C. UN CADRE NORMATIF FRANÇAIS QUI DOIT ENCORE S'ADAPTER

1. Sur le fondement de l'article 301 de la loi « Climat et résilience », les filières établissent des feuilles de route de décarbonation

Afin de préparer cette échéance et, en particulier, la prochaine stratégie nationale bas-carbone, l'article 301 de la loi « Climat et résilience » du 22 août 202127(*) prévoit que, pour chaque secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre, et au plus tard le 1er janvier 2023, une feuille de route est établie conjointement par les représentants des filières économiques, le Gouvernement et les représentants des collectivités territoriales pour les secteurs dans lesquels ils exercent une compétence.

Cette feuille de route doit, aux termes de cet article, coordonner les actions mises en oeuvre par chacune des parties pour atteindre les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre fixés par la SNBC.

Les étapes d'élaboration des feuilles de route

D'après le ministère de la transition écologique, les feuilles de route prévues en application de la loi « Climat et résilience » sont « toutes élaborées via la même démarche afin d'impliquer les filières économiques dans la planification écologique et la mise en oeuvre de la future SNBC », suivant trois étapes :

élaboration par chaque filière d'une proposition de feuille de route de décarbonation, en amont de l'élaboration de la prochaine SNBC (leviers privilégiés, freins à lever, actions à mettre en place, propositions d'évolutions des politiques publiques) ;

remise au Gouvernement de ces propositions de feuille de routes, courant 2023, pour alimenter les décisions dans le cadre de la planification écologique ;

travail d'alignement de ces propositions de feuilles de route avec les orientations de la planification écologique, lorsque ces dernières auront été précisées, afin de « permettre aux pouvoirs publics et aux filières de partager une même trajectoire de transition et de prendre des engagements réciproques sur les moyens à mettre en oeuvre par chaque partie prenante pour la déployer ».

En outre, un comité scientifique a été mis en place afin de formuler un avis indépendant sur les propositions de feuilles de route élaborées par les filières et des recommandations pour la suite des travaux.

Source : ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

À ce jour, six propositions de feuilles de routes de filières ont été remises au Gouvernement, dont quatre concernent directement le secteur des transports. D'après le site internet du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ces documents « ne constituent pas la feuille de route du Gouvernement et les propositions d'évolution des politiques publiques qu'ils contiennent n'engagent pas l'État. »

· Le secteur du transport aérien a été le premier à remettre officiellement au Gouvernement sa proposition de feuille de route le 14 février 2023, dont l'élaboration a été co-pilotée par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) et le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). Elle s'inscrit dans l'objectif de neutralité carbone défini à l'échelle européenne, mais aussi approuvé par l'Assemblée de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) en octobre 2022 (« Long term global aspirational goal » ou LTAG).

Cette proposition de feuille de route retient deux périmètres d'action, compte tenu des spécificités du transport aérien, à savoir :

- un périmètre français, qui correspond au périmètre de la SNBC (origine et destination situés en France) ;

- un périmètre international (ensemble des vols au départ de la France vers l'international).

Pour chacun de ces périmètres, ce document décline deux scénarios, « Action » et « Accélération », qui correspondent à des niveaux d'investissements et d'ambition croissants. Le tableau ci-après résume les résultats estimés en matière de réduction des émissions de COen fonction des scénarios retenus, ainsi que les besoins en énergie décarbonée associés.

Scénarios de décarbonation du secteur aérien
identifiés par la proposition de feuille de route de décarbonation

Source : Synthèse - Feuille de route de décarbonation du transport aérien

· Remise en avril 2023 et pilotée par la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture, d'une part, et par le Cluster maritime français (CMF), d'autre part, la proposition de feuille de route de la filière maritime identifie les leviers permettant d'atteindre les objectifs de décarbonation fixés au niveau international. L'Organisation maritime internationale (OMI) s'est en effet engagée à :

- réduire de 50 % les émissions en valeur absolue du secteur d'ici 2050 par rapport à 2008 ;

- diminuer l'intensité carbone de la flotte mondiale de 40 % en 2030 par rapport à 2008.

D'après la proposition de feuille de route, le secteur maritime peut agir sur quatre familles de leviers, à savoir l'efficacité énergétique des navires (technologique, opérationnelle), l'écoconception, la construction et la fin de vie, mais aussi le changement d'énergie (recours à des énergies moins carbonées, électrification à quai) et l'excellence opérationnelle (diminution de la vitesse des navires, éco conduite). Ce document présente ainsi sept trajectoires énergétiques pour réduire les émissions du secteur maritime, afin de lui permettre d'atteindre ses objectifs de décarbonation.

Les sept scénarios de décarbonation de la filière maritime

Source : Feuille de route de décarbonation de la filière maritime

· La proposition de feuille de route de la chaîne de valeur de l'automobile, pilotée par la Plateforme automobile, identifie cinq principaux leviers de décarbonation du secteur : la demande de transport, la part modale de l'automobile, l'intensité carbone de l'énergie des moteurs, l'efficacité énergétique et le taux d'occupation des voitures. D'après ce document, « si l'électrification du parc automobile constitue le principal gisement de gain à la fois en matière d'intensité carbone de l'énergie utilisée que d'efficacité énergétique, il sera loin d'être suffisant pour atteindre les objectifs climatiques à horizon 2030, impliquant la nécessaire mobilisation des autres leviers ». Le graphique ci-après représente le concours attendu de ces différents leviers alternatifs pour atteindre les objectifs de décarbonation du secteur.

Source : Proposition de feuille de route de décarbonation de la chaîne de valeur de l'automobile

· Enfin, la proposition de feuille de route de la chaîne de valeur des véhicules lourds, également remise en mai 2023, identifie dix leviers de décarbonation pour atteindre les cibles de baisses d'émissions. Compte tenu de la grande variété de véhicules lourds et des usages associés, il est estimé que la décarbonation de la chaîne de valeur justifie de mobiliser l'ensemble des moyens disponibles, à savoir :

- le verdissement de la motorisation des véhicules ;

- l'efficacité énergétique des véhicules ;

- l'augmentation de chargement des poids lourds et les taux de remplissage des transports collectifs ;

- la réduction des distances parcourues ;

- le report modal.

2. La stratégie nationale hydrogène est en passe d'être révisée

L'hydrogène fait l'objet de stratégies spécifiques, mais qui sont également en passe d'être revues, dans le cadre de la prochaine révision d'ensemble de la stratégie énergétique nationale.

En 2018, le Plan de déploiement de l'hydrogène pour la transition énergétique28(*) a introduit pour objectifs 20 à 40 % d'hydrogène décarboné dans l'hydrogène industriel d'ici 2028, ainsi qu'un parc de 20 000 à 50 000 véhicules légers, 800 à 2 000 véhicules lourds et 400 à 1 000 stations29(*). Pour y parvenir, il a été prévu d'allouer 100 M€ au déploiement de l'hydrogène décarboné, à compter de 2019. Dans le domaine des transports, le plan a prévu une valorisation des usages de la mobilité, en complémentarité avec les filières batterie, qu'il s'agisse des véhicules lourds routiers, mais aussi des bateaux, des trains et de l'aéronautique.

En 2020, la Stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France30(*) a introduit un objectif d'installation de 6,5 GW de capacités de production d'hydrogène décarboné par électrolyse. Cette stratégie a été dotée d'un montant de 7 Mds €, dont 3,4 Mds € pour 2020-2023 répartis entre l'industrie, à hauteur de 54 %, les transports, pour 27 %, et la recherche et l'innovation, pour 19 %. Dans le domaine des transports, le choix a été fait de cibler le recours à l'hydrogène sur la mobilité lourde31(*), en complément des batteries électriques, dans la mesure où ce marché a été identifié comme mature et dynamique.

L'hydrogène a été soutenu par le Plan de relance de 2020, à hauteur de 2 Mds €, dont 350 M€ pour les briques et démonstrateurs et 275 M€ pour les écosystèmes territoriaux, et le Plan d'investissement de 2021, à hauteur de 2 Mds €, dont 1,7 Mds € pour les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) et 200 M€ pour les écosystèmes territoriaux.

Cette stratégie a été consolidée par la déclaration du Président de la République, sur la politique de l'énergie, tenue à Belfort, le 10 janvier 2022 : en effet, ce dernier a promu le développement de l'hydrogène bas-carbone, d'origine nucléaire ; il a également rappelé le soutien de l'État aux projets d'électrolyseurs (114 M€) et de réservoirs (246 M€) d'hydrogène.

3. Le Parlement sera appelé à examiner le projet de loi quinquennale sur l'énergie et le climat pour réviser des objectifs désormais obsolètes

Depuis la loi « Énergie-Climat » de 201932(*) il est prévu qu'une loi détermine les objectifs et les priorités d'action de la politique énergétique nationale (article L. 100-1 A du code de l'énergie).

Cette loi doit fixer plusieurs objectifs énergétiques, dont celui de diversification du mix de production d'électricité, et plusieurs objectifs climatiques, dont celui de réduction des émissions de GES.

Cette loi doit prévaloir sur tous les documents réglementaires existants, dont la PPE et la SNBC, ainsi qu'en a voulu le Sénat.

Maintenant que le cadre réglementaire européen issu du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » commence à être appliqué, elle est de fait nécessaire pour réviser des objectifs nationaux désormais pour la plupart obsolètes et mettre en cohérence le cadre national avec le cadre européen.

L'hydrogène vert, les carburants de synthèse et des biocarburants sont déjà inclus, de manière implicite, à cette loi : en effet, le législateur, et singulièrement le Sénat, a souhaité fixer un objectif de développement, sur deux périodes successives de 5 ans, d'une part, des EnR pour le carburant, mais aussi la chaleur, l'électricité et le gaz, dès 2019, et d'autre part, de l'hydrogène renouvelable et bas-carbone, en 202133(*).

De plus, la PPE et la SNBC devront être révisées par décret, dans un délai de douze mois suivant cette adoption (article 141-4 du code de l'énergie et L. 222-1 C du code de l'environnement).

L'échéance du 1er juillet 2023, fixée pour l'adoption du premier exercice de cette loi, par l'article 100-1 A du code de l'énergie, ne sera assurément pas respectée. Toutefois, à l'occasion du débat annuel sur l'application des lois au Sénat, le ministère de la transition énergétique (MTE) a confirmé qu'un projet de loi de programmation énergie-climat serait présenté à l'automne, précisant qu'un grand chantier de concertation a été lancé en mai, pour aboutir en juillet, après une concertation citoyenne, d'octobre 2022 à février 2023. De plus, il a indiqué que les nouvelles PPE et SNBC seraient présentées à l'été et publiées l'année suivant l'adoption du projet de loi.

C'est dans cette perspective politique, ainsi que dans celle de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2024 - qui inclura notamment les mesures fiscales associées au projet de loi relatif à l'industrie verte -, que se placent les travaux de cette mission d'information.


* 27 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 28 Le document est consultable ci-contre.

* 29 Comme indiqué plus haut, ces objectifs ont été inscrits dans la loi, en 2019 et la PPE, en 2020.

* 30 Le document est consultable ci-contre.

* 31 Véhicules utilitaires légers (VUL), poids lourds (PL), bennes à ordures ménagères (BOM), trains régionaux ou interrégionaux en zone non électrifiée.

* 32 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (Article 2).

* 33 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (Article 87).

Les thèmes associés à ce dossier