B. DES MODÈLES INDÉPENDANTS DES SCENARII MACROÉCONOMIQUES DU GOUVERNEMENT

1. Des modèles dont l'amélioration peut expliquer la forte évolution des estimations pour 2022, ...

Une première modélisation a été demandée à l'été 2020 par la direction générale du Trésor à la Banque de France pour le projet de loi de finances pour 2021. Le scénario de référence permettant de calibrer le paramètre « alpha » était celui d'une période de crise de deux ans, infligeant un « stress » sur les cotations FIBEN pour les années 2021 et 2022, puis une période « hors crise », pour les années 2023 à 2026. Pour la première année de crise, la Banque de France a pris l'hypothèse d'un déclin du PIB de 9 % par rapport au niveau de 2019, décliné ensuite sectoriellement conformément aux évolutions observées en 2020 pour en déduire un impact sur les comptes des entreprises.

À l'issue de la première année du choc, il était appliqué, sur la répartition initiale du nombre de bénéficiaires des PGE par cotation un taux de défaillance lui-même « stressé », aboutissant à la construction d'une « matrice de transition stressée » appliquée aux entreprises toujours en vie à l'issue de la première année. Les paramètres relatifs au montant du PGE, à la quotité garantie ainsi qu'au capital restant dû étaient ensuite appliqués, de même que le « loss given default », estimé à 60 % de l'encours restant pour les grandes entreprises et les ETI et à 80 % pour les TPE et PME. La même procédure était appliquée pour la deuxième année de crise. De même pour les années « hors crise » mais sur la base d'une matrice de transition et de taux de défaillance observés en moyenne les cinq années précédant la crise.

L'estimation effectuée en août 2021 a été réalisée sur le même principe, avec trois périodes : la période écoulée (2020), les deux années de crise (2021 et 2022) et les trois années normales (2023 à 2026).

Pour l'estimation de janvier 2022, la période de crise a été réduite, sur la base d'une observation de la Cour des comptes, de deux ans à un an. En effet, les années de crises ont été moins intenses que prévu. La matrice de transition stressée n'était ainsi appliquée qu'une seule fois, comme les taux de défaut de crise. Cela explique la révision à la baisse de la provision qui a été faite en 202296(*).

Pour l'estimation effectuée en juillet 2022, permettant de déterminer les prévisions pour le PLF 2023, le scénario de déférence permettant de calibrer le paramètre « alpha » a connu une évolution significative. En effet, le choix qui fut fait fut de sortir du cadre binaire entre années de crise et années hors crise, pour estimer que, sur la période 2022-2028, la tendance de défaillance des entreprises sera semblable à celle observée sur la période 2009-2015. Ainsi, le scénario retenu considère que le nombre total de défaillances, rapporté à la population d'entreprises cotées, sera égal, sur les six prochaines années (période allant du 1er décembre 2022 au 30 novembre 2028), au nombre de défaillances observées entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2015. La période de retenue (2009-2015) correspond en effet à une période de dégradation de l'activité et de reprise lente, accompagnée de défaillances élevées et marquée par deux épisodes de crise (2009 et 2013).

En 2022 les défaillances d'entreprises ont fortement augmenté (plus de 41 000), mais restent environ 15 % inférieures à leur niveau de 2019 (au nombre de 51 500). Selon la direction générale du Trésor, malgré les chocs économiques, le scénario retenu conserve une marge de prudence puisque le nombre annuel moyen de défaillances sur la période 2009-2015 était de 61 900, soit 20 % plus élevé que le nombre annuel de défaillances de 2019.

Cette amélioration de la modélisation contribue à expliquer les fortes évolutions dans les crédits évalués pour l'année 2022 : entre janvier 2022 et août 2022, le montant d'appels en garanti estimé par la Banque de France pour 2022 a diminué de 300 millions d'euros - du fait aussi d'un nombre d'appels en garantie moindre qu'anticipé sur la première partie de l'année. L'annulation de crédits de 2,03 milliards d'euros intervenue sur le programme 114 en deuxième loi de finances rectificatives pour 202297(*), due pour l'essentiel à un niveau d'appels en garantie au titre des PGE moindre qu'anticipé - sur la base du calibrage précédent - en loi de finances initiale pour 2022, a achevé de confirmer cette tendance.

Évolution des estimations et exécution des appels en garantie au titre des PGE
et du programme 114 pour l'année 2022

 

Programme 114 (Appels en garantie)

Appels en garantie au titre des PGE

Loi de finances pour 2022

3,50 milliards d'euros

2,65 milliards d'euros

Estimation janvier 2022 (Banque de France)

-

2,31 milliards d'euros

Estimation août 2022 (Banque de France)

-

2,04 milliards d'euros

Seconde loi de finances rectificative (2022 révisé)

1,50 milliard d'euros

-

Loi de règlement pour 2022 (exécution)

1,51 milliard d'euros

1,37 milliard d'euros

Source : documents budgétaires ; rapport spécial de M. Jérôme Bascher sur la mission « Engagements financiers de l'État » pour le PLF 2023 (novembre 2022) ; rapport de la Cour des comptes sur les PGE (juillet 2022)

2. ... mais qui ont en commun de ne pas se fonder sur les scenarii macroéconomiques du Gouvernement

Une faiblesse demeure cependant : l'absence de bouclage entre le scénario macroéconomique du Gouvernement utilisé pour déterminer les recettes et les dépenses attendues pour l'année à venir d'une part, et les prévisions utilisées par la Banque de France pour construire son modèle d'autre part.

Par ailleurs, en l'absence de scénario des défaillances de référence établi en dehors de l'exercice d'estimation des pertes PGE, la direction générale du Trésor a établi un scénario pour les nécessités de l'exercice : celui consistant à répliquer sur la période 2023-2028 la tendance des défaillances enregistrée sur 2009-2015.

Si l'on comprend la nécessité d'arrêter un scénario de référence qui soit le plus vraisemblable possible, rien n'indique pourtant a priori que la tendance des défaillances sur la période 2023-2028 suivra précisément celle de 2009-2015. Il n'y a pas de raison particulière pour que les défaillances d'entreprises en sortie de crise sanitaire suivent la même trajectoire qu'en sortie de crise financière. Au demeurant, la crise de 2008-2009 était plutôt une crise de demande tandis que celle de 2020 a été une crise dont les répercussions ont particulièrement pesé sur l'offre - avec un fort soutien de l'État. Ces divergences impliqueraient probablement une déformation de la trajectoire des défaillances par rapport à la période 2009-2015. Par ailleurs, la concentration des remboursements, des difficultés qui pourraient les accompagner, et donc des potentiels appels en garantie sur la fin de la période n'est qu'imparfaitement prise en compte dans le scénario de référence.

Le Trésor le reconnaît lui-même : « l'évolution des défaillances à un tel horizon est nécessairement sujette à un degré d'incertitude élevé. L'évolution des défaillances dépendra de l'évolution de la conjoncture macroéconomique ; toute variable susceptible d'affecter les résultats des entreprises pouvant modifier le niveau de défaillances observé. La croissance de l'activité, le coût du financement des entreprises, l'inflation, les prix de l'énergie et des intrants des entreprises, les tensions sur les chaines d'approvisionnement, la disponibilité de la main d'oeuvre, les niveaux des salaires, le niveau de demande (intérieure et extérieure), constituent autant de facteurs susceptibles d'avoir un effet sur les niveaux de défaillances dans les années à venir98(*) ».

Pour autant, la modélisation des pertes pour l'État au titre des PGE ne permet pas d'isoler l'effet de chocs macroéconomiques spécifiques sur la trajectoire des appels en garantie. L'évaluation de l'effet du choc sur les prix de l'énergie en 2022 (et des dispositifs de soutien mis en place) sur la situation financière des entreprises constituerait par exemple un exercice de modélisation à part entière.

Ainsi, si le nouveau scénario de référence pourrait aboutir à des estimations plus fidèles que les précédentes, il demeure étrange - même si les prévisions macroéconomiques de la Banque de France peuvent être proches de celles de la direction générale du Trésor - que ces modélisations ne se fondent pas sur éléments de prévision et les estimations macroéconomiques du Gouvernement pour effectuer le cadrage économique et financier de la loi de finances.

Recommandation n° 7: fonder les estimations de pertes PGE sur les prévisions macroéconomiques du Gouvernement afin de permettre un réel bouclage du budget de l'État.

Enfin, la certification des comptes 2022 menée par la Cour des comptes99(*) a permis d'identifier un dernier sujet : dans les comptes de l'État, les engagements hors bilan dus aux PGE sont évalués à 81 milliards d'euros (dont 5 milliards de provision pour risques) alors que la Banque de France, pour réaliser ses dernières estimations, s'était fondée sur un encours garanti restant de 90 milliards d'euros. Le fichier Bpifrance transmis à l'administration pour déterminer les estimations d'engagement hors bilan renseignerait en effet, en cas d'anomalie sur un montant de capital restant dû, un montant de 0, tandis que la Banque de France redresserait les données pour réaliser ses estimations de pertes dues aux PGE. Au total, la qualité des estimations n'en paraît donc pas affectée, mais il semble indispensable de raccorder les données utilisées par la Banque de France pour élaborer ces estimations avec celles retenues par l'État pour calculer le montant des engagements hors bilan.

Recommandation n° 8 : harmoniser les montants utilisés par la Banque de France pour effectuer les estimations de pertes nettes liées aux PGE et ceux utilisés par l'administration pour déterminer le montant des engagements hors bilan.


* 96 Voir « Garanties accordées par l'État pendant la pandémie : estimation du risque pesant sur les finances publiques françaises », Haut Conseil des Finances Publiques, note n° 2022-2, juillet 2022, Pascal Helvaser et Axelle Lacan.

* 97 Loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 98 Réponses du ministère de l'économie au questionnaire du rapporteur spécial.

* 99 Certification des comptes de l'État, exercice 2022. Cour des comptes, avril 2023.

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