N° 629

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 mai 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN),

Par M. Jean-François RAPIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Alors que le Gouvernement a annoncé son objectif de relancer la production d'électricité nucléaire en France au cours des prochaines décennies, le système nucléaire français sera amené à très fortement évoluer. Les capacités de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), établissement public chargé de l'expertise et de la recherche sur la sûreté nucléaire, doivent donc impérativement être au niveau des enjeux à venir. M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » a présenté le 24 mai les conclusions de son contrôle budgétaire destiné à s'en assurer.

I. UN CONSENSUS AUTOUR DE LA QUALITÉ DES TRAVAUX DE L'IRSN ET DE SON POSITIONNEMENT INSTITUTIONNEL

A. DES RELATIONS AVEC L'AUTORITÉ DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE PARFOIS COMPLEXES MAIS OPÉRATIONNELLES

Le contrôle du respect des différentes normes concourant à la sûreté nucléaire et à la radioprotection est assuré par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui bénéficie de l'expertise et de l'appui technique de l'IRSN ; ces deux institutions forment ce qui est généralement appelé le « dispositif dual » de sûreté nucléaire. Le cadre de communication théorique entre l'ASN et l'IRSN est formalisé et dense, ce qui est indispensable au bon ajustement de leurs relations. L'annonce de la fusion entre les deux institutions, puis son rejet par le Parlement, ne devrait pas avoir durablement endommagé les relations entre équipes.

L'appui technique effectué par l'IRSN à la demande de l'ASN est financé par le budget de l'Institut et n'entraîne donc pas de flux financier direct. En 2022, il a mobilisé des salariés de l'IRSN pour un volume de 430 équivalents temps plein travaillés (ETPT), correspondant à 83,7 millions d'euros. Cela représente 30 % du budget de l'IRSN et environ 25 % de l'activité de l'établissement dédiés à l'ASN.

B. UNE SATISFACTION GÉNÉRALE SUR LES TRAVAUX DE L'IRSN

L'IRSN a fait l'objet de plusieurs rapports de diverses institutions au cours des dernières années. L'impression globale qui se dégage de ces différentes analyses est un consensus sur la qualité des travaux de l'IRSN et le fonctionnement satisfaisant du système actuel. Les auditions menées par le rapporteur spécial renforcent la perception positive du fonctionnement de l'Institut et l'absence générale de reproches adressés à l'IRSN. Les indicateurs de performance témoignent de l'atteinte globale des objectifs fixés par les ministères de tutelle.

II. LES IMPORTANTES DIFFICULTÉS BUDGÉTAIRES DE L'IRSN...

A. UNE STABILISATION VOIRE UN RECUL DES RECETTES DE L'INSTITUT

1. Des crédits budgétaires dont la hausse récente ne peut compenser une décennie de stabilité

La principale ressource de l'IRSN est la subvention pour charges de service public (SCSP) en provenance du programme 190 - Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables - de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui représente près des deux tiers des recettes de l'Institut, soit 167 millions d'euros en 2022. Elle est complétée par la contribution versée par les exploitants d'installations nucléaires de base, à hauteur d'environ 61 millions d'euros chaque année.

La dynamique des recettes de l'IRSN est à la baisse depuis plus d'une décennie. Ainsi, les ressources de l'IRSN sont progressivement passées de 301 millions d'euros en 2012 à 271 millions d'euros en 2022, soit une chute de près de 10 % en 10 ans. Afin de tenir compte de l'activité croissante, il a été décidé en 2023 de rompre avec la dynamique précédente et d'accorder à l'IRSN une hausse de 8,7 millions d'euros. Les deux-tiers de ces moyens supplémentaires auront cependant été absorbés par l'inflation.

Évolution des recettes de l'IRSN depuis 2012 en euros courants

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

2. Une ressource à repenser : quel devenir pour la contribution sur les installations nucléaires de base ?

La taxe additionnelle due par les exploitations des installations nucléaires de base (dite « contribution INB ») est due depuis 2011 par les exploitants nucléaires. Le rendement de cette taxe additionnelle a légèrement diminué au cours des dernières années en raison de la contraction du parc d'installations nucléaires. En conséquence, afin de compenser la perte de ressources pour l'IRSN, la SCSP a augmenté à due concurrence : la taxe additionnelle est donc devenue en partie une variable de bouclage budgétaire. Sans remettre en cause la pertinence du principe de la contribution, il serait plus clair de regrouper les différentes taxes additionnelles et la taxe principale sur les INB dans une taxe unique qui serait affectée au budget général. La rebudgétisation de la contribution INB permettrait de mettre fin au système d'ajustement par la SCSP sans nuire au niveau de recettes de l'Institut.

Évolution de la contribution sur les installations nucléaires de base
perçue par l'IRSN

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

B. UNE DÉGRADATION PRÉOCCUPANTE DU BUDGET ET DES CAPACITÉS D'INVESTISSEMENT DE L'INSTITUT

Il est certain qu'une telle baisse des ressources ne peut qu'entraîner un effet « ciseaux » pesant sur l'équilibre budgétaire de l'IRSN, dans la mesure où les dépenses de l'Institut, en particulier liées à la réalisation d'expertises de sûreté, n'ont quant à elles pas évolué à la baisse.

Déficit prévisionnel de l'IRSN jusqu'en 2025

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après l'IRSN

Le fonds de roulement de l'Institut sera négatif à partir de 2023 pour financer le maintien du niveau d'activité et devrait atteindre - 11 millions d'euros en 2025. La principale conséquence de cette situation budgétaire est la fragilisation de la capacité de l'Institut à faire face à des investissements importants au cours des prochaines années. Les dépenses d'investissement ont déjà été les premières à subir l'impact de la diminution des recettes de l'Institut au cours de la dernière décennie et sont passées de 23,3 millions d'euros en 2013 à 14,4 millions d'euros en 2021.

Évolution des investissements de l'IRSN depuis 2013

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses du ministère de la transition énergétique

III. ... NE DOIVENT PAS LIMITER LES CAPACITÉS DE L'IRSN DANS LE CONTEXTE DE RELANCE DU NUCLÉAIRE

Or, les interlocuteurs entendus par le rapporteur spécial soulignant la dégradation et le vieillissement de certains équipements scientifiques. Concernant les 8 sites d'implantation de l'IRSN, les besoins en matière immobilière au cours de la prochaine décennie sont massifs, pour des marges financières quasi-inexistantes à l'heure actuelle.

En parallèle, la relance du nucléaire se traduit par un certain nombre de grands projets (prolongation de la durée de vie des centrales existantes, mise en place des EPR2, démantèlement de Fessenheim, projet Cigéo de stockage des déchets, émergence des petits réacteurs modulaires, adaptation des centrales au changement climatique, etc.). En conséquence, le nombre, l'intensité et la complexité des dossiers d'expertise auxquels l'IRSN devra répondre sont en forte augmentation et devraient continuer à croître au cours des prochaines années.

Ainsi, le rapporteur spécial estime qu'il sera nécessaire, au moins au cours des deux prochaines années, d'accroître les ressources budgétaires de l'IRSN de 20 millions d'euros par an. Toute éventuelle économie qui aurait été réalisée en parallèle par l'IRSN devrait contribuer à restaurer les capacités d'investissement de l'Institut, dès lors que les moyens supplémentaires accordés ne pourront être regardés comme permettant de rétablir intégralement les réserves d'investissement antérieures.

IV. AU-DELÀ DU BUDGET : FAIRE FACE AUX ENJEUX D'ATTRACTIVITÉ TOUT EN GARANTISSANT À L'INSTITUT LES MOYENS DE LA RECHERCHE

A. UN ENJEU DE PUISSANCE PUBLIQUE DANS UN SECTEUR CONCURRENCIEL : PRÉSERVER L'ATTRACTIVITÉ DE L'IRSN

En 2022, les tensions sur le marché de l'emploi dans un contexte de relance du secteur nucléaire ont conduit à un taux global d'exécution des emplois de 95 %, 5 % totaux de l'Institut qui sont demeurés non pourvus. La principale explication de la baisse d'attractivité de l'Institut est sa faiblesse par rapport à la concurrence très forte du secteur privé, en particulier s'agissant des rémunérations, environ 30 % plus élevées. Le rapporteur spécial partage la crainte d'un appel d'air des exploitants, au détriment du secteur public en général et de l'IRSN en particulier.

À moyen et long termes, l'enjeu pour l'IRSN comme pour les autres acteurs de la sûreté nucléaire est la constitution d'un vivier de personnels permettant de répondre aux besoins de la filière au cours de la prochaine décennie. À court terme et en ciblant spécifiquement l'IRSN, il semble nécessaire d'agir directement dans les établissements d'enseignement supérieur afin de mieux faire connaître l'Institut auprès des étudiants. La mise en place de partenariats académiques joue à ce titre un rôle fondamental. Il semble également nécessaire que la direction de l'IRSN engage un véritable travail sur les carrières, impliquant notamment une dynamique salariale favorable. La mobilité des personnels de l'IRSN dans le cadre de parcours professionnels doit être construite, encouragée et encadrée.

B. SANCTUARISER ET DÉVELOPPER LES MOYENS CONSACRÉS À LA RECHERCHE

1. Préserver de l'érosion la part des moyens consacrés à la recherche

La synergie entre les activités de recherche et d'expertise de l'Institut constitue le principal atout de l'IRSN. Cependant, la recherche a majoritairement absorbé la réduction des moyens au cours des dernières années. En 2010, la part des dépenses de l'IRSN consacrées à la recherche était de 48,7 %, soit près de 10 points de plus qu'aujourd'hui.

Part des dépenses de recherche dans le budget total de l'IRSN
et ventilation par thématique de recherche

(en % et en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses du ministère de la transition énergétique et l'IRSN

L'augmentation conséquente du besoin en expertise au cours des prochaines années ne doit pas se faire au détriment des ressources consacrées au volet recherche. Les progrès constatés sur la valorisation de la recherche doivent en outre être poursuivis.

2. L'enjeu spécifique du réacteur expérimental Cabri

Le réacteur expérimental Cabri est exploité par le commissariat à l'énergie atomique (CEA) mais est financé par l'IRSN, pour lequel il a représenté une dépense très lourde au cours des dix dernières années. L'enjeu essentiel est désormais de déterminer le futur du réacteur Cabri une fois les essais du programme actuel terminés en 2024. La question, au coeur des discussions depuis plusieurs années, n'a jamais été tranchée, en dépit des engagements pris par le Gouvernement.

Si les exploitants nucléaires sont les principaux bénéficiaires des travaux menés au travers de Cabri, ils doivent accepter de contribuer financièrement aux structures expérimentales. Le développement du co-financement de Cabri doit constituer une condition nécessaire de la poursuite de l'exploitation du réacteur d'une part, et de l'équilibre budgétaire de l'IRSN d'autre part.

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