B. À TERME, LE DISPOSITIF POURRAIT ÉVOLUER VERS UN CONGÉ PLUS COURT, PLUS SIMPLE ET MIEUX RÉMUNÉRÉ

1. Le scénario retenu par la mission d'information

Compte tenu du bilan de la PreParE, et de son inadéquation au regard des attentes des familles, il apparaît indispensable de revoir à terme l'architecture même de la prestation. Les auteurs de ce présent rapport ont pris connaissance des nombreuses propositions de réformes d'ampleur qui ont été versées au débat public. Ils constatent que le modèle d'un congé parental plus court et mieux rémunéré a fait florès, bien qu'il puisse encore se décliner sous des formes très diverses de durée et de montant.

Sans prétendre à l'exhaustivité, le tableau ci-dessous synthétise les propositions de réforme qui ont émergé depuis quelques années. Le Haut Conseil se singularise en préconisant plusieurs scénarios dans lesquels les parents disposeraient d'un droit d'option entre une prestation courte mais bien rémunérée et une prestation plus longue, notamment jusqu'à la scolarisation, offrant un plus faible montant.

Tableau synthétisant les propositions de différents rapports institutionnels quant à une réforme de la PreParE

Mission ou rapport

Teneur de la proposition

HCFEA (2019)

Les parents choisiraient entre une PreParE aménagée (versement long mais faiblement rémunéré) et une prestation plus courte et mieux rémunérée avec deux scénarios :

- montant de la PreParE majorée jusqu'au 1er anniversaire de l'enfant ;

- rémunération par des indemnités journalières (IJ) pour 4 mois à taux plein, 8 mois pour un temps partiel à mi-temps et 20 mois pour un temps partiel à 80 %.

IGAS (2019)

Instaurer une prestation rémunérée par des IJ (plafonnement à 1,8 Smic) versée pendant 8 mois à temps plein (2 mois non transférables attribués à chaque parent et 4 mois à répartir au sein du couple), 16 mois à mi-temps et 40 mois à 80 %.

Commission des
1000 premiers jours (2020)

Mettre en place un congé parental de 9 mois partageable entre les deux parents, indemnisé à 75 % du revenu antérieur.

Rapport de Julien Damon
et Christel Heydemann (2021)

Instaurer une prestation d'une durée de 6 à 12 mois mieux rémunérée (jusqu'au niveau des indemnités journalières).

Cour des comptes (2022)

Réfléchir à une PreParE recentrée sur la première année de l'enfant et mieux rémunérée, avec une possibilité de modulation selon les revenus des bénéficiaires.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Les rapporteurs souscrivent au principe d'une réforme plus large qui supprimerait toute possibilité de congé long indemnisé, considérant qu'un congé de plus d'un an éloigne les bénéficiaires du marché du travail. Le congé parental d'éducation, pouvant s'étendre jusqu'à trois années, resterait bien entendu possible en droit du travail mais n'aurait plus vocation à être doublé, au-delà de la première année, d'un financement par la branche famille. La prestation serait également mieux rémunérée afin de la rendre attractive et ainsi de favoriser la présence parentale jusqu'au premier anniversaire de l'enfant. Les rapporteurs proposent la mise en place d'une indemnisation des congés parentaux à hauteur des indemnités journalières (IJ) pour une durée décomposée en quatre mois non transférables attribués à chaque parent et quatre mois transférables au sein du couple.

 Attachés à la liberté de choix du mode de garde des parents, les rapporteurs estiment que le modèle scandinave, dans lequel la dépense publique ne finance quasiment aucun mode de garde pour les enfants de moins d'un an, n'est pas adapté à la situation française. C'est pourquoi, la solution d'une indemnisation courte à hauteur des IJ permettrait de rendre beaucoup plus attractive la prestation, sans faire du congé parental la solution unique de garde des très jeunes enfants.

a) Une rémunération attractive pour favoriser la présence des parents dans les tout premiers mois de l'enfant

 Proposée par des rapports institutionnels, la solution d'un congé plus court et mieux rémunéré est également apparue comme une voie consensuelle lors des auditions conduites dans le cadre de cette mission d'information. Les organisations représentatives des salariés, entendues en audition, le mouvement des entreprises de France (Medef) et l'Unaf y sont favorables. En revanche, le niveau d'indemnisation préconisé varie d'une rémunération à hauteur des indemnités journalières à une proportionnalité égale à 75 %, 80 % voire 100 % du salaire antérieur.

Les rapporteurs estiment qu'une indemnisation par des indemnités journalières sur le modèle des congés maternité ou paternité - ce qui représente un taux de remplacement de l'ordre de 60 % du dernier salaire net - s'avère une revalorisation significative. Le coût de la réforme proposée par les rapporteurs, trop dépendant des comportements des parents, ne peut être évalué en l'état ; si la prestation retrouve son attractivité comme anticipé, il pourrait toutefois dépasser le milliard d'euros74(*). Un niveau de remplacement plus élevé représenterait, en tout état de cause, un coût budgétaire excessif.

L'indemnisation par les indemnités journalières

Au titre de l'assurance maternité75(*), le montant de l'indemnité journalière est calculé en déterminant le salaire journalier de base du bénéficiaire obtenu par la somme des trois derniers salaires bruts perçus avant la date d'interruption du travail, dans la limite du plafond de la sécurité sociale, divisé par un coefficient de 91,25. Pour l'année 2023, le montant de l'indemnité journalière versée ne peut être inférieur à 10,24 euros par jour et est plafonné à 95,22 euros. Sur cette somme, l'Assurance maladie applique une déduction forfaitaire de 21 % de contributions sociales avant versement. Le montant perçu correspond à environ 60 % du salaire antérieur net.

Une évolution de la PreParE sur ce modèle ne pourrait être législativement décidée sans anticipation suffisante de son entrée en vigueur. La Cnaf indique ainsi aux rapporteurs que « la branche famille de la sécurité sociale ne verse à ce stade aucune prestation proportionnelle au salaire du bénéficiaire ». Une telle réforme demanderait une évolution de son système d'information, alors que des chantiers « déjà très ambitieux avec notamment la solidarité à la source et le service public de la petite enfance » sont en cours de négociation dans le cadre de la prochaine convention d'objectifs et de gestion (COG). L'Assurance maladie pourrait aussi être amenée à verser la prestation, compte tenu des compétences des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) dans le versement des congés maternité et paternité, seulement financés par la branche famille76(*).

 Rendre ainsi plus avantageux le congé parental répond aux aspirations des familles, telles que les enquêtes d'opinion peuvent le mettre en lumière. Selon les études de la Cnaf, une importante majorité de parents (87 %) estiment préférable qu'un des parents assure la garde jusqu'aux six mois de l'enfant - et en particulier, dans 61 % des cas, la mère. La garde par un parent reste encore souhaitée par 45 % des familles pour les enfants âgés de 6 à 12 mois (voir le graphique ci-après).

Mode d'accueil perçu par les familles comme le plus adapté selon l'âge
de l'enfant (ensemble des familles ayant un enfant âgé de six mois à un an)

Source : TMO - enquête baromètre petite enfance, octobre-novembre 202177(*).

Cette préférence pour une présence parentale est étayée par la littérature scientifique : c'est au cours de la première année que les parents peuvent devenir des figures d'attachement sûres et solides pour leur enfant. Le rapport de la commission des 1 000 premiers jours, présidée par Boris Cyrulnik, rappelle ainsi que « les relations précoces parents-enfants et la présence des parents pendant les premiers mois de la vie ont une incidence positive, durable et déterminante sur la santé et le développement des enfants. Il faut du temps, de la disponibilité et de la proximité physique et émotionnelle de la part des parents pour qu'ils construisent avec leur bébé les relations harmonieuses et les contextes favorables aux apprentissages clés des 1000 premiers jours. C'est en disposant de ce temps qu'ils pourront soutenir l'établissement d'un lien d'attachement sécure (sic) chez leur enfant et accompagner au mieux chaque étape de son développement cognitif »78(*).

b) Une durée de versement réduite pour ne pas inciter à un éloignement prolongé du marché du travail tout en répondant aux attentes des parents

 La direction de la sécurité sociale a mis en exergue auprès des rapporteurs la dualité d'effet du congé parental. Garantie légale qui permet aux femmes de garder un attachement à l'emploi et une certitude de reprise de poste, il induit des effets négatifs sur l'emploi de ses bénéficiaires dès lors que sa durée devient trop longue - ce point de basculement se situerait entre 6 et 24 mois selon la DSS - en dépréciant leurs compétences et leur employabilité.

 La durée d'un an retenue dans le scénario des rapporteurs aurait comme avantage de ne pas éloigner trop longtemps les bénéficiaires, notamment les mères, d'une activité professionnelle. Elle se décomposerait en deux périodes de quatre mois, chacune attribuée en propre à un parent, et une troisième période de quatre mois transférable librement au sein du couple, selon la répartition préférée (voir schéma infra). Si les parents font usage de l'entièreté de leurs droits, le dispositif permettrait à un couple de bénéficier de douze mois d'indemnisation, auquel s'ajouteraient les congés maternité postnataux (10 semaines ou 18 semaines pour les mères de 3 enfants) et paternité (25 jours).

 Une incitation au partage de la prestation au sein des couples, sous la forme d'une période perdue de quatre mois en cas de non-recours par le second parent, est ainsi maintenue tout en écartant une répartition strictement égalitaire des congés parentaux (6 mois / 6 mois). Cette solution couplée à une rémunération avantageuse permettrait d'inciter à un partage des responsabilités parentales, sans toutefois restreindre excessivement la durée d'indemnisation si un seul des deux parents recourt à la prestation. En effet, la voie préconisée permet d'atteindre le premier anniversaire de l'enfant, y compris si un des parents ne fait pas usage de sa période attribuée, grâce aux congés maternité postnatal et paternité. Il restera primordial que des actions de communication ciblant les parents et, en particulier les hommes, soient mises en place pour éviter la perpétuation des stéréotypes de genre dans le recours à la prestation.

Schéma des congés familiaux proposé par la mission d'information
dans le cas de la naissance d'un enfant de rang 1 ou 279(*)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

 Le dispositif serait plus simple en cessant d'être modulé selon le nombre d'enfants à charge. La durée d'indemnisation serait donc plus courte pour les familles de deux enfants ou plus que dans la PreParE actuelle. Mais ce raccourcissement serait compensé par l'avantage accordé à la naissance du premier enfant, les conditions de rémunération étant réunies pour que les deux parents s'engagent dans le congé parental. Enfin, les rapporteurs estiment que la durée de l'indemnisation pourrait être allongée si la prestation était versée à taux réduit en raison d'une activité maintenue à temps partiel.

Proposition n° 8 : À terme, instaurer une indemnisation des congés parentaux à hauteur des indemnités journalières (IJ) pour une durée décomposée en quatre mois non transférables attribués à chaque parent et quatre mois transférables au sein du couple.

2. Une solution qui exige un effort important sur les autres modes de garde

 Les rapporteurs ont pleinement conscience qu'une réforme de la PreParE ne peut s'inscrire que dans une réflexion plus globale sur l'accueil collectif et individuel du jeune enfant et sur les choix de politique familiale. Ainsi qu'il a été dit plus en amont, les congés parentaux et les autres modes de garde entretiennent des liens étroits. Une réforme affectant un mode de garde ne peut être conduite sans prendre en compte ses effets de bord. Une réduction de la durée d'indemnisation de la PreParE aura nécessairement une incidence sur le besoin et l'offre d'accueil collectif et individuel du jeune enfant.

 En l'état des dispositifs actuels, il existe déjà, selon l'Igas, une « déconnexion persistante entre l'offre et la demande de modes de garde formelle qui peut jouer sur la décision d'interrompre l'activité »80(*). Les estimations de la Cnaf  du décalage entre le mode d'accueil souhaité et le mode effectivement utilisé laisseraient entendre que certains parents gardent eux-mêmes leurs enfants faute de places en crèche (voir graphique infra). C'est pourquoi, tant la mission Igas que le HCFEA, en 2019, construisaient leurs scénarios de réforme de la prestation dans un contexte plus large de modification ambitieuse de la politique d'accueil du jeune enfant, qui malheureusement n'a, jusqu'à présent, pas eu lieu.

Graphique présentant les modes de gardes souhaités
et utilisés par les parents

Source : TMO - enquête baromètre petite enfance, octobre-novembre 2021

 Dans le cas de la réforme d'ampleur proposée par les rapporteurs, la réduction des besoins d'accueil d'enfants de 0 à 1 an, en raison de l'attractivité retrouvée du congé parental, s'accompagnerait d'une demande supplémentaire d'accueil pour les enfants de plus d'un an jusqu'à leur scolarisation. Il est clair que l'état du secteur de la petite enfance ne permet pas de satisfaire la condition préalable d'une telle évolution de la PreParE : celle d'une offre fournie et accessible en modes de garde formels. Non seulement l'objectif de création de 30 000 places en crèches n'a pas été atteint sous la précédente législature81(*), mais, selon le REPSS 202382(*), la capacité théorique de places dans les modes d'accueil formels a même légèrement décru de 2014 à 2020. En outre, le secteur et les familles doivent subir une pénurie de professionnels de la petite enfance réduisant encore davantage l'offre effective de place en établissement d'accueil du jeune enfant (EAJE). Selon le comité de filière « petite enfance », 21,6 équivalents temps plein (ETP) sont manquants pour 1 000 places en EAJE83(*). Une étude de la Cnaf de 2022 pointe, à la date du 1er avril 2022, que 8 908 postes auprès d'enfants sont déclarés durablement vacants ou non remplacés84(*).

Les rapporteurs prennent certes acte des annonces du Gouvernement, dans le cadre du service public de la petite enfance, de la création de 200 000 places de crèches d'ici 2030 et de la résorption de la pénurie de professionnels de la petite enfance. De même que les objectifs de la COG (2018-2022) ont paru inatteignables très rapidement, la crédibilité de ces annonces pourra être appréciée très vite, selon les dispositions concrètes prises pour bâtir une offre ambitieuse d'accueil du jeune enfant.


* 74 Le coût net d'une solution d'indemnisation à hauteur des IJ pendant 4 mois pour chaque parent était estimé à 577 millions d'euros (sur les données de 2017) par l'Igas.

* 75 Art. R. 331-5 du code de la sécurité sociale.

* 76 S'agissant du seul congé maternité postnatal.

* 77 D. Boyer et A. Crépin (Cnaf), « Baromètre de l'accueil du jeune enfant 2021 », L'e-ssentiel, n° 209, 2022.

* 78 Commission des 1 000 premiers jours, rapport précité (2020), p. 96.

* 79 Pour les naissances simples de rang 1 et 2, dix semaines de congé maternité postnatal sont accordées.

* 80 Igas, rapport précité (2019), p. 55.

* 81 Selon le Repss Famille 2023, cet objectif n'est satisfait qu'à environ 50 % à fin 2022 en termes de places créées (p. 10).

* 82 Repss Famille 2023, p. 35.

* 83 Comité de filière « petite enfance », document de la réunion plénière du cycle 4, 11 mai 2023.

* 84 Cnaf, Note à l'attention des membres du comité « petite enfance » quant à la restitution des résultats de l'enquête nationale « pénurie de professionnels en établissements d'accueil du jeune enfant », 11 juillet 2022.