II. LES OUBLIÉS DU MODÈLE DE FINANCEMENT DES AOM

A. LE FINANCEMENT DE L'INVESTISSEMENT EST ENTOURÉ DE PLUSIEURS INCERTITUDES

1. Les perspectives de financement de l'investissement par recours à l'emprunt des collectivités territoriales sont affectées d'incertitudes dans le contexte inflationniste actuel

Le financement des infrastructures des transports du quotidien repose fortement sur les emprunts des AOM. En 2020, le recours à l'emprunt représentait 706 millions d'euros, soit 7 % du total de leurs ressources.

Conformément à la « règle d'or » posée à l'article L. 1612-4 du code général des collectivités territoriales, ces emprunts ne peuvent servir qu'à financer les investissements, la section de fonctionnement devant être votée à l'équilibre.

Ce montant peut être rapporté au volume global des emprunts des communes et des EPCI à fiscalité propre (budgets principaux et annexes consolidés), qui représentait en cumulé 12 milliards d'euros en 202074(*).

Le financement par l'emprunt de l'investissement des collectivités territoriales est cependant affecté de fortes incertitudes dans le contexte inflationniste actuel.

Comme le souligne l'OFGL, la hausse forte et soudaine des taux d'intérêt qui a résulté de la sortie de la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne (BCE) « a directement pesé sur le financement des collectivités locales, qui ont vu les propositions de conditions de taux augmenter fortement, impactant de fait le coût de la dette. Ce sujet, quasiment disparu des problématiques locales ces dernières années en raison de taux très faibles, refait ainsi son apparition. Selon l'observatoire de la dette Finance Active75(*), le taux d'intérêt moyen auquel les collectivités de son panel ont emprunté a fortement augmenté, passant de 0,62 % en 2021 à 2,07 % en 2022. À cet effet flux, s'ajoute un effet sur la part variable du stock, avec par exemple des indexations sur Euribor ou sur le Livret A. Au final, le taux moyen de l'encours de dette au 31 décembre (moyennes pondérées par les encours de dette des taux en vigueur) connait sa première hausse depuis 2011, passant de 1,72 % fin 2021 à 2,01 % fin 2022, toujours d'après la même étude ».

Si l'impact de ce phénomène est encore limité en 2022, du fait notamment de la part de l'encours restée à taux fixe, l'OFGL considère qu'il pourrait être nettement plus important dans les années à venir.

Ce constat est d'autant plus préoccupant que, toujours selon l'OFGL, les dépenses d'équipement sont particulièrement affectées par l'inflation, principalement du fait de l'évolution des coûts des matériaux et du niveau des salaires dans les secteurs de la construction et des travaux publics.

2. Les contributions de l'État au financement des infrastructures ont jusqu'ici été très limitées

Initiés en 2007 dans le cadre du Grenelle de l'environnement mis en oeuvre par l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT), les appels à projets (AAP) TSCP constituent, hors aides de crise, l'essentiel de la contribution de l'État au financement des AOM (1 % des ressources, emprunt compris). L'État s'était alors engagé à apporter une enveloppe de 2,5 milliards d'euros d'ici 2020 aux AOM pour le financement de leurs infrastructures de TCSP.

À ce jour, 4 appels à projets TCSP ont ainsi été lancés :

- le 1er AAP (2008) a prévu une enveloppe de 810 millions d'euros, permettant de financer 50 projets de TCSP portés par 36 AOM ;

- le 2ème AAP (2010) a prévu une enveloppe de 590 millions d'euros, permettant de financer 78 projets portés par 54 AOM ;

- le 3ème AAP (2013) a prévu une enveloppe de 450 millions d'euros, permettant de financer 99 projets portés par 70 AOM ;

- le 4ème AAP (2020) a prévu une enveloppe de 450 millions d'euros, finalement portée à 900 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, permettant de financer 162 projets portés par 95 AOM.

Synthèse des appels à projets TCSP

 

Lancement - résultats

Montant
(en millions d'euros)

Lauréats

Nombre de projets subventionnés

1er AAP

2008-2009

800

36

50

2e AAP

2010-2011

592

54

78

3e AAP

2013-2014

450

70

99

4e AAP

2020-2021

900

95

162

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du GART au questionnaire des rapporteurs

Les deux premiers AAP ont principalement ciblé le financement de projets d'infrastructures de tramways de bus à haut niveau de service (BHNS) et, dans une moindre mesure, les liaisons maritimes. Ces objectifs continuent d'occuper une place prépondérante dans les deux AAP suivants, qui ont toutefois porté une attention accrue aux spécificités des zones urbaines et à la desserte des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), au développement de parcs à vélo et aux pôles d'échanges multimodaux (PEM) en zones peu denses.

Dans son rapport de synthèse relatif à la stratégie 2023-2042, le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) souligne le caractère de « levier incitatif déclencheur » des financements apportés par l'État dans le cadre des projets d'investissement des AOM, alors que « le développement des transports collectifs urbains représente (...) pour les collectivités une charge extrêmement lourde pour l'entretien et l'exploitation des services ». S'il juge qu'il reste « souhaitable que les usagers apportent une contribution la plus significative possible aux financements des dépenses courantes », il constate cependant que les AOM « ne peuvent pas toutes en l'état de leurs recettes faire face aux importantes dépenses d'investissement nécessaires ».

Le problème se pose également en matière de mobilités actives, le COI notant que « dans les pays où les efforts les plus importants ont été réalisés, cela ne s'est pas fait sans un appui de l'État central ou fédéral ».

Enfin, le COI relaye les critiques exprimées par le GART sur le cadencement de ces AAP, espacés d'un trop grand nombre d'années. Cette méthode conduirait en effet « à désigner lauréats des projets qui ne sont pas encore matures ce qui pose ensuite des difficultés de mobilisation des crédits ». Ce défaut de programmation des appels à projets peut amener certaines AOM à présenter des projets moins matures et qui peuvent évoluer entre la candidature et le subventionnement, voire qui sont susceptibles d'être abandonnés, au détriment de subventions qui auraient pu être octroyées aux autres projets présentés. Le GART soulève également une autre difficulté, qui réside dans la temporalité des projets dont le calendrier (études, décision politique ...) ne correspond pas toujours à celui de l'État. Il y a ainsi eu par le passé des projets qui n'ont pas pu bénéficier des financements AAP, telle que la troisième ligne de tramway de Saint-Etienne, décidée après le lancement de l'AAP.

Il est à cet égard significatif de constater la faible consommation des crédits octroyés aux lauréats dans le cadre des AAP TCSP : selon le COI, 770 millions d'euros d'autorisations d'engagement restent à consommer sur 2023-2027, et plus d'1,2 milliard d'euros de crédits de paiement restent à décaisser jusqu'en 2030, voire au-delà.

Le taux de projets annulés est également préoccupant : d'après les données transmises aux rapporteurs par l'AFIT, 19 % des projets sélectionnés au titre des AAP 1, 2 et 3 ont été annulés. En termes de montant, ces annulations correspondent à 7 % des investissements totaux prévus et à 7 % des subventions annoncées. Le coût global des travaux annulés s'élèvent à 1,2 milliard d'euros (tous financeurs confondus).

Pour être exhaustif, peuvent être évoquées les dotations d'investissement de l'État aux communes et EPCI « de droit commun » financées par les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Ces dispositifs permettent de financer des projets portés par les communes et leurs groupements, sur décision du préfet de département ou de région.

La DETR, la DSIL et la DSIL exceptionnelle

La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) sont des dotations de l'État financées sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et destinées à subventionner des projets d'investissements portés par les communes et leurs groupements.

Régie par les articles L. 2334-32 à L. 2334-39 du code général des collectivités territoriales, la DETR est ciblée sur les communes et groupements ruraux répondant à des critères d'éligibilité fondés sur la population et la richesse fiscale en vue de la réalisation d'investissements, ainsi que de projets dans le domaine économique, social, environnemental, sportif et touristique ou favorisant le développement ou le maintien des services publics en milieu rural. Elle est attribuée sur décision du préfet de département. Dans chaque département, une commission d'élus locaux détermine chaque année les catégories d'opérations prioritaires et les taux minimum et maximum de subvention afférents. La commission est également consultée sur les projets pour lesquels le préfet envisage d'octroyer une subvention de plus de 100 000 euros. En loi de finances initiale pour 2023, une enveloppe d'autorisations d'engagement de 1 milliard d'euros est prévue au titre de cette dotation, soit un montant stable par rapport aux années précédentes

Régie par l'article L. 2334-42 du même code, la DSIL vise à soutenir des projets structurants portés par les communes et leurs groupements dans une série de domaines listés par la loi, parmi lesquels le développement d'infrastructures en faveur de la mobilité. En loi de finances initiale pour 2023, une enveloppe d'autorisations d'engagement de 570 millions d'euros est prévue au titre de cette dotation, soit un montant stable par rapport aux années précédentes. Dans le cadre du plan de relance, une enveloppe complémentaire de 1 milliard d'euros d'autorisations d'engagement a été ouverte par la troisième loi de finances rectificative pour 2020 pour financer une DSIL exceptionnelle fléchée sur trois orientations, parmi lesquelles la transition écologique.

Source : commission des finances du Sénat

D'après les données transmises par la DGCL, entre 2018 et 2022, et sans qu'ils ne ciblent spécifiquement les AOM, des projets d'investissement dans le domaine de la mobilité portés par des communes ou groupements ont bénéficié de 187,7 millions d'euros au titre de la DETR et de 397,2 millions d'euros au titre de la DSIL. La DSIL « exceptionnelle » a quant à elle permis de financer des projets dans le domaine de la mobilité en 2020 et 2021 à hauteur de 88,5 millions d'euros.

Au total, 673 millions d'euros de subventions ont ainsi pu être attribués sur la période 2018-2022 au titre de projets dans le domaine de la mobilité, ce qui ne représente toutefois que 7,1 % de l'enveloppe globale ouverte au titre de ces dotations sur cette période.

Synthèse des dotations d'investissement de l'État aux collectivités territoriales attribuées à des projets dans le domaine de la mobilité
sur 2018-2022

(en nombre de projets, en millions d'euros et en pourcentage)

 

Nombre de projets mobilité

Subventions octroyées

(en millions d'euros)

Part des subventions dans l'enveloppe globale 2018-2022

DETR

5 528

187,6

3,6 %

DSIL

2 011

397,2

12,4 %

DSIL exceptionnelle

461

88,5

8,8 %

TOTAL

8 000

673,3

7,1 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGCL au questionnaire des rapporteurs

3. Les investissements dans le matériel roulant : les AOM abandonnées à leur sort pour financer le verdissement des flottes de bus

Alors qu'une évolution de la législation européenne tendant à interdire les ventes de bus urbains neufs à motorisation thermique à horizon 2030 est annoncée, les AOM - qui n'ont bénéficié à cet égard d'aucun soutien de l'État dans le cadre des négociations communautaires (voir Première partie, I-A-2) - pourraient se trouver contraintes de financer un verdissement global de leur flotte à cette échéance.

Pour financer ces investissements, le GART a demandé, lors de son interpellation aux candidats à l'élection présidentielle 2022, que l'État soutienne les AOM, à hauteur de 2 milliards sur le quinquennat pour la conversion de l'ensemble de leurs parcs de véhicules vers des matériels à plus faibles émissions. Il relève à cet égard que, dans d'autres pays européens comme l'Allemagne, le Bund et les Länder participent très largement au financement du verdissement du parc.

Jusqu'ici, les dispositifs de soutien budgétaire à la transition des flottes de véhicules lourds n'ont que très marginalement concerné les AOM. L'AAP « écosystèmes de véhicules lourds électriques » 2022 géré par l'ADEME n'a bénéficié qu'à quatre AOM. Reconduit en 2023 et doté de 60 millions d'euros, cet AAP est concentré sur les camions et ne comporte aucun financement pour les bus urbains.

Il convient également de relever l'important rôle de prêteur de la Banque des territoires pour financer les investissements des collectivités territoriales dans le domaine des mobilités. Entre 2014 et 2022 en particulier, dans le cadre des dispositifs « Prêts croissance verte » puis « Mobi-prêts » cette direction de la Caisse des dépôts et consignations s'est engagée pour 2,5 milliards d'euros de prêts en faveur de projets liés aux transports, dont 279 millions d'euros au titre de projets de renouvellement du matériel roulant de transports en commun (bus, tramway, métro, TER).

Prêts de la Banque des territoires en faveur des projets portés par les collectivités territoriales dans le domaine des mobilités sur la période 2014-2022

(en millions d'euros et en nombre de projets)

Projets financés

Montants de contrats de prêts signés
(en millions d'euros)

Nombre de projets

Société du Grand Paris pour financer les infrastructures du Grand Paris

1 000

1

Infrastructures de transports en commun (Ferroviaires, Bus , Tramway, Métro, Téléphériques urbains)

613

69

Routes et voiries

337

410

Matériel roulant de transports en commun (Bus, Tramway, Métro, TER)

279

22

Pistes cyclables

80

64

Infrastructures portuaires

96

20

Pôles d'échange multimodaux, autopartage, covoiturage

34

23

Rénovation et renouvellement d'ouvrages d'art (ponts, tunnels,...)

24

14

Infrastructures de recharge (IRVE)

12

4

Infrastructures aéroportuaires

5

2

Source : commission des finances, d'après les données transmises aux rapporteurs par la Banque des territoires

Alors que ces aides restent marginales, la question des modalités de financement de ce nécessaire verdissement des flottes de bus reste posée au vu, d'une part, des contraintes qui pèsent sur l'endettement des collectivités territoriales, qui ne saurait être illimité dans le contexte actuel de hausse de taux et, d'autre part, de l'absence de visibilité actuelle sur le soutien budgétaire de l'État.


* 74 Observatoire des finances et de la gestion publiques locales, Rapport annuel 2022.

* 75 Les chiffres de cet observatoire se basent sur un panel de 1 175 collectivités locales, pour un encours dépassant les 100 milliards d'euros.

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