B. LES ZFE-M : UN LEVIER D'ACTION PERTINENT, QUI NE SAURAIT ÊTRE « L'ALPHA ET L'OMEGA » DE L'AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DE L'AIR

1. La part du transport routier dans la pollution atmosphérique varie selon les polluants pris en compte

Quatre secteurs d'activité (transport, secteur résidentiel et tertiaire, agriculture et industrie) sont particulièrement émetteurs de pollution atmosphérique. Leur contribution respective à ces émissions varie cependant fortement selon le polluant considéré.

Répartition des sources d'émission de polluants atmosphériques

en France

Source : Réponse de l'Ademe au questionnaire écrit du rapporteur

Le transport routier (voitures et poids lourds roulant au diesel en particulier) est le premier contributeur aux émissions d'oxydes d'azote et représente, à lui seul, plus de la moitié de ces émissions (54 %).

S'agissant des particules fines, le secteur résidentiel est la principale source de pollution du fait du chauffage au bois, responsable de 56 % des émissions de PM2,5 et de 34 % des émissions de PM10. Le transport routier est quant à lui responsable de 15 % des émissions de PM2,5, soit une part inférieure à celle de l'industrie (près de 20 %), et de 13 % des émissions des émissions de PM10, après l'agriculture (27 %) et l'industrie (26 %).

Les émissions polluantes générées par les véhicules du transport routier proviennent de différentes sources.

Les pots d'échappement des véhicules thermiques émettent des NOx, des particules fines et du benzène ainsi que des polluants qui ne font pas l'objet d'une surveillance réglementaire comme le carbone suie ou des polluants qui contribuent à la formation de particules secondaires dans l'air21(*).

Le système de freinage et l'abrasion des pneus sur la chaussée des véhicules - qu'ils soient thermiques, électriques ou hybrides - constituent également des sources significatives d'émissions de particules.

L'infographie ci-après présente les différentes sources de polluants atmosphériques qu'émet un véhicule thermique.

Source : réponse de l'Ademe au questionnaire écrit du rapporteur

Selon l'Ademe, 50 % des particules générées par le trafic routier en Europe proviennent d'émissions hors échappement. En France, le système de freinage serait responsable de 16 à 55 % des émissions de PM10 liées au transport routier et l'abrasion des pneus de 5 à 30 % de ces émissions. En 2019, l'abrasion des pneus était responsable de 45 % des émissions de PM2,5 liées au transport routier.

La part des particules liées à l'abrasion dans la pollution totale issue du transport routier s'est accrue ces dernières décennies, sous l'effet du renforcement des normes de construction des véhicules et de la généralisation des filtres à particules sur les véhicules diesel (cf. schéma ci-après).

Évolution de la part des particules d'abrasion dans la pollution générée par le transport routier en France entre 1990 et 2019

Source : réponse de l'Ademe au questionnaire écrit du rapporteur

2. Mise en oeuvre des ZFE-m : des résultats encourageants, mais un outil qui ne répond que partiellement aux enjeux de qualité de l'air
a) La classification Crit'air : un outil imparfait pour appréhender la pollution de l'air liée aux véhicules routiers

En France, les véhicules sont classés selon leur niveau d'émissions de polluants atmosphériques à travers la classification Crit'air22(*).

La classification se fonde sur la catégorie du véhicule, sa motorisation et, lorsque l'information est disponible, sa norme « Euro » ou, à défaut, sa date de première immatriculation.

Normes « Euro » sur les émissions polluantes des véhicules thermiques

La Norme euro a été mise en place par l'Union européenne en 1988 pour les véhicules lourds (norme Euro 0 à VI), afin de limiter les émissions de polluants liées au transport routier. Elle fixe des normes de plus en plus contraignantes pour les constructeurs, qui sont dans l'obligation de mettre sur le marché des véhicules moins polluants.

La norme Euro impose des valeurs limites d'émissions des oxydes d'azote (NOx), du monoxyde de carbone (CO), des hydrocarbures (HC) et des particules au niveau du système d'échappement du véhicule.

À ce jour, la classification Euro pour les véhicules lourds (poids lourds, cars et bus) se divise en sept catégories, en fonction de la date de première immatriculation :

- Euro 0 (à partir du 1er octobre 1990) ;

- Euro I (à partir du 1er octobre 1993) ;

- Euro II (à partir du 1er octobre 1996) ;

- Euro III (à partir du 1er octobre 2001) ;

- Euro IV (à partir du 1er octobre 2006) ;

- Euro V (à partir du 1er octobre 2009) ;

- Euro VI (à partir du 1er janvier 2014).

Tous les véhicules neufs lourds doivent désormais être conformes à la norme Euro VI, en application du règlement n° 595/2009 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009.

S'agissant des véhicules légers, les normes Euro se divisent en neuf classes :

- Euro 1 (du 1er janvier 1993 au 1er juillet 1996) ;

- Euro 2 (du 1er juillet 1996 au 1er janvier 2001) ;

- Euro 3 (du 1er janvier 2001 au 1er janvier 2006) ;

- Euro 4 (du 1er janvier 2006 au 1er janvier 2011) ;

- Euro 5 (du 1er janvier 2011 au 1er septembre 2015) ;

- Euro 6b (du 1er septembre 2015 au 1er septembre 2018) ;

- Euro 6c (du 1er septembre 2018 au 1er septembre 2019) ;

- Euro 6d-TEMP (du 1er septembre 2019 au 1er janvier 2021) ;

- Euro 6d (à compter du 1er janvier 2021).

En novembre 2022, la Commission européenne a publié ses propositions concernant la future classe Euro VII/Euro 7, qui doivent désormais être examinées par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne. Cette nouvelle classe vise à renforcer les ambitions de réduction des émissions polluantes.

Cette proposition de la Commission européenne prévoit en outre la prise en compte des émissions de particules fines liées au système de freinage et aux pneumatiques du véhicule, alors que les normes précédentes portaient uniquement sur le système d'échappement.

La classification Crit'air s'applique à tous les véhicules motorisés (deux roues, tricycles et quadricycles à moteur, voitures, véhicules utilitaires légers et véhicules lourds - poids lourds, autobus et autocars). Elle comprend six catégories, allant de la vignette verte ou Crit'air 0, attribuée aux véhicules électriques ou hydrogènes de toutes catégories, à la vignette Crit'air 5 attribuée aux véhicules anciens roulant au diesel (norme Euro 2 pour les voitures et véhicules utilitaires légers et Euro III pour les véhicules lourds). Les véhicules immatriculés avant le 31 décembre 1996 sont non classés. La vignette est valable pour toute la durée de vie du véhicule.

Tableau récapitulatif de la classification Crit'air pour les voitures

Le système de vignettes Crit'air permet d'imposer des restrictions de circulation aux véhicules les plus polluants, soit de manière ponctuelle dans le cadre des dispositifs de circulation différenciée en cas de pic de pollution, soit de manière plus pérenne dans le cadre des ZFE-m.

Néanmoins, cet outil ne prend en compte que les émissions polluantes liées au système d'échappement du véhicule et non les polluants hors échappement (PHE), qui constituent pourtant une source non négligeable d'émissions de particules fines, comme évoqué précédemment. De fait, les PHE constituent un angle mort des ZFE-m.

Ainsi que l'ont d'ailleurs rappelé au rapporteur les représentants d'ATMO : « une part non négligeable de particules fines est issue du transport, mais une part prépondérante provient de l'abrasion, peu concernée par les ZFE-m ». Selon cet organisme, la prise en compte des PHE dans le système de vignettes nécessiterait toutefois des études supplémentaires : « une meilleure prise en compte des émissions dans l'air autres que celles issues des pots d'échappement (abrasion frein, pneus, envol poussières,...) serait un vrai plus, mais cela nécessiterait au préalable des études poussées sur l'ampleur de ces émissions en fonction des types de véhicules ».

Le cas échéant, l'entrée en vigueur dans les prochaines années d'une norme Euro VII/7 pourrait conduire à prendre en compte les émissions de polluants hors échappement. La question se posera toutefois des modalités d'intégration de cette nouvelle norme - et, le cas échéant, des normes suivantes - à la classification Crit'air actuelle. À ce stade, plusieurs autres pays de l'Union européenne dont la France ont toutefois fait part de leur opposition à l'adoption de cette nouvelle norme Euro.

b) Mise en oeuvre des ZFE-m : quels bénéfices attendus en termes de santé publique ?

· Comme l'a rappelé Atmo France, la mise en oeuvre d'une ZFE-m permet surtout d'agir sur les émissions d'oxydes d'azote - dont la source principale est le transport routier. Pour rappel, Santé publique France estime que, en moyenne, 7 000 décès par an ont été imputables à ces émissions sur la période 2016-2019. Les oxydes d'azote contribuent également, aux côtés d'autres polluants atmosphériques, au déclenchement ou à l'aggravation de certaines pathologies chroniques (cf. supra).

En revanche, les ZFE-m ne permettent d'agir sur les émissions de particules fines que de façon plus partielle. En effet, le transport routier n'est à l'origine « que » de 13 % (pour les PM10) à 15 % (PM2,5) de ces émissions, qui sont essentiellement issues du secteur résidentiel. Or, Santé publique France attribue en moyenne 40 000 décès par an aux émissions PM2,5 sur la période 2016-2019 dans notre pays. Les ZFE-m n'apportent donc qu'une réponse limitée à la problématique de l'exposition aux particules fines, qui constitue un enjeu sanitaire central.

S'il est encore tôt pour évaluer l'efficacité des 11 ZFE-m instituées en application de la loi d'orientation des mobilités23(*) (LOM) au regard de la qualité de l'air, les premiers retours d'expérience transmis au rapporteur démontrent néanmoins certains résultats encourageants. À titre d'exemple, la métropole du Grand Lyon  a indiqué constater un effet limité compte tenu de la faiblesse des contrôles, mais tout de même significatif pour les poids lourds (- 24 % d'émissions de dioxyde d'azote). De même, la métropole du Grand Paris indique s'attendre, grâce à l'interdiction des véhicule Crit'air 4, à une baisse jusqu'à 1,25 % de nouveaux cas d'asthme chez les enfants. À terme, la ZFE-m pourrait entraîner une baisse jusqu'à 4,9 % des naissances à faible poids.

De manière plus résiduelle, la mise en place d'une ZFE-m peut apporter des bénéfices sanitaires liés à une réduction de l'accidentologie et des nuisances sonores liées au trafic routier.

· Néanmoins, il faut souligner que les bénéfices attendus des ZFE-m sont inégaux et dépendent fortement des contextes locaux (part du transport routier dans la pollution de l'air localement observée), mais aussi du périmètre de la ZFE-m et des restrictions mises en oeuvre.

À ce titre, l'étude réalisée par l'Ademe en 2020 sur les ZFE en Europe indique que ces dernières ont un effet limité sur les concentrations en oxydes d'azote (NOx) et/ou en dioxydes d'azote (NO2) lorsque le dispositif concerne les véhicules diesel jusqu'à la norme Euro 4, mais un effet bien plus important sur les concentrations en NOx et/ou en NOlorsque les ZFE concernent les véhicules diesel jusqu'à la norme Euro 5, comme c'est le cas de la ZFE instaurée dans le centre de Londres. L'étude conclut également à un effet significatif du dispositif sur les concentrations en particules fines lorsque les restrictions ont favorisé le renouvellement du parc diesel antérieur à la norme Euro 5. Si certaines ZFE semblent produire des résultats positifs, à l'image de Bruxelles et Stuttgart (cf. Annexe 2), l'étude de l'Ademe conclut à des résultats plus mitigés dans la ZFE de Milan.

Une étude réalisée par l'observatoire régional de santé (ORS) d'Île-de-France sur la ZFE-m de Paris en 2018 confirme également l'incidence des périmètres et régimes de restriction retenus sur l'efficacité du dispositif.

Évaluation de l'impact sanitaire de la ZFE de Paris (Étude de l'ORS Île-de-France,

en collaboration avec AirParif et Santé publique France)

En 2018, l'ORS d'Île-de-France, AirParif et Santé publique France ont réalisé une évaluation quantitative de l'impact sanitaire de la ZFE de Paris. Cette étude se basait sur trois scénarios de mise en oeuvre, sur deux périmètres (Paris et un périmètre intra-autoroute A86) au 1er juillet 2019 :

- scénario A : interdiction des véhicules Crit'air 5 et non classés ;

- scénario B : interdiction des véhicules Crit'air 5, non classés et Crit'air 4 ;

- scénario C : interdiction des véhicules Crit'air 5, non classés, Crit'air 4 et Crit'air 3.

L'étude a conduit à plusieurs enseignements. D'une part, les bénéfices pour la santé augmentent avec l'élargissement du périmètre d'action et le renforcement du niveau de restriction. D'autre part, elle conclut à des résultats encourageants auprès des enfants qui souffrent d'asthme et face au risque pour le foetus lié aux expositions prénatales (le faible poids à la naissance augmentant le risque de développer des maladies chroniques à l'âge adulte). Des bénéfices s'observent en matière de mortalité et de nouveaux cas de pathologies chroniques et d'hospitalisations et de recours aux urgences évités.

Selon le scénario retenu, la mise en place de la ZFE-m permettrait d'éviter entre 10 (scénario le moins restrictif) et 220 décès (scénario le plus restrictif d'interdiction des véhicules à compter des Crit'air 3) à l'échelle des communes intra-A86 (Paris et les communes du « super-périphérique parisien, comme Rueil-Malmaison, Saint-Ouen, Montreuil, Puteaux, Bourg-la-Reine, Boulogne-Billancourt, etc.).

Le schéma ci-après présente la part des décès évitables grâce à la mise en place de la ZFE-m de Paris (chez les personnes âgées de plus de 30 ans) parmi l'ensemble des décès qui pourraient être évités grâce à un alignement des émissions de dioxyde d'azote sur les lignes directrices de l'OMS.

c) Au-delà des ZFE-m, la nécessité d'une approche globale et territorialisée pour lutter efficacement contre la pollution de l'air

Ainsi que l'a rappelé l'Alliance des collectivités territoriales pour la qualité de l'air, la part relative des différentes sources de pollution peut fortement varier d'un territoire à l'autre.

À titre d'illustration, à Paris, le transport routier représente 67 % des émissions de NOx et 26 % des émissions de PM2,5, soit des proportions supérieures à la moyenne nationale, ce qui s'explique en partie par l'absence de pollution industrielle.

Sources d'émissions polluantes à Paris

Source : Santé Publique France

En revanche, dans le département des Bouches-du-Rhône où le rapporteur s'est rendu dans le cadre de ses travaux : le transport maritime était responsable de 28 % des oxydes d'azote en 201924(*) du fait de la proximité du grand port maritime de Marseille, soit une part très proche de celle du transport routier. Le secteur industriel et énergétique est quant à lui responsable du tiers des émissions d'oxydes d'azote et de PM2,5.

Sources d'émissions polluantes dans les Bouches-du-Rhône

Source : ATMO Sud.

En conséquence, le rapporteur estime nécessaire de favoriser l'adaptation des stratégies de lutte contre la pollution atmosphérique aux spécificités de chaque territoire.

À cet égard, l'agglomération marseillaise est un cas de figure intéressant : compte tenu de la part importante du transport maritime dans les émissions polluantes observées sur ce territoire, en particulier s'agissant des oxydes d'azote, du soufre et des particules fines (cf. supra), le grand port maritime de Marseille investit depuis plusieurs années dans le développement de systèmes de branchement électrique des navires à quai, devant concerner les ferries internationaux, la réparation navale et la croisière à horizon 2025. Ce dispositif apporte un complément essentiel à la ZFE-m mise en place sur ce territoire depuis le 1er septembre 2022.

La prise en compte de l'ensemble des secteurs émetteurs dans les politiques locales de lutte contre la pollution de l'air constitue, en outre, un axe nécessaire pour améliorer l'acceptabilité des ZFE-m. L'Alliance des collectivités territoriales pour la qualité de l'air a par exemple recommandé de « prendre en compte les pollutions maritimes et aériennes afin que tous les secteurs du transport soient concernés, et que les habitants ne se sentent pas pointés du doigt lorsqu'ils côtoient des secteurs qui contribuent fortement à la dégradation de la qualité de l'air de leur territoire. »

Comme l'a indiqué l'Alliance des collectivités territoriales pour la qualité de l'air, la ZFE-m « ne s'inscrit pas aujourd'hui dans une vision nationale de réduction de la pollution de l'air [...]. Ce manque de stratégie nationale fait reposer toutes les crispations sur la ZFE qui est présentée comme le seul outil pour répondre à des problématiques croisées qui ne sont jamais posées clairement. Nous avons besoin d'une feuille de route qui poserait des objectifs clairs de baisse de la pollution de l'air à l'échelle nationale, et les outils déployés pour répondre aux objectifs posés, dans le transport, l'énergie, l'agriculture etc. »

Au total, le rapporteur considère que la mise en place des ZFE-m doit s'inscrire dans une politique globale d'amélioration de la qualité de l'air, ciblant les différentes sources d'émissions. Au demeurant, les ZFE-m se heurtent à de sérieuses difficultés de mise en oeuvre.


* 21 Outre les polluants primaires, le transport routier émet des polluants secondaires (particules secondaires pour l'essentiel) qui se forment lorsque d'autres polluants interagissent dans l'atmosphère. Les principaux précurseurs impliqués dans la formation des particules secondaires sont le dioxyde de soufre, les oxydes d'azote, les composés organiques volatiles et l'ammoniac.

* 22 Arrêté du 21 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques en application de l'article R. 318-2 du code de la route.

* 23 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

* 24 Source : ATMO Sud.