurs notable qu'aucun pays allié ni aucun de nos compétiteurs systémiques ne s'est engagé sur la voie de la suppression de sa diplomatie professionnelle dans cette période de remise en cause du multilatéralisme, de réaffirmation des politiques de puissance des États, et de retour des affrontements allant de la contestation de notions juridiques à la guerre sur notre continent.

4. Suspension et aménagement de la réforme pour garantir l'avenir de l'appareil diplomatique et le rayonnement de la France

Aux termes de leurs auditions, vos rapporteurs constatent une ferme unanimité d'inquiétudes sur les effets de la réforme.

Elle fut longtemps annoncée : dès 2017, l'actuel Président de la République plaidait, pendant sa première campagne électorale, pour la mise en place d'un « spoil system » sur le modèle américain 16 ( * ) . Lors de la 27 ème conférence des ambassadeurs en août 2019, il dénonçait « l'État profond » en sommant les diplomates de prendre acte de son tournant russe 17 ( * ) . Savoir si la mise en concurrence interministérielle des fonctionnaires de haut niveau au sein du seul corps des administrateurs de l'État est une idée puisée dans les travaux de la commission Attali, une concession faire aux gilets jaunes ou la mise en pratique de théories sociologiques importe finalement moins que d'en réduire les effets néfastes sur l'attractivité d'une carrière exigeante et indispensable au rayonnement de la France .

Suspendre la réforme et ouvrir des discussions avec les commissions compétentes du Parlement

La suspension de la réforme est nécessaire , le temps que les États généraux ou assises de la diplomatie, envisagés suite à la grève du 2 juin dernier, se tiennent et permettent l'écoute des personnels du Quai . De même, il est indispensable d'ouvrir un dialogue approfondi avec les commissions compétentes du Parlement , afin qu'un débat constructif puisse se tenir sur ces questions.

À défaut, cette réforme doit être aménagée pour ne pas avoir d'effets délétères sur l'appareil diplomatique français, son excellence, sa réputation et son efficacité.

Vos rapporteurs ont ainsi identifié trois points sur lesquels la réforme de l'encadrement supérieur de l'État doit être adaptée :

- pour ne pas décourager les diplomates de métier de poursuivre leur investissement au service de la France ,

- pour accueillir les administrateurs de l'État au Quai dans des conditions leur permettant de prendre part efficacement à l'action diplomatique de la France,

- et enfin pour préserver le niveau d'influence de la France sur la scène internationale grâce à son appareil diplomatique.

Garantir la carrière des Secrétaires des affaires étrangères au Quai est une impérieuse nécessité

Les secrétaires des affaires étrangères (SAE) sont des personnels essentiels du Quai d'Orsay. Ils entrent au MEAE par le concours dédié et y font une carrière remarquable. Nombre d'entre eux, d'un niveau excellent, passaient avec succès le concours de conseillers des affaires étrangères, rejoignaient ensuite le corps des cadres A+, concerné par la réforme de l'encadrement supérieur, et poursuivaient leurs carrières au MEAE .

Il est indispensable que cette possibilité continue de leur être offerte pour leur garantir un parcours professionnel cohérent avec leur vocation et leurs souhaits, mais aussi pour que le MEAE ne perde pas à l'avenir les meilleurs et plus motivés de ses SAE.

Il convient donc de s'assurer que la fusion interministérielle des cadres A+ ne soit pas le prémisse d'une fusion interministérielle des cadres A. La théorie de l'interchangeabilité des fonctionnaires s'accommode sans doute d'un SAE gérant un lycée, travaillant dans une mairie ou dirigeant une médiathèque, mais, sauf si cette mobilité est son souhait, on peut convenir qu'un personnel qui n'a pas passé le concours d'un des instituts régionaux d'administration mais le concours des SAE risque de ne pas se retrouver dans de telles perspectives de carrière. De la même façon, s'il passe le concours d'encadrement supérieur , ce n'est sans doute pas pour quitter le Quai , mais au contraire pour y exercer des responsabilités accrues .

Pour 2023 et 2024 des quotas révisés à la hausse doivent permettre l'accession d'une quarantaine de SAE au corps d'encadrement supérieur, et en 2025, 12 postes devraient être ouverts 18 ( * ) . Un troisième grade sera créé dans le corps des SAE 19 ( * ) pour offrir des perspectives à ceux des secrétaires qui ne deviendraient pas administrateurs de l'État 20 ( * ) .

Les SAE accédant au rang d'encadrement supérieur de l'État doivent pouvoir choisir de sanctuariser leur appartenance au MEAE. Pour cela il faut considérer, et c'est la première recommandation de vos rapporteurs, que les SAE sont, pour la gestion de leurs carrières de cadre supérieur, assimilables aux personnels recrutés par la voie d'Orient, qui sont eux assurés de pouvoir faire leur carrière au sein du MEAE , sous réserve d'une mobilité de quelques années au sein des autres ministères.

Dans le cas contraire, le MEAE perdrait les compétences si précieuses des SAE les plus brillants qui seraient automatiquement versés dans le corps des administrateurs de l'État, et sortiraient ainsi du MEAE.

Profiter de la réforme pour consolider l'excellence des ambassadeurs nommés

Quatre recommandations visent à renforcer la qualité des chefs de missions diplomatiques qui seront nommés à l'issue de l'entrée en vigueur de la réforme de l'encadrement supérieur du MEAE.

Le décret du 16 avril 2022 modifie les conditions d'accès aux emplois de chefs de mission diplomatique, en fixant une durée maximale d'exercice continu de neuf ans dans ces fonctions. Il prévoit l'avis préalable d'une commission d'aptitude avant de prononcer une primo-nomination .

L'article 23 du décret, présenté dans l'encadré suivant, prévoit la composition de la commission d'aptitude, en visant l'égalité entre les personnels issus du MEAE et les personnalités extérieures.

Composition de la commission d'aptitude se prononçant en cas de primo-nomination d'un chef de mission diplomatique

L'article 23 du décret du 16 avril 2022, insère un nouvel article 62-1 au décret n° 69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires, ainsi rédigé :

« Art. 62-1.-I.- Une commission d'aptitude est instituée pour formuler un avis sur l'aptitude professionnelle des personnes candidates à une première nomination en qualité de chef de mission diplomatique.

Cette commission apprécie les candidatures éligibles et détermine les candidats à auditionner au regard du principe d'égal accès aux emplois publics.

La commission transmet au ministre des affaires étrangères la liste des candidats qu'elle estime, après audition, aptes à l'exercice des fonctions.

II.- La commission d'aptitude comprend :

1° Le directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères ou son représentant [1 er /6 MEAE] ;

2° Le délégué interministériel à l'encadrement supérieur de l'État ou son représentant ;

3° Le chef du service de l'inspection générale des affaires étrangères ou son représentant [2 e /6 MEAE] ;

4° Une personne exerçant ou ayant exercé depuis moins de trois ans les fonctions de chef de mission diplomatique [3 e /6 MEAE] ;

5° Deux personnes ne relevant pas du ministère des affaires étrangères choisies en raison de leurs compétences en matière de ressources humaines sur une liste établie par le ministre chargé de la fonction publique.

Sa composition est déterminée conformément aux dispositions de l'article L. 325-17 du code général de la fonction publique.

Hormis le directeur général de l'administration et de la modernisation, le chef du service de l'inspection générale des affaires étrangères et le délégué interministériel à l'encadrement supérieur de l'État, qui siègent ès qualités, les membres titulaires de la commission ainsi que leurs suppléants sont nommés pour deux ans, non renouvelables, par arrêté du ministre des affaires étrangères. Ils perdent cette qualité en même temps que les fonctions qui les ont fait désigner. Dans ces circonstances, le remplaçant est désigné pour la durée du mandat restant à courir.

La présidence de la commission est assurée par le directeur général de l'administration et de la modernisation ou, à défaut, par un autre membre désigné par arrêté du ministre des affaires étrangères. »

Il est nécessaire de tenir compte des effets qu'aura la réforme de l'encadrement supérieur sur l'équilibre de la composition de la commission d'aptitude. Le succès de la réforme entraînera probablement, à plus ou moins courte échéance, la nomination de personnels non-diplomatiques aux postes de directeur général de l'administration et de la modernisation du MEAE et de chef du service de l'inspection générale des affaires étrangères , auquel cas ne resterait plus au sein de la commission chargée de juger de l'aptitude des candidats qu'une seule personne exerçant ou ayant exercé depuis au moins de trois ans les fonctions de chef de mission diplomatique . Comment la commission pourrait-elle alors fonder son avis sur la compétence du primo-arrivant ?

Vos rapporteurs recommandent de modifier le décret pour prévoir une clause permettant d'augmenter le nombre de personnes siégeant à cette commission d'aptitude et s'assurer que la moitié au moins des personnes la composant soit issu des rangs du MEAE, ou ait exercé les fonctions de chef de mission diplomatique pendant au moins 5 ans . De même, si le directeur général de l'administration et de la modernisation n'est pas issu du MEAE ou n'a pas exercé les fonctions de chef de mission diplomatique pendant au moins 5 ans, il sera souhaitable qu'un autre président, remplissant ces conditions, soit nommé à la tête de la commission d'aptitude.

La deuxième recommandation de vos rapporteurs va dans le sens d'un renforcement de l'expérience des chefs de mission diplomatique . Il s'agit de prévoir 21 ( * ) que ne peuvent devenir chef de mission diplomatique que des personnes ayant exercé pendant au moins trois ans des fonctions de n°2 de mission diplomatique . Une exception pour 20 % des postes d'ambassadeurs pourrait être prévue.

Vos rapporteurs recommandent également d'exclure, dans les 25 PPD, la nomination de chef de mission diplomatique n'ayant exercé pas pendant au moins cinq ans des fonctions de n°2 de mission diplomatique . Si une exception devait être envisagée, il faudrait qu'elle s'accompagne impérativement de la nomination complémentaire d'un cadre A issu du corps diplomatique.

Enfin, vos rapporteurs recommandent d'étendre le dispositif de consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes, prévu par l'article 13 de la constitution, aux nominations des grands ambassadeurs. Ainsi, avant l'exercice du pouvoir de nomination du Président de la République pour les grands ambassadeurs du G20 ou du G7, d'une part, et des grandes organisations internationales, d'autre part, et peut-être pour les seules primo-nominations, les commissions compétentes seraient appelées à émettre un avis public, qui ne lierait le Président de la République que dans les conditions prévues par l'article 13, précisées dans l'encadré ci-dessous.

La CAED se prononce, au titre de cette procédure, sur la nomination du directeur de l'AFD. Elle regrette de ne pas être également consultée sur la nomination de nos grands ambassadeurs en Europe, à Pékin, Washington ou au Conseil de Sécurité des Nations-Unies par exemple.

Consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes avant l'exercice du pouvoir de nomination du Président de la République

Extrait de l'article 13 de la Constitution du 4 octobre 1958 :

« Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés. »

Veiller à ne pas priver l'appareil diplomatique des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires

Dans le cadre du débat budgétaire de l'automne 2021, la CAED avait pris position pour que les conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires ne soient pas versés automatiquement dans le corps des administrateurs de l'État mais disposent d'un droit d'option. Elle recommandait que ce droit d'option soit réel , c'est-à-dire que le corps unifié d'accueil, mis en extinction, permette la poursuite d'une carrière à la hauteur des compétences des personnels et des besoins du MEAE.

Vos rapporteurs formulent trois recommandations en ce sens. Il conviendra ainsi :

- d'examiner, chaque année , dans le cadre du débat budgétaire au sein de la CAED, la carrière des personnels versés dans le corps unifié des conseillers des affaires étrangères et des ministres mis en extinction afin de s'assurer que le choix de ce corps en extinction ne se traduit pas par des carrières en berne,

- de prévoir des quotas réservés aux personnels ayant opté pour le corps mis en extinction pour les postes d'encadrement du MEAE. Ces quotas se réduiront au fur et à mesure de l'extinction du corps unifié des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires. Les personnels ayant opté pour le corps en extinction doivent ainsi se voir réserver les trois quart des postes d'encadrement à pourvoir la première année de mise en extinction du corps . Le quota des postes réservés sera ensuite ajusté en fonction des départs du corps (retraite, démission, etc.).

- d'étendre , enfin, sur trois ans la durée du droit d'option . S'il devait apparaître que le choix de rejoindre le corps en extinction n'est pas aussi favorable aux personnels qui l'auraient exercé, ou si le corps unifié des administrateurs d'État s'avérait particulièrement attractif après quelques brèves années d'expérimentation, il semble judicieux de permettre aux personnels concernés de pouvoir sortir ou entrer du corps unifié des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires mis en extinction pendant au moins trois ans .

De nombreux aspects de la réforme d'encadrement dépendront de sa mise en application, et notamment du rôle qu'aura et jouera la DRH du MEAE. Les personnels peuvent avoir besoin de temps pour apprécier pleinement les contours de la réforme. Le rallongement du délai d'option vise à leur donner le temps d'évaluer l'intérêt des deux options qui s'offrent à eux. De même, l'engagement pris par la nouvelle ministre, Catherine Colonna, suite à la grève du 2 juin 2022, d'ouvrir une large réflexion sur les métiers de la diplomatie, dans le cadre d'assises de la diplomatie, ou autre format de concertation, plaide pour le rallongement du délai d'option.

Protéger la particularité du métier de diplomate : les diplomates monuments vivants en danger de disparition ?

Vos rapporteurs soulignent enfin que le métier de diplomate, qui répond à une vocation, s'apprend de postes en postes, de rang hiérarchique en rang hiérarchique occupé, de crises en crises, de négociations internationales en négociations internationales, par sédimentation des expériences .

Être chef de mission diplomatique s'apprend et se transmet . Personne ne peut ni ne doit sous-estimer l'importance de la mémoire du Quai et de ses personnels dans la gestion des nouvelles crises qui secouent sans cesse ce début de siècle. Les diplomates sont comparables à des médecins au chevet de chaque crise, on n'imagine pas qu'un médecin ne soit pas formé, avant de commencer, mais aussi au cours et tout au long de l'exercice de sa pratique.

Cette réforme ne doit pas avoir d'effets irréversibles sur la qualité de notre outil diplomatique . Les 8 recommandations formulées visent à définir les conditions d'existence d'un corps diplomatique ouvert et professionnel, compétent, efficace et attractif .

Ceci permettra que les personnels du MEAE continuent de rayonner , notamment au niveau européen , au sein de la diplomatie européenne qu'ils contribuent, par leur professionnalisme et leur expérience, à nourrir.

Pour que la diplomatie européenne soit efficace, elle devra s'appuyer sur des corps diplomatiques nationaux professionnels et efficaces. Réduire l'excellence et l'expérience professionnelle des diplomates français, alors que cette diplomatie européenne s'affirme, dans la crise ukrainienne comme dans la définition d'une boussole stratégique et d'une stratégie indopacifique européenne, c'est prendre le risque de marginaliser les positions françaises en son sein. Il ne saurait en être question !

Les métiers diplomatiques n'appartiennent pas au passé mais bien à l'avenir . Et s'ils sont parfois vus comme des monuments en péril, accusés de conservatisme, ils sont en réalité l'expression du dynamisme des équipes France qui portent la voie de notre pays partout où nos concitoyens et nos intérêts le dictent. La réforme de l'encadrement supérieur de l'État ne doit pas affaiblir cet outil d'excellence que de nombreux pays, alliés, partenaires, compétiteurs ou rivaux, nous envient.


* 12 « Qui voudrait d'un consul ou d'un ambassadeur étiqueté politiquement ? », Tribune du Groupe Théophile Delcassé, signature collective regroupant une cinquantaine de diplomates et de fonctionnaires du ministère des affaires étrangères de divers niveaux, publiée, le 24 mai 2021, sur le site du Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/24/qui-voudrait-d-un-consul-ou-d-un-ambassadeur-etiquete-politiquement_6081292_3232.html

* 13 Décret n° 2022-561 du 16 avril 2022 portant application au ministère de l'Europe et des affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique et modifiant le décret n° 69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires

* 14 « Pour avoir une idée des qualités par lesquelles se reconnaît un ministre plénipotentiaire de haut vol, il suffit de jeter un oeil au portrait qu'en dresse La Bruyère dans ses Caractères. En substance, c'est une sorte de miracle de profondeur et de paraître, de clarté et d'énigme, de lignes faussement droites et de détours impassibles. Il montre juste ce qu'il faut et cache ses cartes maîtresses. C'est une expérience longue à acquérir, un savoir qui s'apprend moins qu'il ne s'élabore. C'est plus qu'une fonction, c'est une vocation. » Extrait de la tribune de Jean-Michel Delacomptée: «La diplomatie, un art qui ne s'improvise pas», publiée le 23 mai 2022, sur le site du Figaro, à l'adresse suivante : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/jean-michel-delacomptee-la-diplomatie-un-art-qui-ne-s-improvise-pas-20220523.

* 15 Depuis 2017, la Chine est passée devant la France au classement des États du monde par indice de diplomatie, disposant dès lors de plus d'ambassades et consulats que notre pays.

* 16 En mai 2021, Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publique, a annoncé que le chef de l'État avait changé en quatre ans 87 % de ses directeurs d'administration . Elle réfutait cependant l'idée de « spoil system », déliant ces nominations de l'orientation politique des fonctionnaires.

* 17 Voir l'article « L'« État profond », ou le fantasme d'une administration parallèle » de Marc Semo, publié sur le site du Monde, le 11 septembre 2019, à l'adresse suivante https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/11/l-etat-profond-ou-le-fantasme-d-une-administration-parallele_5508858_3232.html#:~:text=L%E2%80%99%C2%AB%20Etat%20profond%20%C2%BB%2C%20ou%20le%20fantasme%20d%E2%80%99une,utilis%C3%A9%20par%20les%20milieux%20complotistes.%20Histoire%20d%E2%80%99une%20notion.

* 18 Habituellement le nombre de postes ouverts chaque année est inférieur à 10.

* 19 Et dans celui des attachés de système d'information et de communication.

* 20 L'examen du principalat sera simplifié et aligné sur celui organisé par les autres ministères, afin de fluidifier la carrière des secrétaires.

* 21 Ce type de disposition existe par exemple pour les préfets. L'article 4 du décret n° 2022-491 du 6 avril 2022 relatif aux emplois de préfet et de sous-préfet, prévoit de fait que les deux tiers des personnes nommées préfet justifient d'au moins trois années en qualité de sous-préfet.

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