AVANT-PROPOS

Indispensable à une multitude d'activités humaines essentielles, dans notre vie quotidienne mais aussi pour la production alimentaire et celle d'énergie, nécessaire dans les processus industriels ou encore pour le transport par voie fluviale et le tourisme, l'eau est également au coeur de l'équilibre des milieux et de la préservation de notre environnement.

Réguler les quantités d'eau disponibles et garantir sa qualité sont des objectifs que se sont fixés toutes les civilisations depuis des millénaires, en prenant en compte les contraintes topographiques et climatiques. Toute politique de l'eau est en effet contingente et dépend fortement de ce que la nature, localement, apporte et de ce dont elle a besoin.

De ce point de vue, la France hexagonale connaît une situation privilégiée : pays tempéré, il bénéficie d'un bon niveau de précipitations et de massifs montagneux qui sont autant de châteaux d'eau naturels. Notre pays s'est également doté d'infrastructures de gestion de l'eau permettant de prévenir les crues lors de fortes précipitations ou de gérer les périodes d'étiage. Le sud de la France, de climat méditerranéen, s'est ainsi adapté de longue date à la gestion des sécheresses. Notre pays dispose également d'un système de distribution de l'eau potable et d'assainissement des eaux usées globalement performant.

Or, le réchauffement climatique fait craindre une dégradation rapide de notre système de gestion de l'eau. La sécheresse hors norme de l'été 2022 a fait prendre conscience de notre fragilité devant les évolutions des cycles hydriques. La quasi-totalité de l'hexagone a été touchée par des mesures de restriction et environ 2 000 communes ont connu des difficultés d'approvisionnement en eau potable. Parallèlement, la prise de conscience de la nécessité de protéger nos nappes phréatiques, nos rivières et plus largement nos milieux humides, qui rendent des services écosystémiques indispensables, conduit à avoir une approche de plus en plus prudente des prélèvements et des aménagements hydrauliques.

Alors que la gestion de l'eau ressemblait depuis des décennies à un « long fleuve tranquille », nous sommes entrés dans une période de turbulence. En témoignent l'attention médiatique tout à fait nouvelle sur l'eau depuis l'été 2022, et la contestation de plusieurs projets, le plus emblématique étant la construction de retenues agricoles dans les Deux-Sèvres, qui a fait l'objet d'une manifestation violente à Sainte-Soline fin octobre 2022.

D'une affaire de spécialistes, confiée à des experts recherchant le consensus, la politique de l'eau devient un enjeu conflictuel et un champ de bataille idéologique où s'affrontent plusieurs visions sur la place respective de l'homme et de la nature et sur les stratégies que nous devons mettre en oeuvre.

Devenue plus conflictuelle, la politique de l'eau est aussi extrêmement complexe. Elle dépend largement de facteurs locaux. Selon la nature des sols, le relief mais aussi les types de culture ou encore le degré d'aménagement des cours d'eau, des territoires pourtant voisins peuvent vivre des situations très disparates. La mise en oeuvre des politiques de l'eau relève par ailleurs très largement des initiatives des collectivités territoriales, dont les priorités politiques ne sont pas partout les mêmes.

Pour tenir compte des réalités territoriales, la France dispose depuis les années 1960 d'une organisation administrative robuste qui a fait ses preuves, structurée par bassin hydrographique autour des agences de l'eau et des comités de bassin.

Mais devant la multiplication des crises, une inquiétude apparaît de plus en plus : les outils que l'on a mis en place depuis des décennies pour gérer l'eau sont-ils encore adaptés ; notre politique de l'eau n'est-elle pas à revoir de fond en comble ?

Pour répondre à cette question, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) du Sénat a demandé, en application du droit de tirage reconnu aux groupes politiques par l'article 6 bis du Règlement du Sénat, la constitution d'une mission d'information sur le thème : « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ». Une mission de 21 membres, issus de l'ensemble des groupes politiques du Sénat, a ainsi été mise en place le 8 février 2023 et a procédé à la collecte de documentation, de nombreuses auditions et plusieurs déplacements, pour entendre experts et acteurs du monde de l'eau jusqu'en juin 2023.

L'objectif de la mission a consisté à évaluer la politique de l'eau, ses objectifs, ses moyens financiers et organisationnels, et à analyser les changements qui pourraient lui être apportés.

Ses travaux s'inscrivent dans le prolongement du rapport de la délégation à la prospective du Sénat, remis en novembre 2022, intitulé « Comment éviter la panne sèche, huit questions sur l'avenir de l'eau en France »1(*).

Ils ont été percutés par l'actualité. Le 30 mars 2023, le Président de la République en personne a présenté lors d'un déplacement dans les Hautes-Alpes un Plan eau de 53 mesures visant à mieux se préparer pour faire face aux futures sécheresses, en allant vers une stratégie de sobriété, et en renforçant les instruments de notre politique de l'eau. Il s'est donc agi aussi pour la mission d'analyser ce plan et ses conditions de mise en oeuvre.

Après avoir effectué un état des lieux, notre mission a pointé le risque d'être débordés par les conflits de l'eau, avant de proposer de réarmer la politique publique de l'eau en France.

Elle formule à son tour 53 propositions, de niveau législatif, réglementaire, ou relevant parfois de la simple bonne pratique administrative, pour véritablement « changer de braquet » et accélérer nos réponses collectives aux débordements qui viennent, si nous ne faisons rien.

Il y a urgence, car l'eau n'est plus un long fleuve tranquille.

I. UNE ARCHITECTURE DES POLITIQUES DE L'EAU QUI A FAIT SES PREUVES

A. UNE ORGANISATION COLLECTIVE DE LA GESTION DE L'EAU ANCIENNE ET ROBUSTE

1. La commune, échelon de base de la gestion de l'eau

Avant la généralisation de la distribution de l'eau potable à domicile, le puits, la fontaine publique ou encore la source et la rivière font partie intégrante de l'univers mental quotidien des Français. La « corvée d'eau » est une tâche pénible, mais indispensable à la satisfaction des besoins domestiques en eau : la ressource est alors située à l'extérieur du domicile et son acheminement est un fardeau. En contrepartie, le point d'eau revêt une forte dimension sociale, qui contribue à tisser des liens quotidiens pendant la collecte et l'attente qu'elle est susceptible de générer. L'alimentation en eau est l'affaire de l'individu. C'est l'époque de l'homme qui va à l'eau, et non l'inverse. Le « coût de l'eau » se mesure alors en temps et en distance.

La figure du porteur d'eau, immortalisée par Sébastien Mercier dans les Tableaux de Paris, est la première ébauche d'un rapprochement entre la collecte de l'eau et sa consommation, par délégation à un tiers. Naturellement, ce système n'est proposé qu'à ceux qui peuvent financièrement y accéder. Notre gestion actuelle de l'eau est l'héritière de ce type de commerce et le service public de l'eau n'est autre que l'histoire du perfectionnement, de la systématisation et de l'invisibilisation de ces services.

a) Les progrès vers une eau potable à domicile et un assainissement collectif

On doit à la Révolution française, en 1790, d'avoir fixé le principe qui conditionnera l'émergence des progrès de l'adduction d'eau et mettra fin à la pénibilité de subvenir à ses besoins en eau : la production et la distribution d'eau potable relèvent de la responsabilité des communes. L'urbanisation croissante et la concentration de la population au sein de villes de plus en plus denses sera l'aiguillon du progrès des raccordements et de la desserte en eau potable. Les villes sont en effet les premières à se préoccuper de leur alimentation en eau, en prenant conscience de la nécessité d'une prise en charge collective. En menant à bien des travaux publics de grande ampleur, elles sécurisent et facilitent l'accès à une ressource essentielle : c'est un moment charnière, qui voit l'eau se transformer en enjeu de société et se détacher de la sphère individuelle.

Ce choix de gestion publique locale par la commune s'explique d'une part, par de puissants facteurs économiques : la fourniture d'eau potable est l'exemple parfait du monopole naturel local. L'adduction d'eau à domicile suppose en effet un réseau de distribution unique, car il serait absurde et inefficace de dupliquer cette infrastructure coûteuse. D'autre part, des raisons techniques expliquent également ce choix organisationnel d'un service chargé de l'eau qui opère à une échelle locale, celle de la commune, qui est l'unité première de rassemblement de la population. Dans la mesure où le coût de l'acheminement de l'eau croît plus que proportionnellement avec la distance desservie, la gestion à l'échelle du territoire vécu est apparue comme la plus pertinente.

Les progrès de l'hygiène, tout au long du siècle de Pasteur, conduisent les communes à développer des réseaux et des unités de traitement de plus en plus performants et coûteux. C'est également l'époque où la préoccupation du devenir des eaux usées se fait jour : les limites du « tout à la rue » apparaissent avec une évidence de plus en plus forte. Les épidémies meurtrières de choléra qui ponctuent le XIXe siècle démontrent la nécessité et l'urgence de disposer de réseaux d'assainissement enfouis pour évacuer et traiter les eaux usées avant rejet dans les milieux, afin d'éviter qu'elles ne souillent et contaminent les eaux destinées à la consommation humaine. Un rapport du Sénat de 19642(*) synthétise bien l'esprit qui sous-tend la préoccupation croissante pour l'assainissement : « La lutte contre la pollution commence par l'épuration des effluents urbains. Et cela parce que cette pollution est, en volume et en nocivité, considérable ; et aussi parce qu'il est difficile de mettre en action une politique de répression au regard des personnes privées, alors qu'une large tolérance serait accordée aux collectivités publiques. »

Pour faire face à la demande croissante d'une eau de qualité et atteindre une taille critique pour rentabiliser les investissements, la possibilité est offerte aux municipalités, d'abord timidement, de se regrouper.

Les premières tentatives d'intercommunalisation sont instaurées dans l'objectif de mutualiser certains services publics locaux : les commissions syndicales pour la gestion des biens indivis avec la loi municipale du 18 juillet 1837 et les ententes intercommunales prévues par la loi du 5 avril 1884, qui autorise les conseils municipaux à « provoquer entre eux une entente sur les objets d'utilité communale compris dans leurs attributions et qui intéressent à la fois leurs communes respectives3(*) ». Ces modalités d'association préfigurent les premières coopérations fonctionnelles entre communes.

Mais il faut attendre le syndicat de communes, structure créée par la loi du 22 mars 1890, pour qu'apparaisse la pierre angulaire de l'intercommunalité de gestion. Ce syndicat, qui prendra par la suite la dénomination de syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU), repose sur l'association de deux ou plusieurs communes, qui mettent en commun des moyens en vue d'assumer ensemble des obligations auxquelles elles ne peuvent faire face seules ou à un tarif supérieur pour l'usager. Ce type d'intercommunalité a notoirement favorisé le déploiement et l'extension de réseaux d'eau à des échelles de gestion optimisée, accompagnant la technicisation croissante du traitement et de la distribution de l'eau.

Cette souplesse de gestion conforte les communes dans leur rôle d'autorité organisatrice de la distribution de l'eau. Les communes bénéficient pleinement alors de l'effet levier induit par les moyens accrus du fait cette mutualisation, selon le principe : « faire ensemble mieux et à moindre coût pour le contribuable, ce que chaque commune seule ne peut faire ou ferait moins bien et à un coût plus élevé ». En outre, l'accroissement continuel des obligations législatives et réglementaires dans les domaines de l'eau et de l'assainissement conduit certaines communes à déléguer la gestion de ce service public à des entreprises privées. Depuis lors, l'histoire de la gestion de l'eau en France est marquée par la coexistence d'une gestion en régie assurée par les communes et syndicats intercommunaux et d'une gestion déléguée à des entreprises privées.

En France, la première expérimentation de la mise en place d'un service de distribution de l'eau à domicile revient aux frères Périer, qui fondent en 1777 la Compagnie des eaux de Paris, sur le modèle de ce qui existe alors à Londres. Mais c'est durant la seconde moitié du XIXsiècle, sous l'impulsion des idées libérales qui prévalent alors, que l'on assiste à l'essor de compagnies privées chargées du développement de la distribution d'eau potable, avec la Compagnie Générale des Eaux (CGE), créée le 14 décembre 1853 par décret impérial et la Société lyonnaise des eaux et de l'éclairage (SLEE) qui voit le jour le 2 février 1880. L'émergence de sociétés financées par des capitaux privés en mesure d'accompagner le besoin croissant d'infrastructures de l'eau ne va pas sans provoquer des débats sur l'opportunité d'une gestion privée de l'eau.

Les choix de gestion, publique ou privée, varient dans le temps car ils sont sensibles aux évolutions institutionnelles et politiques. L'élection du maire et du conseil municipal au suffrage direct, en 1884, constitue à cet égard un tournant, avec l'avènement de ce que l'on a coutume d'appeler le « socialisme municipal » : la gestion en régie sera prônée par des maires soucieux de conserver la maîtrise de leurs infrastructures. Après la Première Guerre mondiale, plusieurs compagnies sont créées mais connaissent des faillites retentissantes, faute d'avoir prévu des formules de révision des prix : l'inflation et la fragilité du franc au sortir de la guerre contribueront ainsi au perfectionnement des contrats de concession. Contrairement à l'électricité, l'eau échappe en revanche à la grande vague de nationalisations de la Libération : les communes ne sont pas remises en cause en tant qu'autorités organisatrices du service de l'eau potable. Pendant la période de reconstruction et les Trente Glorieuses, l'exode rural crée d'importants besoins en infrastructures qui favorisent le retour en grâce de la gestion déléguée. Il semblerait enfin que, depuis 2010, nous assistions à une forme de « remunicipalisation » et de métropolisation, avec plusieurs grandes villes qui décident de reprendre la compétence eau en régie, à l'instar de Paris, Bordeaux, Lyon, Brest, Grenoble, Montpellier, Nice ou encore Rennes. De même, un mouvement de renégociation des contrats de délégation arrivant à échéance s'est amorcé, signe d'une plus grande implication des communes dans le domaine de l'eau. La gestion de l'eau est un objet politique et historiographique à part entière, riche d'enseignement quant au rapport de notre pays à l'eau et à la perception politique des enjeux hydriques.

Les obligations communales en matière d'eau et d'assainissement

C'est le code général des collectivités territoriales (CGCT) qui constitue le socle juridique et normatif de l'action des communes dans les domaines de l'eau et de l'assainissement.

L'article L. 2224-7-1 du CGCT définit la compétence obligatoire des communes en matière d'eau potable : « Les communes sont compétentes en matière de distribution d'eau potable ». Leur compétence est en revanche facultative en matière de production, de transport et de stockage ; ces compétences peuvent être confiées par délégation au secteur privé.

Les communes sont tenues d'adopter un schéma de distribution d'eau potable déterminant les zones desservies par le réseau de distribution comprenant un descriptif détaillé des ouvrages de transport et de distribution de l'eau potable. Ce schéma tient compte de l'évolution de la population et des ressources en eau disponibles.

Depuis la « loi Barnier » du 2 février 1995 qui a renforcé l'information des consommateurs et l'obligation de transparence des services de l'eau, les communes sont également tenues de publier chaque année un rapport sur le prix et la qualité du service public (RPQS) qui rend compte aux usagers et au public du prix et de la qualité du service rendu pour l'année écoulée.

L'article L. 2224-8 du CGCT pose quant à lui le principe de la compétence obligatoire des communes en matière d'assainissement des eaux usées.

Ces dernières assurent le contrôle des raccordements au réseau public de collecte, la collecte, le transport et l'épuration des eaux usées, ainsi que l'élimination des boues produites. Elles sont également responsables du contrôle des installations d'assainissement non collectif, à l'instar des fosses septiques et des micro-stations d'épuration à la parcelle.

Les communes sont chargées d'établir un schéma d'assainissement collectif qui détaille les ouvrages de collecte et l'organisation du transport des eaux usées.

Au final, les communes sont parvenues, au-delà des attentes, à répondre aux besoins en approvisionnement des populations et au défi de l'assainissement, par elles-mêmes ou via la gestion déléguée. Le défi de l'eau potable accessible à tous, enjeu primordial de santé et d'hygiène publique, continue d'être relevé chaque jour par des services municipaux et des entreprises dont l'expertise technique a fait école à l'international. 99 % de la population est desservie par une eau potable de grande qualité sanitaire, et l'assainissement urbain a progressé à pas de géant grâce à la mobilisation de moyens colossaux et aux performances techniques en constante progression.

Le petit cycle de l'eau tel que nous le connaissons est ainsi le produit d'une histoire plus que séculaire : selon l'Union des industries et des entreprises de l'eau (UIE), le réseau d'eau potable français s'étend sur 956 000 km (dont 48 % en milieu urbain et 52 % en milieu rural) et le réseau des eaux usées couvre un linéaire de plus de 326 000 kilomètres, avec 88 % de celui-ci situé en zone urbaine et 12 % en zone rurale. L'UIE estime par ailleurs la valeur du patrimoine des infrastructures de l'eau et de l'assainissement en France à plus de 450 milliards d'euros4(*), soit 17 % du PIB français ! C'est dire l'effort considérable qui a été consacré à la constitution de ce réseau souterrain.

b) Le transfert programmé de la compétence aux intercommunalités

Les changements législatifs intervenus récemment remettent cependant en cause la commune comme autorité organisatrice des services publics de l'eau et de l'assainissement. La « loi NOTRe » du 7 août 2015 accroît ainsi le rôle des intercommunalités en matière d'eau et assainissement, en instaurant, selon un calendrier progressif, le transfert de ces compétences aux EPCI à fiscalité propre d'une taille d'au moins 15 000 habitants, dans un souci d'efficacité et de mutualisation pour faire face au contexte de renchérissement et de technicisation croissante du traitement de l'eau.

La loi du 3 août 2018 relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes a assoupli ces délais de mise en oeuvre. Initialement prévu au 1er janvier 2018, les communes ont pu s'opposer, avant le 1er juillet 2019, au transfert obligatoire de ces deux compétences, ou de l'une d'entre elles, si au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population ont délibéré en ce sens. En ce cas, le transfert de compétences ne prend effet qu'au 1er janvier 2026. La loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019 a apporté une nouvelle souplesse aux communes, limitée et encadrée, en prévoyant la possibilité de subdéléguer les compétences eau et assainissement à une commune membre de la communauté de communes ou à un syndicat infra-communautaire.

Force est de constater une forme d'attentisme prudent, voire de l'inquiétude chez certains élus locaux par rapport au transfert obligatoire, perceptible lors de l'échange avec les élus locaux lors du déplacement dans le Cher le 22 mai 2023. Cette réticence se reflète dans les statistiques : en effet, au 1er octobre 2022, seulement 329 communautés de communes sur 992 exercent la compétence liée à l'eau, 420 ont en charge l'assainissement collectif et 723 sont compétentes en matière d'assainissement non collectif. Mais si l'on rapporte ces données à la population couverte, l'exercice intercommunal de la compétence eau concerne en réalité 76 % de la population. Pour l'assainissement, ce taux s'élève même à 80 %. Le sujet est épineux et de nombreux textes sont régulièrement soumis au législateur pour redonner la liberté aux communes de décider si elles jugent opportun ou non de transférer ces compétences.

Les divergences tarifaires qui existent entre les communes constituent l'un des facteurs qui permet d'expliquer la sensibilité du sujet : si le prix moyen de l'eau facturée est modéré, la variabilité des tarifs pratiqués par les services gestionnaires de l'eau peut être extrêmement forte. Le risque exprimé par certains élus d'une augmentation de la facture pour les usagers est donc réel, compte tenu de l'harmonisation des tarifs qu'implique le transfert des compétences à l'intercommunalité.

Les tarifs de l'eau en France

Selon l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement, le prix global moyen au 1er janvier 2021 du service de l'eau est évalué à 4,30 € TTC par m, redevances incluses. Ce montant se décompose de la manière suivante :

Source : Sispea, résultats 2020, Observatoire national des services publics d'eau et d'assainissement

Cela correspond à une facture annuelle moyenne de 516 € par ménage, soit une mensualité d'environ 43 €. Ce prix moyen varie selon la taille de la collectivité gestionnaire5(*), selon les modalités de gestion6(*) ou encore la localisation, ainsi que l'illustre la carte ci-après.

Aux termes de l'article L. 2224-12-4 du CGCT, la facture comporte une partie variable dont le montant est calculé en fonction de la consommation réelle, et peut en outre comprendre une partie forfaitaire et indépendante du volume, l'abonnement, pour couvrir les charges fixes du service et les caractéristiques de branchement. Toutefois, à titre exceptionnel, lorsque la ressource en eau est abondante et qu'un nombre limité d'usagers est raccordé au réseau, le préfet peut autoriser une tarification ne comportant pas de part proportionnelle au volume d'eau consommé.

En moyenne, en 2020, la part fixe représente 17 % de la facture d'eau potable et 9 % de la facture d'assainissement collectif, avec d'assez fortes disparités puisque la fourchette tarifaire de l'abonnement s'établit entre 0 € et 158 € selon une enquête du CLCV datant de 20197(*).

Pour tenter d'atténuer cet effet de rattrapage et le caractère potentiellement inflationniste de l'exercice intercommunal de la compétence, la « loi 3 DS » a prévu la possibilité pour l'intercommunalité de financer, par le moyen de son budget général, les budgets eau et assainissement des eaux usées dans deux cas de figure : lorsque l'importance des investissements nécessaires entraînerait une augmentation excessive des tarifs pour les usagers ou pendant la période d'harmonisation des tarifications de l'eau et de l'assainissement à l'issue de la prise de compétence par l'intercommunalité.

Sans prendre position sur ce sujet éminemment politique, qui voit s'affronter les tenants de la commune comme cellule souche de la démocratie territoriale et les partisans de l'intercommunalité comme espace de projet et de mutualisation à une échelle économiquement et administrativement efficiente, la mission d'information souhaite que les débats passionnés que soulève ce sujet puissent prendre en compte la nécessaire sécurisation de l'accès à l'eau dans un contexte où l'abondance de la ressource ne va plus de soi.

Quel que soit le gestionnaire qui aura finalement la préférence du législateur pour la gestion du petit cycle de l'eau ou que le choix se porte sur des compétences eau et assainissement qui s'exercent de manière indifférenciée au sein du bloc communal, il est nécessaire de se préparer à la nouvelle donne hydrique en anticipant de profonds bouleversements quant à la manière de gérer efficacement et durablement l'alimentation en eau potable de la population. Il pourrait être opportun de renforcer le « civisme de l'eau » pour que chaque usager prenne conscience qu'il est à la fois le bénéficiaire et le responsable de cette richesse commune et partagée.

2. Une politique structurée par les agences de l'eau à l'échelle des bassins hydrographiques
a) Les planificateurs de l'eau : les agences de l'eau et les comités de bassin

Une fois acquis et consolidé le principe de la gestion communale de la distribution de l'eau potable et du traitement des eaux usées avant restitution au milieu, le législateur prend conscience, dès les années 1960, que la lutte contre la pollution des eaux et l'équilibre aquatique des milieux impliquent d'imaginer une nouvelle échelle de gestion et une instance de concertation, de décision et de financement dédiée.

Ainsi que le souligne le rapport du Sénat préalable à l'examen de la « grande loi sur l'eau » de 19648(*), « la complexité des problèmes de l'eau : besoins, ressources, pollution, leur dispersion sur l'ensemble du territoire, les interférences qui se manifestent entre eux, qu'il s'agisse de prélèvements ou de pollution, tant d'autres facteurs encore de diversité et d'imbrications nécessitaient la mise en place, aux divers niveaux, d'organismes d'étude, de confrontation, de proposition et de décision. La programmation dans le domaine de l'eau est une oeuvre commune qui exige, pour être fructueuse, la connaissance appropriée des besoins, une vue précise de leur évolution, l'appréciation des ressources en volume et en qualité, ce qui pose implicitement le problème de la pollution et de la régénération des eaux, le sens enfin de l'aménagement du territoire au sens large du terme. »

Cette loi a contribué à l'émergence d'une organisation de la gestion de l'eau autour de six grands bassins hydrographiques, issus d'un découpage selon les lignes de partage des eaux, par grands bassins versants rattachés aux principaux fleuves français. Le bassin versant est constitué par l'aire de collecte des eaux, considérée à partir d'un exutoire : cette région est limitée par le contour à l'intérieur duquel toutes les eaux de surface et souterraines s'écoulent vers cet exutoire. Ainsi défini, le territoire métropolitain est constitué de six bassins versants :

- Adour-Garonne ;

- Artois-Picardie ;

- Loire-Bretagne ;

- Rhin-Meuse ;

- Rhône-Méditerranée-Corse ;

- Seine-Normandie.

Par ailleurs, dans un souci de cohérence de l'action publique, chaque territoire d'outre-mer accède également par la suite au statut de bassin : c'est le cas pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Mayotte.

Cette approche n'allait cependant pas de soi. Les parlementaires ont hésité avant d'opter pour la solution hydrographique, animés du souci de trouver le juste équilibre entre une approche nationale jugée trop éloignée du terrain, trop coupée des problématiques locales et le choix de la circonscription d'action régionale, dont la structure administrative existait, mais qui ne résolvait pas la question de la coordination à l'échelle du bassin.

Le cheminement intellectuel qui a conduit à la création de ce nouvel espace de gestion est illustré par Maurice Lalloy, rapporteur pour le Sénat : « cette entité, satisfaisante pour l'esprit, dès lors que l'on parle d'aménagements hydrauliques et qui est le bassin hydrographique ; mais notons aussitôt son point faible : il ne correspond à aucune organisation administrative et n'a de ce fait aucun lien direct avec les administrations régionales ou départementales. Bien plus, les limites du bassin hydrographique ne coïncident pas avec les limites administratives des régions, de sorte que de nombreuses circonscriptions régionales administratives sont écartelées entre deux ou trois bassins hydrographiques. C'est cependant à la notion de bassin que s'est ralliée votre commission spéciale, estimant que dans une telle affaire c'est le point de vue technique qui est prééminent et que cette considération doit primer toutes les autres ».

Ce choix visionnaire a contribué à l'émergence d'une gestion efficiente de l'eau, à une échelle hydrographiquement cohérente, qui s'appuie sur des moyens administratifs et financiers dédiés. Cette organisation a d'ailleurs fait florès à l'international, comme l'a souligné devant la mission d'information Guillaume Choisy, directeur général de l'Agence de l'eau Adour-Garonne : « l'organisation de la gestion de l'eau par bassins, que nous avons été les premiers à mettre en oeuvre, a été reprise par 77 pays d'Europe, d'Amérique latine, d'Asie, ou encore d'Afrique, avec des modes d'organisation parfois différents ».

Pour ancrer territorialement cette innovation, la loi de 1964 crée des établissements publics de l'État ad hoc, les agences financières de bassin - qui deviendront par la suite les agences de l'eau - chargées d'une mission d'intérêt général visant à gérer et à préserver les ressources en eau et les milieux aquatiques. Les agences collectent les redevances des usagers de l'eau et financent des projets favorisant la préservation et la reconquête du bon état de la ressource. Le modèle de gestion repose sur une vision de l'eau comme bien commun et s'articule autour d'une logique subsidiaire, évolutive et adaptative.

La gouvernance des agences de l'eau s'appuie sur une instance de concertation originale, le comité de bassin, souvent dénommé « parlement de l'eau », chargé d'animer la concertation entre les usagers de l'eau, les élus et l'État, de débattre et de définir les grands axes de la politique de l'eau au niveau du bassin. En fonction du périmètre géographique couvert par chaque bassin, les comités de bassin sont composés de 80 à 190 membres, pour un mandat de six ans, renouvelable deux fois.

Cette répartition reflète l'idée selon laquelle la gestion optimale de la ressource nécessite que l'ensemble des acteurs concernés soient impliqués, se concertent et participent aux décisions qui sont prises en matière de gestion de l'eau. Les membres sont répartis en quatre collèges : l'État et les établissements publics ; les parlementaires et les collectivités territoriales ; les usagers économiques (agriculture, pêche, tourisme, industrie, production d'électricité, sociétés d'aménagement, etc.) et les usagers non économiques (association agréée de protection de la nature, conservatoire régional d'espaces naturels, instance cynégétique, association agréée de défense des consommateurs, etc.).

La composition de chaque comité de bassin, à l'exception du comité de bassin de Corse, est arrêtée par le préfet coordonnateur de bassin. Tous les trois ans, le comité élit en son sein un président et des vice-présidents. C'est l'agence de l'eau correspondant à la circonscription qui assure le secrétariat du comité de bassin. Parmi les grandes missions assignées aux comités de bassin, les principales consistent à fixer la stratégie de l'eau et des milieux aquatiques du bassin à travers les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), délibérer et voter le programme d'intervention de l'agence de l'eau ainsi que le taux des redevances, dans la limite des taux plafonds fixés par la loi.

   

Adour-Garonne

Artois-Picardie

Loire-Bretagne

Rhin-Meuse

Rhône-Méditerranée

Seine-Normandie

Collège des élus (1° de l'article L 213-8 du code de l'environnement)

Parlement

2

2

2

2

2

2

Régions

5

2

8

2

6

6

Départements

11

4

19

7

15

21

EPTB, EPAGE, des syndicats mixtes ou autres groupements compétents dans le domaine de l'eau

7

6

7

7

8

6

Communes et EPCI

28

17

39

21

34

38

Communes ou EPCI présidant une CLE

1

1

1

1

1

1

Total collège des élus

54

32

76

40

66

74

Collège des usagers non économiques de l'eau
(2° de l'article L. 213-8 du code de l'environnement)

27

16

38

20

33

37

Collège des usagers économiques de l'eau
(2°bis de l'article L. 213-8 du code de l'environnement)

27

16

38

20

33

37

Collège des représentants
de l'État et de ses établissements publics
(3° de l'article L. 213-8 du code de l'environnement)

27

16

38

20

33

37

TOTAL COMITÉ
DE BASSIN

135

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Source : d'après l'article D. 213-19 du code de l'environnement

Au cours de ses travaux, la mission d'information a relevé la remarque récurrente selon laquelle chaque catégorie d'usagers estime être sous-représentée au sein des comités de bassin. Plutôt que de conclure à une mal-représentation, elle préfère y voir le signe d'une composition propice à la concertation et à la délibération, qui oblige ses membres à confronter leurs points de vue afin de dégager une vision commune sur les grandes orientations de la politique de l'eau.

Le tour d'horizon des figures centrales de la gestion par bassin hydrographique serait incomplet si n'était évoqué le rôle clef du préfet coordonnateur de bassin. Aux termes de l'article L. 213-7 du code de l'environnement, c'est le préfet de la région où le comité de bassin a son siège qui assure cette fonction d'animation et de coordination de la politique de l'État sur l'eau en matière de police et de gestion des ressources. Il assure l'unité et la cohérence des actions déconcentrées de l'État dans la région et dans les départements concernés.

Le préfet coordonnateur de bassin exerce cette compétence en lien avec le comité de bassin et le conseil d'administration de l'agence de l'eau. Il dispose par ailleurs de pouvoirs de gestion de crise : il peut, par arrêté, prendre des mesures coordonnées dans plusieurs départements pour faire face à des situations d'urgence (menace ou conséquence d'accidents, risque de sécheresse, risque d'inondations ou risque de pénurie). Il préside en outre la commission administrative de bassin, qui l'assiste dans l'exercice de ses compétences.

Ainsi que l'a indiqué André Flajolet, président du comité de bassin de l'Agence de l'eau Artois-Picardie au cours de son audition devant la mission d'information, c'est sur ce triptyque d'acteurs que repose le succès de la gestion globale du grand cycle de l'eau, dans l'intérêt de tous : « le pilotage de la gestion de l'eau en France a la chance de compter sur des outils performants, à savoir les agences de l'eau, les comités de bassins et les préfets coordonnateurs de bassin. »

Dans une logique de renforcement de la place des élus dans les instances de gouvernance de l'eau, votre rapporteur estime cependant souhaitable de faire évoluer la présidence des conseils d'administration des agences, en mettant en place une co-présidence dévolue à l'un d'entre eux.

En s'appuyant sur cette organisation robuste et à l'efficacité éprouvée, la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau a perfectionné la planification dans le domaine de l'eau. Par ce texte, le législateur a renouvelé sa confiance dans la capacité des acteurs de terrain à concilier des exigences souvent contradictoires. Le paradigme d'action hérité de 1964 est conforté : la gestion de la ressource en eau continue à reposer sur une logique décentralisée et consensuelle.

b) La planification de l'eau : les SDAGE et les SAGE

Cette loi instaure des outils afin de pallier l'absence d'une véritable gestion prévisionnelle de l'eau, en créant une police unique et générale de contrôle de la qualité des eaux et du niveau de la ressource et en prescrivant l'élaboration d'un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) pour chacun des bassins hydrographiques, qui fixe les orientations fondamentales de la gestion équilibrée de la ressource en eau.

Cette gestion décentralisée de l'eau peut enfin s'exercer à une échelle plus fine à travers les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), document cadre pour orienter les décisions des acteurs du territoire concernant l'eau à l'échelle d'un sous-bassin, d'un groupement de sous-bassins correspondant à une unité hydrographique cohérente ou d'un système aquifère.

Facultatif et entretenant nécessairement un rapport de compatibilité avec le SDAGE, le SAGE décline les orientations du SDAGE et fixe les actions territorialisées en tenant compte des spécificités hydrographiques du périmètre qu'il couvre. Il comporte :

- un plan d'aménagement et de gestion durable (PAGD) de la ressource, fixant les objectifs, orientations et dispositions du SAGE et ses conditions de réalisation ;

- un règlement, accompagné de documents cartographiques, qui édicte les règles à appliquer pour atteindre les objectifs fixés dans le PAGD ;

- un rapport environnemental, décrivant et évaluant les effets notables possibles du SAGE sur l'environnement.

Fruit de la volonté des élus locaux et des acteurs d'un territoire donné, le SAGE et les objectifs de protection qu'il définit disposent d'une forte portée juridique une fois approuvé par le préfet désigné pour coordonner le bassin versant du SAGE : il s'impose aux décisions administratives prises dans le domaine de l'eau, aux documents d'urbanisme et également, au travers de son règlement, aux tiers.

Le SAGE est élaboré par une commission locale de l'eau (CLE), instance créée par le préfet, ou, dans certains territoires, par un établissement public territorial de bassin (EPTB). La CLE, présidée par un élu local, est composée de trois collèges, dont les représentants sont nommés par arrêté préfectoral :

- 50 % de représentants des collectivités territoriales et établissements publics ;

- 25 % de représentants des usagers (chambre d'agriculture, chambre de commerce et d'industrie, associations de consommateurs, de protection de l'environnement et de riverains), d'organisations professionnelles et de syndicats ;

- 25 % de représentants de l'État et de ses établissements publics (dont agence de l'eau et Office français de la biodiversité).

Les CLE, qui favorisent un dialogue au plus près des territoires et participent à la nécessaire concertation entre les parties prenantes autour de la gestion de l'eau, sont encore trop méconnues. Leur création est de fait subordonnée à l'existence d'un SAGE ou d'une démarche de projet visant à élaborer un tel schéma, ce qui est loin d'être le cas partout : en janvier 2021, seuls 54,4 % du territoire sont couverts par un ou plusieurs SAGE.

Le rôle de cette instance de démocratie participative est cependant amené à croître : la Cour des comptes préconise dans son rapport annuel9(*) de renforcer l'influence des CLE en les impliquant mieux dans la gestion de crise et en les adossant aux établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE) ou établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) afin de renforcer leur rôle, tout en garantissant leurs moyens d'agir et leur indépendance. La mesure n° 33 du plan d'action pour une gestion résiliente et concertée de l'eau (« Plan eau ») vise à généraliser le système des CLE au sein des territoires non couverts par les SAGE, afin de favoriser le dialogue entre les parties prenantes et instaurer le portage politique d'un projet de territoire pour organiser le partage de la ressource.

La mission d'information voit d'un bon oeil le développement de cette démocratie locale de l'eau : tout ce qui concourt à l'implication croissante des acteurs autour de la ressource en eau renforce les capacités d'adaptation à l'incertitude concernant l'état de la ressource à long terme.

Le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE)

Prévu aux articles L. 212-1 et suivants du code de l'environnement, le SDAGE est un document de planification, établi pour une période de 6 ans, qui définit :

- les grandes orientations pour garantir une gestion visant à assurer la préservation des milieux aquatiques et la satisfaction des différents usagers de l'eau ;

- les objectifs de qualité à atteindre pour chaque cours d'eau, chaque plan d'eau, chaque estuaire et chaque secteur du littoral, ainsi que les objectifs de qualité et de quantité pour chaque nappe souterraine ;

- les dispositions nécessaires pour prévenir toute détérioration et assurer l'amélioration de l'état des eaux et des milieux aquatiques.

Un programme de mesures (PDM) accompagne le SDAGE. Il regroupe des actions techniques, réglementaires et organisationnelles à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs du SDAGE. Il évalue par ailleurs le coût de ces actions.

Le SDAGE est élaboré par le comité de bassin, après un état des lieux de la ressource en eau du bassin, l'identification des principaux enjeux propres au bassin et une évaluation des actions déjà menées.

Le PDM est établi par le préfet coordonnateur de bassin qui s'appuie sur les services déconcentrés de l'État et les établissements publics.

Ces documents sont préparés en concertation avec les acteurs de l'eau, mis à disposition du public pour recueillir ses observations (pendant une durée minimale de six mois) et soumis à l'avis des partenaires institutionnels dans le cadre d'une consultation. Ils sont ensuite formellement approuvés par le Préfet coordonnateur de bassin.

Source : Agence de l'eau Adour-Garonne

3. Un cadre national visant à garantir l'effectivité du droit à l'eau pour tous.

Faire de l'eau, de toutes les eaux, un bien commun dont l'État est le garant : le choix de cette approche novatrice explique pour partie les succès rencontrés par notre pays dans l'atteinte de l'objectif d'une eau de qualité en quantité pour l'ensemble des usages et des usagers. Le législateur l'a affirmé avec force, au sein de l'article principiel qui ouvre le titre du code de l'environnement consacré à l'eau et aux milieux aquatiques et marins, à l'article L. 210-1 : « L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. »

Ce cadre a contribué à faire de l'eau, le plus universel des éléments, sous nos latitudes du moins, une richesse naturelle placée sous la protection de chacun. En clair : les usagers ont des droits sur la ressource en eau, mais également des devoirs vis-à-vis de sa protection.

a) De l'accès à l'eau pour tous à la sécurité hydrique

Tout au long du XXsiècle, la capacité de la France à répondre à la demande volumétrique en eau allait de soi et la résilience hydrique aux sécheresses ne faisait guère de doute. L'expertise des acteurs de l'eau et le cadre normatif évolutif dans lequel s'inscrit la gestion de la ressource ont certes nourri des débats - souvent - et des inquiétudes - parfois -, mais c'est là le propre d'une société démocratique. En revanche, la confiance des usagers dans la disponibilité et la qualité de la ressource n'a jamais été véritablement entamée.

La promesse selon laquelle « l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique a le droit d'accéder à l'eau potable [...] dans des conditions économiquement acceptables par tous10(*) » a été globalement tenue, grâce à une organisation efficiente des services en charge de la distribution de l'eau et au volontarisme du bloc communal en matière de politique sociale de l'eau (allocation eau, chèque eau, tarification sociale, aide préventive, aide à la résorption des impayés, etc.). Mais également, il faut le rappeler avec force, du fait de l'abondance de la ressource, de sa distribution relativement équilibrée et du climat tempéré dont bénéficie notre pays : si l'un des éléments de l'équation venait à changer, comme c'est le cas sous l'effet du changement climatique, cette promesse pourrait être bien plus onéreuse à tenir.

Cette sécurité hydrique est assurée par le grand nombre d'acteurs composant l'écosystème de l'eau, sous l'oeil vigilant de l'État, qui fixe les règles du jeu, le cadre du financement, les outils dont dispose la police de l'eau ainsi que les valeurs sanitaires auxquelles doit satisfaire l'eau pour être considérée comme potable. L'État établit le cadre et assure la fluidité des rapports entre les acteurs de l'eau, tout en respectant le principe de concertation entre ces acteurs. Mais en cas de conflit ou lors des épisodes où la disponibilité de la ressource ne permet plus de satisfaire tous les usages, c'est l'État qui, en dernier ressort, assure la répartition des ressources en eau.

Cette volonté de l'État d'organiser les différents usages de l'eau est ancienne et trouve son origine dans la loi du 8 avril 1898 sur le régime des eaux. Le rôle unificateur de l'État dans la réglementation des usages y est affirmé avec force, à travers un régime d'autorisation préalable qui préfigure la police de l'eau qui se développera au cours du siècle suivant. Parmi les mesures instaurées, les plus notables sont le pouvoir conféré au préfet de statuer sur l'établissement de tout ouvrage intéressant l'écoulement des eaux, l'encadrement du droit des riverains d'user de l'eau courante qui borde ou traverse leur propriété dans les limites déterminées par la loi et des servitudes dans l'intérêt du service de la navigation.

Ce cadre est ensuite complété par la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique qui dispose que « nul ne peut disposer de l'énergie des marées, des lacs et des cours d'eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l'État », disposition aujourd'hui codifiée à l'article L. 511-1 du code de l'énergie. La ressource en eau, les cours d'eau et les milieux aquatiques deviennent progressivement des objets juridiques à part entière, faisant l'objet de prescriptions particulières (obligations et interdictions, autorisations préalables, et plus tardivement compensation des atteintes et remise en état). Comme dans les autres domaines de la vie en société, l'eau est ainsi de plus en plus saisie par le Droit.

b) Les grands principes de la gestion de l'eau fixés par le législateur

On doit à la loi sur l'eau de 1964 d'avoir fixé les fondements de l'organisation administrative de la gestion de l'eau dont les grandes lignes sont restées inchangées : la concertation entre usagers, élus, État et services déconcentrés en constitue toujours la clé de voûte. La loi du 3 janvier 1992 sur l'eau et celle du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) ont parachevé l'édifice normatif et donné corps aux trois grands principes qui sous-tendent l'action publique dans le domaine de l'eau : l'eau paye l'eau, le principe pollueur-payeur et la solidarité amont-aval.

Le principe selon lequel l'eau paye l'eau est de niveau législatif, codifié à l'article L. 210-1 du code de l'environnement : « les coûts liés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources elles-mêmes, sont supportés par les utilisateurs en tenant compte des conséquences sociales, environnementales et économiques ainsi que des conditions géographiques et climatiques. » Cela signifie que ce sont les usagers, et non les contribuables, qui supportent, par leurs factures d'eau et les redevances auxquelles ils sont assujettis, l'essentiel des dépenses induites par l'eau qu'ils consomment. L'application de ce principe implique que le budget des services de l'eau et de l'assainissement soit autonome du budget des communes, les dépenses devant être équilibrées par les recettes. En somme, il revient à considérer que tout l'argent provient de l'eau et que tout l'argent bénéficie à l'eau.

Si ce principe d'affectation stricte n'a jamais été véritablement respecté dans toute sa rigueur, force est de constater que les évolutions législatives récentes ont fini par le rendre en partie incantatoire. Aujourd'hui l'eau paye l'eau et la biodiversité, et même les autres politiques si l'on tient compte du « plafond mordant » qui écrête les recettes des agences de l'eau et conduit au versement de l'excédent au budget général de l'État. Ce mécanisme budgétaire est générateur d'effets pervers : son existence même a contraint nombre d'agences de l'eau à diminuer le montant de leurs taxes et redevances, pour n'avoir pas à reverser les recettes excédentaires et devoir ainsi se justifier auprès de leur comité de bassin. Ce mécanisme contribue donc à abaisser la valeur réelle de l'eau. Les agences de l'eau, dont les missions ont été élargies à la biodiversité, ne disposent que de recettes assises sur la consommation et les prélèvements d'eau, ce qu'a résumé André Flajolet : « si toutes les agences de l'eau payent pour la biodiversité, la biodiversité ne paye jamais pour elle-même. Ainsi, une redevance « biodiversité », proposée par les directeurs des agences de l'eau, permettrait aux agences de remplir leurs nouvelles missions ».

Le principe pollueur-payeur est un principe juridique et économique instauré par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », codifié à l'article L. 110-1 du code de l'environnement : « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ». Il repose sur l'hypothèse que les pollueurs doivent supporter les coûts engendrés par la pollution résultant de leurs propres activités, y compris le coût des mesures prises pour prévenir, combattre et éliminer cette pollution, ainsi que les coûts liés à la réparation. Il vise à persuader qu'il est dans l'intérêt des pollueurs d'éviter de causer des dommages environnementaux puisqu'ils sont tenus pour responsables de la pollution qu'ils génèrent.

Dans le domaine de l'eau, ce principe est mis en oeuvre au travers de taxes et de redevances sur les activités et les usages susceptibles de générer une pollution des milieux aquatiques. Tous ceux qui utilisent de l'eau en altèrent la qualité et la disponibilité, c'est pourquoi toute personne inscrite au service des eaux doit s'acquitter de la redevance en fonction de sa consommation et de son impact. L'argent collecté permet de financer des actions de réduction de la pollution et de gestion durable de l'eau.

Des critiques s'élèvent toutefois quant à la pertinence des assiettes de redevances et du découplage parfois patent entre le pollueur et le payeur. Ainsi, la contribution des ménages est beaucoup plus élevée que celle des agriculteurs et des industriels, alors que les pollutions qui leur sont respectivement imputables sont sans commune mesure. Lors de son audition, UFC-Que Choisir a souligné devant la mission d'information que 88 % des redevances pour pollution étaient payées par les consommateurs, contre 7 % par les agriculteurs et 5 % par les industriels. De fait, le système contraint bien souvent à payer pour la pollution du fait d'autrui, ce qui amène certains à considérer que « c'est l'eau domestique qui paye l'eau ». Une réforme des redevances est cependant en cours d'élaboration pour corriger ces importants différentiels qui dévoient l'efficacité du principe pollueur-payeur.

La solidarité amont-aval est un principe qui découle logiquement de l'organisation en bassin versant de la politique de l'eau : l'ensemble des habitants d'un bassin ont intérêt à la bonne gestion des cours d'eau, qu'il s'agisse de prévenir ou d'atténuer le risque d'inondation, mais aussi en vue d'assurer le partage de la ressource et oeuvrer à la restauration des milieux aquatiques. Par exemple, l'existence de zones d'expansion de crue en amont diminue la vulnérabilité des populations en aval. La solidarité est également nécessaire pour coordonner les efforts et partager de façon équitable les mesures à mettre en oeuvre à l'échelle du bassin versant.

Cette solidarité, notamment financière, peut trouver à s'exprimer au sein d'une structure ad hoc, à l'instar d'un établissement public territorial de bassin (EPTB) ou d'un établissement public d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE). La péréquation qui s'y opère permet aux communes de l'aval de rétribuer le service rendu par les communes de l'amont. La gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), qui sera évoquée plus loin, est l'un des principaux instruments de cette solidarité.

Il apparaît cependant que cette solidarité est fragile : certaines grandes villes bénéficient de moyens considérables pour gérer leurs systèmes d'endiguement, quand des territoires peu peuplés ont parfois un linéaire considérable de cours d'eau à gérer. Les mécanismes de cohésion à l'échelle du bassin ne sont pas toujours en mesure d'instaurer cette solidarité. Frédéric Molossi, co-président de l'Association nationale des élus des bassins (ANEB), a ainsi plaidé devant la mission d'information pour un « système de gouvernance capable d'introduire des mécanismes de péréquation et de solidarité amont-aval et urbain-rural, sans que la question ne soit renvoyée uniquement à l'échelle des collectivités ».

La cohérence de l'édifice législatif et réglementaire relatif à l'eau s'est cependant effritée au fil du temps et du morcellement croissant des dispositions intéressant la politique de l'eau. Bien malin qui, aujourd'hui, est en mesure de connaître l'ensemble des textes et des normes traitant, à un titre ou un autre, de la gestion durable de la ressource, de sa qualité, des régimes de prélèvement, de sa répartition, de son régime fiscal ou encore de la protection des milieux aquatiques.

Cette complexité et cette fragmentation nuisent à la clarté et à la compréhension des choix publics en matière de politique de l'eau. Sans aller jusqu'à recommander un code de l'eau, la mission d'information plaide pour une simplification des mesures relatives à l'eau, afin que chacun puisse appréhender, en tant qu'usager mais aussi en tant que citoyen, l'étendue de ses droits et devoirs.

Contrairement à d'autres pays, la France n'a pas fait le choix de créer un ministère de l'eau. En fonction de l'angle sous lequel est abordée la ressource, l'eau fait l'objet d'une gestion pluri-ministérielle, depuis le ministère de l'environnement à titre principal et la direction de l'eau et de la biodiversité sur laquelle il s'appuie afin de concevoir et mettre en oeuvre les politiques pour garantir la préservation et un usage équilibré de la ressource en eau, à celui de l'agriculture pour le stockage et l'irrigation, de la santé pour les normes sanitaires et la qualité des eaux, sans oublier l'intérieur pour la défense contre les incendies.

Mentionnons enfin le Comité national de l'eau (CNE), créé en 1965 et placé auprès du Premier ministre, qui constitue l'instance nationale de consultation sur la politique de l'eau. Il comprend 166 membres nommés pour six ans, dont des représentants des usagers, des collectivités territoriales, de l'État et de ses établissements publics, de présidents de CLE et de présidents de comités de bassin. Il est consulté sur les grandes orientations de la politique de l'eau, sur les projets d'aménagement et de répartition des eaux ayant un caractère national ou régional, ainsi que sur l'élaboration de la législation ou de réglementation en matière d'eau.

Cet organisme contribue, par ses avis et son implication auprès des pouvoirs publics, à une meilleure compréhension des enjeux hydriques, au recueil des remarques formulées par les acteurs de l'eau avant l'élaboration de nouvelles normes. Il organise les débats d'orientation préalables à la définition de la politique de l'eau : c'est l'instance démocratique où se forgent les premiers consensus nécessaires à la gestion apaisée de la ressource, très en amont, avant même l'intervention du législateur. La mission d'information tient à souligner la qualité du travail accompli par le CNE et la pertinence de son regard sur les enjeux de l'eau, pour trouver les solutions les plus pertinentes aux défis que nous aurons à relever à l'avenir : la période de « l'eau facile » est derrière nous et toute instance contribuant à la réflexion collective ne sera pas de trop.

4. Un droit de l'eau qui s'inscrit dans le cadre européen

Si la construction européenne est un phénomène récent rapporté au temps long de l'histoire de l'eau, l'échelon de coopération communautaire est cependant rapidement apparu comme pertinent pour répondre aux exigences de plus en plus fortes des citoyens en matière de qualité de l'eau, tant pour l'eau potable que pour l'environnement. Le mauvais état de la ressource dans un pays peut affecter la qualité des eaux de ses voisins : l'élaboration d'un cadre de gestion unifié, avec des exigences de qualité partagées, n'est ainsi pas apparue contraire au principe de subsidiarité.

a) Un droit européen qui irrigue de plus en plus le droit national

Les pollutions de l'eau ne connaissant pas les frontières, les États-membres ont reconnu dès les années 1970 la compétence de l'Europe et la pertinence de son action pour apporter des réponses à ces problèmes. À l'origine, la législation européenne sur l'eau s'est attachée à la protection des masses d'eau utilisées par l'homme11(*) (eau potable, eaux de baignade...). Puis, dès les années 1990, une série de directives sectorielles ont été adoptées pour réglementer les sources de pollution12(*) (rejets d'origine urbaine, agricole et industrielle).

Mais la pièce maîtresse de cet ensemble législatif, regroupant les principales obligations concernant la gestion de l'eau dans l'Union européenne, est la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, communément dénommée directive-cadre sur l'eau (DCE). L'entrée en vigueur de ce texte législatif européen a permis de redonner cohérence et une ligne directrice aux politiques décidées au niveau communautaire dans le secteur de l'eau. Ainsi que l'a souligné notre collègue Bruno Sido, rapporteur pour le Sénat du projet de loi de transposition de la directive, « la multiplication des textes devenait un handicap avec pas moins d'une trentaine de directives ou décisions communautaires adoptées depuis 1975. L'un des objectifs poursuivis est de simplifier ce paysage réglementaire et l'article 22 de la directive-cadre abroge, progressivement, sept directives auxquelles elle se substitue ».

Ce texte, adopté sous présidence française, repose sur quelques idées fortes, notamment celle selon laquelle « l'eau n'est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel », mais également qu'il est « nécessaire d'intégrer davantage la protection et la gestion écologiquement viable des eaux dans les autres politiques communautaires, telles que celle de l'énergie, celle des transports, la politique agricole, celle de la pêche, la politique régionale, et celle du tourisme » et qu'il convient que « les États-membres se fixent comme objectif de parvenir au minimum à un bon état des eaux en définissant et en mettant en oeuvre les mesures nécessaires dans le cadre de programmes de mesures intégrés tenant compte des exigences communautaires existantes. Lorsque le bon état des eaux est déjà assuré, il doit être maintenu. Pour les eaux souterraines, outre les exigences relatives au bon état, il convient de détecter et d'inverser toute tendance à la hausse, significative et durable, de la concentration de tout polluant ».

La DCE s'articule autour de trois principes majeurs, qui lient intimement préservation du milieu et satisfaction des usages, notamment en fixant des objectifs de réduction, voire de suppression, des rejets de substances dangereuses :

- elle prévoit, sur le modèle français qui fut une source d'inspiration pour le législateur européen, une gestion décentralisée de l'eau : le bassin hydrographique devient l'entité gestionnaire de base. La directive repose également sur des programmes de mesures minimums, qui doivent répondre aux exigences de l'ensemble de la législation européenne pour la gestion de l'eau. Elle assure également qu'une coordination transfrontalière soit mise en oeuvre pour les fleuves internationaux comme le Rhin, la Meuse ou l'Escaut ;

- elle repose sur une approche combinée, permettant de lutter contre la pollution par deux moyens simultanés : fixation de valeurs-limites d'émission et définition d'objectifs généraux de qualité. Un délai de 15 ans est prévu pour parvenir au bon état général des eaux européennes, souterraines et de surface. La directive prend assez largement en compte les critères économiques, sociaux et environnementaux, ainsi que les réalités géographiques, voire climatiques, des bassins hydrographiques, comme autant de contraintes permettant de définir des objectifs moins stricts ou des processus dérogatoires pour parvenir aux résultats fixés. Cette échéance sera par ailleurs plusieurs fois repoussée pour tenir compte de la difficulté à faire face aux pressions croissantes sur la ressource : l'atteinte du bon état de l'ensemble des masses d'eau est aujourd'hui fixée pour 2026 ;

- elle s'appuie sur une application claire et concrète du principe du pollueur-payeur à travers l'idée que l'eau doit payer l'eau. La récupération des coûts des services liés à l'eau doit tenir compte des situations locales et notamment des conditions sociales, environnementales et économiques. Cette approche subsidiaire laisse aux États davantage de marges de manoeuvre pour déterminer les instruments juridiques adéquats et les politiques à mener pour la préservation de la ressource en eau. La DCE introduit enfin un principe résolument novateur en matière de qualité de l'eau : elle fixe des obligations de résultat et non plus seulement de moyens.

Source : Les grandes étapes de la règlementation sur l'eau, eaufrance.fr

La France a opéré la transposition dans son droit interne des dispositions de la DCE à travers la loi n° 2004-338 du 21 avril 2004, dont les neuf articles tirent les conséquences juridiques en procédant à des aménagements de structure et de périmètre, notamment en rattachant les masses d'eaux souterraines et les eaux maritimes intérieures et territoriales aux bassins hydrographiques, en renforçant le principe de coordination avec les autorités étrangères compétentes pour la gestion des bassins transfrontaliers et en associant plus étroitement le public aux prises de décision dans le domaine de l'eau.

Mais la modification législative la plus importante concerne le SDAGE, dont la centralité dans la gestion de l'eau est affirmée et consacrée. Le schéma directeur fixe désormais des objectifs de qualité et de quantité des eaux et indique comment sont pris en charge par les utilisateurs les coûts liés à l'utilisation de l'eau, en distinguant au moins le secteur industriel, le secteur agricole et les usages domestiques. De plus, les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles au SDAGE. Le comité de bassin doit désormais recueillir l'avis du public sur le projet de SDAGE et l'autorité administrative doit enfin établir un programme pluriannuel de mesures contribuant à la réalisation des objectifs et des dispositions du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux.

Les objectifs de DCE ont ensuite été complétés et modifiés par d'autres textes européens, notamment la directive du 12 décembre 2006 sur la protection des eaux souterraines contre la pollution et la détérioration, la directive du 16 décembre 2008 établissant des normes de qualité environnementale dans le domaine de l'eau et la directive du 31 juillet 2009 établissant des spécifications techniques pour l'analyse chimique et la surveillance de l'état des eaux.

b) De profondes évolutions en cours d'élaboration à Bruxelles

Il convient d'insister sur les dernières évolutions du droit européen et les discussions en cours pour actualiser la législation européenne, aux profondes conséquences sur la gestion de l'eau dans les États-membres :

- la directive (UE) 2020/2184 du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite directive eau potable, a fixé de nouvelles règles pour protéger la santé humaine de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine, en garantissant leur salubrité et leur propreté.

Elle renforce également les exigences en matière d'hygiène pour les matériaux en contact avec l'eau potable, comme les canalisations. Elle vise à favoriser l'accès de chacun, dans tous les territoires, aux eaux destinées à la consommation humaine. Elle introduit enfin une approche fondée sur les risques, avec l'obligation d'établir des plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux, afin d'identifier les dangers et événements dangereux susceptibles de se produire sur l'ensemble du système de production et de distribution d'eau, de la ressource en eau au robinet du consommateur, et de mettre en place un plan de mesures de maîtrise des risques.

Ce texte a été transposé par l'ordonnance du 22 décembre 2022 relative à l'accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ;

- la Commission européenne a également présenté le 22 octobre 2022 une refonte de la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires (DERU), adoptée en 1991. Cette législation, qui s'applique à toutes les agglomérations de plus de 2 000 habitants, a permis de protéger efficacement l'environnement contre les effets néfastes des rejets d'eaux usées d'origine urbaine et de certaines industries.

Mais son actualisation est devenue nécessaire afin de mieux traiter la pollution provenant des petites agglomérations et des eaux pluviales. Le champ d'application de la directive pourrait concerner toutes les agglomérations dès 1 000 habitants (ou équivalents habitants). Les États-membres auraient également à s'assurer que tous les ménages soient raccordés aux systèmes de collecte lorsqu'ils existent.

La proposition de directive introduit une nouvelle responsabilité élargie des producteurs, sur le modèle de celle existant pour la gestion des déchets. Les producteurs devront contribuer aux coûts de traitement quaternaire dans le cas de mise sur le marché de l'Union européenne de produits rejetant des micropolluants en fin de cycle de vie. La contribution financière sera établie sur la base de la quantité et de la toxicité des produits mis sur le marché. Sa mise en application serait néanmoins laissée à l'appréciation des États-membres.

Enfin, les réflexions et travaux en cours au niveau européen sur la restauration de la nature et sur la protection des sols, s'ils devaient aboutir avec le degré d'ambition voulu par la Commission européenne, ne manqueraient pas d'avoir de profondes répercussions sur le cadre normatif de la gestion de l'eau.


* 1  https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-142-notice.html

* 2 Rapport n° 31 (1964-1965) de Maurice Lalloy, fait au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, déposé le 17 novembre 1964.

* 3 Article 116 de la loi du 5 avril 1884 sur l'organisation municipale, qui dispose également que les conseils municipaux « peuvent faire des conventions à l'effet d'entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des institutions d'utilité commune ».

* 4 Ce montant inclut la totalité du patrimoine de l'eau (forages, réseaux, branchements, usines de traitement, réservoirs) et du patrimoine de l'assainissement (réseaux, branchements, postes de refoulement, usines de traitement). Les éléments complets sont accessibles à l'adresse suivante : https://eau-entreprises.org/wp-content/uploads/2022/10/CP-UIE-Etude-patrimoine-2022-VF-.pdf

* 5 Prix moyen de 4,07 €/m3 pour les communes de moins de 1 000 habitants, entre 4,25 €/m3 et 4,66 €/m3 pour les communes entre 1 000 et 50 000 habitants et 4,25 €/m3 pour les communes de plus de 50 000 habitants.

Source : Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement (2022), Panorama des services et de leur performance en 2020.

* 6 Le prix moyen des services gérés en régie est inférieur de 5 % à celui des services délégués, selon l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement, en s'établissant respectivement à 4,23 €/m3 et 4,40 €/m3.

* 7 Enquête du CLCV de mars 2019, intitulée « Les dessous de la facture d'eau et de l'assainissement ». Cette enquête a porté sur 150 factures correspondant à une année civile complète, provenant de 178 services, dont la moitié en régie et l'autre moitié en délégation de services publics. La population concernée était composée de 8,3 millions d'usagers et d'un panel de 50 départements.

* 8 Loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.

* 9 Une organisation inadaptée aux enjeux de la gestion quantitative de l'eau, partie 6 du rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes, « La décentralisation 40 ans après ».

* 10 Article L. 210-1 du code de l'environnement.

* 11 Depuis notamment la directive 75/440/CEE du Conseil du 16 juin 1975 concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire dans les États-membres et la directive 76/160/CEE du Conseil du 8 décembre 1975 concernant la qualité des eaux de baignade.

* 12 Il s'agit notamment de l'actualisation de la directive 76/464/CEE du Conseil du 4 mai 1976 concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté, à travers la directive 91/271/CEE du Conseil du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires et la directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles.