e. Apporter une réponse européenne aux tentatives de déstabilisation liées aux ingérences étrangères

Par une décision du 18 juin 2020, le Parlement européen a créé une commission spéciale, initialement pour une durée d'un an mais prolongée de six mois, sur « l'ingérence étrangère dans l'ensemble des processus démocratiques de l'Union européenne, y compris la désinformation » (INGE 1)

Dans son rapport adopté en séance plénière à Strasbourg le 9 mars 2022, le Parlement européen conclut que « des acteurs malveillants ont bel et bien influencé les élections, mené des cyberattaques, embauché d'anciens hauts responsables politiques et accru la polarisation du débat public, sans crainte de répercussions ». Les députés européens ont mis en avant le manque de définition et de compréhension communes de ce phénomène des ingérences étrangères et les nombreuses lacunes et failles qui demeurent dans la législation et les politiques actuelles tant au niveau de l'Union qu'au niveau national pour détecter et prévenir les ingérences étrangères et lutter contre celles-ci.

Dès le lendemain de l'adoption du rapport, le Parlement européen a décidé de la constitution d'une nouvelle commission spéciale, INGE 2, dont le mandat prévoit qu'elle est notamment chargée de recenser les lacunes, les failles et les chevauchements des législations en vigueur, de déterminer la base juridique appropriée pour tout acte juridique nécessaire et de préparer le terrain à des solutions institutionnelles permanentes de l'Union pour lutter contre l'ingérence malveillante étrangère et la désinformation et, si nécessaire, de demander à la Commission de prendre des mesures institutionnelles spécifiques.

Une prise de conscience est clairement en train de s'opérer à l'échelle européenne et le scandale du Qatargate, inédit par son ampleur, a provoqué un électrochoc et appelle à une réponse globale et coordonnée avec les États membres.

Dans la guerre commerciale qui oppose l'Europe à la Chine, l'Union européenne est ainsi parvenue le 28 mars 2023 à adopter un instrument anti- coercitif contre l'ingérence étrangère. Ce nouveau règlement va permettre à l'Union de prendre des contre-mesures, telles que des droits de douane, des restrictions commerciales ou des mesures relatives aux marchés publics, à l'encontre des pays tiers qui tentent de faire pression sur les États membres ou les institutions européennes. Si la Commission européenne et une majorité qualifiée d'États membres s'accordent à dire qu'un pays tiers a eu recours à la coercition, ils pourraient d'un commun accord, en lien avec le Parlement européen, décider d'un ensemble de contre-mesures à prendre à l'encontre du pays en question. Avec ce nouvel instrument juridique, la Chine mais aussi les États-Unis qui menacent régulièrement l'Union européenne de tarifs douaniers

punitifs si elle mettait en oeuvre une taxe numérique défavorable aux grandes entreprises américaines, sont dans le viseur des Européens.

La Commission européenne a également annoncé, dans le cadre d'un futur train de mesures « Défense de la démocratie », sa volonté d'élaborer des mesures législatives (normes communes de transparence et de responsabilité pour les services de représentation d'intérêts dirigés ou payés depuis des pays tiers) et non législatives (recommandations sur l'ingérence secrète de pays non- membres de l'Union, adressées aux États membres aux partis politiques nationaux et européens et éventuellement à d'autres entités) pour « renforcer la résilience face à l'ingérence étrangère déguisée dans notre vie démocratique ». Cette démarche, qui intervient en amont des élections européennes du printemps 2024, pourrait s'inspirer des dispositifs adoptés ou en cours d'adoption à l'étranger.

Au vu des conclusions du rapport de la Commission spéciale INGE 1 et de cette volonté politique de la Commission européenne, la Délégation considère qu'une réponse européenne appropriée face aux ingérences étrangères pourrait s'orienter dans trois directions :

- La mise en place d'instruments juridiques contraignants assortis d'un régime de sanctions, à l'instar de ce qui existe dans différents pays (notamment les États-Unis, l'Australie et prochainement le Royaume-Uni) afin de mettre un terme à une forme d'impunité d'actions de déstabilisation et de campagnes de désinformation conduites par des entités étrangères. Il conviendrait en particulier de donner une force contraignante au code de bonnes pratiques de l'Union européenne contre la désinformation en ligne, dont Twitter a décidé de s'affranchir sans autres conséquences.

- L'amélioration du dispositif européen de cybersécurité, avec des moyens humains et financiers adaptés aux défis et la garantie que la sécurité des infrastructures stratégiques ne dépende pas de technologies étrangères. L'Union européenne pourrait également promouvoir l'élaboration d'un traité international relatif à la cybersécurité qui fixerait des normes internationales en matière de cybersécurité pour lutter contre la cybercriminalité.

- La définition d'un partenariat stratégique entre les différents acteurs et structures de l'Union européenne et des États membres pour assurer une coordination efficace ***** (Recommandation°16)

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Le contexte national, européen et international rend assurément le moment opportun pour renforcer l'arsenal juridique visant à mieux nous protéger des ingérences étrangères. Les esprits évoluent et la conflictualité permanente des relations internationales favorise une prise de conscience tardive mais réelle de l'opinion publique. Le renseignement participe d'une réponse globale à la menace omniprésente des ingérences étrangères. Nous avons plus que jamais besoin d'un débat public sur la réponse démocratique aux ingérences étrangères. Les recommandations de la Délégation parlementaire au renseignement visant à nous doter de nouveaux moyens d'entrave pourraient à cet égard être rassemblées dans un projet de loi dédié à la lutte contre les ingérences étrangères et qui soulignerait la contribution du renseignement à notre riposte démocratique (Recommandation n° 17).

III. LES POSITIONS STRATÉGIQUES FRANÇAISES À L'ÉPREUVE DES INGÉRENCES ÉTRANGÈRES EN AFRIQUE AUSTRALE ET DANS L'OCÉAN INDIEN

Le Président de la Délégation parlementaire au renseignement a effectué, du 16 au 22 avril 2023, un déplacement en Afrique du Sud, à l'Île de la Réunion puis à Madagascar au cours duquel des entretiens ont été réalisés avec les représentations diplomatiques et préfectorales, les différents services de renseignement présents dans les territoires visités ainsi que les attachés de sécurité intérieure (ASI) et de défense.

Le choix des pays et du département français d'outre-mer visités a fait suite à des échanges préalables avec les directeurs généraux de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure au vu des enjeux liés à la thématique des ingérences étrangères. Si un déplacement au Sahel eût été justifié au vu du retrait des forces françaises et de la place prise par la milice privée Wagner, il a semblé plus pertinent de se rendre dans une zone certes à ce jour moins exposée militairement et médiatiquement mais néanmoins sujette à de véritables guerres d'influence entre puissances étrangères et qui préparent le terrain aux ingérences de demain.

En Afrique Australe et dans l'océan indien, la France a des intérêts majeurs à défendre et notre appareil de renseignement joue un rôle essentiel pour révéler les stratégies, mesurer les enjeux et préparer l'avenir.

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A. RENSEIGNER POUR DÉTECTER ET SURVEILLER LES PHÉNOMÈNES D'INGÉRENCES

1. Les raisons d'être d'un climat d'ingérences

Au moins trois facteurs principaux expliquent le climat d'ingérences qui règne dans cette partie du monde : le terreau favorable que constituent des États faillis ou a minima très affaiblis, des liens historiques avec des puissances étrangères et enfin, un contexte géopolitique très singulier.

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