III. COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE MADAME EDWIGE DUCLAY

Mme Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination du plan chlordécone IV . - Je vous propose d'organiser ma présentation autour de trois axes : mes missions en tant que directrice de projet chargée de la coordination interministérielle du plan chlordécone IV, les objectifs du plan et leur état d'avancement. J'aborderai également les « rencontres chlordécone » qui se tiendront en fin d'année et qui tombent à point nommé vis-à-vis de vos travaux. Ce sera une formidable opportunité pour rencontrer l'ensemble des acteurs et des différents publics cibles.

J'occupe mes fonctions depuis la validation du plan chlordécone IV par le gouvernement, en février 2021. Je suis ingénieure agronome de formation et j'ai travaillé une vingtaine d'années au ministère de l'Écologie, principalement sur des thématiques liées aux pollutions, notamment de l'eau et de l'air, mais également sur des enjeux transversaux comme le développement durable. Aujourd'hui, je travaille à la fois pour le ministère de la Santé et pour celui des Outre-mer. Je suis rattachée aux deux directeurs généraux - de la Santé et des Outre-mer - qui sont les deux co-pilotes du plan. Le plan implique neuf ministères, d'où la nécessité d'un important travail de coordination. Dans les territoires, le plan est piloté et mis en oeuvre par les préfets et les agences régionales de santé.

Mon rôle est de coordonner la mise en oeuvre de ce plan ; j'impulse et je facilite. Je suis basée à Paris car c'est à l'échelle nationale que les décisions sont prises mais je passe environ 20 % de mon temps en Martinique et en Guadeloupe pour assurer la coordination entre l'échelle nationale et l'échelle locale. Je participe ainsi à l'ensemble des comités de pilotage locaux, aux côtés des préfets et des agences régionales de santé. C'est aussi et surtout l'occasion d'être à l'écoute des acteurs de terrain et de constater les besoins, notamment en moyens humains. À titre d'exemple, j'ai facilité le recrutement d'une personne en charge de la chlordéconémie dans chacune des agences régionales de santé et mon ambition est qu'il y ait également un médecin inspecteur sur place.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Auparavant cette fonction de coordination n'existait donc pas ?

Mme Edwige Duclay . - En Martinique, Monsieur Godard avait eu un rôle proche mais mon poste a été créé par le plan chlordécone IV.

Je prépare également les comités de pilotage nationaux, qui sont organisés de manière semestrielle. Ce sont des rendez-vous importants qui nous permettent d'accélérer les décisions sur un certain nombre de dispositions. Quand des besoins d'arbitrage se font ressentir, je demande l'organisation de réunions interministérielles. Mon rôle n'est pas de me substituer aux pilotes mais de faciliter leur action et d'apporter une vision globale. Chaque ministère reste responsable des mesures qu'il doit mettre en oeuvre. Pour illustrer cela, je vous renvoie à la figure 14 que vous pouvez trouver à la page 27 du premier bilan annuel du plan. Vous pouvez y voir l'ensemble des acteurs mobilisés sur ce plan : les ministères, les acteurs locaux, les partenaires. Vous pouvez également constater la nouvelle structuration de la communauté scientifique, avec une personne à temps plein qui travaille pour les deux comités créés. Pour ma part, je suis à l'interface de l'ensemble de ces acteurs.

Mme Laure Darcos, sénatrice . - Concernant la recherche, j'ai été rapporteure pour le budget de la recherche du projet de loi de finances pour 2023 et, dans ce cadre, M. Thierry Damerval m'avait parlé de l'appel à projets dédié de l'ANR.

Mme Edwige Duclay . - Oui, pour la première fois il y a eu un appel à projets pleinement dédié à la chlordécone. Les résultats seront dévoilés au cours d'une conférence de presse qui aura lieu le 8 décembre. Les projets seront ensuite présentés au cours du colloque scientifique qui aura lieu en Guadeloupe la semaine suivante.

Mme Laure Darcos . - Quel est le montant des financements ?

Mme Edwige Duclay . - Sur la durée du plan, l'Agence nationale de la recherche mettra 9 millions d'euros. Pour ce premier appel à projets, l'ANR participera à hauteur de 3 millions, tandis que la région Guadeloupe et la collectivité territoriale de Martinique mettront 1,5 million chacune, soit une enveloppe totale de 6 millions d'euros.

Mon rôle inclut un travail d'articulation entre les deux îles, même si chaque île a ses spécificités. Je rends également des comptes sur l'avancée du plan. Le bilan annuel que nous venons de publier a pour but de témoigner des progrès des différentes actions du plan, avec un dispositif de tableau de bord et d'indicateurs que nous avons mis en place. Je rends régulièrement des rapports et émet des propositions lorsque j'estime que des actions doivent être réorientées ou amplifiées. Enfin, j'essaie également de faire le lien avec d'autres politiques publiques. Cela peut notamment permettre de mobiliser d'autres financements et d'autres leviers.

Pour mener à bien l'ensemble de ces missions, je suis assistée par des chargés de missions qui travaillent sur le plan chlordécone dans les préfectures, dans les agences régionales de santé et dans les différentes administrations. Au total, 150 personnes travaillent dans cet écosystème.

Je vais revenir rapidement sur la genèse du plan, même si ma nomination a été postérieure. Une consultation publique a été conduite, c'était une première par rapport aux plans précédents. Il y a également eu une volonté d'intégration des travaux parlementaires, notamment du rapport d'enquête de l'Assemblée nationale. Globalement, la majorité des recommandations qui y étaient effectuées ont été intégrées au plan. On peut notamment citer : le volet recherche qui représente 30 % du budget total et l'organisation d'appels à projets que nous avons évoqués, l'amplification de la communication et de l'information, l'accompagnement des agriculteurs et des pêcheurs, un volet spécifique pour la formation et l'éducation, un volet santé-travail avec des dispositifs de réparation et de prévention, dont le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, et la création de mon poste qui faisait également partie de leurs recommandations. Pour les quelques recommandations qui n'ont pas été directement intégrées, cela s'explique soit par la mise en place d'autres dispositifs permettant d'atteindre les mêmes objectifs, soit parce que ces recommandations sortaient du périmètre stricto sensu du plan chlordécone.

Par rapport au plan précédent, il y a une réelle continuité. Ce sont les plans précédents et leurs acquis qui nous amènent aujourd'hui à pouvoir proposer certaines réponses. Je pense par exemple au dispositif de chlordéconémie et à l'outil d'aide à la décision pour la décontamination des bovins ; leur mise en place résulte d'actions lancées en amont. Les travaux scientifiques et les connaissances qu'ils ont apportées ont été utilisés au service de l'action dans la mise en oeuvre du plan IV.

Pour autant, le plan IV va plus loin que les plans précédents. Il dispose notamment d'un budget inédit : 92 millions d'euros. C'est à peu près la somme des budgets des trois plans précédents. En outre, comme je l'évoquais, d'autres politiques publiques peuvent être mobilisées. La gouvernance du plan a été revue, avec la création de mon poste mais également du Comité de pilotage scientifique national (CPSN) et de la Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles (CloReCA). De nouveaux leviers sont mobilisés, notamment grâce au volet santé-travail, qui était un grand oublié des plans précédents. Ce dernier vise à réparer, avec le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides - qui ne concerne pas la chlordécone -, mais également à prévenir, en prenant en compte l'ensemble des pesticides. Le volet formation-éducation est également une nouveauté, avec notamment des dispositifs à destination du personnel enseignant et des agriculteurs. Enfin, le volet socio-économique apporte des aides pour les pêcheurs et les agriculteurs.

Les mesures qui fonctionnaient, comme le programme JaFa, ont bien évidemment été conservées et amplifiées. Les contrôles sur les denrées alimentaires ont également été renforcés, notamment sur les ventes informelles qui se font en bord de route. Enfin, il y a une vraie volonté d'« aller vers » les publics cibles.

En résumé, ce plan a quatre ambitions : protéger la santé des populations, tendre vers le « zéro chlordécone » dans l'alimentation, prendre en charge les impacts de cette pollution et agir en commun entre État, élus, associations et citoyens. Comme vous avez pu le voir lors de votre seconde audition publique, il y a des marges de progrès sur ce dernier point. L'intervention du Pr Justin Daniel a bien illustré le contexte de défiance vis-à-vis de l'État dans lequel nous nous trouvons, exacerbé par les affaires judiciaires. Agir en commun, c'est donc un véritable défi car pour atteindre les publics cibles, l'État seul ne suffira pas.

On peut d'ailleurs voir que, pour certains dispositifs - la chlordéconémie, l'analyse de sols, l'indemnisation par le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides -, l'offre est supérieure à la demande alors même que ces actions répondent à des attentes fortes de la population. Il est donc essentiel de travailler avec les associations et les élus pour porter ces dispositifs.

Mme Catherine Procaccia . - J'avais du mal à comprendre pourquoi les préconisations relativement simples du programme JaFa n'étaient pas pleinement appliquées. Cette audition m'a permis de comprendre la défiance généralisée vis-à-vis de la parole de l'État. C'est quelque chose que je n'avais pas senti aussi fort il y a treize ans.

Mme Edwige Duclay . - En effet, il y a encore beaucoup d'efforts à faire. Le volet communication correspond à 5 % du budget du plan. Vous parlez de défiance, j'irai même jusqu'à parler, dans certains cas, de fausses informations particulièrement anxiogènes qui découragent la population de faire des efforts. Une des nouveautés de ce plan est de prendre en compte les sciences humaines et sociales pour comprendre les freins et les leviers à activer. C'est un domaine qui n'avait pas vraiment été exploré et qui prend toute sa place dans le plan chlordécone IV. À titre d'exemple, un volet sciences humaines et sociales était obligatoire pour répondre à l'appel à projets de l'ANR et la vice-présidence du CPSN est occupée par le Pr Justin Daniel.

La conclusion que je souhaite retenir c'est que nous avons besoin de tout le monde pour que ce plan parvienne à se déployer. Il y a des avancées mais nous devons faire preuve d'humilité. Il y a encore beaucoup de choses à faire - c'est un plan qui s'inscrit dans la durée - et nous avons besoin de mobiliser. C'est pour cela que les ministres Jean-François Carenco et Agnès Firmin Le Bodo ont souhaité présenter le bilan annuel du plan aux élus des Antilles, avant sa publication. Au cours des « rencontres chlordécone », il y aura également des moments d'échange avec les élus, les collectivités et les associations. On a des exemples très concrets de mobilisation d'élus, notamment dans la commune du Lorrain en Martinique, qui permet un vrai déploiement d'actions. Il y a des problèmes de colère et de défiance mais, concernant la protection de la population, l'objectif du « zéro chlordécone » dans l'alimentation et la réparation des impacts, il y a des choses qui peuvent être faites.

Mme Catherine Procaccia . - Quels sont vos objectifs à l'issue du plan ? Ont-ils été chiffrés ?

Mme Edwige Duclay . - Nous avons commencé à y travailler, comme vous pouvez le voir dans le bilan annuel qui inclut un tableau de bord résumant l'avancée des différentes actions.

Pour autant, l'idéal serait que ce ne soit pas l'État qui évalue la réussite du plan mais des instances externes et indépendantes. Le Haut Conseil de la santé publique pourrait par exemple être saisi pour conduire ce travail. À travers vos travaux ou d'autres travaux parlementaires, vous pourrez peut-être également jouer ce rôle.

Certains indicateurs de suivi existent, comme, par exemple, l'imprégnation de la population, dont on peut suivre l'évolution. La chlordéconémie devrait nous permettre d'effectuer un suivi plus fin. Nous avons saisi Santé publique France afin qu'une méthode de calcul robuste soit développée pour réaliser ce suivi.

Mme Catherine Procaccia . - Quels sont vos objectifs vis-à-vis du nombre de personnes testées et de la réduction de l'imprégnation ?

Mme Edwige Duclay . - Pour l'instant, en Martinique, l'objectif est de l'ordre de 7 000 analyses par an. Nous n'avons cependant pas fixé d'objectif pour la baisse de l'imprégnation car il est au préalable nécessaire de définir une méthode de calcul. Les personnes inclues aujourd'hui dans les analyses de chlordéconémie ne sont pas forcément représentatives de la population générale, une méthode statistique doit donc être développée pour pouvoir comparer les résultats d'un point de vue populationnel d'une année sur l'autre.

Mme Catherine Procaccia . - Ne serait-il pas possible de suivre spécifiquement les personnes ayant un jardin familial contaminé ? Cela permettrait de vérifier que la communication fournie permet bien de faire baisser l'imprégnation.

Mme Edwige Duclay . - C'est prévu. Nous avons d'ailleurs un dispositif d'évaluation du programme JaFa.

Mme Catherine Procaccia . - Ce programme a-t-il évolué depuis sa mise en place ?

Mme Edwige Duclay . - Oui, notamment du point de vue de la communication. Par exemple, en Martinique, on a créé un numéro vert unique pour prendre rendez-vous et un site internet qui regroupe certaines informations. L'ARS de Martinique a également mis en place un appel à projets pour mobiliser des associations et différents acteurs locaux pour porter les messages de prévention. Ainsi, douze porteurs de projet vont pouvoir amplifier les mesures d'accompagnement.

Mme Catherine Procaccia. - Est-ce que les communes proposent une alimentation « zéro chlordécone » dans la restauration scolaire comme certaines communes proposent de l'alimentation biologique en métropole ?

Mme Edwige Duclay . - Non, le label « zéro chlordécone » n'est pas encore totalement mûr. Des financements sont prévus dans le plan pour le développer.

Pour revenir à l'imprégnation, l'étude Kannari 2 va également apporter de nouvelles informations mais, comme je vous le disais, nous voulons un « baromètre » de la chlordéconémie pour ne pas avoir à attendre 10 ans afin d'observer l'évolution de l'imprégnation.

À la suite des analyses de chlordéconémie, un dispositif d'accompagnement est mis en place. Pour les personnes ayant une concentration particulièrement élevée, une nouvelle analyse est proposée après 9 mois. Dans ces cas, une visite à domicile est organisée afin d'aider à réduire cette imprégnation, notamment en proposant des conseils nutritionnels. Lorsque les résultats sont donnés, il est bien rappelé qu'avoir de la chlordécone dans le sang n'induit pas forcément de tomber malade.

Un programme de recherche mené par le CHU de Guadeloupe a également été mis en place afin de comprendre, avec les personnes volontaires, les déterminants permettant de faire baisser l'imprégnation.

Mme Catherine Procaccia . - Y a-t-il un axe pour les femmes enceintes ?

Mme Edwige Duclay . - Notre priorité est la chlordéconémie gratuite pour tous, on souhaite que chacun puisse se saisir de cet outil. À terme, nous souhaiterions que ces analyses soient prises en charge par la sécurité sociale afin de simplifier le dispositif.

Il y a une priorité claire pour les personnes les plus exposées et les plus vulnérables, dont les femmes en âge de procréer et les femmes enceintes font partie. Un programme « génération future » se déploie progressivement avec des consultations préconceptionnelles. A ce stade, 200 consultations ont pu être conduites. Un dispositif de formation des professionnels de santé - sages-femmes, médecins, diététiciens - sur la chlordéconémie a également été mis en place. Pour l'instant, plus de 200 personnels de santé ont été formés.

Mme Catherine Procaccia . - Ne peut-on pas imaginer que la concentration en chlordécone soit systématiquement analysée pour tout Antillais faisant une analyse de sang, quelle qu'en soit la raison ?

Mme Edwige Duclay . - Cela est proposé en Guadeloupe, où une ordonnance est nécessaire pour effectuer l'analyse, mais cela nécessite que le professionnel de santé soit sensibilisé à la chlordéconémie.

À l'avenir, notre objectif est également de travailler avec les acteurs de la périnatalité pour faire le lien avec les 1 000 premiers jours.

Mme Laure Darcos . - Des actions sont-elles organisées dans le cadre scolaire ?

Mme Edwige Duclay . - C'est un relais qui est mobilisé. Dans certaines écoles, des éco-délégués et le personnel enseignant ont été formés. Des initiatives très concrètes comme la création de jeux de société et d'un « escape game » ont également été mises en place. L'enjeu est de réussir à sensibiliser sans paniquer.

Concernant la stratégie de recherche, les travaux sur l'impact de la chlordécone se poursuivent. La santé féminine est parfois évoquée comme une oubliée des plans chlordécone. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur le cancer de la prostate. Il y a plusieurs pistes de recherche sur la santé féminine, notamment concernant l'endométriose.

Notre objectif est également d'insérer la thématique chlordécone dans un contexte plus large de réduction de l'exposition aux différents perturbateurs endocriniens et aux substances chimiques et de l'intégrer dans le parcours des femmes enceintes. C'est un exemple d'intégration dans une autre politique publique. L'objectif est de gagner en efficacité et de ne pas rajouter un dispositif supplémentaire à ce qui pourrait exister par ailleurs.

Pour résumer, nos objectifs concernant la protection des personnes incluent le baromètre de la chlordéconémie, le suivi des publics les plus vulnérables et les plus exposés, la sensibilisation des professionnels de santé et la poursuite des travaux de recherche avec les agences sanitaires qui sont très mobilisées sur le sujet.

L'autre enjeu est de tendre vers le « zéro chlordécone » dans l'alimentation. Nous sommes en train d'y travailler, notamment avec l'ANSES, afin de savoir si les aliments consommés aujourd'hui sont moins contaminés que par le passé. L'étude ChlorExpo a été lancée avec l'objectif de faire le point sur la contamination des différentes denrées. Nous souhaitons notamment savoir si, au-delà du respect de la LMR, la contamination diminue. Aujourd'hui, d'après les analyses réalisées, 62 % des aliments ne présentent pas de trace de chlordécone. Une amélioration est observable au niveau de la viande, avec une baisse significative du nombre de carcasses contaminées. J'aimerais qu'on ait un indicateur robuste pour pouvoir apprécier si on tend vers le « zéro chlordécone ».

Comme je vous le disais, le programme JaFa a été amplifié, tout comme l'accompagnement des agriculteurs. Nous espérons pouvoir développer l'outil d'aide à la décision qui permet d'estimer, à partir d'une prise de sang, la durée de décontamination nécessaire pour les bovins. Il y a également une opération « macaron de pêche » avec les pêcheurs professionnels qui s'engagent à respecter les zones d'interdiction. Pour les produits de la mer, le taux de non-conformité a également baissé de manière non négligeable. Cela témoigne très probablement de changements de pratiques car, malheureusement, il n'y a pas eu de baisse de la contamination au niveau de la mer.

Concernant la prise en charge des impacts, le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides n'est pas encore assez bien connu. Quarante demandes ont été déposées aux Antilles, 32 en Martinique et 8 en Guadeloupe. Parmi celles-ci, à l'heure actuelle, 25 ont donné lieu à des accords du Fonds et 4 à des refus. Les 11 demandes restantes sont en cours d'instruction. En Martinique, une association financée par l'État aide les victimes à construire leurs dossiers, en se déplaçant directement chez les personnes. Un système a été mis en place afin que les personnes laissent leurs informations personnelles et que l'association les rappelle, dans une perspective d'« aller vers ». De même, lorsque j'étais en Martinique, il y a dix jours, nous avons formé avec la préfecture les correspondants des maisons France Services. Notre enjeu est de réussir à montrer que c'est un dispositif qui ne concerne pas que la chlordécone et les plantations de banane. Concernant les pêcheurs, le dispositif mis en place a pour objectif d'aider les pêcheurs à se désendetter afin qu'ils puissent ensuite bénéficier d'aides européennes.

Enfin, le dernier point que je souhaitais évoquer avec vous est les « rencontres chlordécone » qui auront lieu du 12 au 16 décembre. Le mot d'ordre est « connaître pour agir ». Ces rencontres comprendront un temps d'échange avec les scientifiques, grâce au colloque qui va durer trois jours et qui inclura des visites de terrain, des ateliers et des présentations, mais également des temps d'échange avec les différents publics cibles sur les deux îles. Des réunions auront lieu avec les professionnels de santé afin que des scientifiques puissent leur présenter les impacts de la chlordécone sur la santé, le dispositif de chlordéconémie et le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Il y aura également un temps fort avec les élus, autour des préfets, et plusieurs événements auront lieu auprès des scolaires, des acteurs de la pêche et de l'agriculture.

Pour toucher le grand public et valoriser les travaux scientifiques, le plus efficace est d'utiliser les médias comme la radio et la télévision. Aussi, une émission télévisée sera réalisée et diffusée sur Guadeloupe La Première en janvier. En Guadeloupe, une réunion sera organisée autour de Jessica Oublié, qui a écrit le livre « Tropiques Toxiques ». En Martinique, une pièce de théâtre sur la chlordécone a été montée par l'Instance régionale d'éducation et de promotion de la santé (IREPS) à la demande de l'ARS et sera présentée dans une salle de cinéma pour, ensuite, ouvrir le débat. Il y aura également un moment d'échange grâce à des vidéos réalisées par le Carbet des sciences, qui fait de la médiation scientifique. Ces vidéos, dans lesquelles des scientifiques répondent à des questions émanant de la population, pourront être valorisées par la suite. Les projets pédagogiques qui ont mobilisé des scolaires seront également présentés. Un travail est réalisé avec la presse pour médiatiser les avancées et les solutions, toujours dans une optique de « connaître pour agir ».

Mme Catherine Procaccia . - Je me demande pourquoi la cartographie des sols n'a pas été terminée et pourquoi, dans certains cas, l'eau potable reste contaminée malgré les solutions de traitement. Cela m'interroge d'autant plus qu'il y a d'importants problèmes d'alimentation en eau en Guadeloupe. Est-ce que ces deux problèmes sont liés ou la chlordécone est-elle un problème qui s'ajoute ?

Mme Edwige Duclay . - Concernant la cartographie des sols, je me permets de vous remettre les dernières cartes à jour. Les précédentes cartes utilisaient un dispositif de morcèlement qui laissait penser qu'on avait des « confettis » d'analyse de sol.

Je souhaite souligner que les analyses des sols sont gratuites pour tout le monde, agriculteurs comme particuliers. L'objectif de ces analyses n'est pas de couvrir la totalité du territoire mais que chacun puisse savoir s'il a de la chlordécone sur son terrain afin de pouvoir prendre les dispositions adaptées. Cela implique de croiser plusieurs informations : est-ce qu'on se situe dans une zone à risque et est-ce qu'il existe une culture à risque ? Par exemple, même dans une zone à risque, si on cultive des bananes, l'analyse de sol n'est pas utile. L'objectif est donc de permettre à chacun de se saisir de ces informations et de décider en conséquence. Le dispositif fonctionne à travers un guichet ouvert et toutes les personnes qui le souhaitent peuvent bénéficier de ces analyses.

Aujourd'hui, les zones à risque de contamination sont connues. Celles-ci ne sont pas pleinement couvertes par les analyses, nous en sommes à environ 20 %. Nous avons demandé aux Directions de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt d'identifier sur ces cartes les zones de culture de banane et de canne à sucre. Ces cultures n'étant pas à risque, les analyses n'y sont pas nécessaires.

Mme Catherine Procaccia . - Quel est le temps nécessaire pour réaliser ces analyses ?

Mme Edwige Duclay . - Dans certains cas, il faut envoyer les échantillons dans l'hexagone, cela peut prendre quelques mois.

Mme Catherine Procaccia . - Est-ce facile à demander ?

Mme Edwige Duclay . - Oui. En Guadeloupe, il y a même un formulaire de demande en ligne. En Martinique, la Chambre d'agriculture a passé une convention avec la préfecture. Cela permet ensuite aux agriculteurs d'obtenir des conseils en fonction du résultat. Nous avons déjà atteint 80 % des objectifs en 2022.

Mme Catherine Procaccia . - Les objectifs sont-ils plus facilement atteints avec les professionnels qu'avec les particuliers ?

Mme Edwige Duclay . - Non, nous atteignons également nos objectifs avec les particuliers.

Mme Catherine Procaccia . - Est-ce que vous faites face à des personnes qui adoptent la « politique de l'autruche » et ne souhaitent pas savoir ?

Mme Edwige Duclay . - Oui, il y a des gens qui ont peur que cela dévalorise leur patrimoine. C'est pour cela qu'il est primordial de communiquer pour indiquer qu'une contamination du sol n'est pas une fatalité. C'est le mot d'ordre du programme JaFa en Martinique.

Mme Laure Darcos . - Est-ce que les agriculteurs culpabilisent ?

Mme Edwige Duclay . - Je ne pourrais pas vraiment vous dire, il est vrai que les agriculteurs peuvent parfois être montrés du doigt.

Concernant l'eau, le taux de conformité est de 100 % en Martinique et de 97,5 % en Guadeloupe. Les non-conformités en sortie d'usine peuvent provenir de trois causes différentes. Dans certains cas, le traitement de l'eau peut avoir pour seul objectif la désinfection de l'eau et ne pas concerner les pesticides. Dans d'autres cas, le traitement peut être insuffisamment efficace. Enfin, cela peut provenir d'une défaillance dans le suivi des installations de traitement, notamment des filtres à charbon qui doivent être renouvelés fréquemment. D'après les informations que nous avons eues des Agences régionales de santé, les non-conformités proviendraient principalement d'un problème de défaillance sur l'étape de traitement avec des difficultés ou des retards dans le changement des filtres.

Cependant, dès que le dépassement est constaté, des mesures de gestion sont immédiatement mises en oeuvre.

Mme Catherine Procaccia . - Il me semblait que la consommation d'eau de source était assez commune aux Antilles, est-ce toujours le cas ?

Mme Edwige Duclay . - Dans le cadre du plan chlordécone IV, il est prévu d'effectuer un inventaire de la qualité des eaux de source. En Guadeloupe, les résultats sont assez mauvais, tandis qu'en Martinique, les études sont encore en cours. Les eaux de source sont susceptibles d'être bien plus contaminées que l'eau du robinet, alors même que dans l'inconscient collectif elles sont vues comme pures et donc consommées par la population. C'est un des enjeux du plan de communiquer sur cet aspect.

Mme Catherine Procaccia . - La possibilité de mettre des filtres à charbon n'a-t-elle pas été envisagée ?

Mme Edwige Duclay . - Non, ce sont des eaux qui ne sont pas destinées à être potabilisées. Des panneaux de prévention ont été installés mais cela ne suffit pas forcément à transmettre le message. Des efforts supplémentaires doivent être conduits, y compris avec les élus.

Je souhaiterais revenir à la chlordéconémie. Le nombre de dosages peut paraitre modeste mais il est nécessaire de considérer tout le travail qui a été réalisé en amont. Nous avons dû développer un dispositif d'accompagnement gradué en fonction de la quantité de chlordécone présente dans le sang. En Guadeloupe, les analyses sont faites sur place par l'Institut Pasteur, ce qui a demandé des travaux préliminaires. Il a également fallu former les médecins et coordonner les deux ARS, afin que les messages fournis à la population soient identiques.

Mme Catherine Procaccia . - Quand quelqu'un fait spontanément un dosage, quel est l'accompagnement qui est organisé après ? La démarche doit-elle être effectuée par la personne concernée ou est-ce automatique ?

Mme Edwige Duclay . - Une plateforme téléphonique est en train d'être mise en place en Martinique et en Guadeloupe afin d'orienter vers les différents dispositifs.

Mme Catherine Procaccia . - C'est donc à la personne de téléphoner ?

Mme Edwige Duclay . - Non, c'est la plateforme qui s'en occupe.

M. Nassim Mekeddem . - Le dispositif s'appuie sur la plateforme RIPOSTE qui avait été utilisée pour les personnes ayant été testées positives à la Covid-19.

Mme Edwige Duclay . - En Guadeloupe, le souhait était d'avoir mis en place l'ensemble du dispositif d'accompagnement avant d'ouvrir la possibilité d'analyse. Malgré une ouverture au mois de juin, 1 500 analyses ont déjà été conduites et nous observons une montée en puissance.

En Martinique, en raison d'un contexte différent, une autre stratégie a été adoptée et il a été décidé de permettre ces analyses le plus rapidement possible. Le dispositif d'accompagnement y est en cours d'amélioration et de finalisation.

Une coordination est effectuée au niveau national par la Direction générale de la santé pour qu'il n'y ait pas de différences de discours entre la Martinique et la Guadeloupe et que les seuils d'accompagnement soient harmonisés. Notre objectif à terme est bien entendu d'accroitre le nombre de dosages. Pour cela, nous avons besoin de relais encourageant la population à aller évaluer son imprégnation.

À terme, nous aimerions que ces analyses soient prises en charge par la sécurité sociale. Initialement, elles étaient financées par le Programme des interventions territoriales de l'État (PITE) et le sont maintenant par les ARS, via le fonds d'intervention régional. Cela permettrait de faciliter le transfert d'information et le suivi. Actuellement, il est nécessaire de réaliser des conventions avec les laboratoires, ce qui peut s'avérer relativement lourd à mettre en place.

Comme évoqué précédemment, ces analyses nous permettront de suivre plus finement l'évolution de l'imprégnation de la population. L'étude Kannari avait montré que plus de 90 % de la population antillaise avait de la chlordécone dans son sang. Lors des « rencontres chlordécone », l'ANSES présentera la proportion des Antillais qui présentent une imprégnation inférieure au seuil en-dessous duquel on considère que le risque de maladie est négligeable.

Mme Catherine Procaccia . - Comment avait été déterminé ce taux de 90 % ?

Mme Edwige Duclay . - Des analyses avaient été menées sur un échantillon représentatif de la population en 2013 et 2014. L'outil d'analyse permettait de détecter des concentrations en chlordécone très faibles, jusqu'à 0,02 ìg/L. La valeur toxicologique de référence interne définie par l'ANSES est de 0,4 ìg/L. Il devrait donc y avoir une part importante de personnes qui, bien qu'ayant de la chlordécone dans le sang, se situent sous ce seuil.

Les résultats dont nous disposons grâce aux premières analyses de chlordéconémie ne peuvent pas être comparés avec cette proportion de 90 %. Premièrement, parce que les personnes ayant fait ces analyses ne constituent pas un échantillon représentatif. Deuxièmement, parce que la sensibilité des méthodes d'analyse n'est pas identique. À titre d'exemple, la limite de détection atteinte par l'Institut Pasteur en Guadeloupe est de 0,05 ìg/L.

L'étude Kannari 2 apportera également des résultats qui permettront d'évaluer l'exposition de la population.

Mme Catherine Procaccia . - Est-ce que des études ont été réalisées sur l'imprégnation d'Antillais qui quitteraient les Antilles pour venir en métropole ?

Mme Edwige Duclay . - Non, pas à ma connaissance.

Pour les personnes dont le dosage révèle une concentration en chlordécone supérieure à 0,4 ìg/L, un accompagnement personnalisé est proposé avec une visite à domicile, des conseils de professionnels de santé et de diététiciens et une nouvelle analyse après 9 mois.

Mme Catherine Procaccia . - Ce dispositif est déjà mis en place ?

Mme Edwige Duclay . - Cela vient de commencer.

M. Nassim Mekeddem . - En Guadeloupe, une cinquantaine de personnes ont pu bénéficier d'une visite à domicile.

Toutes les personnes qui font un dosage de chlordéconémie se voient proposer un accompagnement. Celui-ci est renforcé et personnalisé pour les personnes ayant une concentration en chlordécone dans le sang supérieure à 0,4 ìg/L.

Mme Edwige Duclay . - Au-dessus ou en-dessous de ce seuil, il est de toute façon important que chacun tente de réduire son imprégnation. Ce seuil permet de graduer et de cibler l'accompagnement mais l'objectif est toujours de la réduire.

Mme Victoire Jasmin, sénatrice . - Comment les tests sont-ils homologués ? Sont-ils tous aussi performants ?

Mme Edwige Duclay . - Les tests sont choisis pour être fiables dans les gammes de concentration les plus courantes.

M. Nassim Mekeddem . - Chaque laboratoire qui réalise des analyses de chlordéconémie met en place sa méthodologie en étalonnant ses appareils en comparaison avec d'autres laboratoires.

Mme Edwige Duclay . - Ces développements restent relativement récents. En Martinique, l'État a financé un appareil d'analyse. Il y a toute une procédure qui doit être suivie pour mettre en place la méthodologie et former les acteurs.

J'aimerais revenir sur la manière dont les citoyens et les associations sont associés au plan. Les citoyens ont tout d'abord pu participer à l'élaboration du plan grâce à la consultation publique. De plus, les Comités de pilotage locaux, qui sont animés par les préfets, regroupent les associations de consommateurs, les syndicats et les associations environnementales. Enfin, les citoyens sont évidemment associés grâce aux mesures qui leurs sont destinées (programme JaFa, analyses de chlordéconémie...).

Par ailleurs, l'appel à projets lancé par l'ARS Martinique a permis de retenir 12 lauréats qui pourront porter des messages auprès de la population afin de réduire l'exposition. On retrouve parmi les lauréats une certaine diversité avec la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (FREDON), un collège et un lycée, le Centre communal d'action sociale (CCAS) du Lorrain, le Groupement de défense sanitaire de la Martinique, l'Université des Antilles, le Carbet des sciences, les Familles rurales, la Fédération des associations agréées de pêche, une association qui fait de la formation pour les consommateurs des produits de la pêche, une association avec un projet de jardins partagés et l'association Le panier de Gabriel, aussi autour du jardin.

La mobilisation de la jeunesse nous semble également essentielle. Un jeu de société a été créé par des lycéens avec Jessica Oublié et sera remis à chaque établissement scolaire.

Mme Catherine Procaccia . - La méthode a changé, cela donne de l'espoir. J'espère qu'à l'issue des sept ans du plan chlordécone IV, la situation se sera améliorée.

Même si les chercheurs trouvaient une solution permettant de se débarrasser de la chlordécone à des prix acceptables, la dépollution prendra assurément un certain temps. Cette communication et ces actions sont donc essentielles.

Mme Edwige Duclay . - Oui, je pense qu'il faut donner de l'espoir.

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