IV. AMÉLIORER LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS

En dernier lieu, les rapporteurs estiment indispensable de mieux protéger les consommateurs, qui pâtissent encore beaucoup de la hausse du prix de l'électricité et, au-delà, de ceux des autres énergies.

Selon le Baromètre Énergie-Info 2022 du MNE115(*), les consommateurs d'énergie font face à de lourdes difficultés : 89 % d'entre eux sont préoccupés par les prix de l'énergie (contre 84 % en 2021) et 82 % estiment qu'elle représente une part importante du budget (contre 79 % en 2021) ; de plus, 43 % d'entre eux estiment que les TRVE sont plus stables (contre 32 % en 2021) et 31 % plus protecteurs (contre 20 % en 2021).

De plus, selon le MNE, les litiges portant sur les interprétations contractuelles abusives sont de 16 % en 2022 (contre 8 % en 2021) ; les mauvaises pratiques commerciales ont représenté 3 % des litiges en 2022 (contre 5 % en 2021) et le démarchage électronique a concerné 47 % des consommateurs en 2022 (contre 55 % en 2021).

Dans ce contexte, les rapporteurs estiment nécessaire de mieux encadrer l'évolution des contrats de fourniture.

En effet, l'article L. 224-10 du code de la consommation a donné lieu à des interprétations litigieuses.

Cet article prévoit que tout projet de modification envisagé par le fournisseur des conditions contractuelles est communiqué au consommateur par voie postale ou, à sa demande, par voie électronique, au moins un mois avant la date. En matière d'électricité ou de gaz, les projets de modification des modalités de détermination du prix de la fourniture, ainsi que les raisons, les conditions et la portée de cette modification, sont communiqués de manière transparente et compréhensible. Le consommateur dispose d'un délai maximal de trois mois pour résilier le contrat.

Or, selon le MNE, « cette disposition législative, qui permet de déroger au principe que toute modification d'un contrat doit faire l'objet d'un accord des deux parties, a permis d'assouplir les conditions dans lesquelles les fournisseurs d'énergie peuvent faire évoluer leurs tarifs ; mais elle a donné lieu à une application et à des interprétations particulièrement défavorables pour les consommateurs. »

Parmi ces interprétations abusives, le MNE relève une mauvaise information sur les évolutions tarifaires, des offres dont les prix ont été attractifs puis ont augmenté ou encore des offres dont les prix ont été indexés sur les TRVE puis les offres de marché.

C'est pourquoi il a indiqué : « Certains fournisseurs d'énergie ont ainsi mal informé leurs clients sur les évolutions tarifaires, soit parce que l'information ne leur parvenait pas du tout, soit parce que cette information n'était pas suffisamment claire sur les conséquences de l'évolution contractuelle qu'ils envisageaient. [...] Certains fournisseurs ont également proposé de manière systématique des offres à activation différée avec des prix très (trop) attractifs, qui ont été augmentés substantiellement une fois le contrat activé. Certains fournisseurs ont même tenté, en se fondant sur cette disposition, de modifier le prix appliqué en vertu de contrats de fourniture d'énergie conclus à un prix fixe pour une période déterminée ! De même, il y a lieu de s'interroger sur la pratique consistant à faire évoluer les conditions d'indexation des prix en se fondant sur les dispositions de l'article L. 224-10 du code de la consommation ; de nombreux fournisseurs d'énergie ont ainsi informé leurs clients un mois avant sa mise en application de la modification des conditions d'indexation des prix, pour passer d'une indexation sur les tarifs réglementés à une indexation sur les prix des marchés de gros. »

Pour répondre à ces difficultés, le MNE a proposé d'allonger le délai de prévenance d'1 à 3 mois, d'exiger une information loyale, complète et circonstanciée et d'interdire la modification des conditions d'indexation.

Aussi a-t-il précisé : « Le MNE propose trois mesures, afin de mieux protéger les consommateurs d'énergie contre les excès que peut engendrer cet article L. 224-10 du code de la consommation : tout d'abord, le délai de prévenance du consommateur apparaît trop court pour permettre au consommateur de prendre les mesures adaptées ; ce délai pourrait ainsi être allongé et porté à deux, voire trois mois, ce qui aurait également l'intérêt de limiter un peu la tentation de certains fournisseurs ; ensuite, devrait être expressément exigée une “ information loyale, complète et circonstanciée ” des consommateurs, afin d'éviter des pratiques abusives, dans lesquelles le consommateur découvre trop tard toutes les conséquences de la modification à laquelle il n'a pas été en mesure de porter suffisamment d'attention ; enfin, il ne devrait plus être permis de modifier les conditions d'indexation des prix en se fondant sur l'article L. 224-10 du code de la consommation ; il est proposé de considérer qu'il ne s'agit pas d'une simple modification du contrat, mais bien d'un nouveau contrat, ce qui nécessite de recueillir le consentement explicite du consommateur. À titre d'illustration, en Belgique, depuis le 1er janvier 2022, les fournisseurs d'énergie doivent informer clairement leurs clients de l'expiration de leur contrat [...] en leur envoyant une nouvelle proposition de contrat deux mois au moins avant l'expiration du contrat [...] et en leur demandant d'accepter expressément la nouvelle proposition. Si le client ne répond pas, le fournisseur doit attribuer à son client le produit équivalent le moins cher. »

Les rapporteurs partagent les positions précitées du MNE, les évolutions proposées étant de nature à mieux protéger les consommateurs face à la hausse du prix de l'électricité.

Autre évolution, les rapporteurs jugent indispensable de renforcer l'information des consommateurs sur le caractère risqué ou non des offres.

En effet, l'article D. 332-2 du code de l'énergie assimile à des contrats à prix fixes et à durée déterminée ceux pour lesquels le prix de la fourniture de l'énergie est fixé pour un volume et une ou des puissances et ne varie pas en fonction des évolutions des prix sur le marché de gros sur la durée déterminée, sauf notamment pour tenir compte de l'écrêtement de l'Arenh, prévu au deuxième alinéa de l'article L. 336-3 du même code.

Or, selon le MNE, l'assimilation de telles offres à des offres à prix fixe induit les consommateurs en erreur : « Le MNE considère en effet qu'une " offre de fourniture d'électricité avec écrêtement Arenh “ ne devrait pas pouvoir être considérée comme une " offre à prix fixe “, car ce mécanisme, qui entraîne des frais de résiliation anticipée si le consommateur souhaite rompre le contrat avant la date d'échéance compte tenu de l'augmentation des prix appliqués au contrat, est susceptible d'induire les consommateurs en erreur. Tel a notamment été le cas de professionnels ayant souscrit quelques semaines avant le guichet Arenh une “ offre à prix fixe avec écrêtement Arenh “, et qui se sont vus annoncer le mois suivant une augmentation des prix de 30 %, que le fournisseur a justifiée par le fait que les résultats (pourtant prévisibles) de l'octroi de son quota Arenh moins élevés que ce qu'il avait demandé. Dans un tel cas, les consommateurs sont engagés vis-à-vis du fournisseur pendant toute la durée déterminée de son contrat, et peuvent se voir facturer des frais en cas de résiliation anticipée d'un montant très élevé, parfois plusieurs dizaines de milliers d'euros, alors qu'il est loin d'être évident qu'il s'agisse bien juridiquement d'un “ prix fixe “. »

Plus encore, les rapporteurs estiment souhaitable de compléter le comparateur d'offres du MNE.

Prévu à l'article L. 122-3 du code de l'énergie, le comparateur d'offres a été récemment consolidé. D'une part, dès la loi « Énergie-Climat », de 2019116(*), il a été prévu que ces critères de tri rendent compte de la part d'énergie dont l'origine est renouvelable. D'autre part, depuis la loi « Climat-résilience », de 2021117(*), il a été prévu que ces critères de tri distinguent les offres à tarification dynamique.

Il serait souhaitable d'aller plus loin aujourd'hui, par exemple, en distinguant les offres fixes de celles bénéficiant d'un écrêtement de l'Arenh, ou encore en faisant état des sanctions notamment du CoRDiS frappant certains fournisseurs, selon une logique de name and shame.

Cela répondrait à la position de la CRE, qui s'est dite « également favorable à l'instauration d'obligations de transparence et d'information des consommateurs plus importantes, par exemple sur le caractère risqué ou non des offres proposées. »

Cela répondrait aussi à celle d'EDF, qui plaide pour « davantage de publicité aux comportements dévoyés de certains fournisseurs, notamment concernant ceux suspendant leur développement commercial ou encourageant leurs clients à rejoindre le fournisseur historique pendant les périodes hivernales. »

Selon la CLCV, tous les comparateurs d'offres, dont celui du MNE, ont fait l'objet de difficultés, qui doivent maintenant être corrigées : « Quant à l'optimisation Arenh “ avril août ” elle ridiculise tout simplement le secteur, y compris l'ensemble des comparateurs qui ont mis en avant ce type d'offre au classement au printemps 2022. Nous regrettons beaucoup que le comparateur du médiateur ait fait de même plutôt que de préconiser la sécurité du TRV. »

Un autre enjeu pour les rapporteurs est la nécessité de protéger les TPE, à l'instar des consommateurs résidentiels.

Actuellement, les TPE sont mises sur le même plan que les consommateurs résidentiels pour l'application des TRVE : l'article L. 337-7 du code de l'énergie prévoit que ces tarifs bénéficient, à leur demande, pour les sites souscrivant une puissance inférieure à 36 kVA aux consommateurs finals domestiques118(*) et aux consommateurs finals non domestiques employant moins de 10 personnes et dont le CA, les recettes ou le total de bilan annuels n'excède pas 2 M€.

Pour autant, les TPE, qui relèvent du code de commerce, ne bénéficient pas de la même protection que celle prévue pour les consommateurs finals domestiques, au titre du code de la consommation.

C'est pourquoi le MNE a proposé de leur étendre ces protections en ces termes : « Le MNE suggère également de mieux protéger les TPE, en les faisant bénéficier de la protection reconnue par le code de la consommation aux consommateurs domestiques. Il apparaît en effet que les très petits professionnels, qui consomment et se comportent à bien des égards comme des consommateurs particuliers, ne bénéficient pas de toutes les protections édictées pour les particuliers par le code de la consommation. »

Parmi les différences de traitement relevées par le MNE figurent les frais liés à la résiliation anticipée du contrat de fourniture : « À la différence des particuliers qui peuvent changer de fournisseur d'électricité ou de gaz naturel à tout moment, les TPE sont, comme tout consommateur professionnel, le plus souvent engagées auprès d'un fournisseur d'énergie pour une durée fixe, d'une ou plusieurs années, avec facturation de frais en cas de résiliation anticipée du contrat de fourniture. Ces frais sont souvent d'un montant très élevé, de l'ordre de plusieurs milliers d'euros, parfois plus : ces petits professionnels peuvent donc se retrouver dans l'impossibilité de résilier un contrat particulièrement désavantageux, comme on l'a vu pour des contrats souscrits au cours de l'été 2022, alors que les prix étaient particulièrement élevés. »

Hormis les TPE, les rapporteurs préconisent de conserver la spécificité des gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d'électricité119(*) dans le cadre du dispositif de l'Arenh.

Ces derniers bénéficient en effet de l'Arenh pour couvrir leurs pertes, selon l'article L. 336-2 du code de l'énergie.

Il est essentiel que cette spécificité, qui est destinée à compenser les pertes d'électricité sur les réseaux, soit conservée. Elle est d'autant plus légitime que son niveau est modique, de 26,4 TWh en 2022, contre 119,5 TWh pour les fournisseurs alternatifs. Ce montant est toutefois en légère augmentation, avec 26,6 TWh en 2023, contre 26,2 TWH en 2020 (+ 1,53 %).

Dans ce contexte, RTE a indiqué souhaiter « conserver les modalités de calcul et d'attribution de l'Arenh pour les gestionnaires de réseaux, notamment l'absence d'écrêtement et le maintien du coefficient de bouclage à son niveau actuel de 0,964, permettant de conserver une part relativement faible (20 %) de nos achats de pertes exposés aux prix de marché ».

Plus encore, cette spécificité pourrait être facilitée, en envisageant que ces gestionnaires puissent s'approvisionner directement en Arenh, sans nécessiter de fournisseur d'électricité.

Aussi RTE a-t-il précosé vouloir « bénéficier le cas échéant de ses droits Arenh directement sans passer par un fournisseur intermédiaire. En effet, actuellement, RTE doit acheter son volume Arenh auprès d'un fournisseur qualifié à l'aide d'un produit spécifique (96,4 % Arenh pur + 3,6 % spot) ce qui complexifie le dispositif, et donne lieu à une commission auxdits fournisseurs. »

Enfin, les rapporteurs plaident pour que la réforme du marché européen de l'électricité soit l'occasion de protéger les consommateurs.

Tout d'abord, il faut élargir les TRVE, que la directive du 5 juin 2019120(*) réserve aux consommateurs finals domestiques et aux consommateurs finals non domestiques, employant moins de 10 personnes et dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n'excède pas 2 M€.

Si le projet de directive121(*), proposé par la Commission dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité, permet des interventions publiques dans la fixation des prix, en situation de crise des prix, plusieurs difficultés subsistent : tout d'abord, ce serait la Commission européenne, et non les États membres, qui en auraient l'initiative ; plus encore, ils ne seraient appliqués que pour une durée d'un an au maximum ; de surcroît, ils nécessiteraient une situation de crise, avec une hausse des prix de gros de 2,5 fois le prix moyen et une hausse des prix de détail 70 % ; enfin, ils ne permettraient des interventions ciblées que dans la limite de 70 % de la consommation des PME et de 80 % de celle des ménages.

La question des TRVE est prégnante pour les acteurs auditionnés.

Ainsi, la FNME-CGT a plaidé pour appliquer les TRVE « aux usagers résidentiels, aux PME et ETI et aux collectivités », la FNME-FO pour « revenir au système initial du vrai TRVE » avec « une tarification fondée sur le mix énergétique français » et la CFDT-FCE pour que ces tarifs soient « fixés par la puissance publique [...] et pas sur l'historique empilement des coûts. »

Dans le même esprit, l'UFC-Que Choisir a estimé « indispensable de maintenir un tarif réglementé » reflétant « les coûts du mix-électrique français » et la CLCV « nécessaire de réformer le système de calcul du TRV que la CRE manipule pour faire vivre la concurrence et saper la pertinence du TRV ».

Plus encore, il faut encadrer les contrats à tarification dynamique, que la directive précitée présente comme un droit pour tout consommateur équipé d'un compteur intelligent ou dont le fournisseur d'électricité dispose de plus de 200 000 clients122(*).

Si le projet de directive prévoit que les États membres veillent à ce que les clients disposent d'une obligation d'information sur les contrats à tarification dynamique (opportunités, couts, risques, compteurs), il importe de garantir leur caractère national, plutôt européen, et facultatif, plutôt qu'obligatoire.

C'est pourquoi la CFDT-FCE a indiqué : « [Avec] le développement d'offres innovantes et en particulier avec le développement des offres à tarification dynamique, il y a clairement un besoin très fort d'accompagnement des consommateurs. »

Enfin, il faut garantir la fourniture d'électricité, en appliquant à davantage de consommateurs les fournisseurs de secours, la protection contre les coupures et l'accès au service universel.

Si le projet de directive prévoit que les États membres mettent en place un fournisseur de secours et un service universel, ce n'est que pour les clients résidentiels ; et si ce projet prévoit l'interdiction des coupures, ce n'est que pour les clients vulnérables.

Recommandation n° 4 : Améliorer la protection des consommateurs, en :

- Encadrant mieux l'évolution des contrats de fourniture (délai de prévenance, exigence d'information loyale, complète et circonstanciée, interdiction de modification des conditions d'indexation) (article L. 224-10 du code de la consommation) ;

- Renforçant l'information des consommateurs sur le caractère risqué ou non des offres, notamment celles bénéficiant d'un écrêtement de l'Arenh (article D. 332-2 du code de l'énergie) ;

- Complétant le comparateur d'offres du MNE (article L. 122-3 du code de l'énergie) ;

- Protégeant les TPE comme des consommateurs résidentiels ;

- Conservant la spécificité des gestionnaires de réseaux de distribution et de transport d'électricité ;

- Soutenant l'élargissement des TRVE et l'encadrement des contrats à tarification dynamique dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité.


* 115 Le baromètre est consultable ci-contre.

* 116 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (Article 66).

* 117 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (Article 96).

* 118 Y compris les propriétaires uniques et les syndicats de copropriétaires d'immeubles uniques à usage d'habitation.

* 119Ainsi que des entreprises locales de distribution (ELD).

* 120 Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) (Article 5).

* 121 Le document est consultable ci-contre.

* 122 Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) (Article 11).

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