B. S'APPUYER SUR LES FORCES DU MODÈLE COMMUNAL FRANÇAIS

On a vu précédemment combien les principes qui sous-tendent l'organisation communale en constituent aujourd'hui les forces. Le rapporteur estime que c'est à partir d'eux que l'avenir des communes doit se construire.

1. La consécration d'un cadre commun à toutes les communes

Depuis la loi du 5 avril 1884, le conseil municipal a vocation à régler, par ses délibérations, les affaires de la commune. Ce texte constitue le support historique de la clause générale de compétence des communes. Ce principe est aujourd'hui repris à l'article L. 2121-2993(*) du code général des collectivités territoriales (CGCT). Le conseil municipal est compétent pour statuer sur toutes les questions d'intérêt public communal, dès lors qu'elles ne relèvent pas de la compétence d'une autre personne publique94(*).

Depuis l'acte I de la décentralisation de 1982, cette clause constitue « un marqueur fort non seulement du pouvoir nouveau accordé aux collectivités territoriales mais également de leur définition juridique »95(*).

Cette clause participe, historiquement, de la distinction entre les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre : ces derniers sont régis par un principe de spécialité de sorte qu'ils ne peuvent mettre en oeuvre une action relevant d'un domaine qui ne leur aurait pas été confié soit par leurs statuts soit par la loi, à l'inverse des collectivités qui bénéficiaient de la clause de compétence générale.

Cette clause est, depuis, le fondement de l'agilité et de la réactivité des communes face aux crises, comme l'a démontré celle liée à l'épidémie de la covid-19, au cours de laquelle les communes ont su s'adapter aux besoins de leurs habitants lorsque d'autres acteurs publics étaient défaillants ou dans l'incapacité de le faire. La commune est, actuellement, la seule collectivité territoriale de droit commun à bénéficier de cette clause générale de compétence. En effet depuis la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « NOTRe », les départements et les régions en ont définitivement perdu le bénéfice après des tergiversations du législateur.

En effet, comme le rappelaient justement Mathieu Darnaud et Françoise Gatel dans leur rapport sur la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales en 2020, « la décennie passée a mis en exergue les incertitudes du législateur sur la compétence générale des collectivités territoriales, brouillant davantage la distinction entre établissements publics et collectivités territoriales »96(*).

Extraits du rapport sur la proposition de loi constitutionnelle
pour le plein exercice des libertés locales de 2020

« Au nom d'une volonté de spécialisation continue des collectivités territoriales, qui a justifié la définition toujours plus précise de « blocs de compétences », le législateur a supprimé la compétence générale des conseils départementaux et régionaux. L'article 73 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, dite « RCT », a ainsi prévu que les conseils généraux et régionaux règlent par leurs délibérations les affaires du département ou de la région, « dans les domaines de compétence que la loi [leur] attribue ». Brièvement réinstaurée par l'article 1er de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « Maptam », elle a finalement été définitivement supprimée par la loi dite « NOTRe » pour les conseils départementaux et régionaux ».

Source : rapport précité, p. 32-33.

Face à ces hésitations, les rapporteurs préconisaient déjà de « rendre la clause de compétence générale des communes, prévue par l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales, plus difficilement réversible en la consacrant dans le texte constitutionnel »97(*).

L'idée selon laquelle l'échelon communal est le plus pertinent pour l'exercice de certaines compétences, outre les situations exceptionnelles de crise, est à cet égard soutenue par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). En effet, lors de son audition par les membres de la mission, son président, David Lisnard, réaffirmait « être favorable à l'application d'une véritable exigence de subsidiarité, avec une clause de compétence générale opérationnelle permettant à chaque maire de régler lui-même les affaires de sa commune. ».

Convaincu que les communes demeurent un échelon fondamental de proximité qui doit conserver toute latitude d'action pour répondre aux besoins des administrés, le rapporteur réaffirme la pertinence d'une telle proposition visant à garantir la pérennité de la clause générale de compétence des communes en l'inscrivant dans la Constitution.

Proposition n° 1 : Confirmer la commune comme le lieu du quotidien, de la proximité et du lien démocratique.

Sous-proposition n° 1 : Consacrer constitutionnellement la clause générale de compétence.

2. L'intercommunalité au service des communes

Aujourd'hui l'intercommunalité a atteint un point d'équilibre et la mutualisation de compétences présente des atouts certains. En effet, lorsque le maire doit faire face à des enjeux qui le dépassent, l'intercommunalité peut intervenir utilement en prolongement de sa commune. Certaines problématiques, notamment les compétences stratégiques, sont mieux appréhendées à l'échelle de l'intercommunalité.

Mais, comme le rapporteur a déjà eu l'occasion de le souligner par le passé, l'intercommunalité doit rester « un instrument au service des communes »98(*).

Ceci interdit toute concurrence entre les communes et leurs regroupements, qui ne peuvent s'en autonomiser totalement.

Il est nécessaire que le respect de ce principe soit garanti à la fois par les modalités de gouvernance de l'intercommunalité mais aussi par les modalités d'élection au sein des organes délibérants.

La modification du mode d'élection des représentants siégeant au sein d'intercommunalités risquerait d'affaiblir la commune. En effet, le mode de scrutin actuel permet d'assurer la place centrale des communes au sein du modèle communal. La légitimité démocratique de l'intercommunalité doit continuer d'émaner des élus communaux.

En effet, le législateur a choisi de conforter le lien démocratique entre les citoyens, d'une part, et la commune et l'intercommunalité en faisant dériver l'élection des conseillers communautaires de celle des conseillers municipaux, d'autre part. Pour les communes de 1 000 habitants et plus, l'élection des conseillers communautaires se fait ainsi au suffrage universel direct par « fléchage », dans le cadre des élections municipales depuis la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales99(*).

Lorsque la commune compte moins de 1 000 habitants, les conseillers communautaires sont désignés parmi les conseillers municipaux, suivant l'ordre du tableau, d'abord le maire, ses adjoints puis les conseillers municipaux, selon le nombre de sièges attribués à la commune.

Modalités d'élection des membres du conseil municipal

Dans les communes de moins de 1 000 habitants, ils sont élus au scrutin majoritaire, plurinominal, à deux tours. Sont élus au premier tour, les candidats qui obtiennent la majorité des suffrages exprimés et recueillent au moins un quart des voix des électeurs inscrits. Pour les sièges restants à pourvoir, un second tour est organisé et l'élection a lieu à la majorité relative. Le panachage est autorisé.

Dans les communes de plus de 1 000 habitants, ils sont élus au scrutin proportionnel, de liste, à deux tours avec prime majoritaire. Au premier tour, la liste qui obtient la majorité absolue des suffrages exprimés reçoit un nombre de sièges égal à la moitié des sièges à pourvoir, les autres sièges sont répartir à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne entre toutes les listes ayant obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés. Si un second tour est nécessaire, seules les listes ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés sont autorisées à se maintenir.

Le mode de scrutin des conseillers communautaires doit rester rattaché à l'élection municipale dans la mesure où les EPCI à fiscalité propre ne sont pas des collectivités territoriales aux termes de l'article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958, mais bien des groupements créés au seul service des communes. C'est tout le sens de l'article L. 273-5 du code électoral qui précise que « nul ne peut être conseiller communautaire s'il n'est conseiller municipal ou conseiller d'arrondissement ».

Il ne peut exister de concurrence entre les communes et les EPCI. Ces derniers doivent demeurer des espaces de coopération entre les communes membres, à leur service, et ne sauraient devenir des collectivités territoriales supra-communales dont la légitimité ne dériverait pas de celles des communes elles-mêmes.

Les propos tenus, il y a plus de dix ans, par le sénateur Michel Delebarre, lors de l'examen du projet de loi relatif, notamment, à l'élection des délégués communautaires, gardent toute leur pertinence : « le mandat à la commune s'exerce indépendamment de sa représentation à l'intercommunalité ; il constitue la source et le fondement du mandat communautaire dont le sort lui est lié. L'inverse n'est pas vrai. »100(*).

Proposition n° 1 : Confirmer la commune comme le lieu du quotidien, de la proximité et du lien démocratique.

Sous-proposition n° 2 : Maintenir les modes de scrutins actuels pour les élections municipales et la désignation des conseillers communautaires.

L'avenir, ce n'est pas changer ce qui marche bien depuis longtemps. Comme on l'a vu dans la partie précédente, il y a tout lieu, au contraire, de conforter les forces du modèle communal français.

En revanche, il est sans doute nécessaire de revoir la méthode suivie pour procéder à la restructuration de la carte intercommunale et, rompant avec les logiques dirigistes, faire souffler à nouveau un vent de liberté sur l'organisation municipale.


* 93 « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. Il donne son avis toutes les fois que cet avis est requis par les lois et règlements, ou qu'il est demandé par le représentant de l'État dans le département. Lorsque le conseil municipal, à ce régulièrement requis et convoqué, refuse ou néglige de donner avis, il peut être passé outre. Le conseil municipal émet des voeux sur tous les objets d'intérêt local. »

* 94 Conseil d'État, ass., 29 juin 2001, Commune de Mons-en-Baroeul, n° 193716 : en l'espèce, le conseil municipal a créé une allocation municipale d'habitation dans le but d'aider les citoyens de la commune à régler leurs dettes locatives en contrepartie d'un à participer à des activités d'intérêt général.

* 95 Comme l'avait noté le rapport n° 48 (2020-2021) sur la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales, fait par le rapporteur du présent rapport et Françoise Gatel au nom de la commission des lois, déposé le 14 octobre 2020.

* 96 Ibidem.

* 97 Ibid., p. 33.

* 98  Rapport d'information n° 110 (2018-2019) fait par Mathieu Darnaud au nom de la commission des lois, déposé le 7 novembre 2018.

* 99 Antérieurement, l'organe délibérant des EPCI à fiscalité propre était composé de délégués élus par les conseils municipaux des communes-membres.

* 100  Rapport n° 404 (2012-2013) fait par Michel Delebarre au nom de la commission des lois, déposé le 27 février 2013.