B. ENCORE FLOUES, LES PERSPECTIVES DU « RECYCLAGE » DU PROGRAMME SYSAT SUSCITENT DES INTERROGATIONS

1. Les ambitions drastiquement revues à la baisse de Sysat G1

En 2021, face aux dérives majeures et systématiques sur le plan financier comme des plannings, la DSNA a fini par se rendre à l'évidence et constater l'impasse dans laquelle se trouvait le programme. Aussi, face à cette implacable réalité, en fin d'année 2021, elle a pris la décision qui s'imposait en gelant l'ensemble des activités en cours du projet pour procéder à son complet réaménagement.

En pratique, les décisions prises conduisent à abandonner le projet initial pour un autre, complètement nouveau, beaucoup moins ambitieux mais nettement plus réaliste.

S'agissant des implantations situées au niveau de la plateforme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle (CDG), le contrat conclu avec le consortium SAAB/CS a été résilié et la DSNA s'est à court terme rabattue sur un projet beaucoup plus modeste de mise à niveau de la partie hardware du système existant dans les tours de contrôle23(*) afin de traiter en priorité, avant les Jeux Olympiques de 202424(*), les phénomènes d'obsolescence les plus marqués25(*) et les plus susceptibles de dégrader la performance opérationnelle.

L'origine de l'obsolescence du système existant et le besoin urgent de procéder à sa modernisation est symptomatique des erreurs passées de la DSNA qui l'ont conduite à accuser un retard technologique si prononcé. Le rapporteur spécial a en effet été surpris de constater que depuis la mise en service du système en question, la DSNA n'avait acquis aucune des mises à jour développées par l'industriel sur son produit.

Concernant Orly, le choix a été fait de ne pas rompre le contrat avec SAAB/CS mais de revoir largement son architecture pour y faire entrer un projet complètement différent du programme initial. Pour moderniser rapidement le système de gestion du trafic aérien de la tour de contrôle, la DSNA a fait le choix de recourir, pour de bon cette fois-ci, à un système industriel standard développé par SAAB et déjà opérationnel sur plusieurs plateformes aéroportuaires. La mise en service de ce nouveau système est programmée en mai 2024 en prévision des Jeux Olympiques.

Le rapporteur salue le choix raisonnable, et qu'il appelle de ses voeux depuis longtemps, de procéder à l'acquisition d'un produit « sur étagère » qui a déjà fait ses preuves. Cette option, qui devrait être désormais systématiquement recherchée, permettra de réaliser des économies en développement, en évolutions comme de maintenance mais aussi de sécuriser les délais de mise en service.

Le profond réaménagement contractuel du projet a également conduit au renoncement du simulateur qui devait être produit par la société CS au profit d'une plateforme déjà utilisée sur d'autres implantations françaises. Si la DSNA estime que cette décision lui permettra de réaliser une économie nette d'un peu plus de 1 million d'euros par rapport au coût estimé du simulateur qui devait être livré par la société CS, cette opération se traduit tout de même par une perte sèche de 8,4 millions d'euros de dépenses non récupérables.

En effet, dans le détail, il apparaît que le simulateur prévu au contrat initial était évalué à 13,2 millions d'euros. Sur ces 13,2 millions d'euros 9,5 millions d'euros avaient d'ores et déjà été dépensés dont 8,4 millions d'euros, en prestations d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) et de gestion de projet, non récupérables (qui expliquent la perte sèche) et 1,1 million d'euros de coûts d'infrastructure qui pourront être utilisés par le nouveau projet. Le coût total du nouveau simulateur est évalué à 3,6 millions d'euros (dont les 1,1 million d'euros récupérés du contrat initial).

Compte-tenu de l'historique de la DSNA en la matière, le rapporteur spécial n'a pas été surpris d'apprendre que les systèmes utilisés par les contrôleurs dans les centres d'approches de CDG et d'Orly sont profondément différents l'un de l'autre et que leur évolution vers un système tout électronique harmonisé réclamerait une refonte globale qui n'est pas réalisable à court terme.

Sur ce sujet la DSNA est toujours en phase de réflexion et conduit actuellement une analyse technique pour identifier les différentes options possibles pour moderniser les systèmes de contrôle des centres d'approche parisiens.

Le rapporteur spécial note que le choix fait de dissocier la temporalité des programmes de modernisation entre CDG et Orly fait peser le risque d'un maintien d'une situation insatisfaisante de dispersion des systèmes pour le contrôle des approches et des tours en région parisienne. Il comprend aussi l'arbitrage que la DSNA a malheureusement dû faire « dos au mur », en raison de l'imminence des Jeux Olympiques, entre d'un côté l'ambition d'harmonisation et de l'autre la nécessité d'avancer au plus vite sur les besoins de modernisation. Il convient que, dans cette situation inconfortable née de l'échec inéluctable du programme Sysat G1, il était difficile de trouver un équilibre idéal entre ces deux objectifs.

2. Sysat G2 : des perspectives techniques et un calendrier flous subordonnés à la rationalisation des implantations de la DSNA

Faisant le constat d'un enlisement manifeste du projet, la DSNA a complètement « débranché » le programme Sysat G2. Après l'arrêt du programme, la DSNA est repartie de zéro en reprenant les choses dans l'ordre dans lequel elles auraient dû être menées, à savoir commencer par une véritable étude de marché fournisseurs26(*) afin d'identifier les produits industriels standards déjà opérationnels susceptibles de répondre aux besoins de modernisation des centres d'approche et des tours de contrôle.

Si cela peut paraître comme allant de soi, le rapporteur spécial note qu'il n'était pas dans les habitudes de la DSNA de procéder à de véritables études de marché avant de lancer ses programmes de modernisation, notamment car elle privilégiait la conception de produits « à façon ». Cette lacune manifeste n'est pas sans lien avec les déboires rencontrés par les projets de la DSNA et notamment avec l'échec de Sysat. Aussi le rapporteur tient-il à saluer cette nouvelle pratique qu'il appelle bien sûr, et en cohérence avec la révision stratégique de la DSNA, à systématiser.

Cependant, le rapporteur spécial note que cette prospection est rendue difficile par le fait d'une autre particularité française qui consiste à associer le contrôle aérien des tours avec celui des approches. Partout ailleurs dans le monde le contrôle de l'approche est associé à celui de l'en-route et fonctionne avec le même système, au sein des CRNA.

Pour les tours de contrôle, des systèmes existent, en revanche, ils sont beaucoup plus rares pour les approches. Aussi, à rebours de sa nouvelle stratégie, la DSNA n'exclue-t-elle toujours pas de concevoir son propre système pour le contrôle des approches.

La DSNA prévoit de lancer un appel d'offre au cours du premier trimestre 2024 dans la perspective de moderniser dix tours de contrôle d'ici 2030 à travers l'acquisition d'un système industriel « sur étagère ». Concernant la modernisation des centres d'approche, rien n'est encore décidé.

Le réaménagement complet du programme Sysat G2 s'est accompagné d'une réflexion plus large de la DSNA sur sa capacité opérationnelle à assurer l'entretien et la modernisation de son réseau actuel de tours de contrôle et de centre d'approche.

Aujourd'hui l'empreinte territoriale de la DSNA est particulièrement étendue. Elle compte 30 centres d'approche et 80 tours de contrôle. Ce réseau génère des coûts de structure (des coûts d'intervention et de maintenance en particulier) très importants qui pèsent sur le budget du BACEA et obèrent les capacités à moderniser ces implantations. De plus en plus la DSNA prend conscience que l'ampleur de son réseau territorial constitue l'un des freins à sa modernisation.

À titre d'exemple, la durée de vie moyenne d'une tour est de 40 ans. Avec un réseau de 80 installations la DSNA devrait en moderniser deux par an, or, actuellement, elle n'en modernise que difficilement une tous les deux ans. Il n'apparaît pas réaliste de pouvoir, dans le futur, continuer d'entretenir et de moderniser efficacement un tel réseau. Le constat est identique pour les centres d'approche.

S'il mesure la sensibilité de la question et ses enjeux sociaux, qui devront faire l'objet d'un accompagnement approprié, le rapporteur spécial convient que la modernisation des tours et des approches de province, et donc l'aboutissement du programme Sysat G2, ne pourra réellement s'envisager qu'à condition d'en restructurer le réseau. Cette restructuration devra être précédée d'une phase de concertation approfondie.

Recommandation n° 2 : rationaliser le réseau des tours et des approches de la DSNA afin de pouvoir en assurer la modernisation et la maintenance.


* 23 Produit par l'industriel espagnol Indra.

* 24 L'échéance a été fixée au mois de mai 2024.

* 25 Les calculateurs sur lesquels repose le système datent notamment des années 1990.

* 26 De type « sourcing ».

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