D. LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA TUTELLE DOIVENT ÊTRE RATIONALISÉES

La tutelle est le nécessaire contrôle exercé par l'État sur les établissements publics fonciers d'État, en contrepartie de la garantie financière qu'il leur accorde pour la mise en oeuvre de missions de service public. Une tutelle similaire est également exercée sur les établissements publics d'aménagement, moyennant les différences de compétences et de périmètre entre ces établissements et les établissements publics fonciers.

Elle prend plusieurs formes et met en jeu plusieurs administrations face à l'établissement représenté par son directeur général.

Les deux principales dimensions de la tutelle sont la tutelle budgétaire et la tutelle « métier ».

La tutelle budgétaire est exercée par le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à travers la direction du budget (DB) et les directions régionales des finances publiques, qui contrôlent et valident les documents financiers (budget, comptes, dossiers d'emprunt).

La tutelle métier relève du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et, en pratique, de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) qui fait partie de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN).

En premier lieu, l'État transmet des orientations stratégiques, qui comprennent un volet national et un volet régional, corédigé avec l'administration déconcentrée, en général la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Ces orientations définissent les politiques publiques auxquelles l'établissement doit participer en priorité et quantifient des objectifs, en particulier en termes d'acquisitions et de cessions dans un but de production de logements, notamment sociaux. Elles portent également sur la mobilisation des EPF en accompagnement des programmes nationaux : Action Coeur de Villes, Petites Villes de Demain, nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (ORCOD-IN), territoires d'industries...

Les orientations stratégiques rappellent les grands enjeux nationaux ou locaux : lutte contre l'artificialisation, adaptation au recul du trait de côte, développement des énergies renouvelables, développement de l'industrie verte, revitalisation des centres villes et des centres bourgs. Elles sont prises en compte par le programme pluriannuel d'intervention (PPI) de l'établissement, établi pour une période de cinq ans.

Les représentants de l'État participent au conseil d'administration de ces établissements. L'ordre du jour des réunions du conseil d'administration fait l'objet d'une discussion préalable avec la réunion des administrateurs d'État, ce qui permet de contrôler la bonne prise en compte des politiques publiques. Le préfet approuve les délibérations.

Par ailleurs, des réunions sont régulièrement organisées avec les établissements au sujet de la construction d'outils de pilotage, de l'actualité législative et réglementaire ou de la mise en oeuvre des nouveaux grands programmes de l'État.

La DHUP et la DB évaluent annuellement tous les directeurs généraux, auxquels des objectifs annuels personnels sont assignés ; la part variable de leur rémunération dépend de ces évaluations. Les audits du contrôle général économique et financier (CGEFI) notent toutefois des cas où les objectifs assignés au directeur général ne correspondent pas aux axes stratégiques du programme pluriannuel d'intervention (PPI) : parfois les objectifs d'acquisition et de cession de logements sont exprimés en nombre d'actes alors que le PPI les exprime en nombre de logements.

Enfin, les établissements répondent à de nombreuses demandes des tutelles budgétaire et métier, portant sur l'activité des établissements. Ces demandes relèvent de plusieurs logiques.

L'information annuelle du Parlement est assurée par les questionnaires parlementaires, envoyés au plus tard le 10 juillet par les rapporteurs spéciaux et pour avis des deux assemblées36(*) et dont les réponses doivent parvenir au Parlement avant le 10 octobre, le temps de réponse laissé aux établissements étant bien sûr moindre en raison des délais de transmission et de validation.

Surtout, les administrations de tutelle demandent de renseigner de nombreux indicateurs et rapports : indicateurs financiers, indicateurs environnementaux, trajectoire d'emprunt, rapport relatif à l'établissement du budget et à l'exécution budgétaire, document relatif aux données opérationnelles et financières, prévisions à moyen terme, indicateurs de frais de personnels ou de frais de fonctionnement... Les établissements sont également sollicités pour répondre à des enquêtes thématiques, qui nécessitent des explications approfondies au-delà de la production d'indicateurs ou de statistiques.

Le suivi de ces indicateurs répond à la nécessité, s'agissant d'établissements publics, d'assurer un suivi précis de l'activité et de contrôler l'utilisation des fonds publics, les établissements étant partiellement financés par des ressources fiscales ou budgétaires. Certains établissements ont d'ailleurs indiqué au rapporteur spécial qu'ils exploitent eux-mêmes ces indicateurs dans leurs documents de communication.

Toutefois, en pratique les demandes sont nombreuses, proviennent d'administrations différentes et ne sont pas toujours bien coordonnées : les données sont demandées dans des formats différents nécessitant des doubles saisies et des retraitements. Au total, ces demandes représentent une charge administrative significative, qui peut être de un, parfois de deux ou trois équivalents temps plein, au détriment des tâches opérationnelles au service des collectivités locales pour lesquelles l'établissement a été créé.

En outre, certains indicateurs pourraient être mieux mis en cohérence. À titre d'exemple, il est souvent demandé aux EPF d'assurer une rotation plus rapide du stock et, dans le même temps, d'éviter un niveau trop élevé de trésorerie37(*). Or une accélération de la rotation du stock, c'est-à-dire une cession plus rapide des terrains, vient nourrir ponctuellement la trésorerie, de sorte que les deux indicateurs peuvent être difficiles à atteindre simultanément.

À la tutelle budgétaire et « métier » s'ajoute le contrôle économique et financier, dispositif de contrôle externe portant sur l'activité économique et la gestion financière des entreprises et organismes qui en relèvent. Le contrôle économique et financier a pour objet d'analyser les risques et d'évaluer les performances de ces entreprises et organismes en veillant aux intérêts patrimoniaux de l'État38(*).

Les établissements font ainsi l'objet d'audits par le Contrôle général économique et financier39(*), qui examine aussi bien leur organisation et leur gouvernance que leur dispositif de contrôle interne, leur situation et leurs perspectives financières, afin d'évaluer la qualité comptable des états financiers et les risques financiers auquel ils font face.

Enfin, les chambres régionales des comptes ou, dans le cas des établissements publics d'aménagement, la Cour des comptes conduit chaque année des rapports d'observations sur la gestion de certains établissements. Ces documents, qui sont publics et accompagnés d'une réponse de la direction générale de l'établissement, constituent une riche source d'information sur l'activité de ces établissements.

En outre, la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2023, nécessite un renforcement du contrôle interne, ce qui constitue un nouveau chantier organisationnel.

Au total, chacun de ces contrôles présente une légitimité et une raison d'être car un établissement public, partiellement financé sur fonds public, se doit de rendre des comptes. Cependant ce contrôle, et tout particulièrement la tutelle d'État, devrait être simplifié et rationalisé.

Recommandation

Rationaliser les relations des EPF d'État et EPA avec leur tutelle : mettre en cohérence les indicateurs demandés et mieux coordonner les demandes d'indicateurs entre administrations de tutelle, afin que la charge administrative ne s'exerce pas au détriment du temps passé à la gestion des opérations.

Outre la question de la tutelle et du contrôle, l'efficience des relations avec les services déconcentrés pourrait aussi être améliorée dans certains cas.

Un rapport de la chambre régionale des comptes d'Occitanie donne l'exemple de l'acquisition par l'EPF régional de deux parcelles fin 2014, dans le cadre d'un projet de construction de logements sociaux ; or, six mois plus tard, la révision du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) a eu pour effet de rendre les parcelles inconstructibles, ce qui a mis fin à l'opération, devenue déficitaire. Selon la réponse apportée par l'établissement à la Cour des comptes, l'EPF avait exercé son droit de préemption sur ces parcelles à la demande explicite du sous-préfet d'arrondissement, alors même que d'autres services de l'État préparaient en même temps un « porter à connaissance » relatif au risque inondation. L'incident résulte donc d'un manque de coordination entre services de l'État et établissement public de l'État.


* 36 Les rapporteurs spéciaux et pour avis des deux assemblées s'efforcent en pratique d'élaborer un questionnaire commun sur le programme 135, afin de faciliter l'élaboration des réponses par l'ensemble des administrations concernées.

* 37 Les tutelles demandent aux EPF de ne pas dépasser un niveau de trésorerie équivalent à six mois d'activité.

* 38 Décret n° 55-733 du 26 mai 1955 relatif au contrôle économique et financier de l'État.

* 39En application du décret n° 2022-1600 du 21 décembre 2022 relatif au Contrôle général économique et financier, cet organisme placé sous l'autorité directe des ministres chargés de l'économie et du budget, exerce sur les entreprises ou organismes concernés le contrôle économique et financier de l'État prévu et le contrôle budgétaire, ainsi que les attributions spécifiques que les textes législatifs et réglementaires lui confient.

Les thèmes associés à ce dossier