LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 (ministère de la transition énergétique et ministère du budget) : regrouper les cinq taxes et taxes additionnelles sur les installations nucléaires de base en une seule taxe affectée au budget général.

Recommandation n° 2 (ministère de la transition énergétique et ministère du budget) : rebudgétiser l'ensemble de la contribution sur les installations nucléaires de base perçue par l'IRSN à hauteur de 61 millions d'euros.

Recommandation n° 3 (ministère du budget) : créer une annexe au projet de loi de finances (« jaune budgétaire ») retraçant l'ensemble des financements publics consacrés à la sûreté nucléaire.

Recommandation n° 4 (direction générale de la prévention des risques et ministère du budget) : augmenter de 20 millions d'euros par an le montant de la subvention pour charges de service public accordée à l'IRSN d'ici 2025.

Recommandation n° 5 (IRSN - ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche) : encourager les activités d'enseignement du personnel de l'IRSN dans les établissements d'enseignement supérieur dans le cadre d'une densification du réseau des partenariats académiques de l'Institut.

Recommandation n° 6 (IRSN) : encourager les mobilités des salariés de l'IRSN dans le cadre de parcours professionnels en maintenant un cadre déontologique rigoureux.

Recommandation n° 7 (IRSN et direction générale de la prévention des risques) : maintenir dans le prochain contrat d'objectifs et de performance (COP) le seuil existant de 40 % des dépenses de l'IRSN devant être consacrés à la recherche.

I. UN CONSENSUS SUR LA QUALITÉ DES TRAVAUX DE L'IRSN ET SUR SON POSITIONNEMENT INSTITUTIONNEL

A. UN POSITIONNEMENT ORIGINAL ENTRE EXPERTISE ET RECHERCHE QUI DÉCOULE D'ÉTAPES HISTORIQUES

1. Un système « dual » hérité des systèmes antérieurs

Le contrôle du respect des différentes normes concourant à la sûreté nucléaire et à la radioprotection est assuré par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui bénéficie de l'expertise de l'IRSN ; ces deux institutions forment ce qui est généralement appelé le « dispositif dual » de sûreté nucléaire. La sûreté nucléaire est définie comme « l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets »1(*). Elle doit être distinguée de la sécurité nucléaire, qui englobe la sûreté mais aussi la radioprotection et la protection contre les actions malveillantes.

Les deux entités n'ont cependant pas le même statut. L'ASN est une autorité administrative indépendante (AAI) instituée en 20062(*) par la loi dite « transparence et sécurité nucléaire » (TSN), et découle du groupe d'experts mis en place au sein du commissariat à l'énergie atomique (CEA) dans les années 1970.

L'IRSN est quant à lui un établissement public industriel et commercial (EPIC) issu de la fusion en 2001, de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI) et de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN). Or, l'IPSN était une entité du CEA créée à la même époque que le groupe d'experts, auquel l'IPSN apportait déjà un appui technique. L'IRSN, en tant que successeur de l'IPSN, a conservé des liens multiples avec le CEA : il partage la quasi-totalité de ses implantations avec le CEA, qui héberge également les réacteurs expérimentaux que l'IRSN ne peut directement exploiter.

Ainsi, comme l'indiquait un rapport de la commission des finances de 2014 de notre ancien collègue Michel Berson, « le « système dual » de sûreté nucléaire et de radioprotection trouve donc ses origines dès avant la création de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'IRSN »3(*). Il a été peu modifié depuis 2006, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV)4(*) ayant cependant apporté en 2015 une clarification des rôles respectifs des deux entités.

Le projet de fusion de l'IRSN et de l'ASN de février 2023

À l'issue du conseil de politique nucléaire du 3 février 2023, le Gouvernement a présenté un projet de réforme de l'organisation du contrôle et de la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection. L'axe phare de ce projet était la fusion de l'IRSN et de l'ASN en un pôle unique de sûreté.

Ce projet a suscité de nombreuses réactions et inquiétudes5(*) ainsi qu'un mouvement social suivi des personnels de l'IRSN. Le Gouvernement a toutefois traduit son projet de réforme par le dépôt de deux amendements au projet de loi dit « relance du nucléaire »6(*) lors de la première lecture du texte à l'Assemblée nationale. L'adoption d'un amendement de notre collègue député Benjamin Saint-Huile inscrivant dans le projet de loi le maintien d'une « organisation duale » a cependant mis fin au projet de réforme.

Dans la mesure où le Parlement s'est prononcé contre la fusion, le présent rapport raisonne donc « à structure institutionnelle constante », c'est-à-dire en considérant que les relations entre l'ASN et l'IRSN, et plus largement l'organisation globale du système dual de sûreté, ne seront pas modifiées à court et moyen termes.

Il est à noter que le qualificatif de « dual » est fréquemment employé et relève d'un usage historique. Cependant, dans le contexte de la réforme annoncée en février 2023, les équipes dirigeantes de l'ASN sont revenues sur son utilisation, afin d'exprimer le positionnement de l'Agence. Ainsi, il a été indiqué au rapporteur spécial que « le système n'est pas « dual ». Il n'y a qu'une seule autorité indépendante. L'IRSN n'est pas un contre-pouvoir à l'ASN, c'est son prestataire d'expertises dont l'ASN est le commanditaire »7(*). Si l'ASN est en effet la seule autorité indépendante, il ne semble pas pour autant pertinent de renoncer à l'utilisation du vocable « dual » au vu de l'indépendance réciproque des deux organismes.

2. Les missions multiples de l'institut

Les missions de l'IRSN sont définies par la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour une croissance verte précédemment mentionnée et son organisation et sa gouvernance sont précisées dans le décret n° 2016-283 du 10 mars 2016 (codifié aux articles R. 592-1 à R. 592-23 du code de l'environnement). Les textes confient des missions à l'IRSN dans cinq domaines : la sûreté nucléaire ; la sûreté des transports nucléaires de matières radioactives et fissiles ; la protection de l'homme et de l'environnement contre les rayonnements ionisants ; la protection et le contrôle des matières nucléaires et enfin la protection des installations nucléaires et des transports de matières radioactives et fissiles contre les actes de malveillance8(*).

La pluralité de ces missions se traduit par une organisation en trois pôles dans les domaines suivants : défense, sécurité et non-prolifération (pôle PDS) ; sûreté des installations et systèmes nucléaires (pôle PSN) ; santé et environnement (pôle PSE). Chacun de ces pôles conduit des activités d'expertise et de recherche, sur un spectre disciplinaire allant des sciences humaines et sociales à la recherche finalisée en physique nucléaire. Si, théoriquement, il existe une complémentarité des passerelles entre les trois pôles, la Cour des comptes a souligné dans ses observations sur l'IRSN9(*) en 2021 que ces derniers « apparaissent comme des entités relativement cloisonnées, partageant peu de problématiques, de dossiers et de projets communs ». S'y ajoute également un pôle Patrimoine et territoires (PPT), en charge notamment de la gestion immobilière de l'Institut.

Organigramme de l'IRSN au 1er mars 2023

Source : IRSN

La structure de l'IRSN comporte également plusieurs directions fonctionnelles : direction de la stratégie ; direction des affaires européennes et internationales ; direction de la transformation (qui pilote l'ensemble des actions visant à adapter l'organisation et le fonctionnement de l'IRSN s'agissant de trois domaines : développement du capital humain, capitalisation des compétences et des connaissances et la transformation numérique de l'Institut) ; direction de la communication ; direction des risques et de la performance et enfin, depuis 2016, un secrétariat général.

Si les activités liées à la sûreté des installations nucléaires de base sont les mieux identifiées, le rapporteur spécial a pu lors d'un déplacement à l'IRSN constater l'éventail très large des activités de recherche menées par l'IRSN, concernant notamment la recherche en matière de santé et de radioprotection (en lien avec différents centres hospitaliers) ou la surveillance radiologique de l'environnement.

3. Un positionnement fonctionnel dans l'écosystème de la sûreté
a) Des relations avec l'ASN parfois complexes mais opérationnelles
(1) Le cadre juridique : un appui technique fourni par l'IRSN à l'ASN

Le fondement des relations entre l'IRSN et l'ASN a peu évolué depuis leurs créations respectives. Elles sont régies par un double cadre, législatif et conventionnel.

L'article L 592-46 du code de l'environnement, dispose depuis la loi du 17 août 201510(*) que l'IRSN apporte un appui technique à l'ASN « sous la forme d'activités d'expertise soutenues par des activités de recherche ». Ce même article dispose également que l'ASN oriente la programmation stratégique relative à cet appui technique, ce qui lui donne directement une influence sur la définition du programme d'activités de l'IRSN.

Les autorités de tutelle n'interviennent pas dans les relations bilatérales entre l'ASN et l'IRSN. L'article R 592-39 du même code détaille plus précisément les relations entre l'Autorité et l'Institut et renvoie à l'établissement d'une convention quinquennale définissant le fonctionnement entre l'ASN et l'IRSN. Celle-ci a été rénovée en 2022, la précédente version datant de 2017. D'après l'ASN, cette révision avait pour objectif de renforcer les liens entre les deux entités et de faciliter la mise à disposition de l'ASN de salariés de l'IRSN. La convention cadre est complétée par une autre convention relative à la mise à disposition d'agents de l'IRSN à l'ASN, par plusieurs documents-cadre et par un protocole annuel.

L'appui technique de l'IRSN à l'ASN couvre l'ensemble des problématiques liées à la sûreté nucléaire et à la radioprotection dans le domaine civil (sûreté des réacteurs de puissance et des installations du cycle du combustible, radioprotection des personnes et de l'environnement, sûreté des colis de transports de matières radioactives, sûreté des installations de déchets, etc). Il prend différentes formes, en premier lieu la remise à l'ASN d'avis, de rapports écrits ou de notes techniques. En 2022, l'IRSN a ainsi transmis à l'ASN 239 avis techniques, auxquels s'ajoutent 250 documents intermédiaires. Cet appui recouvre également des actions plus larges : formations destinées au personnel de l'ASN ; appui technique aux inspections ou encore rapports écrits présentés aux groupes permanents d'experts (GPE) placés auprès de l'ASN.

(2) Un enjeu crucial : maintenir la bonne qualité des relations entre l'ASN et l'IRSN

Différents rapports soulignent la qualité du lien entre l'IRSN et l'ASN. La Cour des comptes se félicitait en 2021 d'un cadre « bien formalisé ». Le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), dans son rapport de mars 202311(*) indique que « les relations avec l'ASN sont jugées directes et de très bon niveau ». Plus particulièrement, une co-évaluation de leur collaboration a été réalisée en 2020 par une équipe de quatre personnes, deux provenant de chaque organisation, concluant à un jugement global positif.

Toutefois, la Cour des comptes mentionnait en 2021 des relations « normalisées » entre les deux organisations, voire « nettement améliorées », suggérant qu'il n'en a pas toujours été de même. Si l'annonce du projet de fusion en février 2023 a pu susciter des tensions, celles-ci ne semblent pas avoir nui durablement aux liens entre chargés d'affaires, qualifiés de « fluides » par les organisations représentatives du personnel de l'IRSN12(*). Il est en revanche certain que les derniers mois ont pu entraîner une forme de rupture dans la dynamique d'amélioration des relations entre les directions des deux institutions.

Si le cadre juridique et conventionnel est relativement clair sur la complémentarité des rôles respectifs de l'IRSN et de l'ASN, cela ne signifie toutefois pas pour autant que l'ASN elle-même ne réalise pas d'expertise. D'après la direction générale de la prévention des risques (DGPR), 80 % des décisions prises l'ASN sont effectuées sur le fondement de l'expertise interne à l'Autorité, notamment la plupart des décisions relatives aux cuves des réacteurs pressurisés européens (EPR).

Le cadre de communication théorique entre l'ASN et l'IRSN est formalisé et dense, ce qui est indispensable au bon ajustement de leurs relations. Cette collaboration est régulée par diverses instances se réunissant deux à trois fois par an impliquant les équipes opérationnelles et dirigeantes. En outre, l'ASN participe aux réunions des tutelles et du conseil d'administration de l'IRSN et le président de l'ASN est désormais membre de droit du conseil d'administration de l'IRSN.

Concernant la programmation et le suivi des activités, elles sont définies au cours d'une trentaine de réunions annuelles. Celles-ci déclinent le protocole annuel entre l'ASN et l'IRSN qui précise les échéances et expertises attendues dans l'année et notamment celles portant sur des dossiers prioritaires.

Une fois la demande d'expertise réalisée, l'IRSN engage un dialogue technique avec l'exploitant. Dans les réponses fournies au rapporteur spécial, l'Institut indique que cela n'implique pas pour autant l'interruption du processus d'échange. Ainsi, l'IRSN indique qu'il « informe l'ASN de l'avancement de l'expertise en cours, notamment en cas de difficulté notable rencontrée lors de l'expertise (identification d'un problème de sûreté inattendu, désaccords importants entre l'IRSN et l'exploitant, difficultés techniques, absence de réponse de la part de l'exploitant ou réponse dans des délais non compatibles avec l'échéance de la saisine, etc.). En fin d'expertise, l'IRSN informe l'exploitant et l'ASN des éventuels désaccords techniques ».

En tout état de cause, l'ensemble des acteurs soulignent l'aspect crucial du maintien d'une communication de qualité entre l'Agence et l'Institut. La Cour des comptes mettait ainsi en avant dans ses observations de 2021 le besoin d'une « concertation permanente » reposant sur « la bonne volonté des parties », alors même que « la communication constitue un point sensible ».

Le rapporteur spécial souligne qu'il est indispensable, dans le contexte des conséquences de l'annonce d'une éventuelle réforme, de maintenir les bonnes pratiques existantes de communication interinstitutionnelle à tous les échelons. Il ne serait pas envisageable, au vu des enjeux, de constater des divergences dans la définition des priorités d'expertise et de recherche et des lacunes de communication qui auraient pour conséquence une fragilisation immédiate du dispositif de sûreté nucléaire. Le rapporteur spécial considère qu'il faudra être vigilant sur le fait que l'annonce de la fusion puis son rejet par le Parlement n'auront pas durablement endommagé les relations entre équipes, y compris dirigeantes.

(3) Des difficultés qui se cristallisent sur certains aspects
(a) La contribution financière de l'IRSN à l'ASN

L'appui technique effectué par l'IRSN à la demande de l'ASN est financé par le budget de l'Institut et n'entraîne donc pas de flux financier direct. En 2022, il a mobilisé des salariés de l'IRSN pour un volume de 430 ETPT. Ce volume est extrêmement significatif pour l'ASN, dans la mesure où celle-ci ne dispose en propre que de 519 agents.

Cela correspond à 83,7 millions d'euros, un montant relativement stable au cours des dernières années, après un pic à près de 86 millions d'euros en 2015. Ce financement provient pour partie de la subvention pour charges de service public (SCSP) allouée par l'État à l'IRSN et pour partie d'un financement provenant de la contribution versée par les exploitants d'installations nucléaires de base (dite « contribution INB »).

Évolution de la contribution à l'appui technique à l'ASN financé par l'IRSN
et origine de la ressource

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après l'IRSN

En conséquence, l'appui technique à l'ASN représente environ 30 % du budget de l'IRSN et, selon la direction du budget, environ 25 % de l'activité de l'établissement. La définition de ce montant est cependant source de divergences entre l'ASN et l'IRSN, la première considérant qu'elle bénéficie in fine quoiqu'indirectement d'une part nettement plus importante des actions menées par l'IRSN, qu'elle évalue à environ 70 %.

Cette question n'est pas neutre, dans la mesure où la dépendance de l'ASN à l'égard du budget de l'IRSN constitue une source de tensions récurrentes. L'article L 592-14 du code de l'environnement dispose que l'ASN nucléaire est consultée par le Gouvernement « sur la part de la subvention de l'État à l'IRSN correspondant à la mission d'appui technique apporté par cet institut à l'autorité », et non sur l'intégralité de la subvention perçue par l'Institut.

L'ASN regrette régulièrement de ne disposer d'aucune maîtrise des moyens financiers consacrés à l'expertise qu'elle commandite, d'où sa demande, formulée auprès du rapporteur spécial mais qu'elle portait déjà auprès de la Cour des comptes, d'être responsable d'un programme budgétaire couvrant l'ensemble des moyens consacrés à la sûreté nucléaire. Le rapporteur spécial ne l'estime pas souhaitable, dans la mesure où il semble de meilleure gestion que l'IRSN soit soumis à une obligation de résultats sur l'expertise rendue à l'ASN. De même, l'ASN souhaite que l'IRSN lui retrace l'emploi de ses crédits. Alors que l'Agence n'a pas de tutelle sur l'IRSN et que l'IRSN doit rendre compte à son autorité de tutelle ainsi qu'au Parlement, cette demande ne semble pas justifiée.

En revanche, le rapporteur spécial se félicite de la réduction au cours des dernières années de la sous-consommation de l'ordre de 3 à 5 millions d'euros du budget alloué à l'appui technique.

Il existe également des flux financiers directs concernant les agents mis à disposition de l'ASN par l'IRSN contre remboursement. La convention de 2022 fixe leur nombre à 32. Ces salariés, en poste à l'ASN pour une durée définie selon une convention de mobilité renouvelée en 2022, exercent des activités relevant de l'autorité, à savoir des missions d'inspecteurs en charge du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Aucune difficulté concernant ces agents n'a été soulevée, mise à part la complexité croissante à pourvoir ces postes. Cet aspect sera développé infra.

(b) Un aspect qui reste critiqué malgré des améliorations : la gestion de crise

L'article R. 592-39 du code de l'environnement confie à l'IRSN en cas d'incident ou d'accident impliquant des sources de rayonnements ionisants la mission de proposer à l'ASN et à l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND) des mesures d'ordre technique, sanitaire et médical propres à assurer la protection de la population, des travailleurs et de l'environnement et à rétablir la sécurité des installations.

Concrètement, c'est donc l'IRSN qui maintient tout au long de la crise le lien avec les exploitants nucléaires et dispose d'un lien informatique avec les salles de commande des opérateurs pour accéder en même temps que les exploitants aux paramètres de fonctionnement d'un site qui serait confronté à une situation de crise. Il dispose pour ce faire d'une salle de gestion de crise « très performante, probablement plus élaborée que celle de l'ASN »13(*) et rénovée quatre ans plus tôt. Ses infrastructures de crise ont encore été renforcées par les récents investissements dans le laboratoire LATAC au Vésinet, destiné à l'analyse d'échantillons dans des délais très courts en cas de crise. La visite que le rapporteur spécial a pu effectuer du centre technique de crise de l'IRSN ainsi que des infrastructures mobiles de crise corrobore l'impression de robustesse de l'organisation de crise ainsi que la qualité des infrastructures.

En revanche, l'article L. 592-32 du code de l'environnement prévoit que l'ASN apporte son concours technique aux autorités compétentes, assiste le Gouvernement pendant les situations de crise, adresse ses recommandations sur les décisions à prendre et enfin informe le public. Elle contrôle également que l'exploitant, premier responsable des mesures à prendre sur son installation en cas de situation d'urgence, assume pleinement ses responsabilités et réalise les actions appropriées.

Le séquençage du système actuel de gestion de crise fait donc intervenir l'exploitant, l'IRSN, l'ASN et enfin le Gouvernement.

Schéma des intervenants en situation d'incident ou d'accident nucléaire

Source : commission des finances

Lors de l'audition menée en février 2023 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)14(*), plusieurs intervenants ont mis en avant le fait que la potentielle fusion entre l'IRSN et l'ASN aurait permis de garantir une meilleure réactivité en situation de crise. Ces arguments sont également ceux qui ont été avancés par le Gouvernement : « le dispositif actuel de gestion de crise souffre actuellement de la dualité du système de sûreté nucléaire français, qui conduit à avoir, pour les autorités publiques, deux entités comme interlocutrices sur le même sujet, et disposant chacune d'une cellule de crise. »15(*).

La fusion, en permettant d'avoir un circuit d'information plus court, permettrait selon la DGPR de gagner en « réactivité, clarté et fluidité » et serait « plus rassurante »16(*). Le rapporteur spécial estime que l'efficacité du processus doit primer sur son aspect « rassurant ». Le principal semble être la fluidité de la communication entre l'ASN et l'IRSN, dans la mesure où en cas de fusion, il serait indispensable de maintenir une cellule d'expertise et de diagnostic avec des échanges avec les opérateurs distincte de la cellule de conseil au Gouvernement.

Si la fusion ne peut être considérée comme l'unique solution aux insuffisances actuelles du système de crise, l'amélioration de celui-ci doit constituer un axe prioritaire. D'après les éléments recueillis par le rapporteur spécial, la distinction entre les missions des deux entités n'est pas toujours claire et a pu être en pratique source de confusion ou tensions au cours des exercices. L'IRSN reconnaît ainsi qu'il existe des possibilités d'amélioration, en matière de délais, de cohérence des données transmises ou pour limiter d'éventuels problèmes techniques. La Cour des comptes soulignait en 2021 les marges de progrès concernant l'entraînement à la crise, en particulier concernant la définition des équipiers de crise, actuellement au nombre de 300. La Cour s'étonnait par exemple que l'organigramme du centre de crise ne comprenne pas d'informaticien, alors que l'ensemble du processus de gestion de crise repose sur des outils informatiques. Le rapporteur spécial a interrogé l'IRSN sur ce sujet, lequel a indiqué que le centre de crise bénéficiait d'un support logistique et était équipé pour agir en cas d'attaque informatique.

Enfin, dans le prolongement des observations sur la nécessité d'une articulation étroite entre la communication des deux entités, la mission flash menée en juillet 2022 par plusieurs inspections17(*) a relevé « les cas évoqués de communications sinon discordantes, pour le moins concurrentes, des deux organismes ». Le rapporteur spécial considère qu'il ne convient pas de priver l'IRSN de la possibilité d'indiquer au public les mesures de protection qu'il juge utiles, l'indépendance de l'information consistant un aspect central en cas de crise. Toutefois, l'ASN doit rester la source d'information de premier niveau, y compris pour le public. Il partage avec différents observateurs le constat que l'intérêt, d'ailleurs bien compris, de l'IRSN consiste à éviter au maximum de brouiller la communication institutionnelle en cas de crise. La boucle de communication prévue dans les protocoles doit donc continuer à être au coeur de l'action en cas de crise.

b) Des liens satisfaisants avec les autres acteurs de la sûreté nucléaire

La diversité des activités de l'IRSN se traduit également par la multiplicité de ses ministères de tutelle. L'IRSN est aujourd'hui placé sous la tutelle conjointe du ministre de la transition écologique, du ministre des armées, et des ministres chargés de la transition énergétique, de la recherche du budget et de la santé. La coordination est assurée par la DGPR, dont le directeur est commissaire du Gouvernement de l'IRSN18(*). Les tutelles n'interviennent cependant pas dans le fonctionnement de l'Institut, qui reste indépendant : les expertises rendues par l'IRSN le sont sous sa seule responsabilité, sans saisine ou information préalable de la DGPR. Aucune des auditions menées par le rapporteur spécial n'a fait émerger de difficulté particulière concernant le lien entre l'IRSN et ses tutelles.

L'IRSN dispense un appui technique à d'autres acteurs publics que l'IRSN, pour environ 27 millions d'euros annuels. Une part essentielle de cette expertise est effectuée pour le compte de l'Autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND). Les relations entre l'IRSN et l'ASND s'organisent de façon symétrique à celle de l'ASN, sur le principe de conventions pluriannuelles et de déclinaison annuelle sous forme de protocoles. Cet appui se matérialise par la transmission chaque année d'une soixantaine d'avis techniques et de rapports d'expertise. Il mobilise des moyens humains à hauteur de 50 ETPT. Le budget annuel consacré par l'IRSN à ces activités d'expertise et d'appui technique à l'ASND se situe à hauteur de 9,3 millions d'euros.

Positionnement de l'IRSN parmi les organismes en charge de la sûreté nucléaire

Source : commission des finances

L'IRSN est en outre amené à interagir avec l'ensemble des instances consultatives et de concertation présentes dans le champ de la sûreté nucléaire : Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire ; Haut Conseil de la santé publique ; commissions locales d'information et leur association nationale (Anccli).

Dans le domaine de la recherche sur les problématiques de sûreté nucléaire, l'IRSN est amené à entretenir des liens étroits avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le CEA. L'IRSN et le CNRS collaborent depuis les débuts de la création de l'Institut en 2001 sur un large domaine disciplinaire. Un accord cadre quinquennal a été signé en novembre 2020 et une feuille de route commune en juin 2022. De même, l'IRSN et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) viennent de renforcer leur collaboration avec la signature en janvier 2023 d'un accord cadre pour 5 ans.

Lors de son audition par le rapporteur spécial, l'administrateur général du CEA, M. François Jacq, a qualifié ses relations avec l'IRSN de « bonnes » et a exprimé sa satisfaction d'ensemble. Le HCERES souligne ainsi un positionnement institutionnel « dynamique » et « solide » de l'IRSN et « de premier plan dans son domaine ».

S'agissant du point de vue des exploitants, et donc l'IRSN en tant que contrôleur, l'administrateur général du CEA a indiqué au rapporteur spécial qu'il n'y avait « pas de sujet en dehors des divergences de vue classiques », le principal axe d'amélioration résidant selon lui dans l'amélioration de la proportionnalité entre les mesures de sûreté proposées et les risques.


* 1 Article L. 591-1 du code de l'environnement.

* 2 Loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.

* 3 La sûreté nucléaire de demain : un enjeu financier et démocratique, rapport d'information n° 634 (2013-2014) de M. Michel BERSON, fait au nom de la commission des finances, juin 2014.

* 4 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 5 Exprimées notamment par divers intervenants et plusieurs de nos collègues lors de l'audition organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques le 16 février 2023.

* 6 Projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

* 7 Réponses de l'ASN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 8 Article R. 592-39-I du code de l'environnement.

* 9 Cour des comptes, L'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, exercices 2013 à 2019, 2e chambre, avril 2021.

* 10 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 11 Rapport d'évaluation de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, HCERES, mars 2023.

* 12 Audition des syndicats des personnels de l'IRSN, 13 avril 2023.

* 13 Réponses de la DGPR au questionnaire du rapporteur spécial.

* 14 Audition publique de l'OPECST, Nouvelle organisation du contrôle et de la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection, 16 février 2023.

* 15 Réponses du cabinet de la ministre de la transition énergétique au questionnaire du rapporteur spécial.

* 16 Réponses de la DGPR au questionnaire du rapporteur spécial.

* 17 Enjeux stratégiques et évaluation des besoins budgétaires de l'Institut de radioprotection et de sîreté nucléaire pour les années 2023-2027, Mission flash de contrôle conjointe Contrôle général des armées-Conseil général de l'environnement et du développement durable-Inspection générale de l'éducation, du sport et de la jeunesse-Inspection générale des finances, juillet 2022.

* 18 Article R. 592-7 du code de l'environnement.

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