B. PARALLÈLEMENT, RÉÉQUILIBRER LES TERRITOIRES POUR ÉCARTER DÉFINITIVEMENT TOUT RISQUE DE SCISSION

Si le projet métropolitain aixo-marseillais avait comme objectif assigné par le législateur de « favoriser l'accroissement et le rééquilibrage de la solidarité financière de territoires aux richesses disparates » 95 ( * ) , les travaux de la mission ont souligné que cette construction institutionnelle n'a permis, à elle seule, ni d'épuiser les risques d'éclatement ni de rééquilibrer les territoires en son sein.

D'une part, les rapporteurs estiment que, telle que construite par le législateur, la structure spécifique de la métropole d'Aix-Marseille-Provence n'a pas permis à celle-ci de contribuer au rééquilibrage du territoire. D'autre part, indépendamment même de la spécificité de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, l'objectif d'un rééquilibrage du territoire par les structures institutionnelles était rendu largement illusoire en raison des difficultés rencontrées par la ville de Marseille.

En conséquence, seules des mesures de rééquilibrage ciblées sur la ville de Marseille permettront de garantir, à court comme à long terme, la viabilité de la métropole .

1. Le projet métropolitain n'épuise pas les risques d'éclatement : les difficultés de Marseille affectent le fonctionnement de la métropole

Malgré l'objectif de rééquilibrage recherché par sa création, force est de constater que la métropole n'est pas parvenue à organiser une solidarité financière bénéficiant à la ville-centre .

Les difficultés que rencontre la ville de Marseille tiennent naturellement à sa situation socio-économique défavorable, déjà décrite supra . Elles tiennent également à l'organisation territoriale de la métropole : en sa qualité de ville-centre, la ville de Marseille assume des charges de centralité qui ne sont pas nécessairement compensées . Lors de son audition par les membres de la mission, le préfet Christophe Mirmand a ainsi estimé qu'aujourd'hui, la ville pâtit « d'une mauvaise image, qui l'amène à supporter la plupart des charges de centralité ». L'on peut penser par exemple à des équipements sportifs ou culturels dont la ville de Marseille assure la charge financière mais qui sont fréquentés par un public dépassant les seuls habitants de la commune.

Un exemple de charge de centralité : l'Opéra municipal

Qualifié « d'équipement emblématique de la ville », l'Opéra municipal est financé à 89 % sur le budget de la ville de Marseille 96 ( * ) .

Néanmoins, l'usage de cet équipement municipal n'est pas limité au seul public marseillais. La ville de Marseille estime ainsi qu'il est « fréquenté par un public bien plus large à l'échelle métropolitaine voire régionale puisque son audience dépasse largement le cadre de la cité avec un public non marseillais qui atteint régulièrement une proportion de 35 à 40 % des spectateurs . »

Si l'Opéra municipal constitue donc un facteur de rayonnement de la ville de Marseille, il représente, du point de vue de la gestion locale, une charge de centralité.

Or, la structuration progressive de la métropole d'Aix-Marseille-Provence n'a pas permis d'organiser à son échelle une péréquation efficace au bénéfice du territoire marseillais . En effet, le montant des attributions de compensation perçues par la commune de Marseille, en application des mécanismes d'attribution de compensation déjà décrits, a diminué depuis 2018. Ainsi, le montant des attributions de compensation versées à la commune par habitant a diminué de 11,28 % de 2018 à 2021, pour atteindre 136 euros par habitant environ.

Tableau recensant les évolutions d'attributions de compensation par habitant pour la ville de Marseille entre 2018 et 2021

Source : commission des lois, à partir de données de la DRFiP

Dans ces conditions, les rapporteurs estiment que les difficultés socio-économiques rencontrées et le statut de ville-centre supporté par Marseille, qui se traduisent naturellement au niveau territorial par des dépenses plus élevées et des recettes plus faibles, n'ont manifestement pas été compensés par la création de la métropole d'Aix-Marseille- Provence .

Tant qu'une telle compensation ne sera pas opérée, la métropole ne jouera pas le rôle de solidarité qui lui avait en particulier été attribué par le législateur lors de sa création.

Certes, le rôle assigné à la métropole de contribuer au rééquilibrage de son territoire était en pratique difficile à accomplir dans le contexte marseillais . En effet, le statut de la ville de Marseille, ville-centre qui a longtemps pâti d'une image faiblement attractive, génère des forces centrifuges à l'échelle de la métropole, les communes environnantes étant globalement rétives à une renforcer leur cohésion territoriale avec la commune de Marseille.

Dans ces conditions, il apparaît particulièrement difficile à la métropole de réaliser tout projet intercommunal d'ampleur à une échelle métropolitaine ; il paraît à plus forte raison illusoire qu'elle contribue en l'état au rééquilibrage de son territoire. À cet égard, la réussite du plan « Marseille en Grand » constitue une condition majeure du renforcement de la cohésion métropolitaine.

2. Dès lors, seules des mesures de rééquilibrage ciblées sur la ville de Marseille permettront de garantir la viabilité de la métropole

Si les rapporteurs ne peuvent que se féliciter que Marseille recueille une attention renforcée de l'État, ils déplorent néanmoins que celle-ci ne s'inscrive pas dans un cadre mieux défini et associant davantage les élus locaux .

En effet, si l'objet du présent rapport n'est pas de formuler des conclusions ou des recommandations sur les politiques sectorielles (santé, éducation, mobilités) menées dans ce cadre, les rapporteurs, nourris des échanges conduits avec les acteurs locaux, peuvent néanmoins formuler des recommandations de méthode pour donner au plan « Marseille en Grand » toute l'efficience dont la ville de Marseille a besoin.

En premier lieu, la désignation bienvenue d'un interlocuteur unique , du côté de l'État, pour les acteurs locaux doit être saluée. En effet, le préfet Laurent Carrié, délégué pour l'égalité des chances auprès du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et préfet des Bouches-du-Rhône, a été chargé par un décret du président de la République du 7 octobre 2021 du plan « Marseille en Grand » 97 ( * ) . La garantie pour les élus locaux de bénéficier d'un point d'entrée unique pour s'adresser à l'État sur ce dossier doit être préservée ; les membres de la mission y seront vigilants.

En deuxième lieu, il apparaît surprenant et préjudiciable qu' aucun processus d'évaluation n'ait été annoncé par l'État à la création du plan . Compte tenu de l'ampleur des enjeux financiers et des nombreux outils contractuels associant l'État et les acteurs locaux, les membres de la mission considèrent qu' une évaluation qualitative comme quantitative, à échéances régulières, établie à l'aide des services de l'État et en collaboration avec l'ensemble des parties locales, est indispensable pour garantir l'efficience et la transparence du déroulement du plan « Marseille en Grand ».

En outre, celle-ci permettra de s'assurer de la tenue des engagements, financiers et humains, pris par l'État dans ce cadre.

Proposition n° 4 : évaluer régulièrement les mesures du plan « Marseille en Grand » pour s'assurer de leur efficacité

Au surplus, si cette démarche évaluative est nécessaire, les membres de la mission considèrent que le déploiement concret des mesures prévues dans le plan « Marseille en Grand » doit pouvoir être suivie par un comité dédié associant, sous l'égide du préfet chargé du plan, les élus locaux et l'Etat.

A cet égard, on ne peut que s'étonner de l'absence d'une procédure de suivi de l'éxécution du plan pluraliste et associant l'ensemble des acteurs concernés, alors même que les premières mesures et financements prévus dans ce cadre ont été déployées. En effet, si les rapporteurs ne sauraient en aucun cas remettre en cause la désignation d'un interlocuteur unique au sein de l'Etat, modèle qui a par le passé fait ses preuves, le déploiement du plan « Marseille en Grand » gagnerait à renforcer le suivi de son exécution et à associer davantage les élus locaux et les acteurs des politiques sectorielles du plan afin d'en garantir l'efficacité . Les membres de la mission estiment que l'information des élus locaux et leur association au déploiement comme au suivi des mesures du plan étaient susceptibles de maintenir le niveau de mobilisation de l'ensemble des acteurs en faveur de la réussite du plan.

Les membres de la mission préconisent donc la création d'un comité de suivi , associant les élus locaux et l'ensemble des parties prenantes concernées. Il apparait, en particulier, souhaitable que des représentants locaux d'arrondissements soient conviés aux réunions du comité de suivi tant ils peuvent constituer des relais des difficultés rencontrées au plus près du terrain ou être des forces de propositions pragmatiques et concrètes quant à l'application territorialisée du plan.

Sans préconiser pour autant la convocation systématique d'une instance pléthorique, il est donc proposé d'instituer, rapidement, un comité de suivi réunissant élus locaux et l'État dont le format pourra, si nécessaire, être souple et s'adapter en fonction des thématiques du plan « Marseille en Grand ».

Proposition n° 5 : instituer rapidement un comité de suivi, associant les élus locaux et l'État, du plan « Marseille en Grand »

En outre, les rapporteurs considèrent que les acteurs doivent inscrire leur action dans une nécessaire pluriannualité.

L'État doit à cet égard envisager d'inscrire le plan « Marseille en Grand », ou du moins une partie de ses mesures, dans la durée et examiner les possibilités de son renforcement à mesure que les premiers objectifs de politique publique qui lui avaient été assignés seront atteints .

Proposition n°6 : inscrire le plan dans la durée et envisager son renforcement à mesure que les objectifs de politique publique
seront atteints

Enfin, dans son avis d'octobre 2022 relatif aux relations financières entre la métropole et ses commnes membres, la chambre régionale des comptes a relevé le montant particulièrement faible d'attributions de compensation touché par la ville de Marseille et souligné les difficultés juridiques posées par l'intégration de la dotation de solidarité communautaire (DSC) dans ces dernières 98 ( * ) . Dans ces conditions, la métropole a été incapable d'exercer un rôle de péréquation sur son territoire.

L'application de tels mécanismes de péréquation est pourtant une obligation pour les métropoles 99 ( * ) . En l'espèce, sa mise en oeuvre à l'échelle de la métropole, que celle-ci pourra le cas échéant préciser, est de nature à contribuer au rééquilibrage au profit de la ville de Marseille que les rapporteurs appellent de leurs voeux. Il importe donc de garantir la pleine application des mécanismes de péréquation prévus par la loi .

Proposition n° 7 : garantir l'application de mécanismes de péréquation à l'échelle de la métropole


* 95 Étude d'impact précitée du projet de loi dit « MAPTAM », p. 50.

* 96 Source : débat d'orientations budgétaires 2022, ville de Marseille, p. 35.

* 97 Décret du 7 octobre 2021 portant nomination du préfet délégué pour l'égalité des chances auprès du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, préfet de la zone de défense et de sécurité Sud, préfet des Bouches-du-Rhône, chargé du plan Marseille en grand, consultable à l'adresse suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044177522 .

* 98 Avis de la chambre régionale des comptes précité, octobre 2022, pp. 20-22.

* 99 Voir le I de l'article L. 5211-28-4 du code général des collectivités territoriales.

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