L'ESSENTIEL

Attentive à la situation des outre-mer, la commission des lois du Sénat a effectué un déplacement du 10 au 18 avril 2023 dans les quatre collectivités françaises des Antilles - la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin - afin d'y examiner la situation institutionnelle et administrative, de la justice et de la sécurité.

Ces quatre territoires, qui connaissent avec l'hexagone une histoire commune depuis le milieu du XVIIème siècle, présentent entre eux une profonde diversité, que la réforme constitutionnelle de 2003 a permis de traduire juridiquement en ouvrant les possibilités de statuts différenciés pour prendre en considération leurs caractéristiques et leur identité propre.

Pour autant, au-delà de cette diversité, une unité forte demeure entre ces territoires, situés à près de 7 000 km de l'hexagone.

Tous quatre ont été forgés par une identité caribéenne revendiquée, et une histoire dont ils gardent chacun les stigmates. Cette unité découle également d'un besoin d'adaptation marqué de leur environnement juridique et administratif, et dont les élus locaux se font l'écho. Enfin, ces territoires ont besoin d'une action forte de l'État, qui doit accompagner leur développement, en veillant à laisser toute sa place à l'expression de leur identité.

Au terme de leurs déplacements, de leurs échanges avec les élus locaux et les parlementaires, des entretiens menés avec les représentants des services de l'État, du monde judiciaire et des acteurs socio-économiques, les rapporteurs affirment que la République doit toute son attention à chacun de ces territoires, en tenant pleinement compte de leur environnement caribéen. Dans cet accompagnement, la question institutionnelle est majeure, mais elle ne doit pas occulter la nécessité de renforcer, par d'autres actions, l'efficacité de l'action publique locale au bénéfice des citoyens.

Ils formulent 35 propositions pour ces territoires de la République dans la Caraïbe.

I. DES TERRITOIRES ANCRÉS DANS LA RÉPUBLIQUE QUI LEUR DOIT TOUTE SON ATTENTION

A. DES REVENDICATIONS AUTONOMISTES VOIRE INDÉPENDANTISTES, MAIS UN ATTACHEMENT À LA RÉPUBLIQUE ET À LA PRÉSENCE EFFECTIVE DES SERVICES DE L'ÉTAT

Les collectivités antillaises restent fortement marquées par le traitement qui a été infligé à leurs populations dans le cadre de la traite négrière et de l'esclavage. Cette part sombre de l'histoire de France altère encore aujourd'hui les relations d'une partie de la population et d'une partie de la classe politique avec l'État - et ses représentants - qui est ainsi parfois présenté comme une puissance arrêtant unilatéralement et autoritairement des décisions, sans prendre suffisamment en considération les besoins exprimés par ces territoires. Ce sentiment prégnant de défiance est aggravé par le scandale du chlordécone, et n'est sans doute pas étranger aux tensions majeures survenues dans le cadre de la lutte contre la covid-19.

Cette méfiance généralisée d'une partie de la population face à l'action de l'État a pour effet de renforcer le discours autonomiste, voire indépendantiste, dans une partie de la classe politique ou syndicale. Toutefois, quelles que soient la méfiance vis-à-vis de l'État et l'insuffisante action de ce dernier, les quatre territoires souhaitent résolument inscrire leur avenir dans la République.

C'est le sens de l'Appel de Fort-de-France signé en mai 2022 par les présidents de sept collectivités ultramarines, dont celles de Guadeloupe, de Martinique et de Saint-Martin. Cet Appel, loin d'un refus d'appartenance à la République, traduit au contraire la volonté de conserver l'ancrage des collectivités signataires dans la République française, mais dans une relation renouvelée qui tienne davantage compte qu'aujourd'hui de la nécessité d'adapter leur modèle à leurs spécificités et leur identité propre.

Loin d'une remise en cause de la présence de la République, les rapporteurs ont pu constater que les critiques nourries à l'endroit de l'État appellent, au contraire, à un renforcement de son agilité et à l'exercice effectif de ses missions régaliennes. Dès lors, la question statutaire bien qu'elle soit majeure, ne doit pas occulter les demandes, plus urgentes, d'adaptation des normes et d'amélioration des actions de l'État sur ces territoires portées par les élus locaux.

Il apparaît donc nécessaire de n'envisager des évolutions statutaires qu'après un bilan des dispositions existantes et de répondre à l'urgence statutaire première : celle de l'adaptation des normes. Plus qu'ailleurs, il faut faire vivre, dans ces territoires, la politique de différenciation. Les rapporteurs appellent en conséquence, l'État, indépendamment d'évolutions statutaires, à adopter une démarche systématique d'adaptation des normes et référentiels pour prendre pleinement en considération les circonstances locales.

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