Réponse d'Édouard Durand

Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Madame Schiappa, Mesdames et Messieurs, c'est la première fois de ma vie que je reçois un prix. J'en suis très heureux et très fier. Vous me faites un grand honneur. Il y a mon nom dessus, mais je le reçois pour moi-même et pour toutes les personnes avec lesquelles et pour lesquelles je partage la vie.

C'est un soutien personnel d'abord, parce que quand on se sent seul, on doute de la légitimité de son action, et il est bon d'être soutenu, de savoir que l'on a des amis et que les mots que l'on prononce ne le sont pas en vain ou dans le vide. C'est une grande joie de sentir que parfois, les mots que je prononce résonnent en vous.

C'est évidemment un prix collectif, puisqu'on n'est jamais seul. Je me méfie toujours des personnes qui disent qu'elles se sont construites seules.

J'ai une histoire, j'ai une éducation, j'ai un tempérament, une famille, des alliées et alliés, nombreuses et nombreux ici, des compagnons et des compagnes de lutte. À toutes les personnes qui partagent cet engagement, je dédie ce prix que je reçois aussi en leur nom.

Vous ne serez pas surprise, Madame la présidente, que je commence évidemment par le partager avec la première dame qui a été récipiendaire du prix de la délégation aux droits des femmes il y a quelques années déjà, l'infatigable, l'indestructible, l'incorruptible Ernestine Ronai. (Applaudissements.) Au septième jour de la création, le Bon Dieu vous regarda et vit qu'il avait bien fait. (Sourires et applaudissements.)

Je voudrais que vous partagiez cette ovation avec toute l'équipe de la Ciivise, mes collègues assis au fond, qui, à leur place, chaque jour, avec une minutie et une attention extrêmement généreuse, accueillent nos semblables qui ont été victimes de viols dans leur enfance, prennent l'ascenseur avec elles pour les mener jusqu'à la Ciivise, les accueillent lors de nos réunions publiques, partout sur la surface de cette petite Terre. Vous faites un travail magnifique, chers collègues, et je vous en suis infiniment reconnaissant. (Applaudissements.)

Nos réflexions, nos engagements, nos propositions, tout cela serait vain s'il n'y avait pas des parlementaires et des ministres qui les retenaient et les portaient sur leur cheval de bataille. À vous, Mesdames et Messieurs les parlementaires et les ministres, je dis ma reconnaissance, mes voeux pour votre réélection (sourires), pour vos combats et vos engagements. Nous serons toujours à vos côtés, quel que soit le côté où vous vous situez.

Enfin, évidemment, vous me permettrez de dire ce qui fait que je suis ici aujourd'hui, et la raison pour laquelle je ne mérite absolument pas le prix que vous voulez bien me décerner : parce qu'il n'y a pas d'honneur ni de joie à se préoccuper de la souffrance des autres. Et si vous me pensez digne de recevoir un prix de la République, c'est parce qu'il y a des enfants qui vivent tous les jours dans la terreur, des femmes qui ont cru avoir rencontré un homme humain et qui vivent elles aussi dans la terreur et l'injustice.

Je veux vous citer l'un des témoignages que nous avons reçus à la Ciivise : « Ce que je voudrais dire, c'est que je témoigne pour tous ceux qui en sont morts, qui se sont jetés d'un pont, sous un train. Je voudrais témoigner pour tous ceux qui ont choisi de mourir plutôt que de vivre dans le néant, tous ceux qui en sont devenus fous, malades, réellement fous, tous ceux qui n'ont pas pu sortir le chaos de leurs entrailles, tous ceux qui ont fini par mourir de leur belle mort, mais en même temps découpés en deux et dévastés, tous ceux qui ont passé leur vie murés dans le silence. Et avec tous ceux-là, donc, je témoigne pour tous ceux qui n'ont pas cette voix. Je veux juste dire : ce que nous avons vécu, c'est l'horreur. C'est la solitude extrême. C'est un froid, c'est une incompréhension. C'est le fin fond de l'humanité à l'endroit où tout est dévasté. Ça n'a pas de mot, c'est un enfer. Et nous sommes une multitude. Nous sommes terrés dans le silence et la peur, mais nous sommes là et nous sommes aussi un des visages de l'humanité. Et ce que je voudrais dire, c'est que, tous ceux-là, ils aspirent à la lumière et que, au-delà de mes mots, ma parole, elle est aussi pour eux. »

Ma parole, à moi aussi, est pour elles et eux. La vôtre aussi.

Puissent ceux qui disposent du pouvoir avoir la grâce de maintenir la Ciivise, pour que la Ciivise puisse continuer à recueillir cette parole, lui signifier au nom de tous que cette parole est digne et légitime. Il n'est pas sûr que je sois entendu, mais je l'aurai dit. (Applaudissements.)

Je ne l'ai pas assez souligné : il faut remettre le monde à l'endroit.

Je suis un juge, un juriste et j'appelle cela une législation plus impérative.

La délégation aux droits des femmes, et Annick Billon, qui a donné son nom à cette loi, ont remis le monde à l'endroit, en disant que quand un adulte met son pénis dans le corps d'un enfant, ça s'appelle un viol, et pas autre chose. Il vous a fallu beaucoup de courage pour cela, à vous toutes et tous dans cette délégation, et cet honneur, vous le garderez pour l'éternité. (Applaudissements.)

Annick Billon, présidente. - Nous vous écoutons toujours avec beaucoup d'émotion. Je partage vos remerciements avec mon groupe ainsi qu'avec les sénateurs et sénatrices présents, qui ont été des soutiens indéfectibles, comme les associations et les personnalités engagées.

La tonalité est un peu dramatique et j'en suis désolée, mais les sujets que nous portons sont souvent très difficiles ; notre travail sur l'industrie de la pornographie, dont les co-rapporteures à mes côtés étaient Laurence Cohen, Laurence Rossignol et Alexandra Borchio Fontimp, nous a fait vivre des séquences extrêmement douloureuses et marquantes. Il était important, via ce prix, de souligner l'émotion et la difficulté de ces sujets.

J'invite désormais Valérie Bacot et Sylvie Testud à me rejoindre.

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