N° 835

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les établissements publics fonciers (EPF) et les établissements publics d'aménagement (EPA),

Par M. Jean-Baptiste BLANC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial des crédits de la mission « Cohésion des territoires » (logement et urbanisme) a présenté le mercredi 5 juillet 2023 les conclusions de son contrôle budgétaire sur les établissements publics fonciers (EPF) et les établissements publics d'aménagement (EPA).

I. CONSTRUIRE UNE NOUVELLE GOUVERNANCE DE LA MAÎTRISE DU FONCIER EN COHÉRENCE AVEC LA GOUVERNANCE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. L'ENSEMBLE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS FONCIERS ET DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'AMÉNAGEMENT REGROUPE UNE DIVERSITÉ DE SITUATIONS LOCALES

Les établissements publics fonciers (EPF) interviennent en amont d'un projet (acquisition du foncier). De niveau régional ou métropolitain, ils ont vocation à exister de manière permanente au service des collectivités locales.

Les établissements publics d'aménagement (EPA) de l'État réalisent des travaux préparatoires à la construction de logements ou de bâtiments d'activités. Ils sont en général créés sur le périmètre d'une opération particulière (opération d'intérêt national).

Si certains sont anciens, un grand nombre d'entre eux ont été créés depuis le début du 21e siècle et l'impact socio-économique de l'activité des EPF et EPA est aujourd'hui considérable

Les EPF d'État et locaux recouvrent

Les EPF d'État ont contribué à la production de

Les EPA ont généré un PIB de

... pour un montant de subventions de

 
 
 
 

de la population.

logements en 2021, dont 40 % de logements sociaux.

entre 2015 et 2025...

soit un effet multiplicateur PIB / effort public de 24.

La gouvernance de ces établissements, où les collectivités territoriales sont majoritaires, en fait de véritables lieux de dialogue autour des enjeux locaux en matière foncière. Ils apparaissent comme l'une des indispensables contreparties au désengagement de l'État dans les territoires.

B. CES ÉTABLISSEMENTS PEUVENT CONSTITUER LE COEUR D'UN PÔLE RÉGIONAL DE CONSEIL ET D'ACTION AU SERVICE DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Les communes, détentrices de la compétence en urbanisme et donc de la maîtrise du sol, traversent une période où les contraintes se multiplient : des plans de protection contre les risques (risque incendie, risque d'inondation...) menacent de réduire le potentiel de terrains constructibles, mais surtout l'objectif de sobriété foncière ou « zéro artificialisation nette » s'impose désormais comme un paramètre structurel majeur de l'action locale.

Compte tenu des avantages apportés par leur gouvernance, les EPF et EPA, et plus particulièrement les EPF en raison de leur vocation à couvrir l'intégralité d'un territoire, présentent toutes les caractéristiques leur permettant de devenir le coeur d'un dispositif de conseil et d'action, au service des collectivités territoriales, sur les enjeux de la maîtrise foncière.

Au-delà de l'action foncière proprement dite (acquisition, portage et cession), ces établissements sont en capacité d'apporter une offre de services et d'ingénierie complémentaire sur les aspects techniques ainsi que pour le montage financier des opérations.

C. LA CARTE DE FRANCE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS FONCIERS DOIT TOUTEFOIS ÊTRE ACHEVÉE

Les EPF ont une tendance naturelle à faire coïncider leur périmètre avec celui de la région, ce qui leur permet de constituer un pôle d'expertise foncière face à l'autorité politique. Si la dynamique de création d'établissements publics fonciers des années 2000 et 2010 a permis de couvrir une grande partie du territoire français, il reste de vastes « zones blanches » où les collectivités ne bénéficient pas de l'appui d'un EPF.

Les établissements publics fonciers d'État et locaux (août 2021)

Il est nécessaire à présent de tendre vers une couverture complète du territoire par des établissements publics fonciers, sans remettre en cause les EPF locaux là où ils font leurs preuves au service des collectivités.

D. LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA TUTELLE DOIVENT ÊTRE RATIONALISÉES

La tutelle est le contrôle exercé par l'État sur les établissements publics fonciers ou d'aménagement d'État. Ce contrôle est indispensable, mais en pratique les demandes sont nombreuses, proviennent d'administrations différentes et ne sont pas toujours bien coordonnées.

Une rationalisation de la tutelle, sans porter atteinte à son efficacité, permettrait de réduire les ressources que doivent y consacrer les établissements au détriment de leur action « métier ».

II. ADAPTER L'ACTION DES EPF ET EPA À LA MISE EN OEUVRE DES OBJECTIFS DE SOBRIÉTÉ FONCIÈRE

A. LES MOYENS D'UNE ACTION FONCIÈRE DE PLUS LONG TERME DOIVENT ÊTRE MIS EN PLACE

L'action foncière d'un établissement public foncier passe par trois phases : acquisition, portage et cession.

Les trois étapes d'une intervention pour un établissement public foncier

ABF : Architectes des Bâtiments de France.

Source : commission des finances

La complexité des opérations va être amenée à croître dans les années à venir avec la quasi fin des opérations en extension urbaine et la nécessité de travailler en milieu déjà urbanisé ou en tout cas déjà artificialisé, ce qui accroîtra les délais de réalisation des opérations. Il est également important que les collectivités aient les moyens de mener une action de maîtrise foncière résolue sur le moyen et long terme afin de se prémunir contre les hausses de coût qui résulteront de la raréfaction du foncier avec la mise en oeuvre du principe « zéro artificialisation nette ».

Or l'horizon de portage actuel des EPF, souvent limité à cinq ou dix ans, est, dans bien des cas, insuffisant, en particulier pour les EPF d'État qui font l'objet d'une pression de la tutelle pour accélérer la rotation des stocks.

Si la structure de l'EPF elle-même n'est pas nécessairement appropriée à un portage foncier de long terme, il est nécessaire d'encourager la création de foncières pour assurer une maîtrise foncière sur le plus long terme.

En outre, les modalités d'action des EPF et EPA, inscrites de manière limitative dans le code de l'urbanisme, pourraient être adaptées en fonction des situations locales. Un établissement public foncier pourrait ainsi être autorisé à exercer des actions d'aménagement dans une zone rurale où l'offre privée fait défaut, et un établissement situé en zone dense devrait disposer d'outils pour agir de manière plus efficace dans des zones pavillonnaires où une stratégie de micro-densification peut avoir des résultats sensibles en termes de production de logements.

Il sera enfin nécessaire de mener une action foncière beaucoup plus volontariste dans les sites environnant les grandes gares nouvellement créées.

B. LES EPF ET EPA DOIVENT DISPOSER D'UN ACCÈS À TOUTES LES DONNÉES NÉCESSAIRES À LEUR ACTION

Les établissements publics fonciers ont une mission d'appui aux collectivités territoriales et à leurs groupements en matière d'observation foncière.

Afin de mener leur action de manière générale, l'accès aux données relatives au marché de l'immobilier et du foncier est déterminant afin qu'ils soient en mesure d'identifier des opportunités d'acquisition permettant de mettre en oeuvre les objectifs fixés dans leur programme pluriannuel d'intervention.

Il est nécessaire en conséquence d'ouvrir plus largement à ces établissements les bases de données relatives aux transactions et aux locaux vacants, tout en améliorant les délais de mise à jour de certaines de ces bases.

III. GARANTIR DES CONDITIONS DE FINANCEMENT ADAPTÉES AUX MISSIONS DES ÉTABLISSEMENTS

A. LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS FONCIERS EST FONDÉ SUR UN ÉQUILIBRE DURABLE ENTRE ACQUISITIONS ET CESSIONS

Le modèle économique d'un EPF repose sur une montée en charge progressive : la ressource fiscale et les emprunts, déterminants au lancement de l'établissement, sont complétés par les recettes de cession lorsque les premières opérations sont achevées.

En pratique, toutefois, la ressource fiscale demeure nécessaire sur le long terme car les établissements s'étendent et les sollicitations s'accroissent.

Modèle économique simplifié des établissements publics fonciers

Source : commission des finances

Elle permet aussi d'accorder des minorations sur le prix de cession aux collectivités ou aux opérateurs, qui permettent de financer par exemple des opérations de construction de logements sociaux.

B. LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'AMÉNAGEMENT COMPREND DE TRÈS FORTES DÉPENSES INITIALES, EN PRINCIPE ÉQUILIBRÉES PAR DES RECETTES ÉLEVÉES EN FIN D'OPÉRATION

Le modèle économique d'un EPA est celui de l'équilibre global de l'opération : les fortes dépenses exposées lors de l'acquisition des terrains et des travaux d'aménagement doivent être équilibrées, sans recherche de bénéfices, lors de la cession en fin d'opération.

Le modèle de financement est complété par des subventions publiques.

Modèle économique simplifié des EPA

Source : commission des finances

C. TOUTEFOIS, LA FIN DU MODÈLE DE L'EXTENSION URBAINE BOULEVERSE LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DU FONCIER

La mise en oeuvre de l'objectif « zéro artificialisation nette » transforme les conditions économiques de la construction de logements, car les coûts de construction et de reconstruction en zone déjà urbanisée sont très supérieurs à ceux d'une opération d'extension urbaine sur des terrains naturels ou agricoles.

La réhabilitation des friches suppose une meilleure connaissance de celles-ci par les EPF et EPA. Elle dépend aujourd'hui et pour les années à venir de subventions publiques, telles que le « fonds friches » du plan de relance ou, aujourd'hui, le « fonds vert ».

Pour aller vers une fin de l'artificialisation nette, les établissements commencent aussi à développer des actions de renaturation, rendues difficiles par la rareté des terrains pouvant en faire l'objet ainsi que par le coût de ces actions, non compensé par des revenus futurs.

D. AVEC LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ LOCALE, LES RESSOURCES DES EPF SONT MOINS BIEN ADAPTÉES À LEURS BESOINS

Ressource majeure des EPF, la taxe spéciale d'équipement (TSE) a été en partie remplacée par une dotation budgétaire. Cette situation n'est guère satisfaisante parce qu'elle soumet à l'annualité budgétaire des établissements dont l'action est par nature de moyen terme. Il serait préférable que, comme avant 2021, la ressource soit assise sur une assiette locale adaptée à l'évolution de l'action de l'établissement.

En outre, une adaptation locale des règles de répartition de la TSE entre les taxes locales (taxe d'habitation, taxes foncières, cotisation foncière des entreprises) devrait être étudiée afin qu'elle ne pèse pas nécessairement sur les mêmes catégories de contribuables dans tous les territoires.

E. LA FISCALITÉ DOIT SOUTENIR L'ACTIVITÉ D'INTÉRÊT GÉNÉRAL DES ÉTABLISSEMENTS

Certains dispositifs fiscaux favorisent l'action foncière des collectivités par l'intermédiaire des établissements publics fonciers. Ils sont justifiés dans la mesure où les EPF agissent dans un domaine non concurrentiel. Certains sont toutefois insuffisamment efficients :

- l'exonération d'imposition sur les plus-values accordée à un particulier qui vend un terrain à un EPF en vue de la construction de logements sociaux est liée à un délai de cession du terrain par l'EPF de trois ans, qui rend le dispositif presque inapplicable : ce délai pourrait être rallongé ;

- la jurisprudence européenne et nationale semble remettre actuellement en cause l'application du régime de la TVA « sur marge », notamment dans le cas des cessions de terrains par les EPF. Cette situation doit être clarifiée car elle peut remettre en cause l'intérêt du recours aux EPF pour les collectivités.

Les recommandations du rapporteur spécial

CONSTRUIRE AUTOUR DES EPF ET EPA UNE NOUVELLE GOUVERNANCE DE LA MAÎTRISE DU FONCIER EN COHÉRENCE AVEC LA GOUVERNANCE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. Construire dans chaque région, autour de l'établissement public foncier et, le cas échéant, des établissements publics d'aménagement, un pôle de conseil aux collectivités territoriales sur les enjeux de la maîtrise foncière et notamment de la sobriété foncière. Ce pôle de conseil doit aussi avoir une fonction de remontée des informations vers le niveau national ; il doit en particulier être consulté par l'administration centrale lors de l'établissement des normes relatives à l'utilisation du foncier.

2. Favoriser la mutualisation entre les établissements, afin de faire bénéficier les territoires peu dotés en ingénierie de l'expertise des établissements les plus importants.

3. Achever la couverture de la carte par des EPF, sans remettre en cause l'existence des EPF locaux existants lorsqu'ils donnent satisfaction.

4. Rationaliser les relations des EPF d'État et EPA avec leur tutelle : mettre en cohérence les indicateurs demandés et mieux coordonner les demandes d'indicateurs entre administrations de tutelle, afin que la charge administrative ne s'exerce pas au détriment du temps passé à la gestion des opérations.

ADAPTER L'ACTION DES EPF ET EPA À LA MISE EN oeUVRE DES OBJECTIFS DE SOBRIÉTÉ FONCIÈRE

5. Favoriser la constitution de foncières pour assurer la maîtrise des terrains sur une durée de portage plus longue que celle pratiquée actuellement par les établissements, afin de préserver les collectivités locales du risque de hausse des taux d'intérêt et des coûts du foncier.

6. Favoriser, selon les territoires, l'exercice par les EPF et EPA de compétences spécifiques dans des zones où leur ingénierie permet d'avoir une action utile sans création de structure nouvelle.

7. Mener une action foncière beaucoup plus volontariste dans les sites environnant les grandes gares nouvellement créées.

8. Construire une carte de France des stocks fonciers des EPF et EPA, avec leur durée de portage, afin de mieux apprécier l'impact du ZAN sur le risque de dépréciation de ce stock.

9. Ouvrir aux EPF l'accès aux bases de données sur les locaux vacants (LOVAC et LOCOMVAC), qui permettraient de mieux identifier les vacances en termes de logement ou de commerces.

Mettre plus régulièrement à jour la base D3VF (données de demande de valeur foncière enrichies) du Cerema.

GARANTIR DES CONDITIONS DE FINANCEMENT ADAPTÉES AUX MISSIONS DES ÉTABLISSEMENTS

10. Étudier les possibilités de remplacer la dotation budgétaire par une ressource fiscale dynamique et adaptée à l'évolution de l'action des EPF, comme c'était le cas avant 2020.

11. Permettre une adaptation locale des règles de répartition de la TSE sur les quatre taxes locales.

12. Garantir l'effectivité des dispositifs fiscaux favorisant le recours aux EPF lors de l'acquisition de terrain (exonération des plus-values pour la cession d'un terrain à un établissement public foncier dans certaines conditions, application de la TVA sur marge).

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