EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 22 mars 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information du groupe de travail sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense », dans la perspective de la loi de programmation militaire ? (M. Joël Guerriau et Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteurs).

M. Christian Cambon, président . - Nous examinons ce matin les conclusions de nos rapporteurs du groupe de travail sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » dans la perspective de la loi de programmation militaire (LPM).

M. Joël Guerriau, rapporteur . - Dans l'attente de l'examen du projet de LPM 2024-2030, qui devrait être présenté en conseil des ministres dans les prochaines semaines, nous avons mené un cycle d'auditions préparatoires sur le modèle de ressources humaines du ministère des armées.

Notre groupe de travail a ainsi entendu les directeurs des ressources humaines de chacune des forces armées ainsi que des principales formations rattachées pour faire un point sur leurs effectifs actuels et sur leurs priorités pour les années à venir.

J'aimerais insister sur le caractère central des ressources humaines pour les armées. La guerre en Ukraine a remis en lumière l'importance de la force morale des militaires qui composent une armée. Les orientations prises, tant sur le nombre de militaires dans nos forces que sur leurs conditions de vie, se doivent d'être en cohérence avec notre modèle d'armée.

J'insiste sur l'importance des choix budgétaires de la prochaine LPM en matière d'effectifs des forces armées. Ils auront des conséquences structurelles et des répercussions dans chaque unité de nos forces et contribueront à déterminer, en définitive, la crédibilité de nos choix stratégiques.

Dans son discours aux armées du 20 janvier dernier, le président Macron affirmait que notre plus grand risque serait de ne pas nous donner les moyens de nos ambitions. Je souligne que ce jugement vaut aussi pour le format en ressources humaines de nos armées.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure . - J'aimerais revenir sur les vingt-cinq années qui nous séparent de la décision, prise en 1996 par le président Jacques Chirac, de suspendre la conscription, décision suivie par la loi de programmation militaire qui a organisé la transition vers une armée de métier.

Cette décision, jamais remise en cause depuis, continue d'avoir des répercussions majeures sur notre modèle d'armée. Elle est le symbole des décennies 1990 et 2000. La dissolution du Pacte de Varsovie a fait naître dans l'opinion publique comme dans l'esprit des décideurs, durant cette période, l'idée d'une fin de l'Histoire. Il était temps de bénéficier, selon l'expression consacrée, des dividendes de la paix, ce qui a justifié la réduction de nos investissements de défense.

Mais les temps ont changé : le président Emmanuel Macron parle désormais d'un « retour tragique de l'Histoire » et a annoncé un projet de LPM 2024-2030 ayant pour objet de nous préparer à la haute intensité. Or, en vingt-cinq ans, ce ne sont pas une, mais deux vagues de réduction brutale des effectifs auxquelles les militaires ont dû faire face.

La première, liée à la fin de la conscription, a supprimé 137 000 postes dans les armées en seulement cinq ans soit 25 % des effectifs. L'armée de terre a été la plus touchée par cette première vague.

La seconde a résulté de la révision générale des politiques publiques (RGPP) du président Nicolas Sarkozy, entre 2007 et 2012. Les responsables des ressources humaines militaires nous ont tous indiqué qu'elle continuait d'avoir des effets dix ans après la fin de sa mise en oeuvre. La RGPP a supprimé 34 000 postes en cinq ans.

Ensuite, l'année 2015, durant laquelle la France a été endeuillée, à plusieurs reprises, par les attentats terroristes perpétrés sur notre territoire, marque le point d'inflexion de la trajectoire des effectifs de nos armées. Dès lors, un coup d'arrêt a été mis à la réduction des effectifs des armées par le Président François Hollande.

Il a eu lieu en deux temps : d'abord un redressement progressif des effectifs, jusqu'en 2018, qui a été prolongé par la LPM 2019-2025, avec la création de 6 000 équivalents temps plein (ETP) prévue. Il faut cependant souligner ces créations sont sans commune mesure avec l'amplitude des suppressions décidées durant vingt ans.

Ainsi, si nous avons bien créé 8 000 postes dans les sept années qui nous séparent de l'inversion de la courbe en 2015, ils sont loin de compenser les 52 000 postes supprimés dans les sept années précédentes. Restons donc conscients que nos forces armées comptent moins de militaires aujourd'hui qu'il y a dix ans.

En dépit des annonces récurrentes - réparation, remontée en puissance des effectifs de nos forces armées -, la trajectoire de redressement est moins rapide que ne l'était celle des suppressions de postes. Par conséquent, les choix que nous inscrirons dans la prochaine LPM seront déterminants.

En effet, il est impossible de dissocier les effectifs des objectifs opérationnels pour affronter les conflits de demain. Le nombre de militaires comme leurs qualifications relèvent du modèle d'armée que nous voulons pour notre pays, au même titre que les matériels et les armes.

Si les réductions brutales d'effectifs que je viens d'évoquer étaient cohérentes avec notre stratégie de l'époque d'un « modèle expéditionnaire » d'armée concentré sur les opérations extérieures (Opex), la revue nationale stratégique (RNS) de novembre dernier développe l'ambition d'un nouveau modèle, avec comme objectif exprès d'être en mesure de nous engager dans un conflit de haute intensité.

Il conviendra d'en tirer toutes les conséquences sur le plan des ressources humaines, reflet de nos choix stratégiques de fond. Ainsi, les retours d'expérience des guerres de haute intensité dans notre voisinage prouvent que ce type de conflit est particulièrement meurtrier.

Par exemple, en moins de deux mois, et particulièrement dans ses premiers jours, la guerre du Haut-Karabagh a fait entre 6 000 et 10 000 morts - je vous renvoie au rapport que nous avons présenté il y a quelque temps avec Olivier Cigolotti. En Ukraine, le nombre de victimes estimées pendant la première année du conflit est d'environ 100 000 dans chaque camp.

Certes, la situation de la France n'est pas comparable au regard de la dissuasion nucléaire. Cependant, dans la mesure où nous nous sommes fixé comme objectif d'être préparés à la haute intensité, nous devons disposer des moyens à la hauteur. En effet, selon la formule récemment employée par Jean-Marc Todeschini et Cédric Perrin, nos forces de dissuasion nucléaire ne doivent pas devenir notre « nouvelle ligne Maginot ».

Nous serons donc particulièrement attentifs à ce que la future LPM, annoncée comme une loi de transformation des armées, en tire toutes les conséquences dans tous les domaines, particulièrement en termes d'effectifs.

M. Joël Guerriau, rapporteur . - Dans la deuxième partie de ce rapport, nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux deux principaux défis que rencontre le modèle de ressources humaines de nos armées.

Je vais d'abord évoquer le recrutement des compétences de pointe, dont l'attraction reste le premier défi rencontré par nos forces armées. Cette difficulté se pose de manière particulièrement aiguë dans le renseignement et la cybersécurité, alors que ces deux secteurs font partie des priorités identifiées par la programmation militaire actuelle. Ils ont vocation à être renforcés par la future loi de programmation militaire.

Sans tenir compte d'une éventuelle accélération à venir, la trajectoire actuelle du ministère prévoit d'ores et déjà la création, entre 2023 et 2025, de 900 postes supplémentaires dans le domaine du renseignement et de 1 200 postes dans le domaine de la cyberdéfense.

Les annonces récentes du Président de la République sur l'augmentation de 60 % des crédits consacrés au renseignement. Le doublement du budget de la direction du renseignement militaire (DRM) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) confirme le fait que le renseignement demeurera un domaine prioritaire de recrutement dans les années à venir.

Or, le ministère des armées est affronté, dans ces domaines, à la forte pression concurrentielle qui s'exerce sur le marché de l'emploi. Dans un contexte de réduction du chômage particulièrement significatif dans ces filières à haute valeur ajoutée, l'attractivité du ministère en tant qu'employeur devient un enjeu stratégique pour pourvoir aux besoins identifiés en matière de ressources humaines.

Pour répondre à ce défi du recrutement des compétences de pointe, nous identifions deux leviers qui doivent être intégrés à la prochaine LPM.

En premier lieu, il faut accélérer le développement de la formation militaire spécifique à la cyberdéfense. Le succès du BTS cyber, créé par l'armée de terre au lycée militaire de Saint-Cyr-l'École, pourrait servir de modèle à l'ensemble des forces armées.

En second lieu, nous serons attentifs à ce que la partie indemnitaire de la rémunération des militaires, qui comportera dès la fin de cette année la prime de compétences spécifiques militaires (PCSMIL) soit adaptée aux enjeux de recrutement du ministère et en particulier à la concurrence du secteur privé pour attirer les compétences de pointe, notamment en matière de rémunération.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure . - Le deuxième défi structurel auquel font face les armées est celui de la fidélisation.

Alors que le recrutement annuel de plus de 40 000 personnels est nécessaire pour répondre à l'impératif de jeunesse des troupes, les forces armées doivent faire face à un phénomène général, qui n'est pas propre au secteur militaire, lié à l'évolution du marché du travail et, plus largement, aux réalités sociales. En effet, les responsables militaires auditionnés constatent tous une évolution dans le rapport des jeunes recrues à l'institution.

En effet, pendant longtemps, l'écrasante majorité des officiers et des sous-officiers voyaient comme une évidence de réaliser l'ensemble de leur parcours professionnel au sein de l'armée. Ce n'est plus le cas ! Un nombre croissant de militaires perçoivent désormais leur passage par les armées comme une étape parmi d'autres dans leur parcours professionnel. Ainsi, l'objectif d'une durée moyenne de service de huit ans pour les militaires du rang de l'armée de terre n'est pas atteint.

Cette évolution a des conséquentes déstabilisantes pour le ministère, qui doit perpétuellement renouveler la formation de ses recrues et dispose de moins en moins de personnels expérimentés pour ce faire.

C'est pourquoi la prochaine programmation militaire devra notamment tenir compte de deux leviers. Le premier est la politique de rémunération indiciaire. En effet, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), dont nous avions parlé lors de l'examen de notre avis sur le dernier projet de loi de finances, ne concerne que le volet indemnitaire de la rémunération. La réforme donc n'a visé que la simplification des primes, et non l'évolution de la solde, pourtant fondamentale ! Il s'agit d'être mieux payé. Plusieurs des militaires auditionnés nous ont confirmé que le tassement des grilles indiciaires réduisait considérablement l'incitation financière à monter en grade dans certaines armées.

En second lieu, alors que les forces armées continuent à attirer grâce à leur réputation et à l'intérêt de leur métier, un des principaux obstacles à la fidélisation réside dans la charge que représente les sujétions liées à la condition militaire.

C'est pourquoi il est essentiel que la prochaine programmation militaire prévoie les moyens nécessaires à la poursuite de la mise en place du plan famille, une réelle avancée. Alors que les enquêtes récentes sur le travail témoignent de l'importance croissante accordée à l'équilibre entre vies personnelle et professionnelle, la capacité des armées à fidéliser leurs personnels passe par une amélioration des conditions de vie du militaire et de sa famille. Ainsi, il y a 32 % de chômeurs, essentiellement des chômeuses, parmi les conjoints de marins dans l'année qui suit une mutation géographique. Le ministre a affirmé qu'il fera évoluer ce plan famille : nous y veillerons.

M. Joël Guerriau, rapporteur . - Pour terminer, j'aimerais évoquer la question de la transformation de la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1), c'est-à-dire de la réserve d'emploi composée de volontaires ayant signé un engagement à servir dans la réserve (ESR).

Les espoirs suscités par l'annonce du doublement du volume de la réserve opérationnelle par le Président de la République l'été dernier sont réels. Ils ont encore été renforcés par les déclarations du ministre Lecornu en fin d'année dernière, qui a évoqué un « droit à contribuer à la défense de son pays » pour l'ensemble des citoyens qui le souhaitent.

Cette transformation du modèle de la réserve opérationnelle devra être accompagnée d'une campagne massive de recrutement de réservistes volontaires, prolongée sur plusieurs années. Elle aura des conséquences directes, sur les plans opérationnel, logistique et financier, pour l'ensemble du ministère.

Nos interlocuteurs dans les forces armées ont insisté sur le fait que la croissance du nombre de réservistes annoncée par le pouvoir exécutif ne remet nullement en cause sa complémentarité avec les militaires d'active. Par conséquent, le projet de doublement des réserves, qui renforcera la résilience nationale en diffusant l'esprit de défense, devra être accompagné d'une enveloppe budgétaire en cohérence avec les objectifs affichés.

Alors que le coût annuel de la réserve est aujourd'hui estimé à environ 200 millions d'euros, la mise en oeuvre de la transformation envisagée devra s'appuyer sur une montée en puissance au moins équivalente des moyens engagés. À titre d'exemple, on estime que 1 000 postes de militaires d'active devront être créés pour gérer les 40 000 nouveaux réservistes recrutés pendant la période de programmation.

Les réformes envisagées ne trouveront leur pleine portée qu'à la condition d'être accompagnées par une trajectoire budgétaire croissante, qui doit impérativement être anticipée par la prochaine LPM. De ce point de vue, la question des réserves rejoint celle, plus générale, du format en ressources humaines des armées.

Alors que les annonces récentes semblent répondre aux attentes des forces armées, nous serons attentifs à ce que le projet de programmation du Gouvernement soit pleinement en cohérence avec nos ambitions stratégiques.

M. Christian Cambon, président . - La trajectoire des effectifs est éloquente. On peut même craindre que, sans les attentats, nous aurions poursuivi indéfiniment cette réduction des effectifs.

La fidélisation est également cruciale. Quant à la réserve, le principe d'un réserviste pour deux actifs est bel et bon, mais il faudra en voir l'application : avec quels crédits, et pour quelles missions ?

M. Cédric Perrin . - Au cours de notre récent déplacement à Brest, l'amiral commandant les forces sous-marines et la force océanique stratégique (Alfost) n'a cessé de nous le rappeler : « la question du matériel est, évidemment, fondamentale, mais celle des hommes est encore plus importante. Ne l'oubliez pas. » La perte observée, en quelques années, est affligeante.

M. Pascal Allizard . - Je souscris à la remarque de Cédric Perrin. Votre travail éclaire opportunément le sujet.

Vous avez mentionné la RGPP. Je suis passé par l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) en 2008. À l'époque, face à la Russie, nous étions dans la fin de l'Histoire. Au-delà de l'aspect budgétaire, interrogeons-nous sur notre manière collective de travailler et de réfléchir : la naïveté n'est pas permise sur ces sujets.

Nous avons évoqué la taxonomie avec le président d'Arquus ce matin : derrière elle se cachent des représentants d'intérêt, essentiellement à Bruxelles, qui nous nuisent directement, et qui sont financés par des puissances, supposément amies ou non - je rappelle que « Les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts » selon le général de Gaulle. Nous sommes, là aussi, victimes de notre naïveté. Le problème n'est pas que celui du budget : il s'agit de la conception de l'évolution du monde et de notre relation avec nos partenaires, qui peut se dégrader en raison d'intérêts divergents.

On ne se réarme pas en quelques mois, ni pour les matériels ni, a fortiori , pour l'humain. Il faudra faire passer des messages forts avec la LPM.

M. Alain Joyandet . - Je reviens sur les familles. Combien de militaires sont logés par le ministère ? Je pense aux gendarmes, pour les familles desquels les conditions de logement sont parfois un obstacle.

Sur la baisse, puis la remontée des effectifs, cela ne correspond-il pas à une profonde mutation de nos armées ? Ce « coup d'accordéon », après la suspension de la conscription, n'était-il pas nécessaire ? Les profils partis en 2008 et en 2010 sont bien différents de ceux dont on a besoin aujourd'hui, et il y avait des sureffectifs dans certains endroits. Il est parfois plus facile de trouver un jeune avec une nouvelle formation que de reformer un ancien. Certes, nous manquons sans doute d'effectifs, mais ceux dont nous aurons besoin ne sont pas les mêmes que ceux qu'on a laissés partir à l'époque sans les remplacer.

Mme Gisèle Jourda . - Avec Jean-Marie Bockel, nous avions commis un rapport mettant en avant le maillage territorial et le suivi des réservistes. Joël Guerriau a indiqué que le recrutement prévu risquait de dépasser les capacités d'encadrement, et nos recommandations sur l'intéressement des réservistes par la rémunération avaient été suivies d'effet. Ce qui ne l'a pas été, c'est le maillage territorial : on a bien souvent du mal à suivre les réservistes opérationnels de niveau 2 (RO2), anciens militaires, à la sortie de leur unité. Ce sujet mérite notre vigilance.

Par ailleurs, un autre phénomène passe souvent inaperçu. Il y a deux régiments dans l'Aude : le quatrième régiment étranger (4 e RE) et le troisième régiment de parachutistes d'infanterie de marine (3 e RPIMa). Leurs chefs sont aussi les délégués militaires du département. Or, dans un régiment opérationnel, on ne peut à la fois être déployé en OPEX et être à la tête de la délégation militaire du département.

Pour les familles, la fidélisation est cruciale pour les femmes, mais il ne s'agit pas que des épouses de militaires : je pense aussi aux femmes militaires et à la féminisation des effectifs. Le plan famille est une manière d'aider toutes les familles de militaires, quelle que soit leur configuration.

Enfin, vous n'avez pas évoqué les cadets de la défense, parfois affaiblis pour des raisons budgétaires. Ils sont pourtant un levier considérable pour amener les jeunes vers nos armées, dans le cadre du lien armée-Nation.

M. Christian Cambon, président . - Je rappelle que le rapport est enrichi par ces diverses observations intéressantes.

M. Pierre Laurent . - Au-delà de la question de la réserve, très importante, le lien armée-Nation concerne aussi le service national universel (SNU). On lit beaucoup de choses sur une éventuelle dimension défense du SNU, qui s'adresserait aux lycéens et durerait quinze jours, pris sur le temps scolaire. Avez-vous davantage d'informations ? Les militaires en parlent-ils ?

Je comprends que cette question est débattue par plusieurs commissions ; mais s'il y a un lien avec la défense, comment sommes-nous informés sur ce sujet ?

M. Rachid Temal . - Le plan famille est essentiel, tout comme le sujet du SNU, qui concerne le lien entre l'armée, la nation et la jeunesse. À un moment, nous risquons de payer le fait que le ministre a refusé des discussions stratégiques, qui auraient pu prendre la forme d'un livre blanc. C'est surprenant : nous allons engager des réflexions, en silo, sans vision globale ni cohérence. Or c'est bien la question, comme M. Allizard l'évoquait en mentionnant la fin de l'Histoire.

Une telle stratégie est indispensable : depuis la dernière loi de programmation, des événements essentiels ont eu lieu, avec un membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU, disposant de la bombe nucléaire, qui a déclenché une guerre en Europe - personne ne pouvait l'imaginer -, ou encore avec les évolutions en Afrique ou dans l'Indopacifique.

Le ministre nous dit qu'il ne veut pas de Livre blanc, parce que cela ne servait à rien auparavant. Mais ce n'est pas un argument de fond. Il indique qu'il ne peut rien annoncer, car cela dépend du Président de la République. Une campagne est savamment instaurée dans les médias, mais à la fin il y a des problèmes de financement... Et le projet de loi arrivera le 4 avril ! On ne peut pas à la fois dire qu'il faut restaurer l'armée, lui donner des moyens, se préparer à l'avenir, et agir ainsi.

Par ailleurs, je ne sais pas ce qu'est une guerre de haute intensité, parce que je ne sais pas ce qu'est une guerre de basse intensité. En inventant des concepts qui ne veulent plus rien dire, on risque de perdre nos concitoyens. Une guerre, c'est une guerre : il y a des morts ; la déclencher ou non, mettre en danger ou non les militaires sur le théâtre des opérations, cela relève de la responsabilité du chef de l'État. Ce concept de haute intensité ne veut rien dire : on ne joue pas à un jeu vidéo ! Cette loi de programmation militaire dépend du fait que, plus que jamais, l'engagement de la France dans un conflit militaire est désormais possible. Comment faire pour que l'armée et le pays puissent tenir ? Voilà la vraie question ! Si le ministre pouvait répondre à ces questions lors de son audition, ce serait bien...

Mme Vivette Lopez . - Les difficultés en matière d'attractivité n'ont-elles pas été renforcées par la fin du service militaire, qui pouvait peut-être déclencher des vocations ? Je rejoins les propos de M. Joyandet concernant le plan famille et les logements, parfois vétustes. Et je partage également la position de M. Temal : les mots sont parfois incompréhensibles.

M. Joël Guerriau, rapporteur . - Nous vous remercions pour ces apports.

Tout d'abord, Alain Joyandet parlait des baisses d'effectifs par accordéon. La fin de la guerre froide a conduit à la transformation de nos modèles militaires : nous avons construit une armée dont le modèle était celui de l'intervention extérieure. Nous pensions ne pas être menacés par un conflit armé, la guerre ne se faisait pas en Europe, ce qui justifiait une baisse d'effectifs. Cela rejoint les propos de Vivette Lopez : sans service militaire, avec une armée de métier, il y a moins besoin d'encadrants. Or le projet de réserve opérationnelle et l'ambition de 40 000 réservistes, qui devront recevoir une formation permanente, demandent davantage d'encadrants.

L'arrêt du service militaire a permis de baisser le nombre d'encadrants, l'armée a été moins sollicitée du fait de la fin de la guerre froide, et les opérations extérieures ont demandé de moindres effectifs. Ces questions sont désormais totalement remises à plat par la guerre en Ukraine : la notion de défense est bien plus forte et prégnante.

Qu'entend-on par la notion de guerre de haute intensité ? Il s'agit d'une guerre avec des moyens d'une haute densité technologique, avec des savoir-faire et des profils tout à fait différents de ceux qu'on a connus dans le passé. D'où nos besoins de formation dans de nombreux domaines, comme le renseignement ou le pilotage de drones - de nombreux sous-officiers passent des brevets supérieurs de pilotage de drones, car il faut se préparer à cette nouvelle forme de guerre -, parfois en concurrence avec le civil, comme la cyberdéfense. Nous tombons alors dans la problématique de la comparaison des rémunérations : dans l'armée, elle est liée au grade, ce qui pose problème, car un jeune n'ayant pas atteint le grade suffisant ne peut pas bénéficier d'une rémunération comparable à celle qu'il toucherait dans le privé.

Je rebondis sur les propos de M. Allizard, rappelant les mots du général de Gaulle, selon qui les pays n'ont pas d'amis, mais que des intérêts. Nous en avons une illustration avec l'affaire des sous-marins australiens, qui montre combien nous devons être en mesure de nous défendre par nous-mêmes, sans forcément nos meilleurs alliés...

Le projet du SNU, conduit par le secrétariat d'État en charge de la jeunesse, portait sur 800 000 jeunes d'une classe d'âge. La secrétaire d'État souhaitait que ce sujet soit mis à l'ordre du jour, mais les choses ne semblent pas évoluer en ce sens... L'idée ne concerne pas tant l'armée que la citoyenneté. À l'issue du SNU, les jeunes peuvent choisir de s'orienter vers un engagement public, mais pas nécessairement vers l'armée. Ils peuvent notamment rejoindre la réserve.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure . - Nous avions publié un rapport sur les logements des militaires, dans une situation presque aussi catastrophique que ceux de la gendarmerie. À ce stade, il y a 42 000 logements et 44 000 hébergements pour le ministère des armées. Depuis quelques années, l'armée fait l'effort de ne plus vendre son patrimoine et de l'utiliser. Nous suivrons cette question, qui est en rapport avec le plan famille.

Les militaires ne nous ont pas parlé du SNU, qui est un sujet très important, d'autant que le temps pourrait être pris sur le temps scolaire. Nous avons des réserves, mais nous les émettrons lorsque le projet nous sera présenté.

Effectivement, la situation géopolitique a changé. Avec ce rapport, nous avons voulu lancer une alerte. Le graphique illustrant l'évolution des effectifs traduit des choix : dans l'armée de terre, la suppression de la conscription a provoqué la dissolution de 51 régiments, la fermeture de 218 établissements. Après la RGPP, il y a eu un départ massif des cadres expérimentés. Bien sûr, les métiers ont changé, le cyber ou les drones n'existaient pas à l'époque. Mais quand même, nous avons démuni les armées à ce moment, peut-être avec de bonnes raisons, et nous en subissons les conséquences.

Dans la marine, dans les années 1990 et 2000, on a désarmé une vingtaine de navires. Voilà la conséquence de la réduction des effectifs.

Quant à l'armée de l'air, c'est la même chose : 13 bases aériennes fermées en métropole et 4 en outre-mer, sur les 42 qui existaient. C'est énorme ! Le nombre d'états-majors et de directions est passé de 14 à 6. Les répercussions sur la structure profonde de nos armées ont été terribles. Dans l'armée de l'air, 30 % des postes assurant la sécurité et la protection des bases aériennes ont été supprimés, ainsi que 4 000 postes de mécaniciens aéronautiques, et que 600 postes de recruteurs et de formateurs.

Les guerres de haute intensité sont des guerres aux moyens technologiques puissants, mais ce sont aussi, malheureusement, des guerres très consommatrices d'hommes - excusez l'expression. Nous avons voulu sonner l'alerte : la géopolitique a changé, et il faut un autre état d'esprit. Il va falloir être très cohérents sur les effectifs pour proposer une autre forme d'armée : ces hommes et ces femmes sont très importants.

M. Jean-Marc Todeschini . - Il me semble qu'il ne faut pas faire de confusion entre la fin de la conscription - le président Chirac a eu raison, à l'époque, tout comme le gouvernement Jospin - et les conséquences de la RGPP pour la défense. Avez-vous rencontré des militaires regrettant la fin de la conscription ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure . - Nous ne faisons pas cette confusion. Il y a eu deux états d'esprit différents. Le président Chirac avait raison : le service militaire n'était plus adapté, et les jeunes n'en voulaient plus. La RGPP concernait non seulement la défense, mais tous les services publics. Au bout du bout, nous en sommes à ces résultats. Les militaires ne nous ont jamais dit regretter la fin de la conscription, mais ont signalé qu'ils continuaient à en subir les effets et à en assumer les conséquences, au niveau de la structure des armées et de la qualification des cadres. On a pris tardivement conscience qu'il fallait réagir en 2015, à cause des attentats...

M. Jean-Marc Todeschini . - M. Allizard l'a indiqué, la faute stratégique était de dire qu'il n'y avait plus d'ennemi à l'Est.

M. Christian Cambon, président . - Ceux qui ont fait leur service sont de cet avis : cela coûtait très cher avec une utilité limitée. C'est pour cela que le lien armée-Nation doit être repensé.

Nous remercions nos deux rapporteurs pour ce rapport qui témoigne du travail approfondi du Sénat pour la préparation de la LPM.

La commission adopte le rapport d'information ainsi modifié et en autorise la publication.

M. Christian Cambon, président. - Je propose d'auditionner le ministre à deux reprises, une première fois au sortir du conseil des ministres pour qu'il nous présente le texte, et une seconde fois après l'examen du texte à l'Assemblée nationale, pour nous présenter le texte que nous étudierons.

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