B. COFLIGHT : UNE AMBITION DE COOPÉRATION EUROPÉENNE CONTRARIÉE

1. Un projet malmené par le temps qui n'a plus grand-chose à voir avec son ambition d'origine

Le projet originel envisagé par la DSNA et l'ENAV était de découpler strictement ce nouveau système de traitement automatique des plans de vol d'avec l'outil de visualisation utilisé dans les salles de contrôle21(*). Dans cette logique, les systèmes Coflight et 4-Flight auraient été indépendants l'un de l'autre. L'idée sous-jacente à ce choix originel était de pouvoir, à terme, étendre le partenariat franco-italien à d'autres PSNA, qui auraient pu adopter Coflight, afin notamment d'en mutualiser les coûts d'évolution et de maintenance.

Le rapporteur spécial considère que cette idée n'était pas condamnée d'avance et qu'elle témoignait d'une bonne intention. La marche vers la coopération, la mutualisation, l'harmonisation et l'interopérabilité des systèmes des PSNA, a minima européens, est nécessaire pour concrétiser véritablement les ambitions du ciel unique. Elle est également une nécessité économique pour des programmes d'investissement très onéreux et dans le cadre budgétaire contraint que nous connaissons. Alors que les besoins sont largement similaires, il n'est pas raisonnable que chaque PSNA s'engage dans le développement de systèmes spécifiques dont il devra ensuite assumer seul les coûts d'évolution et de maintenance.

Pour autant, force est de constater que la belle idée d'origine a fait long feu et que les perspectives d'élargissement de la coopération franco-italienne, dans lesquelles la DSNA plaçait encore des espoirs en 2018, se sont évanouies. La coopération franco-italienne elle-même a fini par s'étioler avec le temps. Français et italiens n'ont pas pu maintenir une vision commune et se sont finalement engagés sur des chemins très différents, le projet se scindant progressivement en deux programmes différents pour répondre aux besoins distincts exprimés par chacun des deux PSNA. Aujourd'hui l'ENAV et l'industriel Leonardo ont même émis la volonté de se désengager de la coopération.

Entre temps, la DSNA a fait machine arrière s'agissant du concept du découplage entre Coflight et 4-Flight faisant au contraire du premier le « coeur » du second. Née de la lente maturation des deux outils au cours de leur si longue phase de gestation, cette profonde interdépendance impose aujourd'hui de rapidement faire évoluer leur architecture contractuelle afin de mieux articuler le pilotage des deux programmes devenus en pratique un seul et même système (voir infra).

2. 10 ans de retard et des surcoûts de 100 %

Estimé à 153 millions d'euros à l'origine du projet, le coût total du programme Coflight est désormais évalué à 310 millions d'euros par la DSNA, soit plus qu'un doublement.

Coûts d'investissements du programme Coflight

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

250 millions d'euros, soit 80 % du coût total du projet avait été dépensé à la fin de l'année 2022.

Dépenses d'investissements réalisées et programmées au titre du programme Coflight

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DSNA au questionnaire du rapporteur spécial

Comme 4-Flight sur lequel son calendrier de déploiement est désormais aligné, le programme Coflight aura été mis en service avec dix ans de retard.

Par ailleurs, le rapporteur spécial a été stupéfait de constater l'absence de couverture des besoins en matière de MCO pour le système Coflight au-delà de 2024. Il n'apparaît pas raisonnable de lancer et déployer un nouveau système sans sécuriser le financement de son exploitation et de sa MCO.

Ce phénomène est caractéristique d'une vision « cour-termiste » et centrée sur la seule phase de développement des projets d'investissement. La DSNA avait pris la mauvaise habitude d'investir lourdement pour développer de nouveaux systèmes de modernisation sans se préoccuper réellement par la suite de leurs évolutions voire de leur maintenance.

Elle privilégiait la prise en charge en propre, par la DTI, des évolutions et mises à jour des produits ainsi que de leur MCO. Ce faisant, elle se privait des évolutions technologiques développées par les industriels sur ces produits et dont pouvaient en revanche profiter ses homologues. Ce phénomène explique comment la DSNA a pu accumuler un tel retard technologique sur les autres PSNA.

À terme, faute d'installer les mises à jour industrielles, l'architecture informatique du produit devient complètement obsolète et n'est plus en mesure d'évoluer. C'est la situation dans laquelle se trouve le système Cautra aujourd'hui. Pour faire une analogie, ce serait comme acquérir un smartphone ou une licence informatique sans ne jamais télécharger les mises à jour logicielles. Leur obsolescence s'accroit de façon accélérée jusqu'à ce qu'ils ne soient plus opérationnels du tout.


* 21 Actuellement modernisé dans le cadre du programme 4-Flight.

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