LISTE DES RECOMMANDATIONS

PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

CHAUSSER SYSTÉMATIQUEMENT LES LUNETTES DU GENRE :
DIFFÉRENCIER N'EST PAS DISCRIMINER

Recommandation n° 1 : Développer l'élaboration et l'exploitation, par les organismes producteurs de statistiques publiques, de données sexuées et croisées sur la sinistralité au travail.

Recommandation n° 2 : Faire de l'approche genrée de la santé au travail et de la conception de politiques de prévention spécifiquement dédiées aux femmes un des axes stratégiques principaux du prochain PST (2026-2030).

Recommandation n° 3 : Sur le modèle du plan régional de santé au travail (PRST) de Bretagne, encourager l'ensemble des régions à intégrer, au sein de leur PRST, une analyse différenciée de l'évaluation des risques en fonction du sexe et des actions spécifiques dédiées à la prise en compte de la santé des femmes au travail dans toutes ses dimensions.

Recommandation n° 4 : Faire appliquer par les employeurs l'obligation légale d'un Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) genré et les inciter à intégrer dans ce document des risques auxquels les femmes sont plus particulièrement exposées, tels que les violences sexuelles et sexistes au travail, les risques psychosociaux ou les TMS.

Recommandation n° 5 : Inscrire dans le code du travail l'obligation d'une approche sexuée des risques professionnels au sein des fiches d'entreprise établies par la médecine du travail, par parallélisme avec le DUERP.

Recommandation n° 6 : Former les professionnels de santé, et en premier lieu les médecins du travail, l'Inspection du travail, l'ensemble des préventeurs et les DRH à une approche genrée de la santé au travail.

DÉVELOPPER ET ADAPTER LA PRÉVENTION

Recommandation n° 7 : Élaborer une Stratégie nationale globale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail » et renforcer le rôle pivot de la médecine du travail dans le suivi de la santé des femmes au travail.

Recommandation n° 8 : Généraliser le développement de maisons des soignants sur tout le territoire.

Recommandation n° 9 : Adapter les mesures de prévention primaire et secondaire aux caractéristiques anthropométriques et aux conditions de travail des femmes, notamment dans les secteurs à prédominance féminine.

Recommandation n° 10 : Renforcer les sanctions légales à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée.

Recommandation n° 11 : Renforcer les moyens humains, notamment ceux de la médecine et de l'inspection du travail, dédiés au contrôle de l'application par les employeurs des mesures de prévention et de santé au travail.

Recommandation n° 12 : Encourager l'accès de toutes les femmes aux services de prévention et de santé au travail dans le cadre de leur parcours professionnel.

Recommandation n° 13 : Faciliter la reconnaissance en maladie professionnelle, d'une part, du cancer du sein en lien avec le travail de nuit, d'autre part, du cancer des ovaires en lien avec une exposition à l'amiante.

Recommandation n° 14 : Revoir la liste des critères de pénibilité en l'adaptant à la réalité des risques professionnels féminins.

SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE AU TRAVAIL : NOUVEAU CHAMP DE CONQUÊTES SOCIALES POUR LES FEMMES ?

LA PRISE EN CHARGE DE L'ENDOMÉTRIOSE ET DES PATHOLOGIES MENSTRUELLES INCAPACITANTES AU TRAVAIL : UN ENJEU D'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Recommandation n° 15 : Ajouter l'endométriose à la liste des affections de longue durée (ALD 30), permettant de supprimer le délai de carence et donc les pertes financières en cas d'arrêts de travail répétés.

Recommandation n° 16: Généraliser la mise en oeuvre du programme ENDOpro, développé par la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, aux employeurs privés et publics.

Recommandation n° 17 : Inciter les branches à négocier des mesures d'aménagement des conditions de travail des femmes atteintes de pathologies menstruelles incapacitantes (poste de travail, temps et horaires de travail, évolution de carrière).

LA GROSSESSE, UN ÉTAT DE SANTÉ PARTICULIER,
QUI FAIT L'OBJET D'UNE STIGMATISATION PERSISTANTE AU TRAVAIL

Recommandation n° 18 : Assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse.

LE PARCOURS, TOUJOURS SEMÉ D'EMBÛCHES, DE L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP) POUR LES FEMMES QUI TRAVAILLENT

Recommandation n° 19 : Étendre le régime des absences autorisées par la loi, dans le cadre d'un parcours d'AMP, afin notamment de permettre un accompagnement dans la durée des conjoints ou conjointes de femmes engagées dans ce parcours.

Recommandation n° 20 : Mettre en place une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité avec un volet « travail », renforçant notamment le rôle de la médecine du travail dans la diffusion d'information sur la prévention de l'infertilité.

Recommandation n° 21 : Rendre les parcours d'AMP plus efficaces en incitant les professionnels de santé à s'adapter à la vie professionnelle des femmes qu'ils suivent.

LA MÉNOPAUSE : DERNIER DES TABOUS FÉMININS ?

Recommandation n° 22 : Mieux informer, dans le milieu professionnel, les employeurs, les employés et les professionnels de santé sur la symptomatologie de la ménopause, et réfléchir à une adaptation des conditions de travail en conséquence.

Recommandation n° 23 : Actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause.

AVANT-PROPOS

Minimisation de la pénibilité, sous-estimation des risques, maux à bas bruits, invisibilisation des cancers professionnels, facteurs de risques secondaires, angle mort, tabou autour des pathologies menstruelles et de la ménopause... Les rapporteures ont été frappées par la récurrence, chez les expertes et experts auditionnés, des termes témoignant d'une méconnaissance voire d'un déni face aux atteintes à la santé des femmes dans le monde du travail.

Pendant plus de six mois, elles ont auditionné plus d'une cinquantaine de professionnels de santé, épidémiologistes, sociologues, chercheuses et chercheurs, responsables institutionnels, représentantes et représentants des partenaires sociaux, associations, expertes et experts dans le domaine de la prévention et de la santé des femmes au travail. Elles ont également effectué des déplacements de terrain, notamment en Bretagne, où le plan régional de santé au travail fait de la santé des femmes un axe central, au-delà de ce que prévoit le 4e plan gouvernemental de santé au travail (2021-2025), dont on ne peut que déplorer le manque d'ambition en la matière.

Elles se sont intéressées à la santé des femmes dans une approche globale et transversale, retenant la définition de la santé par l'OMS comme un état de complet bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. S'intéressant tant à la santé physique que psychique, elles ont tenu à avoir, sur toutes les thématiques examinées, une triple lecture à la fois épidémiologique, sociologique et politique.

Elles se sont également penchées sur le rôle assigné aux femmes dans l'emploi et sur l'impact de leurs conditions de travail sur leur santé.

Force est aujourd'hui de constater le déficit persistant d'approche genrée en matière de santé au travail qui a pour conséquence l'insuffisance de la prévention en faveur de la santé des femmes au travail. Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes, cet « invisible qui fait mal »1(*), est en effet à l'origine d'impensés féminins dans la conception et la mise en oeuvre des politiques de santé au travail.

C'est pourquoi, les rapporteures tiennent à affirmer avec force cette conviction : différencier n'est pas discriminer. Parce que protéger la santé des femmes au travail ne doit pas se faire au détriment de leur accès à l'égalité professionnelle, il est également important de rappeler que, comme dans de nombreux domaines, oeuvrer en faveur des femmes et de l'égalité en matière de santé au travail revient à améliorer la situation de toutes et tous.

Les rapporteures formulent vingt-trois recommandations qui s'articulent autour de trois grands axes :

- chausser systématiquement les lunettes du genre ;

- développer et adapter la prévention à destination des femmes ;

- mieux prendre en compte la santé sexuelle et reproductive au travail, en particulier les pathologies menstruelles incapacitantes et les symptômes ménopausiques.

I. UN DÉFAUT DURABLE ET PRÉJUDICIABLE D'APPROCHE GENRÉE EN MATIÈRE DE SANTÉ AU TRAVAIL

Alors que certains pays - au premier rang desquels l'Angleterre - ont récemment adopté des stratégies nationales dédiées à la santé des femmes, les rapporteures déplorent que la France n'ait pas fait le choix d'une telle démarche volontariste. Hors de la sphère gynécologique, avec les parcours spécifiques que constituent la maternité, les dépistages des cancers du sein et du col de l'utérus et la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose, les spécificités féminines demeurent encore trop méconnues et insuffisamment prises en compte dans leur globalité.

Ce défaut d'approche genrée se retrouve dans le champ de la santé au travail, qui demeure encore trop souvent cloisonné alors même que la France s'est engagée dans le développement de la transversalité entre les différentes politiques publiques de santé - santé publique, santé au travail et santé environnementale.

Les rapporteures relèvent, comme principal facteur explicatif, un manque de volonté d'investiguer les connaissances scientifiques. Si la santé des femmes au travail a fait l'objet de recherches en sciences sociales, elle a peu été étudiée sous l'angle des politiques de santé publique. Les données sexuées sont certes de plus en plus nombreuses aujourd'hui mais elles sont encore peu exploitées, par les chercheuses et les chercheurs comme par les acteurs institutionnels en charge de la prévention et de la santé au travail.

Les rapporteures constatent en outre un souhait délibéré, de la part des employeurs, des institutions et des professionnels de la prévention et de la santé au travail, d'adopter une approche indifférenciée, aveugle au genre. Une telle approche conduit en réalité à se focaliser sur les mesures anthropométriques d'un « homme moyen » et à nier toute spécificité féminine. La supposée neutralité renforce donc les inégalités.

A. DES DONNÉES SEXUÉES INCOMPLÈTES ET ENCORE INSUFFISAMMENT EXPLOITÉES

1. Des points aveugles et des biais de genre dans les connaissances scientifiques
a) Des connaissances encore parcellaires des statistiques sexuées et des spécificités féminines
(1) Un manque de connaissances épidémiologiques

Comme l'a relevé devant la délégation Muriel Salle, historienne spécialiste de l'histoire des femmes et auteure en 2017, avec Catherine Vidal, d'un ouvrage intitulé Femmes et santé : encore une affaire d'hommes ?, il y a longtemps eu un manque de connaissances ou des connaissances erronées s'agissant de la santé des femmes en général et de la santé des femmes au travail en particulier.

Des chercheuses se sont intéressées aux questions de santé au travail des femmes à partir des années 1980. Cependant, ces recherches se sont surtout faites sous l'angle des sciences sociales, moins sous l'angle de la santé publique et des sciences biomédicales, comme l'a souligné, lors de son audition, Émilie Counil, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined), chercheuse associée à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), auteure de travaux de recherche sur les inégalités sociales de santé.

Cette chercheuse, elle-même épidémiologiste, a témoigné des prises de conscience qu'elle a pu connaître au sein du Giscop 93 (Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle), où se côtoient des médecins en santé publique et des chercheurs en sciences sociales. Elle estime que des biais de genre, dont les chercheurs n'ont pas conscience, peuvent générer des points aveugles dans les connaissances en épidémiologie des risques professionnels et ainsi contribuer à renforcer les inégalités sociales en matière de prévention et de reconnaissance des atteintes à la santé liées au travail.

Persiste encore aujourd'hui un manque de connaissance, d'un point de vue épidémiologique, des spécificités féminines liées à l'exposition aux risques professionnels. Ainsi, Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, directrice honoraire de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et membre du Giscop 84, a déploré, devant la délégation, une extrapolation de l'épidémiologie des hommes vers les femmes s'agissant des risques chimiques et de leurs conséquences en matière de cancer.

(2) Des statistiques plus nombreuses mais encore incomplètes

Depuis une dizaine d'années, les statistiques sexuées se sont développées et permettent de mieux appréhender les spécificités féminines, tant sous l'angle de leurs conditions de travail que sous celui des atteintes à leur santé.

La loi pour l'égalité réelle de 20142(*) a exigé des entreprises des indicateurs sexués de santé et sécurité au travail tandis que la loi de modernisation du système de santé de 20163(*) a imposé à la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et aux services de santé au travail de produire des données sexuées.

Les principales études portant sur les risques professionnels que sont les enquêtes Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels), « Conditions de travail » et « Conditions de travail - risques psychosociaux » recueillent les informations sociodémographiques des personnes interrogées, dont leur sexe.

Cependant, de nombreuses statistiques sexuées manquent encore pour dresser un diagnostic exact de la santé des femmes au travail. Ainsi, la Cnam n'a pas été en mesure de fournir aux rapporteures des données sur la répartition des arrêts maladie par sexe, alors même qu'elle fournit de telles données par âge. La Direction générale du travail (DGT) a répondu aux rapporteures qu' « il est simplement possible de dire que le secteur de la santé humaine et de l'action sociale est un secteur professionnel plus féminisé et en même temps le plus consommateur d'indemnités journalières ». De même, la DGT ne dispose pas, à l'heure actuelle, de statistiques par sexe relatives au suivi individuel en santé au travail effectué par les services de prévention et de santé au travail (SPST).

b) Un manque de recherches sur les secteurs à prédominance féminine

Les types d'emplois occupés par les femmes font l'objet de moins de recherches en santé au travail. Des biais de genre dans la construction des connaissances scientifiques se traduisent par une moindre inclusion des types d'emplois occupés par les femmes, et des femmes en général, dans les enquêtes épidémiologiques et toxicologiques notamment.

Ainsi, alors que de nombreuses études sont menées dans le secteur du BTP, très masculin, très peu d'études sont menées dans les secteurs à prédominance féminine, comme le secteur du nettoyage ou celui du care.

Selon la sociologue Annie Thébaud-Mony, elle-même auteure d'un rapport sur l'identification et la prévention des expositions aux cancérogènes dans les produits de nettoyage, jusqu'à présent aucune étude épidémiologique ne lie les métiers du nettoyage et le cancer. Les femmes sont pourtant exposées à au moins sept agents cancérogènes sur leur chariot de ménage.

De même, Robin Mor, directeur des affaires publiques de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), a noté devant la délégation qu'il n'existe presque aucune étude portant sur la population féminine des professionnels de santé et que si quelques études scientifiques traitent du sujet de la santé des médecins, la santé des aides-soignantes est totalement inexplorée par la recherche scientifique.

Or, sans connaître, comment prévenir et comment réparer ?

c) Au-delà des données sexuées, une connaissance incomplète des atteintes à la santé liées au travail
(1) Une connaissance incomplète des maladies à caractère professionnel

Il importe de relever tout d'abord que les statistiques de la Cnam ne couvrent que les salariés du régime général de l'assurance maladie. Elles ne couvrent ni les agricultrices, ni les fonctionnaires.

Ensuite, les statistiques de sinistralité de la Cnam et du régime agricole ne concernent que les accidents du travail et les maladies professionnelles indemnisés, ouvrant droit à réparation.

Les données relatives aux maladies professionnelles (MP) concernent les maladies professionnelles indemnisées qui ouvrent droit à une réparation par les régimes de Sécurité sociale (régimes général et agricole). Il s'agit de maladies identifiées comme résultant directement de l'exposition d'un travailleur ou d'une travailleuse à un risque ou à des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle. Ces maladies font l'objet de tableaux de maladie réunissant les conditions indispensables pour la reconnaissance avec présomption d'imputabilité de leur origine professionnelle (description de la maladie, exposition, délai de prise en charge, etc.), permettant leur réparation.

Un système complémentaire de reconnaissance, les Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), permet, sous certaines conditions et sous réserve d'apporter la preuve de l'origine professionnelle, d'étudier les cas litigieux ou rejetés par le système basé sur les tableaux.

Cependant, le simple dénombrement des maladies professionnelles indemnisées ne reflète pas l'ensemble des atteintes à la santé résultant du travail. Comme l'a mis en avant l'épidémiologiste Émilie Counil devant la délégation, ces statistiques ne permettent que de rendre compte des écarts entre hommes et femmes dans l'accès au droit à réparation et non de poser un diagnostic complet sur la nature et l'étendue des atteintes à la santé liées au travail.

Deux phénomènes doivent être pris en compte :

Pour reprendre les mots de Guillaume Boulanger, responsable de l'Unité « Qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations » chez Santé publique France, les maladies professionnelles sont « souvent la face émergée de l'iceberg ».

Source : Santé Publique France

La notion de maladie à caractère professionnel (MCP) a été introduite par le législateur dès 1919 afin de contribuer à l'évolution des tableaux de maladies professionnelles et au repérage de nouvelles pathologies d'origine professionnelle

Si le code de la sécurité sociale4(*) prévoit que tout médecin - notamment du travail - doit déclarer une maladie qui présente « à son avis » un caractère professionnel, aucun décret ni aucune modalité n'organisent ce signalement. Depuis 20045(*), le code de la santé publique confie donc à Santé publique France, en partenariat avec l'Inspection médicale du travail et les observatoires régionaux de santé, la mission de surveiller et rendre plus visibles les maladies à caractère professionnel.

Le programme de surveillance des MCP de Santé Publique France permet d'estimer les prévalences des maladies à caractère professionnel chez les salariés et la sous-déclaration des maladies professionnelles indemnisables. Ce programme contribue à orienter les politiques de prévention en milieu professionnel et à faire évoluer les tableaux de maladie professionnelle.

Alors que le taux de MP n'est pas significativement différent chez les femmes et chez les hommes dans les données de la Cnam, le rapport de Santé publique France sur les MCP, publié en avril 2023, fait apparaître un taux de signalement des MCP significativement plus élevé chez les femmes que chez les hommes, et ce tous les ans entre 2012 et 2018 (respectivement 11,4 % et 7,1 % en 2018).

(a) Une sous-estimation des troubles musculo-squelettiques

Le rapport de Santé Publique France relatif aux MCP précité fournit des données sur la sous-estimation des troubles musculo-squelettiques (TMS), première maladie professionnelle en France. Si la prévalence de cette sous-estimation ne fait pas apparaître de différence notable entre femmes et hommes, les femmes sont cependant davantage concernées par les TMS au niveau global, ce qui rend ces données significatives.

Près de 70 % des TMS signalées comme maladies à caractère professionnel correspondaient à un tableau de MP. Or, plus des trois quarts de ces TMS n'avaient pas fait l'objet d'une déclaration en MP.

 
 
 

des TMS à caractère professionnel ne correspondent pas à un tableau de maladie professionnelle

 

des TMS qui correspondent à un tableau de maladie professionnelle existant ne font pas l'objet d'une déclaration

Le taux de sous-déclaration est évalué à 90 % pour le rachis cervical, 82 % pour le rachis lombaire, 77 % pour les syndromes canalaires et 75 % pour les TMS du coude et de l'épaule.

Trois raisons principales peuvent expliquer la sous-déclaration de TMS correspondant pourtant à un tableau de MP :

méconnaissance du dispositif par le salarié et par les médecins de soin, notamment généralistes ;

bilan diagnostique insuffisant pour remplir les conditions requises par le tableau de maladie professionnelle ;

refus du ou de la salariée de recourir à ce dispositif. Dans le cadre de ses travaux au sein du Giscop 84, Annie Thébaud-Mony a ainsi relevé une hésitation plus grande des femmes à s'engager dans un processus de déclaration de maladie professionnelle, qui peut s'expliquer par une crainte de perdre leur emploi.

(b) Des tableaux de maladies professionnelles incomplets au regard des cancers professionnels

L'origine professionnelle des cancers est aujourd'hui sous-estimée au sein des tableaux de maladies professionnelles.

Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, met en avant une triple invisibilité des cancers d'origine professionnelle, qui résulte de :

En outre, comme le relève Santé publique France, du fait du temps de latence généralement important entre l'exposition professionnelle et la survenue de cancers - entre 10 et 40 ans selon la Ligue contre le cancer -, le programme MCP, fondé sur des données fournies par les services de prévention et de santé au travail, n'est pas adapté au repérage des cancers professionnels qui surviennent généralement après la cessation de l'activité.

(c) Peu de reconnaissance de la souffrance psychique comme maladie professionnelle

Il n'existe, à ce jour, aucun tableau de maladie professionnelle relatif à la souffrance psychique en lien avec le travail.

Celle-ci peut néanmoins faire l'objet, sous réserve d'un niveau de gravité suffisant (responsable du décès ou d'une incapacité prévisible d'au moins 25 %), d'une reconnaissance en MP au moyen des CRRMP. Ainsi, selon le rapport de Santé publique France sur les maladies à caractère professionnel, en 2016, 596 affections psychiques ont été reconnues comme maladies professionnelles, soit sept fois plus que cinq ans auparavant.

(2) Une connaissance amputée de l'exposition aux risques professionnels

Dix facteurs de risques sont prévus par le code du travail.

Cependant, la traçabilité des expositions aux facteurs de risques professionnels a été mise à mal par plusieurs réformes successives :

- la création en 2012 de la « fiche pénibilité » a eu pour conséquence la suppression de la fiche d'exposition aux agents chimiques dangereux (ACD) et de l'attestation d'exposition aux ACD ;

- puis la suppression de cette même « fiche pénibilité » en 2015.

Subsistent deux fiches de traçabilité des expositions :

- la fiche d'exposition à l'amiante ;

- la fiche de sécurité pour les activités exercées en milieu hyperbare.

Les expositions aux autres risques ne font plus l'objet que d'une déclaration qui détermine l'attribution de points au « compte pénibilité », devenu compte professionnel de prévention (C2P). Depuis 2018, cette déclaration ne concerne que six facteurs : activités exercées en milieu hyperbare ; températures extrêmes ; bruit ; travail de nuit ; travail en équipes successives alternantes ; travail répétitif.

En outre, pour l'évaluation du travail de nuit, l'employeur ne prend pas en compte les nuits effectuées dans les conditions du travail en équipes successives alternantes.

Enfin, les travailleuses ou les travailleurs en contrat à durée déterminée (CDD) de moins d'un mois et les salariés du particulier employeur ne sont pas éligibles au C2P et ne sont donc pas concernés par la déclaration des expositions.

Plusieurs contributions de syndicats de salariés aux travaux de la délégation estiment que cette sous-estimation des risques et de la pénibilité s'explique, entre autres, par le souhait des employeurs de ne pas supporter les coûts de leur prévention.

2. Un manque d'intérêt pour l'exploitation et l'analyse sexuées des données

La Cnam dispose de statistiques sexuées mais les rapporteures ont pu constater qu'elle ne les publie que partiellement et qu'elle ne manifeste pas d'intérêt particulier pour leur exploitation.

Elle communique généralement sur ses statistiques de façon globale et non sexuée. Ainsi, la baisse des accidents du travail est souvent mise en avant, en occultant le fait que les accidents du travail augmentent chez les femmes.

Anne-Michèle Chartier, présidente du Syndicat général des médecins et des professionnels des services de santé au travail (CFE-CGC), a témoigné devant la délégation du fait que lorsque le Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct) et le Comité national de prévention et santé au travail (CNPST) avaient interrogé la Cnam pour comprendre les taux différenciés d'accidents du travail entre hommes et femmes, il leur avait été affirmé que les statistiques genrées par branche, métier ou exposition n'existaient pas.

L'Observatoire régional de santé de Bretagne6(*) a néanmoins pu accéder à des statistiques fournies par la Cnam et a effectué un travail important d'exploitation des données afin de dégager des analyses sexuées, preuve étant donc faite que de telles analyses sont possibles.


* 1 Référence aux travaux canadiens de Karen Messing et Katherine Lippel dans le cadre du Partenariat pour le droit à la santé des travailleuses intitulé « L'invisible qui fait mal », qui associe des chercheuses en ergonomie de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) aux structures syndicales québécoises responsables de la condition des femmes ou de la santé et sécurité du travail.

* 2 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 3 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 4 Article L461-6 du code de la sécurité sociale.

* 5 Loi relative à la politique de Santé publique du 9 août 2004.

* 6 https://orsbretagne.typepad.fr/tbsantetravailbretagne/20190516-FOCUS-TRAVAIL-FEMMES.pdf

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