B. ÉTAT DES LIEUX DES FINANCES LOCALES DES COMMUNES DES DROM : DES DIVERGENCES TERRITORIALES MAIS UN CONSTAT GLOBAL DE DIFFICULTÉS STRUCTURELLES

Au regard des divergences susmentionnées, le présent rapport s'attache à établir un état des lieux de la situation des communes des DROM par territoire afin de présenter les difficultés rencontrées de la manière la plus fine possible sans que cette analyse ne permette, pour autant, de rendre compte de la situation de chaque commune prise individuellement.

Cette partie a donc vocation à compléter la précédente portant sur les seuls facteurs communs à la dégradation de la situation financière des communes des DROM.

1. La situation des communes de Guadeloupe (cf. annexe 1)

Entre 2018 et 2021, les dépenses réelles de fonctionnement des communes de Guadeloupe ont augmenté de 1,18 % soit un rythme inférieur à celui de la hausse des recettes de fonctionnement (5,02 %). Si cette dynamique a permis une hausse de l'épargne brute et nette de respectivement 81 % et 1 000 % ces deux ratios restent très inférieurs au niveau par habitant constaté dans les communes de métropole en 2021 :

- épargne brute par habitant : 138 euros en Guadeloupe contre 194 euros en métropole ;

- épargne nette par habitant : 64 euros en Guadeloupe contre 100 euros en métropole.

De surcroit, il convient de replacer le tassement des dépenses dans un contexte de crise sanitaire à compter de l'exercice 2020 dont on peut craindre qu'il ne perdure pas en 2023 dans un contexte inflationniste.

Évolution des dépenses et recettes réelles de fonctionnement entre 2018 et 2021 des communes de Guadeloupe

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGFIP

Le poids des dépenses de personnel représente près de 70% des dépenses de fonctionnement, ce qui limite très fortement les marges de manoeuvre pour diminuer ces dernières.

Enfin, les dépenses d'investissement ont diminué de 22 % entre 2018 et 2021 ce qui a permis de diminuer le taux d'endettement et la durée de remboursement de la dette qui sont passés de 57,7 % à 50,3 % et de 12 à 6 ans. Cette tendance, si elle permet une amélioration de la section d'investissement, se fait cependant au détriment d'investissements en équipements publics nécessaires et n'a pas permis d'améliorer significativement la marge d'autofinancement qui, bien qu'étant passée sous le seuil d'alerte de 100 % reste supérieure à 96 %, démontrant ainsi une amélioration très fragile.

2. La situation des communes de Martinique (cf. annexe 2)

Entre 2018 et 2021, les dépenses réelles de fonctionnement des communes de Martinique ont augmenté de 6,7 %, soit un rythme très légèrement inférieur à celui de la hausse des recettes de fonctionnement (7,4 %). Si cette dynamique a permis une hausse de l'épargne brute de 26,4 % cette dernière reste très en-deçà du niveau par habitant constaté en métropole (62,5 euros contre 194 euros). Par ailleurs, l'épargne nette est négative durant toute la période sous revue.

Évolution des dépenses et recettes réelles de fonctionnement entre 2018 et 2021 des communes de Martinique

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGFIP

Les dépenses, en baisse en 2020 en raison de la crise sanitaire, ont enregistré une forte hausse en 2021 alors que les recettes sont restées dynamiques depuis 2018, écartant à court terme le risque d'un effet ciseaux.

Les dépenses de personnel représentent près de 64,5 % des dépenses de fonctionnement contre 56,4 % au niveau national.

Enfin, les dépenses d'investissement ont augmenté de 29,6 % entre 2018 et 2021 alors que, dans le même temps, les recettes d'investissement n'ont augmenté que de 13,7 % ce qui a contribué à un encours de dette très important de 1015 euros par habitant contre 851 euros pour les communes de métropole.

Aussi, même si l'encours de dette a légèrement diminué entre 2018 et 2021 (- 9,2 %), la durée de désendettement est de plus de 16 ans en 2021 (32 ans en 2019) soit encore très largement supérieure au seuil d'alerte de 12 ans.

Avec une épargne nette structurellement négative, la situation n'est soutenable que par l'effet de dépenses d'équipement très faibles (138 euros par habitant contre 297 euros en métropole). Il s'agit du niveau le plus bas des départements et régions d'outre-mer.

3. La situation des communes de Guyane (cf. annexe 3)

Entre 2018 et 2021, les dépenses réelles de fonctionnement des communes de Guyane ont augmenté de 8,4 % soit un rythme inférieur à celui de la hausse des recettes de fonctionnement (11,5 %). Si cette dynamique a permis une hausse de l'épargne brute et nette de respectivement 58,6 % et 163,8 %, ces deux ratios restent très inférieurs au niveau par habitant constaté dans les communes de métropole en 2021 :

- épargne brute par habitant : 108 euros en Guyane contre 194 euros en métropole ;

- épargne nette par habitant : 70 euros en Guyane contre 100 euros en métropole.

Cependant, les dépenses de fonctionnement ont diminué entre 2019 et 2020 sous l'effet de la crise sanitaire et la hausse entre 2020 et 2021 était encore modérée (+ 2,75 %). Les rythmes annuels de croissance précédemment constatés (entre 2017 et 2019) étaient de 6,6 % et il convient d'être vigilant, dans un contexte inflationniste, au dynamisme des dépenses à venir.

Évolution des dépenses et recettes réelles de fonctionnement entre 2018 et 2021 des communes de Guyane

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGFIP

Les dépenses de personnel représentent près de 61 % des dépenses de fonctionnement contre 56,4 % au niveau national. Si ce ratio est le plus faible des communes des DROM, il convient de souligner que le taux de croissance des dépenses de personnel en Guyane, de 8,6 % entre 2018 et 2021, est le plus dynamique des territoires d'outre-mer9(*).

Enfin, les dépenses d'investissement ont augmenté de 6,4 % entre 2018 et 2021 alors que, sur la même période, les recettes d'investissement ont diminué de 11,6 %. Sur la seule période 2020-2021 elles ont augmenté de 20,8 % après une nette diminution intervenue en 2020 durant la crise sanitaire.

L'encours de dette est cependant maitrisé de même que le taux d'endettement et la durée de désendettement bien inférieure au seuil d'alerte.

Sur la base des seuls chiffres la situation des communes de Guyane est donc relativement saine. Cependant, cette analyse masque les problèmes d'un recensement de la population très largement sous-évalué dans un département dont la taille est celle d'un pays comme le Portugal. Il en résulte que les ratios par habitant sont partiellement biaisés sans pour autant pouvoir chiffrer ce biais. De surcroit, son taux de croissance démographique10(*) nécessite des investissements importants que le niveau de dépenses d'équipement (même s'il se rapproche du montant par habitant constaté en métropole) ne permet pas de couvrir.

Enfin, alors que le dynamisme des recettes des communes des autres DROM s'explique essentiellement par la fiscalité, celui des communes de Guyane s'explique par la hausse des concours financiers de l'État qui représentent en moyenne, sur la période 2018-2021, 23 % des recettes réelles de fonctionnement contre 17 % pour les autres DROM (hors Mayotte).

4. La situation des communes de la Réunion (cf. annexe 4)

Entre 2018 et 2021, les dépenses réelles de fonctionnement des communes de la Réunion ont augmenté de 4,26 % soit un rythme inférieur à celui de la hausse des recettes de fonctionnement (8,26 %). Cette dynamique a permis une hausse de l'épargne brute et nette de respectivement 47,8 % et 205 % qui atteignent des niveaux par habitant se rapprochant de ceux constatés dans les communes de métropole en 2021 :

- épargne brute par habitant : 190 euros à la Réunion contre 194 euros en métropole ;

- épargne nette par habitant : 81 euros à la Réunion contre 100 euros en métropole.

Après une année 2020 marquée par un effet ciseaux, l'année 2021 se caractérise par un dynamisme des recettes et un fléchissement assez net des dépenses.

Évolution des dépenses et recettes réelles de fonctionnement entre 2018 et 2021 des communes de la Réunion

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGFIP

Les dépenses de personnel représentent près de 66 % des dépenses de fonctionnement, soit 10 points de plus qu'en métropole mais leur taux de croissance relativement limité (3,8 %) permet une stabilité de ce ratio.

La section d'investissement est en revanche beaucoup plus préoccupante. En effet, entre 2018 et 2021, les dépenses et recettes d'investissement ont diminué respectivement de 6 % et 4,8 %. Cependant malgré une baisse plus rapide des dépenses que des recettes, les premières restent nettement supérieures aux secondes.

Il en résulte un besoin de financement en 2018, 2019 et 2020 et une hausse de l'encours de dette de 37 % en 4 ans avec une dette par habitant de 1 409 euros contre 851 euros en métropole. Le remboursement de la dette a, de fait, généré une épargne nette négative en 2020.

Le taux d'endettement est ainsi passé de 73 % à 93 % soit 20 points de hausse en 4 ans. La durée de désendettement, de plus de 18 ans en 2020 est revenue à 7 ans en 2021 sous le seul effet d'une épargne brute importante dont il est difficile de présager qu'elle se pérennisera.

Enfin, la marge d'autofinancement bien qu'en amélioration en 2021 avoisinait ou dépassait les 100 % les années précédentes.

Si ce niveau d'investissement permet un montant d'équipement par habitant équivalent à celui des communes de métropole il se réalise au prix d'un endettement dont la soutenabilité pourrait poser question à terme si l'épargne brute, d'un niveau exceptionnel en 2021, ne se maintenait pas.

5. La situation des communes de Mayotte (cf. annexe 5)

Entre 2018 et 2021, les dépenses réelles de fonctionnement des communes de Mayotte ont augmenté de 37 %, soit un rythme inférieur à celui de la hausse des recettes de fonctionnement (44,5 %). Cette dynamique a permis une hausse de l'épargne brute et nette de respectivement 100 % et 106 %. Cependant, le niveau de l'épargne brute par habitant est encore très inférieur à celui constaté dans les communes de métropole en 2021 (130 euros à Mayotte contre 194 euros en métropole). En revanche, celui de l'épargne nette est supérieur à celui en métropole (109 euros à Mayotte contre 100 euros en métropole).

Évolution des dépenses et recettes réelles de fonctionnement entre 2018 et 2021 des communes de Mayotte

Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGFIP

Cet écart positif ne s'explique toutefois que par un remboursement d'emprunt très faible qui résulte lui-même d'un encours de dette et d'un taux d'endettement très limités.

Le dynamisme des recettes souffre cependant d'une fiscalité locale directe faible caractérisée par des bases incomplètes en l'absence de recensement de l'intégralité des parcelles et des difficultés de recouvrement. Ainsi, les impositions par habitant représentent 405 euros par habitant contre 1 126 euros en moyenne pour les communes des DROM.

Le poids des dépenses de personnel représente près de 66 % des dépenses de fonctionnement soit 10 points de plus qu'en métropole. De surcroit, leur taux de croissance est très élevé (32,2 %) et explique pour les deux tiers la hausse des dépenses de fonctionnement sur la période.

Pour autant, les dépenses par habitant sont inférieures de 31 % à celles des communes de métropole, ce qui pose de nombreuses difficultés au regard des besoins de la population en termes de services publics.

Entre 2018 et 2021, les dépenses d'investissement sont structurellement plus importantes que les recettes, ce qui a généré en 2019 et 2020 un besoin de financement et un puisement dans le fonds de roulement. Les communes de Mayotte ont en effet un faible taux d'endettement qui s'explique par des possibilités limitées de recours à l'emprunt en raison de leurs faibles ressources financières et d'une épargne brute qui reste fragile et largement dépendante des dotations de l'État. Celles-ci représentent 38,8 % des recettes réelles de fonctionnement et 83 % des recettes d'investissement (hors emprunts).

Malgré des dépenses d'équipement par habitant très supérieures à celles des communes de métropole (324 euros contre 297 euros), les équipements publics sont insuffisants. À titre d'exemple, il manque 800 salles de classe et ces montants par habitant ne tiennent pas compte des personnes en situation irrégulière.


* 9 À l'exception de Mayotte.

* 10 La Guyane est la région de France hors Mayotte où la croissance démographique est la plus forte : la population s'accroît en moyenne par an de 2,1 % entre 2014 et 2020. En Guyane, la moitié de la population a moins de 25 ans en raison d'une fécondité élevée (3,53 enfants par femme contre 1,80 au niveau national).