C. CERTAINES AGENCES DÉPLORENT UN FINANCEMENT INSUFFISANT

1. Le sixième sous-objectif de l'Ondam, une enveloppe fermée pilotée indépendamment des besoins

Douze des quinze Offrob sont financés sur le sixième sous-objectif de l'Ondam27(*), intitulé « autres prises en charge ». Ce sous-objectif couvre également les dépenses médico-sociales en dehors du champ de la branche autonomie, ainsi que la prise en charge des soins des Français de l'étranger.

Or ce sixième sous-objectif de l'Ondam est une enveloppe fermée, dont le montant et l'évolution sont pilotés globalement.

Dans sa contribution à la mission, la direction du budget note que « l'évolution prévisionnelle du sixième sous-objectif sous-tend la trajectoire pluriannuelle de l'Ondam décrite à l'annexe B du PLFSS, sans y être toutefois détaillée. Elle figure de manière plus précise dans le cadre du projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques (PLPFP), où le III de l'article 17 prévoit une trajectoire de progression, à périmètre constant, de respectivement 3,2 % et 3,2 % en 2024 et 2025 pour le sixième sous-objectif. Le cadre de gestion de l'Ondam reste cependant, à l'instar de celui du budget de l'État, conforme au principe d'annualité ».

Ce pilotage se fait indépendamment des besoins exprimés par les Offrob, dans la mesure où les prévisions budgétaires pluriannuelles que ceux-ci expriment dans le cadre de leur budgétisation ne font pas l'objet d'une consolidation par les tutelles.

Ce mode de gestion crée une concurrence entre Offrob pour l'attribution des crédits supplémentaires ouverts.

Selon la contribution de l'ANSM à la mission, « le sixième sous-objectif de l'Ondam est une enveloppe fermée, donc les organismes sont nécessairement en concurrence ». L'agence est rejointe sur ce constat par divers Offrob, notamment le CNG.

2. Des insécurités liées au pilotage par le fonds de roulement

Comme évoqué au a) du 4. du C. du I. de ce rapport, certains Offrob avaient constitué de considérables réserves financières provenant de sous-exécutions budgétaires répétées, justifiant, dans un souci de bonne gestion publique, la fixation de leur subvention des régimes obligatoires de base à un niveau insuffisant pour couvrir les dépenses afin d'apurer progressivement le fonds de roulement.

Les dotations à la HAS, au CNG, au Fiva et à l'Anap ont par exemple toutes fait l'objet d'un pilotage par le fonds de roulement.

Pour les deux dernières, des sous-exécutions budgétaires répétées ont conduit à diminuer les effets des ponctions sur le fonds de roulement. Ces deux organismes restent donc aujourd'hui dans une situation financière acceptable.

En revanche, les finances de la HAS et du CNG sont considérablement mises sous pression par le maintien d'une stratégie de ponction sur le fonds de roulement, alors que ces deux organismes se rapprochent des seuils prudentiels en matière de trésorerie et de fonds de roulement.

La HAS alerte ainsi sur « un décalage de l'ordre de 20 M€ entre recettes et dépenses », un déficit structurel généré par la stratégie de ponction sur le fonds de roulement. Si, du fait de sous-exécutions budgétaires, les répercussions du pilotage par le fonds de roulement n'ont véritablement commencé à se préciser qu'à compter de 2021, la dégradation des indicateurs de trésorerie, de fonds de roulement et de résultat comptable de l'agence est désormais très rapide.

Le constat est proche pour le CNG. Des exercices 2019 (- 0,9 M€), 2021 (- 0,9 M€) et 2022 (- 7,4 M€) déficitaires ont considérablement dégradé les indicateurs financiers du centre. Celui-ci estime que le fonds de roulement du CNG devrait devenir négatif à compter de 2023, avec une valeur prévisionnelle de - 5,3 M€ à la fin 2023. Sans revalorisation de la dotation de la branche maladie, le CNG s'estime incapable de mener à bien l'ensemble des missions qui lui sont confiées au titre de 2024.

Cette situation devrait accroître la concurrence pour l'attribution des crédits dans le cadre du sixième sous-objectif de l'Ondam. En effet, la trajectoire de crédits prévisionnelle (+ 3,2 % en 2024 puis en 2025 à périmètre constant) apparaît insuffisamment dynamique pour rebaser les dotations de l'ensemble des Offrob concernés par un pilotage budgétaire par prélèvement sur le fonds de roulement. Selon la contribution du CNG à la mission d'information, la concurrence « sera vraisemblablement d'autant plus prononcée dans les mois à venir que plusieurs de ces opérateurs ont épuisé leurs fonds de roulement, nécessitant un rebasage de leurs dotations assurance maladie pour continuer d'assurer les missions qui leur sont assignées ».

3. Le financement des nouvelles missions n'est pas systématique

Du fait même de la construction de la procédure budgétaire, le financement des nouvelles missions attribuées aux agences par décret ou par la loi ne présente pas de caractère systématique.

Dans sa contribution à la mission, la HAS note que « l'attribution de nouvelles missions ne fait pas l'objet préalablement d'une estimation de l'impact budgétaire et/ou de la détermination d'une modalité de prise en compte du coût dans le financement, ni des moyens humains (plafond d'emplois et ETPT) », ce qui engendre une incertitude sur l'adéquation de la compensation à l'effort financier requis pour assumer les nouvelles missions. Cette incertitude s'ajoute à celle sur l'existence même d'une compensation financière pour l'exercice des nouvelles missions.

Les agences concernées par des élargissements de compétence présentent leur besoin de financement à la DSS dans le cadre du dialogue de gestion, mais cela ne saurait leur garantir un arbitrage politique favorable. Le montant de la dotation n'est donc pas parfaitement corrélé avec l'étendue des missions.

Dès lors, si les missions supplémentaires de certaines agences sont prises en compte pour rebaser la subvention - c'est par exemple le cas de l'ABM dans le cadre des nouvelles missions confiées pour la mise en oeuvre de la loi bioéthique - certaines agences doivent au contraire assurer des missions élargies à moyens constants. Cela peut susciter des situations de sous-financement.

L'Anap note, dans sa contribution à la mission, que « l'évolution des dotations n'est pas corrélée aux éventuelles missions confiées et à leur variabilité, sauf dans le cadre de grands plans nationaux pilotés par la DGOS et la DSS. C'est un des points de faiblesse majeurs du dialogue de gestion ».

De tous les Offrob, c'est la HAS qui semble la plus concernée par cette décorrélation entre missions et financement. Exerçant dans un cadre juridique mouvant avec une extension continue de son champ de compétences28(*), l'insuffisante prise en compte des missions nouvelles de la Haute Autorité dans la détermination du montant de sa subvention contribue à alimenter un déficit structurel de l'ordre de 20 M€ par an.

Dans sa contribution écrite à la mission, la HAS note que « jusqu'en 2023, l'attribution chaque année de nouvelles missions n'a pas été suivie d'une augmentation de la dotation versée par l'Assurance maladie, ni même d'une augmentation à due concurrence des moyens humains ».

4. Un plafond d'emplois jugé contraignant par certains Offrob

Dans le cadre de la participation des agences sanitaires à l'assainissement des finances publiques, certaines agences ont connu des schémas d'emplois négatifs sur la décennie 2010. Il s'agit, par exemple, de l'ANSM, dont le plafond d'emplois a été réduit de 1 003 ETPT en 2012 à 912 ETPT en 2019. Santé publique France, quant à elle, a perdu 10 % de ses ETP entre la création de l'agence et 2020.

Pour ces deux agences, financées par l'État à l'époque des schémas d'emploi négatifs, le passage à un financement par la sécurité sociale a coïncidé avec une prise en compte accrue des besoins en personnels. Trois ETPT sous plafond et trois ETPT hors plafond ont par exemple été attribués, dès 2021, à l'ANSM, mettant un terme à une décennie de schéma d'emplois négatifs.

Pour autant, la prise en compte des besoins en effectifs de certaines agences, notamment celles dont les effectifs ont diminué dans les années 2010 ou celles dont le champ des missions connaît un élargissement continu, demeure parfois insuffisante29(*) aux yeux des organismes concernés.

L'ANSM estime même que « la difficulté principale dans la budgétisation porte généralement sur le plafond d'emplois autorisés. L'Agence émet des besoins en ETP et les arbitrages sont généralement assez largement inférieurs ».

Pour la poursuite de ses missions, Santé publique France estime nécessiter 20 ETPT supplémentaires pour 2024, puis 10 en 2025 et 4 en 2026. L'ANSM, quant à elle, réclame 68 ETPT supplémentaires afin de pourvoir des besoins sur des sujets de pénurie (25 ETPT), d'innovation (3 ETPT) et d'épidémiologie (40 ETPT) des produits de santé.

Face à l'élargissement constant de ses missions, la HAS se montre également inquiète sur le niveau de son plafond d'emplois, qui met sous tension les ressources humaines de la Haute Autorité. Celle-ci se distingue par un roulement du personnel important, de près de 15 %. Lors de son audition, elle témoigne de cas d'épuisement professionnel, qu'elle met en lien avec un effectif qu'elle juge insuffisamment fourni pour couvrir ses missions.

5. L'EFS est affecté par divers chocs exogènes conduisant à une inadéquation entre recettes et dépenses

L'EFS est confronté à un effet ciseau qui met en péril son équilibre financier.

Auditionné, l'EFS, dont les régimes obligatoires de base ne sont qu'un financeur mineur, estime que son modèle financier, fondé principalement sur les produits de la cession de produits sanguins labiles aux établissements de santé et au laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, arrive à épuisement. En effet, la cession de concentrés de globules rouges, qui représente les deux tiers des produits de l'établissement, présente une tendance baissière et difficilement prévisible depuis 2012. Cette tendance a été accrue pendant la crise sanitaire, avec une fréquentation amoindrie des collectes et avec une activité hospitalière hors covid-19 en retrait.

Dans sa contribution écrite à la mission, l'EFS note que « depuis plusieurs années, le modèle économique de l'EFS est marqué par des tensions croissantes sur ses équilibres financiers. L'établissement apparaît sous-financé ». L'EFS a ainsi exécuté des budgets en déficit de 11 M€ en 2019, puis de 40 M€ en 2022.

Cette baisse des recettes se conjugue, depuis 2022, avec une augmentation des dépenses. L'établissement décrit ainsi un double choc pour les finances de l'EFS : un choc inflationniste de 30 M€ et un choc d'attractivité responsable d'une hausse de près de 35 M€ des dépenses de personnel afin de répercuter le Ségur de la santé sur les salaires des effectifs de l'établissement.

Dans ce contexte, l'attribution d'une dotation pérenne de l'assurance maladie peut être une piste à développer.

Il est à noter, à ce titre, qu'une mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales réalise, sur demande de quatre ministres, une mission sur le modèle économique de l'EFS, qui devrait rendre ses conclusions courant 2023.

6. La prise en compte par le pouvoir politique des besoins de certains opérateurs

Certains opérateurs ont bénéficié d'un rebasage à la hausse des modalités de calcul de leur dotation des régimes obligatoires de base, à la suite d'un arbitrage politique favorable. Cela concerne notamment l'EHESP et l'ABM.

Les modalités de versement de la dotation à l'EHESP ont été revues en 2020. L'EHESP dispose désormais d'une part fixe et d'une part variable, la dernière correspondant au financement à l'euro près des salaires des élèves fonctionnaires qu'elle forme. La part fixe, qui correspond aux besoins financiers pour le fonctionnement de l'école, a par ailleurs fait l'objet d'un rebasage de 2,2 M€. Cette modification du modèle de financement de l'école, que celle-ci juge vertueuse, a permis de mettre un terme à la situation de déficit structurel que traversait jusqu'alors l'école, avec près de 10 M€ de pertes cumulées entre 2017 et 2020.

À la faveur d'exercices 2021 et 2022 aux soldes budgétaires et résultats nets (3,1 M€ en 2021, 1,3 M€ en 2022) positifs, l'école a pu reconstituer un fonds de roulement de 17,7 M€ fin 2022. La trésorerie a également connu un net rebond et a triplé en trois ans, pour atteindre 24,8 M€ à fin 2022.

De même, dans le cadre des plans greffe, le pouvoir politique a souhaité renforcer la dotation accordée à l'ABM.

Pour la première fois depuis 2018, l'annexe 7 au Placss pour 2022 indique un excédent budgétaire pour l'agence, à hauteur de 2,5 M€. Le rebasage de la dotation des régimes obligatoires de base « a permis de rééquilibrer la situation financière de l'agence », selon la contribution fournie à la mission d'information par l'ABM. Par conséquent, l'ABM considère désormais que « les recettes sont en adéquation avec les missions de l'agence, sous réserve bien entendu des inévitables imprévus de gestion ».

7. Des situations de financement disparates

Les organismes qui estiment disposer de ressources financières et humaines insuffisantes côtoient certains organismes qui semblent, au contraire, sur-financés par rapport à l'exécution de leurs budgets.

Il en va ainsi de l'ANS, qui a accumulé des bénéfices inédits après la hausse de sa dotation consécutive au Ségur de la santé : 262,4 M€ en 2021 puis 150,4 M€ en 2022. L'agence n'ayant pas répondu aux sollicitations de la mission, il n'a pas été possible de déterminer si ces bénéfices ne correspondaient qu'à des décalages comptables compte tenu du rythme de décaissement des actions financés et avaient, le cas échéant, vocation à être apurés.

Le FMESPP puis le Fmis ont également dégagé d'importants excédents entre 2018 et 2021. Les résultats du fonds ont dépassé 150 M€ chaque année depuis 2018, et ont même atteint 247,2 M€ en 2021 et 376,3 M€ en 2019. De même, en l'absence de réponse du fonds, il n'est pas possible de savoir si la situation d'excédents du fonds est structurelle. En tout état de cause, le résultat comptable positif supérieur à un milliard d'euros réalisé par le fonds depuis 2018 devra, le cas échéant, être mobilisé pour financer les dépenses du fonds, quitte à mettre en oeuvre si besoin une stratégie d'apurement du fonds de roulement.

Les bénéfices comptables cumulés de Santé publique France, à hauteur de 3,8 milliards d'euros depuis 2020, ne sont pas pleinement pertinents pour analyser sa situation financière réelle, du fait d'un décalage entre l'inscription comptable des produits et celle des charges. Le niveau de la dotation exceptionnelle attribuée à Santé publique France pour les prochaines années sera adapté en conséquence, afin de garantir la neutralité de ces dépenses sur la situation financière de l'agence.

Si l'année 2022 a marqué un retour à l'équilibre pour l'ANDPC, les exercices précédents avaient fait apparaître d'importants excédents, à hauteur de 28 M€ en 2020 puis 29 M€ en 2021.


* 27 Voir le IV - A. 1. b) (2) du présent rapport pour davantage d'informations.

* 28 Se référer à l'annexe dédiée à la HAS.

* 29 Cela ne présente pas de caractère systématique, les 12 ETPT ouverts à l'ABM lui permettent par exemple de mener à bien les missions qui lui sont confiées.