II. ADAPTER L'ACTION DES EPF ET EPA À LA MISE EN oeUVRE DES OBJECTIFS DE SOBRIÉTÉ FONCIÈRE

Outre leur capacité à constituer le coeur d'un pôle de conseil et d'assistance aux collectivités en matière d'accès au foncier, les EPF ont d'abord un rôle historique opérationnel qui est appelé à prendre aujourd'hui une nouvelle dimension.

A. LES MOYENS D'UNE ACTION FONCIÈRE DE PLUS LONG TERME DOIVENT ÊTRE MIS EN PLACE

1. L'action des EPF est au coeur des enjeux actuels et futurs de sobriété foncière

La reconversion des friches constitue le premier métier des établissements publics fonciers. Les premiers établissements (Normandie, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais, Ouest-Rhône-Alpes) ont été constitués dans des régions où les mutations de l'économie française dans le dernier tiers du 20e siècle avaient laissé de nombreuses friches urbaines et industrielles. En 2015, les friches représentaient encore 90 % de l'activité de l'EPF Nord-Pas-de-Calais (aujourd'hui intégré dans l'EPF Hauts-de-France) et la quasi-totalité des travaux effectués par l'EPF de Normandie40(*).

Les EPF récents, créés depuis l'an 2000, qu'ils résultent de l'initiative de l'État ou des collectivités locales, ont une action beaucoup plus diversifiée et centrée sur l'objectif de production de logements.

Le coeur de leur activité foncière comprend trois étapes, chacune faisant appel à des compétences spécifiques.

Les trois étapes d'une intervention pour un établissement public foncier

ABF : Architectes des Bâtiments de France.

Source : commission des finances41(*)

L'acquisition a pour objet un terrain préalablement identifié par la collectivité, souvent conseillée par l'EPF au moyen d'une activité de veille foncière et dans la mesure où le projet est cohérent avec le programme pluriannuel d'intervention (PPI) de l'établissement. Le service des Domaines est sollicité pour estimer la valeur vénale. L'acquisition amiable permet souvent d'obtenir le meilleur prix et d'éviter les contentieux, mais l'établissement peut utiliser de prérogatives de puissance publique telles que le droit de préemption ou la procédure d'expropriation.

Le portage proprement dit correspond à la période pendant laquelle l'EPF est propriétaire du terrain. Maître d'ouvrage, il peut réaliser des opérations de pré-aménagement, en particulier de dépollution, désamiantage, remise aux normes ou dépollution. Lorsque c'est possible, il valorise le terrain par exemple en le mettant en location.

Cette phase nécessite la maîtrise d'un grand nombre de contraintes réglementaires. Une difficulté supplémentaire réside dans la nécessité de sécuriser et clore les lieux, parfois d'évincer des occupants sans titre, comme a pu le constater le rapporteur spécial lors d'une visite sur un site de l'EPF d'Occitanie.

Le bien est finalement cédé soit à la collectivité territoriale, soit directement à un tiers (bailleur social, promoteur) qui, en accord avec la collectivité, réalisera une opération d'aménagement et de construction. Les EPF ont indiqué au rapporteur spécial que le choix de l'opérateur dépend de la qualité du projet (logement produits, qualité urbaine, architecturale et environnementale...) plus que du prix proposé. Des pénalités peuvent être perçues si l'opérateur ne respecte pas le cahier des charges.

Le prix de cession est en principe égal au prix d'acquisition complété par les frais exposés par l'EPF. Celui-ci peut toutefois, en fonction des ressources dont il dispose et des priorités assignées à son action, réduire le prix (minoration foncière), par exemple pour la construction de logements sociaux.

L'ensemble de ces actions nécessite de fortes compétences techniques, juridiques et financières. C'est le regroupement de ces compétences, avec la capacité à mener de front des procédures souvent complexes et longues, qui fait tout l'intérêt de l'outil EPF.

Or la complexité des opérations va être amenée à croître dans les années à venir avec la quasi-fin des opérations en extension urbaine et la nécessité de travailler en milieu déjà urbanisé ou en tout cas déjà artificialisé.

L'action des EPF, aussi bien en amont (identification de toutes les opportunités foncières, notamment en recyclage urbain) que pendant l'opération (opérations de pré-aménagement) sera donc précieuse. Le cadre actuel d'action des établissements appelle toutefois certaines évolutions afin qu'ils soient en mesure d'aider pleinement les collectivités à répondre aux impératifs qui leur sont fixés.

2. Il est nécessaire de développer une action foncière de plus long terme et plus diversifiée

Il ressort de manière générale des auditions auxquelles a procédé le rapporteur spécial que l'horizon de portage actuel des EPF, souvent limité à cinq ou dix ans, est, dans bien des cas, insuffisant.

Si les EPFL peuvent avoir des durées de portage d'une dizaine d'années, voire plus longue, les EPF d'État sont soumis à la pression de leur tutelle financière, qui souhaiterait accélérer la durée de rotation des stocks, alors même que dans certains cas le coût d'un portage de long terme peut être amenuisé par des activités de location de terrain qui apportent des revenus.

Or la mise en oeuvre du principe « zéro artificialisation nette » a pour effet une raréfaction progressive et très importante du foncier, de laquelle résultera probablement une hausse importante des coûts. Le développement d'autres risques, tels que le retrait du trait de côte, exige également une action de long, voire de très long terme.

Il est donc essentiel que les collectivités aient les moyens de mener une action de maîtrise foncière résolue sur le moyen et long terme.

Si la commune peut, en théorie, acquérir elle-même les terrains et les conserver pendant une durée indéfinie, sans passer par un tiers tel que l`EPF, il s'agit d'une charge souvent excessive, dans la mesure où elle accroît son endettement sans, la plupart du temps, apporter de revenus suffisants, le modèle économique dépendant de la cession ultérieure. Christian Gros, maire de Monteux (Vaucluse), évoquait devant le rapporteur spécial des solutions pouvant faire intervenir la Banque des territoires, outre l'établissement public foncier. Le transfert de propriété permet de limiter l'endettement tout en laissant à la commune l'usufruit du terrain.

En outre, l'action sur des parcelles déjà urbanisées est plus complexe et les terrains disponibles risquent d'être de plus en plus difficiles à traiter : « dents creuses » de petite dimension et éparpillées dans le tissu urbain, terrains pollués ou amiantés... La durée de portage est rallongée par la complexité des travaux, renforcée par l'accumulation des normes techniques et environnementales ainsi que par les risques de contentieux, plus importants en zone dense.

Plusieurs organismes auditionnés ont ainsi mis en valeur la nécessité, pour un portage de long terme, de favoriser la constitution de foncières.

Certains, notamment l'EPFL de Haute-Savoie, ont pris comme exemple, voire comme modèle, la Fondation pour les terrains industriels (FTI) de Genève. Cet établissement a mis en place les moyens d'une action foncière forte sur un territoire spatialement très contraint, même si ce modèle n'est pas complet dans la mesure où il ne traite pas de l'accès au logement42(*).

La Fondation des terrains industriels

Régie par une loi du canton de Genève du 13 décembre 1984, mais héritant d'une structure créée dès 1960, la Fondation des terrains industriels (FTI) résulte d'une volonté de la puissance publique de conserver la maîtrise foncière à long terme, tout en donnant aux entreprises privées la possibilité d'acquérir le droit de construire et d'opérer un bâtiment pour plusieurs décennies à ses frais.

Propriétaire de nombreux terrains situés dans les zones industrielles et d'activités, la FTI accompagne les entreprises, en particulier petites et moyennes entreprises, en recherche de terrains et de locaux. Elle facilite leur implantation et leur développement, tout en imposant, via des baux de long terme, des règles d'intérêt public relatives à l'usage des sols et aux activités exercées.

Source : commission des finances, site Internet de la FTI et site dixit.net43(*)

Si la structure de l'EPF elle-même n'est pas nécessairement appropriée à un portage foncier de long terme, il est nécessaire, d'une manière générale, d'encourager la création de foncières pour assurer une maîtrise foncière sur le plus long terme, comme c'est déjà le cas de certains établissements avec lesquels le rapporteur spécial a échangé (Grand Paris Aménagement, EPFL de Haute-Savoie...). Ces foncières pourraient être des filiales d'EPF auxquelles participeraient les collectivités concernées et d'autres établissements publics.

Recommandation

Favoriser la constitution de foncières pour assurer la maîtrise des terrains sur une durée de portage plus longue que celle pratiquée actuellement par les établissements, afin de préserver les collectivités locales du risque de hausse des taux d'intérêt et des coûts du foncier.

Les compétences des EPF sont définies dans le code de l'urbanisme, qui prévoit ainsi qu'ils peuvent, de manière générale44(*) :

réaliser toutes acquisitions foncières et immobilières dans le cadre de projets conduits par les personnes publiques et pour réaliser ou faire réaliser toutes les actions de nature à faciliter l'utilisation et l'aménagement ultérieur ;

constituer des réserves foncières ;

- appuyer les collectivités territoriales et leurs groupements en matière d'observation foncière.

Les EPF d'État peuvent également, sur décret, être chargés de la conduite d'une opération de requalification de copropriétés dégradées d'intérêt national (ORCOD-IN) 45(*). Il existe à ce jour cinq ORCOD-IN, dont quatre sont portées par l'EPF d'Île-de-France et une par l'EPF d'Occitanie, lequel a fait visiter son site au rapporteur spécial. Le président de la République a annoncé la création de quatre ORCOD-IN nouvelles lors d'un déplacement à Marseille le 27 juin 2023.

Ces compétences permettent aux établissements d'exercer des actions variées. Le rapporteur spécial a pu le constater lors d'une visite de projets conduits par l'EPF d'Occitanie, qui vont de la requalification de bâtiments vétustes et dangereux dans le centre de Nîmes à la requalification d'une vaste copropriété dégradée46(*) en lien avec un projet de renouvellement urbain de l'ANRU, en passant par un projet de réhabilitation d'un ancien entrepôt en périphérie ou un autre projet de réalisation d'activités diverses (notamment une prison) sur une ancienne plateforme de travaux de grande dimension, à cheval entre Nîmes et la commune voisine de Générac.

Dans chacun de ces projets les enjeux sont différents et complexes : préservation d'espèces animales sur l'ancienne plateforme de travaux, prise en compte des demandes des riverains, nécessité de sécuriser certains locaux contre une occupation temporaire illégale (et dangereuse pour les occupants), présence généralisée d'amiante dans l'ancien entrepôt, etc.

Une séparation assez nette est ainsi tracée avec les compétences des établissements publics d'aménagement, qui peuvent réaliser des opérations d'aménagement et les acquisitions foncières et immobilières nécessaires à ces opérations.

Les EPA acquièrent normalement le terrain au moment de la réalisation de l'opération d'aménagement, qui est conduite sous leur direction, alors que les EPF agissent en amont et ont vocation à acquérir des terrains au moment le plus opportun et à les conserver le temps nécessaire à la finalisation d'un projet et, le cas échéant, à des travaux de pré-aménagement. Les EPA n'assument donc aucun risque sur le foncier lui-même.

Les activités attribuées aux EPF et aux EPA font parfois face à des limites liées au périmètre d'action des établissements : si le code de l'urbanisme présente un cadre commun d'action au niveau national, les circonstances locales peuvent rendre utile d'étendre le périmètre d'action de certains établissements. Plusieurs cas ont été signalés au rapporteur spécial.

En zone dense, au-delà des grands projets traditionnels de type « ZAC », il existe un véritable potentiel de « micro-densification » dans les secteurs pavillonnaires, comme l'a constaté Grand Paris Aménagement en Île-de-France, permettant l'ajout de logements selon des modalités dépendant de chaque parcelle. Cette action est complexe : il faut identifier les actions faisables techniquement, mais aussi monter des plans de financement. Les collectivités comme les propriétaires ont besoin d'être accompagnés.

Aucun outil juridique spécifique n'existe pour mener de telles actions : la procédure de ZAC n'est que partiellement adaptée car il n'y a pas nécessairement d'étape d'acquisition foncière. En outre, le droit de délaissement peut constituer un obstacle à la mise en oeuvre de cet outil, de sorte qu'il pourrait être nécessaire d'élaborer, par la loi, un véritable outil pour le renouvellement des secteurs pavillonnaires.

En zone rurale, l'action foncière peut être insuffisante et certains élus souhaiteraient bénéficier de l'appui de l'établissement public foncier pour conduire aussi des actions d'aménagement. Cette possibilité devrait être limitée, car l'EPF n'a pas vocation à agir dans un domaine où existe une offre concurrentielle privée : ce type d'extension de compétence devrait donc être limité à des projets où l'initiative privée fait défaut, par exemple après échec d'un appel d'offres.

Dans ces deux cas comme dans d'autres, un aménagement limité des compétences des EPA et des EPF permettrait de mieux exploiter ces établissements déjà en place et connus des collectivités, sans les retards et les coûts qu'impliquent la création de nouvelles structures ou l'élaboration de nouveaux outils.

Recommandation

Favoriser, selon les territoires, l'exercice par les EPF et EPA de compétences spécifiques dans des zones où leur ingénierie permet d'avoir une action utile sans création de structure nouvelle.

Enfin, un cas particulier, souvent évoqué, est celui des gares et stations de métro nouvelles, dont la création entraîne une hausse du foncier considérable. Alors que la transition écologique favorise le développement des transports en commun, le développement des lignes à grande vitesse (LGV), du réseau de transports du Grand Paris, voire dans les années à venir de « RER métropolitains », fait de cet enjeu une réalité pour de nombreuses métropoles.

Les collectivités souhaiteraient ainsi bénéficier d'une part plus importante des plus-values foncières liées à l'installation de ces équipements, dans la mesure où ces plus-values résultent d'une décision publique et constituent pour les propriétaires en place un effet d'aubaine, avec parfois une part de comportement spéculatif.

Or cette hausse même du foncier, préjudiciable à l'accueil de populations et au développement des activités, pourrait être limitée par une action foncière de long terme, tendant à acquérir d'ores et déjà, à travers une structure adaptée telle que l'établissement public foncier ou sa filiale, des terrains situés à proximité des gares et amenés à être à l'avenir reconvertis ou densifiés.

Recommandation

Mener une action foncière beaucoup plus volontariste dans les sites environnant les grandes gares nouvellement créées.


* 40 Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), Pratiques des établissements publics fonciers en matière de requalification des friches urbaines et industrielles, rapport n° 010379-01 établi par Philippe Grand et Jérôme Peyrat, mai 2016.

* 41 Sources diverses, notamment le Guide des EPFL 2019.

* 42 Ce qui a pour effet un report de la question du logement sur le territoire français et le département de Haute-Savoie.

* 43 La Fondation des Terrains Industriels de Genève, entretien entre Guillaume Massard, directeur général de la Fondation pour les terrains industriels de Genève, et Sylvain Grisot, site dixit.net, 10 janvier 2023.

* 44 Articles L. 321-1 et L. 324-1 du code de l'urbanisme.

* 45 Article L. 321-1-1 du code de l'urbanisme.

* 46 L'EPF d'Occitanie est le seul EPF chargé d'une ORCOD-IN hors de la région d'Île-de-France.

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