N° 285

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 janvier 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité,

Par MM. Cédric PERRIN, Rachid TEMAL, Hugues SAURY, Jacques LE NAY,
André GATTOLIN et Joël GUERRIAU,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L'ESSENTIEL

La stratégie française pour l'Indopacifique devrait être plus agile, pilotée au bon niveau politique, dotée de moyens à la hauteur de ses ambitions et cogérée avec nos DROM-COM.

Dès 2016, la CAEDFA appelait à la définition d'une stratégie indopacifique française et à son appropriation par l'ensemble des acteurs publics. En 2022, la France comme l'Union européenne sont dotées d'une stratégie indopacifique, c'est-à-dire d'un document présentant leur politique pour la moitié du globe terrestre alors qu'elles en sont en lointaine périphérie, nonobstant les DROM-Com : Mayotte, la Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française et Clipperton. Ces stratégies sont-elles à la hauteur des ambitions affichées ? Six recommandations visent à les rendre plus opérationnelles et plus efficaces.

I. SITUÉE EN PÉRIPHÉRIE DE L'INDOPACIFIQUE, LA MÉTROPOLE FRANÇAISE PEUT-ELLE Y ÊTRE UNE PUISSANCE STABILISATRICE ?

La représentation Authagraph de Hajime Narukawa 
l'Europe en lointaine périphérie de l'Indopacifique

La représentation Authagraph de la terre proposée par l'architecte Hajime Narukawa. Cette carte propose une représentation des zones terrestres et maritimes corrigeant les déformations de la projection Mercator de 1569. (c) AUTHAGRAPH CO.LTD

Peu à peu le terme d'indopacifique s'est imposé comme cadre de conception de l'action géostratégique des pays qui l'adoptent à mesure que l'importance économique et géostratégique de cette vaste zone se renforce.

Centre névralgique de la planète, l'Indopacifique est devenu incontournable et le sera plus encore dans 20 ans

L'Indopacifique en 2040 ce sera

 
 
 
 

de la population mondiale

du PIB mondial

des réserves de matières premières critiques

États-Unis, Chine, Inde

L'Indopacifique recouvre entre les 2/3 et la moitié de la surface du globe terrestre et héberge 60 à 75 % de la population mondiale. C'est le lieu le plus rapide de création de richesses, avec six membres du G20 : la Chine et l'Inde qui ont les PIB les plus dynamiques de la planète, la Corée du Sud, l'Indonésie, le Japon et l'Australie. L'indopacifique génère aujourd'hui près de 40 % de la richesse globale et pourrait représenter plus de 50 % du PIB mondial en 2040 selon les prévisions du FMI. Au moins la moitié du fret mondial transite par cette zone qui concentre l'essentiel des réserves mondiales de matières premières critiques : 85 % du lithium, 75 % du nickel et 75 % des réserves de cuivre. La dépendance de l'Union européenne en la matière est alarmante, soit 95 % sur 30 métaux critiques en 2020. La place de la Chine sur le marché des matières premières critiques est prépondérante, près de 90 % des terres rares et 60 % du lithium sont traités en Chine. La Nouvelle-Calédonie détient 20 % des réserves mondiales de nickel. Le G3 à l'horizon de 20 ans devrait regrouper les États-Unis, la Chine et l'Inde, tous situés dans l'Indopacifique. L'ordre précis du trio de tête reste discuté, pas sa composition. À ces pays de tête s'ajouteront, dans un ordre qui peut varier, le Japon, l'Indonésie (dont le PIB pourrait dépasser celui du Japon d'ici 2040) et l'Union européenne.

Dans l'ensemble de la zone indopacifique, le déficit de régulation et l'absence de consensus multilatéral sur les conditions d'accès et d'utilisation des espaces communs favorisent l'exercice des rapports de force entre États, ou à l'encontre d'acteurs non-étatiques. Les architectures régionales de sécurité dans l'océan Indien, en Asie et dans le Pacifique demeurent fragiles, en dépit d'importants efforts consentis. Dans l'Indopacifique, qui compte plusieurs pays nucléarisés (dotés ou non), on enregistre les plus gros efforts d'investissements de défense. Le Japon va doubler son budget annuel de défense en le faisant passer à 2 % de son PIB d'ici 2027. D'ici 2040, le PIB et les dépenses de défense de la Chine seront probablement équivalents à ceux des États-Unis. La rivalité stratégique opposant la Chine et les Etats-Unis structure les dynamiques sécuritaires dans cette région, où elle oblige les États à composer avec de nouvelles menaces et influences. Le multilatéralisme qui a fondé l'ordre international après la seconde guerre mondiale s'effrite.

La nécessaire révolution copernicienne de l'Europe, en périphérie du nouveau centre du monde, l'Indopacifique

L'espace atlantique est en périphérie du centre névralgique de la planète. L'Europe -et avec elle le territoire métropolitain de la France- qui s'est longtemps pensé comme centre du monde, se situe dans la très lointaine périphérie de l'Indopacifique. Paris est à 16 732 km de Nouméa, 15702 km de Papeete, 12 639 de Port-aux-Français et 9 390 km de Saint-Denis.

La France et l'UE se sont dotées d'une stratégie pour l'Indopacifique, allant des côtes orientales de l'Afrique aux territoires français du Pacifique. La carte illustrant la stratégie de défense française en indopacifique montre à la fois l'immensité de l'indopacifique, l'éloignement de la métropole, la dispersion des territoires français d'indopacifique et leur relatif isolement.

La France et l'Indopacifique

Visuel utilisé par la DGRIS pour illustrer la stratégie de défense française en indopacifique.

La zone indopacifique dans sa conception la plus large est-elle bien un cadre d'analyse opérant compte-tenu de son ampleur ? Ce cadre coïncide avec la stratégie mondiale de certains acteurs, tels les États-Unis, et la volonté ou la nécessité de recentrer les cartes du monde sur l'Asie. Dans ce contexte, chaque pays aura la tentation de définir un espace indopacifique qui serve au mieux ses intérêts, ses représentations et ses ambitions.

Le pivot asiatique américain est devenu la stratégie américaine, dite Free and Open Indo-Pacific (FOIP), est fondée sur la promotion de valeurs partagées et sous-tendue par l'affirmation d'une volonté d'influence stratégique majeure dans la zone. Elle recouvre aussi un objectif d'endiguement de l'influence chinoise assumé par les États-Unis. Ce positionnement de défiance affiché à l'égard de la Chine a longtemps limité l'adhésion des pays de la zone qui ne souhaitent ni s'aligner sur l'une ou l'autre des zones d'influence ni se trouver pris dans l'affrontement sino-américain de plus en plus frontal. La guerre commerciale et douanière que se livrent les deux pays et les multiples tensions qui se manifestent autour de Taïwan l'illustrent.

La France défend une stratégie dite troisième voie entre les États-Unis et la Chine. Basée sur la conception la plus large de l'Indopacifique, qui correspond à ses implantations et intérêts, la stratégie française ne perd-elle pas en lisibilité pour les acteurs de la zone qu'elle entend fédérer ? N'est-elle pas affaiblie par la multiplicité de ses orientations ? Peut-elle répondre aux attentes de chaque partenaire stratégique, demandeur de sécurité pour les uns, de développement économique pour les autres, d'actions de protection de l'environnement ?

La stratégie française ne choisit pas, ni l'espace géographique qu'elle conçoit comme maximaliste, ni les secteurs d'action qu'elle souhaite tous embrasser. Elle ne sélectionne pas plus ses partenaires, souhaitant collaborer avec tous. Si un temps un triangle de grands partenaires stratégiques s'était dessiné avec le Japon, l'Australie et l'Inde, Aukus, la relance par l'Inde du format Quad, le souhait japonais de rapprochement de l'OTAN, et la non-condamnation de l'agression de l'Ukraine par la Russie ont fragilisé cette architecture. Les partenariats se multiplient, au gré des exportations d'armement, ou d'autres opportunités. S'il n'en faut refuser aucune tant qu'elle est favorable aux intérêts français, l'éparpillement qui en résulte ne nuit-il pas à la lisibilité de la stratégie française ?

II. RÉAFFIRMER UNE POSITION FRANÇAISE FORTE ET RÉALISTE FACE À LA CHINE

Les différentes conceptions de l'Indopacifique ne traitent pas de la question de la Chine directement : la plupart d'entre elles, et celle de la France ne fait pas exception, énumèrent les partenariats souhaités et ignorent « l'éléphant dans la pièce », c'est-à-dire la Chine dont le poids et la politique sont essentiels dans la zone indopacifique.

La troisième voie française est-elle tenable face aux réalités de l'Indopacifique et aux ambitions chinoises ?

La stratégie de la France s'arrête à la réaffirmation de l'attachement de notre pays, partagé avec l'Inde, l'Australie, le Japon et l'Asean, à un ordre multilatéral fondé sur le droit. Les revendications territoriales chinoises, dites « ligne en neuf traits » sur la mer de Chine méridionale, ne sont nommées que de façon très prudente dans la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Elles ont pourtant fait l'objet d'une condamnation la Cour permanente d'arbitrage (PCA) de la Haye en 2016. Pourquoi ne pas le dire ? La condamnation des positions chinoises nuirait à la stratégie de troisième voie, voie d'équilibre ou de stabilisation pour reprendre les termes de la stratégie indopacifique. Mais celle-ci est-elle tenable face aux réalités de l'Indopacifique et aux ambitions chinoises ? Cette « troisième voie » française n'a pas convaincu l'Australie qui a renoncé au partenariat stratégique conclu avec la France et à la fourniture des sous-marins Barracuda.

Les pays de l'Asean, le Japon, l'Inde et l'Australie défendent la même volonté d'autonomie que la France et refuseraient de s'impliquer dans la rivalité sino-américaine, selon le document français. Toutefois, les positions japonaise et australienne sont sans doute plus ambiguës, en témoignent le Quad, Aukus et les accords de défense liant ces pays aux États-Unis. L'objectif politique français nous amène selon les analystes à « surjouer une différence d'approche, en partie artificielle, avec les pays anglo saxons tout en favorisant les exportations d'armes vers certains pays comme l'Inde, les EAU et l'Indonésie, qui restent l'un des moteurs, bien que non assumé, de la politique étrangère française dans la région ». Le discours français est parfois contre-productif : la position française paraît ambiguë et nos ambitions d'être une puissance d'équilibre ne sont pas en adéquation avec notre poids réel, ce qui pose in fine des questions sur la crédibilité même de la stratégie française.

Enfin, être une puissance d'équilibre, si l'on s'en donnait les moyens, n'est possible que si la situation le permet. Or la politique et les ambitions chinoises fragilisent l'équilibre indopacifique. L'aspiration au statut de puissance internationale de la Chine se manifeste par une stratégie planifiée dans le temps long par le parti communiste chinois visant à la doter du statut de première puissance mondiale d'ici 2050, année du centenaire de la création de la République populaire de Chine. Le XXème congrès du parti communiste chinois d'octobre 2022 a été l'occasion d'un nouveau durcissement des positions chinoises : la légitimité du PCC repose désormais sur la promesse du rétablissement du rang impérial de la Chine garanti par Xi Jinping (et non plus sur la croissance économique).

Dans ce contexte, la France devra réaffirmer une position ferme si les aspirations chinoises sont défavorables aux intérêts français et aux valeurs qu'elle défend, telles le multilatéralisme, la libre navigation, l'État de droit et les droits de l'homme. La stratégie française doit tenir compte du positionnement chinois, de son agenda et de sa volonté de s'affirmer première puissance mondiale et définir une position forte et réaliste en réponse.

III. DÉCLINER LA STRATÉGIE INDOPACIFIQUE DE LA FRANCE EN 4 ZONES

Des impensés marquent encore la stratégie indopacifique française de l'ouest à l'est de la zone. C'est le paradoxe de souhaiter une stratégie globale et de ne pas lui donner toute son ampleur. C'est le cas notamment du Pakistan et de Taïwan et de l'Amérique latine, voire des États-Unis. La relation privilégiée qui se tisse avec l'Inde ne doit pas conduire à sous-estimer l'importance du Pakistan dans l'équilibre régional de l'Asie du Sud, mais aussi dans l'accès aux nouvelles voies maritimes commerciales et stratégiques, comme en témoignent les investissements chinois au Pakistan dans le cadre du corridor économique Chine-Pakistan (en anglais : China-Pakistan Economic Corridor, CPEC). Les efforts en faveur de la reconstruction d'un dialogue entre la France et le Pakistan ne doivent pas être relâchés.

De même, la question de Taïwan ne doit pas être éludée. Le Sénat a adopté le 6 mai 2021 une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales oeuvrant à la sécurité et à la préservation de l'environnement : l'Organisation mondiale de la santé, Interpol, l'Organisation de l'aviation civile internationale et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La stratégie de la France dans l'Indopacifique pourrait renforcer certaines coopérations, notamment dans le cadre de programmes de protection de l'environnement avec Taïwan. La question de l'Amérique est traitée directement dans le zonage proposé.

La lisibilité de la stratégie indopacifique gagnerait à distinguer des zones aux seins de l'Indopacifique, non pour nier l'importance géostratégique de la jonction des deux océans, ou décourager les initiatives transversales, mais pour prendre en compte la diversité des États qui le composent et leurs priorités. Ce zonage n'empêcherait en rien la gestion de questions transversales mais permettrait au contraire de synchroniser les actions menées en différents points de l'Indopacifique, en donnant de la lisibilité à l'action de la France.

Distinguer quatre zones dans l'Indopacifique pour mieux structurer et rendre plus opérationnelle la stratégie française.

Première zone en partant de l'Ouest : l'océan Indien occidental (englobant les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises, la Réunion, Mayotte, le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, et associant de façon secondaire l'Inde). La France a un rôle de pourvoyeur de sécurité à jouer dans ces secteurs selon les auditions menées pour ce rapport. Il n'est pas exclu que cela serve également le dessein américain d'accentuer son pivot stratégique asiatique en incitant d'autres pays à intervenir au Proche-Orient. La France a là une place particulière à tenir, où sa légitimité est reconnue, notamment grâce à ses forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), et ses deux forces de présence, les forces françaises basées des Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).

Deuxième zone : l'indopacifique central (allant du Pakistan à la Nouvelle Calédonie, incluant l'Asean, et remontant jusqu'au Japon). L'Asean, 5e bloc économique mondial, est d'avantage demandeur de développement du libre-échange que de sécurité dans l'océan Indien. Ses préoccupations de sécurité concernent plus directement l'un des impensés de la stratégie française : Taïwan. L'inclusion de l'Inde et du Pakistan dans cette zone correspond à l'importance de leurs échanges maritimes pour l'Inde et à l'importance que pourrait prendre le port de Gwadar, basé au Pakistan et développé par la Chine, dans la circulation maritime de la zone.

Troisième zone : le pacifique Sud (englobant les États du Pacifique Sud et les territoires français du Pacifique). Les États du Pacifique Sud placent la défense de l'environnement et de la biodiversité au sommet de leur échelle de priorités car ils sont très touchés par les effets du réchauffement climatique et sont très dépendants des ressources halieutiques. Ils sont demandeurs de protection de la biodiversité et des moyens la garantissant. Cela correspond également aux objectifs de la France et à la nécessité de protéger son immense ZEE, ce qui est aujourd'hui rendu très difficile par le sous équipement chronique des forces de souveraineté, les forces armées de la Nouvelle Calédonie (FANC) et les forces armées en Polynésie française (FAPF). Outre des moyens militaires adéquats et donc augmentés, la stratégie française pour l'Indopacifique devrait prendre en compte les spécificités du Pacifique Sud, territoire où le dialogue prend une forme particulière dit Pacific way, qui doit être respecté. Cette zone caractérisée par une montée des actions de la Chine, qui compte 12 voix à l'Assemblée générale des Nations unies, est dans l'attente de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, y définir une stratégique spécifique et adaptée, lisible, avec des échéances et des moyens est indispensable.

Quatrième zone : le pacifique oriental (autour de la Polynésie française, englobant les bordures orientales de l'océan pacifique, c'est-à-dire les côtes américaines). L'Amérique du Sud est absente de la réflexion stratégique de la France dans l'Indopacifique. Or la Polynésie française pourrait être un hub entre l'Asie et l'Amérique dans plusieurs secteurs (aviation civile, numérique). La perspective de relier la Polynésie française au Chili et aux États-Unis par câble sous-marins se précise. Dans le domaine de l'aviation civile, le projet de hub était porté par la Chine qui souhaitait faire de la Polynésie un point de passage vers l'Amérique latine. De tels enjeux devraient pouvoir être intégrés dans la stratégie indopacifique française.

Ce découpage géographique de la zone Indopacifique est la première étape d'une nouvelle conception de la stratégie indopacifique, transversale et régionale. Une stratégie indopacifique plus agile, plus adaptable et mieux adaptée. Ces zones vont permettre de définir des priorités et des objectifs différents selon chaque secteur géographique et secteur thématique. Ce zonage amorce la proposition de la mise en place d'un pilotage politique et plus opérationnel.

IV. ORGANISER LE PILOTAGE POLITIQUE DE LA STRATÉGIE DE LA FRANCE POUR L'INDOPACIFIQUE

Les priorités stratégiques et les modalités d'action de la stratégie indopacifique française posent questions. Quels sont les champs d'action à mettre en avant : faut-il parler de sécurité et défense, de développement économique ou de défense de l'environnement ? Quelles devraient être les modalités d'intégration économique régionale des territoires ultramarins : doivent-elles aller jusqu'à Singapour ou rester dans le Pacifique Sud ? Comment concevoir un agenda de progression des objectifs français en Indopacifique qui ne soit pas dicté par une vision politique centralisée ?

S'il est normal que chaque opérateur et chaque diplomate ait un prisme propre au secteur ou au pays dans lequel il exerce son action, un réel manque de lisibilité de la mise en oeuvre de la stratégie de la France pour l'indopacifique est apparu. L'activité des opérateurs n'est pas toujours connue des services des ambassades. Ils en sont normalement informés mais ne peuvent pas toujours garantir la cohérence des actions menées par les différents opérateurs, ou leur visibilité.

4 secrétaires d'État pour décliner de façon concrète la stratégie indopacifique et piloter ses opérateurs

L'intervention de l''AFD, un acteur historique de l'Indopacifique, doit être interrogée. Elle continue d'accompagner les DROM COM dans leur développement économique, social et environnemental grâce à l'adoption de la stratégie 3 Océans en 2019, qui vise à renforcer le rayonnement des territoires ultramarins français dans leur bassin d'appartenance (bassins Atlantique, Pacifique et Indien). Il faut mettre en place une nouvelle organisation, favorisant l'ancrage des DROM-COM qui devraient bénéficier de modalités de financement identiques à ceux mis en oeuvre pour les collectivités territoriales par la Caisse des dépôts et consignations.

L'AFD intervient dans 7 des 10 pays de l'ASEAN : Cambodge, Birmanie, Indonésie, Laos, Philippines, Thaïlande et Vietnam. Elle anime de fait le volet dédié au développement économique de la stratégie française pour l'Indopacifique. Son poids dans la stratégie indopacifique augmente avec sa participation au Forum ministériel pour la coopération dans l'indopacifique et à l'initiative de rassemblement des banques de développement de l'indopacifique. Or, la question du pilotage politique de cet opérateur se pose fortement.

Pour résoudre ces difficultés, il faut nommer sur chacune des 4 zones de l'Indopacifique des secrétaires d'État dédiés. Ils seraient l'interlocuteur politique que réclament les territoires français de l'Indopacifique. Il leur reviendrait d'animer l'action des services et opérateurs dans le secteur géographique concerné, de prendre les arbitrages politiques nécessaires, d'impulser et de favoriser les coopérations entre zones de l'indopacifique pour faire progresser les politiques d'intégration régionale des territoires français, de protection du climat et de la biodiversité, de renforcement du multilatéralisme et de promotion des valeurs d'État de droit de protection des droits humains. Enfin, ces secrétaires d'État devraient avoir une feuille de route publique, énumérant des objectifs quantifiés, dans un calendrier et avec des moyens donnés.

Ces nominations permettraient également de répondre au désir de France qu'expriment les pays riverains de l'Indopacifique (en 2022, le Vanuatu a reçu une visite officielle de haut niveau pour la première fois depuis 29 ans !), de multiplier les participations de haut niveau aux différentes fora de la zone, et d'incarner la priorité donnée par la France à l'Indopacifique.

V. DOTER LES FORCES ARMÉES DES MOYENS CORRESPONDANT AUX AMBITIONS FRANÇAISES INDOPACIFIQUES

Les moyens militaires des forces de souveraineté sont inadaptés d'une part aux caractéristiques de l'Indopacifique (élongations extrêmes, conditions météorologiques exigeantes et durcissement de l'environnement sécuritaire) et d'autre part aux ambitions affichées de la stratégie de la France en Indopacifique.

Le constat de l'insuffisance des moyens des FAZSOI, des FANC et des FAPF au regard des missions assignées s'impose. La LPM devra y remédier !

Depuis 2008, le nombre des personnels des armées dans les forces de souveraineté a connu une attrition drastique de l'ordre de 20 % des effectifs et la systématisation du recours aux missions de courte durée (MCD). Les équipements, désormais dimensionnés au plus juste des missions militaires sont particulièrement vieux : le Transall avait une soixantaine d'années, le Casa et les P400 ont une quarantaine d'années, ils souffrent en conséquence d'une faible disponibilité. Les moyens de surveillance aérienne et de transport tactique des forces, très insuffisants, sont peu disponibles, particulièrement les hélicoptères. Le remplacement du Puma par le Super Puma (H225) n'est prévu qu'à l'horizon 2026-2028, celui du Fennec par l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard en 2032, du Casa par l'Avion de transport d'assaut du segment médian (ATASM) à l'horizon 2030-2035. Aucun retard supplémentaire ne doit être pris dans ces remplacements. Le remplacement des Casa en service au sein des FAZSOI, des FAPF et des FANC n'est pas encore prévu. Des solutions de location doivent être recherchées pour combler les trous capacitaires dus aux indisponibilités des équipements. Sans avion de transport à long rayon d'action, la capacité de projection de force et l'appui logistique dans les zones de responsabilité permanentes (ZRP) est fragile. Le recours à l'A400M possible pour compenser ces déficits de capacité est sous préavis de 48 H et nécessite des adaptations insuffisamment prises en compte en termes d'infrastructures. Enfin, les moyens nécessaires doivent être mis en oeuvre pour rénover les bases aériennes : la BA 186 en Nouvelle Calédonie et la BA 181 à la Réunion doivent faire l'objet d'investissements au bon niveau.

Pour la marine, trois patrouilleurs sont actuellement indisponibles (à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie, et en Polynésie française). D'importantes ruptures temporaires de capacité sont prévues jusqu'en 2025 et ne devraient cesser qu'avec la livraison des 6 patrouilleurs outre-mer (POM), prévue pour fin 2025. La prochaine loi de programmation militaire (LPM) ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu. L'accroissement des moyens est indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions.

La mise en service de quatre Bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) à la place des cinq Bâtiments de transport léger (Batral) s'est accompagnée d'une division par deux des capacités de transport et de la perte de la capacité amphibie, alors que sur la période 2008-2030, le tonnage de la marine chinoise devrait croitre de 138 %, celui de la marine de la Corée du Sud de 101 % et celui de la marine indienne de 40 %. Comme le recommande le rapport Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale de Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth, de la délégation sénatoriale aux outre-mer (24 février 2022), il faut rétablir des capacités amphibies en acquérant des hydroglisseurs, et en accélérant le déploiement du programme European Patrol Corvette pour assurer le remplacement des frégates de surveillance, recommandations que nous reprenons. La LPM doit prévoir le renouvellement des frégates de surveillance (classe Floréal), dont le retrait du service est prévu pour 2035, en prenant en compte, le besoin de bâtiments plus crédibles dans un contexte de retour des conflits entre puissances et d'un environnement opérationnel plus exigeant. Le Porte-Avions de nouvelle génération (PANG) est essentiel dans ce contexte ! Notre capacité à déployer un porte-avions en Indopacifique assoit notre crédibilité auprès de nos Alliés. La LPM doit prévoir l'avancement de ce programme majeur sans aucun retard.

Enfin, pour la composante terrestre, la montée en gamme et la modernisation des équipements avec la scorpionisation des forces sont nécessaires. Il n'est sans doute plus pertinent de distinguer les standards opérationnels entre la métropole et l'Indopacifique. Il en va de la crédibilité des forces, de leurs capacités en matière d'interopérabilité lors des déploiements depuis la métropole et lors des exercices de haut niveau organisés avec les pays indopacifiques partenaires.

Il est d'ailleurs souhaitable, pour toutes les armées, de renforcer la participation des moyens du haut de spectre aux divers exercices de coopération dans la zone indopacifique, et de conduire, outre les récents déploiements, des activités à forte visibilité stratégique : tels que des exercices de tir de missiles, des exercices sur les fonds marins et les câbles sous-marins, associant les bases des forces de souveraineté.

VI. ACCLIMATER LA STRATÉGIE INDOPACIFIQUE EN RENFORÇANT LA CO-GESTION AVEC LES TERRITOIRES ULTRA-MARINS

Les DROM-COM, Mayotte, la Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française et Clipperton, placent la France dans la situation rare d'exercer sa souveraineté sur des territoires insulaires distants de plusieurs milliers de kilomètres de ses littoraux continentaux. Seuls les États-Unis partagent cette situation, mais sans être considérés par les États océaniens comme appartenant à la « famille pacifique ».

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont, pour leur part, devenues membres de plein droit du Forum des îles du Pacifique (FIP). C'est une étape essentielle pour la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française qui peuvent désormais construire des partenariats directs avec les pays et les États insulaires de la région. La reconnaissance des territoires indopacifiques français recouvre une autre facette avec l'appartenance du FLNKS au groupe mélanésien Fer de Lance. L'Indopacifique suit avec attention l'évolution du statut de la Nouvelle-Calédonie.

Dans le même temps, les DROM-COM suscitent des projets d'investissement de compétiteurs stratégiques. Ainsi, en 2014, un investissement chinois sur l'atoll de Hao a été repoussé sur décision de la métropole car susceptible de donner à la Chine une influence et un poids conséquents. Les autorités de Polynésie française revendiquaient en la matière leur autonomie de décision.

Il faut mettre en oeuvre un partenariat confiant entre les DROM-COM et la métropole dans le cadre d'une stratégie indopacifique repensée !

Les élus des DROM-COM n'ont pas été consultés par le pouvoir exécutif métropolitain en amont de l'adoption de la stratégie, ou, plus récemment, des déploiements des forces militaires sur leurs territoires dans le cadre de la stratégie indopacifique française. La stratégie française pour l'Indopacifique n'a donc pas été co-élaborée avec les autorités des DCOM-ROM. Elles manifestent pourtant leur volonté légitime d'être entendues, avec la création par l'Assemblée de la Polynésie française, en juin 2022, d'une mission d'information portant sur l'impact des stratégies de la France dans l'espace Indopacifique sur les collectivités françaises de l'Océanie. De plus, les compétences élargies en matières économiques, environnementales, voire dans le domaine des relations extérieures pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française rendent indispensable un changement d'approche.

Il apparaît souhaitable et nécessaire de bâtir la stratégie indopacifique sur nos atouts ultramarins et de mettre en place une délégation commune pour participer ensemble à des fora ou agora de l'Indopacifique, y compris au groupe mélanésien Fer de Lance.

VII. RENFORCER LA COHÉRENCE DE LA STRATÉGIE EUROPÉENNE INDOPACIFIQUE

L'UE est déjà le premier investisseur et le principal partenaire de coopération au développement dans la région indopacifique, ainsi que l'un des plus grands partenaires commerciaux de cette dernière. Les échanges commerciaux entre la région indopacifique et l'Europe sont plus importants qu'entre n'importe quelles autres régions géographiques du monde, leur valeur annuelle a atteint 1 500 milliards d'euros en 2019, avant la pandémie mondiale. L'avenir de l'UE et celui de la région indopacifique apparaissent liés l'un à l'autre, et les conséquences de la pandémie et de la rupture des échanges l'ont souligné.

En septembre 2021, l'Union européenne s'est dotée d'une stratégie indopacifique allant de la côte Est de l'Afrique aux États insulaires du Pacifique. Elle prône un Indopacifique libre et ouvert à tous. Cette vocation inclusive correspond à la recherche d'une voie autonome et alternative, indépendante du concept américain d'Indopacifique.

La position de l'Union à l'égard de la Chine se durcit, même si le consensus entre les États membres sur cette question peine à émerger. Le centre de gravité du triptyque partenaire, concurrent commercial et rival stratégique se déplace de plus en plus, de partenaire vers concurrent et rival. De fait, la stratégie indopacifique européenne dite de troisième voie se heurte aux ambitions géostratégiques chinoises et au soutien apporté à la Russie dans le cadre de l'invasion de l'Ukraine. Le sommet UE Chine du 1er avril 2022 et le sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN en juin 2022 ont souligné cette crispation.

La stratégie européenne pose des questions de cohérence :

- celle de la cohérence des États membres entre eux. La posture vis-à-vis de la Chine peine à faire l'objet d'un consensus, mais cela peut aussi être le cas de certaines politiques sectorielles, notamment dans le domaine de la défense de l'environnement ;

- et celle de la cohérence des actions et politiques européennes intrinsèquement et entre elles. L'ambition de long terme d'aboutir à un accord de libre-échange entre l'Asean et l'UE ne risque-t-elle pas de se heurter à la coexistence d'une multitude d'accords entre l'Union et les pays membres de l'Asean ? Certains ont signé des accords commerciaux, d'autres bénéficient de régime préférentiels. Comment seront-ils harmonisés ? De même, l'articulation des initiatives européennes, telles que l'initiative sur la connectivité et le Global Gateway n'est pas évidente. Enfin, les clauses de conditionnalité insérées dans les accords internationaux signés par l'Union européenne avec les États tiers ne sont que trop rarement activées aux termes d'un processus long et lourd. Il a ainsi été complexe d'aboutir au retrait partiel de l'accord commercial « Tout Sauf Les Armes » en août 2020 suite à de multiples violations des droits humains au Cambodge. La situation de la Birmanie dirigée par la junte depuis le coup d'État du 1er février 2021 pose également de réelles questions. Ceci fragilise le dispositif communautaire.

La Boussole stratégique adoptée en mars 2022 poursuit la logique d'appropriation de l'enjeu indopacifique par l'Union européenne. Elle démontre que les 27 États membres approfondissent leur investissement stratégique et estiment que l'Indopacifique est un champ essentiel pour leur avenir.

Il est important que la stratégie indopacifique européenne se traduise par des opérations concrètes, des budgets et des objectifs temporels. L'évaluation de la stratégie à intervalles régulier permettrait de s'assurer de la cohérence de cette politique européenne rattrapée par la réalité stratégique de la zone indopacifique. La cohérence de la stratégie indopacifique européenne s'évaluera également à sa capacité à s'adapter à la politique de puissance de la Chine qui rend plus difficile l'existence d'une troisième voie autonome.

LES CONSTATS

- Centre névralgique de la planète, l'indopacifique est devenu incontournable et le sera plus encore dans 20 ans. La Chine en est l'acteur incontournable, qui structure de fait les stratégies indopacifiques. L'affirmation de sa volonté de devenir la première puissance mondiale pose la question de la tenabilité des postures d'équilibre de type « troisième voie » que défendent la France et l'Union européenne.

- L'Europe et la France, en périphérie du nouveau centre du monde, doivent effectuer leur révolution copernicienne et apprendre à dé-centraliser leur conception de l'Indopacifique.

- La stratégie indopacifique française souffre d'un manque de lisibilité, et d'une réelle inadéquation des moyens aux ambitions.

LES PROPOSITIONS

- 1. Réaffirmer une position française forte et réaliste face à la nouvelle volonté hégémonique de la Chine affirmée lors du 20ème Congrès du parti communiste chinois. Partenaire et compétiteur commercial incontournable, la Chine s'affirme comme un rival systémique de plus en plus offensif. Ceci pourrait réduire les possibilités de faire progresser les sujets transversaux de protection de l'environnement et de la biodiversité sur lesquels nos attentes à son égard doivent être réaffirmées, notamment dans le cadre de la stratégie de la France pour l'Indopacifique. De même, devrait être réaffirmé la nécessité que la Chine respecte le droit international et recherche le règlement des contentieux territoriaux dans ce cadre. La stratégie française doit tenir compte du positionnement chinois, de son agenda et de sa volonté de s'affirmer première puissance mondiale, et réaffirmer dans ce contexte une position forte et réaliste.

- 2. Distinguer au sein de la stratégie indopacifique 4 zones d'actions spécifiques pour mieux associer les pays concernés : l'océan indien occidental, l'indopacifique central, le pacifique Sud, et le pacifique oriental. Mieux intégrer le Pacifique Sud, Taïwan et l'Amérique latine à la stratégie indopacifique française.

- 3. Organiser le pilotage politique de la stratégie de la France pour l'Indopacifique en nommant 4 Secrétaires d'État en charge des zones identifiées dans l'Indopacifique. Chargés de coordonner l'action des services et opérateurs, d'effectuer les arbitrages politiques nécessaires et d'assurer la représentation de haut niveau demandée par nos DROM-COM et nos partenaires dans l'Indopacifique, ils seraient responsables de la mise en oeuvre d'une feuille de route détaillant objectifs, calendrier et moyens humains et financiers.

- 4. Doter les forces armées des moyens correspondant aux ambitions françaises indopacifiques. La prochaine loi de programmation militaire ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison du Porte-avions de nouvelle génération, des POM prévus, d'HIL, d'avions ravitailleurs, de frégate de surveillance, de moyens de renseignement, etc. L'accroissement des moyens est indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions avec des échéanciers clairs permettant d'afficher les priorités auprès des compétiteurs et des partenaires de la France dans l'Indopacifique.

- 5. Acclimater la stratégie indopacifique en renforçant sa cogestion avec les territoires ultra-marins français. Un dialogue doit intervenir en amont de toute annonce politique concernant la stratégie indopacifique et l'intégration des DROM-COM à son application. Les positions des autorités des territoires français de l'Indopacifique doivent ainsi pouvoir être entendues, et le pouvoir exécutif français doit pouvoir être associé au bon niveau aux instances indopacifiques spécifiques. Le principe de création de délégation commune dans les négociations devrait être retenu.

- 6. Renforcer la cohérence de la stratégie indopacifique européenne, qui pèche par manque d'articulation des politiques sectorielles entre elles, par inadéquation des objectifs des pays membres entre eux, et par non-application des conditionnalités posées. Il conviendrait d'évaluer régulièrement la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique en contrôlant son avancée et en veillant à ce que les budgets correspondant aux ambitions soient prévus et soient exécutés à bon rythme, sans enlisement ni bureaucratie excessive. La cohérence de la stratégie indopacifique européenne s'évaluera à sa capacité à s'adapter à l'expression de puissance de la Chine qui rend plus difficile l'existence d'une troisième voie autonome.

VIII. SITUÉE EN PÉRIPHÉRIE DE L'INDOPACIFIQUE, LA MÉTROPOLE FRANÇAISE PEUT-ELLE Y ÊTRE UNE PUISSANCE STABILISATRICE ?

A. L'INDOPACIFIQUE NOUVEAU CENTRE DU MONDE RENVOIE L'EUROPE ET LA FRANCE EN PÉRIPHÉRIE

1. Un concept incontournable

La notion d'Indopacifique (IP) est relativement récente. Elle est utilisée depuis une quinzaine d'années1(*) et succède à différents concepts, tels que l'Asie-Pacifique2(*), qui servait encore de cadre d'analyse dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.

Dès 2012, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (CAEFA) actait la « maritimisation du monde »3(*) mais sans en tirer encore de conséquence sur la centralité de l'Indopacifique. En 2016, les ministères de la défense et des affaires étrangères se référaient à l'Asie-pacifique lorsque la CAEFA, qui étudiait la place de la France dans cette zone et sa relation avec l'Australie appelait, pour sa part, à la définition d'une stratégie indopacifique française et à son appropriation par l'ensemble des acteurs publics4(*).

Peu à peu le terme d'Indopacifique s'est imposé comme cadre de conception de l'action géostratégique des pays qui l'adoptent à mesure que l'importance économique et géostratégique de cette vaste zone se renforce.

Car cet espace indopacifique paraît désormais incontournable. Il représente entre les deux tiers et la moitié de la surface du globe terrestre et héberge 60 à 75 % de la population mondiale, selon les délimitations retenues.

C'est le lieu le plus rapide de création de richesses. Cette région compte en effet les PIB les plus dynamiques de la planète, notamment celui de la Chine et de l'Inde. La zone indopacifique compte six membres du G205(*) : la Chine, la Corée du Sud, l'Inde, l'Indonésie, le Japon et l'Australie. L'IP génère aujourd'hui près de 40 % de la richesse globale et pourrait représenter plus de 50 % du PIB mondial en 2040, et ses marchés, 40 % de la consommation globale, selon les prévisions du FMI.

La croissance économique de la zone indopacifique s'appuie en particulier sur le dynamisme des classes moyennes qui devraient représenter 3 milliards de personnes en Asie dans les prochaines années. Ces populations sont demandeuses de biens haut de gamme et de services de qualité, elles sont mobiles et connectées et de plus en plus citadines : 21 des 30 plus grandes villes de la planète se trouvent en Asie.

On estime qu'au moins la moitié du fret mondial transite par cette zone. En 2018, 30 % du commerce maritime mondial transitait par le seul détroit de Malacca en direction du canal de Suez, faisant de cette zone un noeud déterminant des approvisionnements européens. Le détroit de Malacca est également une artère vitale pour l'économie japonaise ; y transite la majorité de son approvisionnement en matières premières, dont 80 % du pétrole importé en provenance du golfe arabo persique, mais aussi ses exportations de produits manufacturés vers l'Europe. La Chine dépend également de ce détroit pour exporter ses productions, en particulier vers l'Europe, son premier partenaire commercial depuis 2005, mais aussi pour importer des hydrocarbures. Plus globalement, la libre circulation dans les détroits d'Ormuz, de Bab el-Mandeb, de Malacca, de la Sonde ou de Lombok au large de l'Indonésie, de Palk entre l'Inde et le Sri Lanka, ou encore dans le canal du Mozambique devient un enjeu géoéconomique et géostratégique pour les pays qui bénéficient ou souhaitent bénéficier du rapide accroissement des échanges maritimes dans l'Indopacifique.

L'IP est aussi une zone cruciale pour la croissance mondiale car elle concentre les réserves de matières premières critiques : 85 % des réserves mondiales de lithium restant à exploiter (les deux tiers des réserves se situent en Indonésie), 75 % des gisements de nickel (dont un tiers des réserves se situe en Indonésie également), et 75 % des réserves de cuivre. La dépendance de l'Union européenne en la matière est alarmante. Elle est passée d'une dépendance de 92 % sur 14 métaux critiques en 2011 à une dépendance de 95 % sur 30 métaux critiques en 20206(*). La place de la Chine sur le marché des matières premières critiques est prépondérante. Certaines pièces du F35 dépendaient de chaines de production chinoises avant que les pouvoirs publics américains ne sécurisent une autre voie de production7(*). On estime que près de 90 % des terres rares et 60 % du lithium sont traités en Chine.

La pandémie de coronavirus, les confinements qui en ont découlé et les ruptures de chaines de valeurs (approvisionnements, gestions des productions et des exportations) ont certes entraîné des réflexions sur la relocalisation de certaines productions et sur la souveraineté économique. Toutefois, les politiques en découlant sont lentes à mettre en oeuvre et coûteuses. Elles se heurtent à la difficulté de relocaliser les productions, aux volontés de prix bas des consommateurs, et de maximisation des chaînes de valeur des entreprises et aux avantages comparatifs des pays de la zone IP (notamment la concentration de la production des semi-conducteurs à Taïwan, des molécules de base de l'industrie pharmaceutique en Chine et en Inde, etc.).

Les perspectives de développement économique n'ont pas été profondément modifiées par la pandémie et ses conséquences. Le G3 à l'horizon de 20 ans devrait regrouper les États-Unis, la Chine et l'Inde. D'ici là, le PIB et les dépenses de défense de la Chine seront probablement équivalents à ceux des États-Unis. La population de l'Inde devrait bientôt être supérieure à celle de la Chine et le PIB indien devrait se hisser au troisième rang mondial. L'ordre précis du trio de tête reste discuté, pas sa composition. À ces pays de tête s'ajouteront, dans un ordre qui peut varier, le Japon, l'Indonésie (dont le PIB pourrait dépasser celui du Japon d'ici 2040) et l'Union européenne.

Sur les quinze dernières années, c'est également dans l'IP, qui compte plusieurs pays nucléarisés (dotés ou non), qu'ont été enregistrés les plus gros efforts d'investissements de défense.

Ce concept d'Indopacifique permet donc de prendre en compte :

- l'émergence et le renforcement de nouveaux pôles de l'économie mondiale, tels que la Chine, l'Inde et l'Asean, et à l'essor des échanges mondiaux dans cette zone,

- la concentration de matières premières critiques pour la croissance mondiale (et notamment pour les semi-conducteurs, les puces électroniques, les batteries électriques, l'industrie de défense, l'informatique et la téléphonie) et les luttes d'influence entre pays compétiteurs dans cette zone qui en découlent. Le lithium et les terres rares pourraient devenir plus importants encore que le pétrole et le gaz pour l'économie mondiale. La Nouvelle-Calédonie détient 20 % des réserves mondiales de nickel. La question de la sécurisation des gisements, de la transformation et du transport de ces matières premières pourrait ne pas être sans incidence sur le format des marines indopacifiques,

- l'importance stratégique des détroits qui les relient et la maritimisation mondiale. En découle la nécessité de gérer des défis communs tels que la protection de l'environnement, la piraterie ou encore le trafic de drogue (cette zone, comprenant des espaces naturels fragiles, subit la pollution des cours d'eau et de l'air, l'érosion de ses côtes, la modification des conditions météorologiques résultat du réchauffement climatique entraînant sécheresse, incendies et nuages de criquets pèlerins, tsunamis, cyclones et tempêtes, diminution de la biodiversité, etc.),

- le durcissement de l'environnement militaire. La rivalité stratégique opposant la Chine et les États-Unis structure les dynamiques sécuritaires dans cette région, où elle oblige les États à composer avec de nouvelles menaces et influences. De nombreux régimes ont notamment investi dans le renforcement de leurs capacités de défense, induisant un durcissement de l'environnement militaire qui remet en cause les équilibres capacitaires régionaux et redéfinit les marges de manoeuvre dont disposent les États8(*). En décembre 2022, le Japon a modifié radicalement sa doctrine de défense9(*) et prévoit de doubler son budget annuel de défense en le faisant passer d'environ 1 % de son PIB à 2 % d'ici 2027. Le durcissement de l'environnement militaire porte en lui la potentialité d'escalades rapides et difficilement contrôlables. On constate par ailleurs l'affermissement d'une multipolarité nucléaire militaire dont le centre de gravité est désormais situé en Indopacifique,

- le délitement du multilatéralisme et de l'ordre international fondé sur le droit. La possibilité de révoquer tout engagement jugé trop contraignant et la volonté de diminuer les ressources allouées aux instances multilatérales remettent en cause la crédibilité des efforts multilatéraux. Dans l'ensemble de la zone, le déficit de régulation et l'absence de consensus multilatéral sur les conditions d'accès et d'utilisation des espaces communs facilitent l'exercice des rapports de force entre États, ou à l'encontre d'acteurs non-étatiques. Enfin, les architectures régionales de sécurité dans l'océan Indien, en Asie et dans le Pacifique demeurent fragiles, en dépit d'importants efforts consentis. Les grands compétiteurs stratégiques sont incités à recourir à l'action unilatérale.

2. Du centre à la périphérie : la nécessaire révolution copernicienne de l'Europe et de la France

Le concept d'Indopacifique pose toutefois plusieurs questions : celle de sa pertinence géographique, celle de sa cohérence comme cadre d'analyse stratégique de la zone et le sous-texte qu'elle véhicule. Est également posée la question de la place des pays qui appartiennent ou non à cet espace indopacifique.

La cohérence géographique de la zone n'est pas évidente et pâtit de la prépondérance de l'analyse par blocs continentaux dans la conception de l'organisation humaine. L'IP, étendue entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, est immense et son caractère essentiellement insulaire et maritime, comparé aux masses terrestres, explique sans doute que sa conception en tant que cadre d'analyse géostratégique ait été retardée. La définition la plus large voire maximaliste de l'Indopacifique correspond à tous les espaces ayant un littoral sur au moins l'un des deux océans, ce qui rassemble près des trois quarts de la population mondiale soit 5,83 milliards d'habitants, un peu plus de la moitié des terres émergées, soit 96 millions de km² (sur 148 millions de km²), et presque la moitié de la surface de la planète, les océans Indien et Pacifique représentant 239,28 millions de km² (sur 510 millions de km²). La carte suivante donne un aperçu de l'immensité de l'IP.

Sur certaines cartes utilisées par la France pour décrire sa stratégie indopacifique, la France n'apparaît pas. C'est le cas notamment du document extrait de la stratégie présentée en marge de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices le 28 août 2018 à Paris utilisé comme support de communication en anglais et en français par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) pour présenter le « Livre blanc de la stratégie française en Asie Océanie à l'horizon 2030 : vers un espace asiatique indopacifique inclusif ».

Source : Vaimiti Goin, «  L'espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance », Géoconfluences, octobre 2021. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/espace-indopacifique-geopolitique

Les cartes illustrant les problématiques de l'Indopacifique sont différentes de la projection Mercator10(*) habituellement utilisée, plaçant l'Europe quasiment au centre d'une projection cartographique de la Terre, dite «cylindrique»11(*). Cette projection répondait aux demandes précises des navigateurs qui voulaient définir leur cap de navigation : elle conserve les angles mais fausse les aires et les distances. Elle s'est imposée malgré ses distorsions12(*) tant elle correspondait à la vision euro-centrée du monde prévalant alors.

La proportion entre les terres émergées et les océans est plus juste dans la carte ci-dessous, mise au point par l'architecte-artiste Hajime Narukawa, qui permet de mieux apprécier l'étendue de l'IP, et de constater à quel point le territoire métropolitain de la France, et l'Europe sont éloignés de l'Indopacifique.

Le monde selon l'Authagraph de Hajime Narukawa13(*)

Source : Carte présentée en illustration de l'article « The world according to AuthaGraph » de Tomoko Otake paru le 17 juillet 2011 dans le Japantimes.

La carte suivante, dite de la « tyrannie des distances », présentée pendant les auditions, caractérise l'éloignement de l'Europe de la zone indopacifique. Elle présente le nombre de jours nécessaires pour rallier différents points de la planète en naviguant à la vitesse de 12 noeuds (soit 22,224 km/h). Ce sont ainsi 43 jours qui sont nécessaires pour relier les bords extrêmes de l'IP, 40 jours pour rallier la Chine méridionale depuis Norfolk et 26 jours (à peine moins d'un mois) depuis Toulon.

Carte de la « tyrannie des distances »

L'espace atlantique apparaît ainsi relégué en périphérie du planisphère. L'Europe -et avec elle le territoire métropolitain de la France- n'est plus le centre du monde sur ces cartes, elle se situe dans la très lointaine périphérie de l'Indopacifique.

Sur la carte suivante, utilisée pour illustrer la stratégie de défense française en IP, les terres émergées apparaissent en bleu, les territoires français en rouge et les mers et océans en blanc. Elle montre à la fois l'étendue de l'IP, l'éloignement de la métropole, la dispersion des territoires français d'Indopacifique et leur relatif isolement dans l'immensité indopacifique.

La France et l'Indopacifique

Visuel utilisé par la DGRIS pour illustrer la stratégie de défense française en IP.

La distance séparant Paris des territoires français de l'Indopacifique est conséquente :

- 16 732 km entre Nouméa et Paris, soit 21h30 de vol,

- 15 702 km entre Papeete et Paris, soit 18 heures de vol. Pour mémoire, Papeete est à 7 773 km de Lima et 6 868 de Mexico,

- 12 639 km entre Port-aux-Français et Paris, soit 16h15 de vol,

- 9 390 km entre Saint-Denis et Paris, soit 11h30 de vol.

Il en est de même de la distance entre les territoires français au sein de l'IP (pour mémoire, aucune liaison n'est assurée par exemple entre Mayotte et les îles Kerguelen, distantes de 4 660 km).

- 14 944 km entre la Polynésie française et la Réunion, soit 18h15 de vol,

- 11 090 km entre la Réunion et la Nouvelle-Calédonie, soit 14 h de vol,

- 4 716 km entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, soit 6h15 de vol.

3. Un ou des Indopacifiques ?

La zone indopacifique dans sa conception la plus large est-elle encore un cadre d'analyse opérant compte-tenu de son ampleur ?

Ce cadre coïncide avec la stratégie mondiale d'acteurs de plus en plus nombreux et la volonté ou la nécessité de recentrer les cartes du monde sur l'Asie. Dans ce contexte, chaque pays aura la tentation de définir un espace indopacifique qui serve au mieux ses intérêts, ses représentations et ses ambitions.

Le tableau suivant présente les conceptions de l'IP des principaux pays utilisant cette notion.

Pays

Document, discours, alliance ou traité

Date

Résumé synthétique

Délimitation de l'indopacifique

Japon

Discours de Shinzô Abe devant le Parlement indien dans le cadre du dialogue stratégique informel entre le Japon, les États-Unis, l'Inde et l'Australie (Quadrilateral Security Dialogue QUAD)

2007

Première mention d'un «  couplage dynamique  » des océans Indien et Pacifique, le Japon et l'Inde apparaissant comme les principaux supports d'une «  Asie élargie  ».

Le Premier Ministre japonais décrit cette «  Asie élargie  » comme englobant tout le Pacifique, incluant les États-Unis et l'Australie. La Chine n'est pas mentionnée.

En 2017, le lancement du « corridor de la croissance Asie Afrique » avec l'Inde apparaît comme la proposition d'une alternative à la politique chinoise dite des nouvelles routes de la soie.

En 2020, le livre bleu diplomatique du Japon précise que « L'espace Indopacifique est une vaste région qui s'étend de l'Asie-Pacifique jusqu'au Moyen-Orient et l'Afrique. (...) L'essence de l'espace Indopacifique libre et ouvert «  est d'établir dans l'espace Indopacifique un ordre international fondé sur des règles, et de mettre en place des principes indispensables pour parvenir à la stabilité et à la prospérité régionale, tels que le libre-échange, la liberté de navigation, et l'état de droit. »

«  Free and open Indo-Pacific strategy » dans « Japan Diplomatic Bluebook » 

Octobre 2020

Favoriser un espace indopacifique libre, stable et prospère

Relance du format QUAD

Septembre 2021

Engagements pour consolider les chaînes d'approvisionnement et les principes démocratiques dans la zone 

Demande d'un rapprochement avec l'OTAN

Juin 2022

Analysés par la Chine comme un rapprochement des États-Unis et une manifestation de défiance à son égard

 

États-Unis

Stratégie de sécurité nationale

2010

La stratégie du pivot américain vers l'Asie, visant un rééquilibrage stratégique vers l'IP et un détournement de l'attention des États-Unis du Moyen-Orient.

Détérioration des relations avec la Chine qui se sent visée par cette stratégie.

Le Commandement des États-Unis pour la zone indopacifique est officieusement décrit par les haut-gradés militaires comme s'étendant « de Hollywood à Bollywood ».

Il s'agit donc d'une région qui s'étend de l'océan Pacifique au sous-continent indien

«  Indo-Pacific Strategy Report » 

Juin 2019

Favoriser un espace indopacifique, libre, stable et prospère.
Contrecarrer l'influence de la Chine gouvernée par le parti communiste chinois qui « réorganise la région à son avantage »
Accroître sa propre influence dans l'IP en constituant une coalition acquise à une politique de « China containment », coalition dont le noyau dur pourrait être le QUAD (Etats-Unis, Australie, Japon, Inde) ou Aukus.

Aukus (texte non public)

Alliance Australie-Royaume-Uni et États-Unis

Relance du format QUAD

Septembre 2021

Accroître l'influence américaine dans l'IP en constituant une coalition acquise à une politique d'endiguement de l'influence chinoise ou "China containment"

Inde

Ensuring Secure Seas. Indian Maritime Security Strategy

2015

 

L'océan Indien est envisagé dans le cadre géopolitique plus large de la région IP, ce qui implique une meilleure prise en compte des enjeux sécuritaires en mer de Chine du Sud. La nouvelle stratégie maritime indienne tire les conséquences des tensions avec le Pakistan et des attentats de Mumbai du 26 novembre 2008. La nécessité de développer les capacités de surveillance et de renseignement maritimes indiennes (maritime domain awareness) est affirmée.

L'Inde ne s'interdit pas de porter avec le Japon des initiatives vers l'Afrique.

«  India's vision for the Indo-Pacific » (discours du Premier Ministre Narendra Modi au Dialogue de Shangri-La à Singapour)

Juin 2018

Favoriser un espace stable, prospère et inclusif.
Accroître l'influence indienne dans l'IP.

 

Participation au format QUAD

Septembre 2021

Engagements pour consolider les chaînes d'approvisionnement et les principes démocratiques.

Australie

«  A Stable and prosperous Indo-Pacific » (p. 37-47) dans « Foreign Policy White Paper » 

Novembre 2017

Favoriser un espace stable et prospère respectant les règles du droit international et les valeurs de l'État de droit dans lequel les relations avec la Chine doivent se développer

La liberté de navigation en Chine de mer du Sud fait partie des positions soutenues par l'Australie. La vision indopacifique de l'Australie comprend l'Océanie, va jusqu'à l'Inde et remonte assez haut vers le Nord de l'Indopacifique.
Les États-Unis sont clairement identifiés comme partie de l'IP. L'Afrique et l'Amérique latine ne sont mentionnées que comme acteurs du multilatéralisme que soutient l'Australie, dans une partie distincte de celles consacrées à l'IP.

Relance du format QUAD et Aukus

Septembre 2021

Engagements pour consolider les chaînes d'approvisionnement et les principes démocratiques dans la zone.14(*) 

Abandon de la commande de 8 Barracuda à la France au profit d'une collaboration avec les États-Unis et le Royaume-Uni.

 

Nouvelle-Zélande

«  Pacific Reset Policy » 

Mars 2018

Favoriser un espace IP stable, prospère et inclusif.
Maintenir son dialogue et son lien avec les pays du Pacifique.

La stratégie de la Nouvelle-Zélande est essentiellement centrée sur la zone de l'Océanie.

France

Stratégie de la France dans l'Indo-pacifique 

(mise à jour en février 2022)

Juin 2019

(discours d'Emmanuel Macron en mai 2018 à Sydney)

Favoriser un espace IP libre et ouvert.
Favoriser l'insertion de ses collectivités d'outre-mer dans l'IP.

Participer à une stratégie globale de l'Union européenne sur l'Indopacifique.

La France est « un pays indopacifique maritime et insulaire ».

L'indopacifique «  s'étend des rivages de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique australe jusqu'aux côtes américaines ».

Les territoires ultramarins français doivent bénéficier de la stratégie indopacifique française.

Asean

Perspectives pour l'Indopacifique  

(version 2021)

Août 2019

Favoriser un espace indopacifique libre et ouvert.

Affirmer la centralité de l'Asean dans la zone indopacifique.

L'Indopacifique est ici centré sur l'Asean.

Allemagne

«  Leitlinien zum Indo-Pazifik »

Août 2020

C'est dans l'IP que se décide la structure de l'ordre international du futur.

Favoriser un espace indopacifique libre et ouvert intégrant la Chine.

Participer à une stratégie globale de l'Union européenne sur l'Indopacifique.

Le gouvernement fédéral entend par IP l'ensemble de l'espace marqué par l'océan Indien et l'océan Pacifique. La carte illustrant les lignes directrices pour l'IP définies par l'Allemagne ne va pas jusqu'aux côtes africaines.

Pays-Bas

«  Indo-Pacific : Guidelines for strengthening Dutch and EU cooperation with partners in Asia »

Novembre 2020

Favoriser un espace indopacifique libre et ouvert intégrant la Chine.
Participer à une stratégie globale de l'Union européenne sur l'Indopacifique.

La zone indopacifique concernée semble englober les pays riverains des océans Indien et Pacifique, y compris les mers de chine méridionale et orientale.

Royaume-Uni

«  The Indo-Pacific Tilt : A framework » (p. 68-69) dans « Integrated Review of Security, Defense, Development and Foreign Policy »

Mars 2021

Favoriser un espace indopacifique stable et prospère.

En novembre 2020, un rapport intermédiaire de la Commission indo-pacifique de Policy Exchange « Vers une nouvelle stratégie britannique dans la région indopacifique » esquissait déjà les contours de la stratégie indopacifique anglaise, incluant les pays riverains des deux océans, sans mentionner ni la Chine, ni l'Afrique.

Alliance Aukus

Septembre 2021

Analysée comme visant à contrecarrer l'influence de la Chine dans l'IP.

 

Union européenne

«  La stratégie de l'UE pour la coopération dans la région indo-pacifique », Communication conjointe au parlement européen et au Conseil. 

Septembre 2021

Favoriser un espace indopacifique libre et ouvert.

Sécuriser les approvisionnements de l'UE.

L'IP est défini comme « une vaste zone qui s'étend de la côte est de l'Afrique aux États insulaires du Pacifique ».

Corée du Sud

Discours du président Yoon Suk-yeol

Novembre 2022

Favoriser un espace indopacifique stable et prospère.

Annoncée dans le cadre de sommets avec l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean), la stratégie IP sud-coréenne semble centrée sur les pays de l'Asean et le nord de l'océan Pacifique.

Canada

Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique : Nouvelles initiatives et ressources

Décembre 2022

La stratégie est le cadre exhaustif d'action du Canada dans l'IP pour la prochaine décennie. Les 5 premières années de la stratégie comprennent de nouvelles initiatives et de nouveaux investissements atteignant près de 2,3 milliards de dollars sur 5 ans, organisés autour de 5 objectifs stratégiques15(*). Rendez-vous est donné en 2026 pour mettre à jour cette stratégie avec des initiatives et ressources pour les années 2027-2032.

Le Canada est un pays du Pacifique.

Sa stratégie semble concentrée sur les pays de l'Asean, l'Inde et le Pakistan sont également mentionnés. En revanche, ni l'Océanie, ni l'Afrique ne sont visés dans la stratégie.

Chine

Aucune

-

Refuser de reconnaître l'existence de l'Indopacifique.

Désigner des stratégies indopacifiques comme des politiques de « containment » contre la Chine.

 

La question de la stratégie et de la délimitation de l'IP renvoie à l'ambiguïté sémantique de la notion, elle correspond de fait à trois types de discours analysés dans la revue Diplomatie en partenariat avec l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM)16(*) :

- un discours de « liberté et projection », fondé sur la promotion de valeurs partagées et sous-tendu par l'affirmation d'une volonté d'influence stratégique majeure dans la zone. Il s'agit du concept de Free and Open Indo-Pacific (FOIP) promu par le Japon et les États-Unis. Si cette notion se traduit par un IP libre et ouvert, elle recouvre en fait un objectif d'endiguement de l'influence chinoise assumé par les États-Unis. Le Japon se défend de cette interprétation. Il souligne que la Chine doit pouvoir trouver sa place dans l'IP et approfondir dans le même temps son partenariat avec les États-Unis. Ce positionnement de défiance affiché à l'égard de la Chine a longtemps limité l'adhésion des pays de la zone ne souhaitant pas se trouver happés dans l'une ou l'autre des zones d'influence ou, pire encore, se trouver pris dans l'affrontement sino-américain de plus en plus frontal (comme en témoignent la « guerre commerciale et douanière » que se livrent les deux pays et les multiples tensions qui se manifestent autour de Taïwan17(*)). Le pivot asiatique américain s'appuie sur une présence militaire forte de nombreux points d'appui (Guam, Diego Garcia, Darwin, Okinawa, les bases de Pyongtaek en Corée du Sud, Subi Baya et Clark aux Philippines) et sur sa puissance navale,

- un discours d'« inclusion régionale » qui regroupe notamment l'Inde et l'Asean. Créée durant la guerre froide, l'Asean cultive une tradition de neutralité de ses membres et de non-alignement. Ces pays ont de plus une vision de l'IP en partie contrainte par leur capacité maritime nettement inférieure à celle des États-Unis et de la Chine. Ils visent à « connecter les connectivités » en privilégiant la collaboration avec les nombreuses associations et fora de coopération de la zone,

- enfin, un discours de « diversification des partenariats et de dialogue régional » qui concernait en 2019 notamment l'Australie et la France. L'Australie souhaitait alors renforcer les coopérations régionales, maintenir des relations bilatérales fortes avec les États-Unis et diversifier ses partenariats, avec la France notamment avec laquelle avait été conclu le « contrat du siècle » de vente des sous-marins en 2016.

L'alliance Aukus, annoncée en septembre 2021, a redistribué les cartes, l'Australie affichant le choix d'un alignement plus net sur le positionnement américain et une volonté d'endiguement de la Chine. Les relations entre l'Australie et la Chine se sont durcies progressivement depuis ces six dernières années :

- en 2016 plusieurs investissements chinois en Australie ont été empêchés : tels le rachat par un consortium chinois de la grande compagnie d'exploitations bovines S. Kidman and Co dans la région de l'Outback, et le rachat par deux consortiums, l'un mené par un groupe public chinois et l'autre par un groupe hongkongais, de la compagnie de distribution d'électricité détenue par l'État de Nouvelle-Galles du Sud,

- en 2017, l'Australie a interdit les dons étrangers à des partis politiques australiens. Sur la période 2000-2015, 80 % de ces dons venaient de la Chine18(*),

- en 2018, l'Australie s'est dotée, avant d'importantes élections partielles, d'une législation visant à réduire les ingérences étrangères en renforçant notamment les infractions liées à l'espionnage et en introduisant de nouveaux délits pour réprimer les agissements ou menaces délibérées de la part d'acteurs étrangers dont l'intention était d'influencer les affaires politiques intérieures ou de leur nuire. La même année, Huawei s'est vu interdire l'accès à l'édification du réseau 5G australien,

- en 2020, le ministre des Finances a bloqué le plan d'acquisition de l'entreprise australienne Lion Dairy par le géant chinois des produits laitiers China Mengniu Dairy. L'Australie a également pris position en faveur de Hong Kong, critiquant le non-respect des engagements chinois et suspendant le traité d'extradition avec Hong Kong. Enfin, elle fut le premier pays à demander une enquête de l'OMS sur les origines de la pandémie de covid-19, ce qui a provoqué de violentes déclarations chinoises, la propagation de fausses informations particulièrement choquantes19(*) et la publication par l'ambassade de Chine à Canberra d'une série de 14 demandes, remettant notamment en cause la liberté de la presse et la liberté d'expression.

Le renoncement de l'Australie à la décision d'acquérir des sous-marins français semble ainsi être la conséquence de la montée de la défiance australienne à l'égard de la Chine et de sa volonté de se rapprocher de la position américaine20(*).

En 2019, la France était dans la même conception de recherche de partenariats et de dialogue régional que l'Australie. Elle a formulé sa stratégie indopacifique à partir de 2018.

B. LA STRATÉGIE INDOPACIFIQUE FRANÇAISE : UNE AMBITION QUI S'AFFIRME

1. La France, pays de l'Indopacifique

La communauté française en IP se compose de 1,6 million de citoyens répartis sur sept régions, départements et collectivités d'outre-mer (DROM-COM) que sont Mayotte, la Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)21(*), la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française et Clipperton. S'y ajoutent 200 000 ressortissants français expatriés dans les pays littoraux de l'océan Indien, en Asie et en Océanie, et 8 000 militaires en mission.

Suscitant un intérêt géostratégique évident, ces territoires permettent à la France de disposer de 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), soit la deuxième plus importante au monde après les États-Unis et de se projeter militairement, diplomatiquement et dans une moindre mesure, économiquement dans la région.

On recense ainsi 108 milliards d'euros d'investissements directs français en IP. Le stock d'actifs détenus par la France en Indopacifique a été multiplié par sept en une quinzaine d'années. Selon Business France, 14 % des décisions d'investissement directs étrangers en France sont le fait d'investisseurs originaires d'IP, plaçant la zone au 3e rang derrière l'UE (60 % des décisions d'investissement) et l'Amérique du Nord (22 %).

Le réseau des opérateurs de l'État déployé en IP comprend :

- 24 bureaux de Business France, chargés d'accompagner les entreprises françaises à l'international et les entreprises étrangères pour leurs investissements en France,

- 10 bureaux Atout France, qui assurent la promotion de l'offre touristique française à l'international,

- l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) qui gère 96 établissements dans la zone,

- l'Institut français, qui assure le rayonnement de la culture française à l'étranger, est implanté dans 35 pays,

- l'Agence française de développement (AFD) qui couvre pour sa part 24 pays de l'IP.

Les territoires français du Pacifique disposent également de leurs services de coopération régionale et siègent de plein droit au sein des instances régionales (Communauté du Pacifique -CPS-, Programme régional Océanien de l'Environnement -PROE- et le Forum des îles du Pacifique -FIP-).

Le dispositif administratif et diplomatique de l'État consiste en 25 ambassades, dont certaines ont un champ géographique élargi, assurant une représentation auprès de 39 États au total. S'y ajoutent 14 consulats généraux et 2 bureaux de représentation (situés à Taïwan et en Corée du Nord). Dans les territoires français, l'État est représenté par 2 haut-commissariats (Polynésie française et Nouvelle- Calédonie), 2 préfectures (La Réunion et Mayotte), l'administration supérieure des îles de Wallis et Futuna et l'administration des TAAF.

Deux ambassadeurs à la coopération régionale dans les bassins océaniques indien et pacifique s'attachent à renforcer la coopération structurelle entre les territoires d'outre-mer et les pays voisins22(*). Depuis 2020, la France s'est dotée d'un ambassadeur pour l'Indopacifique23(*) afin de coordonner les efforts diplomatiques français dans la région indopacifique.

La France développe également sa présence diplomatique dans les enceintes régionales : en rejoignant notamment l'Indian Ocean Rim Association en décembre 2020. Elle a présidé le 7ème symposium naval de l'océan Indien à l'été 2021. Elle a rejoint l'Asean Defence Ministers' Meeting Plus (ADMM+) et souhaite adhérer à l'accord ReCAAP (Accord de coopération régionale pour la lutte contre la piraterie et les vols à main armée contre les navires en Asie).

Enfin, la zone IP est divisée en cinq commandements militaires, présentés sur la carte suivante, répartis entre :

- trois forces de souveraineté : les forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), les forces armées de la Nouvelle-Calédonie (FANC) et les forces armées en Polynésie française (FAPF),

- et deux forces de présence : les forces françaises basées des Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).

Ces commandements régionaux interarmées représentent près de 7 000 personnels déployés de façon permanente, auxquels s'ajoutent ponctuellement 700 marins en mission. Ces forces disposent d'une quarantaine d'aéronefs et de cinq bâtiments de la marine nationale.

Source : « La stratégie de la France dans l'Indopacifique » Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Ce dispositif, que complète un réseau de 18 attachés de défense et 7 attachés de sécurité intérieure, doit assurer un maillage géographique suffisant pour veiller à la protection et à la sécurité des ressortissants et des territoires français, contrôler la ZEE et participer aux activités de coopération de défense dans tous les domaines.

Depuis plusieurs années, le dispositif est ponctuellement renforcé par le déploiement de bâtiments et d'aéronefs depuis la métropole. Pour la marine des déploiements ponctuels et l'organisation ou la participation à des exercices concourent de façon récurrente à démontrer la présence française en Indopacifique. Ainsi, la mission « Jeanne d'Arc », mobilisant l'un des porte-hélicoptères amphibie et une frégate, qui marque la fin du cursus des élèves officiers de marine à l'École navale, s'est concentrée ces dernières années sur la région IP. En 2019, le groupe aéronaval s'est déployé en IP. Puis, en 2021, la mission Marianne a permis le déploiement d'un sous-marin nucléaire d'attaque L'Émeraude et du bâtiment de soutien La Seine soulignant la capacité de la France à déployer des moyens stratégiques loin du territoire métropolitain, sur de longues durées, et en dépit des difficultés imposées par la crise sanitaire.

Dans le domaine du sauvetage et de l'assistance, dit HADR (Humanitarian assistance and disaster relief), les exercices Croix du Sud (organisé les années impaires par les forces armées de Nouvelle-Calédonie) et Marara (organisé les années paires par les forces armées de Polynésie française) rassemblent autour de la France une quinzaine de pays partenaires du Pacifique. L'exercice La Pérouse permet également d'associer les nations de l'IP autour de la France pour développer leur interopérabilité afin de gagner en efficacité en cas de crise ou de catastrophe naturelle. En 2019, l'Australie et les États-Unis ont pris part à l'exercice, puis en 2021, l'Inde s'y était associée. Enfin, du 30 au 31 août 2022, l'Australie et le Japon ont participé à l'exercice.

La Marine nationale prend également une part active aux exercices de grande ampleur de la région tels que :

- Rimpac (Rim of the Pacific Exercise pour Exercice du Pacific Rim est un exercice militaire réalisé tous les deux ans par différentes marines nationales sous la direction de l'United States Pacific Command (Commandement du Pacifique, Pacom) au large de Hawaï, aux États-Unis24(*),

- Komodo (organisé par l'Indonésie25(*)),

- et Varuna (organisé par l'Inde). L'exercice Varuna, exercice annuel impliquant les marines de guerre française et indienne est organisé un an sur deux dans l'océan Indien26(*). Sa 20ème édition s'est déroulée au large de la mer d'Oman en 2022 et a associé, d'une part pour la marine française, la frégate de classe La Fayette, le FS Courbet et le navire de soutien sous-marin FS Loire et, d'autre part, pour la marine indienne, le destroyer furtif construit localement, INS Chennai, avec un complément intégré d'hélicoptères Sea King Mk 42B. L'Inde a également envoyé des avions de patrouille maritime P-8I et Dornier 228 et des avions de combat MiG-29K/KUB.

Enfin, en mars 2022, la France, présidente de l'IONS (Indian Ocean Navy Symposium), a organisé conjointement avec la marine indienne l'exercice IMEX qui a rassemblé plusieurs pays riverains de l'océan Indien. L'édition 2023 de cet exercice sera organisée par la France conjointement avec le sultanat d'Oman.

L'armée de l'Air et de l'Espace renforce également sa présence dans la région, en complément de sa contribution aux missions des forces de souveraineté, par sa participation à l'exercice Pitch Black 2018 (Australie) et des missions Pégase 2018 (Asie du Sud-Est) et Skyros 2021 (océan Indien).

Du 17 août au 07 septembre 2022, trois Rafale (deux Rafale B et un Rafale C), un avion ravitailleur MRTT Phénix et un Casa CN-235 des Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) ont participé à l'édition 2022 de l'exercice biennal Pitch Black en Australie qui réunissait une centaine d'aéronefs et 2  500 participants de 17 pays27(*) .

La mission Pégase 2022 a ensuite permis le déploiement de Rafale, MRTT et A 400 M en Indonésie28(*), comme le montre la photographie suivante. Ces déploiements sont autant d'opportunités d'interactions avec les principaux partenaires de la France, en particulier l'Inde, l'Australie, le Japon et les États-Unis, avec lesquels elle entretient des coopérations de défense de haut niveau dans tous les domaines.

Du 20 juin au 9 juillet 2021, l'AAE a conduit, depuis la métropole vers le Pacifique sud, la mission HEIFARA-WAKEA en projetant un dispositif aérien composé de 3 Rafale, 2 A330 Phénix et 2 A400M Atlas ainsi qu'environ 170 aviateurs. Après une première phase de projection de puissance, HEIFARA, conduite en 48 heures en Polynésie française, le dispositif a amorcé une seconde phase de coopération bilatérale avec l'armée américaine WAKEA. Les aéronefs français se sont rendus à Hawaï pour participer à des missions de préparation opérationnelle.

Enfin, en matière de diplomatie de défense, la France dispose « d'un réseau d'officiers de liaison à l'Information Fusion Center (IFC) et au Centre régional de coordination de l'aide humanitaire et des secours en cas de catastrophe de Changi à Singapour, au commandement des Nations unies en Corée du Sud, et occasionnellement à la 7e flotte américaine à Yokosuka »29(*).

2. Une stratégie indopacifique ambitieuse qui se dessine peu à peu

Ces moyens militaires, économiques, diplomatiques et administratifs sont mis au service d'une stratégie indopacifique définie entre 2018 et 2021. Ses principes et objectifs ont été formalisés dans des discours présidentiels prononcés en Inde (mars 2018), en Australie et en Nouvelle-Calédonie (mai 2018), lors de la Conférence des Ambassadeurs (août 2019), et enfin à l'occasion du sommet Choose La Réunion (octobre 2019). L'encadré suivant en présente une synthèse dont certains éléments ne sont plus à jour, le contexte ayant évolué, qu'il s'agisse de la relation avec l'Australie ou de la relation avec la Chine.

La déclinaison de la stratégie indopacifique française entre 2018 et 2019

(i) La zone indopacifique est au coeur de cette stratégie de politique étrangère, définie en 2018, qui se décline autour des axes suivants :

- Poursuivre le renforcement et le rééquilibrage par le haut du partenariat stratégique global avec la Chine, qui suppose, y compris via l'Union européenne, l'introduction de davantage de réciprocité.

- Développer et approfondir les partenariats stratégiques ou globaux dans la région, notamment avec l'Australie, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud, l'Indonésie et Singapour sur la base d'une communauté de valeurs et d'intérêts, mettant en oeuvre des formats de dialogue et de coopération ad hoc, en vue de développer les convergences au niveau stratégique et de contribuer à la paix et à la stabilité de l'espace indopacifique, notamment dans sa dimension maritime. Les relations avec le Vietnam, la Malaisie, la Thaïlande et la Nouvelle Zélande ont également vocation à être développées dans ce cadre.

- OEuvrer au renforcement du positionnement de l'Union européenne dans la région, en soutenant la conclusion d'un partenariat stratégique avec l'Asean, son admission au Sommet de l'Asie de l'Est (EAS), la reprise des négociations en vue d'accords de libre-échange, notamment avec certains pays de l'Asean, dans la perspective d'un accord bi-régional ambitieux, une redynamisation du dialogue Europe-Asie dit « ASEM » (Asia Europe Meeting), qui doit devenir plus clairement un espace d'expression de l'ambition européenne en Asie, la mise en oeuvre de la stratégie européenne de connectivité entre l'UE et l'Asie et enfin la détermination d'une stratégie européenne dans le Pacifique, qui s'annonce comme un enjeu de la présidence française prochaine de l'Union européenne.

- S'impliquer davantage dans les organisations régionales ce qui suppose l'intensification des relations avec l'Asean-et l'ensemble de ses États-membres, y compris dans le cadre de l'ADMM+, une mobilisation accrue auprès d'enceintes pertinentes comme le Forum des garde-côtes asiatiques (Hacgam), l'Association du bassin de l'océan Indien (IORA), ou l'Accord de coopération régionale contre le piratage et le vol à main armée contre les navires en Asie ReCAAP, et plus largement une présence renforcée auprès de l'ensemble des enceintes régionales et sous régionales avec lesquelles la France sera en mesure de contribuer au développement du multilatéralisme renforcé et rénové qu'elle appelle de ses voeux.

- Contribuer à une réponse globale face au terrorisme islamiste dans la région, en s'attaquant simultanément premièrement aux symptômes, via le développement avec les pays les plus concernés, des coopérations dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, deuxièmement aux causes politiques en accordant une attention particulière à la situation en Afghanistan et aux difficultés rencontrées par les minorités musulmanes en Asie et troisièmement aux causes systémiques, en contribuant à la promotion de l'État de droit et de la bonne gouvernance.

- Accompagner les transitions en cours dans la région premièrement en oeuvrant à la promotion des biens communs régionaux et mondiaux, s'agissant notamment de l'environnement, de la santé, de l'éducation, et du numérique, deuxièmement en contribuant à leur développement durable et à une réponse efficace au changement climatique, et en promouvant dans ce contexte les solutions et l'expertise françaises, et troisièmement en soutenant le développement de la société civile dans le cadre de la promotion des droits de l'Homme et de l'État de droit, du multilinguisme et de la diversité culturelle, enfin en accordant une attention particulière à l'égalité entre les femmes et les hommes.

(ii) La Stratégie de défense en indopacifique a été présentée en mai 2019 à l'occasion du Shangri-La Dialogue à Singapour. Elle définit les huit axes d'effort suivants :

- Renforcer l'action des forces de souveraineté et des forces de présence.

- Contribuer activement à la lutte contre la prolifération. La France participe à l'Initiative de Sécurité contre la Prolifération et recherche des coopérations bilatérales et multilatérales destinées à lutter contre le contournement des sanctions onusiennes contre la Corée du Nord.

- Soutenir les institutions régionales tel que l'Indian Ocean Naval Symposium (IONS), dont la France a la présidence pour les années 2020 à 2022.

- Contribuer à la stabilité et au développement des régions où les forces françaises sont présentes et soutenir les partenaires régionaux afin d'assurer une sécurité collective respectueuse du droit international.

- Favoriser le renforcement de l'autonomie stratégique de nos partenaires d'Asie du Sud-Est. La France développe pour cela une approche régionale coordonnée et recherche des opportunités de coopérations multilatérales, dans le cadre de l'architecture régionale de sécurité existante.

- Mettre en oeuvre une politique de coopération maritime coordonnée dans l'ensemble de l'espace indopacifique. La France recherche en particulier le développement de partenariats bilatéraux et multilatéraux en matière de Maritime Domain Awareness, et fera la promotion du modèle français d'action de l'État en mer.

- OEuvrer, enfin, à la politique d'anticipation sécuritaire environnementale française dans trois domaines : l'analyse des risques environnementaux, le soutien à des programmes scientifiques ciblés, et l'organisation de conférences sur l'ensemble de la zone, afin de sensibiliser nos partenaires aux conséquences sécuritaires du changement climatique.

En juillet 2021, une véritable stratégie gouvernementale a été publiée, en amont de la visite du Président de la République au Japon et en Polynésie française. Cette stratégie entend confirmer la capacité française de conceptualisation de l'Indopacifique et recense la mise en oeuvre d'initiatives dans et pour la région qui sont présentées en annexe.

La stratégie française pour l'IP vise également à placer la France -et il est désormais précisé que cela doit être conjointement avec l'Union européenne qui a adopté sa propre stratégie indopacifique-, comme parties prenantes de l'Indopacifique, région où leurs intérêts sont importants, les risques de déstabilisation croissants et où se confirme la nécessité de porter clairement les valeurs de liberté et de défense des droits humains ainsi que la protection de l'environnement.

L'avant-propos du Président de la République pose l'ambition de la stratégie indopacifique française :

« Pays de l'Indopacifique à part entière, la France veut également être une puissance stabilisatrice, qui porte les valeurs de liberté et de respect du droit. Notre ambition est d'apporter des solutions aux défis sécuritaires, économiques, sanitaires, climatiques et environnementaux auxquels les pays de la zone sont confrontés. La stratégie Indopacifique française, qui traduit ces objectifs en actions concrètes, repose sur quatre grands piliers. »

Ces quatre piliers, (i) sécurité et défense, (ii) économie, connectivité, recherche et innovation, (iii) multilatéralisme et règle de droit, et enfin (iv) changement climatique, biodiversité et gestion durable des océans, sont présentés en annexe.

3. Un volet économique de la stratégie indopacifique française sans objectif chiffré

Malgré l'intérêt stratégique que représente la région pour la France, elle n'y occupe qu'une place relative par rapport aux autres pays présents dans la zone. Parmi les partenaires français, le Japon bénéficie de parts de marché significatives dans les pays de l`Indopacifique, ainsi que les États-Unis, comme le montre l'encadré suivant. Les pays européens restent toujours individuellement des fournisseurs marginaux des pays de l'IP. La Chine est largement mieux positionnée sur tous ces marchés.

Performances françaises comparées à celles des autres pays

En pourcentage de parts de marché en 2020

• Inde : 1,1% France, 2,7% Japon, 3,5% Allemagne, 7,2% USA, 13,8% Chine ;

• Indonésie : 1,0% France, 2,1% Allemagne, 6,1% USA, 7,5% Japon, 10,13% Chine ;

• Vietnam : 0,6% France, 1,3% Allemagne, 5,2% USA, 7,7% Japon, 15,6% Chine ;

• Malaisie : 0,8% France, 2,9% Allemagne, 7,7% Japon, 8,7% USA, 18,6% Chine.

Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs à la Direction générale du Trésor

Un volet économique30(*) est venu compléter la stratégie française pour l'IP actualisée en février 2022, dans une logique de diversification et d'intensification des partenariats avec les pays de la région. Le cadre affiché est celui de concurrence équitable et vise le développement d'actions dans plusieurs secteurs porteurs (infrastructures, connectivité, économie maritime, etc.). Les principaux objectifs de la France en termes de coopération économique avec les pays de la zone indopacifique sont ainsi définis :

- assurer la diversification des approvisionnements en biens stratégiques et favoriser la réduction des dépendances,

- promouvoir et faire prévaloir les normes internationales existantes pour établir un cadre de concurrence équitable,

- répondre aux besoins en matière de connectivité et d'infrastructures,

- soutenir nos intérêts économiques dans la zone, à travers la promotion de l'expertise et du savoir-faire des entreprises françaises et l'intégration de nos collectivités de l'océan Indien et du Pacifique dans leur environnement régional,

- et approfondir les partenariats en matière de recherche et d'innovation.

Selon les projections de la Banque asiatique de Développement (février 2017), les besoins de financement en infrastructures des pays en développement en Asie-Pacifique dépasseront 22 600 Mds$ d'ici à 2030, soit 1 500 Mds$ par an31(*) . Plusieurs outils de financement direct visent le soutien de projets d'infrastructures et de services à l'international portés par des entreprises françaises :

• Le FASEP32(*)  : Avec 14,4 M€ d'engagements cumulés de 2016 à avril 2020, l'Indopacifique représentait 24 % du total mondial des engagements pris en faveur du secteur des infrastructures économiques et sociales et plus d'un quart des projets (soit 24 sur 94).

• Les prêts concessionnels33(*) et les prêts directs34(*). L'Indopacifique a ainsi capté un cinquième du total mondial des prêts consentis par le Trésor de 2010 à 2020. Plus de 90 % de ce prêts ont concerné le secteur des infrastructures et de la connectivité numérique. L'Asie du Sud-Est est la première région bénéficiaire des soutiens octroyés au secteur des infrastructures (soit 15 % de l'enveloppe mondiale).

• L'assurance-crédit export, principal outil de soutien financier public à l'export en montants, permet le financement d'achat de biens et services français. Elle permet de proposer des solutions de financement aux acheteurs étrangers à un coût réduit (prêts en moyenne d'une durée de 8 à 12 ans), en particulier vers les pays en voie de développement. Elle stimule le commerce extérieur français. L'Indopacifique représentait un encours de près de 13 Mds€ soit 19 % du total mondial fin 2019, tous secteurs d'intervention confondus. Sur la dimension resserrée des projets d'infrastructures stricto sensu, l'encours était voisin de 1,7 Md€.

Exemples de projets concrets soutenus

Vietnam : ligne 3 du métro de Hanoi, 355 M€ de prêts concessionnels du Trésor octroyés depuis 2006 ;

Indonésie : renforcement de capacités d'e-gouvernement, 80 M€ de prêt direct et 60 M€ de crédit acheteur garanti par BPI, signé en 2021 ;

Sri Lanka : équipement de 6 laiteries et construction de 30 centres de collecte, 14 M€ de prêt concessionnel, signé en 2017 ;

Projets de satellites au Vietnam dont le financement n'est pas encore bouclé.

Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs à la Direction générale du Trésor.

La France est aussi présente dans la région indopacifique grâce à l'AFD, dont l'encours total dans ces pays s'élevait à plus de 13 Mds€ en 2020 tous secteurs confondus, soit environ un quart de l'encours mondial. Outre la Chine (9 % de l'encours en Indopacifique), il se répartissait équitablement entre les deux sous-ensembles régionaux constitués par l'océan Indien et l'Asie du Sud-Est35(*).

Le mandat d'intervention de l'AFD dans le Pacifique a été élargi une première fois en 2018 aux projets régionaux dans le secteur de l'adaptation au changement climatique et à la biodiversité. Une nouvelle modification du mandat a été décidée en mars 2021 pour l'étendre au secteur de l'atténuation au changement climatique, en prêts et/ou en dons. Dans le cadre de son nouveau mandat, l'AFD pourra également conduire ou participer à des projets bilatéraux et non plus seulement régionaux.

4. Les questions soulevées par la stratégie indopacifique française

Lorsque la Chine a lancé sa politique dite des nouvelles routes de la soie, en 2013, nombreux ont été les commentateurs à considérer -et cette analyse n'était pas fausse- que la Chine amalgamait sous un nouvel étendard de nombreux projets déjà existants, recyclait des politiques dans tous les secteurs y compris culturels, et d'un ensemble composé de bric et de broc tentait de faire émerger un nouveau narratif.

Dix ans plus tard, force est de constater qu'elle y est parvenue. Les nouvelles routes de la soie existent dans l'imaginaire collectif, dans les enceintes internationales telles que l'ONU, dans le passif de nombreux États pris au piège d'une spirale de la dette dénoncée par le FMI, dans les stratégies de tous les États de la zone indopacifique entendue au sens le plus large qui soit, comprenant l'Afrique, l'Arctique et l'Amérique latine36(*). Certes, les investissements promis n'ont pas tous été au rendez-vous, bon nombre de ces investissements étaient en fait des prêts supérieurs au taux libor, formulés en partie en yuans, et garantis sur les infrastructures37(*). L'utilité publique et économique des investissements ne se vérifie pas forcément dans le temps, et leur bilan environnemental est souvent négatif. Mais l'influence chinoise a crû, la croissance économique chinoise a été tirée par cette politique, qui a aussi bénéficié à l'aménagement du territoire chinois. La Chine avait tout d'abord les moyens, tant en termes de croissance que de réserves de change et de possession de la dette américaine, de mettre ou d'annoncer des moyens à la hauteur des ambitions affichées. Les montants annoncés par la Chine étaient ainsi compris entre 5 000 et 8 000 milliards de dollars. Les besoins de financement pour tous les projets rattachés aux nouvelles routes de la soie dépassaient le trillion (le milliard de milliard) annuel. La Chine a su également convaincre de la cohérence de sa politique des nouvelles routes de la soie, alors même que la multiplication de ses champs géographiques de déploiement, comme de ses champs thématiques, pouvait donner l'impression d'un pilotage opportuniste, à vue.

Ni le volet économique de la stratégie indopacifique, ni la stratégie de la France dans l'Indopacifique ne comprennent de moyens financiers face aux objectifs ambitieux affichés. Pour mémoire l'annonce par le Canada de sa stratégie indopacifique comprend le montant de 2,3 milliards de dollars sur 5 ans dédiés à sa réalisation.

La France a-t-elle les moyens des ambitions qu'elle affiche dans sa stratégie indopacifique et parvient-elle à convaincre de la cohérence de cette stratégie ?

La stratégie française pour l'Indopacifique affiche des ambitions extrêmement élevées, qui relèvent souvent du soft power : il s'agit ainsi d'agir dans les instances multilatérales, internationales ou régionales. Le pilier sécurité et défense prévoit notamment le « renforcement de la présence française dans les enceintes de sécurité de l'Asean (ADMM et Asean Defence Ministers' Meeting, Aseanpol) et projet d'une adhésion à l'accord ReCAAP de lutte contre la piraterie (Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery against Ships in Asia) » et la « coopération avec les partenaires de la zone (Australie, Inde, Japon) en matière de partage d'information maritime et contribution au développement de capacités régionales dans ce domaine (centres de fusion de l'information maritime de Madagascar, New Delhi et Singapour) ». Les moyens humains nécessaires ne sont pas précisés, les ressources allouées non plus.

De nombreux objectifs sont la poursuite de la politique menée par la France en tant que membre du Conseil de sécurité des Nations unies : il en est ainsi du « renforcement des échanges en matière de lutte contre la prolifération, en particulier nucléaire. La France participe de manière active aux opérations de surveillance du respect des sanctions internationales contre la Corée du Nord. ». Cet objectif essentiel n'est pas nouveau. Aucun moyen ni aucune action supplémentaire ne permettent de faciliter sa réalisation.

À l'inverse, « l'affirmation du respect du droit international et de la liberté de navigation au travers des déploiements de moyens aériens et navals depuis les territoires d'outre-mer et de la métropole, à l'instar de la mission Marianne (déploiement d'un sous-marin nucléaire d'attaque dans l'ensemble de l'Indopacifique), de la mission Jeanne d'Arc (déploiement d'un groupe amphibie jusqu'au Japon), des transits en mer de Chine méridionale (au moins deux fois par an depuis 2014) ou des missions Pégase et Skyros de l'armée de l'Air et de l'Espace » correspondent à des missions ambitieuses, qui pèsent sur le budget des armées, qui doivent faire face à l'hypothèse d'engagement majeur et rehausser leur préparation opérationnelle en conséquence. Le document stratégique dresse un bilan mais ne sanctuarise pas la priorité donnée à ces engagements des armées dans l'Indopacifique. Il faudra que ces ambitions se traduisent dans la prochaine loi de programmation militaire (LPM) attendue en 2023.

Ces observations peuvent se décliner pour les trois autres piliers de la stratégie. Elle est très déclarative, énumère des actions déjà engagées, qui bien sûr doivent être poursuivies, et des priorités et objectifs louables qui relèvent du soft power sans que les moyens de réalisation, humains et financiers, ne soient énoncés. Lorsque l'action ou l'objectif engage des moyens, leur pérennisation n'est pas garantie.

Sans calendrier, sans rendez-vous d'évaluation et d'ajustement, sans moyens humains ou financiers annoncés, comment l'ambition d'être une puissance stabilisatrice peut-elle s'incarner et convaincre ?

La délimitation de la stratégie indopacifique française pose également des questions. La convergence de la définition géographique pourrait amplifier le potentiel d'actions conjointes en IP. La France a choisi une conception de l'Indopacifique qui englobe tous ses territoires dans un IP qui intègre l'océan Indien jusqu'aux rives de l'Afrique orientale, sans s'aventurer pour l'océan Pacifique jusqu'aux côtes orientales de l'Amérique du Sud38(*). L'Amérique du Sud, dans la partie orientale de l'océan Pacifique ne doit pas être négligée. Elle représente de réelles opportunités d'insertion de la Polynésie française dans une zone économique que la Chine ne néglige pas.

Cette conception est partagée par le Japon, l'Inde et l'Union européenne, mais pas par l'Australie et les États-Unis. La politique des nouvelles routes de la soie chinoise inclut, pour sa part l'Afrique, l'Amérique latine mais aussi l'Arctique. L'influence économique et politique prises par la Chine et la Russie, notamment par le biais du groupe Wagner, dans certains pays africains pourrait déstabiliser la région, voire favoriser sa militarisation.

Il est évident que la partie occidentale de l'océan Indien est une région stratégique au regard des risques susceptibles de menacer la sécurité des voies maritimes, essentielle pour le transit du tiers du trafic pétrolier mondial par le canal du Mozambique.

La zone maritime sous la responsabilité d'ALINDIEN englobe l'Ouest de l'océan Indien qui est apparu lors des auditions menées dans le cadre de la préparation de ce rapport comme faisant partie de l'action indopacifique de la France. Traditionnellement d'ailleurs, les FFEAU et les FFDj sont énumérées dans les recensements des forces françaises en IP. Or l'inclusion du nord-ouest de l'océan Indien dans l'Indopacifique apparaît comme une exception française qui ne facilite pas toujours le dialogue avec les pays partenaires de l'Indopacifique.

L'immensité de l'Indopacifique et le flou de ses contours ont été soulignés, leurs conséquences ne peuvent être négligées. Il est difficile de coopérer sans unité d'action.

Sans vision commune de l'IP, les acteurs de l'Indopacifique peuvent-ils démultiplier leurs coopérations ? Basée sur la conception la plus large de l'Indopacifique, qui correspond à ses implantations et intérêts, la stratégie française ne perd-elle pas en lisibilité pour les acteurs de la zone qu'elle entend fédérer ? N'est-elle pas affaiblie par la multiplicité de ses orientations ? Peut-elle répondre aux attentes de chaque partenaire stratégique, demandeur de sécurité pour les uns, de développement économique pour les autres, d'actions de protection de l'environnement pour les derniers ?

La stratégie française ne choisit pas : ni l'espace géographique qu'elle conçoit comme maximaliste, ni les secteurs d'action qu'elle souhaite tous embrasser. Elle ne sélectionne pas plus ses partenaires, souhaitant collaborer avec tous. Si un temps un triangle de grands partenaires stratégiques s'était dessiné avec le Japon, l'Australie et l'Inde, Aukus, la relance du format QUAD, le souhait de rapprochement de l'OTAN du Japon, et la non-condamnation de la Russie par l'Inde ont fragilisé cette architecture. Les partenariats se multiplient, au gré des exportations d'armement, ou d'autres opportunités. S'il n'en faut refuser aucune tant qu'elle est favorable aux intérêts français, l'éparpillement qui en résulte ne nuit-il pas à la lisibilité de la stratégie française ?

IX. COMMENT RENDRE OPÉRATIONNELLE LA STRATÉGIE INDOPACIFIQUE DE LA FRANCE ?

A. DES MOYENS ADAPTÉS AUX AMBITIONS FRANÇAISES DANS UNE STRATÉGIE INDOPACIFIQUE OPÉRATIONALISÉE

La stratégie indopacifique française serait plus fédératrice si elle était plus lisible pour les partenaires que la France souhaite associer autour de ses objectifs et actions.

1. Réaffirmer une position française forte et réaliste face à la Chine

Les différentes conceptions de l'Indopacifique39(*) ne traitent pas de la question de la Chine directement ; la plupart d'entre elles, et celle de la France ne fait pas exception, énumèrent les partenariats souhaités et ignorent « l'éléphant dans la pièce », c'est-à-dire la Chine dont le poids et la politique sont essentiels dans la zone indopacifique. Les propos sur la Chine sont tenus de façon non officielle.

La stratégie de la France dans l'indopacifique contient 18 fois le mot Chine (dont 4 fois pour parler de la mer de Chine, 9 fois dans la description des forces économiques en présence ou dans la caractérisation de la situation environnementale, 2 fois sur une carte globale de l'Indopacifique, 1 fois pour indiquer que la Chine est un pays offensif dans la compétition en matière de recherche et de développement, et 2 fois pour caractériser l'importance de la Chine. Ces 2 mentions font l'objet du développement suivant).

À deux reprises, dans la partie intitulée « Des équilibres géopolitiques en recomposition », la stratégie française souligne le poids de la Chine dans la zone :

- la première fois, les revendications territoriales chinoises sont nommées de façon très prudente, ainsi que sa rivalité avec les États-Unis, mise au même niveau dans une phrase que sa rivalité avec l'Inde : « L'Indopacifique est aujourd'hui le théâtre de profondes évolutions stratégiques. La montée en puissance et les revendications territoriales de la Chine, exprimées de façon chaque fois plus appuyée, l'intensification de la compétition sino-américaine, les tensions à la frontière sino-indienne et dans la péninsule coréenne, modifient les équilibres régionaux et rendent l'équation stratégique plus complexe. ». Les revendications territoriales de la Chine ont pourtant fait l'objet d'une condamnation de la Cour permanente d'arbitrage (PCA) de la Haye en 2016. Il a ainsi été jugé que les revendications chinoises violaient l'article 21 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et « qu'il n'y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique ses droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l'intérieur de la " ligne en neuf traits "40(*) »41(*),

- la seconde citation met en exergue la rivalité sino-américaine pour réaffirmer l'attachement de la France à un ordre multilatéral et fondé sur le droit : « Les États-Unis et la Chine sont engagés dans une compétition stratégique mondiale dont les principaux champs d'interaction sont situés dans l'Indopacifique. D'abord économique et technologique, cette rivalité s'est étendue au domaine militaire et déterminera, à moyen terme, la plupart des enjeux stratégiques régionaux. La compétition stratégique sino-américaine et le comportement de certains acteurs régionaux, qui privilégient les arrangements bilatéraux et les rapports de force afin de faire prévaloir leurs seuls intérêts nationaux, contribuent au délitement de l'ordre international, alors que les défis globaux exigent plus de coopération de la part des États. Les risques d'escalade non maîtrisée sont importants dans cette région dépourvue de mécanismes de règlement des crises. Conformément aux principes et aux valeurs qui caractérisent son engagement international, la France oeuvre en faveur d'un ordre international multilatéral et fondé sur le droit. Elle partage cet objectif avec ses principaux partenaires en Indopacifique, dont l'Inde, l'Australie, le Japon et l'Asean. ». La stratégie souligne la convergence sur ce point entre l'Inde, l'Australie, le Japon et l'Asean.

La France entend ainsi préserver sa capacité de dialogue avec tout acteur d'un théâtre géostratégique donné, ce qui correspond à son statut de membre permanent du Conseil de sécurité. La « troisième voie » ainsi défendue, voie d'équilibre ou de stabilisation pour reprendre les termes de la stratégie, permet de ne pas accepter l'installation d'une nouvelle guerre froide en IP où chaque pays devrait choisir son camp entre la Chine et les États-Unis. Les pays de l'Asean, le Japon, l'Inde et l'Australie défendent la même autonomie et manifestent le même refus de s'impliquer dans la rivalité sino-américaine, selon le document français. Les positions japonaise et australienne sont sans doute plus ambiguës, en témoignent le QUAD, Aukus et les accords de défense liant ces pays aux États-Unis.

L'objectif politique recherché par la France d'incarner une alternative à l'opposition sino-américaine conduit à « surjouer une différence d'approche, en partie artificielle, avec les pays anglo-saxons tout en favorisant les exportations d'armes vers certains pays comme l'Inde, les EAU et l'Indonésie, qui restent l'un des moteurs, bien que non assumé, de la politique étrangère française dans la région »42(*). Pourtant, la « troisième voie » française n'a pas convaincu l'Australie qui a renoncé au partenariat stratégique conclu avec la France et à la fourniture des sous-marins Barracuda pour renforcer sa coopération avec les États-Unis et dans une moindre mesure le Royaume-Uni dans le cadre d'Aukus. Le non-alignement de la France sur le FOIP des États-Unis a sans doute facilité la conclusion de certains contrats d'exportation d'armement, mais s'il devait nuire aux perspectives de l'industrie de défense française, il pourrait ne plus susciter l'adhésion de la BITD.

« Le résultat de cette stratégie de communication [sur l'IP] est l'utilisation de certains concepts diplomatiques difficiles à comprendre, et jamais définis avec précision - la France offrant une « troisième voie », la France en tant que « puissance d'équilibre(s) » (...). Ce discours français est parfois contre-productif auprès de certains de ses partenaires car il peut leur laisser croire que la France a une position ambiguë et surtout que ses ambitions ne sont pas en adéquation avec son poids réel, ce qui pose in fine des questions sur la crédibilité même de la stratégie. »43(*)

La position française à l'égard de la Chine a peu à peu évolué pour s'adapter à sa politique de plus en plus affirmée de recherche de puissance. Adopté en 2019 le mantra d'une Chine aux trois visages44(*) : partenaire, concurrent et rival systémique semble dépassé. Cette conception en triptyque de la Chine ne résout pas à elle seule la complexité d'une relation bilatérale protéiforme. La stratégie indopacifique de la France qui a tout d'abord prôné le renforcement de la coopération avec la Chine, pourrait souligner les décisions de la CPA pour être cohérente avec sa défense du multilatéralisme et de l'ordre fondé sur le droit international, et affirmer que les revendications de la Chine en mer de Chine ne sont pas fondées en droit international.

Ne pas se fondre dans la position américaine n'induit pas de ne pas renforcer la cohérence de la stratégie française à l'égard de la Chine. De la même façon, la clarification de la stratégie française n'a pas de raison d'entraîner un alignement sur les positions américaines, qui ne sont pas toutes favorables aux intérêts français et européens, en témoignent les récentes divergences sur les modalités de réindustrialisation des États-Unis annoncées par le Président Biden.

La stratégie française ne peut toutefois pas se définir « hors sol ». Être une puissance d'équilibre n'est possible que si la situation le permet. La politique et les ambitions chinoises semblent fragiliser l'équilibre indopacifique. L'aspiration au statut de puissance internationale de la Chine se manifeste par :

- un parti particulièrement puissant, le PCC, « parti-État »45(*), visant à mettre en oeuvre cette ambition et imposer les orientations définies pour sa réussite. « C'est peut-être cela qui distingue aujourd'hui la Chine, outre ses performances économiques, d'autres pays émergents : la détermination inébranlable du Parti communiste chinois à promouvoir le « grand renouveau de la nation chinoise » »46(*). En 2021, la Chine a célébré les 100 ans du Parti communiste chinois fort de 95 millions d'adhérents. À cette occasion, le Président chinois a déclaré : « Seul le socialisme a pu sauver la Chine. Seul le socialisme aux caractéristiques chinoises a pu développer la Chine »,

- une stratégie planifiée dans le temps long, visant à la doter du statut de première puissance mondiale d'ici 2050, année du centenaire de la création de la République populaire de Chine,

- et enfin, d'une volonté politique claire affirmée par son Président Xi Jinping. Le discours sur le retour de la Chine sur la scène internationale à « sa juste place », après « l'humiliation » liée aux guerres de l'opium et aux traités inégaux qui en ont découlé47(*), occupe une place importante dans la rhétorique du Président chinois48(*) et s'accompagne d'un discours sur le déclin de l'Occident qui laisserait ainsi place à un XXIe siècle chinois.

Le XXe congrès du parti communiste chinois qui s'est tenu en octobre 2022 a été l'occasion d'un nouveau durcissement des positions chinoises. La Chine semble prête à payer « le coût de ses positions politiques ou géostratégiques49(*) » : la nécessité de faire des concessions pour assurer sa croissance économique ne s'impose plus, « le Parti communiste chinois [place la consolidation de son pouvoir au tout premier rang de ses priorités et voit cela comme un prérequis au développement économique50(*) ». L'ère Hu Jintao de l'immense croissance économique cède la place -au moins de façon médiatique et symbolique à travers les images diffusées au monde entier de l'évacuation de l'ancien président de la tribune- à « un projet de pacte renouvelé entre la Chine et le Parti communiste chinois. (...). Hier, la source de sa légitimité était l'enrichissement impressionnant de la société chinoise dirigée par le Parti. Aujourd'hui, le Parti veut montrer que la donne a changé : ce qui assoit sa légitimité, c'est la promesse du rétablissement du rang impérial de la Chine- garanti par Xi Jinping (...) » 51(*).

Dans ce contexte, la France devra réaffirmer une position ferme si les aspirations chinoises sont défavorables aux intérêts français et aux valeurs qu'elle défend, tels le multilatéralisme, la libre navigation, l'État de droit et les droits de l'homme.

Recommandation : Réaffirmer une position française forte et réaliste face à la nouvelle volonté hégémonique de la Chine proclamée lors du 20e Congrès du parti communiste chinois. Partenaire et compétiteur commercial incontournable, la Chine s'affirme comme un rival systémique de plus en plus offensif. Ceci pourrait réduire les possibilités de faire progresser les sujets transversaux de protection de l'environnement et de la biodiversité sur lesquels nos attentes à son égard doivent être réaffirmées, notamment dans le cadre de la stratégie de la France pour l'Indopacifique. De même, devrait être réaffirmée la nécessité que la Chine respecte le droit international et recherche le règlement des contentieux territoriaux dans ce cadre. La stratégie française doit tenir compte du positionnement chinois, de son agenda et de sa volonté de s'affirmer première puissance mondiale.

2. Distinguer des zones d'actions spécifiques au sein de la stratégie indopacifique

La lisibilité de la stratégie française gagnerait sans doute également à distinguer des zones au sein de l'Indopacifique. Il ne s'agit pas ici de nier l'importance géostratégique de la jonction des deux océans, ni de décourager les initiatives transversales mais de prendre en compte la diversité des États qui le composent et leurs priorités.

Les États du Pacifique Sud placent ainsi la défense de l'environnement au sommet de leur échelle de priorités, ils sont demandeurs de protection de la biodiversité et des moyens la garantissant. Cela correspond d'ailleurs aux objectifs de la France et à la nécessité de protéger son immense ZEE, ce qui est aujourd'hui rendu très difficile par le sous-équipement chronique des forces de souveraineté. Elles ne peuvent pas, de fait, couvrir la zone et répondre le cas échéant aux pillages de ressources halieutiques, ou aux démonstrations de force des puissances régionales qui testent la souveraineté française. Il arrive ainsi que les forces ne puissent pas être présentes lorsque de grandes puissances de l'Indopacifique les informent du passage de navires dans la ZEE française, ou qu'elles ne soient pas en mesure de répondre à plusieurs urgences concomitantes. L'exercice de la souveraineté française sur ces zones pourrait s'en trouver fragilisé. Outre des moyens militaires adéquats, la stratégie française pour l'IP pourrait prendre en compte les spécificités du Pacifique Sud territoire où le dialogue prend une forme particulière dit Pacific way qui doit être respecté. Cette zone caractérisée par une montée des actions de la Chine, qui compte 12 voix à l'Assemblée générale des Nations unies est dans l'attente de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, y définir une stratégie spécifique, lisible, avec des échéances et des moyens serait très positif.

De la même façon, la vision indopacifique française qui s'étend aux côtes africaines et au nord-ouest de l'océan indien apparaît parfois peu lisible aux pays qui revendiquent leur centralité dans l'Indopacifique, notamment les pays de l'Asean comme les déplacements du groupe de travail ont permis de le constater. Ces pays, formant le 5ème « bloc économique » mondial52(*) sont davantage demandeurs de développement du libre-échange que de sécurité dans l'océan Indien, si loin de leurs intérêts. La tyrannie des distances s'impose de nouveau, 6 500 km séparant Jakarta du nord-ouest de l'océan Indien. Les États-Unis n'incluent pas non plus ces zones dans leur stratégie indopacifique mais reconnaissent à la France un rôle de pourvoyeur de sécurité à jouer dans ces secteurs selon les auditions menées dans le cadre de la préparation de ce rapport. Il n'est pas exclu que cela serve également le dessein américain d'accentuer son pivot stratégique asiatique en incitant d'autres pays à intervenir au Proche-Orient.

Enfin, des impensés marquent encore la stratégie indopacifique française de l'ouest à l'est de la zone :

- alors que la stratégie française englobe le nord-ouest de l'océan Indien, elle s'appuie sur des partenariats stratégiques avec l'Inde, l'Australie et le Japon. La relation privilégiée qui se tisse avec l'Inde doit faire l'objet d'une attention particulière53(*). Elle ne doit pas conduire à sous-estimer l'importance du Pakistan dans l'équilibre régional de l'Asie du Sud, mais aussi dans l'accès aux nouvelles voies maritimes commerciales et stratégiques. Les efforts en faveur de la reconstruction d'un dialogue entre la France et le Pakistan ne doivent pas être relâchés54(*),

- la question de Taïwan ne doit pas être éludée. Si le pouvoir exécutif « a invisibilisé Taïwan dans sa communication diplomatique (...) 55(*)», le Sénat a pour sa part adopté, à l'unanimité, le 6 mai 2021 une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales56(*). Il s'agissait de l'Organisation mondiale de la santé, d'Interpol, de l'Organisation de l'aviation civile internationale et de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Les Sénateurs ont par le vote de ce texte rappelé leur attachement à inclure Taiwan, pour le profit de la communauté internationale, dans ces organisations multilatérales oeuvrant à la sécurité et à la préservation de l'environnement. La Revue stratégique nationale 2022 fait mention du statut quo dans le détroit de Taïwan57(*) et la France s'exprime sur le sujet de « manière multilatérale (avec le G7 et l'UE), bilatérale (avec le Japon et l'Australie) et, enfin, unilatérale pour s'opposer à toute modification unilatérale du statu quo par la force dans le détroit de Taïwan58(*) ». La stratégie de la France dans l'Indopacifique pourrait renforcer certaines coopérations, notamment dans le cadre de programmes de protection de l'environnement avec Taïwan.

- l'Amérique du Sud est absente de la réflexion stratégique de la France dans l'Indopacifique, laissant la zone sans « bord » oriental. La Polynésie française pourrait être un hub entre l'Asie et l'Amérique dans plusieurs secteurs, celui de l'aviation civile, comme celui du numérique, comme le montre la carte suivante. La perspective de relier la Polynésie française au Chili et aux États-Unis par câble sous-marins se précise. Dans le domaine de l'aviation civile, le projet de hub était porté par la Chine qui souhaitait faire de la Polynésie un point de passage vers l'Amérique latine. De tels enjeux devraient pouvoir être intégrés dans la stratégie indopacifique française.

Source : Carte publié dans l'article intitulé « Tahiti et l'ambition intacte du “hub” numérique » d'Antoine Samoyeau le lundi 5 septembre 2022 sur le site de Tahiti-infos à l'adresse suivante : https://www.tahiti-infos.com/Tahiti-et-l-ambition-intacte-du-hub-numerique_a211707.html

Il apparaît donc nécessaire de distinguer les quatre zones suivantes de l'IP (schématisés de façon simplifiée sur la carte suivante) pour structurer et rendre plus opérationnelle la stratégie française :

- l'océan Indien occidental (englobant les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises, la Réunion, Mayotte, le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, l'Inde),

- l'indopacifique central (allant du Pakistan à la Nouvelle Calédonie, incluant l'Asean, et remontant jusqu'au Japon),

- le pacifique Sud (englobant les États du Pacifique Sud et les territoires français du Pacifique),

- le pacifique oriental (autour de la Polynésie française, englobant les bordures orientales de l'océan pacifique, c'est-à-dire les côtes occidentales américaines).

Ce zonage n'empêcherait en rien la gestion de questions transversales mais permettrait au contraire de synchroniser les actions menées en différents points de l'Indopacifique, en donnant de la lisibilité à l'action de la France. Ce zonage est la première étape d'une nouvelle conception de la stratégie indopacifique transversale et régionale, plus agile et mieux adaptée. Ces zones doivent permettre de définir des priorités et des objectifs différents selon les besoins et les possibilités d'action pour rendre plus opérationnelle la stratégie française.

Recommandation : Décliner la stratégie indopacifique de la France en 4 sous-zones pour mieux associer les pays concernés : l'océan Indien occidental, l'indopacifique central, le pacifique Sud, et le pacifique oriental. Réduire les impensés de la stratégie : mieux intégrer le Pacifique Sud, Taïwan et l'Amérique latine à la stratégie indopacifique.

3. Organiser le pilotage politique de la stratégie de la France pour l'Indopacifique

Il paraît nécessaire d'adapter l'appareil diplomatique et administratif aux enjeux de la stratégie indopacifique ainsi redessinée. Lors des déplacements organisés dans le cadre de la préparation de ce rapport, de grandes différences d'appréciation sur les priorités stratégiques et les modalités d'action ont pu être notées. Elles concernaient les champs d'action de la France à mettre en avant, les modalités d'intégration économique régionale des territoires ultramarins, ou encore l'agenda de progression des objectifs français.

S'il est normal que chaque opérateur et chaque diplomate ait un prisme propre au secteur ou au pays dans lequel il exerce son action, un réel manque de lisibilité de la mise en oeuvre de la stratégie de la France pour l'IP est apparu.

L'activité des opérateurs n'est pas toujours connue des services des ambassades. Ils en sont normalement informés mais ne peuvent pas toujours garantir la cohérence des actions menées par les différents opérateurs, ou leur visibilité. L'action menée par l'AFD en Indopacifique, présentée en annexe, suit le contrat d'objectifs et de moyens conclu avec l'État et tend à s'inscrire dans la stratégie de la France pour l'IP.

C'est dans les territoires ultra-marins français qu'a débuté l'histoire de l'AFD, héritière de la Caisse centrale de la France libre (CCFL) devenue la Caisse centrale de la France d'Outremer (CCFOM). Dès sa création, le gouvernement français a confié à la CCFOM des missions de développement, en sus de l'émission de monnaie. La CCFOM accorde ainsi des prêts aux collectivités et établissements publics dès 1946. L'AFD continue d'accompagner les DROM-COM dans leur développement économique, social et environnemental. Cet ancrage de l'AFD dans les territoires ultramarins a été renforcé grâce à l'adoption de la stratégie « 3 Océans » en 2019, qui vise à renforcer le rayonnement des territoires ultramarins français dans leur bassin d'appartenance (bassins Atlantique, Pacifique et Indien). L'adoption de cette nouvelle stratégie a entrainé la création de trois directions régionales toutes localisées dans des DROM--COM, renforçant la présence locale de l'AFD.

L'ancrage historique de l'AFD devrait céder la place à une nouvelle organisation. Il ne semble pas neutre que les DROM-COM ne bénéficient pas de modalités de financement plus proches de ceux mis en oeuvre pour les collectivités territoriales par la CDC par exemple. Cette différence de traitement ne favorise sans doute pas l'ancrage des DROM-COM.

Par ailleurs l'AFD intervient dans 7 des 10 pays de l'Asean : au Cambodge, en Birmanie, en Indonésie, au Laos, aux Philippines, en Thaïlande et au Vietnam. Elle agit en suivant trois orientations stratégiques dans cette zone : (i) encourager les transitions bas carbone et la résilience des territoires, (ii) promouvoir la préservation et la gestion durable de l'environnement terrestre et maritime et (iii) atténuer les déséquilibres sociaux et réduire les inégalités.

La seule intervention de l'AFD en Indonésie doit être cohérente avec les priorités du gouvernement indonésien, définies dans son plan quinquennal pour 2020-2024, celles de la politique française de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, la stratégie de l'agence et sa stratégie régionale 2020-2024 en Asie du Sud-Est. Elle agit sur la base de quatre priorités (i) la promotion des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique pour une transition bas-carbone, (ii) la préservation des ressources naturelles, la gestion durable des océans et des espaces côtiers, (iii) l'amélioration des infrastructures et des services collectifs urbains durables et (iv) le soutien à une transition financière verte. L'AFD participe ainsi, au sein de l'Équipe France, au soutien des acteurs économiques français et au renforcement de l'influence économique de la France en Asie du Sud-Est, en facilitant le continuum entre les services économiques et les entreprises françaises dans ses financements. Mais la question du pilotage politique de cet opérateur se pose.

Le pilotage de la politique de développement solidaire est dispersé entre trois ministres (chargés du développement, de l'économie et du budget, et de l'Outre-mer), une instance interministérielle (le CICID) et son co-secrétariat assuré par deux ministères et, pour l'AFD, par un conseil d'orientation stratégique. Il existe en outre deux instances de concertation : le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) et la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD). L'AFD, dotée d'une force de frappe financière en constante augmentation et d'une propension à intervenir dans un nombre de pays et sur des thématiques de plus en plus étendues, n'aligne pas toujours sa stratégie avec celle de ses tutelles. Dans son rapport sur les opérateurs de l'action extérieure de l'État59(*), la Cour des comptes a ainsi estimé que « les outils de pilotage dont dispose le MEAE demeurent insuffisants pour lui permettre d'exercer une véritable tutelle stratégique, au niveau central, sur l'AFD ».

Tous ces enjeux devraient faire l'objet d'analyses collectives, associant les services diplomatiques, les services des ministères à l'étranger, tous les opérateurs, et les territoires français situés dans la zone de déploiement des objectifs.

Lorsque cela a été le cas, notamment sur le Pacifique sud, les résultats sont concluants avec des propositions opérationnelles, un calendrier compréhensible, y compris par les pays partenaires concernés, et des moyens à mettre en oeuvre identifiés. La nécessité de libérer des capacités d'action de l'AFD et de permettre une exception à la « doctrine Lagarde » qui interdit d'allouer des prêts souverains aux pays considérés par le FMI comme à risque élevé ou modéré de surendettement démontre toutefois la limite de l'action administrative. C'est un arbitrage politique qui doit pouvoir être donné, sur ce point précis, comme sur d'autres dans le cadre de la coordination des acteurs de la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique.

Dans cette perspective, il apparaît donc nécessaire de nommer sur chacune des zones de l'indopacifique des Secrétaires d'État chargés d'animer l'action des services et opérateurs dans le secteur géographique concerné, de prendre les arbitrages politiques nécessaires, d'impulser et de favoriser les coopérations entre zones de l'IP pour faire progresser les politiques indopacifiques soutenues par la France en matière d'intégration régionale de ses territoires, de protection du climat et de la biodiversité, de renforcement du multilatéralisme et de promotion des valeurs d'État de droit de protection des droits humains.

Ces nominations permettraient également de répondre au désir de France qu'expriment les pays riverains de l'Indopacifique, de multiplier les participations de haut niveau aux différents fora de la zone, et d'incarner la priorité donnée par la France à l'Indopacifique. La Secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou, s'est rendue en Papouasie-Nouvelle-Guinée du 22 au 23 novembre, puis au Vanuatu afin de participer à la Conférence ministérielle de la Communauté du Pacifique (CPS) du 24 au 25 novembre 2022. C'était la première fois depuis 1993 que le Vanuatu, dont 40 % de la population est francophone, recevait une visite ministérielle. Soit 29 ans sans visite officielle de haut niveau !

Enfin, il appartiendrait à ces Secrétaires d'État de mener une feuille de route publique, énumérant des objectifs quantifiés, dans un calendrier et avec des moyens donnés.

Recommandation : Organiser le pilotage politique de la stratégie de la France pour l'Indopacifique en nommant 4 Secrétaires d'État en charge des zones identifiées dans l'IP chargés de coordonner l'action des services et opérateurs, d'effectuer les arbitrages politiques nécessaires et d'assurer la représentation de haut niveau demandée par nos partenaires dans l'Indopacifique. Ils seraient responsables de la mise en oeuvre d'une feuille de route détaillant objectifs, calendrier et moyens humains et financiers.

4. Doter les forces armées des moyens correspondant aux ambitions françaises indopacifiques

Les moyens militaires des forces de souveraineté sont apparus, au cours des auditions de préparation de ce rapport, doublement inadaptés :

- d'une part aux caractéristiques de l'IP telles que les élongations qu'elle induit (l'immensité de la ZEE française a déjà été évoquée) comme aux conditions météorologiques exigeantes qui la caractérisent, mais aussi au durcissement de l'environnement sécuritaire et à la course aux armements qui en découle,

- et d'autre part aux ambitions affichées de la stratégie de la France en Indopacifique.

Le nombre des personnels des armées dans les forces de souveraineté a connu une attrition drastique lors de la révision générale des politiques publiques en 2008. Le Livre blanc de la Défense de 2008 préconisait de rationaliser les moyens militaires stationnés en dehors de la métropole, afin de grouper les capacités d'intervention à partir du territoire national ou sur ces axes ; « les forces de souveraineté stationnées dans les départements et collectivités d'outre-mer devront être définies au niveau strictement nécessaire aux missions des armées proprement dites ». Ceci s'est traduit par une réduction de 20 % de leurs effectifs et une profonde réorganisation avec la systématisation du recours aux Missions de courte durée (MCD). Deux tiers des forces prépositionnées sont désormais en MCD, dont 87 % proviennent de l'Armée de terre. Si elle permet à l'ensemble des forces terrestres de s'aguerrir, « la « dépermanentisation »60(*) affecte la connaissance du milieu et l'intégration des forces dans la société locale. Ce « montage » pénalise le développement d'une réelle expertise outre-mer et étranger (...) et le rayonnement local des forces ».

L'attrition de format a eu des répercussions sur les équipements et les infrastructures des forces stationnées dans la zone indopacifique L'érosion concerne aussi les équipements qui sont orientés vers les interventions de basse intensité et traversés par des tensions toutes composantes confondues. Le rapport d'information n° 12 (2022-2023) de Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances, intitulé « La présence militaire dans les outre-mer : un enjeu de souveraineté et de protection des populations », du 5 octobre 2022 aboutit à un même constat d'insuffisance des moyens des FAZSOI, des FANC et des FAPF au regard des missions assignées.

Extraits du rapport d'information n° 12 (2022-2023) de Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances, intitulé « La présence militaire dans les outre-mer : un enjeu de souveraineté et de protection des populations », du 5 octobre 2022
Sur l'attrition des moyens des FAZSOI, des FANC et des FAPF

(i) Moyens de surveillance

Au sein des FAZSOI, la mission de surveillance aérienne (lutte contre la pêche illicite et contre les atteintes à l'environnement, notamment) est assurée aux abords des îles Éparses à vue par les équipages des deux avions de type Casa dont elles disposent. La surveillance s'effectue lors du survol de ces îles à l'occasion de la relève des militaires présents en permanence sur trois d'entre elles (environ 1 fois tous les 45 jours). Cette relève ayant toutefois lieu de manière régulière, les pêcheurs, notamment malgaches, pêchant illégalement sur les eaux territoriales de certaines de ces îles peuvent facilement adapter leurs programmes de navigation en évitant les jours de passage estimés du Casa. Ceci apparaît insuffisant pour assurer les missions de surveillance dans les ZEE de ces îles où la pêche illégale demeure un problème prégnant (notamment à Bassas da India). En appui, les FAZSOI bénéficient également d'un Falcon 50 M, de patrouille maritime, qui apparaît toutefois plus qu'insuffisant puisqu'il n'est déployé dans cette zone que deux fois deux semaines par an, et dédie également une partie de son temps de présence à la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. (...)

Au regard des enjeux en matière de surveillance maritime de la zone, particulièrement concernée par la pêche illégale, l'immigration clandestine à Mayotte et la lutte contre les activités polluantes, une augmentation des capacités constitue une nécessité impérieuse (...).

(ii) Transport tactique

Les capacités de transport tactique sont également limitées. Les FAZSOI ont ainsi connu une forte baisse de leurs capacités en la matière à la suite du retrait du Transall C 160 en 2015, alors que ce dernier présentait une capacité d'emport bien supérieure à celle du Casa (6 tonnes contre 1,5) et une autonomie de 8 heures au lieu de 6. Les FAZSOI peuvent, en cas de besoin (évacuation sanitaire, crise, etc.), demander un renfort de l'A400M de métropole sous un préavis de 48h, qui pourrait s'avérer trop long en cas de crise impliquant une réaction rapide.

Les Forces armées en Polynésie française (FAPF) disposent également de deux Casa, ce qui reste suffisant pour un emploi au sein de la Polynésie française, mais nécessite, pour se déployer vers l'Ouest du Pacifique, plusieurs jours de transit et l'ouverture de points d'appui pour le ravitaillement. L'Est du Pacifique, et notamment les côtes américaines, est inaccessible par la voie aérienne avec les moyens précités. Enfin, ces moyens aériens ont une capacité d'emport limitée.

Cette faiblesse des moyens aériens a un impact logistique particulièrement prégnant pour les FAPF, ce qui renforce leur dépendance aux moyens en renfort acheminés depuis la métropole. La crise sanitaire débutée en 2020 a ainsi mis en exergue la forte vulnérabilité logistique de la Polynésie dans un contexte de crise. Le renfort temporaire d'un avion à long rayon d'action (A400M) a permis de briser en partie l'isolement, de soutenir les autorités civiles et de conduire des opérations de rapatriement de ressortissants à l'étranger (îles Cook et île de Pâques notamment). Ce renfort temporaire a démontré toute la pertinence de déployer de façon régulière une telle capacité en Polynésie française.

(iii) Moyens nautiques

Les moyens nautiques des forces de souveraineté sont également « taillés au plus juste », et ont dû faire face à de nombreuses réductions temporaires de capacité dans la décennie 2020, qui devraient être comblées avec l'arrivée de six patrouilleurs outre- mer (POM) à partir de 2023 et complètement résorbée en 2025.

En matière de bâtiments de soutien, les forces de souveraineté ne disposent plus depuis 2017 de bâtiments ayant des capacités amphibies, pourtant considérées comme essentielles. Les bâtiments de transport légers (BATRAL), qui disposaient de cette capacité, ont été remplacés par des bâtiments présentant des capacités différentes, les BSAOM20. Ces navires ne sont pas aptes à réaliser des « plageages » (accostage du navire sur une plage), mais ils disposent de capacités de soutien et d'assistance en mer. Ces capacités ont déjà eu des usages opérationnels, par exemple par le Bougainville en 2018 pour déséchouer un cargo en Polynésie française et éviter une pollution. Les BSAOM ont également contribué à l'opération « Résilience » dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19.

Enfin, le cas particulier des FAZSOI illustre les difficultés que peuvent rencontrer les forces de souveraineté en matière d'aéronautique navale et de moyens de remorquage. Ces dernières ne disposent depuis avril 2020 que d'un seul hélicoptère de type Panther, contre deux auparavant. Cet hélicoptère arme les deux frégates Floréal et Nivôse, alors qu'elles disposent toutes les deux d'une hélisurface. Cet hélicoptère, servant notamment aux missions de sauvetage et de surveillance, devrait être remplacé d'ici à 2024 par deux hélicoptères interarmées légers (HIL).

Par ailleurs, les FAZSOI ne disposent aujourd'hui d'aucun moyen de remorquage, ce qui constitue aujourd'hui une source de fragilité. L'île de La Réunion est en effet au centre de l'une des routes maritimes commerciales les plus fréquentées au monde, entre le détroit de Malacca et le cap de Bonne espérance, marquée par un trafic en forte augmentation dans une zone de passage des cyclones.

L'écart se creuse encore si l'on compare la disponibilité des matériels et les ambitions de la stratégie de la France pour l'Indopacifique, malgré la prise en compte de l'importance stratégique des forces de souveraineté et de leurs fragilités dans le rapport annexé à la LPM 2019-2025. L'Ambition 2030 prévoit ainsi « un dispositif de forces prépositionnées et de forces de souveraineté, toutes deux dotées des effectifs suffisants et des équipements adéquats ». Le rythme d'augmentation des effectifs de ces forces prévu par la LPM est supérieur à celui de l'ensemble des effectifs à l'horizon 2025 (2,5 % contre 2,25 %). Des efforts ont également été consentis pour les équipements mais à un niveau insuffisant par rapport aux ambitions affichées.

Les matériels des forces sont particulièrement vieux : le C-160 Transall a une soixantaine d'années, le Casa CN-235 et les P400 une quarantaine d'années, et souffrent en conséquence d'une faible disponibilité.

Les moyens de surveillance aérienne et de transport tactique des forces apparaissent donc très insuffisants, sont peu disponibles, particulièrement les hélicoptères et ont vu leurs capacités diminuer, le remplacement des Transall par les Casa ayant réduit de moitié la capacité de transport. Le remplacement des Casa de l'armée de l'air et de l'espace aujourd'hui en service au sein des FAZSOI, des FAPF et des FANC n'est pas encore prévu. Sans avion de transport à long rayon d'action, la capacité de projection de force et l'appui logistique dans les zones de responsabilité permanentes (ZRP) qui relèvent de ces forces demeurera fragile.

Le recours sous préavis de 48 heures à l'A400M est possible pour compenser les déficits de capacité. Il a permis de répondre aux urgences pendant la crise sanitaire notamment, mais le délai d'acheminement peut ne pas être compatible avec l'urgence, et si toutes les forces de souveraineté devaient avoir besoin de ce renfort en même temps, la question du format de la flotte des A400M se poserait. De même, le recours aux renforts de la métropole (A400M, MRTT ou Rafale) nécessite des adaptations qui ne sont pas suffisamment prises en compte aujourd'hui. Des efforts devraient être faits pour fournir le soutien nécessaire dans la durée en termes d'infrastructures, de systèmes d'information et de communication (SIC) et de personnels. Les plateformes d'accueil de ces équipements aéronautiques des forces de souveraineté devraient également être adaptées pour pourvoir au niveau de sécurité nécessaire.

Le remplacement du Puma par le Super Puma (H225) n'est prévu qu'à l'horizon 2026-2028, celui du Fennec par l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard en 2032, du Casa par l'Avion de transport d'assaut du segment médian (Atasm) à l'horizon 2030-2035. Aucun retard supplémentaire ne doit être pris dans ces remplacements. Des solutions de location doivent être recherchées pour combler les trous capacitaires dus aux indisponibilités des équipements. Enfin, les moyens nécessaires doivent être mis en oeuvre pour rénover les bases aériennes, la BA 186 en Nouvelle-Calédonie et la BA 181 à la Réunion doivent faire l'objet d'investissements au bon niveau.

Les moyens nautiques subissent d'importantes ruptures temporaires de capacité qui persisteront encore au moins jusqu'en 2025 et ne devraient cesser qu'avec la fin du remplacement des patrouilleurs P400. Trois patrouilleurs sont actuellement indisponibles (1 à La Réunion, 1 en Nouvelle-Calédonie, 1 en Polynésie française). Comme pour l'armée de l'air et de l'espace, les capacités ont été réduites : la mise en service de quatre Bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (Bsaom) à la place des cinq Bâtiments de transport léger (Batral) s'est accompagnée d'une diminution par deux des capacités de transport et de la perte de la capacité amphibie.

Dans le même temps, la pression prédatrice sur les ZEE françaises s'accentue. Les flottes des puissances indopacifiques croissent. Sur la période 2008-2030, le tonnage de la marine chinoise devrait croitre de 138 %, celui de la marine de la Corée du Sud de 101 % et celui de la marine indienne de 40 %.

La livraison des 6 patrouilleurs outre-mer (POM) doit s'échelonner entre début 2023 et fin 2025. Le 1er et le 4ème rallieront la Nouvelle-Calédonie, le 2ème et le 5ème rallieront la Polynésie française, le 3ème et le 6ème rallieront La Réunion. Le coût de ces 6 POM s'élève à un montant de 325 millions d'euros, il s'agit d'un plancher qui ne permet de répondre qu'aux besoins strictement nécessaires des armées. La prochaine loi de programmation militaire (LPM) ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu. L'accroissement des moyens paraît indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions.

Le rapport d'information n° 546 (2021-2022) intitulé « Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale » de Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer le 24 février 2022 recommande notamment de rétablir des capacités amphibies pour les forces navales outre-mer en acquérant des hydroglisseurs, sur le modèle de ceux développés par la marine japonaise, et d'accélérer le déploiement du programme European Patrol Corvette pour assurer le remplacement des frégates de surveillance. Ces recommandations doivent être soutenues.

La question du renouvellement des frégates de surveillance (classe Floréal), dont le retrait du service est prévu pour 2035, devra être tranchée dans le cadre de la prochaine LPM en prenant en compte, dans le cadre de la stratégie indopacifique, le besoin de bâtiments plus crédibles dans un contexte de retour des conflits entre puissances et d'un environnement opérationnel plus exigeant. Le programme European Patrol Corvette, prévoyant un bâtiment doté d'une plateforme d'accès et de maintenance pour hélicoptère, de mini drones de surveillance et d'un système d'armes, a été lancé en 2019 dans le cadre de la coopération structurée permanente61(*) (CSP/PESCO). Il a reçu le soutien de l'Agence européenne de défense ce qui laisse espérer son accélération. Le contrat de construction des corvettes pourrait être notifié aux industriels concernés en 2025 et la pose de la quille du premier navire serait envisageable en 2026, soit un an plus tôt qu'initialement prévu, pour une livraison à partir de 2030. Le développement de ce programme européen doit faire l'objet de l'attention de la commission car il est dimensionnant pour les forces de souveraineté de l'Indopacifique.

Le porte-avions de nouvelle génération (PA-NG) l'est également. La capacité de la France de déployer le Charles de Gaulle en IP assoit la crédibilité de la stratégie française auprès des alliés comme des compétiteurs. La prochaine LPM doit prévoir l'avancement du PA-NG, programme majeur, sans aucun retard. Comme le notait le rapport d'information n° 559 (2019-2020) d'Olivier Cigolotti et Gilbert Roger « Porte-avions Charles de Gaulle : et après ? » : « Facteur d'autonomie stratégique, le PA est un outil politique, diplomatique et militaire sans équivalent. Il participe au maintien du rang de la France comme puissance diplomatique et militaire de premier rang, capable d'intervenir en opération pour défendre ses intérêts et de jouer un rôle actif dans les coalitions internationales. » Il est donc indispensable qu'un PA-NG permette à la France de ne pas désarmer en mer lorsque le Charles de Gaulle ne sera plus en service.

La marine a également besoin d'avions d'HIL, d'avions de surveillance maritime F2000, attendus pour 2025, de moyens supplémentaires dans les domaines de systèmes de surveillance maritime de la ZEE62(*), de capacités de commandement (connectivité SIC/LDT), de capacité spatiale (communication et renseignement), de capacités cybers (protection, surveillance), de capacités de renseignement (environnement électromagnétique, hydrographie/océanographie, infra-rouge...), et enfin d'une augmentation des stocks de rechanges.

Les moyens en personnel et en infrastructures ne doivent pas être négligés. Un effort particulier doit être fourni pour améliorer les points d'appui navals (MCO, résilience dont la défense-sécurité, accueil, renfort des équipages) et pour alimenter les détachements au sein des états-majors alliés, des structures régionales, notamment des centres d'information maritime et permettre les partenariats opérationnels permanents ou occasionnels. Enfin, en pleine concertation avec les pouvoirs locaux, le renforcement de la base navale de Nouméa doit être étudié, en liaison avec les autorités calédoniennes, dans le cadre de la prochaine LPM.

Enfin, pour la composante terrestre, l'équipement des forces n'intervient qu'après la mise à niveau des régiments en métropole et en opération. La différentiation s'opère aussi au profit des forces de présence en bases opérationnelles avancées (BOA) dotées de matériels assez récents. Avec des véhicules vieillissants (camions de transport de type GBC 180 et TRM 2000), la mobilité tactique terrestre demeure de manière générale contrainte. Or l'Ambition 2030 et le durcissement de l'environnement stratégique indopacifique rendent nécessaires la montée en gamme et la modernisation des équipements par la redistribution de matériels et la régénération de véhicules anciens. La scorpionisation des forces est également un objectif et entraîne, comme corolaire, l'aménagement ou la création des infrastructures d'entraînement au quartier (en particulier permettant d'accueillir de la simulation), en camp et sur les champs de tir, celles de stockage des engins, des armes, des matériels SIC et multitechniques. Il convient de se demander s'il est encore adéquat de distinguer aussi nettement les standards opérationnels entre la métropole et l'IP. Il en va de la crédibilité des forces, de leurs capacités en matière d'interopérabilité lors des déploiements depuis la métropole et lors des exercices de haut niveau organisés avec les pays indopacifiques partenaires.

L'armée de terre souhaite également s'engager plus encore au profit de la jeunesse dans les DROM-COM grâce à l'augmentation de la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1). Cette réserve comprend 850 femmes et hommes servant dans les forces de souveraineté, permettant ainsi un fort ancrage local comme en Polynésie (où l'unité de réserve est armée à 115 %) et à La Réunion, (armée à 124 %). Le doublement des effectifs de la RO1 que devrait prévoir la prochaine LPM semble possible et profitable dans l'Indopacifique mais doit être couplé à une hausse des crédits et des capacités d'hébergement, d'équipement et d'entraînement proportionnelles, mais aussi à une augmentation des moyens de soutien, notamment du Service de santé des armées (SSA).

Pour toutes les armées, il serait également important de renforcer la participation des moyens du haut de spectre aux divers exercices de coopération dans la zone indopacifique, et de conduire, outre les récents déploiements, des activités à forte visibilité stratégique : tels que des exercices de tir de missiles, des exercices sur les fonds marins et les câbles sous-marins, associant les bases des forces de souveraineté.

Enfin, il serait souhaitable de multiplier la présence d'officier de liaison au sein des états-majors des pays de l'Indopacifique pour favoriser les coopérations dans les domaines de la défense et de la sécurité.

Recommandation : la prochaine loi de programmation militaire ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu, d'HIL, d'avions ravitailleurs, de frégate de surveillance, de moyens de renseignement, etc. L'avancée du PA-NG doit également être prévue par la prochaine LPM. L'accroissement des moyens est indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions avec des échéanciers clairs permettant d'afficher les priorités françaises auprès des compétiteurs et des partenaires dans l'Indopacifique.

B. LES PERSPECTIVES DE LA STRATÉGIE DE LA FRANCE DANS L'INDOPACIFIQUE : RENOVER LES PARTENARIATS MIS EN OEUVRE

1. Acclimater la stratégie indopacifique en renforçant sa cogestion avec les territoires ultra-marins français

La situation et le statut des DROM-COM placent la France dans une situation si ce n'est singulière, du moins particulière. En effet, « dans la définition de leur stratégie Indo-Pacifique (I-P), la France et les États-Unis sont les deux seules puissances du Conseil de sécurité des Nations unies à exercer leur souveraineté sur des territoires insulaires distants de plusieurs milliers de kilomètres de leurs littoraux continentaux. Si les deux pays doivent compter avec des collectivités politico-administratives insulaires comparables à celles de leur métropole (La Réunion, Mayotte, Hawaï), ils ont également des archipels ayant des compétences de gouvernance très particulières (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna, Samoa américaines, Guam, Mariannes du Nord). À cette complexité institutionnelle commune, s'est ajoutée pour la France la singularité d'être sise dans les deux bassins océaniques. Ces réalités géographiques et constitutionnelles s'imposent à tous ceux qui ont à Paris et Washington la tâche de décliner dans la durée et de manière opérationnelle le concept I-P de leur pays. Autrement dit, il paraît difficile de faire de l'I-P, a fortiori dans le Pacifique, sans les collectivités territoriales et leurs représentants tout en sachant que chacun regarde le passé, le présent et la projection dans le futur de manière différente, voire divergente. Une réalité politique, identitaire et affective demande une excellente compréhension mutuelle, des attendus comme des objectifs ou moyens à mobiliser. C'est un langage commun à inventer dans un contexte où les États parlent géopolitique et sécurité, et les territoires insulaires solidarités et défis communs. »63(*)

Les États-Unis ne sont pas considérés par les États océaniens comme appartenant au monde pacifique, ou pour reprendre les termes utilisés, à la « famille pacifique ». Les territoires américains de l'indopacifique ne sont ainsi pas membres du Forum des îles du Pacifique (FIP), comme le sont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française64(*).

En 1999, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont été accueillies en qualité d'observateur au 30ème sommet du FIP. Elles en sont devenues membre associé en octobre 2006. La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et l'État français ont oeuvré pour l'admission en qualité de membre à part entière de la Nouvelle-Calédonie, qui a été acté lors du 47ème sommet en 201665(*). Cette accession en tant que membre de plein droit au FIP est une manifestation forte de la demande et de l'acceptation du rôle et du rayonnement de la France. C'est également une étape essentielle pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française qui peuvent désormais construire des partenariats directs avec les pays et les États insulaires de la région.

La reconnaissance des territoires indopacifiques français recouvre une autre facette avec l'appartenance du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) au groupe mélanésien Fer de Lance, fondé en 1988. Il s'agit d'un rassemblement des grands pays mélanésiens du Sud-ouest du Pacifique qui s'occupe de services administratifs, de développement économique et social, d'affaires politiques, ainsi que de commerce et d'investissement. Ses membres sont la Papouasie-Nouvelle-Guinée66(*), les Îles Salomon, le Vanuatu, les Fidji, depuis 1990, le FLNKS de Nouvelle-Calédonie et, depuis 1995, l'Indonésie67(*). Ce groupe est historiquement proche du Mouvement des non-alignés, les Îles Salomon étant le seul État du Fer de lance à ne pas être membre de cette organisation. Créé à l'origine par les États mélanésiens pour « regrouper leur forces afin de peser lourd dans la balance régionale et internationale en faveur de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie », selon ses statuts, l'organisation a évolué depuis les années 1990 vers un accord de coopération économique, renforcé par une volonté de solidarité inter-mélanésienne.

La reconnaissance de l'appartenance des territoires à l'architecture de coopération régionale est un atout de premier plan à condition qu'ils participent pleinement à la définition d'une stratégie globale au coeur d'une des zones où le monde se fait aujourd'hui. L'État devrait s'appuyer pleinement sur cette puissance insulaire au risque de se priver sur la scène internationale des relais d'influence offerts par un tissu très dense d'interactions politiques, économiques, culturelles et sociales.

Or, il est apparu lors des auditions et déplacements effectués dans le cadre de la préparation de ce rapport, que les élus des DROM-COM ont pu regretter de ne pas avoir été consultés par l'État en amont de l'adoption de la stratégie, ou, plus récemment, des déploiements des forces militaires sur leurs territoires dans le cadre de la stratégie indopacifique française. L'expression de ce manque d'information semble parfois relativement rhétorique, mais elle révèle une profonde remise en cause de la démarche verticale adoptée par le pouvoir exécutif en la matière. La stratégie française pour l'Indopacifique n'a pas été co-élaborée avec les autorités des DCOM-ROM.

« Certains [élus] (...) auraient appris l'officialisation [de la stratégie IP de la France de juillet 2021] par le chef de l'État à travers la presse. Si ce manque de concertation sur une stratégie nationale n'a rien de spécifique à ces collectivités océaniennes, c'est pourtant grâce à celles-ci que la France peut prétendre à sa `pacificité'. Moetai Brotherson, député indépendantiste polynésien, se demande si les peuples ont droit au chapitre, alors qu'ils se voient transposés dans une dynamique géostratégique qui les dépasse. Selon lui, cela ` conforte la thèse du Tavini68(*) selon laquelle, malgré l'autonomie consentie au territoire, les choses s'imposent toujours de l'extérieur ` » 69(*).

Il est indispensable de changer radicalement d'approche et de bâtir la stratégie française sur ses atouts ultramarins, en plaçant les DROM-COM au coeur du dispositif.

Les représentants des DROM-COM manifestent d'ailleurs leur volonté d'être entendus et de pouvoir peser sur la stratégie indopacifique. Ainsi, en juin 2022, l'Assemblée de la Polynésie française a créé une mission d'information portant sur l'impact des stratégies de la France dans l'espace Indo-Pacifique70(*) sur les collectivités françaises de l'Océanie. En associant les assemblées de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna, la mission entend porter des recommandations qui pourraient fonder une stratégie IP définie localement.

La cohérence de cette stratégie avec la stratégie française et la stratégie européenne pour l'Indopacifique sera essentielle pour la crédibilité de la France. L'existence de pouvoirs exécutifs aux compétences élargies en matières économiques, environnementales, voire dans le domaine des relations extérieures pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, rend indispensable l'organisation de dialogues de plus haut niveau entre les représentants des DROM-COM et l'État.

Ceci est d'autant plus nécessaire que l'Océanie suit avec attention l'évolution du statut de la Nouvelle-Calédonie et que, dans le même temps, les DROM-COM suscitent des projets d'investissement de compétiteurs stratégiques. Ainsi, en 2014, le groupe chinois Tian Rui International a signé un accord de coopération stratégique avec la Polynésie, dans l'intention de construire une immense ferme aquacole sur l'atoll de Hao pour développer la perliculture qui aurait pu, la perle étant le premier produit d'exportation locale, réduire un déficit commercial chronique. L'impact environnemental, des financements suspects, et une création d'emplois non documentée ont été autant de raisons de contrer un investissement chinois susceptible de donner à la Chine une influence et un poids conséquent en Polynésie française. Huit ans plus tard, la création d'une 4ème compagnie du Régiment du service militaire adapté de Polynésie française (RSMA-PF) sur l'atol de Hao, concilie intérêts stratégiques et besoins économiques de l'archipel. Un écolodge doit être construit et permettra la formation des jeunes polynésiens au secteur de l'autonomie alimentaire et énergétique des îles.

La réaction des autorités polynésiennes montre que le dialogue entre la métropole et les DROM-COM doit être approfondi sur ces questions de géostratégie et de géoéconomie. « Face à l'État, le gouvernement polynésien revendique son propre récit de collectivité réellement autonome, attachée à ses relations avec la Chine (comme La Réunion). La présidence locale évite donc d'apparaître antagonique aux vues chinoises sur le territoire, à l'instar des pays océaniens indépendants, qui préfèrent coopérer avec de multiples partenaires de développement : ` Enemy to none, Friend to all `. Beaucoup d'entre eux rejettent l'idée qu'ils ne seraient pas à même de cerner l'impact de la conclusion de contrats avec des acteurs chinois »71(*).

Il apparaît souhaitable que la France veille, lorsqu'elle participe à des fora ou agora relatives à l'Indopacifique, à être accompagnée d'une délégation de haut niveau des DROM-COM concernés afin de l'associer aux discussions la concernant. Une délégation commune pourrait être mise en place pour plus d'efficacité.

Cette co-participation devrait être réciproque, et il serait souhaitable que la France puisse accompagner les DROM-COM dans des enceintes où elle ne siège pas, afin d'entendre et de pouvoir prendre en compte les préoccupations des territoires ultramarins et des pays riverains, en particulier dans le Pacifique sud. La participation, un temps envisagée, il y a quelques années, du gouvernement de Nouvelle-Calédonie au groupe mélanésien fer de lance pourrait permettre d'associer la collectivité et la France, et non un seul parti politique, à cette agora mélanésienne essentielle à la bonne compréhension des enjeux de la Mélanésie.

Recommandation : Acclimater la stratégie indopacifique en renforçant sa cogestion avec les territoires ultra-marins français avec la création d'instance de dialogue ad hoc, sous l'impulsion des secrétaires d'État chargés des zones définies au sein de l'Indopacifique. Le dialogue entre instances politiques s'en trouverait facilité ce qui paraît indispensable. En effet, la stratégie indopacifique de la France n'a pas été co-élaborée avec les représentants des DCOM-ROM, ce qui pourrait fragiliser sa mise en oeuvre et son adéquation aux aspirations des territoires indopacifiques français. Une concertation devrait intervenir en amont de toute annonce politique concernant la stratégie indopacifique et l'intégration des DROM-COM à son application. Le principe de création de délégation commune dans les négociations devrait être retenu.

2. Renforcer la cohérence de la stratégie indopacifique européenne

L'Union européenne, sous l'impulsion de la France notamment, a pris acte de l'importance de l'Indopacifique, tant pour la croissance mondiale et donc pour la prospérité européenne que pour la sécurité. Les pays membres de l'Union ont acté que le centre de gravité du monde se déplace vers la région indopacifique, en termes géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques.

La région indopacifique et l'Europe représentent plus de 70 % du commerce mondial de biens et de services et plus de 60 % des flux d'investissements directs étrangers. L'UE est déjà le premier investisseur et le principal partenaire de coopération au développement dans la région indopacifique, ainsi que l'un des plus grands partenaires commerciaux de cette dernière. Les échanges commerciaux entre l'IP et l'Europe sont plus importants qu'entre n'importe quelles autres régions géographiques du monde, leur valeur annuelle a atteint 1 500 milliards d'euros en 2019, avant la pandémie mondiale. L'avenir de l'UE et celui de l'IP apparaissent liés l'un à l'autre, et les conséquences de la pandémie et de la rupture des échanges l'ont souligné.

En 2021, l'Union européenne s'est dotée d'une stratégie indopacifique72(*). Joseph Borell, vice-président de la Commission européenne et haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a déclaré à cette occasion : « notre engagement vise à faire en sorte que la région indopacifique demeure libre et ouverte à tous, tout en nouant des partenariats forts et durables, afin de coopérer en matière de transition écologique, de gouvernance des océans, de transition numérique ou encore de sécurité et de défense » 73(*), et Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission : «Le poids économique, démographique et politique de la région indo-pacifique est en pleine expansion, de la côte est de l'Afrique aux États insulaires du Pacifique. Avec les propositions d'aujourd'hui, et guidés par nos valeurs, nous proposons un partenariat renforcé de nature à progresser en matière de commerce, d'investissement et de connectivité, tout en relevant les défis mondiaux communs et en renforçant l'ordre international fondé sur des règles».74(*)

La délimitation de l'Indopacifique retenue est la même que celle de la France, elle est plus large que celle des pays de l'Asean, celle des États-Unis et celle de l'Australie notamment.

Le principe d'un Indopacifique libre et ouvert à vocation inclusive est défendu. Dans ce cadre, l'UE entend approfondir ses relations avec les pays qui ont déjà adopté leur stratégie indopacifique, à savoir l'Asean, l'Australie, les États-Unis, l'Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la République de Corée et le Royaume-Uni, pays avec lesquels75(*) elle partage la même conception de l'État de droit et la même volonté de défense du multilatéralisme. Il est ainsi précisé que « les relations de l'UE avec la région indo-pacifique seront fondées sur des principes et s'inscriront dans la durée, en promouvant une coopération multilatérale inclusive et efficace, basée sur un ordre international fondé sur des règles, des valeurs et des principes communs, en s'engageant notamment à respecter la démocratie, les droits de l'homme et l'état de droit ».

L'affirmation de cette vocation inclusive a été lue par les analystes comme un gage d'indépendance par rapport au concept américain d'Indopacifique. Mais, « la recherche d'une voie autonome et alternative ne signifie néanmoins pas que l'UE renvoie les États-Unis et la Chine dos à dos » 76(*). L'UE se positionne au côté des États-Unis sur bon nombre de principes et de dossiers (défense de l'ordre international fondé sur des règles et de la liberté de navigation, respect de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit, promotion des conditions de concurrence équitables et de la résilience des chaînes de valeurs). L'autonomie s'entend donc dans le cadre d'une coopération pour le bénéfice réciproque des parties. L'UE souhaite ainsi s'associer au QUAD sur le changement climatique, les technologies ou les vaccins.

La position de l'Union à l'égard de la Chine n'est, quant à elle, pas passée sous silence, ménageant les possibilités de coopération sur les questions d'intérêt commun tout en prévoyant la possibilité de prise de distances en cas de désaccord fondamental sur les droits de l'homme notamment. Cette formulation peut paraître prudente mais constitue une avancée substantielle : « l'UE poursuivra ses relations pluridimensionnelles avec la Chine, en dialoguant au niveau bilatéral pour favoriser des solutions aux défis communs, en coopérant sur des questions d'intérêt commun et en encourageant la Chine à jouer son rôle dans une région indo-pacifique en paix et prospère. Dans le même temps, et en travaillant avec ses partenaires internationaux partageant des préoccupations similaires, l'UE continuera à protéger ses intérêts essentiels et à promouvoir ses valeurs, tout en prenant ses distances en cas de désaccords fondamentaux avec la Chine, comme dans le domaine des droits de l'homme, par exemple » 77(*).

Cette position pourrait encore se durcir, mais le consensus entre les États membres peine à émerger. Selon les conclusions du Conseil européen qui s'est tenu jeudi 20 et vendredi 21 octobre à Bruxelles, les États membres ont eu « `un débat stratégique sur les relations de l'Union européenne avec la Chine (...) le centre de gravité (...) [du] triptyque [partenaire, concurrent commercial et rival stratégique] se déplace de plus en plus, de partenaire à concurrent et rival', rappelle un diplomate européen. Les États européens restent cependant encore divisés sur la bonne posture à trouver vis-à-vis de Pékin. Certains États membres comme les pays baltes, traumatisés par les représailles exercées par la Chine contre la Lituanie lorsque celle-ci s'est rapprochée de Taïwan, fin 2021, sont favorables à une confrontation bien plus franche avec l'empire du Milieu. À l'opposé du spectre, outre certains pays d'Europe centrale qui apprécient la manne chinoise, comme la Hongrie, l'Allemagne souhaite conserver ce partenaire commercial essentiel pour son industrie. ` La question du découplage des économies n'est pas du tout d'actualité, assure d'ailleurs un diplomate européen. Il faut trouver un bon équilibre `. La France navigue entre ces deux pôles » 78(*).

La mise en oeuvre d'une stratégie indopacifique dite de troisième voie se heurte à la réalité stratégique, comme pour la France. La Chine affirme ses ambitions, et le soutien qu'elle apporte à la Russie dans le cadre de l'invasion illégale et injustifiée de l'Ukraine rend difficile la poursuite d'une coopération avec l'UE. Le sommet UE-Chine du 1er avril 2022 et le sommet des chefs de l'État et de gouvernement de l'OTAN en juin 2022 l'ont démontré. Le nouveau concept stratégique adopté par l'OTAN précise que l'Alliance considère que la Chine fait peser des défis systémiques sur la sécurité euro-atlantique. Les deux paragraphes consacrés à la Chine au sein du concept stratégique de l'OTAN sont reproduits dans l'encadré suivant.

La Chine dans le concept stratégique de l'OTAN

13. La République populaire de Chine affiche des ambitions et mène des politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs. Elle recourt à une large panoplie d'outils politiques, économiques et militaires pour renforcer sa présence dans le monde et projeter sa puissance. Parallèlement, elle entretient le flou quant à sa stratégie, à ses intentions et au renforcement de son dispositif militaire. Ses opérations hybrides ou cyber malveillantes, sa rhétorique hostile et ses activités de désinformation prennent les Alliés pour cible et portent atteinte à la sécurité de l'Alliance. Elle cherche à exercer une mainmise sur des secteurs technologiques et industriels clés, des infrastructures d'importance critique et des matériaux et chaînes d'approvisionnement stratégiques. Elle utilise le levier économique pour créer des dépendances stratégiques et accroître son influence. Elle s'emploie à saper l'ordre international fondé sur des règles, notamment pour ce qui concerne les domaines spatial, cyber et maritime. Le resserrement du partenariat stratégique entre la République populaire de Chine et la Fédération de Russie, ainsi que leurs tentatives, se conjuguant entre elles, qui visent à déstabiliser l'ordre international fondé sur des règles, vont à l'encontre de nos valeurs et de nos intérêts.

14. Nous demeurons disposés à interagir avec la République populaire de Chine de façon constructive, notamment au profit d'une plus grande transparence mutuelle, l'objectif étant de protéger les intérêts de sécurité de l'Alliance. Nous travaillerons ensemble de manière responsable, en tant qu'Alliés, pour répondre aux défis systémiques que la République populaire de Chine fait peser sur la sécurité euro-atlantique et pour faire en sorte que l'OTAN reste durablement à même d'assurer notre défense et notre sécurité. Nous affinerons notre connaissance commune des enjeux, renforcerons notre résilience, relèverons notre niveau de préparation, et nous prémunirons contre les procédés coercitifs employés par la République populaire de Chine ainsi que contre ses tentatives visant à diviser l'Alliance. Nous défendrons les valeurs que nous partageons, de même que l'ordre international fondé sur des règles, y compris la liberté de navigation.

Source : Concept stratégique 2022 de l'OTAN, adopté par les chefs d'État et de gouvernement au sommet de Madrid le 29 juin 2022 et publié à l'adresse suivante : https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2022/6/pdf/290622-strategic-concept-fr.pdf

La stratégie indopacifique de l'UE énumère ses objectifs prioritaires. La défense de l'ordre international, le développement économique, la sécurité et la défense, le développement numérique, la connectivité et la transition écologique sont placés au coeur des priorités. L'Union entend ainsi développer dans l'Indopacifique des relations visant à remplir les huit priorités suivantes (l'ordre dans lequel elles sont énumérées, respecte celui retenu par l'Union) :

- consolider et défendre l'ordre international fondé sur des règles, en promouvant une coopération multilatérale inclusive et efficace, fondée sur des valeurs et des principes communs, y compris la volonté de respecter la démocratie, les droits de l'homme et l'État de droit ;

- promouvoir des conditions de concurrence équitables et un environnement ouvert et juste pour le commerce et les investissements ;

- contribuer à atteindre les objectifs de développement durable (ODD), à lutter contre le changement climatique et la dégradation de l'environnement terrestre et marin et à soutenir un développement socio-économique durable et inclusif ;

- entamer une coopération bilatérale et multilatérale avec les partenaires en vue d'atteindre les objectifs de l'accord de Paris sur le changement climatique et de la convention sur la diversité biologique (CDB) ;

- poursuivre la coopération multilatérale et régionale de longue date de l'UE avec les Nations unies et les institutions de Bretton Woods, ainsi qu'avec les organisations régionales telles que l'Asean et l'Union africaine dans l'océan Indien occidental ;

- soutenir une élaboration des politiques et une coopération véritablement inclusives, dans le cadre desquelles les avis de la société civile, du secteur privé, des partenaires sociaux et des autres parties prenantes essentielles comptent ;

- établir avec la région des relations commerciales et économiques mutuellement profitables qui favorisent une croissance économique inclusive et la stabilité, et qui promeuvent et facilitent la connectivité ;

- et intervenir dans la région en tant que partenaire, dans le cadre d'efforts visant à sensibiliser à l'incidence des tendances démographiques qui se dessinent au niveau mondial.

La prééminence donnée aux valeurs est réaffirmée puisque la communication communautaire précise que l'UE utilisera le dialogue mais aussi les sanctions pour les défendre. Elle « continuera à défendre constamment les droits de l'homme et la démocratie et à recourir à tous les outils dont elle dispose, à savoir les dialogues et les consultations politiques et ceux qui sont consacrés aux droits de l'homme, les préférences commerciales et l'intégration des considérations relatives aux droits de l'homme dans l'ensemble de ses politiques et programmes. Elle continuera à utiliser son régime de mesures restrictives (sanctions) contre les personnes, entités et organismes qui sont responsables de graves violations des droits de l'homme ou de graves atteintes à ces droits dans le monde, qui sont impliqués dans de telles violations ou atteintes ou qui y sont associés. Dans les enceintes internationales, l'UE collaborera avec les partenaires de la région indopacifique partageant ses valeurs pour repousser toute initiative portant atteinte aux droits de l'homme inscrits dans le droit international coutumier et dans les instruments internationaux en matière de droits de l'homme.

En priorité, l'UE continuera à soutenir la pleine jouissance par les femmes et les filles de leurs droits fondamentaux et l'égalité entre les hommes et les femmes, en donnant à ces dernières les moyens de participer activement aux processus décisionnels civiques et politiques et en oeuvrant à l'élimination de toutes les formes de violence dirigées contre elles.

L'UE continuera également à soutenir les mesures visant à lutter contre toutes les formes de discrimination ainsi que les droits des minorités ethniques et religieuses et à plaider en faveur de l'abolition de la peine de mort, qui est toujours d'actualité dans plusieurs pays de la région indo-pacifique. L'UE promouvra également le travail décent et le respect des normes internationales du travail de l'OIT, en vue d'éliminer le travail des enfants et le travail forcé dans les chaînes d'approvisionnement mondiales.

Enfin, l'UE continuera à promouvoir le respect du droit international humanitaire. Elle continuera à prôner l'accès humanitaire et à apporter une aide vitale aux personnes qui en ont besoin. Elle favorisera des solutions durables aux situations à grande échelle et de longue durée impliquant des réfugiés, telles que la crise des Rohingyas et celle qui touche l'Afghanistan » 79(*).

Ce positionnement affirmé en faveur des valeurs devrait être réaffirmé dans le cadre des accords de libre-échange. Le respect des droits de l'homme constitue un élément essentiel des relations que l'UE entretient avec les pays tiers et les institutions internationales. La clause dite « droits de l'Homme » insérée dans les accords internationaux signés par l'UE avec les États tiers conditionne la mise en application d'un accord international au respect des droits fondamentaux et des principes démocratiques. Elle fut utilisée pour la première fois dans les accords de la Convention de Lomé de 1991 avec les pays de l'Afrique du Pacifique et des Caraïbes, communément appelés accords UE-ACP. Il est souhaitable que les accords commerciaux et de partenariats établis par l'Union européenne dans le cadre de sa stratégie indopacifique préservent ce principe.

Les régimes autoritaires et bafouant les droits de l'homme n'ont pas vocation à obtenir de partenariats privilégiés avec l'UE. Il apparaît toutefois que l'Union, qui soumet les accords qu'elle passe avec des pays tiers au respect des conventions onusiennes et de l'organisation internationale du travail, peine à faire respecter les conditions édictées, qu'elles soient dans le domaine des droits de l'homme ou dans celui plus récent de la protection de l'environnement. Il a ainsi été long et complexe d'aboutir au retrait partiel de l'accord commercial « Tout Sauf Les Armes » en 202080(*) « suite à de multiples violations des droits humains dans le Cambodge contemporain post-génocidaire » 81(*). La situation de la Birmanie dirigée par la junte depuis le coup d'État du 1er février 2021 pose également de réelles questions. Le pays sous l'administration d'Aung San Suu Kyi ne s'est pas vu opposé les conditions de son accord avec l'UE, mais la volonté de ne pas fragiliser cette démocratie renaissante ne peut s'appliquer à la junte. Dès lors, la non opposition des conditions en vue d'un retrait partiel ou complet de l'accord commercial « Tout Sauf Les Armes » fragilise le dispositif communautaire.

Enfin, la stratégie indopacifique de l'UE prend en considération la dynamique et les spécificités sous-régionales. L'océan Indien, qualifié de porte d'entrée de l'Europe dans la région indopacifique, l'Asean, dont la centralité dans l'indopacifique est soulignée, et les pays du Pacifique font l'objet de développements spécifiques et d'annonces opérationnelles présentées dans l'encadré suivant. Cette distinction de zones au sein de l'Indopacifique et de priorités au sein de chacune d'entre elles correspond à l'approche que préconise ce rapport pour la stratégie indopacifique française.

Les dispositions prévues par la stratégie indopacifique de l'UE pour l'océan Indien, l'Asean et les pays du pacifique

L'océan Indien est le principal passage de l'Europe à destination et en provenance des marchés de la région indo-pacifique. La stabilité et la liberté de navigation dans cette zone sont donc essentielles. L'UE est déterminée à aider ses partenaires de l'océan Indien à relever les différents défis auxquels ils sont confrontés, tels que les effets du changement climatique qui s'intensifient, la pollution marine et la perte de biodiversité ou les activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Elle peut déjà s'appuyer sur un solide réseau de partenariats pour ce faire. L'UE s'emploiera à devenir un partenaire des communautés économiques régionales, soutiendra les efforts visant à renforcer la Commission de l'océan Indien, poursuivra la mise en oeuvre de ses accords de partenariat économique avec ses partenaires africains dans la région et oeuvrera à la conclusion d'un nouvel accord de partenariat économique (APE) avec la Communauté de l'Afrique de l'Est. Parmi ces partenariats figurent l'Union africaine (UA), la Commission de l'océan Indien, l'Association des États riverains de l'océan Indien, la Communauté de développement de l'Afrique australe (CDAA), le Marché commun de l'Afrique de l'Est et de l'Afrique australe (COMESA), la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE), l'Autorité intergouvernementale pour le développement et l'Association sud-asiatique de coopération régionale.

En plus de 40 ans, l'UE et l'Asean ont établi entre elles un partenariat dynamique et multiforme. Ce partenariat stratégique porte sur des questions politiques, économiques, environnementales, climatiques et socioculturelles, ainsi que sur la sécurité et la connectivité. L'UE apprécie l'attachement de l'Asean à un multilatéralisme effectif et soutient le principe de centralité de l'Asean, ses efforts pour construire une architecture régionale fondée sur des règles et l'ancrage multilatéral qu'elle apporte. Elle soutient également le processus mené par l'Asean en vue de l'établissement d'un code de conduite en mer de Chine méridionale qui soit efficace, concret et juridiquement contraignant et qui ne porte pas atteinte aux intérêts des tiers. La coopération entre l'UE et l'Asean intègre aussi les questions de sécurité, notamment dans le cadre du Forum régional de l'Asean (FRA). Le 14 décembre 2022 s'est tenu le premier sommet entre l'UE et l'Asean, commémorant 45 ans de relations diplomatiques des deux organisations régionales. Il a été l'occasion d'annoncer un engagement de 10 Mds€ jusqu'en 2027 pour des investissements européens dans les infrastructures de l'Asean, essentiellement au profit de projets verts et de connectivité. Un plan visant à mettre en oeuvre le partenariat stratégique Asean-UE pour les années 2023 à 202782(*).

L'UE a établi un partenariat durable avec la région du Pacifique, qu'elle cherche à renforcer au moyen de l'accord de partenariat avec l'Organisation des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui succédera à l'accord de Cotonou. Avec l'accord de partenariat économique de l'UE avec les États du Pacifique, cet accord ouvrira la voie à un renforcement des relations politiques et stratégiques sur la base de valeurs et d'objectifs communs. Outre ses partenariats avec les pays ACP, l'UE entretient des relations étroites et un dialogue politique avec tous les États insulaires du Pacifique et coopère étroitement avec le Forum des îles du Pacifique, la Communauté du Pacifique et d'autres membres du Conseil des organisations régionales du Pacifique.

Source : Communication conjointe au Parlement européen et au Conseil, « La stratégie de l'UE pour la coopération dans la région indo-pacifique » précitée

Cette approche géographique n'est pas incompatible avec une approche thématique transversale. Ainsi, des objectifs concrets ont été définis et sont déclinés concrètement dans les sept domaines thématiques prioritaires définis par l'Union :

- la prospérité durable et inclusive : l'UE a conclu des accords bilatéraux de partenariat et de coopération (APC) avec bon nombre de ses partenaires de la région et a mené à bien des négociations en vue d'un nouvel accord de partenariat avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Elle a l'intention de conclure de nouveaux APC avec la Malaisie et la Thaïlande et d'entamer des négociations en ce sens avec les Maldives dans un avenir proche. Elle a également conclu nombre d'accords de libre-échange notamment avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande (30 juin 2022). L'UE a repris des négociations commerciales et ouvert des négociations sur les investissements avec l'Inde le 27 juin (deux autres cycles de négociation se sont tenus en 2022) et entend faire progresser un accord de libre-échange avec l'Asean, avec lequel elle a tenu un premier sommet le 14 décembre 2022. Les discussions ont repris avec l'Indonésie, et devraient progresser au cours de l'année 2024, mais les sujets de concertation sont nombreux et complexes. Enfin, un accord global de transport aérien (CATA) entre l'UE et les pays de l'Asean a été signé en octobre 2022. L'Union entend coopérer avec les partenaires de la région indopacifique afin de mettre en place des chaînes de valeur mondiales plus résilientes et plus durables en diversifiant ses relations commerciales et économiques et en élaborant des normes et réglementations technologiques conformes à ses valeurs et à ses principes ;

- la transition écologique : le but recherché est la conclusion d'alliances et de partenariats verts avec les pays de la région indopacifique ayant la volonté et l'ambition de lutter contre le changement climatique et la dégradation de l'environnement ;

- la gouvernance des océans : est annoncé un soutien accru de l'UE aux systèmes de gestion et de contrôle des pêches des pays de l'IP, à la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), et à la mise en oeuvre d'accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable. L'UE est devenue membre de la Commission des pêches du Pacifique Nord afin de contribuer à la gestion durable des stocks de poissons et de renforcer les efforts de lutte contre l'INN ;

- la gouvernance et les partenariats numériques : l'Union doit examiner la possibilité de conclure de nouveaux accords de partenariat numérique. La coopération en matière de recherche et d'innovation dans le cadre d'Horizon Europe va être approfondie et la possibilité d'adhésion à ce programme par des partenaires de l'IP éligibles et attachés aux mêmes valeurs, tels que l'Australie, le Japon, la République de Corée, la Nouvelle-Zélande et Singapour va être examinée. Le 22 février, une déclaration commune à l'UE et neuf pays de l'Indopacifique (Australie, Comores, Inde, Japon, Maurice, Nouvelle-Zélande, République de Corée, Singapour et Sri Lanka) sur la vie privée et la protection des données personnelles a été annoncée. Les Philippines et la Thaïlande l'ont depuis rejointe. Le 12 mai, les dirigeants de l'UE et du Japon ont lancé un partenariat numérique afin de faire progresser la coopération sur un large éventail de questions liées au numérique et de contribuer à la réussite de la transformation numérique, synonyme de solidarité, de prospérité et de durabilité ;

- la connectivité : des partenariats de connectivité avec le Japon et l'Inde sont mis en oeuvre. Sont prévus la mobilisation des fonds nécessaires à l'amélioration de la connectivité sur le terrain entre l'Europe et la région IP et le soutien des partenariats dans le cadre de la mise en place d'un environnement réglementaire approprié. Dans le contexte de la stratégie «Global Gateway», l'UE a annoncé lors de son sommet avec l'Asean le 14 décembre 2022 « l'initiative de l'Équipe Europe » pour une connectivité durable, afin de renforcer la coopération entre l'UE et l'Asean ;

- la sécurité et la défense : sont à l'étude des moyens permettant de renforcer les déploiements navals par les États membres de l'UE afin de contribuer à protéger les lignes maritimes de communication et la liberté de navigation dans la région IP, tout en renforçant la capacité des partenaires de la région à assurer la sécurité maritime. Le 21 février 2022, le Conseil a approuvé l'extension du concept de présence maritime coordonnée (PMC) au nord-ouest de l'océan Indien. L'opération Atalanta de l'Eunavfor a mené avec succès des exercices navals conjoints avec des partenaires de l'Indopacifique : l'Inde, le Japon et la République de Corée. L'UE annonce également vouloir organiser davantage d'exercices conjoints et d'escales avec ses partenaires indopacifiques, y compris des exercices multilatéraux ;

- la sécurité humaine : le renforcement du soutien aux systèmes de soins de santé et à la préparation aux pandémies en faveur des pays les moins avancés de la région IP passera par l'intensification de la recherche collaborative sur les maladies transmissibles dans le cadre du programme de recherche Horizon Europe ;

- enfin, des actions concrètes ont été menées vers les DROM-COM. La nouvelle décision d'association outre-mer, y compris le Groenland (DOAG) alloue une enveloppe de 500 M€ pour la période 2021-202783(*). La Nouvelle-Calédonie bénéficiera ainsi de 30,9 M€ pour sa transition énergétique, la Polynésie française de 31,1 M€ et Wallis et Futuna de 20,4 M€ pour gestion de l'eau et l'assainissement, le programme régional dédié aux systèmes alimentaires durables de 36 M€, les TAAF de 4 M€ pour l'amélioration de la gouvernance des océans, soit 122,4 M€ déjà programmés. L'aide de l'Union en faveur des PTOM, précédemment financée par le Fonds européen de développement (FED), sera désormais financée sur le budget général de l'Union.

Cette approche par objectifs pose deux questions de cohérence :

- celle de la cohérence des États membres entre eux, la posture vis-à-vis de la Chine peine à faire l'objet d'un consensus, mais cela peut aussi être le cas de certaines politiques sectorielles, notamment dans le domaine de la défense de l'environnement ;

- et celle de la cohérence des actions et politiques européennes intrinsèquement et entre elles. L'ambition d'aboutir à un accord de libre-échange conclu entre l'Asean et l'UE ne risque-t-elle pas ainsi de se heurter à la coexistence d'une multitude d'accords entre l'Union et les pays membres de l'Asean. Certains ont signé des accords commerciaux, d'autres bénéficient de régimes préférentiels. Comment seront-ils harmonisés ? De même, l'articulation des Initiatives européennes, telles que celle sur la connectivité, des stratégies telles que celle pour l'Indopacifique et des programmes tels que le Global Gateway n'est pas toujours évidente. Il semble parfois qu'on veuille faire un ensemble cohérent de politiques pensées pour atteindre un but précis et autonome, qu'on cherche à faire coïncider un instrument communautaire avec deux objectifs, dont l'un est ajouté après la conception de la politique en question. Cela s'avèrera rarement optimal.

À l'initiative de la France, pendant qu'elle assurait la présidence du Conseil de l'Union européenne, s'est tenu le 22 février 2022, un forum ministériel indopacifique à Paris pour la coopération dans la région IP. Coprésidé par Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne et haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ce forum a réuni une soixantaine de participants de l'UE et de l'IP. Il a été un lieu de réflexion et d'échange pour construire une vision commune. Il illustrait aussi, par le choix fait de n'inviter ni les États-Unis ni la Chine, l'ambition de l'Union européenne d'offrir une voie alternative.

À cette occasion, l'UE a souligné l'importance de consolider les Initiatives Équipe Europe telles que l'Alliance verte et bleue pour le Pacifique et le Timor-Leste. Elle a également annoncé une augmentation de sa contribution à l'initiative KIWA, que financent déjà des pays de l'Indopacifique (Australie, Nouvelle-Zélande), afin de renforcer l'adaptation des territoires aux effets néfastes du changement climatique et de préserver le caractère unique de la biodiversité dans l'océan Pacifique. Les ministres et les représentants de l'UE présents ont mis en avant le projet Varuna et l'initiative MarEco, tous deux soutenus par l'AFD, qui visent une meilleure gestion des écosystèmes et des ressources marines, ainsi que la promotion d'une économie bleue durable. Il paraît essentiel que ce forum ministériel indopacifique soit pérennisé et devienne un rendez-vous annuel, mais comme cela a déjà été souligné, la cohérence entre les États membres de l'Union n'est pas telle que cette annualité soit assurée. La France devra en la matière faire oeuvre de pédagogie et de persuasion.

Enfin, pendant la présidence française du Conseil, en mars 2022, l'Union a adopté sa stratégie de sécurité et de défense, dite Boussole stratégique. Elle rappelle être « un défenseur fervent d'un multilatéralisme effectif » 84(*), cherchant « à mettre en place un ordre international ouvert fondé sur des règles, sur la base des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des valeurs universelles et du droit international ». Elle prend acte que cette vision du multilatéralisme qui a prévalu au niveau international après la fin de la guerre froide « est aujourd'hui fortement remise en cause, via la mise à bas de valeurs universelles et une utilisation déséquilibrée des défis mondiaux, par ceux qui promeuvent une approche souverainiste stricte constituant en réalité un retour aux politiques de rapports de force. La réalité internationale actuelle repose sur la combinaison de plusieurs dynamiques, un nombre croissant d'acteurs cherchant à étendre leur espace politique et à remettre en cause l'ordre de sécurité » 85(*).

La Boussole stratégique représente une avancée par rapport aux précédents documents publiés par l'UE, tel que le Livre blanc sur l'avenir de l'Europe de 2017 qui proposait des réflexions et scénarios pour l'UE-27 à l'horizon 2025. Il était encore envisagé dans les scénarii exposés que l'Union se cantonne au seul périmètre de marché unique, comme si elle avait la possibilité de s'extraire de sa réalité géostratégique pour se limiter au commerce.

La Boussole stratégique décrit l'ère de rivalité stratégique actuelle, et de l'impression qui se dégage à la lecture du document est que l'Union a pris conscience à la fois du risque d'être « sévèrement déclassée au niveau mondial » 86(*) et de l'absolue nécessité de se préparer à faire face aux menaces. Josep Borrell, haut représentant de l'UE, estime ainsi que l'Union doit « apprendre à parler la langue du pouvoir » 87(*).

Pour cela l'Union européenne nomme et analyse la politique chinoise dans l'Indopacifique. Unité forte des membres de l'Union et partenariats sont mis en avant pour réagir aux politiques chinoises de recherche de puissance : « Le développement de la Chine et son intégration dans sa région, et dans le monde entier, marqueront le reste de ce siècle. Nous devons veiller à ce que cela se fasse d'une manière qui contribue à maintenir la sécurité mondiale et qui ne soit pas contraire à l'ordre international fondé sur des règles ainsi qu'à nos intérêts et à nos valeurs. Pour ce faire, une unité forte entre nous et une collaboration étroite avec d'autres partenaires régionaux et mondiaux sont nécessaires » 88(*).

L'Union articule sa Boussole stratégique et sa stratégie pour la région indopacifique, défend le principe de libre circulation maritime, développe ses coopérations dans le domaine de la sécurité dans la zone indopacifique, participe à des exercices conjoints et dialogue avec la Chine, qui est ainsi clairement désignée comme une force potentiellement déstabilisatrice de l'ordre régional et mondial : « Dans le cadre de la stratégie de l'UE pour la région indo-pacifique, nous nous efforcerons de promouvoir une architecture de sécurité régionale ouverte et fondée sur des règles, notamment des voies de communication maritimes sûres, un renforcement des capacités ainsi qu'une présence navale renforcée dans la région indo-pacifique. Nous avons déjà des consultations constructives en matière de sécurité et de défense et une coopération en matière de sécurité avec des pays de la région indo-pacifique tels que le Japon, la République de Corée, l'Inde, l'Indonésie, le Pakistan et le Vietnam. Nous sommes déterminés à travailler avec des partenaires partageant les mêmes valeurs dans le cadre d'une coopération opérationnelle sur le terrain, en particulier lorsque ces efforts soutiennent les structures et initiatives régionales de paix et de sécurité. L'UE a mené une série d'exercices navals conjoints et d'escales, en dernier lieu avec le Japon, la République de Corée, Djibouti et l'Inde. Ces exercices réels deviendront une pratique courante et nous aideront à faire en sorte que la région indo-pacifique soit sûre et ouverte. Nous poursuivrons le dialogue et les consultations avec la Chine lorsque cela relève de nos intérêts, en particulier sur des questions telles que le respect du droit international de la mer, un règlement pacifique des différends et un ordre international fondé sur des règles et les droits de l'homme » 89(*).

Enfin, l'Union européenne annonce collaborer avec l'Asean « pour renforcer l'appréciation conjointe de la situation et l'échange d'informations sur l'extrémisme violent, les menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, la cybersécurité, la sûreté maritime, la criminalité transnationale, l'aide humanitaire et les secours en cas de catastrophe et la gestion de crises »90(*). L'Union entend se donner les moyens de devenir membre à part entière de la réunion élargie des ministres de la défense de l'Asean, en saisissant « toutes les occasions de participer à des activités d'appréciation conjointe de la situation avec l'Asean et de contribuer aux efforts déployés par celle-ci pour mettre en place des arrangements panasiatiques en matière de sécurité »91(*) et en travaillant « dans le cadre du Forum régional de l'Asean, (...) à accroître notre contribution en matière de sécurité et notre présence dans la région indo-pacifique » 92(*).

La Boussole stratégique poursuit la logique d'appropriation de l'enjeu indopacifique par l'Union européenne. Elle est sans doute moins directement opérationnelle que la stratégie indopacifique, mais elle démontre que les 27 États membres approfondissent leur investissement stratégique et estiment que l'IP est un champ essentiel pour l'avenir de l'Union européenne.

La stratégie de l'Union européenne pour la coopération dans la région indopacifique semble donc s'ancrer. Il est important qu'elle vise, comme la stratégie indopacifique française, à se traduire par des opérations concrètes, des budgets et des objectifs temporels. L'évaluation de la stratégie à intervalles réguliers permettrait de s'assurer de la cohérence de cette politique européenne qui pourrait être rattrapée par la réalité stratégique de la zone indopacifique : « c'est aujourd'hui moins la disparition de l'engagement de l'UE dans l'Indopacifique qui est en jeu, que sa quête d'une voie autonome, à l'heure où elle bascule, elle aussi, dans la vision d'une confrontation inéluctable entre ` démocraties ` et ` autocraties' » 93(*).

Recommandation : Renforcer la cohérence de la stratégie de l'UE, qui pèche par manque d'articulation des politiques sectorielles entre elles, par inadéquation des objectifs des pays membres entre eux, et par non-application des conditionnalités posées. Il conviendrait d'évaluer régulièrement la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique en contrôlant son avancée, en veillant à ce que les budgets correspondant aux ambitions soient prévus et soient exécutés à bon rythme, sans enlisement ni bureaucratie excessive. La cohérence de la stratégie indopacifique européenne s'évaluera à sa capacité à s'adapter aux ambitions de puissance assumées de la Chine qui rendent plus difficile l'existence d'une troisième voie autonome.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 25 janvier 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de MM. Cédric Perrin et Rachid Temal rapporteurs, et de MM. Hugues Saury, Jacques Le Nay, André Gattolin et Joël Guerriau, membres du groupe de travail, sur « La place de la France dans la région indopacifique ».

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le rapport d'information de nos collègues Cédric Perrin, Rachid Temal, Hugues Saury, Jacques Le Nay, André Gattolin et Joël Guerriau sur la place de la France dans la région indopacifique.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Peu à peu le terme d'« Indopacifique » s'est imposé comme le cadre de conception de l'action géostratégique des pays qui l'adoptent à mesure que l'importance économique et géostratégique de cette vaste zone se renforce. Centre névralgique de la planète, l'Indopacifique est devenu incontournable et le sera plus encore dans vingt ans.

Cette zone recouvre entre les deux tiers et la moitié de la surface du globe terrestre, et héberge de 60 à 75 % de la population mondiale selon la délimitation retenue. C'est le lieu où la création de richesses est la plus rapide, avec six membres du G20 présents dans la région : la Chine et l'Inde - qui ont les produits intérieurs bruts (PIB) les plus dynamiques de la planète -, la Corée du Sud, l'Indonésie, le Japon et l'Australie. L'Indopacifique génère aujourd'hui près de 40 % de la richesse globale et pourrait représenter plus de 50 % du PIB mondial en 2040 selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Au moins la moitié du fret mondial transite par cette zone qui concentre l'essentiel des réserves mondiales de matières premières critiques : 85 % du lithium, 75 % du nickel et 75 % des réserves de cuivre. La dépendance de l'Union européenne (UE) en la matière est alarmante ; en 2020, elle s'élevait à 95 % sur trente métaux critiques. La place de la Chine sur le marché des matières premières critiques est prépondérante : près de 90 % des terres rares et 60 % du lithium sont traités dans le pays. La Nouvelle-Calédonie détient quant à elle 20 % des réserves mondiales de nickel.

Dans vingt ans, le G3 devrait regrouper les États-Unis, la Chine et l'Inde. D'ici là, le PIB et les dépenses de défense de la Chine seront probablement équivalents à ceux des États-Unis. La population indienne devrait bientôt être supérieure à celle de la Chine et le PIB de l'Inde devrait se hisser au troisième rang mondial. L'ordre précis du trio de tête reste discuté mais pas sa composition. À ces pays s'ajouteront, dans un ordre qui peut varier, le Japon, l'Indonésie - dont le PIB pourrait dépasser celui du Japon d'ici 2040 - et l'Union européenne. La pandémie de coronavirus et les ruptures de chaînes de valeurs qui en ont découlé ont remis au coeur des débats les questions de souveraineté économique. Mais ces stratégies se heurtent à la difficulté de relocaliser les productions, aux volontés de prix bas des consommateurs, de maximisation des chaînes de valeur des entreprises et aux avantages comparatifs des pays de la zone indopacifique - notamment la concentration de la production des semi-conducteurs à Taïwan, et des molécules de base de l'industrie pharmaceutique en Chine et en Inde.

M. Rachid Temal, rapporteur. - Les cartes qui sont projetées montrent bien la nécessaire révolution copernicienne de l'Europe, passant du centre du monde à sa périphérie. L'espace atlantique est désormais en périphérie du centre névralgique de la planète. L'Europe, et avec elle le territoire métropolitain de la France, qui se sont longtemps pensé comme centre du monde, se situent dans la très lointaine périphérie de l'Indopacifique. Paris est à plus de 16 000 kilomètres de Nouméa - 21 heures et demi de vol -, à plus de 15 000 kilomètres de Papeete - 18 heures de vol -, à plus de 12 000 kilomètres de Port-aux-Français - îles Kerguelen ; 16 heures de vol - et à plus de 9 000 kilomètres de Saint-Denis - 11 heures et demi de vol. En outre, il faut 43 jours en naviguant à 12 noeuds pour aller d'un bord à l'autre de l'Indopacifique. Les cartes utilisées pour illustrer la stratégie de défense française en Indopacifique montrent à la fois l'immensité de la région, son éloignement de la métropole, la dispersion des territoires français qui s'y trouvent et leur relatif isolement.

On peut se demander si la zone indopacifique, dans son acception la plus large allant de la côte orientale de l'Afrique à la Polynésie française en passant par les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), est un cadre d'analyse opérant compte tenu de son ampleur. Ce cadre coïncide avec la stratégie mondiale de certains acteurs tels les États-Unis, et la volonté ou la nécessité de recentrer les cartes du monde sur l'Asie. Dans ce contexte, chaque pays aura la tentation de définir un espace indopacifique qui serve au mieux ses intérêts, ses représentations et ses ambitions.

Le pivot asiatique des États-Unis, décidé par l'administration Obama, s'appuie sur une présence militaire forte de nombreux points d'appui - Guam, Diego Garcia, Darwin, Okinawa, les bases de Pyeongtaek en Corée du Sud, Subi Baya et Clark aux Philippines - et sur sa puissance navale. La stratégie américaine, dite Free and Open Indo-Pacific (FOIP), est fondée sur la promotion de valeurs partagées et sous-tendue par l'affirmation d'une volonté d'influence stratégique majeure dans la zone. Elle recouvre aussi un objectif d'endiguement de l'influence chinoise, assumé par les États-Unis. Ce positionnement de défiance affiché à l'égard de la Chine a longtemps limité l'adhésion des pays de la zone qui ne souhaitaient pas se trouver pris dans une logique de blocs, ni être entrainés dans l'affrontement sino-américain de plus en plus frontal. En témoignent la guerre commerciale et douanière que se livrent les deux pays et les multiples tensions qui se manifestent autour de Taïwan. D'autres stratégiques indopacifiques, dont celles de la France et de l'UE, proposent une troisième voie dite d'équilibre.

Une première question se pose : sans vision commune, les acteurs de l'Indopacifique peuvent-ils coopérer ? Basée sur la conception la plus large de l'Indopacifique, qui correspond à ses implantations et intérêts et se présentant comme une troisième voie entre les États-Unis et la Chine, la stratégie française ne perd-elle pas en lisibilité pour les acteurs de la zone qu'elle entend fédérer autour d'elle ? N'est-elle pas affaiblie par la multiplicité de ses orientations ? Peut-elle répondre aux attentes de chaque partenaire stratégique, demandeurs de sécurité pour les uns, de développement économique pour les autres, d'actions de protection de l'environnement ? La stratégie française ne choisit ni l'espace géographique - qu'elle conçoit comme maximaliste - ni les secteurs d'action - qu'elle souhaite tous embrasser. Elle ne sélectionne pas plus ses partenaires, souhaitant collaborer avec tous. Si un temps un triangle de grands partenaires stratégiques s'était dessiné avec le Japon, l'Australie et l'Inde, Aukus, la relance du format QUAD (Quadrilateral Security Dialogue), le souhait de rapprochement de l'OTAN du Japon, et la non-condamnation de la Russie par l'Inde ont fragilisé cette architecture. Les partenariats se multiplient, au gré des exportations d'armement, ou d'autres opportunités. S'il n'en faut refuser aucune tant qu'elle est favorable aux intérêts français, l'éparpillement qui en résulte ne nuit-il pas à la lisibilité de la stratégie française ? Et cette stratégie n'est-elle pas contrainte d'évoluer pour s'adapter au plus grand défi de l'Indopacifique : la place de la Chine ? Cela m'amène à notre première recommandation : réaffirmer une position française forte et réaliste face aux nouvelles ambitions agressives de la Chine.

Les différentes conceptions de l'Indopacifique ne traitent pas de la question de la Chine directement. La plupart d'entre elles, et celle de la France ne fait pas exception, énumèrent les partenariats souhaités et ignorent « l'éléphant dans la pièce », c'est-à-dire la Chine dont le poids et la politique sont essentiels dans la zone indopacifique.

Dans la stratégie de la France pour l'Indopacifique, les revendications territoriales chinoises ne sont nommées que de façon très prudente, ainsi que sa rivalité avec les États-Unis, mise au même niveau que sa rivalité avec l'Inde - pourtant bien moins structurante, à ce jour, pour l'Indopacifique. Ces revendications territoriales de la Chine ont d'ailleurs fait l'objet d'une condamnation par la Cour permanente d'arbitrage (CPA) de La Haye, en 2016. Les revendications chinoises dites « ligne en neuf traits » sur la mer de Chine méridionale ont bien été déboutées ; pourquoi ne pas le dire ? La stratégie de la France s'arrête à la réaffirmation de l'attachement de notre pays à un ordre multilatéral fondé sur le droit, attachement partagé par l'Inde, l'Australie, le Japon et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). La condamnation des positions chinoises nuirait à la stratégie de troisième voie, voie d'équilibre ou de stabilisation pour reprendre les termes de la stratégie indopacifique. Mais celle-ci est-elle tenable face aux réalités de l'Indopacifique et aux ambitions chinoises ?

Les pays de l'ASEAN, le Japon, l'Inde et l'Australie défendent la même autonomie et refuseraient de s'impliquer dans la rivalité sino-américaine, selon le document français. Toutefois, les positions japonaise et australienne sont sans doute plus ambiguës, en témoignent le QUAD, Aukus et les accords de défense liant ces pays aux États-Unis. L'objectif politique français nous amène, selon les analystes, à « surjouer une différence d'approche, en partie artificielle, avec les pays anglo-saxons tout en favorisant les exportations d'armes vers certains pays comme l'Inde, les Émirats arabes unis et l'Indonésie, qui restent l'un des moteurs, bien que non assumé, de la politique étrangère française dans la région ».

Pourtant, cette « troisième voie » française n'a pas convaincu l'Australie qui a renoncé au partenariat stratégique conclu avec la France et à la fourniture des sous-marins de la classe Barracuda. Le discours français est parfois contre-productif auprès de certains de ses partenaires : la position de notre pays paraît ambiguë, et nos ambitions d'être une puissance d'équilibre ne sont pas en adéquation avec notre poids réel, ce qui pose in fine des questions sur la crédibilité même de la stratégie française. Enfin, être une puissance d'équilibre, si l'on s'en donnait les moyens, n'est possible que si la situation le permet. Or, la politique et les ambitions chinoises fragilisent l'équilibre indopacifique. L'aspiration au statut de puissance internationale de la Chine se manifeste par une stratégie planifiée dans le temps long par le parti communiste chinois (PCC), visant à la doter du statut de première puissance mondiale d'ici 2050, année du centenaire de la création de la République populaire de Chine, comme le soulignait le rapport de nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda. Le XXe congrès du PCC, qui s'est tenu en octobre 2022, a été l'occasion d'un nouveau durcissement des positions chinoises : la légitimité du parti repose désormais sur la promesse du rétablissement du rang impérial de la Chine, garanti par Xi Jinping.

Dans ce contexte, la France devra réaffirmer une position ferme si les aspirations chinoises sont défavorables aux intérêts français et aux valeurs qu'elle défend, tels le multilatéralisme, la libre navigation, l'État de droit et les droits de l'homme. La stratégie française doit tenir compte du positionnement chinois, de son agenda et de sa volonté de s'affirmer en première puissance mondiale, et définir une réponse forte et réaliste.

M. Hugues Saury, rapporteur. - Ce deuxième volet s'attache à déterminer des zones d'actions spécifiques au sein de la stratégie indopacifique. Du fait de l'immensité de cet espace, qui couvre 50 % de la surface terrestre et abrite les trois quarts de la population mondiale, il est vain de le considérer comme une entité uniforme. La lisibilité de la stratégie indopacifique gagnerait à distinguer des zones en son sein. En cela, il s'agit ici, de prendre en compte la diversité des États qui la composent, la disparité de leurs priorités et les intérêts de la France dans ces différentes parties du monde.

Il apparaît donc nécessaire de différencier quatre zones pour structurer et rendre plus opérationnelle la stratégie française.

La première zone correspond à l'océan Indien occidental qui englobe les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises, La Réunion, Mayotte, le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, la côte occidentale de l'Inde. La vision indopacifique française qui s'étend aux côtes africaines et au nord-ouest de l'océan Indien apparaît parfois peu lisible aux yeux des pays qui revendiquent leur centralité dans l'Indopacifique, notamment les pays de l'ASEAN. La tyrannie des distances s'impose puisque 6 500 kilomètres séparent Jakarta du nord-ouest de l'océan Indien. Les États-Unis n'incluent d'ailleurs pas ces zones dans leur stratégie indopacifique, mais reconnaissent à la France un rôle de maintien de la sécurité à jouer dans ces secteurs. Il n'est pas exclu que cela serve ainsi le dessein américain d'accentuer son pivot stratégique asiatique en incitant d'autres pays à intervenir au large des côtes du Moyen-Orient - Yemen et Oman. La France a ici une place particulière à tenir, où sa légitimité est reconnue, notamment grâce à ses forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), et ses deux forces de présence que sont les forces françaises basées aux Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).

La deuxième zone couvre l'Indopacifique central qui s'étend de la côte orientale de l'Inde à la Nouvelle-Calédonie, en incluant l'ASEAN et en remontant jusqu'au Japon. Ces pays forment le cinquième « bloc économique » mondial et sont davantage demandeurs de développement de libre-échange que de sécurité dans l'océan Indien qu'ils assurent par eux-mêmes. La stratégie indopacifique française, basée sur la sécurité, ne correspond pas à leurs préoccupations premières. Leur thématique de sécurité concerne plus directement l'un des impensés de la stratégie française - j'y reviendrai à la fin de mon propos -, à savoir Taïwan et le risque de déstabilisation. Par ailleurs, l'inclusion de l'Inde et du Pakistan dans cette zone correspond à l'importance des échanges maritimes avec l'Inde et au rôle que pourrait prendre le port de Gwadar, basé au Pakistan et développé par la Chine, dans la circulation maritime de ce secteur.

La troisième zone se situe Pacifique Sud ; elle englobe les États du Pacifique Sud ainsi que les territoires français du Pacifique. Les États du Pacifique Sud placent la défense de l'environnement en tête des sujets d'importance ; ils sont demandeurs de protection de la biodiversité et des moyens la garantissant. Cela correspond d'ailleurs aux objectifs de la France et à la nécessité de protéger son immense zone économique exclusive (ZEE), ce qui est aujourd'hui rendu très difficile par le sous-équipement chronique des forces de souveraineté : les forces armées de la Nouvelle-Calédonie (FANC) et les forces armées en Polynésie française (FAPF). Celles-ci ne peuvent pas, de fait, couvrir une zone si vaste et répondre le cas échéant aux pillages des ressources halieutiques, ou aux démonstrations de force des puissances régionales qui testent la souveraineté française. Il arrive ainsi que notre armée ne puisse pas être présente lors du passage de navires militaires dans la ZEE française, ou qu'elles ne soient pas en mesure de répondre à plusieurs urgences concomitantes. Compte tenu de ses capacités, l'exercice de la souveraineté française sur ces zones s'en trouver fragilisé voire déconsidéré. Outre des moyens militaires adéquats, la stratégie française pour l'Indopacifique pourrait prendre en compte les spécificités du Pacifique Sud. Il s'agit notamment d'un territoire où le dialogue, dit Pacific way, prend une forme particulière basée sur la recherche permanente du consensus dans le traitement des affaires intérieures de la région. Enfin, cette zone, caractérisée par une montée des actions de la Chine, est dans l'attente de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, retrouver de la clarté semble indispensable ; y définir un cap précis, lisible, avec des échéances et des moyens serait considéré favorablement.

La quatrième zone correspond au Pacifique oriental, constitué du Sud-Est de la Polynésie française, englobant les bordures orientales de l'océan Pacifique, c'est-à-dire les côtes occidentales américaines. L'Amérique du Sud est absente de la réflexion stratégique de la France dans l'Indopacifique, laissant la zone sans « bord » oriental. Or, la Polynésie française pourrait être un hub entre l'Asie et l'Amérique dans plusieurs secteurs, notamment ceux de l'aviation civile et du numérique. D'ailleurs, la perspective de relier la Polynésie française au Chili et aux États-Unis par câbles sous-marins se précise. Dans le domaine de l'aviation civile, le projet de hub est porté par la Chine qui souhaiterait faire de la Polynésie un point de passage vers l'Amérique latine. De tels enjeux devraient pouvoir être intégrés dans la stratégie française.

Enfin, des impensés marquent encore la stratégie indopacifique française de l'ouest à l'est de la zone. Alors que celle-ci englobe le nord-ouest de l'océan Indien, elle s'appuie essentiellement sur des partenariats stratégiques avec l'Inde. La relation privilégiée - dont nous nous félicitons - qui se tisse avec ce pays doit faire l'objet d'une attention particulière. Elle ne doit toutefois pas conduire à sous-estimer l'importance du Pakistan dans l'équilibre régional, mais aussi dans l'accès aux nouvelles voies maritimes commerciales et stratégiques. Les efforts en faveur de la reconstruction d'un dialogue entre la France et le Pakistan ne doivent pas être relâchés, même si ce dialogue pose de nombreuses questions.

De même, la question de Taïwan ne doit pas être éludée. Le Sénat a adopté le 6 mai 2021 une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales oeuvrant à la sécurité et à la préservation de l'environnement telles l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Interpol, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La stratégie de la France dans l'Indopacifique pourrait renforcer certaines coopérations, notamment dans le cadre de programmes de protection de l'environnement avec Taïwan.

Enfin, j'ai précédemment évoqué la question de l'Amérique latine qui demeure une zone blanche de la politique extérieure française.

Pour conclure, nos recommandations sont donc les suivantes : décliner la stratégie indopacifique de la France en quatre sous-zones pour mieux associer les pays concernés dans l'océan Indien occidental, l'Indopacifique central, le Pacifique Sud et le Pacifique oriental ; et réduire les impensés de la stratégie, à savoir mieux intégrer le Pacifique Sud, Taïwan et l'Amérique latine à la stratégie indopacifique.

Vous l'aurez compris, ces recommandations ne se limitent pas à un découpage géographique de la zone indopacifique. Elles sont la première étape d'une nouvelle conception de la stratégie française, à la fois transversale et régionale, mais aussi plus habile, plus adaptable et surtout mieux adaptée. Ces zones vont permettre de définir des priorités et des objectifs différents, en lien avec les acteurs locaux selon chaque secteur géographique et chaque thématique. Ce zonage amorce la proposition de la mise en place d'un pilotage politique plus différencié et plus opérationnel, qui nous paraît indispensable pour que la France conserve - ou acquiert, selon les opinions - une place essentielle dans cette vaste zone aux enjeux majeurs dans le monde de demain.

M. Jacques Le Nay, rapporteur. - Lors des déplacements organisés dans le cadre de la préparation de ce rapport, de grandes différences d'appréciation sur les priorités stratégiques et les modalités d'action ont pu être notées. Elles concernaient les champs d'action de la France à mettre en avant - faut-il parler de sécurité et défense, de développement économique ou de défense de l'environnement ? -, les modalités d'intégration économique régionale des territoires ultramarins - doivent-elles aller jusqu'à Singapour ou rester dans le Pacifique Sud ? -, ou encore l'agenda de progression des objectifs français, lié par exemple à la présidence française de l'Union européenne qui ne représentait pas un enjeu pour les partenaires indopacifiques.

S'il est normal que chaque opérateur et chaque diplomate ait un prisme propre au secteur ou au pays dans lequel il exerce son action, un réel manque de lisibilité de la mise en oeuvre de la stratégie de la France pour l'Indopacifique est apparu. L'activité des opérateurs n'est pas toujours connue des services des ambassades ; ils en sont normalement informés, mais ils ne peuvent pas toujours garantir la cohérence des actions menées par les différents opérateurs ou leur visibilité.

L'Agence française de développement (AFD) est un acteur historique de l'Indopacifique puisque c'est dans les territoires ultramarins français qu'a débuté son histoire, héritière de la Caisse centrale de la France libre (CCFL) devenue la Caisse centrale de la France d'outre-mer (CCFOM). Outre l'émission de monnaie, elle s'est vue attribuer dès 1946 la capacité d'accorder des prêts aux collectivités et établissements publics ultramarins. L'AFD continue d'accompagner les départements et régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer (DROM-COM) dans leur développement économique, social et environnemental, grâce à l'adoption de la stratégie « Trois Océans » en 2019, qui vise à renforcer le rayonnement des territoires ultramarins français dans leur bassin d'appartenance - bassins atlantique, pacifique et indien. Pourtant, il semble que l'ancrage historique de l'AFD devrait céder la place à une nouvelle organisation, favorisant l'ancrage des DROM-COM qui devraient bénéficier de modalités de financement plus proches de ceux mis en oeuvre pour les collectivités territoriales par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La commission de surveillance de la CDC est dirigée par un parlementaire qui rend compte au Parlement, au moins une fois par an, des travaux réalisés en son sein, en lui communiquant un rapport sur ses débats et ses avis ; tel n'est pas le cas pour l'AFD.

Plus largement, le poids de l'AFD dans la stratégie indopacifique augmente avec sa participation au Forum ministériel pour la coopération dans l'Indopacifique et à l'initiative de rassemblement des banques de développement de l'Indopacifique en parallèle du forum - SUFIP, Substainable Finance in the Indo Pacific. L'AFD intervient dans sept des dix pays de l'ASEAN : au Cambodge, en Birmanie, en Indonésie, au Laos, aux Philippines, en Thaïlande et au Vietnam. Elle anime de fait le volet consacré au développement économique de la stratégie française pour l'Indopacifique.

Or, la question du pilotage politique de cet opérateur se pose. Le pilotage de la politique de développement solidaire est dispersé et l'AFD, dotée d'une « force de frappe » financière en constante augmentation, et d'une propension à intervenir dans un nombre de pays et sur des thématiques de plus en plus étendus, n'aligne pas toujours sa stratégie avec celle de ses tutelles. Dans son rapport sur les opérateurs de l'action extérieure de l'État, la Cour des comptes a ainsi estimé que « les outils de pilotage dont dispose le ministère de l'Europe et des affaires étrangères demeurent insuffisants pour lui permettre d'exercer une véritable tutelle stratégique, au niveau central, sur l'AFD ».

Pour résoudre ces difficultés, il apparaît nécessaire de nommer sur chacune des sous-zones de l'Indopacifique précédemment décrites, un secrétaire d'État qui serait chargé : d'être l'interlocuteur politique que réclament les territoires français de l'Indopacifique ; d'animer l'action des services et opérateurs dans le secteur géographique concerné ; de prendre les arbitrages politiques nécessaires ; d'impulser et de favoriser les coopérations entre zones de l'Indopacifique pour faire progresser les politiques indopacifiques soutenues par la France en matière d'intégration régionale de ses territoires, de protection du climat et de la biodiversité, de renforcement du multilatéralisme, et de promotion des valeurs d'État de droit et de protection des droits humains. Enfin, il appartiendrait à ces secrétaires d'État de mener une feuille de route publique, énumérant des objectifs quantifiés, dans un calendrier et avec des moyens donnés.

Ces nominations permettraient également de répondre au désir de France qu'expriment les pays riverains de l'Indopacifique, de multiplier les participations de haut niveau aux différentes fora de la zone, et d'incarner la priorité donnée par la France à l'Indopacifique. La secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou, s'est rendue en Papouasie-Nouvelle-Guinée du 22 au 23 novembre 2022, puis au Vanuatu afin de participer à la Conférence ministérielle de la Communauté du Pacifique (CPS) du 24 au 25 novembre 2022. C'était la première fois depuis 1993 que le Vanuatu, dont 40 % de la population est francophone, accueillait une visite ministérielle - soit 29 ans sans visite officielle de haut niveau !

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Les moyens militaires des forces de souveraineté sont apparus, au cours des auditions de préparation de ce rapport, doublement inadaptés : d'une part, aux caractéristiques de l'Indopacifique telles que les élongations qu'elle induit comme aux conditions météorologiques exigeantes qui la caractérisent, mais aussi au durcissement de l'environnement sécuritaire et à la course aux armements qui en découle ; et d'autre part, aux ambitions affichées de la stratégie de la France en Indopacifique.

Le nombre des personnels des armées dans les forces de souveraineté - FAZSOI, FANC et FAPF - a connu une attrition drastique depuis 2008, avec une réduction de 20 % de leurs effectifs et la systématisation du recours aux missions de courte durée (MCD). Les équipements, dimensionnés au plus juste, sont désormais orientés vers les interventions de basse intensité et traversés par des tensions toutes composantes confondues.

Les matériels des forces sont particulièrement vieux : le C-160 Transall a une soixantaine d'années, le Casa CN-235 et les P400 ont une quarantaine d'année, et souffrent en conséquence d'une faible disponibilité.

Les moyens de surveillance aérienne et de transport tactique des forces apparaissent donc très insuffisants et sont peu disponibles, particulièrement les hélicoptères : le remplacement du Puma par le Super Puma (H225) n'est prévu qu'à l'horizon 2026-2028, celui du Fennec par l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard en 2032, et celui du Casa par l'avion de transport et d'assaut du segment médian (ATASM) à l'horizon 2030-2035. Aucun retard supplémentaire ne doit être pris dans ces remplacements ; le remplacement des Casa en service au sein des forces de souveraineté n'est pas encore prévu.

Des solutions de location doivent être recherchées pour combler les trous capacitaires dus aux indisponibilités des équipements. Sans avion de transport à long rayon d'action, la capacité de projection des forces et l'appui logistique dans les zones de responsabilité permanentes est fragile. Or, le recours à l'A400M, sous préavis de 48 heures, pour compenser les déficits de capacités, peut être incompatible avec l'urgence. En outre, si toutes les forces de souveraineté devaient avoir besoin de ce renfort simultanément, la question du dimensionnement de la flotte d'A400M se poserait alors. Ce recours à des renforts envoyés depuis l'Hexagone - A400M, MRTT (Multi Role Tanker Transport) ou Rafale - nécessite des adaptations insuffisamment prises en compte en termes d'infrastructures, de sécurité, de systèmes d'information et de communication, et de personnels.

Enfin, les moyens nécessaires doivent être mis en oeuvre pour rénover les bases aériennes, la base aérienne 186 en Nouvelle-Calédonie et la base aérienne 181 à La Réunion doivent faire l'objet d'investissements au bon niveau.

Les moyens nautiques subissent d'importantes ruptures temporaires de capacité qui persisteront encore au moins jusqu'en 2025 et ne devraient cesser qu'avec la fin du remplacement des patrouilleurs P400. Trois patrouilleurs sont actuellement indisponibles - un à La Réunion, un en Nouvelle-Calédonie et un en Polynésie française.

La livraison des six patrouilleurs outre-mer (POM) doit s'échelonner entre début 2023 et fin 2025. La prochaine loi de programmation militaire (LPM) ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu. L'accroissement des moyens paraît indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique ; les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions.

La mise en service de quatre bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) à la place des cinq bâtiments de transport léger (BATRAL) s'est accompagnée d'une diminution par deux des capacités de transport et de la perte de la capacité amphibie. Or, sur la période 2008-2030, le tonnage de la marine chinoise devrait croitre de 138 %, celui de la marine de la Corée du Sud de 101 % et celui de la marine indienne de 40 %.

Le rapport d'information intitulé « Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale », fait par M. Philippe Folliot et Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-horth au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et adopté le 24 février 2022, recommande notamment de rétablir des capacités amphibies pour les forces navales outre-mer en acquérant des hydroglisseurs - sur le modèle de ceux développés par la marine japonaise -, et d'accélérer le déploiement du programme European Patrol Corvette pour assurer le remplacement des frégates de surveillance. Ces recommandations méritent d'être soutenues.

La question du renouvellement des frégates de surveillance - classe Floréal -, dont le retrait du service est prévu pour 2035, devra être tranchée dans le cadre de la prochaine LPM en prenant en compte, dans le cadre de la stratégie indopacifique, le besoin de bâtiments plus crédibles dans un contexte de retour des conflits entre puissances et d'un environnement opérationnel plus exigeant. Le programme European Patrol Corvette, prévoyant un bâtiment doté d'une plateforme d'accès et de maintenance pour hélicoptère, de mini drones de surveillance et d'un système d'armes, a été lancé en 2019 dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP/PESCO) ; il a reçu le soutien de l'Agence européenne de défense, ce qui laisse espérer son accélération. Le contrat de construction des corvettes pourrait être notifié aux industriels concernés en 2025, et la pose de la quille du premier navire serait envisageable en 2026 - soit un an plus tôt qu'initialement prévu - pour une livraison à partir de 2030. Le développement de ce programme européen doit faire l'objet de l'attention de la commission car il est dimensionnant pour les forces de souveraineté de l'Indopacifique, tout comme le porte-avions de nouvelle génération. Notre capacité à nous déployer en Indopacifique assoit notre crédibilité ; la prochaine LPM devra prévoir l'avancement de ce programme majeur sans accuser aucun retard.

S'agissant enfin de la composante terrestre, l'Ambition 2030 et le durcissement de l'environnement stratégique indopacifique rendent nécessaires la montée en gamme et la modernisation des équipements - redistribution de matériels et régénération de véhicules anciens. La « scorpionisation » des forces est également un objectif et entraîne, en conséquence, l'aménagement ou la création des infrastructures d'entraînement et de stockage - engins, armes, matériels.

Il convient de se demander s'il est encore adéquat de distinguer aussi nettement les standards opérationnels entre la métropole et l'Indopacifique. Il en va de la crédibilité des forces, de leurs capacités en matière d'interopérabilité lors des déploiements depuis la métropole et lors des exercices de haut niveau organisés avec les pays indopacifiques partenaires. Il serait d'ailleurs souhaitable, pour toutes les armées, de renforcer la participation des moyens du haut de spectre aux divers exercices de coopération dans la zone indopacifique, et de conduire, outre les récents déploiements, des activités à forte visibilité stratégique telles que des exercices de tir de missiles, des exercices sur les fonds marins et les câbles sous-marins, associant les bases des forces de souveraineté.

La prochaine loi de programmation militaire ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu, d'HIL, d'avions ravitailleurs, de frégate de surveillance, de moyens de renseignement, etc. L'accroissement des moyens est indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions avec des échéanciers clairs permettant d'afficher les priorités ainsi données auprès des compétiteurs et des partenaires de la France dans l'Indopacifique.

M. Joël Guerriau, rapporteur. - Les DROM-COM, Mayotte, La Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et Clipperton, placent la France dans la situation rare d'exercer sa souveraineté sur des territoires insulaires distants de plusieurs milliers de kilomètres de ses littoraux continentaux. Seuls les États-Unis partagent cette situation, mais sans être considérés par les États océaniens comme appartenant à la « famille pacifique ».

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont, pour leur part, devenues membres de plein droit du Forum des îles du Pacifique (FIP). C'est une étape essentielle pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française qui peuvent désormais construire des partenariats directs avec les pays et les États insulaires de la région. La reconnaissance des territoires indopacifiques français recouvre une autre facette avec l'appartenance du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) au Groupe Fer de lance mélanésien, fondé en 1988 pour soutenir l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie et regroupant désormais la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, le Vanuatu, les Fidji et l'Indonésie autour d'un accord de coopération économique, renforcé par une volonté de solidarité inter-mélanésienne.

L'Indopacifique suit avec attention l'évolution du statut de la Nouvelle-Calédonie, et dans le même temps, les DROM-COM suscitent des projets d'investissement de compétiteurs stratégiques. Ainsi, en 2014, un investissement chinois sur l'atoll de Hao pour développer la perliculture a été repoussé car il était susceptible de donner à la Chine une influence et un poids conséquents. Les autorités de Polynésie française revendiquaient leur autonomie de décision en la matière.

Lors des auditions et déplacements effectués dans le cadre de la préparation de ce rapport, il est apparu que les élus des DROM-COM n'ont pas été consultés par le pouvoir exécutif métropolitain en amont de l'adoption de la stratégie ou, plus récemment, des déploiements des forces militaires sur leurs territoires dans le cadre de la stratégie indopacifique française. La stratégie française pour l'Indopacifique n'a donc pas été co-élaborée avec les autorités des DROM-COM. Les représentants des DROM-COM manifestent pourtant leur volonté d'être entendus avec la création, par l'assemblée de la Polynésie française en juin 2022, d'une mission d'information portant sur l'impact des stratégies de la France dans l'espace indopacifique sur les collectivités françaises de l'Océanie. De plus, les compétences élargies en matières économique et environnementale, voire dans le domaine des relations extérieures pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, rendent de fait indispensable un changement d'approche.

Il faut bâtir la stratégie indopacifique sur nos atouts ultramarins et mettre en place une délégation commune pour participer ensemble à des fora ou agora de l'Indopacifique, y compris au Groupe Fer de lance mélanésien.

Je souhaite enfin attirer l'attention sur l'impérieuse nécessité de renforcer nos forces dans les DROM-COM. L'intensification de la compétition stratégique dans l'Indopacifique nous oblige à élever le niveau d'équipement, à augmenter le nombre d'hommes déployés, et à mettre à niveau les infrastructures, tant pour nos militaires que pour leurs équipements. Nos ambitions indopacifiques ne seront crédibles qu'au prix de cet effort.

M. André Gattolin, rapporteur. - À la lumière des précédentes interventions, nous voyons à quel point la France paraît petite, nonobstant ses territoires ultramarins, dans cet espace immense et composite. Notre pays est cependant membre de l'Union européenne qui s'est dotée, en septembre 2021, d'une stratégie indopacifique allant de la côte est de l'Afrique aux États insulaires du Pacifique - soit une délimitation proche de celle retenue par la France.

La région indopacifique et l'Europe représentent plus de 70 % du commerce mondial de biens et de services, et plus de 60 % des flux d'investissements directs étrangers. L'Union européenne est le premier investisseur et le principal partenaire de coopération au développement dans la région indopacifique, et l'un de ses plus grands partenaires commerciaux ; en effet, la valeur annuelle des échanges commerciaux entre la région indopacifique et l'Europe a atteint 1 500 milliards d'euros en 2019, c'est-à-dire avant la pandémie mondiale.

L'avenir de l'Union européenne et celui de la région indopacifique apparaissent liés l'un à l'autre ; la rupture des échanges conséquente à la pandémie de covid-19 l'a particulièrement souligné. L'Union prône pour un Indopacifique libre et ouvert à tous ; cette vocation inclusive correspond à la recherche d'une voie autonome et alternative, indépendante du concept américain d'Indopacifique. Néanmoins, l'UE se positionne néanmoins aux côtés des États-Unis sur bon nombre de principes et de dossiers ; elle souhaite aussi être associée au QUAD sur les questions liées au changement climatique, aux technologies ou aux vaccins.

Depuis deux ans, la position de l'Union européenne à l'égard de la Chine tend à se durcir, même si un consensus entre les États membres sur ce point peine encore à émerger. Le centre de gravité du fameux triptyque « partenaire, concurrent commercial et rival stratégique » a été débattu lors du Conseil européen d'octobre 2022, et tend à se déplacer de plus en plus de la notion de « partenaire » vers celle de « concurrent et rival ». De fait, la stratégie indopacifique européenne dite de troisième voie se heurte aux ambitions géostratégiques chinoises et son soutien apporté à la Russie dans le cadre de l'invasion de l'Ukraine. Le sommet UE-Chine du 1er avril 2022, ainsi que le sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN du 29 juin 2022, a mis en lumière une crispation croissante.

La stratégie européenne pose cependant de sérieuses questions de cohérence. La première question concerne la cohérence des États membres entre eux ; en effet, un consensus sur la posture à adopter à l'égard de la Chine peine à se dégager, de même que sur certaines orientations à prendre en Indopacifique, notamment dans les domaines de la défense de l'environnement. La seconde question tient à la cohérence des politiques portées par l'Union dans le champ commercial et dans celui de la promotion de l'État de droit et des valeurs démocratiques dans la région.

L'ambition d'aboutir à un accord de libre-échange entre l'ASEAN et l'UE ne risque-t-elle pas de se heurter à l'existence d'une multitude d'accords ponctuels avec certains pays membres de l'ASEAN ? Certains pays ont signé des accords de libre-échange, quand d'autres bénéficient de régimes préférentiels propres aux pays les moins avancés (PMA) - quelques pays ne sont toutefois liés par aucun accord spécifique. Comment tout cela sera-t-il harmonisé ? L'articulation des initiatives européennes - comme celle sur la connectivité avec le programme d'investissement Global Gateway et la stratégie indopacifique de l'Union - n'est pas toujours claire et évidente.

Enfin, les clauses de conditionnalité insérées dans certains accords bilatéraux signés par l'Union européenne avec les États tiers ne sont que rarement activées. Il a ainsi été particulièrement long et complexe d'aboutir, en août 2020, au retrait partiel du Cambodge de l'accord préférentiel « Tout sauf les armes », à la suite du non-respect flagrant d'engagements pris par ce pays en matières de droits humains et de droit du travail. La situation de la Birmanie, qui est dirigée par une junte militaire depuis le coup d'État du 1er février 2021, suscite également de nombreuses questions.

Cette hétérogénéité des mécanismes mis en oeuvre par l'Union dans l'Indopacifique, et en particulier dans la zone ASEAN, fragilise le dispositif communautaire. La boussole stratégique adoptée en mars 2022 devrait cependant poursuivre la logique d'appropriation de l'enjeu indopacifique par l'Union européenne. Pour autant, il est essentiel que la stratégie indopacifique européenne se traduise par des opérations concrètes, des budgets significatifs et des objectifs temporels. Une évaluation à intervalles réguliers de cette stratégie permettrait de s'assurer de sa cohérence effective, et faciliterait une meilleure prise en compte de la réalité géostratégique, très évolutive de la zone indopacifique.

La stratégie indopacifique européenne devra faire montre de sa capacité à tenir compte de l'affirmation croissante de puissance de la Chine qui pourrait, assez rapidement, rendre difficile l'existence d'une troisième voie autonome.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous l'avez rappelé, cette zone est gigantesque, or cet espace doit être protégé et surveillé pour défendre les intérêts français, « faire montre de capacité » pour reprendre vos mots. Avez-vous une estimation des moyens économiques et humains dont nous aurions besoin pour assurer cette surveillance ? Rachid Temal a par ailleurs rappelé que l'on ne pouvait pas tout faire. Par conséquent, quelles seraient les priorités absolues sur lesquelles il faudrait travailler pour inciter nos partenaires européens à nous suivre ?

M. Philippe Folliot. - Ce sujet est important. La stratégie indopacifique française repose actuellement sur des mots plus que sur des actes. Ce rapport met en lumière tous les manques. La France est aujourd'hui la seule puissance de l'Union européenne présente dans cette zone à travers ses départements, régions et collectivités d'outre-mer. 90 % de notre zone économique exclusive est située dans l'Indopacifique. Il y a pourtant un décalage avec le fait que 90 % des moyens de notre marine nationale sont situés dans l'hexagone, autour de Brest et Toulon. Dans le cadre de la future loi de programmation militaire, ne faudrait-il pas rééquilibrer cette situation, c'est-à-dire passer d'une logique des deux moitiés à une logique des quatre quarts, en d'autres termes, substituer à une logique Brest/Toulon une logique Brest/Toulon/Saint-Denis/ Nouméa ou Papeete ? Le déploiement de la frégate Vendémiaire dans le détroit de Taïwan équivaut à envoyer une R16 au milieu de 38 tonnes chinois et américains. Ne faut-il pas changer de logique et prépositionner des frégates de premier rang dans l'Indopacifique afin d'avoir l'équivalent d'un 12 tonnes au milieu de ces 38 tonnes ? En 40 ans, nous avons divisé par deux nos forces de souveraineté. Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, au cours des 15 dernières années, les effectifs de nos forces de souveraineté ont diminué de 20 %. Ne faudrait-il pas faire du renforcement des moyens dans cette zone une priorité de la future loi de programmation militaire ?

M. Pascal Allizard. - Vous avez évoqué la situation de l'Amérique latine, je partage votre analyse. Il faut souligner une faiblesse de la France en l'Amérique latine, c'est historique, mais nos voisins tels que l'Allemagne et l'Italie sont plus présents que nous. Lors d'un déplacement à Madrid avec la commission des affaires européennes, il nous a été indiqué que l'Amérique latine serait l'une des deux priorités de la présidence espagnole de l'Union européenne à venir. Cela peut être une opportunité pour la France d'assurer une présence plus marquée en Amérique latine.

Par ailleurs, s'agissant du Pakistan, je suis heureux que vous ayez cité Gwadar où je me suis rendu deux fois. La relance des relations avec le Pakistan se met en place et il faut poursuivre ce mouvement. Le Pakistan est un pays important, qui sera prochainement le premier pays musulman au monde devant l'Indonésie, ce qui n'est pas neutre. Par ailleurs, le corridor économique Chine-Pakistan et le port de Gwadar en font un point d'échange majeur entre la Chine et l'océan Indien.

Enfin, quelle perception avez-vous de l'action de l'AFD dans ce grand secteur ? Pour ma part, je pense que l'AFD se comporte comme un électron libre qui échappe à toute consigne politique. Si le Président partage mon avis, peut-être faudrait-il s'emparer une nouvelle fois de ce sujet.

M. Christian Cambon, président. - C'est toujours mon avis.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Trop longtemps on a occulté, ignoré la Chine. Le fait de s'y intéresser est un phénomène assez récent. Pour la première fois, le Sommet de l'OTAN qui s'est tenu à Madrid au mois de juin dernier a cité explicitement la Chine ce qui ne s'était jamais fait, même si le Président Obama avait parlé d'un pivot vers l'Asie. Il convient également de se pencher sur les questions d'influence et de progresser dans ce domaine. À la demande du ministère de la défense, j'ai conduit une mission en 2010 au Japon pour sensibiliser les autorités japonaises sur ce que nous pouvions apporter au niveau militaire. Nous avons constaté que, pour les japonais, la France n'existait pas d'un point de vue militaire, leur seul allié étant les États-Unis. Nos interlocuteurs ont été surpris d'apprendre que deux millions de français étaient établis dans cette zone et que des opérations conjointes avaient été menées avec leur marine. Évidemment, les achats militaires japonais se tournaient systématiquement vers les matériels américains. Nous avons désormais un partenariat d'exception avec le Japon mais qui comprend assez peu d'éléments dans le domaine militaire. De son côté, le Royaume-Uni a signé un partenariat le 13 janvier dernier avec le Japon dans ce champ. Il faut exploiter pleinement ce rapport pour renforcer la place de la France dans cette région, même si nous sommes conscients des limites, notamment démographiques, de notre pays. S'agissant de l'influence, je regrette que, lorsque six sénateurs se déplacent dans cette partie du monde, aucune femme ne soit présente dans la délégation. Cela envoie un mauvais signal en termes de représentation du Parlement. L'influence de la France passe aussi par ces questions d'égalité et de droit de l'Homme. Chaque fois que je vais dans l'Indopacifique, les ambassades me demandent de parler de ce que fait la France dans ce domaine. La femme du président du Vanuatu est par exemple venue à une conférence que je donnais car c'est un sujet majeur.

M. Christian Cambon, président. - Ce sont les groupes politiques qui désignent leurs candidats aux missions.

M. Gérard Poadja. - Je tenais à remercier le président d'avoir pris l'initiative de ce rapport ainsi que les collègues qui sont allés à Nouméa. La Nouvelle-Calédonie constitue une proie pour la Chine. La France ne marque pas assez sa présence militaire dans l'océan pacifique. Comme l'ont souligné les rapporteurs, il y a un besoin de rénovation de l'ensemble du matériel militaire. Nous avons une base aéronavale à Tontouta qui a besoin d'être rénovée tant au niveau de ses infrastructures que du matériel. Je me demande combien d'heures cela prendrait pour recevoir une pièce de rechange en cas de panne sur un Puma ou un avion. En tant que néo-calédoniens, nous nous sentons parfois isolés.

M. Christian Cambon, président. - J'espère que la loi de programmation militaire contiendra des éléments concernant cette région du monde. Comme l'ont souligné les rapporteurs, il faut mettre des moyens derrière l'ambition et le discours.

M. Olivier Cadic. - La recommandation de mieux associer Taïwan et l'Amérique du Sud dans la stratégie indopacifique doit être soutenue. C'est une orientation stratégique très forte. Vous avez parlé de « pilotage différencié » nécessaire pour l'Indopacifique, pourriez-vous nous préciser ce que cela signifie ? Par ailleurs, vous avez évoqué l'idée de la Chine de faire de la Polynésie un hub. La France est très centralisée, il conviendrait de la penser différemment, comme un réseau Internet, avec des points de hub : la Réunion pourrait être un hub vers l'Afrique, Cayenne vers l'Amérique latine et la Polynésie vers l'Asie et l'Amérique latine. Je vous laisse réfléchir à ce que serait le monde si la Chine détenait tous nos départements, collectivités et territoires d'outre-mer. La France ne s'appuie pas suffisamment sur ces territoires, les fait tous dépendre du centre, alors qu'ils pourraient constituer notre force dans l'avenir.

M. Christian Cambon, président. - Nos interlocuteurs chiliens nous ont indiqué avoir le sentiment d'être laissés de côté de l'attraction française pour l'Indopacifique, dans un contexte de renforcement de la présence chinoise. Cela rejoint la problématique de la faible présence de la France et de l'Europe en Amérique latine alors que ce continent est en plein bouleversement. C'est la raison pour laquelle une mission de la commission sera prochainement lancée au Brésil.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - S'agissant du renforcement des capacités militaires, l'objectif du rapport est en effet d'insister sur la nécessité de consacrer des moyens supplémentaires compte tenu de leur faible quantité et de l'obsolescence de certains matériels. Notre capacité à mener un exercice de type Pégase est enviée par de nombreux pays, y compris par le Royaume-Uni. Il s'agit d'une performance mais qui nécessite d'être amplifiée. Il s'agit par ailleurs d'un exercice ponctuel. Or il y a un quotidien à gérer dans cette zone, qui nécessite qu'une intervention puisse être menée rapidement. Un A400M peut arriver sous 48 heures, mais il vient de métropole. Le contenu de la loi de programmation militaire dans ce domaine sera un enjeu dans la mesure où nous devons nous doter des moyens de nos ambitions et de nos obligations. À titre d'exemple, dans le domaine de la lutte contre la pêche illégale, la plupart des bateaux chinois savent pertinemment quand passent les avions de surveillance. Ces moyens supplémentaires doivent permettre de crédibiliser la stratégie de la France dans la zone.

M. Rachid Temal, rapporteur. - Le titre du rapport, La stratégie française pour l'Indopacifique, renvoie en réalité à un mythe. Les territoires concernés n'ont jamais été associés à cette stratégie. Il faut prendre conscience du fait que le monde a changé et que nous sommes désormais en périphérie. Or, si la Nouvelle-Calédonie veut passer un accord avec l'un de ses voisins, il faut que cela soit validé par Paris. Sur place, Paris apparaît lointain. Les regards sont davantage tournés vers l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, par exemple. Il convient de renverser notre perception du monde et de définir des zones, par exemple des côtes africaines jusqu'à l'Inde, puis de l'Inde jusqu'aux côtes américaines.

S'agissant de l'action de l'AFD, je trouve scandaleux et honteux qu'un même outil soit utilisé pour l'aide au développement et pour le soutien à des territoires français. Il faut transférer les compétences actuellement dévolues à l'AFD à la Caisse des dépôts et consignations, sinon cela crée deux catégories de Français.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Le président du gouvernement et le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie nous ont expliqué qu'ils n'attendaient pas grand-chose de la France mais plutôt de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, remettant même en cause le déploiement d'avions dans le cadre de l'opération Pégase. Le renforcement de nos moyens dans cette zone doit permettre de montrer que nous pouvons être présents rapidement.

M. Gérard Poadja. - Il faut que la France fasse un effort et marque sa présence en Nouvelle-Calédonie. Les propos du président du gouvernement et du président du congrès, qui sont indépendantistes, visent à provoquer. Il n'en demeure pas moins que la France doit faire le nécessaire.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 30 mars 2022

- Naval Group : MM. François Devoto, Conseiller diplomatique de Naval, Nicolas de la Villemarqué, directeur de zone pour l'Asie de Naval.

Mardi 3 mai 2022

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) : MM. Stephen Marchisio, directeur adjoint d'Asie et d'Océanie accompagné de Mohammed Badr, rédacteur Chine et Samuel Cling, rédacteur Indopacifique ;

Centre Asie - IFRI : Mme Françoise Nicolas, directeur et M. Marc Julienne, chercheur, responsable des activités Chine.

Mercredi 4 mai 2022

- Institut français des relations internationales (IFRI) : Mme Céline Pajon, chercheure, spécialiste du Japon et de l'Indopacifique ;

Trésor : MM. Denis Le Fers, sous-directeur en charge des relations économiques bilatérales et de l'Attractivité, Laurent Martin, adjoint au chef du Bureau Asie-Amériques-Océanie, Christophe Grignon, adjoint au chef du Bureau Asie-Amériques-Océanie, Gabriel Cumenge, sous-directeur en charge des banques et financements d'intérêt général et Mme Evelyne Ahipeaud, cheffe du bureau des départements et collectivités d'outre-mer.

Lundi 20 juin 2022

- Ministère des armées (MINARM) : Contre-amiral Jean-Mathieu Rey, Commandant de la zone Asie-Pacifique et des Forces armées en Polynésie française (ALPACI).

Mardi 28 juin 2022

- MEAE : M. Christophe Penot, Ambassadeur pour l'Indopacifique ;

- Agence française de développement (AFD) : M. Philippe Orliange, Directeur exécutif Géographies et Mme Laura Collin, Chargée de mission pour les relations parlementaires.

- Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) : M. Guillaume Arnoux, Chef du département Asie, Océanie, Amérique latine.

Mercredi 29 juin 2022

- Ambassade de France en Indonésie : M. Olivier Chambard, Ambassadeur de France en Indonésie.

Mardi 5 juillet 2022

- Ambassade du Japon en France : S.E. M. Ihara Junichi, Ambassadeur du Japon en France.

Mercredi 6 juillet 2022

- MINARM - Etat-major des armées : Commissaire en chef Christophe Bergey, chef de bureau « Asie, Pacifique, Amérique latine » ;

- Centre satellitaire de l'Union européenne : MM. Louis Tillier, directeur adjoint, Alvaro Rodriguez, chef de la division opérations et Hervé Touron, Responsable opérations ;

- MINARM - État-major de l'armée de l'air : M. Dominique Tardif, sous-chef activité de l'état-major de l'armée de l'air et de l'espace ;

-MINARM - État-major de l'armée de terre : Général de division Denis Mistral, sous-chef des opérations aéroterrestres, accompagné du colonel Nicolas Jovanovic et du colonel Dias.

Jeudi 7 juillet 2022

- MINARM : Général Laurent Cluzel, général de brigade, commandant supérieur des forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI) et commandant de la base de défense de La Réunion-Mayotte.

Mardi 12 juillet 2022

MINARM : Vice-amiral Jacques Fayard, commandant la zone maritime de l'océan Indien, commandant les forces françaises stationnées aux Emirats arabes unis,

Dassault Aviation : M. Bruno Giorgianni, secrétaire du comité de direction, directeur des affaires publiques et sûreté,

IFRI : M. Raphaël Danino-Perraud, chercheur associé à l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire (IRSEM).

Lundi 5 septembre 2022

- Ambassade du Vietnam en France : S.E. M. Toan Thang Dinh, Ambassadeur ;

- Union européenne - Service européen pour l'action extérieure (SEAE) : M. Gunnar Wiegand, directeur exécutif Asie et Pacifique ;

- Institut de recherche stratégie de l'École militaire : Mme Marianne Péron-Doise, chercheuse associée.

Jeudi 20 octobre 2022

- Union européenne : M. Sujiro Seam, Ambassadeur de l'Union européenne pour le Pacifique.

DÉPLACEMENTS DANS L'INDOPACIFIQUE DU 6 AU 15 SEPTEMBRE 2022

En Nouvelle-Calédonie :

Réunion de travail avec Mme Caroline Gravelat, Maître de conférences à l'UNC ;

Entretien avec M. Hendra Satya Pramana, Consul général d'Indonésie ;

Entretien avec M. Serge-Alain Mahé, Consul général du Vanuatu ;

Entretien avec M. Pierre-Henri Hellepute, délégué de l'UE en Nouvelle-Calédonie ;

- Entretien avec Mme Anne-Lise Young, Consule générale d'Australie ;

- Entretien avec Mme Felicity Roxburgh, Consule générale de Nouvelle-Zélande ;

- Entretien avec M. Louis Mapou, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;

- Entretien avec M. Patrice Faure, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie ;

- Entretien sur la stratégie minière régionale avec MM. Didier Ventura, président du CNRT Nickel, Xavier Gravelat, conseiller du commerce extérieur de la France, Cyril Marchand, VP de l'UNC et professeur de géologie et Jean-Sébastien Baille, DIMENC par intérim ;

- Embarquement sur le BSAOM d'Entrecasteaux,

- Journée en immersion dans les FANC ;

- Entretien avec M. Roch Wamytan, président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

En Indonésie :

- Entretien avec M. Michael Tene, Secrétaire général adjoint de l'Asean en charge du pilier politico-sécuritaire ;

- Entretien avec M. Sidharto R. Suryodipuro, directeur général pour la coopération avec l'Asean ;

- Entretien avec M. I Gede Ngurah Swajaya, directeur général Amérique Europe ou Directeur Eropa 1 ;

- Rencontre avec les CCEF, la CCFI et les conseillers des Français de l'Étranger ;

- Entretien avec la Commission I des Affaires étrangères et de la Défense du DPR ;

- Entretien avec le président du groupe d'amitié France-Indonésie ;

- Rencontre avec les représentants des principaux think tanks indonésiens (CSIS, FPCI, Habibie Centre, Universitas Indonesia) ;

- Entretien avec M. Airlangga Hartarto, ministre coordinateur pour l'économie ;

- Entretien avec le Colonel Sven Meic, Attaché de Défense ;

- Rencontre avec des représentants des industries de défense en Indonésie.

ANNEXE 1:
L'ACTION DE L'AFD SUR LES BIENS PUBLICS MONDIAUX

(Source : réponse au questionnaire des rapporteurs, 2022)

Les domaines de coopération en Indopacifique portent sur la promotion des biens publics mondiaux. Les interlocuteurs du groupe AFD sont divers et variés : représentants des gouvernements ; collectivités locales ; entreprises nationales et privées ; organisations de la société civile ; banques publiques de développement ; bailleurs régionaux et internationaux ; organisations nationales, régionales et inter-régionales ; think tanks...

(i) Exemples de projets en Asie

- Transition énergétique et la lutte contre le changement climatique : Programmes régionaux tels que l'ETP et l'amélioration de la qualité de l'air dans les pays de l'Asean ; Contribution aux programmes régionaux de la BAD : ACGF (infrastructures vertes dans l'Asean) et CRPP (amélioration de la résilience des communautés au changement climatique en Asie) ;

- Conservation de la biodiversité : Coopération régionale et mise en réseau des parcs naturels en Inde, à la Réunion et en Afrique du Sud ;

- Protection de l'environnement : lutte contre la pollution marine (débris plastiques) en Indonésie ;

- Amélioration de la gestion du risque de catastrophe (naturelles et sanitaires) : soutien des Instituts Pasteur dans 5 pays de l'Asean ; promotion des éco-ports/ports verts en Inde, Indonésie et Sri Lanka ; gestion du risque de catastrophe en Inde, Indonésie, Philippines et Vietnam.

(ii) Exemples de projets en océan Indien

- Préservation de l'environnement et de la biodiversité : projets régionaux Hydromet (services météo, hydrologiques et climatiques apportés à la Commission de l'océan Indien) et Varuna (soutien au développement pro-nature à Madagascar, aux Comores, à Maurice, Mayotte, île de la Réunion et aux Seychelles) ; lutte contre la pollution marine ; promotion des ports verts ; protection et restauration des écosystèmes forestiers ; renforcement des aires protégées...

- Amélioration de la gestion du risque de catastrophe (naturelles et sanitaires) : soutien du réseau de surveillance épidémiologique et de gestion d'alerte géré par la Commission de l'océan Indien ; soutien de l'action de la Croix Rouge.

(iii) Exemples de projets en océan Pacifique

- Préservation de la biodiversité : lutte contre la pollution marine (projet régional) ;

- Lutte contre le changement climatique : projet Kiwa (adaptation au changement climatique et soutien de solutions fondées sur la nature pour y parvenir) ; définition de stratégies climat nationales et territoriales du Vanuatu, Wallis & Futuna, de la Polynésie Française et de la Nouvelle-Calédonie ;

- Surveillance épidémiologique : soutien du réseau de surveillance sanitaire public de la Communauté du Pacifique.

Exemples de projets en Afrique de l'Est

- Lutte contre le changement climatique : production, transport et distribution d'ENR (solaire, éolien, hydro, biomasse) ; amélioration de la qualité et de la fiabilité du service de fourniture d'électricité ; renforcement de la résilience des communautés ;

- Gestion des déchets : amélioration du drainage urbain ; valorisation des déchets ; extension des réseaux d'assainissement ;

- Préservation de la biodiversité : préservation des réserves et parcs naturels (Mozambique, Afrique du Sud, Tanzanie) ; protection pérenne des forêts critiques du Kenya ; projets régionaux (Phytotrade, Biohub, RECOS).

ANNEXE 2: LES ACTIONS CONCRÈTES DE LA STRATÉGIE FRANÇAISE DANS L'IP

(Source : Stratégie de la France en Indopacifique)

ANNEXE 3 : ACTION DE L'ADF EN INDOPACIFIQUE

(Source : Réponse au questionnaire des rapporteurs, 2022)

En 2020, le Groupe AFD est intervenu dans 26 territoires riverains (21 États étrangers et 5 territoires ultramarins) pour près de 3,9 Mds€ d'engagements.

Le Groupe AFD estime bénéficier du fait de sa connaissance du terrain et des acteurs locaux et de son réseau de partenaires, d'un positionnement unique dans la communauté des acteurs du développement sur l'ensemble des géographies de l'Indopacifique, avec une présence dans la plupart des géographies (États étrangers et territoires ultra marins) et de fortes relations tissées avec les partenaires locaux et les organisations régionales de la zone (Asean, COI, IORA, CPS, PROE...). Il convient de souligner à cet égard que la France est le seul État membre à disposer de territoires dans le Pacifique - et l'AFD est par conséquent la seule agence bilatérale européenne dans cette zone (la GIZ s'en retire), ce qui suscite de fortes attentes de coopération de nos partenaires, en particulier de la part de l'UE.

En mars 2022, l'AFD a contribué à la stratégie Indopacifique lors de 2 évènements : le Forum ministériel pour la coopération dans l'indopacifique en présentant des livrables dans les domaines des océans, de la biodiversité et de la santé (annonce de l'initiative MarEco, réabondement Kiwa, Varuna...), et l'initiative de rassemblement des banques de développement de l'indopacifique en parallèle du forum (SUFIP, Substainable Finance in the Indo Pacific), qui a été co-organisée par l'AFD et l'Exim Bank of India. Elle a permis la rencontre des institutions financières de développement européenne pour renforcer leur engagement dans les domaines prioritaires de la stratégie européenne et française.

Le mandat de l'AFD dans la région définit trois priorités :

1) Promouvoir les biens publics mondiaux94(*), à travers l'adaptation au changement climatique, la préservation de la biodiversité et la gestion des risques de catastrophes (événements naturels et sanitaires, par exemple)

2) Soutenir les transitions économiques, démographiques, territoriales, énergétiques et technologiques dans les pays, avec un accent particulier sur les infrastructures de connectivité maritime, aérienne et aéroportuaire, et sur les développements économiques régionaux ;

3) Étendre et renforcer le partenariat stratégique avec l'UE, les organisations régionales (telles que l'Asean, l'Indian Ocean Ring Association - IORA, la Commission de l'océan Indien, le Programme régional océanien de l'environnement), les pays de la région (par exemple, le Japon, l'Inde, l'Indonésie) et les banques de développement régionales (par exemple, la Banque Asiatique de Développement et les banques de développement publiques bilatérales comme la JICA).

Les projets menés par l'opérateur, qui se positionne comme une plateforme en indopacifique, sont souvent réalisés en partenariat avec la Banque Mondiale, l'UE et la BEI, ou des acteurs régionaux tels que la Banque Asiatique de Développement, IORA, COI, l'Asean (feuille de route en préparation) CPS, PROE) ou encore avec des opérateurs de développement présents dans la zone notamment l'Allemagne, le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Canada. Les bailleurs émergents sont également fortement présents (Inde, Chine, mais aussi Arabie Saoudite/EAU dans le sud-ouest de l'océan Indien).

Principales propositions opérationnelles de l'AFD :

(i)Préservation de l'environnement, biodiversité, gestion des déchets :

o Poursuite et pérennisation de l'Initiative Kiwa (adaptation au changement climatique par la promotion de Solutions Fondées sur la Nature)

• 19 États et territoires insulaires du Pacifique

• 5 bailleurs internationaux (Union européenne, France, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande)

• 21 M€ déjà engagés sur un budget global de 41 M€.

o Deux initiatives en cours de discussion avec l'UE, en lien avec les Initiatives Equipe Europe (IEE)

• MarEco (préparation et accompagnement de projets économie bleue, 1ère initiative d'envergure sur l'ensemble de la zone Indopacifique (entre 30 et 50 M€ envisagés avec INTPA)

• Varuna (programme régional pour la biodiversité dans l'océan Indien)

o Lutte contre les pollutions marines, avec l'émergence de projets régionaux sur la gestion des débris plastiques en mer.

o Climat et transition énergétique: dans les pays de l'Asean, programmes Energy Transition Partnership et Amélioration de la qualité de l'air

o Coopération régionale, partage d'expertises et mise en réseau des parcs naturels entre les territoires ultramarins et les Etats de l'IP (Inde, Réunion, Afrique du Sud)

o Partage des enjeux et promotion des investissements dans les « ports verts » (appui Fexte en cours avec un partenariat APIOI - association des ports de l'océan Indien / AIVP - association internationale des villes ports)

o Contribution envisagée au Programme partenarial pour la résilience des communautés proposé par la Banque Asiatique de Développement (appui au développement de projets liant les nexus climat, genre et pauvreté dans une dizaine de pays d'Asie et du Pacifique).

(ii)Renforcement des dispositifs de surveillance épidémiologiques, de diagnostic et de réponse des pays face aux épidémies et catastrophes naturelles :

o Appuis aux Instituts Pasteur (ECOMORE dans les 5 pays les pauvres de l'Asean pour 12M.EUR), à la Croix Rouge française (3 PIR), au ROSSP

o Renforcement des réseaux régionaux de surveillance épidémiologique et de réponse aux épidémies (réseau SEGA One Health dans le sud-ouest de l'océan Indien).

o Intervention d'EF en matière de sécurité maritime (CRIMARIO et Sécurité Asie)

o Engagements de projets et prospection sur (i) la résilience aux risques de catastrophes naturelles (Inde, Indonésie, Philippines, Vietnam) et (ii) les projets de ports / écoports dans la région (Indonésie, Inde, Sri Lanka, océan Indien).

(iii)Soutien aux acteurs économiques :

o Renforcer les plateformes régionales comme CAP Business OI et PIPSO (Pacific Islands Private Sector organisation) et favoriser l'intégration économique des entreprises ultramarines.

(iv)Rayonnement universitaire et scientifique :

o Contribution à l'extension géographique du programme de mobilité Erasmus océan Indien sur 5 ans avec l'Université de La Réunion (ERASM-IO) couvrant les pays membres de la COI et de l'IORA (lancement en sept 2021).

ANNEXE 4 : L'ACTIVITÉ DE L'AFD
DANS LES TERRITOIRES ULTRAMARINS

(Source : Réponse au questionnaire des rapporteurs, 2022)

1. L'activité dans ces territoires

La crise sanitaire s'est poursuivie en 2021 dans les Outre-mer. Au-delà de ses implications économiques dans les différents départements et régions (bien que moindres que dans l'hexagone), ses conséquences ont également commencé à se faire sentir sur le plan social, comme on a pu l'observer aux Antilles notamment. Cette crise et ses impacts ont ainsi conduit le Groupe à faire évoluer ses modes de faire et ses outils financiers en vue d'apporter des réponses qui soient davantage adaptées aux nouveaux défis sous-jacents à cette crise.

L'AFD continue d'inscrire son action ultramarine dans le cadre du Plan de relance du Gouvernement et en particulier de son dispositif d'appui aux collectivités locales, en cohérence avec les Objectifs de développement (ODD). En 2021, l'activité de l'AFD a atteint un total de 1,315 Md€ en 2021 (contre 1,25 Md€ en 2020), dont 1 072 M€ dans les Outre-mer (149M€ en faveur du secteur privé), et 243 M€ dans les États étrangers. Cette activité a été tirée par quelques opérations de soutien suite à la crise, avec notamment un nouveau prêt garanti par l'État à la Polynésie Française pour le financement partiel du plan de relance du Pays.

• Les volumes d'engagement en faveur des acteurs publics sont de 923 M€ en 2021 :903 M€ de prêts au secteur public (dont 172 M€ de prêts bonifiés et 219 M€ de prêts vert), et 20 M€ de subventions aux acteurs publics ultramarins.

• S'agissant du secteur privé, l'activité 2021 est restée dynamique avec 149 M€ de prêts, dont 99M€ bénéficiant aux entreprises.

En 2022, un niveau d'activité similaire voire supérieur est attendu

2. L'initiative « Outre-mer en commun »

En 2021, le groupe AFD a poursuivi la mise en oeuvre de l'Initiative « Outre-mer en commun » (lancée en mai 2020 par la ministre des Outre-mer et le Directeur général de l'AFD) afin de soutenir les acteurs locaux publics et privés face aux impacts de la crise COVID. Cette initiative permis de valoriser, à ressources constantes, l'ensemble des outils mobilisés par l'agence pour répondre aux besoins des acteurs publics et privés ultramarins à très court terme et à moyen-long terme dans le cadre de la reconstruction post-COVID. Les actions de l'Agence ont notamment concerné : (i) le renforcement des réseaux de surveillance et de réponse à l'épidémie à l'échelon régional, (ii) le traitement des demandes de report d'échéances des prêts aux entreprises et aux collectivités locales et, (iii) l'octroi de prêts d'urgence à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

La mise en place de l'initiative Outre-mer en commun » lancée en 2020s'est concrètement traduite par la mise en place d'actions de financement sur 3 volets :

o Un volet « Urgence sanitaire »

Compléments de financements aux réseaux régionaux de surveillance épidémiologique (4 M€) :

? Réseau de surveillance et d'investigation des épidémies (dit RSIE-SEGA One Health) dans l'océan Indien

? Réseau océanien de surveillance de la santé publique (ROSSP) dans le Pacifique

Contribution à venir au plan de relance des investissements des hôpitaux, avec un appui pour répondre aux besoins de mises aux normes sanitaires et de renforcement de la capacité de prise en charge des pandémies

o Un volet « Urgence économique »

Appui au gouvernement de la Polynésie française : deuxième prêt de 300 M€ garanti par l'État (après 240 M€ en 2020) pour couvrir les besoins urgents de la collectivité et ceux de la Caisse de prévoyance sociale (CPS)

Prêt en cours d'instruction, garanti par l'État, en faveur de la Nouvelle Calédonie

o Un volet « Relance durable »

Lancement du dispositif de formation-action « MOUV'OUTREMER », pour soutenir les démarches entrepreneuriales post-crise, avec des objectifs en matière d'indépendance énergétique et alimentaire :

3. Les dispositifs COROM et FOM

Le Groupe est resté pleinement mobilisé pour contribuer à une relance durable des territoires ultramarins pour lesquels les répercussions à moyen ou long terme de la crise pourraient s'avérer plus sérieuses du fait de la taille et des spécificités de certaines de ces économies. Dans cette perspective et à la demande de l'État, l'AFD finance depuis 2021 la mise en oeuvre du volet assistance technique des Contrats de Redressement des Outre-mer (COROM), dont l'un des objectifs est l'amélioration des délais de paiement des fournisseurs.

Les COROM (Contrats de Redressement des Outre-mer) :

• Ce dispositif de redressement concerne l'ensemble des aspects de la gestion de la collectivité, une attention particulière étant portée aux dettes fournisseurs et aux délais de paiement. En réponse à une demande l'Etat, l'AFD est chargée de la mise en oeuvre du volet assistance technique des COROM (contrats de redressement des Outre-mer).

• A ce jour, dans le cadre des COROM, l'AFD a recruté 6 assistants techniques (2 à la Martinique, 2 à la Guadeloupe, 1 à La Réunion et 1 en Guyane). En 2022, des besoins supplémentaires ont été identifiés pour la commune de Pointe-à-Pitre et pour les communes de Fort-de-France et Saint-Pierre (1 AT spécialisé en RH mutualisé sur les deux communes).

• Il convient de noter que les premiers retours des communes, des préfectures et des agences AFD sur le travail des AT sont très positifs.

Le FOM - Fonds Outre-mer

Le Fonds Outre-mer (FOM), a lui aussi été consacré en 2021 à la mise en oeuvre du Plan de Relance dans les Outre-mer. Doté de 30 M€ d'AE pour 2021 et 2022, avec un objectif de 15 M€ d'autorisation par année, le FOM permet de mobiliser des subventions pour la réalisation de missions d'assistance technique au bénéfice des acteurs publics ultramarins.

En 2021, les interventions du Fonds Outre-mer ont principalement ciblé l'appui en ingénierie aux maitrises d'ouvrage publiques, de façon à faciliter l'amorçage des projets d'investissement inscrits au Plan de Relance. L'enveloppe FOM de 15 M€ pour l'année 2021 a été programmée presque en intégralité par le comité de pilotage (hormis un reliquat de 414 K€).

Pour l'année 2022, les deux comités de pilotage ont octroyé 9,4 M€ pour financer des projets dans l'ensemble des géographies ultramarines sur une enveloppe totale de 15M€ prévue. Le prochain COPIL devrait se tenir en septembre.

4. Conclusion

Grâce à ces évolutions initiées en 2019 et 2020 qui ont été complétées et renforcées en 2021, l'AFD a su maintenir un volume d'activité conséquent dans les Outre-mer afin de jouer un rôle contra-cyclique en offrant une réponse adaptée à l'ampleur de la crise et à ses premières conséquences. Au-delà des réponses spécifiques liées à la crise sanitaire, l'AFD a continué de porter l'ambition de favoriser l'insertion des DROM COM dans leur bassin océanique, en projetant leur expertise dans les États voisins et en facilitant les échanges d'expériences et la coopération régionale.

Bâtissant sur la vision de l'Indopacifique du président de la République, telle qu'esquissée lors des discours de Garden Island (Sydney, Australie) et du théâtre de l'île (Nouméa, Nouvelle-Calédonie) en mai 2018, la France a placé au coeur de cette stratégie ses territoires d'Outre-mer.

La France a un savoir-faire particulier dans les domaines de la lutte contre le changement climatique et de la protection de la nature qu'elle pourrait valoriser et diffuser depuis ses Outre-mer. On peut à ce titre citer l'exemple de la mise en place du cadre d'exploitation durable des ressources halieutiques en Polynésie Française, soutenu par l'AFD, qui est également un enjeu fort pour les autres Etats et territoires dans tout le Pacifique. La Polynésie a réussi à structurer sa filière pêche hauturière qui constitue aujourd'hui un modèle français d'exploitation durable représentant un exemple pour plusieurs Etats du Pacifique (modèle à l'opposé de celui de certains Etats qui vendent des licences de pêche à la Chine sur leur ZEE). Des discussions sont en cours entre la PF et plusieurs Etats sur la possibilité de répliquer le modèle polynésien.

En termes de diplomatie économique, l'AFD continue sa mobilisation pour remplir son obligation vis-à-vis de la participation des entreprises françaises aux appels d'offres internationaux mais constate une plus grande sélectivité de celles-ci. La commande publique mobilise très fortement les entreprises françaises qui participent très majoritairement aux appels d'offre internationaux dans l'océan Indien (e.g. 98% sur 10 AOI au total)


* 1 C'est traditionnellement au Premier ministre japonais Shinzo Abe qu'est attribuée la première utilisation de la notion d'IP dans un discours au Parlement indien en 2007, intitulé « la confluence des deux mers ». L'Inde y fera à son tour référence en 2015 dans sa stratégie maritime pour la sécurité des mers. Voir l'article « La politique maritime de l'Inde : consolider son identité indo-pacifique » de Marianne Péron-Doise, publié dans la Revue de géographie et de géopolitique Hérodote, 2ème trimestre 2019, n° 173 Géopolitique de l'Inde.

* 2 « L'APEC (...), créée en 1989, donnait ses lettres de noblesse à l'expression « Asie-Pacifique ». Cette expression avait d'abord été utilisée par le Japon, lorsque, dans les années 1960, il commençait à se réengager en Asie », voir l'article « L'Indo-pacifique, une échelle qui a une histoire » par Pierre Grosser, publié dans la revue Diplomatie, octobre-novembre 2019, Les grands dossiers n° 53.

* 3 Voir le rapport « Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans », rapport d'information de MM. André Trillard et Jeanny Lorgeoux, fait au nom de la CAEFA, n° 674 (2011-2012) du 17 juillet 2012.

* 4 Rapport d'information n° 222 (2016-2017) du 14 décembre 2016 de M. Christian Cambon, co-président, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-présidente, MM. Robert Laufoaulu, André Trillard et Christian Namy, fait au nom de la CAEFA, « Australie : quelle place pour la France dans le Nouveau monde ? ».

* 5 Il s'agit des 20 pays les plus riches de la planète. En 2022, les membres du G20 sont l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Arabie saoudite, l'Argentine, l'Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, les États-Unis, la France, l'Inde, l'Indonésie, l'Italie, le Japon, le Mexique, la République de Corée, le Royaume-Uni, la Russie, la Turquie et l'Union européenne.

* 6 Selon la Commission européenne la demande pour ces matières premières critiques devrait doubler d'ici 2030. Lors de son discours sur l'état de l'Union, le 14 septembre 2022, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a annoncé pour 2023 un plan visant à sécuriser l'approvisionnement de l'Union en métaux critiques.

* 7 Voir sur ces questions l'étude de l'IFRI intitulée « Géoéconomie des chaînes de valeur : les matières premières minérales de la filière batterie », par Raphaël Danino-Perraud, publiée en août 2021 sur le site de l'IFRI à l'adresse suivante : https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/geoeconomie-chaines-de-matieres-premieres-minerales-de-filiere-batterie et l'étude n °72 intitulée « La criticité des matières premières stratégiques pour l'industrie de défense » par Raphaël Danino-Perraud, Doctorant au Laboratoire d'économie d'Orléans, au Bureau des recherches géologiques et minières et doctorant associé à l'IRSEM, publiée sur le site de l'Université d'Orléans

en novembre 2019 à l'adresse suivante :
https://www.researchgate.net/publication/337499409_la_criticite_des_matieres_premieres_strategiques_pour_l'industrie_de_defense_etude_-n_o_72_Raphael_Danino-Perraud_Doctorant_au_Laboratoire_d'economie_d'Orleans_au_Bureau_des_recherches_geologiques_et_minieres

* 8 Voir l'article intitulé « Suite aux manoeuvres chinoises, course aux armements sans précédent dans le Pacifique » de Paul Loubière publié le 26 décembre 2022 sur le site Challenges à l'adresse suivante : https://www.challenges.fr/monde/suite-aux-manoeuvres-chinoises-course-aux-armements-sans-precedent-dans-le-pacifique_840120#xtor=CS3-89-[Suite%20aux%20manoeuvres%20chinoises%2C%20course%20aux%20armements%20sans%20pr%C3%A9c%C3%A9dent%20dans%20le%20Pacifique]

* 9 Le Japon entend se doter de moyens de contre-attaque en cas d'agression par le biais de missiles de longue portée capables de frapper des sites de lancement de missiles à l'étranger. Sous certaines conditions (excluant toutes frappes préventives) ces " contre-attaques " ne violeraient pas la Constitution japonaise pacifiste rédigée en 1947 par l'occupant américain. Il s'agit d'une nouvelle étape de la lente et graduelle normalisation de la position japonaise en matière de défense.

* 10 Cette projection est issue des travaux menés par le géographe flamand Gerardus Mercator en 1569.

* 11 Tangente à l'équateur du globe terrestre sur une carte plane.

* 12 Ainsi, les principaux reproches adressés à la projection Mercator sont les suivants : l'Amérique du Sud huit fois plus grande que le Groenland semble plus petite. De même, l'Amérique du Sud, près de deux fois plus grande que l'Europe semble plus petite. L'Afrique apparaît de taille équivalente au Groenland alors qu'elle est de 14 à 15 fois plus étendue. L'Inde et la Scandinavie semblent de taille équivalente alors que la superficie de l'Inde est de 3,3 millions de km2 et celle de la Scandinavie est de 0,878 million de km2. L'Alaska et le Brésil semblent occuper la même superficie alors que le Brésil est cinq fois plus étendu, etc. La place occupée par les mers et océans est également inexacte.

* 13 Traduction de la légende: « Un nouveau monde : La projection cartographique AuthaGraph de la Terre mise au point par l'architecte-artiste Hajime Narukawa, basé à Tokyo. En représentant avec précision toutes les zones de terre et de mer, la projection de Narukawa corrige les distorsions de la projection de Mercator de 1569, qui reste à ce jour la vision standard du monde ». Article disponible à l'adresse suivante https://www.japantimes.co.jp/life/2011/07/17/general/the-world-according-to-authagraph/

* 14 L'Australie n'avait montré qu'un intérêt très faible pour le QUAD dans la précédente décennie, notamment, selon les analystes pour ne pas détériorer ses relations avec la Chine.

* 15 Les 5 objectifs stratégiques sont les suivants : 1. Promouvoir la paix, la résilience et la sécurité, 2. Accroître les échanges commerciaux et les investissements et renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement, 3. Investir dans les gens et tisser des liens entre eux (avec notamment une nouvelle politique de visas), 4. Bâtir un avenir durable et vert, 5. Le Canada, un partenaire actif et engagé dans l'Indo-Pacifique.

* 16 La typologie de ces discours est présentée dans l'article « Le sens de l'Indo-Pacifique, de l'ambiguïté sémantique à l'opportunité stratégique » par Delphine Allès et Thibault Fournol, publié dans la revue Diplomatie, octobre-novembre 2019, Les grands dossiers n° 53.

* 17 La visite à Taipei de la Présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, en août 2022, a été suivie de manoeuvres militaires chinoises particulièrement agressives tout autour de Taïwan, empiétant sur les eaux territoriales taïwanaises et provoquant un quasi-blocus. Voir l'article intitulé  « La Chine lance trois jours d'exercices militaires par des tirs en direction de Taïwan » de Simon Leplâtre, publié le 04 août 2022 sur le site du journal Le Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/04/la-chine-lance-trois-jours-d-exercices-militaires-par-des-tirs-en-direction-de-taiwan_6137121_3210.html

* 18 « L'expérience australienne des sanctions commerciales chinoises : une leçon pour l'Europe ? » par Antoine Bondaz, sur le site de la FRS, en avril 2021, n° 15 de la revue Défense et industrie, à l'adresse suivante : https://frstrategie.org/publications/defense-et-industries/experience-australienne-sanctions-commerciales-chinoises-une-lecon-pour-europe-2021

* 19 En novembre 2020, le Premier ministre australien Scott Morrison a demandé des excuses à la Chine pour une «image falsifiée» partagée par un compte Twitter officiel du gouvernement chinois (le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian ayant contribué directement à la propagation de ce mensonge) montrant un soldat australien tenant le couteau à la gorge d'un enfant afghan. Voir « L'Australie demande à la Chine de s'excuser pour l'image trafiquée « répugnante et scandaleuse » d'un soldat assassinant un enfant » publié le 30 novembre 2020 sur le site FR24news, à l'adresse suivante : https://www.fr24news.com/fr/a/2020/11/laustralie-demande-a-la-chine-de-sexcuser-pour-limage-trafiquee-repugnante-et-scandaleuse-dun-soldat-assassinant-un-enfant.html

* 20 Depuis la Seconde guerre mondiale, l'alliance traditionnelle avec les États-Unis demeure la clef de voûte de la politique étrangère australienne qui y voit une garantie de stabilité et d'équilibre dans la région, après le retrait progressif du Royaume-Uni de cette zone. En 1951, une alliance de sécurité a d'ailleurs été nouée entre l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis.

* 21 Les TAAF comprennent cinq districts : l'archipel Crozet, les îles Kerguelen, les îles Éparses de l'océan Indien, les îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam ainsi que la terre Adélie.

* 22 Il s'agit de l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, Marcel Escure, et de l'ambassadrice, représentante permanente de la France auprès de la communauté du Pacifique et du Programme régional océanien de l'environnement, Marine de Carné de Trécesson de Coetlogon.

* 23 Ce poste a été confié à Christophe Penot de 2020 à 2022, ancien ambassadeur de France en Australie. Depuis septembre 2022, Marc Abensour, ancien ambassadeur de France à Singapour lui a succédé.

* 24 En août 2022, la frégate de surveillance Prairial a participé à l'exercice Rimpac 2022, qui a réuni cette année près de 25 000 militaires de 26 pays différents et mobilisé plus de 40 bâtiments et 150 aéronefs.

* 25 La marine indonésienne a invité la Fédération de Russie, ainsi que les États-Unis, le Canada, la Corée du Nord, la Corée du Sud et 42 autres États à participer aux exercices militaires de Komodo.

* 26 Et en mer Méditerranée l'autre année.

* 27 Australie, France, Allemagne, Indonésie, Inde, Singapour, Japon, République de Corée, Royaume-Uni, Philippines, Thaïlande, Émirats arabes unis, Canada, Pays-Bas, Malaisie, Nouvelle-Zélande et les États-Unis. L'Allemagne, le Japon et la Corée du Sud participaient pour la première fois à l'exercice.

* 28 En février 2022, le gouvernement indonésien a conclu un accord pour l'acquisition de 42 Rafale.

* 29 Voir la note n°37/2022 de la Fondation pour la recherche stratégique « La France, une puissance d'initiatives en Indo-Pacifique », publié par Antoine Bondaz, le 15 novembre 2022 sur le site de la FRS à l'adresse suivante : https://www.frstrategie.org/publications/notes/france-une-puissance-initiatives-indo-pacifique-2022

* 30 Les développements suivants reprennent les réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs à la Direction générale du Trésor.

* 31 Estimation qui atteint 26 000 Mds USD, soit 1 700 Mds USD par an, en prenant en compte des coûts d'adaptation engendrés par le changement climatique.

* 32 Le Fonds d'études et d'aide au secteur privé permet de financer sous forme de dons des études de faisabilité en amont de projets d'infrastructures sur lesquels les entreprises françaises pourraient se positionner, ainsi que des démonstrateurs de solutions industrielles innovantes.

* 33 Ils permettent de financer à des conditions financières très favorables (35% d'élément-don au sens de l'OCDE), des projets d'infrastructures ou de services non-rentables, avec un fort impact social et développemental, les secteurs de l'eau et de la santé étant privilégiés.

* 34 Ils permettent de financer des projets publics même rentables. Lorsque le projet est de taille importante, il peut intervenir en cofinancement de crédits bancaires garantis par l'État français. La distribution de prêts directs est conditionnée à l'existence de projets viables comportant une part française suffisante.

* 35 Y compris dans les DROM-COM de l'océan Indien et du Pacifique (Réunion, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie française) où le rôle de l'AFD correspond à celui de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) en métropole (financement du logement, etc.).

* 36 Voir le Rapport d'information n° 520 (2017-2018) de M. Pascal Allizard, Mme Gisèle Jourda, co-rapporteurs et MM. Édouard Courtial et Jean-Noël Guérini, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, intitulé « Pour la France, les nouvelles routes de la soie : simple label économique ou nouvel ordre mondial ? ».

* 37 En témoigne la cession du port d'Hambantota au Sri Lanka.

* 38 La Polynésie française est située à 7 000 km de l'Amérique du Sud, soit la même distance que l'Australie et la moitié de la distance séparant Papeete de Paris.

* 39 Voir le tableau présentant les conceptions de l'IP des principaux pays utilisant cette notion.

* 40 La ligne en neuf traits (ou en 11 traits) également appelée ligne en U ou langue de boeuf est une démarcation indéfinie délimitant une portion de la mer de Chine méridionale, sur laquelle la Chine affirme détenir une souveraineté territoriale. Cette ligne délimite une zone maritime de près de deux millions de kilomètres carrés, soit plus du cinquième du territoire terrestre chinois. Elle comprend : les Îles Pratas (non disputées), les îles Paracels, occupées par la Chine, mais réclamées par le Vietnam et Taïwan, le Récif de Scarborough, revendiqué par la Chine et les Philippines, les îles Spratleys, réclamées par les Philippines, la Chine, Brunei, la Malaisie, Taïwan et le Vietnam (elles se trouveraient au-dessus de vastes dépôts minéraux et de gisements de pétrole), le banc Macclesfield, un atoll submergé à une profondeur de 11 mètres sous le niveau de la mer, revendiqué par la Chine et le récif banc de James, à une profondeur de 22 mètres sous le niveau de la mer, présenté comme « l'extrémité sud de la Chine » par la Chine.

* 41 Citation de Valérie Niquet, responsable du pôle Asie de la Fondation pour la recherche stratégique, extraite de l'article « Sentence de la CPA contre les actions de la Chine en mer: la colère de Pékin » par Stéphane Lagarde, publié le 14 juillet 2016 sur le site de RFI à l'adresse suivante : https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20160714-verdict-haye-pekin-desavoue-face-manille-mer-chine-meridionale-tribunal-verd

* 42 Voir la note n°37/2022 de la Fondation pour la recherche stratégique « La France, une puissance d'initiatives en Indo-Pacifique », publié par Antoine Bondaz, le 15 novembre 2022 sur le site de la FRS à l'adresse suivante : https://www.frstrategie.org/publications/notes/france-une-puissance-initiatives-indo-pacifique-2022

* 43 Ibidem.

* 44 Rapport d'information n° 846 (2020-2021) intitulé « La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ? », précité.

* 45 « Quand on parle de la République populaire de Chine, on a en tête un État, un gouvernement... C'est en fait le parti qui décide de tout en dernier ressort : il faut parler d'un parti-État. L'État c'est le parti. Parmi les piliers sur lesquels repose l'État chinois, vous avez le Parti communiste, le gouvernement et l'armée. Mais le gouvernement et l'armée sont soumis à l'autorité du parti. La personne qui décide en dernier ressort sera toujours le représentant du parti. » Citation de Thierry Kellner, docteur en relations internationales (IHEID), maître de conférences au Département de science politique de l'Université libre de Bruxelles, extraite de « Le parti communiste chinois a 100 ans : est-il devenu ivre de sa réussite économique ? » par Daniel Fontaine, publié le jeudi 01 juillet 2021 sur le site de la RTBF à l'adresse suivante : https://www.rtbf.be/info/monde/detail_le-parti-communiste-chinois-a-100-ans-est-il-devenu-ivre-de-sa-reussite-economique?id=10796300

* 46 Ramsès 2019, Rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies, sous la direction de Thierry de Montbrial et Dominique David, publié par Dunod pour l'Institut français des relations internationales, « Chine : une puissance pour le XXIe siècle » d'Alice Ekman.

* 47 Signés par la Chine entre 1839 et 1864.

* 48 Ainsi, dès 2015, lors de la célébration du 70e anniversaire de la victoire de la Chine sur le Japon, Xi Jinping estimait que cette victoire avait permis de « refaire de la Chine un grand pays dans le monde ».

* 49 Voir la tribune d'Alice Ekman, intitulée « La Chine est aujourd'hui prête à payer le coût de ses positions politiques ou géostratégiques », publiée le 24 octobre 2022 sur le site du journal Le Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/24/la-chine-est-aujourd-hui-prete-a-payer-le-cout-de-ses-positions-politiques-ou-geostrategiques_6147064_3232.html

* 50 Ibidem.

* 51 Voir l'article intitulé « La pensée Xi : l'hégémonie absolue » - Doctrines de la Chine de Xi Épisode 10 publié sur le site de la Revue Le Grand Continent à l'adresse suivante : https://legrandcontinent.eu/fr/2022/10/22/la-pensee-xi-lhegemonie-absolue/

* 52 Derrière l'UE, les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Voir « L'Asean en bref » publié le 22 septembre 2022 sur le site du Trésor public à l'adresse suivante : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SG/l-asean-en-bref

* 53 La dégradation du sort des minorités religieuses, chrétiennes et musulmanes, inquiète et l'évolution de l'` hindutva', nationalisme hindou qui semble sur la voie d'une radicalisation extrême, doit être suivie avec vigilance.

* 54 L'aide d'urgence apportée par la France en août 2022 pour lutter contre les conséquences des graves inondations qui frappaient le Pakistan va en ce sens.

* 55 Voir la note n°37/2022 de la Fondation pour la recherche stratégique par Antoine Bondaz, précitée.

* 56 Texte n° 493 (2020-2021) de MM. Alain Richard, Joël Guerriau et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 27 mars 2021.

* 57 « 21) La modernisation de l'appareil militaire chinois se poursuit et permet à l'APL [Armée populaire de libération (forces armées chinoises)] d'appuyer une stratégie de plus en plus affirmée, y compris sur le plan militaire, que ce soit dans la région Indopacifique, en particulier s'agissant du statu quo dans le détroit de Taïwan ».

* 58 Voir la note n°37/2022 de la Fondation pour la recherche stratégique par Antoine Bondaz, précitée.

* 59 « Le pilotage stratégique par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères des opérateurs de l'action extérieure de l'État » de la Cour des comptes du 10 juin 2020, disponible à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-06/20200610-pilotage-MEAE-operateurs-action-exterieure-Etat.pdf

* 60 Voir l'article intitulé « Une nouvelle stratégie française en matière de forces de souveraineté et de présence » de Jean-Marc Giraud, paru dans 2020 : chocs stratégiques - Regards du CHEM - 69e session, sur le site de la Revue nationale de défense à l'adresse suivante : https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=232&cidcahier=1210

* 61 Ce programme est impulsé par l'Italie avec la participation de la France, de la Grèce et de l'Espagne. Le Portugal a le statut d'observateur.

* 62 La réussite du programme Avismar visant à remplacer les capacités de surveillance maritime de la marine nationale est particulièrement importante pour les forces de souveraineté.

* 63 Voir l'article intitulé « Les collectivités françaises d'Océanie, actrices et atouts en Indo-Pacifique » de Christian Lechervy, Ambassadeur de France en Birmanie depuis 2018. Conseiller « Affaires stratégiques et Asie-Pacifique » du président de la République de 2012 à 2014. Secrétaire permanent pour le Pacifique et ambassadeur auprès de la CPS et du PROE de 2014 à 2018, paru dans la Revue défense nationale n° 844 de novembre 2021 à l'adresse suivante : https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=22718

* 64 La France, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis et Futuna sont membres à part entière du PROE et de la CPS.

* 65 Ce sommet s'est tenu à Pohnpei, dans l'archipel des îles Carolines aux États fédérés de Micronésie, du 7 au 11 septembre 2016. Le 10 septembre 2016, après trois jours d'intenses négociations et des années d'attente, deux territoires indopacifiques français, la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française, ont acquis, le statut de membre de plein droit du FIP. Cette évolution a fait l'objet d'un consensus des leaders du Pacifique et du soutien de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Vanuatu. Le rôle du Premier ministre, francophone, du Vanuatu, Charlot Salwai, dans ce processus doit ici être salué.

* 66 Eu égard à la population mélanésienne très nombreuse de sa province de Papouasie (la moitié occidentale de l'île de Nouvelle-Guinée), l'Indonésie a le statut d'observateur, même si certains mouvements régionaux préféreraient que le statut d'observateur soit réservé au FreePapua Movement.

* 67 En tant que membre associé.

* 68 Le Tavini est l'abréviation du nom en tahitien du parti politique polynésien, fondé et dirigé par Oscar Temaru, en 1977, sous le nom de Front de libération de la Polynésie (FLP).

* 69 Extrait de la note intitulée « L'océanie française à l'heure de l'indo-pacifique : entre local et global » de Raihaamana Tevahitua, Diplômé d'IRIS Sup' en Géopolitique et prospective, publié en décembre 2022 sur le site de l'observatoire géopolitique de l'Indo-Pacifique de l'IRIS à l'adresse suivante : https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/12/ObsIndoPac_Note-1.pdf

* 70 Présidée par Philip Schyle, cette mission d'information regroupe le député Moetai Brotherson, les représentants Richard Tuheiava, Sylviane Terooatea et Éliane Tevahitua, ainsi que le président de l'assemblée Gaston Tong Sang. Le sénateur Teva Rohfritsch et la première vice-présidente à l'APF Sylvana Puhetini en sont les corapporteurs ». Extrait de l'article intitulé « Une mission de l'APF sur la stratégie française en Indopacifique » de Lucie Ceccarelli publié le 24 Août 2022 sur le site Tahiti-infos à l'adresse suivante : https://www.tahiti-infos.com/Une-mission-de-l-APF-sur-la-strategie-francaise-en-Indopacifique_a211462.html

* 71 Extrait de la note intitulée « L'Océanie française à l'heure de l'indo-pacifique : entre local et global » de Raihaamana Tevahitua, précitée.

* 72 Le 19 avril 2021, le Conseil a adopté les conclusions sur une stratégie de l'UE pour la coopération dans la région indo-pacifique. Dans le prolongement des conclusions du Conseil, la Commission et le haut représentant ont présenté, le 16 septembre 2021, une communication conjointe sur la stratégie de l'UE pour la région indopacifique.

* 73 Voir le communiqué de presse du 16 septembre 2021, intitulé « UE et région indopacifique : des partenaires naturels », sur le site de l'Union européenne, publié à l'adresse suivante : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_4704

* 74 Ibidem

* 75 Le Canda n'avait pas encore adopté sa stratégie indopacifique lorsque la stratégie de l'UE a été rédigée ; il a vocation à rejoindre les pays avec lesquels l'UE coopérera dans l'Indopacifique.

* 76 Extrait du livre intitulé « Géopolitique de l'Indo-Pacifique- Genèse et mise en oeuvre d'une idée » d'Isabelle Saint-Mézard aux PUF, novembre 2022.

* 77 Extrait de la Communication conjointe au Parlement européen et au Conseil, « La stratégie de l'UE pour la coopération dans la région indopacifique » sur le site de l'Union européenne à l'adresse suivante :

https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/join_2021_24_f1_communication_from_commission_to_inst_fr_v2_p1_1421169.pdf

* 78 Voir l'article intitulé « Au sein de l'Union européenne, le débat sur les relations avec la Chine s'intensifie » de Philippe Jacqué, publié le 22 octobre 2022, sur le site du journal Le Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/22/au-sein-de-l-union-europeenne-le-debat-sur-les-relations-avec-la-chine-s-intensifie_6146912_3210.html

* 79 Extrait de la Communication conjointe au Parlement européen et au Conseil, « La stratégie de l'Union européenne pour la coopération dans la région indopacifique » sur le site de l'Union européenne à l'adresse suivante :

ttps://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/join_2021_24_f1_communication_from_commission_to_inst_fr_v2_p1_1421169.pdf

* 80 La Commission a annoncé cette décision le 12 février 2020. Elle est entrée en vigueur le 5 août 2020 à l'issue du délai prévu. Pour mémoire, la procédure de retrait avait débuté par la publication le 26 février 2018 d'un rapport par le Conseil des affaires étrangères du Conseil de l'UE qui marquait l'ouverture de la procédure d'évaluation de la situation.

* 81 Voir le livre intitulé « Tout sauf les armes ? La question des droits humains dans les relations entre l'Union Européenne et le Cambodge » de Marine Chuberre Science politique. 2021. dumas-03258871 publié à l'adresse suivante : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03258871/document

* 82 https://www.eeas.europa.eu/node/418963_fr

* 83 Décision 2021/1764 du Conseil du 5 octobre 2021.

* 84 Extrait du document intitulé « Une boussole stratégique en matière de sécurité et de défense - Pour une Union européenne qui protège ses citoyens, ses valeurs et ses intérêts, et qui contribue à la paix et à la sécurité internationales » publié en mars 2022 à l'adresse suivante : https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/documents/strategic_compass_fr_4.pdf

* 85 Ibidem.

* 86 Voir l'article « L'Union européenne et la Boussole stratégique : un moment décisif ? » de Daniel Fiott, publié dans la revue Défense nationale, été 2022, et sur le site à l'adresse suivante : https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=22946

* 87 « L'Europe doit apprendre à parler la langue du pouvoir », article de Josep Borrell, publié dans la revue SAY 2021/1 (N° 3), mis en ligne sur Cairn.info le 24 avril 2021 à l'adresse suivante : https://www.cairn.info/revue-say-2021-1-page-78.htm. « Nous devons enfin, tout en poursuivant le multilatéralisme, nous doter d'une capacité à agir de manière autonome lorsque cela s'avère nécessaire. Comme je l'ai fait valoir il y a un an, les Européens doivent affronter le monde tel qu'il est et non tel que nous souhaitons qu'il soit. L'Europe doit apprendre à parler la langue du pouvoir ».

* 88 « Une boussole stratégique en matière de sécurité et de défense - Pour une Union européenne qui protège ses citoyens, ses valeurs et ses intérêts, et qui contribue à la paix et à la sécurité internationales » précitée.

* 89 Ibidem.

* 90 Ib.

* 91 Ib.

* 92 Ib. pour toutes les citations de ce paragraphe.

* 93 Voir l'ouvrage d'Isabelle Saint-Mézard, précité.

* 94 Voir les actions menées par l'AFD dans ce domaine en annexe.

Les thèmes associés à ce dossier