III. UNE POLITIQUE PUBLIQUE DE L'EAU À RÉARMER

A. UNE PRISE DE CONSCIENCE DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE ÉVOLUER NOS MODÈLES

1. Des concertations qui ont mis l'accent sur la sobriété et le partage de la ressource
a) Des Assises de l'eau au Plan eau
(1) L'objectif de sobriété affirmé par les Assises de l'eau

En matière de consommation d'eau, la préoccupation de sobriété est ancienne : depuis plusieurs décennies, des campagnes grand public de lutte contre le gaspillage utilisent le levier comportemental pour faire la promotion de mesures d'économie et d'éco-gestes. La majorité des usagers a aujourd'hui intégré le fait que l'utilisation raisonnée de l'eau était une piste d'adaptation privilégiée pour faire face à la moindre disponibilité spatiale et temporelle de la ressource. C'est le cas notamment de certains industriels, qui, pour réduire leur dépendance hydrique et les pertes de chiffre d'affaires imputables aux variabilités d'une ressource thermosensible, investissent dans des processus de production plus économes en eau : c'est ainsi qu'entre 1994 et 2020, les prélèvements d'eau douce pour les usages industriels ont diminué en moyenne de 1,6 % par an285(*).

Ces dernières années, la conscience accrue de la réduction des volumes disponibles pour l'ensemble des usages sous l'effet du changement climatique a incité les pouvoirs publics à changer d'échelle et à organiser des concertations spécifiques pour répondre aux défis de la gestion de l'eau, afin de favoriser le principe d'une sobriété choisie, plutôt que d'en arriver à des rationnements subis. Le premier temps des concertations s'est déroulé entre avril 2018 et juillet 2019, avec les deux séquences des Assises de l'eau, autour de trois objectifs principaux : protéger et restaurer les milieux aquatiques ; économiser et partager ; améliorer la qualité des services aux usagers. Ces concertations ont rassemblé l'ensemble des acteurs de l'eau : collectivités territoriales, entreprises, organisations professionnelles agricoles, associations de protection de la nature, associations de défense des consommateurs, chercheurs et hydrologues...

• La première séquence portait sur le petit cycle de l'eau et l'enjeu majeur de la rénovation des réseaux d'eau et d'assainissement : elle a notamment abouti à un objectif de réduction des fuites d'eau, à la nécessité d'une meilleure connaissance patrimoniale des réseaux - notamment dans les territoires ruraux - pour accélérer le renouvellement des installations d'eau en divisant par deux la durée du cycle de renouvellement des canalisations. Le principe de la généralisation de la tarification sociale de l'eau a également été affirmé, mesure qui sera instaurée par l'article 15 de la loi « engagement et proximité » du 27 décembre 2019, qui a ouvert à toutes les collectivités la possibilité de mettre en place une tarification sociale ou toute autre mesure en faveur de l'accès à l'eau.

• La seconde séquence était consacrée à la ressource en eau face au changement climatique, qui a notamment mis en évidence la nécessité de mieux protéger les captages d'eau potable, en y favorisant l'agriculture biologique et des pratiques agricoles qui utilisent moins de pesticides, à travers un plan d'action spécifique pour chacun des 1 000 captages prioritaires. Pour promouvoir une mise en oeuvre plus volontariste de cette mesure, une expérimentation d'un dispositif de paiement pour service environnemental a été retenue, avec une dotation spécifique de 150 millions d'euros.

Un objectif de réduction des prélèvements d'eau de 10 % en 5 ans et de 25 % en 15 ans a également été fixé, pour tous les usages (domestiques, agricoles, industriels), ainsi qu'un triplement des volumes d'eaux non conventionnelles réutilisées d'ici 2025, mais il ne s'agit que de trajectoires indicatives, sans caractère contraignant. La mise en oeuvre de la tarification incitative a également été encouragée, mais elle est restée à ce jour sans mise en oeuvre pratique.

Les Assises de l'eau ont eu le mérite d'inscrire les questions hydriques à l'agenda politique national et de mobiliser les acteurs de l'eau autour d'une vision-cadre et des objectifs partagés. Cet exercice original, cohérent avec l'organisation déconcentrée, démocratique et partenariale de la gestion de l'eau, a esquissé la première feuille de route à l'aune des projections hydrologiques tirées des travaux et simulations du GIEC. Les Assises de l'eau ont pris acte des défis auxquels se préparer : sobriété, investissements massifs dans le petit cycle de l'eau, anticipation des conflits d'usage et meilleure gestion des stress hydriques, protection indispensable de la ressource à la source, réutilisation, etc.

(2) La recherche d'un nouveau paradigme pour l'eau agricole : le Varenne de l'eau

La séquence généraliste des Assises de l'eau a été suivie du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, qui s'est déroulé de juin 2021 à janvier 2022 avec l'objectif d'apporter une réponse concertée aux enjeux de gestion de l'eau et d'adaptation au changement climatique auxquels est confrontée l'activité agricole. La méthode s'est voulue transversale, avec un double pilotage assuré à la fois par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation et la secrétaire d'État chargée de la biodiversité.

Des groupes de travail ont été constitués autour de trois axes stratégiques : se doter d'outils d'anticipation et de protection de l'agriculture dans le cadre de la gestion des aléas climatiques ; renforcer la résilience de l'agriculture dans une approche globale en agissant notamment sur les sols, les variétés, les pratiques culturales et d'élevage, les infrastructures agroécologiques et l'efficience de l'eau d'irrigation ; partager une vision raisonnée des besoins et de l'accès aux ressources en eau mobilisables pour l'agriculture sur le long terme. Ces travaux ont constitué la matrice intellectuelle de la réforme de l'assurance récolte, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, qui repose sur un dispositif à trois étages : les aléas courants, assumés par les agriculteurs ; les aléas significatifs, dédommagés par l'assurance multirisque climatique des agriculteurs assurés et les aléas exceptionnels, pris en charge par la solidarité nationale pour tous les agriculteurs286(*).

Le Varenne agricole de l'eau reposait sur le pari qu'il est possible de parvenir à une gestion apaisée, équilibrée et durable de l'eau pour les usages agricoles en mobilisant tous les leviers : sobriété, résilience, évolutions de pratiques culturales, mais aussi en constituant de nouvelles retenues là où cette solution apparaît pertinente. Ainsi que l'a indiqué le préfet délégué interministériel chargé du suivi des conclusions du Varenne agricole de l'eau, Frédéric Veau, devant la mission d'information, « le Varenne a cherché à trouver un équilibre entre l'adaptation et l'accès à la ressource, en fonction des réalités territoriales ». Lors de la conclusion du Varenne de l'eau par le Premier ministre le 1er février 2022, 24 mesures ont été annoncées.

Parmi les mesures intéressant au premier chef la gestion de l'eau, le Varenne de l'eau a conclu à la nécessité d'inventorier les plans d'eau d'une superficie supérieure à 0,1 hectare, dans l'objectif de mieux mobiliser les ouvrages hydrauliques existants. Ce travail a été entamé et a conduit à estimer, grâce à un système de relevé satellitaire, qu'il existait au plan national environ 350 000 plans d'eau. Ce travail de recensement du patrimoine hydraulique se poursuit désormais par l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) afin de déterminer la propriété des réservoirs, l'état des installations et d'inventorier les exploitations agricoles à proximité intéressées par l'utilisation de ces réserves en constituant une banque de données qui puisse être exploitable au niveau territorial.

Des moyens financiers ont été mobilisés pour accompagner les acteurs agricoles dans leur stratégie d'adaptation hydrique au changement climatique : 100 M € pour financer l'acquisition d'équipements et de matériels innovants, comme le pilotage intelligent des stockages d'eau et des systèmes d'irrigation performante et économe en eau, et 100 M € pour le soutien à l'innovation afin d'accélérer la transition des filières agricoles et alimentaires, dont une partie est consacrée au soutien aux investissements dans les projets collectifs pour l'amélioration ou la création d'infrastructures hydrauliques innovantes. Des expérimentations sont également prévues pour améliorer la connaissance des eaux non conventionnelles à travers la création d'un observatoire dédié à la réutilisation des eaux usées et le rôle du préfet a été renforcé afin d'améliorer les modalités de concertation, le calendrier et la prise de décisions nécessaires à l'émergence des PTGE, pour une gestion territorialisée de l'eau et la détermination des volumes prélevables hiver comme été sans menacer les milieux. Enfin, le site internet Propluvia287(*), alimenté par les services du ministère de la transition écologique, a été modernisé pour mieux informer le grand public des mesures de restrictions d'eau en vigueur dans leur département.

b) Le Plan eau pour faire face à l'urgence et préparer l'avenir

Cet exercice prospectif axé sur l'eau agricole a été poursuivi pour l'ensemble des usages par le Conseil national de la refondation dédié à l'eau, lancé le 29 septembre 2023 à Marseille par le ministre de la transition écologique, afin de tirer le bilan des objectifs issus des Assises de l'eau et du Varenne agricole, mais également ceux inscrits au sein des plans d'action plus sectoriels (nitrates, produits phytosanitaires, etc.). L'enjeu de cette séquence, préalable à l'annonce de mesures concrètes, était de clôturer le cycle de réflexion et de concertation autour de l'eau, en synthétisant les travaux et constats passés à l'aune de cinq enjeux - atténuation et adaptation au changement climatique, restauration de la biodiversité, préservation des ressources et santé-environnement. 

C'est à l'issue de cette séquence qu'a été présenté le plan d'action pour une gestion résiliente et concertée de l'eau, par le Président de la République, à Savines-le-Lac le 30 mars 2023.

Le Plan eau décline 53 mesures autour de deux temporalités :

- à court terme, pour éviter cet été les mêmes difficultés que celles rencontrées lors la sécheresse de l'été dernier, en accompagnant notamment les 2 000 communes ayant rencontré des difficultés d'approvisionnement, avec une stratégie d'anticipation et des plans de sobriété ;

- à moyen et long termes, un plan d'action principalement financé par les agences de l'eau, qui bénéficieront pour ce faire d'une augmentation de 475 M € de leur plafond de recettes et du déplafonnement de leurs dépenses, à compter de la loi de finances pour 2024.

Il repose sur un objectif de baisse de 10 % des prélèvements d'eau dans tous les secteurs, par rapport à 2019. Il s'agit en réalité d'un objectif moins ambitieux que celui fixé en 2019 à l'occasion de la seconde séquence des Assises de l'eau, puisque l'échéance est reportée de 2025 à 2030.

Pour mener à bien cette ambition, cinq leviers d'action devront être mobilisés :

- accélérer la sobriété partout et dans la durée, en diminuant de 10 % les volumes prélevés d'ici 2030 dans tous les secteurs, avec une attention particulière aux 50 sites industriels ayant le plus fort potentiel de réduction et en soutenant les pratiques agricoles économes en eau à compter de 2024 à hauteur de 30 M € ; en planifiant mieux les efforts à travers les PTGE et la détermination de trajectoires de réduction des prélèvements ; en installant des dispositifs hydro-économes au sein des administrations publiques ; en favorisant l'installation de compteurs permettant la télétransmission des volumes consommés et en mesurant plus finement les volumes prélevés ;

- optimiser la disponibilité de la ressource, en sécurisant l'approvisionnement en eau potable par la réduction des fuites, avec un effort particulier de 180 M € au bénéfice des 170 collectivités ayant des taux de fuite supérieurs à 50 % ; en valorisant les eaux non conventionnelles (avec un objectif de réutilisation de 10 % des eaux usées traitées) ; en améliorant le stockage dans les sols, les nappes et les ouvrages et en créant un fonds hydraulique agricole ;

- préserver la qualité de l'eau et restaurer des écosystèmes sains et fonctionnels en prévenant les pollutions et en restaurant le grand cycle de l'eau pour améliorer la fonction « filtre » de la nature dans le cadre de solutions fondées sur la nature et la désimperméabilisation, en consacrant 50 M € à la mise aux normes des stations d'épuration prioritaires et en élaborant une stratégie nationale de recharge maîtrisée des aquifères ; en soutenant les pratiques agricoles à bas niveau d'intrants sur les aires d'alimentation de captage, qui représentent 3 % de la surface agricole utile ;

- mettre en place les moyens d'atteindre ces ambitions, en améliorant la gouvernance de la gestion de l'eau, en rétablissant un signal-prix de l'eau efficient avec l'instauration d'une tarification progressive, afin que le coût de la ressource intègre des paramètres de sobriété, dans une logique de responsabilisation des acteurs. À cette fin, le CESE a été saisi d'une mission visant à évaluer les évolutions nécessaires pour instaurer une tarification progressive de l'eau. L'empreinte eau devrait par ailleurs être intégrée dans l'affichage environnemental à compter de 2024 ;

- mieux répondre aux crises de sécheresse, avec la mise à disposition d'outils d'anticipation et d'information en temps réel ; la création de commissions locales de l'eau au niveau de chaque sous-bassin versant, en facilitant l'intervention des conseils départementaux en matière d'assistance technique et financière aux communes.

Sur le fond, force est de considérer que le Plan eau constitue en réalité plus une feuille de route qui doit être déclinée par différents véhicules législatifs et règlementaires, que des mesures directement opérationnelles. Les mesures annoncées doivent se traduire en politiques publiques concrètes, en financements adaptés et en accompagnement effectif des acteurs. L'enjeu de sobriété est proclamé avec force, mais les cibles sont plus lointaines et moins-disantes que celles déterminées à l'occasion des Assises de l'eau.

De plus, quelques angles morts sont à regretter : le volet assainissement est peu abordé alors que la révision de la directive eaux résiduaires urbaines et la montée de l'enjeu des micropolluants pèseront de façon sensible sur les services d'assainissement. L'instauration d'une tarification progressive se heurtera également au problème de la consommation au sein de l'habitat collectif et à la difficulté de déterminer les volumétries pertinentes pour chaque type d'usages. À ce jour, le plan n'est qu'un ensemble de possibles, un catalogue de mesures issues des précédents cycles de concertation, dont la traduction concrète est toujours attendue par les acteurs. De plus, les moyens financiers continueront de reposer sur les usagers de l'eau, sans que rien ne soit fait pour corriger la distorsion de sur-financement des utilisateurs domestiques.

La mission d'information espère donc que les promesses du Plan eau seront tenues sur la durée, pour faire face à la nouvelle donne hydrique, et que les mesures seront mises en cohérence pour garantir la lisibilité et la tenue du cap qui a été fixé. Les outils législatifs devront d'ailleurs être forgés avec le Parlement, notamment lors de l'examen de la loi de finances. Enfin, il serait opportun de renforcer les moyens humains des agences de l'eau, bras armé de l'État pour la conduite de la politique de l'eau : l'accompagnement territorial accru que le Plan eau leur confie intervient après une « décennie noire » pour leurs effectifs et une diminution de leur plafond d'emplois de l'ordre de 25 %. Il est indispensable que les agences de l'eau puissent bénéficier des moyens de leurs ambitions pour s'acquitter du mieux possible des missions croissantes qui leur sont confiées.

Les aspects financiers du Plan eau

Le Plan eau du Gouvernement prévoit la mobilisation de moyens supplémentaires pour les agences de l'eau : 475 millions d'euros par an (mesure n° 38). En outre, 100 millions d'euros par an sont prévus (mesure n° 31) sur le Fonds vert pour financer des projets de renaturation et de désimperméabilisation des collectivités territoriales.

Les 475 millions d'euros par an sont totalement fléchés vers les priorités suivantes :

• L'agriculture pour 160 millions d'euros :

- 30 millions d'euros pour le soutien aux pratiques agricoles économes en eau (mesure n° 4) ;

- 30 millions d'euros pour le fonds d'investissement hydraulique agricole (mesure n° 21) ;

- 100 millions d'euros pour diverses mesures d'accompagnement de la transformation des pratiques agricoles (mesure n° 27) : revalorisation des MAEC, aides au bio et protection des aides de captage (50 M €), expérimentation de paiements pour services environnementaux (30 M €) et acquisitions foncières des collectivités (20 M €) ;

- aucune enveloppe n'est en revanche spécifiée pour financer les aides des agences de l'eau à la récupération des eaux de toiture des bâtiments agricoles (mesure n° 19).

• Les collectivités pour 230 millions d'euros :

- 180 millions d'euros pour le plan anti-fuites et la sécurisation de l'alimentation en eau des collectivités territoriales (mesure n° 14) ;

- 50 millions d'euros pour la mise aux normes des stations d'épuration prioritaires (mesure n° 29) ;

- aucune enveloppe n'est toutefois indiquée pour financer l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) sur la réutilisation dans les communes littorales (mesure n° 18), ni pour financer la deuxième génération d'aquaprêts de la Banque des Territoires (mesure n° 41).

• Les autres priorités font l'objet d'une enveloppe de 85 millions d'euros ainsi répartie :

- 50 millions d'euros pour la préservation des zones humides (mesure n° 20) ;

- 35 millions d'euros de solidarité interbassin au bénéfice de l'outre-mer (mesure n° 40).

2. Les collectivités territoriales mises à contribution
a) Les collectivités et leurs groupements, acteurs majeurs du petit cycle

Depuis le début des années 1990, la progression continue du fait intercommunal a été mise en oeuvre par un législateur soucieux de limiter les inconvénients de l'émiettement communal : améliorer la qualité des services publics au bénéfice de tous les citoyens et promouvoir l'équité territoriale, de Dunkerque à Marseille et de Brest à Strasbourg, sont les principaux facteurs qui expliquent le développement de l'intercommunalité. Le relèvement des seuils démographiques, l'augmentation des compétences obligatoires et facultatives des intercommunalités, l'instauration d'une gouvernance politique, financière et administrative adaptée au fonctionnement démocratique de ce nouvel échelon institutionnel ont contribué à faire de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) un espace de gestion reconnu des habitants et de la collaboration du bloc communal une réalité au quotidien.

Les grandes lois de réforme territoriale des années 2010288(*), souvent présentées comme « l'acte III de la décentralisation », ont renforcé cette dynamique en parachevant la carte intercommunale, qui inclut désormais la quasi-totalité des communes françaises, exception faite de quatre communes insulaires289(*). Au 1er janvier 2023, la France métropolitaine et les départements d'outre-mer comptent 1 254 EPCI à fiscalité propre, soit 21 métropoles, 14 communautés urbaines, 227 communautés d'agglomération et 992 communautés de communes290(*). Les intercommunalités se sont vu confier trois domaines socles de compétences : le développement économique, l'aménagement de l'espace et la préservation de l'environnement.

Si la logique subsidiaire qui a prévalu dans les premiers temps, avec le souci d'une gestion efficace au meilleur niveau, a permis d'assurer la fluidité des relations entre élus du bloc communal, le renforcement des compétences des intercommunalités, la taille croissante des EPCI (phénomène des intercommunalités dites « XXL ») et l'enchevêtrement des compétences interrogent sur l'avenir de la commune rurale, qui continue par ailleurs à bénéficier d'un capital sympathie élevé des habitants.

Ainsi que l'a montré un précédent rapport du Sénat291(*), « l'agrandissement du périmètre intercommunal et l'extension des compétences obligatoires des EPCI à fiscalité propre soulèvent la question de la proximité d'exercice de certaines compétences. Les élus communaux regrettent que le renforcement de l'intercommunalité s'accompagne du transfert de compétences communales, transformant les communes en « coquilles vides ». Ce constat renforce chez certains élus municipaux le sentiment d'une « subordination » des communes envers l'intercommunalité mais également, notamment en milieu rural, d'une perte d'identité des communes et de leurs habitants, la peur d'un déclassement, en raison de leur éloignement aux services publics. Cette perte de proximité est d'autant plus mal vécue dans un contexte d'agrandissement des régions et des intercommunalités. Or certaines compétences communales ne peuvent être transférées au niveau intercommunal en raison de la proximité que réclame leur exercice. »

L'exercice des compétences eau et assainissement est un cas d'école de cette complexité politique à déterminer l'échelon pertinent de gestion. Cette question a nourri de nombreux débats politiques et, aujourd'hui encore, le sujet fait périodiquement l'objet d'initiatives parlementaires292(*) pour assouplir ou abroger le transfert obligatoire de ces compétences à l'intercommunalité, décidé lors de l'examen de la loi « NOTRe ». Les conditions dans lesquelles le transfert de ces compétences a été décidé au cours de la discussion parlementaire de la loi « NOTRe » expliquent pour partie l'acuité du sujet : c'est par un amendement déposé en première lecture, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, que le Gouvernement a fait adopter le transfert obligatoire de l'eau et de l'assainissement aux EPCI.

L'une des modifications les plus structurantes en matière de gestion de ces compétences est ainsi intervenue sans que les assemblées aient pu correctement expertiser l'ampleur de ce bouleversement. Le ministre au banc a justifié sa position par un souci d'efficacité et de rationalisation, dans le cadre d'une logique uniforme : « L'attribution de la compétence eau aux communautés de communes à titre obligatoire, comme c'est déjà le cas pour les métropoles et les communautés urbaines [...] vise à permettre un exercice plus efficient de cette compétence. La gestion de l'eau et de l'assainissement est actuellement assurée par près de 35 000 services d'eau et d'assainissement sur le territoire national. À plusieurs reprises, et très récemment encore dans son rapport public annuel de 2015, la Cour des comptes a dénoncé la dispersion, l'hétérogénéité et la complexité de l'organisation territoriale des services publics d'eau et d'assainissement. Cette organisation enchevêtrée de services communaux, intercommunaux et de syndicats techniques parfois très anciens, dont certains remontent au début du siècle dernier, ne coïncide pas nécessairement avec les bassins de vie ou les bassins hydrographiques. En outre, l'organisation reste très morcelée entre les compétences eau potable, assainissement collectif et assainissement non collectif. Sur les 13 225 services publics d'eau potable référencés dans l'Observatoire national des services publics d'eau et d'assainissement, 74 % sont gérés par le niveau communal. La réduction du morcellement et de la dispersion de cette compétence exige donc l'attribution à titre obligatoire de celle-ci à chaque catégorie d'EPCI à fiscalité propre, dont les communautés de communes. Cette attribution n'interdit évidemment pas, dans un second temps, le transfert de cette compétence à des syndicats mixtes.293(*) »

En l'état actuel du droit, le transfert des compétences en matière d'eau potable et d'assainissement doit intervenir au plus tard le 1er janvier 2026, au bénéfice de l'ensemble des communautés de communes. Il apparaît cependant que 663 communautés de communes n'exercent toujours pas la compétence « eau » au 1er octobre 2022, ce qui dénote l'absence de consensus majoritaire au sein des organes délibérants des communautés de communes. Sans se prononcer sur l'opportunité de rendre le transfert facultatif, la mission d'information constate que la gestion intercommunale à plus vaste échelle facilite la nécessaire interconnexion des réseaux qui permet d'accroître la résilience des systèmes de distribution de l'eau potable.

Le rapport consacré au retour d'expérience sur la sécheresse 2022 précité chiffre à un peu plus de 2 000 le nombre de communes ayant connu des ruptures d'approvisionnement en eau potable ou des risques de rupture l'année dernière. Mais tous les services d'eau n'ont pas été logés à la même enseigne. Le rapport indique notamment qu'« en situation de crise, les services d'eau potable de plus petite taille, que ce soit des syndicats ou des communes isolées n'ayant pas transféré la compétence à une structure intercommunale et n'ayant pas mis en place des interconnexions, ne disposent pas de la taille critique financière et technique pour mettre en place en urgence des solutions alternatives et se voient donc contraintes au pic de la crise à la distribution de bouteilles ou au citernage. »

Il semblerait donc qu'il y ait une corrélation entre la taille du service d'eau potable et sa capacité à répondre efficacement aux stress hydriques, dans la mesure où « en regardant plus particulièrement les 539 communes qui ont dû faire du citernage ou de la distribution de bouteilles, 80 % sont des communes isolées ou qui ont transféré la compétence à un syndicat de petite taille ». Selon ce retour d'expérience, il ressort de la sécheresse de l'été 2022 que « la question de la cohérence du périmètre de la structure exerçant la compétence est primordiale, et qu'une taille critique est à définir pour chacune d'entre elles (en fonction de la nature de la ressource, de son abondance et des recours ou de la multiplicité des points d'approvisionnement disponibles en cas de crise). L'échelle intercommunale et la stabilité législative sur ce point ne sauraient donc être remises en cause, tout en recherchant le périmètre le plus adéquat pour répondre aux enjeux des bassins concernés (délégation par la communauté de communes de l'exercice de la compétence à un syndicat infra-communautaire ou transfert à un syndicat supra-communautaire). »

En tout état de cause, la mutualisation, l'interconnexion des réseaux et la solidarité sont des réponses éprouvées, qui permettent de faire face aux situations de crise. Mais à moyen terme, la mission d'information considère que la meilleure stratégie d'adaptation consiste à réaliser des diagnostics de vulnérabilité de l'alimentation en eau potable, à accompagner les collectivités les plus exposées à ce risque de rupture et à réaliser les investissements nécessaires à la sécurisation de l'approvisionnement en eau. Sur cet aspect, l'intercommunalisation des compétences « eau » et « assainissement » est certainement la solution la plus pertinente dans les territoires caractérisés par une urbanisation en continuité, mais ce n'est pas forcément le cas partout, en particulier dans les territoires de montagne où le relief complique l'enfouissement d'importants linéaires de canalisation et au sein des intercommunalités étendues et très peu denses.

Quoi qu'il en soit, les communes et leurs groupements sont en première ligne pour répondre au défi de l'approvisionnement en eau en période de sécheresse et de stress hydrique. À cette fin, les services de distribution d'eau potable auront à anticiper ces phénomènes tout au long de l'année et à diversifier autant que possible les points de captage pour réduire leur dépendance et assurer leur résilience.

b) Des collectivités de plus en plus mises à contribution dans la gestion du grand cycle
(1) La prise de compétence GEMAPI

Au-delà du petit cycle, les collectivités territoriales ont un rôle croissant dans la gestion du grand cycle de l'eau. En témoigne la récente prise de compétence, exclusive et obligatoire, par le bloc communal de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI), qui recouvre l'entretien et l'aménagement des cours d'eau, canaux, lacs et plans d'eau, la défense contre les inondations ainsi que la protection et la restauration des milieux aquatiques et des zones humides.

Comme l'a rappelé le Conseil d'État dans son étude annuelle de 2010294(*) intitulée « L'eau et son droit », quelques années avant la mise en oeuvre de la GEMAPI, « la législation française a toujours traité séparément la gestion de l'eau et la prévention des inondations, rattachée aux textes relatifs aux risques naturels. Dans ces derniers, elle distingue les mesures de prévention, en amont des catastrophes, qui ont pour objet de délimiter les zones exposées aux risques et de prévoir les interdictions ou prescriptions qui s'imposent aux collectivités publiques et aux personnes privées et les mesures de sauvegarde, qui visent l'organisation opérationnelle des secours après une catastrophe. »

La compétence GEMAPI

La gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) est une compétence confiée par le législateur aux intercommunalités depuis les lois de décentralisation dites « Maptam » et 2005 « NOTRe », dans l'objectif d'en finir avec le morcellement et l'absence de cohérence des mesures de prévention du risque inondation. Les EPCI exercent cette compétence obligatoire depuis le 1er janvier 2018. Cette compétence est par ailleurs exclusive depuis la fin de la période de transition fixée au 1er janvier 2020.

Auparavant, l'exercice de ces missions incombait, de manière facultative, à diverses collectivités territoriales (régions, départements, communes et intercommunalités), mais aucune n'en était spécifiquement responsable. Désormais, c'est un seul échelon territorial, l'intercommunalité, qui est responsable en matière d'urbanisme, de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, pour favoriser les synergies entre politiques d'aménagement du territoire et de gestion de l'eau.

Afin de répondre à l'inquiétude que cette nouvelle compétence a suscitée auprès de nombreux élus locaux, le cadre en a été précisé et assoupli par la loi du 30 décembre 2017, en ouvrant notamment la possibilité pour les départements et les régions de continuer à exercer certaines missions en accord avec les EPCI bénéficiaires et la possibilité pour ces EPCI d'adapter la gouvernance territoriale autour de cette compétence.

I. Que recouvrent les compétences GEMAPI ?

Les actions entreprises par les intercommunalités dans le cadre de la GEMAPI sont définies à l'article L. 211-7 du code de l'environnement. Elles concernent :

- l'aménagement des bassins versants ;

- l'entretien et l'aménagement des cours d'eau, canaux, lacs et plans d'eau ;

- la défense contre les inondations et contre la mer ;

- la protection et la restauration des zones humides.

Concrètement, les actions les plus structurantes en matière de prévention des inondations pour les territoires consistent en :

- la surveillance, l'entretien et la réhabilitation des digues qui sont des ouvrages passifs faisant rempart entre le cours d'eau en crue ou la mer et le territoire devant être protégé ;

- la création et la gestion d'aménagements hydrauliques destinées à stocker les masses d'eau prélevées du cours d'eau en crue aux fins de stockage provisoire dans les zones d'expansion de crue prévues à cet usage.

II. Les évolutions institutionnelles induites par la GEMAPI

Dans la mesure où le territoire hydrographique ne recouvre pas le périmètre des intercommunalités, la GEMAPI s'est accompagnée de la création et du renforcement d'organes spécifiquement chargés de la coordination des actions entreprises pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations :

- l'établissement public territorial de bassin (EPTB) a été refondé en tant que syndicat mixte ayant pour vocation d'assurer la coordination des « actions GEMAPI » sur une échelle territoriale plus large, celle du bassin versant. L'EPTB est également juridiquement fondé à assurer les actions en question par transfert de compétence des intercommunalités ou par le mécanisme juridique de la délégation de compétence quand ces autorités ne sont pas membres de l'EPTB ;

- l'établissement public d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE) a vu le jour en tant que syndicat mixte spécialisé dans les actions GEMAPI, regroupant les intercommunalités à une échelle plus restreinte, correspondant à celle d'un sous-bassin versant.

III. Les sources de financement de la GEMAPI

En premier lieu, le code général des impôts donne la possibilité aux EPCI à fiscalité propre d'instituer et de percevoir une taxe facultative pour financer des actions en matière de GEMAPI. Ces derniers votent un produit final attendu, et non un taux. Le produit voté est réparti entre les contribuables assujettis aux taxes directes locales proportionnellement aux recettes que chacune d'elles a procurées l'année précédente sur le territoire de l'EPCI. Les taux d'imposition sont obtenus en divisant le produit réparti par les bases nettes d'imposition respectives.

La recette de cette taxe, dédiée exclusivement à la prise en charge de cette compétence, est plafonnée à 40 € par habitant. Le montant moyen de cette taxe s'élevait en 2020 à 6 € par habitant et seulement 55 % des intercommunalités l'ont mise en place. En 2021, son rendement à l'échelle nationale s'élève à 274,9 M €, soit une moyenne de 7,5 € par habitant assujetti. Cette taxe se caractérise par un fort dynamisme des recettes perçues, avec une multiplication par 11 entre 2017 et 2021.

Évolution des produits de la taxe GEMAPI

L'EPCI peut lever la taxe GEMAPI pour financer sa contribution statutaire à un syndicat mixte, à condition que le montant annuel de la taxe ne dépasse pas le montant de la contribution statutaire affectée par le ou les syndicats mixtes au financement des charges de fonctionnement et d'investissement résultant de l'exercice des missions rattachées à la compétence GEMAPI.

Malgré son rendement croissant, cette ressource ne suffit cependant pas à financer les projets de génie civil, dont les montants excèdent de beaucoup son produit. Bien souvent, elle ne suffit qu'à financer des études.

D'autres soutiens financiers sont mobilisables pour accompagner la mise en oeuvre des actions GEMAPI :

- les EPCI peuvent solliciter les agences de l'eau pour obtenir des subventions destinées à soutenir des actions de restauration des zones humides, des rivières, des lacs, des lagunes et du littoral, ainsi que pour la dépollution des milieux aquatiques ;

- le dispositif aquaprêt, géré par la Caisse des dépôts et des consignations, a été élargi à la GEMAPI depuis janvier 2019 ;

- le fonds de prévention des risques naturels majeurs permet de financer une part importante de la GEMAPI dans les territoires qui sont confrontés à des risques élevés d'inondation et de submersion marine, dans le cadre des programmes d'action de prévention des inondations (PAPI).

IV. Une compétence complexe à financer dans certains territoires

La question du financement des compétences GEMAPI au sein d'EPCI à risques forts d'inondation et à faible densité de population reste sensible.

Il est souvent fait reproche que le montant de cette taxe, dans les territoires à faible densité de population, est inéquitable fiscalement pour les ménages mais surtout ne permet pas d'assurer les investissements nécessaires.

Il existe aujourd'hui un réel enjeu de nécessaire solidarité à l'échelle du bassin versant et le long du cours d'eau pour la gestion des risques d'inondation, entre des collectivités densément peuplées qui peuvent prendre en charge les actions de protection et celles pour qui la faiblesse de l'assiette ne permet pas de couvrir le financement d'ouvrages onéreux.

La fiscalité actuelle est inadaptée et les agences de l'eau n'interviennent que dans des proportions limitées - les 60 à 70 % de financements restants sont complexes à trouver. La question de l'intervention financière de l'État pourrait être une piste à explorer, dans une logique de péréquation et de solidarité territoriale.

Il s'agit d'une évolution majeure de la gouvernance du grand cycle de l'eau, avec une importante responsabilité confiée aux intercommunalités et aux structures « gémapiennes », intensive en ingénierie et en moyens d'intervention, qui implique la prise en charge d'investissements substantiels, dont le financement peut s'avérer extrêmement coûteux et impossible à couvrir totalement par la taxe qui peut être levée par les EPCI. D'autant que le système actuel ne répond que très imparfaitement aux impératifs de solidarité et de péréquation : dans le régime commun, l'entretien des digues et des barrages est pris en charge par l'intercommunalité où ces ouvrages sont implantés, alors qu'ils bénéficient à l'ensemble des collectivités en aval.

De plus, ce choix interroge quant à la désignation de l'échelon pertinent pour élaborer et conduire une politique de prévention efficace contre les inondations : celui-ci est rarement intercommunal et bien plus souvent le périmètre hydrographique du bassin versant. La sécurité face aux inondations, dont l'État était le garant depuis le XIXe siècle sans qu'une obligation règlementaire ne l'édicte expressément, se trouve devoir être assumée aujourd'hui par les intercommunalités, à travers la gestion de l'inconstructibilité en zone inondable, la construction et le maintien en bon état des systèmes d'endiguement et l'anticipation des effets des crues grâce aux bassins écrêteurs et aux ouvrages hydrauliques de régulation des eaux.

Au regard des difficultés qu'elle génère dans certains territoires, on peut déplorer que la GEMAPI est une révolution inachevée. De plus, le transfert de la compétence n'est pas intervenu sans heurts : la Cour des comptes, dans son rapport public annuel 2023, parle d'un « contexte [...] marqué par des difficultés liées au transfert compliqué de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) aux EPCI ». L'AMF, dans son courrier d'observation à la Cour des comptes, regrette de son côté que « l'État continue de procéder à des transferts insidieux, ce fut le cas de la GEMAPI [...] sans réelle compensation. »

Au-delà du levier fiscal, qui ne permet pas de répondre à l'ensemble des défis et dont la manipulation n'est pas aisée dans tous les territoires, la mission d'information plaide pour que les transferts de compétences ne conduisent pas au désengagement de l'État et s'accompagnent des moyens adéquats, grâce à une authentique compensation des charges nouvelles qui pèsent sur les collectivités territoriales et leurs groupements. En présence de dépenses et d'investissements qui profitent bien au-delà du seul financeur, l'État doit jouer son rôle de financeur de la solidarité territoriale.

(2) La gestion des eaux pluviales ou l'anomalie d'une compétence inflationniste sans recette dédiée

La maîtrise de l'excédent d'eau passe également par une amélioration de la gestion des eaux pluviales. Sous l'effet conjugué du changement climatique, de la variabilité temporelle accrue des précipitations et du rythme d'imperméabilisation des sols, le ruissellement des eaux pluviales est amené à croître dans des laps de temps plus brefs, ce qui accroît sensiblement le risque d'inondations. Il contraint également le traitement des systèmes d'assainissement pendant les fortes pluies, dont la capacité de traitement de pointe en temps de pluie peut être dépassée, pouvant entraîner des rejets d'eaux usées non traitées dans les milieux. La volumétrie en jeu est considérable, puisque l'on considère à l'échelle nationale qu'environ 500 milliards de m d'eau proviennent de la pluie et de la neige. Les montants le sont tout autant, puisqu'on estime à 650 M € chaque année le coût minimal des dommages liés aux inondations en France295(*).

La compétence des communes en matière de gestion des eaux pluviales urbaines (GEPU) est définie à l'article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales, aux termes duquel « la gestion des eaux pluviales urbaines correspondant à la collecte, au transport, au stockage et au traitement des eaux pluviales des aires urbaines constitue un service public administratif relevant des communes, dénommé service public de gestion des eaux pluviales urbaines. » Ce service est notamment chargé d'assurer le contrôle du raccordement des immeubles au réseau public de collecte des eaux pluviales urbaines.

Depuis le 1er janvier 2020, la gestion des eaux pluviales urbaines est une compétence facultative des communautés de communes. Contrairement au service public d'assainissement, qui constitue un service public industriel et commercial (SPIC), la gestion des eaux pluviales urbaines est un service public administratif (SPA) qui ne peut être financé par une redevance et reste ainsi à la charge du budget général de la collectivité ou du groupement qui en assure l'exercice. Le financement du service fait ainsi l'objet d'une participation forfaitaire du budget général en investissement et en fonctionnement, versée au budget annexe de l'assainissement296(*). La montée en puissance du coût prévisionnel de la gestion des eaux pluviales pour les collectivités conduira nécessairement à faire évoluer cette modalité de financement qui contrevient au principe selon lequel l'eau paye l'eau.

Trois grands enjeux se détachent pour les communes gestionnaires : les eaux pluviales et le ruissellement comme vecteur de pollution ; comme facteur d'inondation et comme ressource. L'atteinte du bon état écologique des masses d'eau, mis en avant par la DCE, suppose en effet de réduire sensiblement l'ensemble des flux de pollutions déversées par temps de pluie dans les milieux récepteurs.

La croissance rapide du tissu urbain pendant la seconde moitié du XXe siècle, génératrice d'une forte augmentation des surfaces imperméabilisées, a considérablement accru les volumes et les débits ruisselés, ce qui a conduit à une insuffisance des exutoires traditionnels et des systèmes d'assainissement par lequel les eaux pluviales ont longtemps été évacuées. Des techniques alternatives sont apparues, avec le stockage temporaire des eaux de pluie permettant de retarder l'écoulement avant l'exutoire et l'infiltration dans les sols.

Aujourd'hui, les modalités d'évacuation des eaux pluviales peuvent reposer sur :

un système séparatif, qui consiste à réserver un réseau à l'évacuation des eaux usées domestiques et certains effluents industriels tandis que l'évacuation des eaux météoriques est assurée par un autre réseau ;

un système unitaire, soit l'évacuation de l'ensemble des eaux usées et pluviales par un seul réseau généralement pourvu de déversoirs d'orages permettant le rejet direct d'une partie des eaux dans le milieu naturel ;

- un système mixte, c'est-à-dire un réseau constitué, suivant les zones, d'un système unitaire et d'un système séparatif ;

des techniques dites alternatives, qui visent à conférer aux surfaces sur lesquelles se produit le ruissellement un rôle régulateur fondé sur la rétention et l'infiltration.

Un rapport du CGEDD d'avril 2017297(*), intitulé « Gestion des eaux pluviales : dix ans pour relever le défi », pointe le fait que « les enjeux de la pollution urbaine, notamment pour la conformité aux directives européennes, se déplacent des eaux usées vers les eaux pluviales. [...] En effet, l'amélioration du traitement des eaux usées collectées par temps sec révèle maintenant l'importance des rejets de temps de pluie, y compris pour les paramètres les plus classiques de la pollution. La part principale de cet enjeu concerne les réseaux dits unitaires où eaux pluviales et eaux usées sont mélangées. » Partant du constat que les différentes stratégies mises en oeuvre ont conduit à la constitution d'un système de plus en plus complexe de gestion des eaux pluviales et que la connaissance du patrimoine pluvial est trop parcellaire, ce rapport invite à mieux définir les politiques concernant les eaux pluviales et le ruissellement, à mieux les articuler entre elles, à en améliorer les mécanismes de financement à travers une stratégie réaliste d'investissement et propose notamment d'établir une compétence unifiée, dans le cadre d'un schéma directeur unique, exercée via l'élargissement du SPIC d'assainissement financé par des recettes hybrides.

En 2019, les Assises de l'eau ont conclu à la nécessité de promouvoir une gestion intégrée des eaux pluviales et de maîtriser le ruissellement des eaux au plus près de leur point de chute, à travers l'adoption d'ici à 2026, par chaque commune ou groupement de communes compétent, d'un schéma directeur de gestion des eaux pluviales et un zonage pluvial qui privilégie l'infiltration ainsi que la mention, dans les rapports annuels sur les prix et la qualité des services publics d'eau et d'assainissement, des dépenses et contributions financières liées à la gestion des eaux pluviales urbaines.

En novembre 2021, le Gouvernement a annoncé un plan national d'actions pour la gestion des eaux pluviales, qui couvre la période 2022-2024 et reprend les principales recommandations du rapport précité du CGEDD : mieux intégrer la gestion des eaux pluviales dans les politiques d'aménagement du territoire, réduire leur impact sur la qualité des milieux aquatiques et faire de ces eaux une ressource pour favoriser l'adaptation des villes au changement climatique. Parmi les mesures phares figurent l'intégration de la question des eaux pluviales dans les documents d'urbanisme (SCoT et PLU(i) notamment), le déploiement d'outils de planification spécifiques à la gestion des eaux pluviales et l'amélioration de la connaissance sur les rejets de temps de pluie issus des réseaux unitaires ou mixtes de collecte des eaux usées. Quant au Plan eau, il préconise un large soutien des agences de l'eau à la récupération des eaux de pluie de toiture des bâtiments agricoles.

La mission d'information estime que le zonage pluvial298(*) est un bon outil d'aménagement et d'aide à la décision afin de limiter les nuisances et pollutions générées par le ruissellement, mais également de promouvoir un modèle de « ville éponge », plus résiliente face aux stress hydriques et aux pics de chaleur et qui réduit les volumes d'eau à gérer par les collectivités. En revanche, le modèle économique de cette gestion reste à trouver : les interactions de la gestion des eaux pluviales avec d'autres services urbains - assainissement des eaux usées, voiries, espaces verts, aménagement - complexifient les modalités de son financement.

Dans un premier temps, la possibilité de lever une taxe pour la gestion des eaux pluviales urbaines (TGEPU) avait été instituée par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 et précisée par la loi de 2010 dite « Grenelle 2 », mais elle été supprimée par la loi de finances pour 2015, au motif que peu de collectivités s'étaient saisies de cette possibilité. Les agences de l'eau interviennent bien en accompagnement des collectivités - dans le cadre du 11e programme d'intervention des agences de l'eau (2019-2024), 859 M € d'aides sont consacrés à la gestion des eaux pluviales - mais le reste à financer est très important. Selon l'Union nationale des entreprises et des industries de l'eau (UIE), « chaque année, environ 200 millions d'euros sont dépensés par les collectivités locales et 100 millions d'euros par les agences de l'eau - ce montant devrait passer à 150 millions par an - et de l'ordre de 300 millions par an pour un mix entre des dépenses d'exploitation et un peu de dépenses d'investissement ». L'UIE estime ainsi que le déficit annuel d'investissement pour les eaux pluviales est de l'ordre d'un milliard d'euros.

Le principe d'un financement des eaux pluviales qui reste à la charge du budget général, au lieu d'une redevance affectée, ne contribue pas à la prise de conscience des acteurs de l'importance de la désimperméabilisation des sols et du traitement des eaux pluviales au plus près de l'endroit où elles tombent. L'absence de recette dédiée et le fait que la charge de gestion des eaux pluviales soit supportée exclusivement par les contribuables locaux et les consommateurs d'eau, brouille par ailleurs la distinction entre les eaux usées et les eaux pluviales, ces dernières pouvant être une ressource et une opportunité pour accroître la résilience des villes. Le principe d'une taxe affectée présente un autre avantage : elle incite les propriétaires des parcelles à l'origine des plus forts déversements à développer des dispositifs de rétention à la source des eaux de ruissellement, afin de réduire la taxe à laquelle ils sont soumis.

La mission d'information recommande enfin la généralisation de la gestion des eaux à la parcelle, là où c'est possible, et notamment le développement de la récupération des eaux de pluie, avec un soutien plus volontaire de la part de l'État et des agences de l'eau pour l'équipement des ménages, afin de sortir du « tout-tuyau » et l'évacuation systématique des eaux en dehors du tissu urbain.


* 285  https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-prelevements-deau-douce-principaux-usages-en-2020-et-evolution-depuis-25-ans-en-france

* 286 Loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

* 287 http://propluvia.developpement-durable.gouv.fr/propluvia/faces/index.jsp

* 288 Au premier rang desquelles figurent la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales qui oblige chaque commune à adhérer à un EPCI avant le 1er juillet 2013, la loi du 28 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « MAPTAM », la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral délimitation des régions et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « NOTRe ».

* 289 Île-de-Bréhat, Île-de-Sein, Ouessant, L'Île-d'Yeu.

* 290  https://www.collectivites-locales.gouv.fr/institutions/bilans-statistiques-sur-lintercommunalite

* 291 « Laisser respirer les territoires », rapport d'information n° 485 (2016-2017) de Mathieu Darnaud, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, fait au nom de la commission des lois, déposé le 29 mars 2017.

* 292 Ainsi par exemple de la proposition de loi de Jean-Yves ROUX visant à permettre une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement », adopté par le Sénat le 16 mars 2023.

* 293  https://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015/20150169.asp#P468114

* 294  https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/etudes/l-eau-et-son-droit

* 295 Donnée MTECT extraite du plan d'action « Gestion durable des eaux pluviales » de novembre 2021.

* 296  https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-31875QE.htm

* 297  https://igedd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/documents/Affaires-0008967/010159-01_rapport-publie_tome1_synthese_diagnostic-propositions.pdf;jsessionid=8AC4511075E4AFE4AB8E13F0CBF51361

* 298 Défini à l'article L. 2224-10 du code général des collectivités territoriales comme un zonage « où il est nécessaire de prévoir des installations pour assurer la collecte, le stockage éventuel et, en tant que de besoin, le traitement des eaux pluviales et de ruissellement lorsque la pollution qu'elles apportent au milieu aquatique risque de nuire gravement à l'efficacité des dispositifs d'assainissement ».