II. UN DÉCALAGE GRANDISSANT ENTRE LES LOIS ET LA RÉALITÉ MALGRÉ QUELQUES AMÉLIORATIONS CIBLÉES

A. LE REPÉRAGE DES SITUATIONS DE DANGER ET L'ENTRÉE DE L'ENFANT DANS LE DISPOSITIF DE PROTECTION

1. Le repérage et le traitement des situations de danger : une réforme législative à la mise en oeuvre encourageante

Le président du conseil départemental est responsable du recueil, du traitement et de l'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être. La loi de 2007 a ainsi créé les CRIP qui doivent centraliser les remontées d'informations préoccupantes et évaluer la situation. Ces dispositions législatives se sont bien concrétisées, même s'il reste encore à parachever les ambitions du législateur. Quasiment tous les départements disposent en effet d'une CRIP. Si des disparités existent selon les territoires, en lien notamment avec les moyens humains engagés, les cellules réussissent, globalement, à remplir leur mission de centralisation, de transmission et de filtre des informations préoccupantes (IP) en amont de la saisine du parquet et du juge des enfants. Une difficulté demeure dans les délais de traitement des IP qui peuvent dépasser la durée maximale de trois mois fixée par décret.

La loi de 2022 a rehaussé les ambitions en matière d'appréciation des situations préoccupantes en rendant obligatoire le cadre du référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes élaborée par la Haute Autorité de santé. Un comité opérationnel a été mis en place afin de soutenir le déploiement du référentiel dans les départements : le respect intégral du référentiel est encore un long chemin à parcourir, en dépit de quelques axes déjà positifs. Il conviendra, en priorité, que les CRIP parviennent à réunir une équipe pluridisciplinaire pour mener les évaluations.

2. La déjudiciarisation des entrées en protection de l'enfance n'a pas eu lieu

La loi de 2007 a rendu l'intervention judiciaire subsidiaire aux décisions administratives, le parquet étant chargé de vérifier que les conditions de saisine du juge des enfants sont bien réunies avant la transmission d'une requête. Pourtant la déjudiciarisation n'a pas eu lieu : en 2021, 75 % des enfants confiés à l'ASE l'ont été sur décision judiciaire. Les raisons sont multiples : les services départementaux font face à de nombreux refus ou d'adhésion « de façade » de la part des parents, ce qui rend obligatoire le recours au juge. Ce sont parfois les professionnels de l'ASE qui préfèrent l'intervention cadrée et plus rassurante de l'autorité judiciaire.

Plus problématique, certains territoires sont dépourvus de dispositifs administratifs de prise en charge adaptée : le manque d'investissement des départements dans les mesures d'aide éducative à domicile renforcée (AEDR) rend nécessaire de demander une aide éducative en milieu ouvert renforcée (AEMOr) décidée par le juge. Enfin, par héritage culturel, il reste difficile de se départir du recours au juge dans notre modèle français de l'assistance éducative.

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