DEUXIÈME PARTIE

POURSUIVRE LA RÉNOVATION
DE LA FORMATION INITIALE ET DE L'ALTERNANCE
POUR ALLIER INSERTION FACILITÉE VERS L'EMPLOI
ET SOCLE DE COMPÉTENCES SOLIDE

I. ADAPTER L'OFFRE DE FORMATION INITIALE ET DE FORMATION PROFESSIONNELLE AUX BESOINS D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN

A. LA FRANCE FAIT FACE À DES BESOINS DE COMPÉTENCES NOUVEAUX SOUS L'IMPULSION DES GRANDES TRANSITIONS

La France fait face à de grandes transitions qui entraîneront, à court terme, une forte mutation des besoins de compétences de l'économie et de la société française.

1. La transition démographique

La transition démographique est un premier défi, alors qu'un Français sur trois sera âgé de plus de 60 ans en 2035, contre un sur cinq en 2005. La « silver economy » engendrera d'importants besoins d'accompagnement de la population vieillissante, mais aussi une forte demande vis-à-vis des secteurs des loisirs ou des équipements domestiques. Selon certaines études, elle pourrait représenter jusqu'à 2,4 % du PIB français à terme.92(*) Les métiers de l'accompagnement et du soin seraient particulièrement dynamiques dans ce contexte, avec 370 000 postes de médecins, infirmiers, aides à domicile et aides-soignants créés d'ici 2030.93(*)

À l'autre bout de la pyramide démographique, la baisse de la fertilité et la réduction des cohortes d'âge - qui touche déjà les établissements scolaires - entraînera dès 2040 une contraction de la population active, avec le départ de 7,4 millions de personnes du marché du travail d'ici 2030. Cela pourrait accentuer encore les difficultés de recrutement de certains secteurs économiques, notamment les services à la personne ou l'industrie. À titre d'exemple, France Stratégie estime que 49 % des ouvriers des industries graphiques et que 37 % des aides à domicile actuellement en poste partiront à la retraite d'ici 2030 : c'est un défi énorme de renouvellement générationnel.

ÉVOLUTION DE LA PART DES PLUS DE 60 ANS DANS LA POPULATION FRANÇAISE

(PROJECTIONS)

Source : INSEE, « Tableaux de l'économie française », Population par âge, 2020

Les entreprises entendues ont aussi souligné l'impact de l'allongement du temps d'études moyen des jeunes Français, qui implique une entrée de plus en plus tardive sur le marché du travail et peut compliquer les dynamiques de renouvellement générationnel au sein de l'entreprise.

VARIATION ANNUELLE DE LA POPULATION ACTIVE

(JUSQU'EN 2021 CHIFFRES CONSTATÉS, À PARTIR DE 2021 PROJECTIONS)

Source : INSEE, « Projections de la population active à l'horizon 2080 », juillet 2022

2. La transition environnementale

La transition environnementale fera appel à de nouvelles énergies, modifiera les modes de production et accélérera l'innovation.

Selon France Stratégie, le respect de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) stimulerait notamment le secteur de la construction, en raison des efforts d'efficacité énergétique des bâtiments (130 000 emplois d'ici 2030), ainsi que les métiers de service aux entreprises, de conseil et de recherche et de développement (50 000 emplois). Dans toute l'économie, de nouveaux métiers émergeront afin de conseiller les entreprises et les particuliers dans le déploiement de solutions plus économes en ressources.

EFFET SUR L'EMPLOI ENTRE 2019 ET 2030 DU
« SCÉNARIO BAS CARBONE » DE FRANCE STRATÉGIE

(PROJECTIONS)

Source : France Stratégie, « Les métiers en 2030 », mars 2022

Comme l'a relevé le CEREQ, entendu par les rapporteurs, certains métiers subiront aussi une forme « d'hybridation des compétences » sous l'effet des grandes transitions. Les métiers du secteur de l'énergie, par exemple, peuvent trouver de nouveaux liens avec la chimie ou l'agriculture (méthanisation, hydrogène), tandis que la prise en compte des normes environnementales nouvelles - qui ont déjà modifié l'activité d'un salarié sur dix - engendre de nouvelles formes de transversalité.94(*)

Des filières se structurent et se développent, par exemple dans les domaines de la dépollution, du traitement de l'eau ou des énergies renouvelables. À l'inverse, certains secteurs industriels intensifs en carbone, tels la chimie, le textile ou la production d'énergie seraient moins dynamiques au regard des mutations attendues, mais ceux-ci font parfois l'objet d'idées reçues : le secteur de la métallurgie par exemple serait dynamique, en raison de la « relocalisation » de certaines productions et d'évolutions technologiques positives.

L'exemple des Tech'académies de FNAC Darty

Le groupe FNAC Darty a créé de sa propre initiative, au cours des dernières années, de nombreux centres de formations, en lien avec le réseau Ducretet.

Entendu par les rapporteurs, le groupe a indiqué que son engagement en faveur de l'économie circulaire et de la réparabilité des produits électroniques et informatiques augmentera de manière drastique ses besoins de compétences. Le groupe proposant notamment un abonnement à la réparation (visant 2 millions d'abonnés) et entendant créer une direction « Seconde vie » dédiée à la réutilisation des produits (visant 2,5 millions de produits réparés en 2025), le groupe a un fort besoin de techniciens formés, dans un contexte de forte tension sur les recrutements. Il vise l'embauche d'au moins 500 techniciens d'ici 2025 (techniciens d'intervention à domicile et techniciens d'atelier de réparation).

L'académie de Formation de FNAC Darty a obtenu la certification Qualiopi en novembre 2022, au titre de la formation continue. L'activité CFA fait l'objet d'une seconde procédure.

La formation proposée s'effectue dans treize villes, en douze mois, en alternance, et permet l'obtention d'un titre de niveau 4 (technicien Service en électroménager connecté). À son issue, un contrat à durée indéterminée est automatiquement proposé à tout académicien ayant validé sa formation. Le groupe indique viser le développement d'autres certifications dans les années à venir (réparateur conseil d'équipements électriques et électroniques, chauffeur livreur véhicules utilitaires légers, technicien services de l'électroménager connecté), et même à développer ses propres certifications, ces procédures étant en cours de validation.

Depuis 2019, 608 participants ont été formés, débouchant sur 282 contrats à durée indéterminée (CDI). Pour la seule année 2023, la formation a enregistré 307 participations. Certains participants étaient des profils très éloignés de l'emploi, orientés notamment par les associations d'aides aux retours à l'emploi, d'inclusion, d'aide aux réfugiés et de réinsertion professionnelle. Des personnes en reconversion ont également été accueillies.

Le groupe a signalé n'avoir reçu aucune aide de l'État dans la création et la mise en place de ces formations. À l'inverse, il finance de nombreuses aides au profit des participants à la formation : frais de déplacement, d'hébergement, de restauration, d'équipement, de matériels pour la formation, et même de participation aux frais de permis de conduire. Au total, le groupe a engagé plusieurs millions d'euros dans ces projets de centres de formation.

Source : Réponses de FNAC Darty au questionnaire de la délégation

Concernant par exemple les ingénieurs, la DGE a indiqué à la délégation que « dans le cadre du projet de loi industrie verte, nous avons engagé une réflexion globale sur la formation et l'attractivité des métiers industriels. Cette démarche doit notamment nous permettre de répondre à la pénurie d'ingénieurs dans le champ de l'industrie et de l'informatique en augmentant les places de formation, et de mettre en adéquation les formations avec les besoins des entreprises. L'Institut Mines-Télécom et Mines Paris vont ainsi augmenter de 22 % leur nombre de places afin de former davantage d'élèves chaque année »95(*).

Alors que le pays a subi une importante désindustrialisation au cours des trente dernières années, et perdu 2 millions d'emplois industriels sur la même période, il est aussi nécessaire d'interrompre la perte de compétences qui frappe plusieurs secteurs traditionnels, qui retrouvent toute leur pertinence dans la période actuelle. Selon Sandrine Berthet, secrétaire générale du Conseil national de l'industrie (CNI) entendue par les rapporteurs, « les déséquilibres entre les besoins de recrutement et la main d'oeuvre disponible concernent une cinquantaine de métiers de l'industrie. Quinze métiers de l'industrie sont particulièrement menacés à l'horizon 2030 par la pénurie de main d'oeuvre qualifiée et compétente », ces derniers faisant pour certains déjà partie des métiers en tension.96(*) La CFE-CGC a également rappelé aux rapporteurs que : « des filières entières en soudage ou en chaudronnerie ont pu être fermées il y a une quinzaine d'années. À l'heure d'une politique volontariste de réindustrialisation, nous payons le prix de ces compétences perdues »97(*).

3. La transition numérique

La transition numérique, enfin, engendrera une forte demande pour les métiers de l'informatique. Selon France Stratégie, les métiers des activités informatiques et de services d'information bénéficieront ainsi de la création d'environ 160 000 postes d'ici 2030, soit une croissance de 27 % par rapport à 2022. Le métier d'ingénieur de l'information sera le plus dynamique, avec la création de plus de 115 000 postes, c'est-à-dire une hausse d'un quart. Les usages croissants du numérique accroîtront la demande pour des métiers de maintenance, de l'analyse de données, mais aussi dans le secteur de la cybersécurité : comme l'a relevé le rapport d'information de la délégation aux Entreprises intitulé « La cybersécurité des entreprises - Prévenir et guérir : quels remèdes contre les cybervirus ? », présenté en 2021 par MM. Meurant et Cardon, 80 % des entreprises françaises ont déjà connu une cyberattaque mais seule la moitié se disent aujourd'hui confiantes dans leur capacité à y faire face.98(*) Le développement du secteur sera aussi porté par la numérisation des usages, et notamment le développement des plateformes en ligne, dans le secteur de la vente mais aussi pour nombre de démarches quotidiennes.

À l'inverse, la transition numérique et les derniers développements technologiques pourraient réduire la demande pour certains métiers administratifs ou de traitement de la donnée, plus facilement automatisables ou substituables. Une étude de France Stratégie estimait ainsi à environ 15 % le nombre d'emplois pouvant être automatisés (notamment dans les secteurs de la banque et de l'assurance, de la vente ou de l'industrie), tandis que Mme Glenda Quintini, économiste à l'OCDE, le situe plutôt autour de 10 %99(*). Les débats récents autour de « ChatGPT » et d'autres outils similaires utilisant l'intelligence artificielle témoignent de ces mutations importantes.


* 92 « La Silver Économie : un nouveau modèle économique en plein essor », Numa Rengot, 2015, dans «Géoéconomie ».

* 93 France Stratégie-DARES, rapport « Quels métiers en 2030 ? » du groupe Prospective des métiers et qualifications », mars 2022.

* 94 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 95 Réponses de la DGE au questionnaire de la délégation.

* 96 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation. Il s'agit par exemple des métiers suivants : réalisation de structures métalliques, réalisation de menuiserie bois et tonnellerie, modelage de matériaux non métalliques, moulage sable, réglage d'équipement de production industrielle, intervention technique qualité en mécanique et travail des métaux, conception et dessin de produits mécaniques.

* 97 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 98 Rapport d'information n° 678 (2020-2021) de MM. Sébastien Meurant et Rémi Cardon, fait au nom de la délégation aux entreprises, « La cybersécurité des entreprises - Prévenir et guérir : quels remèdes contre les cyber virus ? », 10 juin 2021.

* 99 France Stratégie, note d'analyse, « L'effet de l'automatisation sur l'emploi : ce qu'on sait et ce qu'on ignore », juillet 2016.

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