B. DES DIFFICULTÉS CONCERNANT EN PARTICULIER LES PROJETS D'EXPORTATION

1. Alors que les exportations d'armes sont soumises à un contrôle spécifique...

Le principe d'interdiction des exportations d'armes, sauf autorisation préalable, est posé à l'article L. 2335-2 du code de la défense, qui dispose que « l'exportation sans autorisation préalable de matériels de guerre et matériels assimilés vers des États non membres de l'Union européenne est prohibée. L'autorité administrative définit la liste de ces matériels de guerre et matériels assimilés soumis à autorisation préalable ainsi que les dérogations à cette autorisation ».

Concrètement, seuls les matériels disposant d'une licence accordée par une instance spécifique, la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), peuvent faire l'objet d'une exportation (cf. encadré ci-après).

Le contrôle des exportations d'armes

Le dispositif réglementaire a fait l'objet d'une évolution majeure avec la mise en place, depuis le 4 juin 2014, d'une autorisation unique : la licence. L'opérateur, qui souhaite exporter (hors UE) ou transférer (intra UE) des matériels de guerre et matériels assimilés, doit désormais effectuer une demande de licence auprès de l'administration par l'intermédiaire du nouveau système informatique SIGALE. La licence doit être obtenue avant la signature de tout contrat. Outre la signature des actes, elle permet également l'exportation physique des produits de défense. La licence peut prendre une forme individuelle ou globale en fonction de la sensibilité du produit exporté et du destinataire. Des licences générales, publiées par arrêté, dédiées au transfert et à l'exportation de certains produits vers des ensembles de destinations, ainsi que des dérogations à l'obligation de licence pour des cas identifiés, complètent ce dispositif.

Cette réforme s'accompagne d'un transfert partiel de la responsabilité du contrôle vers l'exportateur, qui se traduit par la tenue de registres et la remise d'un compte rendu semestriel d'activité. L'activité des sociétés peut désormais faire l'objet d'un contrôle a posteriori effectué par la DGA.

Les demandes de licence, individuelle ou globale, d'exportation ou de transfert, sont instruites par la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Cette commission, présidée par le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), réunit des représentants du ministre chargé de la défense, du ministre chargé des affaires étrangères, du ministre chargé de l'économie.

Elle apprécie les projets d'exportation sous tous leurs aspects, en tenant compte notamment des conséquences de l'exportation en question pour la paix et la sécurité régionales, de la situation intérieure du pays de destination finale et de ses pratiques en matière de respect des droits de l'homme, du risque de détournement au profit d'utilisateurs finaux non autorisés, de la nécessité de protéger la sécurité de nos forces et celles de nos alliés ou encore de maîtriser le transfert des technologies les plus sensibles.

Les licences délivrées peuvent être soumises à conditions. Elles sont le plus souvent assorties de l'obligation faite à l'industriel d'obtenir de son client - qu'il s'agisse d'un État, d'une société ou d'un particulier - des engagements en matière de destination finale et de non-réexportation des matériels livrés, qui ne peuvent être cédés à un tiers qu'après accord préalable des autorités françaises.

Afin de vérifier que les opérations réalisées sont bien conformes aux autorisations accordées, un contrôle a posteriori a été mis en place en juin 2012. Il s'agit d'un contrôle sur pièces et sur place effectué par des agents du ministère des Armées dans les locaux des entreprises exportatrices. Depuis le 30 juin 2012, les entreprises sont également tenues de faire parvenir au ministère des Armées des comptes rendus semestriels récapitulant leurs commandes et leurs expéditions de matériels. Le cas échéant, les avis favorables de la CIEEMG peuvent être assortis de conditions, ainsi que l'exigence d'une clause de non-réexportation (CNR) et de certificat d'utilisation finale (CUF). La décision prise par le Premier ministre après avis de la CIEEMG est ensuite notifiée aux douanes (DGDDI) qui délivrent, en cas d'acceptation, la licence.

Source : Ministère des Armées

2. ... ces opérations, vitales pour les entreprises de la BITD, sont les plus susceptibles de se voir opposer des refus de financement...

Si la licence accordée par la CIEEMG est une condition nécessaire pour l'obtention d'un financement export, elle n'est en revanche pas suffisante. En effet, selon les termes employés par plusieurs groupes bancaires entendus par vos rapporteurs, « la licence ne constitue pas un droit au crédit », dans la mesure où elle ne couvre pas l'ensemble des obligations qui s'imposent aux établissements bancaires. Ainsi, la décision de la CIEEMG ne se fonde pas sur la prise en compte de critères liés à la lutte contre la corruption et au respect de la réglementation internationale et nationale afférente.

Une analyse de sécurité financière reste donc nécessaire et exigée par le régulateur. Par ailleurs, il existe des pays considérés comme « sensibles » envers lesquels les banques ont une politique de risque fermée à tous secteurs et ne feront aucune opération export quel que soit le sous-jacent. Pour les autres pays « sensibles », résultant d'une combinaison de facteurs de risques (tels que le niveau élevé de corruption, risque de répression interne, le risque de prolifération, la violation des droits humains faisant l'objet de rapports de l'ONU), les banques prennent en compte la sensibilité du sous-jacent et le pays d'exportation. L'autorisation de la CIEEMG constitue ainsi un élément de « confort », les seules transactions acceptées dans le secteur de la défense vers ces pays sensibles étant en tout état de cause celles disposant d'une licence.

À cet égard, il pourrait être envisagé que la liste des critères vérifiés par la CIEEMG, qui recoupent dans une large mesure ceux utilisés par les banques dans leur analyse de risque, fasse l'objet d'une publication afin de permettre aux établissements bancaires de s'y référer et d'alléger ainsi leurs propres procédures de vérification.

Recommandation : publier la liste des vérifications menées par la CIEEMG afin de permettre aux établissements bancaires de s'y référer et d'alléger ainsi leurs propres procédures de vérification.

Dans ses réponses au questionnaire budgétaire, le ministère des Armées relève ainsi que « les financements de projets d'exportation vers certains marchés considérés comme sensibles par les établissements financiers restent le principal vecteur d'aversion au risque de la part du secteur bancaire ». Ce constat rejoint très largement l'analyse des acteurs du secteur entendus en audition. En effet, si, selon les industriels rencontrés, l'ensemble du spectre des opérations bancaires peut être concerné par cette aversion - de l'ouverture du compte aux activités d'exportation - ces dernières rencontrent des difficultés particulières, notamment lorsque des pays situés dans des zones géographiques considérées comme étant à « risque » sont concernés (Afrique et Moyen-Orient en particulier).

Cette situation est d'autant plus dommageable que les exportations revêtent une importance vitale pour les entreprises de la BITD et, par conséquent, pour le maintien de notre autonomie stratégique.

Ainsi, selon le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), l'export représente historiquement 50 % du chiffre d'affaires de ses adhérents. Sur ces 50 %, jusque très récemment, près de la moitié allait au Moyen-Orient/Maghreb, zones géographiques pouvant être considérées comme présentant un risque par les établissements bancaires. Selon le groupement, cette situation résulte du fait que les pays concernés ont les capacités financières de répondre à leurs besoins importants, ce que ne leur permet pas encore leur BITD, et se tournent donc vers les pays occidentaux, dont la France.

Par ailleurs, comme le relève le ministère des armées dans son rapport au Parlement 2022 sur les exportations d'armement de la France, celles-ci sont cruciales dans la mesure où elles permettent de :

1) répondre à la nécessité d'assurer la continuité des productions qui ne peut pas toujours reposer de manière exclusive sur les programmes nationaux. Ainsi, dans le cas du Rafale, la chaîne de production ne peut être viable qu'avec un minimum d'avions produits par an que les seuls besoins de l'armée de l'air et de l'espace et de la marine nationale ne pourraient pas permettre d'atteindre ;

2) diminuer les coûts unitaires grâce à l'augmentation des séries, entraînant une diminution du coût d'acquisition pour l'État ;

3) maintenir des compétences et des savoir-faire critiques tout en conservant des coûts compétitifs pour rester au niveau de la concurrence mondiale via la réalisation de variantes voire de produits spécifiques pour l'export.

3. ...que ne peuvent pallier les seuls dispositifs de soutien publics

Les entreprises de la BITD ont accès, comme l'ensemble des entreprises françaises, aux dispositifs publics de soutien à l'export. Le ministre chargé de l'économie est ainsi autorisé à accorder des prêts directs et des garanties publiques (assurance-crédit) contribuant au développement du commerce extérieur de la France par l'octroi d'une offre financière complémentaire de l'offre technique portée par l'entreprise.

L'assurance-crédit, qui permet de couvrir les opérations financées par un crédit d'une durée supérieure à deux ans, constitue le principal instrument de soutien public à l'export. En pratique, Bpifrance Assurance Export (Bpi AE) octroie au nom et pour le compte de l'État plusieurs types de garanties :

celles destinées à couvrir les banques émettrices contre le risque de non-paiement, pour des faits politiques et/ou commerciaux ;

celles destinées à protéger l'exportateur français contre le risque d'interruption de son contrat commercial et le non-paiement.

Les dispositifs de garantie proposés par l'État

• La garantie des engagements de cautions permet de couvrir la banque émettrice de la caution en cas d'appel abusif de la caution par le client ou de risque politique ;

• La garantie d'interruption du contrat commercial permet de couvrir l'exportateur des pertes consécutives à une interruption de marché ;

• La garantie du crédit acheteur permet de couvrir la banque prêteuse du risque de non remboursement du crédit octroyé au client étranger d'un exportateur français ;

• La garantie de créances permet de couvrir l'exportateur contre le risque de non- paiement des factures réglées au comptant ;

• La garantie du crédit fournisseur permet de couvrir l'exportateur contre le risque de non-remboursement du crédit qu'il a octroyé à son client étranger ;

• La garantie du crédit fournisseur avec cession permet de couvrir la banque du risque non remboursement des créances cédées par l'exportateur français dans le cadre du crédit fournisseur.

Source : direction générale du Trésor, réponses au questionnaire de vos rapporteurs

Sur l'année 2022, 168 promesses ont été accordées en assurance-crédit, 1 502 en assurance-prospection, 161 en assurance change et 514 en assurance cautions et préfinancements. 45 % des demandes de garantie acceptées l'ont été au bénéfice de PME, 16 % d'ETI et 39 % de grandes entreprises.

Encours sur les produits de soutien financier depuis 2017

(en millions d'euros)

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Assurance-crédit

69 155

65 078

59 174

59 635

60 413

66 415

Assurance prospection

1 907

1 797

1 838

1 870

1 849

1 719

Assurance des cautions et

préfinancements

1 622

1 457

1 422

1 656

2 227

2 408

Assurance change

456

465

335

417

403

259

Assurance investissement

259

188

172

156

157

151

Réassurance court-terme

(CAP Francexport, CAP Francexport+)

s.o.

s.o.

s.o.

305

1 303

1 676

Source : Bpifrance AE, repris dans le rapport de la Cour des comptes sur les dispositifs de soutien à l'exportation entre 2017 et 2021 (octobre 2022)

Par ailleurs, à la fin de l'exercice 2022, la part du militaire sans le stock de crédits garantis atteignait près de 40 %.

Outre les garanties de l'État apportées par Bpifrance, les entreprises de la BITD peuvent avoir accès à d'autres instruments tels que les prêts directs du Trésor. Selon les informations communiquées par la direction générale du Trésor à vos rapporteurs, la part du militaire dans le stock de ces prêts 2022 est cependant très réduite dans la mesure où l'utilisation des prêts directs dans le secteur militaire est très récente.

Les entreprises du secteur de la défense sont également éligibles à l'assurance prospection, destinée à couvrir les dépenses de prospection engagées par les entreprises à hauteur de 65 % du budget programmé, moyennant une prime de 3 % de cette somme, ainsi qu'au dispositif dit « Article 90 », dont la gestion a été confiée à Bpi AE au 1er janvier 2023. Ce dispositif vise à réduire le risque que supportent les entreprises de défense lors de la phase d'industrialisation (fabrication ou adaptation d'un matériel) et permet d'octroyer des avances remboursables portant intérêts aux entreprises du secteur pour financer jusqu'à 60 % des dépenses d'industrialisation de certains produits en vue de leur exportation.

Les outils de soutien financier public à l'export sont régis par des règles multilatérales, dites de « l'Arrangement OCDE », reprises dans le droit de l'Union européenne ainsi que par la politique annuelle de financement export (PFE), qui fixe chaque année la doctrine d'intervention et les seuils d'alerte par pays. Ainsi, dans le cadre de la politique de financement export 2022, 10 pays étaient fermés, 55 étaient ouverts sous condition et 30 étaient ouverts avec vigilance.

Source : Bpifrance

Les dossiers sont instruits par la commission des garanties et du crédit au commerce extérieur, instance interministérielle où sont représentés, pour ce qui concerne les affaires militaires, la direction générale du Trésor, la direction générale du budget, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère chargé de l'écologie, Bpifrance AE et la DGA. La commission des garanties conduit également les diligences nécessaires en matière de conformité et peut saisir la Banque de France pour les enquêtes sur les sociétés demandant une garantie contre un risque d'exportateur.

La décision revient au ministre chargé de l'économie, l'octroi d'une garantie étant toujours conditionnée à l'obtention d'une licence d'exportation.

Si ces dispositifs publics de soutien à l'export sont indispensables et les montants en jeu importants, leur mise en oeuvre est cependant dépendante de la bonne volonté des établissements bancaires. En effet, l'octroi de garanties destinées à couvrir les banques émettrices est, par définition, conditionné à l'obtention d'un financement bancaire. De même, compte tenu du niveau de dépenses couvert par les dispositifs d'avances remboursables, ces derniers doivent être complétés, soit par des ressources propres soit par des financements extérieurs.

Par ailleurs, comme le relève la Cour des comptes dans un rapport consacré au soutien aux exportations de matériel militaire14(*), les garanties sont très fortement concentrées sur des pays classés de 1 à 3 sur une échelle de risque 7. En d'autres termes, à l'instar du secteur bancaire, l'État privilégie également les opérations à destination de pays jugés moins risqués.

Vos rapporteurs estiment par conséquent nécessaire d'envisager un accompagnement renforcé pour les opérations à destination de certains marchés posant des difficultés particulières.

Recommandation : prévoir un accompagnement financier renforcé pour les opérations à destination de certains marchés posant des difficultés particulières.


* 14 Cour des comptes, Le soutien aux exportations de matériel militaire, rapport public thématique, janvier 2023.

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