PREMIÈRE PARTIE 
UNE SITUATION FINANCIÈRE TENDUE DES COMMUNES DES DÉPARTEMENTS ET RÉGIONS D'OUTRE-MER (DROM) QUI DEVRAIT ENCORE SE DÉTÉRIORER DANS UN CONTEXTE INFLATIONNISTE

I. LA DÉGRADATION, DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES COMMUNES DES DÉPARTEMENTS ET RÉGIONS D'OUTRE-MER (DROM)

A. DES CAUSES MULTIPLES EXPLIQUANT CETTE DÉGRADATION MAIS DES FACTEURS COMMUNS AGGRAVANTS

Les difficultés structurelles qui affectent les finances des communes ultra-marines sont identifiées de longue date et de nombreux travaux ont été réalisés sur le sujet notamment par le sénateur Georges Patient dès 20141(*) la Cour des comptes en 20172(*) ou par le député Jean-René Cazeneuve et le sénateur Georges Patient en 20193(*).

Si les collectivités d'outre-mer ne constituent pas un ensemble homogène et si les explications de ces situations financières globalement moins favorables qu'en métropole varient d'un territoire à l'autre, des causes communes à cette dégradation peuvent cependant être dégagées.

1. L'impact de l'insularité sur le budget des communes d'outre-mer : des dépenses de fonctionnement plus élevées en outre-mer qu'en métropole.

L'insularité, exception faite de la Guyane (cf. infra), génère des surcoûts importants sur les charges des communes d'outre-mer en raison de plusieurs phénomènes.

En premier lieu, elle créé de facto des situations de quasi-monopole dans plusieurs secteurs des biens et services. Le marché intérieur de petite taille dans un environnement concentré peu concurrentiel est donc favorable à la hausse des prix.

De surcroît, cette insularité nécessite des niveaux élevés d'importations en raison de l'absence de productions locales de certains produits. Aux coûts liés à l'importation, doivent également être ajoutés des coûts de stockage plus importants en raison de la rareté du foncier.

Enfin, des normes métropolitaines inadaptées viennent s'ajouter à des normes spécifiques à l'outre-mer (exemple : normes anti sismiques).

Concernant plus spécifiquement la Guyane, même en l'absence d'insularité, les problématiques susmentionnées relatives aux importations et aux normes sont également présentes. Les communes de ce territoire sont par ailleurs beaucoup plus étendues avec une superficie moyenne de 3 797 kilomètres carrés contre 14,9 kilomètres carrés pour les communes de métropole ce qui génère des charges supplémentaires, notamment d'entretien des réseaux. En Guyane, 18 des 22 communes ont une superficie supérieure à la commune la plus étendue de métropole (Arles avec 758 kilomètres carrés).

Il en résulte que les dépenses réelles de fonctionnement des communes d'outre-mer se situent, en moyenne, à 1 270 euros par habitant en 2021 contre 971 euros pour les communes de métropole hors Paris.

Le niveau élevé des dépenses réelles de fonctionnement des communes d'outre-mer n'est donc pas, dans ce contexte, synonyme d'une offre plus importante de services publics pour les habitants mais la conséquence, au moins en partie, des écarts de prix des biens et services entre la métropole et les territoires d'outre-mer.

2. Des dépenses de personnel des communes sensiblement plus élevées en outre-mer

La deuxième cause expliquant un niveau de dépenses de fonctionnement des communes des DROM plus élevé qu'en métropole est la part des dépenses de personnel dans le total des dépenses réelles de fonctionnement qui y est sensiblement plus élevée avec un écart moyen de plus de 9 points et jusqu'à 15 points pour les communes de Guadeloupe.

Part des dépenses de personnel dans les dépenses de fonctionnement
des communes

 

2021

Communes de métropole hors Paris ensemble

56,40%

Moins de 3 500 habitants

44,50%

3 500 à 10 000 habitants

56,50%

10 000 habitants et plus

61%

Communes d'outre-mer

65,80%

Guadeloupe

69,64%

Martinique

64,50%

Guyane

60,69%

Réunion

65,82%

Mayotte

65,26%

Source : DGCL - Donnée DGFIP, comptes de gestion, budgets principaux - opérations réelles ; INSEE (population totale en 2021)

Cet écart s'explique par trois phénomènes qui se juxtaposent :

- la faible intégration intercommunale. En effet, les EPCI ultramarins présentent un ratio « dépenses de personnel sur dépenses de fonctionnement » favorable. Une partie des dépenses de personnel transférées aux EPCI en métropole est demeurée dans les budgets des communes des DROM ;

- la majoration des traitements dont bénéficient les fonctionnaires territoriaux en poste en outre-mer, la loi ayant progressivement ouvert le bénéfice de ces majorations aux agents de la fonction publique locale en sus des fonctionnaires d'État. Les analyses menées par la Cour des comptes et la direction générale des finances publiques permettent d'estimer les surcoûts liés à cette majoration entre 20 et 26 % ;

- des taux d'administration dans la fonction publique territoriale en outre-mer supérieurs à ceux constatés en métropole en raison notamment de politiques d'incitation afin de lutter contre les taux de chômage élevés dans les territoires d'outre-mer.

Taux d'administration dans la fonction publique territoriale
pour 1 000 habitants en 2020

Source : rapport 2022 sur l'état de la fonction publique

3. Des taux d'épargne brute et nette inférieurs en outre-mer qui limitent les marges d'autofinancement alors que les besoins d'équipement sont notables

En 2021, les taux d'épargne brute et nette des communes d'outre-mer restent très inférieurs à ceux constatés dans les communes de métropole. Ils se situent, en moyenne, à 10 % pour l'épargne brute et à 5,3 % pour l'épargne nette contre 15,5 % et 8 % pour les communes de métropole.

Cet écart persiste malgré une stabilité des taux d'épargne pour les communes de métropole et une hausse de ceux des communes d'outre-mer.

Évolution des taux d'épargne entre 2018 et 2021 dans les communes
de métropole et d'outre-mer

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL et DGFIP

Il s'explique par le volume des écarts entre dépenses et recettes de fonctionnement dans les communes de métropole en comparaison à celui des DROM (en moyenne 12 milliards par an entre 2018 et 2021 en métropole, 42 millions par an sur la même période en outre-mer) et ce malgré un dynamisme des recettes plus important en outre-mer.

Il résulte de cette situation des marges d'autofinancement4(*) réduites dans les communes d'outre-mer approchant ou dépassant régulièrement le seuil d'alerte fixé à 100 %.

Évolution des marges d'autofinancement entre 2018 et 2021
dans les communes de métropole et des DROM

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL et DGFIP

4. Une dette plus faible qu'en métropole mais qui s'explique par des investissements insuffisants

À l'exception de la Réunion à compter de 2019, les taux d'endettement5(*) des communes des DROM sont inférieurs à ceux des communes de métropole. Ils se situent en moyenne à 56,6 % contre 78,8 %.

Évolution du taux d'endettement entre 2018 et 2021 dans les communes de métropole et d'outre-mer

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL et DGFIP

Ce niveau d'endettement moyen plus faible dans les communes des DROM s'explique essentiellement par un niveau d'investissement plus bas qu'en métropole avec une dépense d'équipement par habitant de 264 euros en 2021 contre 301 euros pour les communes métropolitaines alors même que les besoins en termes d'équipements publics sont très importants.

En effet, la plupart des infrastructures publiques en outre-mer sont insuffisantes pour répondre à l'ensemble des besoins de la population, sont défaillantes ou présentent des coûts pour l'usager supérieurs à ceux constatés en métropole.

Dans certains domaines (maternités, structures d'enseignement, hors enseignement supérieur) les taux d'équipements des communes des DROM sont équivalents voire très légèrement supérieurs à la métropole mais ramenés aux besoins (population âgée de moins de 19 ans6(*) ou taux de natalité7(*)) le taux devient alors nettement inférieur à celui de métropole8(*).

Évolution des dépenses d'équipement en euros par habitant entre 2018 et 2021 dans les communes de métropole et d'outre-mer

 

2018

2019

2020

2021

évolution en %

France métropolitaine

304

345

285

301

- 1,00%

Outre-mer

267

302

261

264

- 0,83%

France

302

344

284

299

- 0,99%

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL et DGFIP

Pour autant, même si le taux d'endettement est plus faible dans les communes des DROM, ces dernières présentent des délais de désendettement plus longs que les communes de métropole qui s'élèvent à plus de 10 ans sur la période 2018-2022 contre 5 ans en métropole.

De surcroit, les communes de Martinique présentent, en moyenne, des délais de désendettement compris entre 16 et 32 ans sur la période 2018-2022 soit des durées bien supérieures au seuil d'alerte établi à 12 ans.

Délai, en années, de désendettement des communes d'outre-mer
et de métropole entre 2018 et 2022

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGCL et DGFIP


* 1 Rapport sur « les pistes de réformes des finances des collectivités locales des départements et régions d'outre-mer » - aout 2014. Ce rapport est issu d'une demande des ministres des outre-mer et du budget dans une lettre de mission du 28 avril 2014.

* 2 Rapport sur « la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics » - chapitre IV - octobre 2017.

* 3 Rapport « Soutenir les communes des départements et régions d'outre-mer : pour un accompagnement en responsabilité » de Jean-René Cazeneuve et Georges Patient - décembre 2019.

* 4 Capacité de la collectivité à financer ses investissements une fois les charges obligatoires payées. Plus le ratio est faible, plus la capacité à autofinancer l'investissement est élevée. Un ratio supérieur à 100 % indique un recours nécessaire aux recettes d'investissement pour financer la charge de la dette.

* 5 Encours de dette / recettes réelles de fonctionnement.

* 6 En 2021, la part des 0/19 ans était de 23,6 % en métropole contre 32 % en outre-mer : données issues de l'INSEE.

* 7 Taux de natalité de 20,08%o (en moyenne pour la Guadeloupe, Martinique, Réunion, Guyane et Mayotte) contre 10,7 %o en métropole : données issues de l'INSEE.

* 8 Cf. Rapport d'information n° 727 (2021-2022) du 22 juin 2022 - par MM.  Georges PATIENT et Teva ROHFRITSCH sur le « Fonds d'investissement outre-mer ».