N° 936

SÉNAT

DEUXIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le service de santé des armées,

Par M. Dominique de LEGGE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense », présente le mercredi 27 septembre 2023 les conclusions de son contrôle budgétaire sur le service de santé des armées (SSA). Face à la dégradation de notre environnement stratégique, marqué par le retour de la guerre en Europe, l'indispensable remontée en puissance de nos armées ne pourra se faire qu'avec un service de santé capable de soutenir un engagement des forces dans un conflit de haute intensité.

I. UN SERVICE DE SOUTIEN ESSENTIEL AU FONCTIONNEMENT DES ARMÉES

Ressources du SSA en 2023

Effectifs employés par le SSA fin 2022 (en ETPT)

Nombre d'hôpitaux d'instruction des armées

 
 
 

A. UN SERVICE INTERARMÉES DOTÉ DE MOYENS IMPORTANTS

Le service de santé des armées (SSA) est un service interarmées ayant pour mission d'apporter en tout temps, en tous lieux et en toutes circonstances, à tout militaire exposé à un risque lié à son engagement opérationnel, un soutien qui lui garantit la prévention la plus efficace et la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie (soutien santé). Son origine remonte à l'Édit de 1708, signé par Louis XIV, créant les charges de médecins et chirurgiens dans les armées.

Commandé par la direction centrale du service de santé des armées (DCSSA), le service est placé sous l'autorité directe du chef d'état-major des armées (CEMA). Le SSA assure ainsi le soin, la prévention, l'expertise médicale d'aptitude des militaires et une fonction de conseil au commandement.

Pour 2023, le budget du SSA est de 1,6 milliard d'euros, soit 3,7 % des crédits de la mission « Défense » (hors contribution au CAS « Pensions »), dont 1,2 milliard d'euros de dépenses de personnel (T2). Ils sont financés à 75 % par crédits budgétaires et à 25 % par attributions de produits issus de la sécurité sociale. Ses effectifs s'élèvent à 14 183 équivalents temps plein travaillé (ETPT) au 31 décembre 2022. Ces effectifs sont majoritairement militaires (68 %) et largement féminisés (63 %). S'y ajoutent 4 122 réservistes.

Décomposition du budget hors T2 du SSA par opération budgétaire en 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

B. UN MODÈLE DE SOUTIEN SANTÉ COMPLET

Le SSA est dimensionné pour proposer un modèle de soutien santé complet. Son organisation s'articule autour de quatre principales composantes :

- une composante médecine des forces, reposant principalement sur les 16 centres médicaux des armées (CMA) positionnés au plus près des forces basées dans l'hexagone. Elle comporte également trois chefferies pour la force d'action navale (Toulon), les forces spéciales (Villacoublay) et les forces sous-marines (Brest) ainsi que des directions interarmées du SSA au sein des forces de souveraineté outre-mer ;

- une composante hospitalière, qui repose sur huit hôpitaux d'instructions des armées (HIA) : Percy (Clamart), Bégin (Saint-Mandé), Laveran (Marseille), Sainte-Anne (Toulon), Clermont-Tonnerre (Brest), Legouest (Metz), Robert-Piqué (Bordeaux) et Desgenettes (Lyon). Dotés d'environ 1 500 lits (0,4 % du système de santé à l'échelle nationale) et accueillant une majorité de patients civils (environ 73 %), les HIA concourent au service public hospitalier.

- une composante ravitaillement médical, qui repose notamment sur la pharmacie centrale des armées (Orléans), le centre de transfusion sanguine des armées (Clamart) et deux établissements de ravitaillement sanitaire des armées (ESRA) (Marolles, Marseille) ;

- une composante formation et recherche, qui repose sur les écoles militaires de santé Lyon-Bron, l'école du Val-de-Grâce pour la formation initiale des internes des HIA, l'institut de recherche biomédicale des armées (Brétigny-sur-Orge) et le centre d'épidémiologie et de santé publique des armées (Marseille).

Décomposition par composante des effectifs employés par le SSA en 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le soutien santé accompagne systématiquement l'emploi des forces en opérations, selon le principe « premiers arrivés, derniers sortis « (« first in, last out »). Ce principe s'est notamment vérifié avec la fin de l'opération Barkhane, et une présence du SSA dans le dernier convoi français ayant quitté le Mali: En 2022, 1 491 personnels ont été projetés1(*) en mission de courte durée, permettant la réalisation de consultations, actes paramédicaux et interventions chirurgicales auprès de militaires français et étrangers ainsi qu'au titre de l'aide médicale aux populations locales.

La préservation d'un tel modèle de soutien santé constitue un atout en comparaison internationale. Si le US Military Health System, doté d'un budget de 50 milliards de dollars, reste le service de santé occidental de référence, les services des armées du Royaume-Uni ne disposent par exemple plus d'une composante hospitalière, ce qui les rend quasiment inaptes à opérer seuls sur des volumes de forces significatifs, les rendant dépendant du soutien médical des alliés, en pratique des Américains.

II. UN SERVICE STRUCTURELLEMENT FRAGILISÉ PAR LES CHOIX BUDGÉTAIRES DE LA DÉCENNIE ÉCOULÉE ET LES TENSIONS AFFECTANT LE SECTEUR DE LA SANTÉ

A. UNE BAISSE IMPORTANTE DES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES DANS LE CADRE DE LA PROGRAMMATION 2014-2019

Dans le contexte général de déflation des ressources des armées prévu par la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, le SSA a subi une perte importante de ses moyens. Il a ainsi connu une diminution brutale de ses ressources budgétaires de près de 8 % dans les deux premiers exercices de cette programmation tandis que les crédits de la mission « Défense » stagnaient en valeur.

Évolution comparée des crédits de paiement du SSA et de la mission « Défense » entre 2014 et 2018 (exécution)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Sur l'ensemble de la programmation 2014-2019, le service a perdu environ 10 % de ses effectifs. Ainsi, entre 2015 et 2018, les plafonds d'emplois autorisés en loi de finances initiale (LFI) au titre des personnels gérés par le SSA ont connu une diminution de 888 ETPT.

Évolution des plafonds d'emplois de personnels gérés par le SSA
autorisés en LFI entre 2015 et 2018

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

B. LES TENSIONS PERSISTANTES SUR LES RESSOURCES HUMAINES DANS LE SECTEUR DE LA SANTÉ SAPENT LES EFFORTS DE REMONTÉE EN PUISSANCE DU SSA

La déflation des moyens et des effectifs du SSA est intervenue au pire des moments. En effet, celle-ci a été opérée à l'orée d'une période de fortes tensions sur les ressources humaines et sur les compétences qui affecte l'ensemble du secteur de la santé et qui perdure à ce jour. Cette conjoncture a pour effet de saper les efforts budgétaires de remontée en puissance du SSA pourtant entrepris depuis 2019. Comme le montre en effet le graphique ci-dessous, la hausse significative des crédits prévus au titre du SSA sous la programmation 2019-2025 s'est accompagnée d'une stagnation des effectifs : elle a seulement permis de « stopper l'hémorragie ».

Évolution comparée des effectifs employés et des crédits
prévus en lois de finances au titre du SSA depuis 2019

(en millions d'euros et en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La sous-exécution structurelle et massive des schémas d'emplois sur la période (- 169,2 ETPT en moyenne sur 2018-2022) atteste des difficultés à attirer et conserver les personnels en poste.

La déflation des effectifs de la dernière décennie semble de surcroît avoir été à l'origine d'un cercle vicieux : les tensions sur les effectifs contribuent à détériorer les conditions d'exercice des personnels, et donc pénaliser en retour l'attractivité du service sur le marché du travail.

Évolution du schéma d'emplois entre 2018 et 2022

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

À l'instar de l'ensemble du milieu hospitalier, les tensions sont particulièrement prononcées s'agissant de certaines spécialités médicales (médecine générale, chirurgie, anesthésie-réanimation, médecine d'urgence, psychiatrie) et paramédicales (infirmiers de bloc opératoire, techniciens hospitaliers, manipulateurs en électroradiologie, orthoptistes).

C. LA COMPOSANTE HOSPITALIÈRE : PRINCIPALE SACRIFIÉE

La composante hospitalière est la principale sacrifiée de la politique de déflation imposée au SSA. Entre 2015 et 2022, les effectifs concernés ont ainsi connu une diminution de 24 %, soit bien supérieure à celle constatée à l'échelle de l'ensemble du service (- 8 %). Dans le même temps, les effectifs relevant de l'ensemble des autres chaînes de métiers ont connu une stabilité ou une augmentation.

Évolution par composante des effectifs employés par le SSA
entre 2015 et 2022

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

L'importante restructuration hospitalière engagée sur la période a été marquée par la fermeture de l'HIA parisien du Val-de-Grâce, lequel employait près d'un millier d'ETP dont seule une faible part a été relocalisée au sein des HIA Percy et Bégin. Si le ministère a pu justifier cette décision par la densité de l'offre de santé en Île-de-France, il n'en reste pas moins que la fermeture de cet établissement emblématique a constitué un véritable traumatisme pour le SSA.

L'HIA Desgenettes de Lyon a également connu d'importantes difficultés, avec la dénonciation unilatérale par les hospices civils de Lyon du partenariat qui les liait à cet établissement et avait encadré le transfert de nombreuses spécialités médicales. La restructuration en cours de l'HIA, qui a vocation à n'être plus qu'une antenne hospitalière des armées (AHA) spécialisée dans les soins de suite, s'est traduite par une perte d'effectifs de 837 ETP depuis 2015.

D. UN SERVICE DE SANTÉ TAILLÉ AU PLUS JUSTE, ENCORE LOIN DU NIVEAU REQUIS POUR SOUTENIR UN ENGAGEMENT MAJEUR DES FORCES ARMÉES

Le SSA est aujourd'hui taillé au plus juste pour la réalisation de son contrat opérationnel. Les auditions conduites par le rapporteur spécial ont cependant permis de s'assurer que jamais une opération n'a été abandonnée ou même repoussée faute de capacité à intégrer le soutien santé.

Néanmoins, un tel résultat n'est obtenu qu'au prix d'arbitrages à l'origine de nombreuses carences de postes, notamment dans les centres médicaux des armées. Aussi, les sous-effectifs et les délais d'obtention de rendez-vous constituent les principaux irritants ressortant des enquêtes de satisfaction menées auprès des militaires. Plus généralement, la médecine des forces est structurellement confrontée à un « effet ciseaux » entre la déflation de ses ressources humaines et la croissance globale des effectifs des forces à l'oeuvre depuis 2015, doublée d'une forte hausse de ceux de la gendarmerie. Ces derniers représentent aujourd'hui près de 30 % de l'activité de la médecine des forces, appelant un renouvellement du cadre de coopération avec le ministère de l'intérieur.

Pour autant le SSA, encore loin d'être en mesure de soutenir un engagement majeur, n'est pas en phase avec les évolutions du contexte géostratégique, pourtant identifiées de longue date. La guerre russo-ukrainienne a rappelé l'importance capitale de la chaîne santé dans un contexte de haute intensité, impliquant une capacité à soigner un volume de blessés important puis à prendre en charge les soins de suite en aval. Par ailleurs, l'impact d'un soutien santé à toute épreuve sur les forces morales des combattants engagés dans un conflit de haute intensité ne doit pas être sous-estimé. L'exercice Orion conduit en 2023 a confirmé la sous-préparation du SSA à cet égard : alors qu'il faudrait être en mesure de traiter plusieurs centaines de blessés par jour, la chaîne santé déployée dans le cadre de l'exercice était capable d'en traiter 20.

III. VERS UN SOUTIEN SANTÉ À LA HAUTEUR DU DÉFI DE LA HAUTE INTENSITÉ : LA REMONTÉE EN PUISSANCE EST ENGAGÉE MAIS NE SE FERA PAS EN UN JOUR

A. UNE PRISE DE CONSCIENCE DE LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES MOYENS FINANCIERS DU SSA

Suite aux économies imposées au cours de la programmation 2014-2019, la LPM 2019-2025, qui se voulait « de réparation », a stabilisé les crédits hors T2 du SSA. Décidée dans un contexte géopolitique dégradé, l'Actualisation stratégique 2021 avait ensuite prévu un renforcement de 216 millions d'euros de ces crédits sur la période de programmation.

La LPM 2024-2030, traduisant à la fois une volonté de montée en puissance et la prise de conscience de la nécessité, à cette fin, d'opérer un rééquilibrage de l'effort budgétaire au profit des services de soutien prévoit quant à elle une trajectoire de nette augmentation de ces crédits (+ 12 % par an en moyenne), pour les porter à plus de 700 millions d'euros en 2030.

Le rapport annexé à cette loi consacre d'ailleurs une section importante (2.3) aux services de soutien et en particulier au SSA. À l'initiative du rapporteur spécial en sa qualité de rapporteur pour avis, son texte a été enrichi par plusieurs amendements de la commission des finances visant à mettre l'accent sur l'importance de la préparation à la haute intensité, le nécessaire renforcement de la politique des ressources humaines, et les travaux à engager pour le remplacement de l'hôpital Laveran par un hôpital neuf à Marseille (voir infra).

Évolution des crédits de paiement hors T2 programmés au profit du SSA
entre 2014 et 2030

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

B. LES RESSOURCES HUMAINES : L'ENJEU PRIORITAIRE

Les tensions sur les ressources humaines constituent aujourd'hui la principale limite à la montée en puissance du SSA jusqu'au niveau requis par la haute intensité. Il s'agit donc du principal levier à activer.

La LPM 2024-2030 prévoit ainsi un renforcement conséquent des effectifs (+ 460, soit 3 %), cohérente avec la politique de ressources humaines ambitieuse prévue par la feuille de route stratégique « Ambition SSA 2030 ». La capacité du SSA à atteindre cet objectif sera en tout état de cause soumise à la conjoncture sur le marché du travail dans le secteur de la santé.

Évolution des effectifs du service de santé des armées depuis 2015
et cible d'augmentation prévue par la programmation 2024-2030

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Si le recrutement en formation initiale dans les écoles de santé des armées reste dynamique, le SSA fait face à des enjeux de fidélisation des personnels et d'attractivité vis-à-vis des professionnels civils. L'emploi de contractuels dans les HIA s'avère difficile du fait de l'impossibilité de s'aligner sur les niveaux de rémunération des spécialistes proposés dans les établissements civils et sur le délai excessif de la procédure de recrutement, compte tenu d'une procédure très centralisée. Les enjeux de fidélisation impliquent quant à eux la mobilisation de leviers financiers, à l'instar de la prime de lien au service (PLS), instrument dont il conviendra cependant d'évaluer l'efficience. La LPM 2024-2030 prévoit à ce titre une enveloppe de 188 millions d'euros de mesures salariales sur la période.

Pour développer son attractivité, le SSA entend également mieux valoriser l'identité militaire du service, en mettant mieux en avant et en formant davantage à une pratique de la médecine adaptée aux besoins des armées, associant rusticité et expertise de pointe des blessures de guerre et des différents milieux (aéronautique, naval, haute montagne, désert...). Sur ce point, la stratégie d'attractivité rejoint les exigences de la préparation opérationnelle du SSA.

C. UN IMPÉRATIF DE CONSOLIDATION DE LA COMPOSANTE HOSPITALIÈRE DU SSA

1. Remettre à niveau les infrastructures et préserver l'expertise médicale des HIA

En permettant la confrontation des personnels à une large variété de pathologies, la composante hospitalière du SSA est essentielle à la préservation de compétences médicales de haut niveau.

Le sous-investissement avéré dans les infrastructures hospitalières a entraîné l'accumulation d'une importante « dette grise ». Les HIA Percy, Clermont-Tonnerre, et Laveran se trouvent sur ce plan dans un état particulièrement dégradé. La décision de remplacer l'hôpital Laveran par un HIA de nouvelle génération (HIA-NG) pour 2031, projet donc le coût est estimé à 300 millions d'euros, constitue un symbole fort et positif. L'HIA-NG, conforté dans sa spécialisation en infectiologie et renforcé en matière de traumatologie, devrait être doté d'infrastructures adaptées à l'hypothèse d'engagement majeur des armées.

Compte tenu du rôle joué par l'HIA Clermont-Tonnerre (Brest) pour la force océanique stratégique, la remise à niveau de ses infrastructures et la consolidation de ses spécialités médicales revêt une importance capitale. Les médecins projetés en sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) sont en effet issus de cet hôpital. Leur expertise avancée permet de réduire par un facteur de 8 à 10 les évacuations médicales réalisées depuis les SNLE par rapport à la moyenne des autres embarcations. Ainsi, la performance de l'HIA Clermont-Tonnerre participe de la crédibilité de la dissuasion nucléaire française.

2. Rééquilibrer les relations avec le système civil

Les relations du SSA avec le système civil sont historiquement déséquilibrées, car essentiellement tournées vers sa contribution à l'offre de soins globale. Si, au plan quantitatif, les HIA ne représentent que 0,5 % de l'offre de soins totale, leur apport qualitatif s'avère précieux compte tenu de leur large éventail de prise en charge incluant des spécialités rares (médecine polyvalente, soins de suite et de réadaptation, urgences, chirurgie, traitement des grands brûlés, réanimation, médecine hyperbare...). Conformément à la « règle des 4 I » voulant que les moyens militaires soient mobilisés en complément des moyens civils lorsque ceux-ci s'avèrent « indisponibles, insuffisants, inadaptés ou inexistants », le SSA a également été mis à contribution dans le contexte de la crise de la covid-19 au travers de l'opération Résilience, qui a permis l'envoi de renforts zonaux en capacités de réanimation, la réalisation de transferts médicalisés et un appui à la politique de vaccination.

Pour faire face à un afflux massif de blessés dans le contexte d'un engagement majeur, les HIA doivent en retour pouvoir compter sur le soutien du système de santé civil. Ses hôpitaux doivent notamment être en mesure d'accueillir en urgence les patients civils des HIA afin d'y libérer des lits, voire de traiter eux-mêmes des combattants blessés, ce qui correspond à une forme d'inversion de la « règle des 4 I ». Le récent protocole pluriannuel du 11 avril 2022 signé entre les ministères des armées, de la santé et du budget traduit ce souci de rééquilibrage. Il est désormais en phase de déclinaison, territoire de santé par territoire de santé. Il conviendra de mettre celui-ci à l'épreuve, comme ce fut le cas lors de l'exercice Orion, et d'en évaluer l'efficacité.

Ce rééquilibrage passe également par une meilleure compréhension par les autorités régionales de santé (ARS), dans le cadre des coopérations territoriales menées avec le SSA, de l'impératif de préserver dans ses HIA certaines compétences médicales indispensables à la réalisation de ses missions, aux premier rangs desquels les spécialités dites « projetables », correspondant aux compétences les plus critiques au regard des besoins en opération (chirurgie, réanimation, psychiatrie...).

Si la composante hospitalière du SSA peut concourir à la politique d'offre de soins, elle n'est par essence pas un instrument de santé publique mais un outil de défense.

D. LA NÉCESSAIRE (RE)CONSTITUTION DE CAPACITÉS DE SOUTIEN MÉDICAL SUR LES THÉÂTRES D'OPÉRATIONS ADAPTÉES AUX CONFLITS DE HAUTE INTENSITÉ

Plusieurs leviers capacitaires sont identifiés pour amener le dispositif de soutien médical opérationnel au niveau requis par la haute intensité.

En premier lieu, la reconstitution d'une capacité à déployer un hôpital de campagne à l'arrière des théâtres d'opérations, qui fait aujourd'hui défaut, revêt une importance primordiale pour faire face à un afflux massif de blessés sur le champ de bataille et permettre le maintien des forces sur la longue durée. La LPM 2024-2030 prévoit de doter le SSA d'une structure de 50 à 80 lits permettant de soutenir un engagement de forces de niveau divisionnaire (15 000 hommes) d'ici à 2030, horizon qui paraît tardif au regard de l'enjeu et du contexte géostratégique.

Le renforcement en cours de la capacité d'évacuation médicale est également nécessaire et pourrait être accéléré. Sa composante aérienne (dispositif Morphée) doit poursuivre sa montée en puissance, avec l'objectif d'une harmonisation des matériels d'évacuation pour l'ensemble des appareils, afin de pouvoir notamment les appliquer aux A 400 M. Le renforcement de la composante terrestre, liée au programme Scorpion et passant par le déploiement des véhicules blindés Griffon SAN et Serval SAN, est d'autant plus indispensable qu'elle constitue la modalité préférentielle d'évacuation dans un contexte de haute intensité et de contestation de l'espace aérien.

La chaîne de ravitaillement en produits de santé doit être modernisée, ce qui suppose notamment une remise à niveau de ses infrastructures. Le projet de construction d'une plateforme logistique automatisée au sein de l'ESRA de Marolles, représentant un coût estimé à 65 millions d'euros, constitue l'un des chantiers prioritaires identifiés par le SSA en la matière.

Pourrait enfin être favorisée la mise à l'étude de certains modes d'action innovants, tel que la télé-chirurgie, ou encore l'approvisionnement vers l'avant de produits sanguins par drone.

LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Dynamiser la politique des ressources humaines du service de santé des armées, en mobilisant l'ensemble des leviers financiers et non financiers pertinents, en simplifiant la procédure de recrutement de contractuels en hôpital et en valorisant l'identité militaire du service (ministère des armées).

2. Poursuivre l'effort de rénovation ou de remplacement des infrastructures des hôpitaux d'instruction des armées (HIA). Pour l'avenir, octroyer aux HIA des moyens suffisants pour les entretenir, de façon à éviter la constitution d'une nouvelle « dette grise » (ministère des armées).

3. Préserver, au sein des HIA, les compétences médicales dites « projetables », répondant aux besoins militaires en opérations. Veiller tout particulièrement à la consolidation de la capacité de l'HIA Clermont-Tonnerre à assurer sa mission de soutien à la dissuasion nucléaire (ministère des armées).

4. Rééquilibrer les relations entre les SSA et le système civil de façon à assurer la résilience du système hospitalier dans son ensemble en cas d'engagement majeur. Pour cela, mener à son terme la déclinaison territoriale du protocole armées-santé-budget du 11 avril 2022 et, lorsque le recul sera suffisant, en évaluer l'efficacité (ministère des armées, ministère de la santé).

5. Élever le soutien médical sur les théâtres d'opérations au niveau requis par la haute intensité en accélérant la constitution de capacités de médicalisation vers l'arrière et d'évacuation médicale, en modernisant la chaîne de ravitaillement en produits de santé, et en favorisant la mise à l'étude de modes d'action innovants (ministère des armées).

I. UN SERVICE DE SOUTIEN ESSENTIEL AU FONCTIONNEMENT DES ARMÉES

A. UN SERVICE INTERARMÉES DOTÉ DE MOYENS IMPORTANTS

1. Une mission unique : assurer le « soutien santé » des forces armées

Le service de santé des armées (SSA) est un service interarmées ayant pour mission d'apporter en tout temps, en tous lieux et en toutes circonstances, à tout militaire exposé à un risque lié à son engagement opérationnel, un soutien qui lui garantit la prévention la plus efficace et la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie (soutien santé). Son origine remonte à l'Édit de 1708, signé par Louis XIV, créant les charges de médecins et chirurgiens dans les armées.

Commandé par la direction centrale du service de santé des armées (DCSSA), le service est placé sous l'autorité directe du chef d'état-major des armées (CEMA).

Le SSA assure ainsi le soin, la prévention, l'expertise médicale d'aptitude des militaires et une fonction de conseil au commandement.

2. Un budget de 1,6 milliard d'euros en 2023

Pour 2023, le budget du SSA est de 1,6 milliard d'euros, soit 3,7 % des crédits de la mission « Défense » (hors contribution au CAS « Pensions »), dont 1,2 milliard d'euros de dépenses de personnel (crédits de titre 2 [T2]).

Les crédits de titre 2 sont portés par le programme n° 212 « Soutien de la politique de la défense », tandis que les crédits hors titre 2 (HT2) sont portés par le programme n° 178 « Préparation et emploi des forces ».

Décomposition par programmes des crédits alloués au SSA depuis 2019

(en millions d'euros)

 

2019

2020

2021

2022

2023 (P)

Programme n° 178

AE

284,66

398,42

434,37

407,16

501,18

CP

289,83

354,21

384,33

397,91

389,62

Programme n° 212

AE

1 103,85

1 138,92

1 162,37

1 189,92

1 213,97

CP

1 103,85

1 138,92

1 162,37

1 189,92

1 213,97

Total

AE

1 388,51

1 537,34

1 596,74

1 597,09

1 715,15

CP

1 393,68

1 493,13

1 546,70

1 587,83

1 603,59

Note : y compris fonds de concours et attributions de produits. Exécution jusqu'en 2022, prévision pour 2023.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Ce budget est financé à 75 % par crédits budgétaires et à 25 % par attributions de produits, notamment issus de la sécurité sociale (voir encadré).

Les relations financières entre le service de santé des armées et la sécurité sociale

Les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) réalisent des activités de soins dont la part prise en charge par l'assurance maladie suit les mêmes processus que pour les établissements civils. La caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), caisse pivot du ministère de la santé pour les établissements civils, verse les financements à la caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS). Celle-ci verse, à son tour, les ressources au comptable du SSA, l'agent comptable des services industriels de l'armement (ACSIA).

En 2009, en application du décret n° 2008-1528 du 30 décembre 2008 et à l'instar de l'ensemble du service public hospitalier, les HIA sont passés d'un système de financement forfaitaire reposant sur une dotation globale de fonctionnement (DGF) à un financement variable à l'activité (tarification à l'activité [T2A]) sur la totalité du secteur médecine-chirurgie-obstétrique. Les déclarations d'activités permettant de déterminer le montant des financements sont strictement identiques à celles des établissements civils.

Compte tenu de l'organisation centralisée du SSA, l'Agence régionale de santé de la région Île-de-France (ARSIF) gère la T2A pour l'ensemble des HIA sur le territoire national. Il revient ensuite à la direction centrale du SSA de répartir le produit perçu entre ses établissements.

Source : commission des finances du Sénat

Décomposition par provenance des crédits alloués au SSA entre 2019 et 2022

(en millions d'euros)

 

2018

2019

2020

2021

2022

Crédits budgétaires

AE

935,62

950,35

1 105,03

1 064,64

1 152,11

CP

920,75

955,53

1 060,82

1 014,59

1 142,85

Attributions de produits

AE

451,45

438,16

432,31

532,10

444,98

CP

451,45

438,16

432,31

532,10

444,98

Total

AE

1 387,07

1 388,51

1 537,34

1 596,74

1 597,09

CP

1 372,20

1 393,68

1 493,13

1 546,70

1 587,83

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Il est à noter que les ressources extrabudgétaires (REB) du SSA concourent à hauteur de 3 milliards d'euros au financement du besoin financier prévu par la loi de programmation militaire 2024-20302(*).

Trajectoire des ressources extrabudgétaires exécutées (2019-2022)
et prévisionnelle (2023-2030) de la mission « Défense »

(en millions d'euros)

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Les crédits HT2 du SSA concernent pour plus de la moitié le financement des activités opérationnelles (entraînement, mise en oeuvre du soutien santé, ravitaillement...). Le reste du budget est consacré aux dépenses de fonctionnement, d'équipement et d'infrastructures.

Décomposition du budget hors T2 du SSA par opération budgétaire
en 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

3. Des effectifs qui s'élèvent à plus de 14 000 ETPT, majoritairement militaires

Au plan administratif, il convient de rappeler qu'il existe ainsi deux types de décompte des effectifs du SSA :

- le périmètre « gestionnaire » (financé sur un budget opérationnel de programme spécifique au SSA sur le programme 212 [BOP-T2 SSA]), comprend tout le personnel soignant, militaire et civil, géré par le SSA et employé dans l'ensemble du ministère des armées (donc possiblement en dehors du SSA), dont les effectifs sont de 9 710 équivalents temps plein travaillés (ETPT) au 31 décembre 2022 (parmi lesquels on compte plus de 2 100 praticiens - et plus de 900 élèves - ainsi que 4 200 militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées [MITHA]) ;

le périmètre employeur, comprenant les effectifs directement employés par le SSA, soit le personnel soignant qu'il gère mais également les commissaires, militaires des trois armées ou civils « administratifs » mis à disposition par les armées, directions et services, que leurs rémunérations soient financées par lui ou non. Ainsi, les effectifs employés mais non gérés ne sont pas financés par le BOP-T2 SSA. L'effectif total du périmètre employeur du SSA est de 14 183 ETPT au 31 décembre 2022.

Évolution détaillée des effectifs gérés et employés par le SSA
depuis 2014

(en ETPT)

Évolution des effectifs du personnel géré par le SSA

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Militaires

11013

8126

7734

7621

7542

7589

7559

7566

7442

dont officiers

3697

3525

3246

3172

3145

3138

3158

3186

3171

dont sous-officiers

5559

4415

4324

4317

4292

4375

4342

4326

4219

dont militaires du rang

1562

0

0

0

0

0

0

0

0

dont volontaires

195

186

164

132

105

76

59

54

52

Civils

4959

2423

2405

2377

2406

2431

2502

2458

2313

dont catégorie A

372

231

274

319

359

476

518

542

541

dont catégorie B

848

453

433

410

411

321

335

344

1080

dont catégorie C

2589

1410

1418

1415

1435

1456

1488

1426

562

dont ouvriers de l'État

1150

329

280

233

201

178

161

146

130

Total

15972

10549

10139

9998

9948

10020

10061

10024

9755

                   

Évolution des effectifs du personnel employé par le SSA

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Militaires

10932

10635

10275

10081

9968

9894

9910

9764

9544

dont officiers

3646

3523

3421

3360

3364

3374

3425

3411

3376

dont sous-officiers

5529

5283

5146

5032

4941

4844

4794

4740

4610

dont militaires du rang

1562

1646

1550

1548

1562

1594

1623

1548

1495

dont volontaires

195

183

158

141

101

82

68

65

63

Civils

4915

4661

4491

4406

4518

4597

4689

4604

4639

dont catégorie A

399

411

430

479

521

670

668

690

702

dont catégorie B

823

766

737

748

799

718

770

792

1558

dont catégorie C

2584

2492

2459

2395

2482

2556

2636

2565

1886

dont ouvriers de l'État

1109

992

864

784

715

654

615

556

494

Total

15847

15296

14766

14487

14486

14491

14599

14368

14183

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Ces effectifs sont majoritairement militaires (68 %) et largement féminisés (63 %).

Le personnel soignant du SSA est regroupé en deux catégories : les praticiens des armées (médecins, pharmaciens, vétérinaires, chirurgiens-dentistes) et les personnels paramédicaux. Lorsque ces derniers sont sous statut militaire, ils rejoignent le corps des militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées (MITHA).

Décomposition par métier des effectifs de praticiens des armées
(militaires et contractuels) au 31 décembre 2022

Métiers

Nombre

Spécialités médicales hospitalières

429

Anesthésie et réanimation

109

Anatomopathologie et biologie (dont pharmaciens)

40

Cardiologie et maladies cardio-vasculaires

29

Dermatologie & Vénérologie

10

Endocrinologie et métabolisme

4

Gastro-entérologie et hépatologie

31

Gynécologie & Obstétrique

3

Hématologie

7

Médecine interne

39

Infectiologie

5

Oncologie

10

Médecine nucléaire

3

Médecine physique et réadaptation

25

Néphrologie

1

Neurologie

14

Pneumologie

16

Psychiatrie

41

Radiologie

36

Rhumatologie

6

Spécialités chirurgicales

213

Chirurgie digestive et viscérale

45

Chirurgie générale

8

Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie

9

Chirurgie orthopédique et traumatologique

61

Chirurgie plastique, reconstructrice et d'esthétique

6

Chirurgie thoracique, cardiaque et vasculaire

10

Chirurgie urologique

10

Chirurgie vasculaire

1

Neurochirurgie

13

Ophtalmologie

28

Oto-rhino-laryngologie

22

Médecine générale

857

Médecine d'urgence

65

Autres

452

Santé publique

19

Expertise médicale et contentieux

13

Hygiène nucléaire

3

Médecine aéronautique et spatiale

44

Médecine de la plongée

12

Médecine de prévention

31

Hors technique
(recherche, enseignement, conseiller...)

115

Direction

215

Pharmaciens

186

Vétérinaires

74

Chirurgiens-dentistes

39

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Décomposition par métier des effectifs de militaires infirmiers
et techniciens des hôpitaux des armées au 31 décembre 2022

Métier

Nombre

Aide-soignant

256

Fabrication de produits de santé

1

Secrétaire médical

334

Technicien en information médicale

26

Technicien maintenance des équipements biomédicaux

49

Cadre et cadre supérieur de santé

160

Contrôleur de prestation de services

2

Technicien vétérinaire

23

Psychologue clinicien

53

Recherche en santé de défense

3

Paramédical responsable santé

13

Diététicien

1

Masseur kinésithérapeute

54

Orthophoniste

1

Infirmier anesthésiste

182

Infirmier de bloc opératoire

116

Infirmiers en soins généraux

2 436

Infirmier hyperbariste

25

Manipulateur électroradiologie médicale

120

Préparateur en pharmacie hospitalière

32

Technicien de laboratoire médical

148

Supply chain management

33

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

S'y ajoutent 4 122 réservistes, qui réalisent environ 110 000 journées de réserve. La moyenne est actuellement de 27 jours d'activité par réserviste, moyenne qui recouvre de grandes disparités de rythme de service. L'apport des réservistes au SSA peut donc être qualifié de conséquent.

Les effectifs et l'activité de la réserve du SSA ont été marqués par une très forte évolution dans la période récente, avec une augmentation du nombre de réservistes opérationnels sous contrat de près de 30 % entre 2019 et 2021, tandis que leur activité ne cesse de croître (+ 50 % entre 2018 et 2021).

Évolution des réservistes du SSA depuis 2014

(en nombre de réservistes)

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Effectif des réservistes SSA

2 994

2 996

2 874

3 028

3 074

3 325

3 952

4 090

4 122

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Les professions les plus représentées au sein de la réserve du SSA sont les infirmiers en soins généraux ou spécialisés (32,6 %), les médecins (26 %), et les assistants médico-administratifs (11,6 %). La réserve compte également, en moindre proportion, des chirurgiens-dentistes, des pharmaciens, des psychologues ou encore des masseurs-kinésithérapeutes.

B. UN MODÈLE DE SOUTIEN SANTÉ COMPLET

1. Une organisation articulée autour de quatre composantes

Le SSA est dimensionné pour proposer un modèle de soutien santé complet. Son organisation s'articule autour de quatre principales composantes :

- une composante médecine des forces, reposant principalement sur les 16 centres médicaux des armées (CMA) positionnés au plus près des forces basées dans l'hexagone. Elle comporte également trois chefferies pour la force d'action navale (Toulon), les forces spéciales (Villacoublay) et les forces sous-marines (Brest) ainsi que des directions interarmées du SSA au sein des forces de souveraineté outre-mer ;

- une composante hospitalière, qui repose sur huit hôpitaux d'instructions des armées (HIA) : Percy (Clamart), Bégin (Saint-Mandé), Laveran (Marseille), Sainte-Anne (Toulon), Clermont-Tonnerre (Brest), Legouest (Metz), Robert-Piqué (Bordeaux) et Desgenettes (Lyon). Dotés d'environ 1 500 lits (0,4 % du système de santé à l'échelle nationale) et accueillant une majorité de patients civils (76 %), les HIA concourent au service public hospitalier.

- une composante ravitaillement médical, qui repose notamment sur la pharmacie centrale des armées (Orléans), le centre de transfusion sanguine des armées (Clamart) et deux établissements de ravitaillement sanitaire des armées (ESRA) (Marolles, Marseille) ;

- une composante formation et recherche, qui repose sur les écoles militaires de santé Lyon-Bron, l'école du Val-de-Grâce pour la formation initiale des internes des HIA, l'institut de recherche biomédicale des armées (Brétigny-sur-Orge) et le centre d'épidémiologie et de santé publique des armées (Marseille).

Au plan organisationnel, chacune de ces composantes est exercée par une direction dédiée du SSA, auxquelles il faut ajouter deux fonctions d'appui : la fonction « ressources humaines » et la fonction des systèmes d'information en santé.

Répartition des effectifs du SSA entre ses différents établissements (2023)

Note : REO : référentiel en organisation. Seuls sont présentés les effectifs théoriques, indépendamment du caractère pourvu ou non des postes.

Sigles : PM : personnel militaire ; PC : personnel civil ; DCSSA : direction centrale du SSA ; DAGRH : département d''accompagnement et de gestion des ressources humaines ; CERH : centre d'expert d'administration des ressources humaines ; I(G)SSA : inspecteurs (généraux) du SSA) ; MDF : médecine des forces ; CMA : centres médicaux des armées ; CSS : chefferie de soutien santé ; SPRA : service de protection radiologique des armées ; DIASS : directions interarmées du SSA (implantées dans les forces de souveraineté) ; DAPSA : direction des approvisionnements en produits de santé ; ERSA : établissement de ravitaillement sanitaire des armées ; CTSA : centre de transfusion sanguine des armées ; PCA : pharmacie centrale des armées ; ECMSSA : établissement central des matériels du SSA ; PFASF : plateforme des achats-finances santé ; DFRI : direction de la formation, de la recherche de l'innovation ; EMSLB : écoles militaires de santé Lyon-Bron ; EDVDG : école du Val-de-Grâce ; IRBA : institut de recherche biomédicale des armées ; CESPA : centre d'épidémiologie et de santé publique des armées ; DHOP : direction des hôpitaux ; DSIN : direction des systèmes d'information et du numérique.

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La composante hospitalière et la médecine des forces, qui sont le « coeur de métier » du SSA, emploient près des trois quarts des effectifs.

Décomposition par composante des effectifs employés par le SSA en 2023

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

2. Une condition essentielle de l'autonomie stratégique des armées

Le soutien santé est une condition essentielle de l'autonomie stratégique des armées.

Il accompagne systématiquement l'emploi des forces en opérations, selon le principe « premiers arrivés, derniers sortis » (« first in, last out »).

Ce principe s'est notamment vérifié avec la fin de l'opération Barkhane, et une présence du SSA dans le dernier convoi français ayant quitté le Mali. Au total, 5 981 militaires du SSA auront été projetés au Sahel, parmi lesquels un, le médecin Marc Laycuras, aura trouvé la mort le 2 avril 2019 suite à une attaque sur le trajet de son véhicule sanitaire.

En 2022, 1 491 personnels ont été projetés3(*) en mission de courte durée, permettant la réalisation de consultations, actes paramédicaux et interventions chirurgicales auprès de militaires français et étrangers ainsi qu'au titre de l'aide médicale aux populations locales.

Activité médico-chirurgicale du SSA en opérations extérieures en 2022

(en nombre d'actes)

 

Consultations

Actes

paramédicaux

Interventions chirurgicales

Militaires français

49 904

81 221

100

Militaires étrangers

2 198

24 989

105

Aide médicale aux populations

26 088

178 220

1 072

Total

78 190

284 430

1 277

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La préservation d'un tel modèle de soutien santé constitue un atout en comparaison internationale. Si le US Military Health System, doté d'un budget de 50 milliards de dollars, reste le service de santé occidental de référence, les services des armées du Royaume-Uni ne disposent par exemple plus d'une composante hospitalière, ce qui les rend quasiment inaptes à opérer seuls sur des volumes de forces significatifs, les rendant dépendant du soutien médical des alliés, en pratique des Américains.

II. UN SERVICE STRUCTURELLEMENT FRAGILISÉ PAR LES CHOIX BUDGÉTAIRES DE LA DÉCENNIE ÉCOULÉE ET LES TENSIONS AFFECTANT LE SECTEUR DE LA SANTÉ

A. UNE BAISSE IMPORTANTE DES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES DANS LE CADRE DE LA PROGRAMMATION 2014-2019

1. Une baisse brutale des moyens financiers du SSA au début de la programmation 2014-2019

Dans le contexte général de déflation des ressources des armées prévu par la loi de programmation militaire (LPM) 2014-20194(*), le SSA a subi une perte importante de ses moyens.

Il a ainsi connu une diminution brutale de ses ressources budgétaires de près de 8 % dans les deux premiers exercices de cette programmation tandis que les crédits de la mission « Défense » stagnaient en valeur.

Ces crédits connaissent ensuite à partie de 2016 une légère progression, au même rythme que ceux de la mission dans son ensemble.

Évolution comparée des crédits de paiement du SSA
et de la mission « Défense » entre 2014 et 2018 (exécution)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

2. Une baisse de 10 % des effectifs sur la même période

Sur l'ensemble de la programmation 2014-2019, le service a perdu environ 10 % de ses effectifs.

Ainsi, entre 2015 et 2018, les plafonds d'emplois autorisés en loi de finances initiale (LFI) au titre des personnels gérés par le SSA ont connu une diminution de 888 ETPT. Cette évolution traduit la rigueur de la politique de déflation imposée au SSA.

Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, le ministère des armées a ainsi reconnu qu'au terme de la
programmation 2014-2019 « la structure des effectifs du SSA est devenue quantitativement insuffisante ».

Évolution des plafonds d'emplois de personnels gérés par le SSA
autorisés en LFI entre 2015 et 2018

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

B. LES TENSIONS PERSISTANTES SUR LES RESSOURCES HUMAINES DANS LE SECTEUR DE LA SANTÉ SAPENT LES EFFORTS DE REMONTÉE EN PUISSANCE DU SSA

La déflation des moyens et des effectifs du SSA est intervenue au pire des moments. En effet, celle-ci a été opérée à l'orée d'une période de fortes tensions sur les ressources humaines et sur les compétences qui affecte l'ensemble du secteur de la santé et qui perdure à ce jour.

Cette conjoncture a pour effet de saper les efforts budgétaires de remontée en puissance du SSA pourtant entrepris depuis 2019.

Comme le montre en effet le graphique ci-dessous, la hausse significative des crédits prévus au titre du SSA sous la programmation 2019-20255(*) s'est accompagnée d'une stagnation des effectifs : elle a seulement permis de « stopper l'hémorragie ».

Évolution comparée des effectifs employés et des crédits prévus
en lois de finances au titre du SSA depuis 2019

(en millions d'euros et en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La sous-exécution structurelle et massive des schémas d'emplois sur la période (- 169,2 ETPT en moyenne sur 2018-2022) atteste des difficultés à attirer et conserver les personnels en poste.

La déflation des effectifs de la dernière décennie semble de surcroît avoir été à l'origine d'un cercle vicieux : les tensions sur les effectifs contribuent à détériorer les conditions d'exercice des personnels, et donc pénaliser en retour l'attractivité du service sur le marché du travail.

Évolution du schéma d'emplois entre 2018 et 2022

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

À l'instar de l'ensemble du milieu hospitalier, les tensions sont particulièrement prononcées s'agissant de certaines spécialités médicales (médecine générale, chirurgie, anesthésie-réanimation, médecine d'urgence, psychiatrie) et paramédicales (infirmiers de bloc opératoire, techniciens hospitaliers, manipulateurs en électroradiologie, orthoptistes).

Au total, les postes sur la composante médecine des forces sont pourvus à hauteur de 94 %. Ce taux relativement élevé ne doit cependant pas masquer de réelles difficultés s'agissant des praticiens, dont 100 étaient toujours manquants au 1er janvier 2023, soit 10 % des effectifs théoriques.

Comparaison entre les effectifs théoriques et réalisés
de la composante médecine des forces

(en nombre de personnels et en %)

     

Effectif théorique (REO) 2023

Effectif réalisé au 1er janvier 2023

Taux de réalisation

Personnels militaires

Officiers

Praticiens

1 029

929

90 %

Internes et assistants

0

6

-

Officiers MITHA

62

56

90 %

Officiers commissionnaires des armées

28

28

100 %

Officiers armée de Terre

4

3

75 %

Autres officiers

3

2

67 %

Total officiers

1 126

1 024

91 %

Sous-officiers

MITHA sous-officiers

1 238

1 287

104 %

Sous-officiers de l'armée de Terre

180

162

90 %

Autres sous-officiers

32

10

31 %

Total sous-officiers

1 450

1 459

101 %

Militaires du rang

Auxiliaires sanitaires armée de Terre

1 219

1 053

86 %

Autres auxiliaires sanitaires

218

218

100 %

Volontaires du SSA

0

0

-

Autres militaires du rang

45

113

251 %

Total militaires du rang

1 482

1 384

93 %

Personnels civils

Catégorie A

105

74

70 %

Catégorie B

107

82

77 %

Catégorie C

351

328

93 %

Ouvriers de l'État

19

21

111 %

Total personnels civils

582

505

87 %

TOTAL

4 640

4 372

94 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

C. LA COMPOSANTE HOSPITALIÈRE : PRINCIPALE SACRIFIÉE

1. La composante hospitalière est celle qui a connu la plus importante baisse d'effectifs entre 2015 et 2022

La composante hospitalière est la principale sacrifiée de la politique de déflation imposée au SSA. Entre 2015 et 2022, les effectifs concernés ont ainsi connu une diminution de 24 %, soit bien supérieure à celle constatée à l'échelle de l'ensemble du service (- 8 %).

Dans le même temps, les effectifs relevant de l'ensemble des autres chaînes de métiers ont connu une stabilité ou une augmentation.

Évolution par composante des effectifs employés par le SSA entre 2015 et 2022

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

2. D'importantes restructurations ont été engagées au cours de la dernière décennie

L'importante restructuration hospitalière engagée sur la période a été marquée par la fermeture de l'HIA parisien du Val-de-Grâce, lequel employait près d'un millier d'ETP dont seule une faible part a été relocalisée au sein des HIA Percy et Bégin, d'où la croissance des charges de personnels et de fonctionnement de ces établissements (voir tableau ci-dessous).

La parcelle « Ouest » du site, classée monument historique, demeure dévolue au SSA. Elle continue d'abriter l'école du Val-de-Grâce (EVDG), dédiée à la formation initiale des internes des HIA, ainsi qu'à la formation dite « milieux » (soins en milieux aéronautique, naval, haute montagne, désert...) et à la formation opérationnelle.

La parcelle « Est », correspondant à l'ancien HIA, sera dévolue au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, afin de développer le projet Paris Santé Campus en 2024, qui vise à constituer un espace de formation, de recherche, d'innovation et d'entrepreneuriat autour du numérique en santé.

Si le ministère a pu justifier cette décision par la densité de l'offre de santé en Île-de-France, il n'en reste pas moins que la fermeture de cet établissement emblématique a constitué un véritable traumatisme pour le SSA.

L'HIA Desgenettes de Lyon a également connu d'importantes difficultés, avec la dénonciation unilatérale par les hospices civils de Lyon du partenariat qui les liait à cet établissement et avait encadré le transfert de nombreuses spécialités médicales. La restructuration en cours de l'HIA, qui a vocation à n'être plus qu'une antenne hospitalière des armées (AHA) spécialisée dans les soins de suite, s'est traduite par une perte d'effectifs de 837 ETP depuis 2015.

Le budget consacré aux dépenses de personnels et au fonctionnement de cet HIA est celui qui, au cours de la dernière décennie, a connu la plus forte baisse (- 39 %).

Évolution des charges de personnels et de fonctionnement des HIA
entre 2010 et 2020

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

D. UN SERVICE DE SANTÉ TAILLÉ AU PLUS JUSTE, ENCORE LOIN DU NIVEAU REQUIS POUR SOUTENIR UN ENGAGEMENT MAJEUR DES FORCES ARMÉES

1. Un service sous tension

Le SSA est aujourd'hui taillé au plus juste pour la réalisation de son contrat opérationnel. Les auditions conduites par le rapporteur spécial ont cependant permis de s'assurer que jamais une opération n'a été abandonnée ou même repoussée faute de capacité à intégrer le soutien santé.

Néanmoins, un tel résultat n'est obtenu qu'au prix d'arbitrages à l'origine de nombreuses carences de postes, notamment dans les centres médicaux des armées (voir supra). Aussi, les sous-effectifs et les délais d'obtention de rendez-vous constituent les principaux irritants ressortant des enquêtes de satisfaction menées auprès des militaires.

Plus généralement, la médecine des forces est structurellement confrontée à un « effet ciseaux » entre la déflation de ses ressources humaines et la croissance globale des effectifs des forces à l'oeuvre depuis 2015.

Doit également être mentionnée à cet égard la forte hausse des effectifs de la gendarmerie. Ces derniers représentent aujourd'hui près de 30 % de l'activité de la médecine des forces, appelant un renouvellement du cadre de coopération avec le ministère de l'intérieur, prenant la forme d'une annexe à la délégation de gestion cadre (DGC) rédigée en 2008 suite au rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, qui n'a pas été actualisée depuis 2015.

2. L'importance du soutien santé dans un contexte de haute intensité

Pour autant le SSA, encore loin d'être en mesure de soutenir un engagement majeur, n'est pas en phase avec les évolutions du contexte géostratégique, pourtant identifiées de longue date.

En 2022, le SSA n'a pas été en mesure d'honorer son contrat opérationnel au titre de la fonction stratégique « intervention »6(*). L'objectif de performance n° 4.1 « Capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France » du programme n° 178 « préparation et emploi des forces » n'est rempli qu'à hauteur de 90 %. En effet, la cible de réalisation des équipes chirurgicales (fixée à 55) n'a pas été atteinte en exécution (49)7(*).

La guerre russo-ukrainienne a rappelé l'importance capitale des soutiens, et en particulier de la chaîne santé dans un contexte de haute intensité, impliquant une capacité à soigner un volume de blessés important puis à prendre en charge les soins de suite en aval.

Par ailleurs, l'impact d'un soutien santé à toute épreuve sur les forces morales des combattants engagés dans un conflit de haute intensité ne doit pas être sous-estimé.

S'il ne peut être assimilé à une mesure précise du volume de forces que les armées françaises pourraient projeter dans le cadre d'un engagement majeur l'exercice Orion conduit en 2023 a confirmé la sous-préparation du SSA à cet égard : alors qu'il faudrait être en mesure de traiter plusieurs centaines de blessés par jour, la chaîne santé déployée dans le cadre de l'exercice était capable d'en traiter 20.

L'exercice Orion 23

Pour répondre à l'évolution du contexte international, l'état-major des armées a décidé, dès 2020, d'organiser un nouveau cycle d'exercices triennal dont Orion constituera le premier échelon en 2023. L'objectif est d'entraîner les armées françaises dans un cadre interarmées et multinational, selon un scénario réaliste et exigeant, qui prend en compte les différents milieux (terre, mer, air, espace) et champs de conflictualité (cyber, informationnel et électromagnétique).

Ainsi, Orion 23 vise à :

- recentrer l'entraînement des armées sur l'hypothèse de réactivité à tout type d'événement ;via un entraînement multi-milieux et multi-champs (M2MC) à grande échelle ;

- évaluer les capacités internes à assumer une opération d'envergure majeure des armées ;

- renforcer l'interopérabilité avec nos alliés ;

- éprouver de nouvelles capacités.

L'exercice entend se déployer sur une échelle inédite dans la planification (expertise de haut niveau dans la planification opérative), sur le terrain (entraînement politico-militaire, manoeuvres de niveau division et de niveau corps d'armée, manoeuvres, entrée en premier depuis la métropole pour acquisition et maintien de la supériorité aérienne dans un espace contesté et manoeuvre aérienne globale de conduite d'opérations aéroportées majeures) et dans le soutien (homme, logistique, santé...).

L'entraînement revêt une dimension interarmées, interministérielle et internationale, et figure une situation de crise sollicitant toutes les composantes de la Nation. Il entend prendre en compte tous les domaines et champs de conflictualité (guerre informationnelle, cyber, fonds marins, extra-atmosphérique...).

Il prend la forme d'un scénario fictif mais se voulant crédible : l'État Mercure souhaite rétablir son influence régionale sur l'État Arnland. Pour ce faire, Mercure apporte un soutien matériel et financier à la milice Tantale, qui déstabilise le sud de Arnland et déploie des forces importantes aux frontières et dans les approches maritimes, tout en employant des modes d'action dits « non cinétiques » (perturbations des systèmes de communication, désinformation...). L'État Arnland se retrouve affaibli. Afin d'éviter toute dégradation de la situation, après une phase de planification (Phase 1), la France déploie son échelon national d'urgence interarmées (Phase 2). S'ensuit une phase politico-militaire de gestion de crise d'ampleur (Phase 3) avant de décider de se déployer massivement au sein d'une coalition contre Mercure (Phase 4) dans le cadre d'une opération sous mandat ONU et OTAN.

Source : ministère des armées

III. VERS UN SOUTIEN SANTÉ À LA HAUTEUR DU DÉFI DE LA HAUTE INTENSITÉ : LA REMONTÉE EN PUISSANCE EST ENGAGÉE MAIS NE SE FERA PAS EN UN JOUR

A. UNE PRISE DE CONSCIENCE DE LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES MOYENS FINANCIERS DU SSA

La remontée en puissance des forces visée par l' « Ambition 2030 » qui sous-tend les LPM 2019-2025 et 2024-2030 ne saurait faire l'économie d'un renforcement concomitant du soutien santé. Il y va de la cohérence de notre outil de défense.

Suite aux économies imposées au cours de la programmation 2014 2019, la LPM 2019-20258(*), qui se voulait « de réparation », a stabilisé les crédits hors T2 du SSA. Décidée dans un contexte géopolitique dégradé, l'Actualisation stratégique 2021 avait ensuite prévu un renforcement de 216 millions d'euros de ces crédits sur la période de programmation.

La LPM 2024-2030 a ensuite traduit une prise de conscience plus générale de la nécessité, dans une logique de cohérence, d'opérer un rééquilibrage de l'effort budgétaire au profit des services de soutien. Leurs ressources s'élèveraient en effet à 18 milliards d'euros sur l'ensemble de la période, contre 14 milliards d'euros sous la précédente programmation.

S'agissant du SSA, la programmation prévoit quant à elle une enveloppe de crédits hors titre 2 (HT2) totale de 3,8 milliards d'euros, soit environ 1 milliard de plus que celle prévue pour la période 2019-2025.

Il en résulte une trajectoire de nette augmentation de ces crédits (+ 12 % par an en moyenne), pour les porter à plus de 700 millions d'euros en 2030.

Il est cependant à noter que la principale marche (+ 144 millions d'euros) est prévue pour la dernière année de la programmation, et est donc renvoyée au milieu du prochain quinquennat, rendant sa réalisation pour le moins hypothétique. Cette observation, comme l'avait relevé le rapporteur spécial en sa qualité de rapporteur pour avis lors de l'examen du projet de LPM 2024-2030, vaut d'ailleurs pour l'ensemble de la trajectoire programmée9(*).

Évolution des crédits de paiement hors T2 programmés
au profit du SSA entre 2014 et 2030

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le rapport annexé à cette loi consacre d'ailleurs une section importante (2.3) aux services de soutien et en particulier au SSA. À l'initiative du rapporteur spécial en sa qualité de rapporteur pour avis, son texte a été enrichi par plusieurs amendements de la commission des finances visant à mettre l'accent sur l'importance de la préparation à la haute intensité, le nécessaire renforcement de la politique des ressources humaines, et les travaux à engager pour le remplacement de l'hôpital Laveran par un hôpital neuf à Marseille (voir infra).

Les apports de la commission des finances à la section du rapport annexé à la
LPM 2024-2030 relative aux SSA

« La présente LPM renforcera les ressources et les moyens alloués aux soutiens des forces, qui irriguent tous les domaines d'activité des armées. La consolidation des services de soutien commun, notamment le service du commissariat des armées (SCA) et les bases de défense, permettra de disposer de stocks prépositionnés et au juste niveau ainsi que de moyens modernes (équipements, infrastructures, outils numériques). Si elles présentent un intérêt économique et financier avéré, des externalisations pourront être conduites, sous réserve de rester compatibles avec les impératifs opérationnels inhérents à notre souveraineté.

Toutes les capacités de la chaîne du service de santé des armées (SSA) projetée en opération (postes médicaux, structures médico-chirurgicales dont les hôpitaux de campagne, évacuations médicales, etc.) seront renouvelées pour garantir le soutien des engagements militaires, y compris dans une perspective de haute intensité.

À cette fin, une attention particulière sera portée au volume des moyens nécessaires à la gestion efficace d'un afflux important de blessés en cas d'engagement majeur.

Au cours de la période de programmation, les moyens aériens (notamment hélicoptères) et terrestres (notamment blindés Griffon et Serval en version sanitaire) de la chaîne d'évacuation médicale seront ainsi réévalués et, le cas échéant, consolidés. Le déploiement des antennes chirurgicales de nouvelle génération (antennes de réanimation et de chirurgie de sauvetage - ARCS) sera accéléré et l'objectif de porter à un minimum de 65 le nombre d'équipes chirurgicales projetables sera atteint le plus tôt possible.

En outre, une réflexion sera lancée concernant les compétences de soins des infirmiers des armées, qui pourraient être élargies, notamment afin de contribuer au renforcement de la médecine de l'avant.

Le ravitaillement médical sera modernisé, notamment en augmentant considérablement ses capacités de stockage et de production, pour améliorer sa réactivité et sa résilience. Le ravitaillement médical assurera également la disponibilité des médicaments pris sur une base régulière pour les militaires ou civils de la défense touchés par un conflit. Le ministère des armées engage un travail pour répertorier les savoir-faire détenus par son SSA afin de les préserver et les faire perdurer.

Le parcours de soins des militaires sera renforcé grâce au maillage territorial de la médecine des forces et à une meilleure coordination avec la composante hospitalière militaire.
Les hôpitaux militaires consolideront le contrat opérationnel du SSA et la prise en charge des blessés physiques et psychiques de guerre, améliorant le service rendu aux armées et, par extension, aux territoires de santé :

- Percy, Bégin, Sainte-Anne et Laveran s'appuieront sur leurs pôles d'excellence pour renforcer leur positionnement dans l'offre de soins nationale, notamment face aux situations sanitaires exceptionnelles ;

- Clermont-Tonnerre et Legouest consolideront leurs missions spécifiques (soutien à la dissuasion, expertise pour les unités militaires du Grand Est) ;

- Desgenettes et Robert-Piqué se spécialiseront dans la réhabilitation physique et psychique sur le long terme des militaires blessés, en lien avec l'Institution nationale des invalides et les maisons Athos.

Les effectifs du SSA seront renforcés. Pour améliorer l'attractivité de ses métiers et la fidélisation des personnels dans un contexte de fortes tensions sur ses ressources humaines, cet effort de recrutement s'appuiera sur une politique salariale volontariste et le souci de redonner du sens à l'engagement au sein du SSA, en valorisant son identité militaire.

Les personnels du SSA, dont ceux de l'Institut de recherche biomédicale des armées, font l'objet d'une revalorisation de points d'indice supplémentaires, au même niveau que la transposition du « Ségur de la santé » au SSA.

Au cours de la période de programmation, des travaux seront lancés en vue du remplacement de l'hôpital d'instruction des armées Laveran par un hôpital neuf.

Les prérequis médicaux sont communiqués par le service de santé des armées aux candidats à l'incorporation, avant que débutent les épreuves de sélection. »

Note : en gras, les mentions issues d'amendements de la commission des finances du Sénat conservées dans le texte final.

Source : rapport annexé à la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense

B. LES RESSOURCES HUMAINES : L'ENJEU PRIORITAIRE

Les tensions sur les ressources humaines constituent aujourd'hui la principale limite à la montée en puissance du SSA jusqu'au niveau requis par la haute intensité. Il s'agit donc du principal levier à activer.

La LPM 2024-2030 prévoit ainsi un renforcement conséquent des effectifs (+ 460, soit 3 %), cohérente avec la politique de ressources humaines ambitieuse prévue par la feuille de route stratégique « Ambition SSA 2030 ». La capacité du SSA à atteindre cet objectif sera en tout état de cause soumise à la conjoncture sur le marché du travail dans le secteur de la santé.

Évolution des effectifs du service de santé des armées depuis 2015 et cible d'augmentation prévue par la programmation 2024-2030

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le recrutement de personnels du SSA se maintient à un rythme soutenu avec plus de 500 recrutements par an depuis 2020 (voir tableau ci-dessous). La formation initiale est également attractive et n'est donc pas non plus en cause : depuis 2022, les promotions d'entrée à l'École de santé des armées (ESA) sont d'ailleurs passées de 105 à 125 élèves, avec un objectif de 120 diplômés par promotion.

Évolution des recrutements au sein du SSA depuis 2020

(en ETP)

 

2020

(réalisé)

2021

(réalisé)

2022

(prévision)

2024

(prévision)

Personnels militaires

Officiers

210

195

209

224

Sous-officiers

281

265

380

300

Volontaires

15

24

31

24

Personnels civils (titulaires)

Catégorie A

7

24

85

36

Catégorie B

9

9

82

60

Catégorie C

3

48

0

6

TOTAL

525

565

787

650

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

L'emploi de contractuels dans les HIA s'avère toutefois bien souvent difficile dans la pratique. Le défaut d'attractivité du SSA vis-à-vis des soignants issus du civil s'explique notamment par :

- l'impossibilité de s'aligner sur les niveaux de rémunération des spécialistes proposés dans les établissements civils ;

- les délais excessifs de la procédure de recrutement, très centralisée.

Surtout, SSA fait face à des enjeux de fidélisation des personnels. Les surmonter implique quant à eux la mobilisation de leviers financiers, à l'instar de la prime de lien au service (PLS), instrument dont il conviendra cependant d'évaluer l'efficience. D'après les responsables du ministère auditionnés par le rapporteur, il serait plus efficace d'accorder des primes importantes de façon ciblée, le « saupoudrage » s'avérant inefficace car peu incitatif pour les agents.

La LPM 2024-2030 a vocation à porter un nouveau modèle de ressources humaines pour le SSA, qui doit s'articuler autour de trois axes : de nouveaux statuts, une nouvelle architecture indemnitaire, et une rénovation des parcours professionnels. D'après les informations transmises au rapporteur spécial lors de l'examen du projet de LPM au Sénat, la programmation prévoit à ce titre une enveloppe de 188 millions d'euros de mesures salariales sur la période.

Interrogé sur ce point par le rapporteur spécial, le SSA a toutefois indiquer ne disposer d'aucune étude permettant d'objectiver les différences de rémunérations entre les personnels médicaux et paramédicaux militaires et leurs homologues civils, ce qui pourrait pourtant s'avérer précieux pour concevoir une politique salariale efficiente au service de l'attractivité du SSA.

Pour développer son attractivité, le SSA entend également mieux valoriser l'identité militaire du service, en mettant mieux en avant et en formant davantage à une pratique de la médecine adaptée aux besoins des armées, associant rusticité et expertise de pointe des blessures de guerre et des différents milieux (aéronautique, naval, haute montagne, désert...). Sur ce point, la stratégie d'attractivité rejoint les exigences de la préparation opérationnelle du SSA.

Cette « remilitarisation » des carrières doit également s'appliquer aux personnels paramédicaux. En effet, le modèle RH des MITHA est construit, depuis 1980, sur l'homologie avec la fonction publique hospitalière (FPH), dont les problématiques sont parfois très éloignées de celles du ministère des armées. C'est d'ailleurs à ce titre que seuls les personnels paramédicaux du SSA, par opposition aux praticiens des armées, ont bénéficié d'une transposition du « Ségur de la santé » (voir encadré).

La transposition du « Ségur de la santé » aux personnels paramédicaux du SSA

Le Ségur de la santé désigne les mesures d'amélioration de la rémunération des personnels médicaux et paramédicaux de la fonction publique hospitalière issue des accords du 13 juillet 2020 signés entre le ministère de la santé et les syndicats représentatifs de ces personnels. Ces mesures sont notamment :

- la création du complément de traitement indiciaire (CTI) (49 points d'indice majoré soit 183 euros nets) attribué à tout le personnel non médical de la fonction publique hospitalière (FPH) ;

- une réingénierie conséquente des grilles indiciaires et des échelons des personnels médicaux et paramédicaux.

- une reconnaissance des fonctions managériales par des revalorisations et créations de primes (encadrement, président de commission médicale d'établissement, chef de pôle, chef de service, etc.), et de spécialisations professionnelles (nouvelle bonification indiciaire [NBI] aux infirmiers de bloc opératoire, prime d'exercice en soins critiques, prime de spécialité en pratique avancée, etc.).

Concernant la transposition au ministère des armées, les paramédicaux fonctionnaires civils du SSA sont directement et systématiquement concernés par l'ensemble des mesures. S'agissant des soignants militaires du SSA, la situation n'est pas la même pour les praticiens des armées, pour les étudiants et internes, et pour les militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées (MITHA).

En effet, les praticiens des armées ne bénéficient pas des mesures du Ségur de la santé prévues pour les praticiens hospitaliers de la fonction publique hospitalière en matière d'amélioration de la rémunération, décision justifiée par le fait qu'ils bénéficient déjà, depuis 2019, du plan d'amélioration dit « pré-NPRM », préfigurant la mise en oeuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) qui entre pleinement en vigueur à compter du 1er octobre 2023.

Les étudiants en santé (médecine, maïeutique, orthodontie et pharmacie de deuxième cycle) et les internes, les internes des hôpitaux d'instruction des armées ne bénéficient pas de la revalorisation des indemnités de stage (pour lesquelles ils restent soumis au régime militaire avec la prise en charge des frais de déplacements), mais bénéficient de l'augmentation de l'indemnité de garde pour les internes.

Enfin, la transposition aux MITHA des nouvelles dispositions statutaires applicables aux corps paramédicaux de la fonction publique hospitalière à la suite du Ségur de la santé s'est traduite par une revalorisation indiciaire, avec la création de 2 nouveaux grades sommitaux pour les corps d'encadrement (directeur des soins de classe exceptionnelle et cadre de santé hors classe). Ont également été prévus le passage en catégorie A des professions paramédicales de technicien de laboratoire médical (TLAB), préparateur en pharmacie hospitalière (PPH), diététicien (DIET) et l'entrée en catégorie B des aides-soignants. Les mises en oeuvre de ces mesures se poursuivent progressivement.

Les personnels non médicaux civils et militaires exerçant leurs fonctions au sein des hôpitaux des Armées perçoivent également le complément de traitement indiciaire prévu par le Ségur (nommé complément de solde indiciaire [CSI] pour les militaires).

Pour assurer pleinement la transposition du Ségur aux MITHA, un dispositif de majoration de traitement a également été institué. Ce dispositif, miroir au complément de traitement indiciaire, répond à la nécessité d'assurer la cohérence de la politique de rémunération entre les composantes du SSA. Il est de nature à renforcer l'attractivité des structures du SSA et faciliter ainsi les mobilités des personnels civils et militaires entre les hôpitaux des Armées d'une part, et les autres structures du SSA d'autre part. En 2022, une majoration de 10 points d'indice a été mise en oeuvre au profit des personnels civils et militaires exerçant une profession paramédicale de santé réglementée ou faisant usage du titre de psychologue, au sein des structures médicales de premier recours. Il a vocation à atteindre les 49 points, comme le CSI/CTI. Dans un deuxième temps, et dans un même souci de cohérence, la loi n°2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 étend ce dispositif aux personnels civils et militaires exerçant une profession paramédicale de santé réglementée ou faisant usage du titre de psychologue, en fonction au sein du SSA.

Source : ministère des Armées, réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Sans abandonner cette homologie, ce qui serait source de complexité et d'incompréhension pour les personnels concernés qui y voient un enjeu d'équité de traitement, il serait souhaitable de restituer la dimension militaire de cet engagement. Plusieurs pistes sont prévues par le SSA à cet égard, avec notamment l'accès aux galons d'officiers pour les infirmiers spécialisés et les masseurs-kinésithérapeutes ou encore la participation accrue des personnels paramédicaux aux postes de commandement.

Ces efforts engagés pour dynamiser la politique des ressources humaines du SSA doivent être poursuivis et amplifiés : ils constituent la condition sine qua non de la remontée en puissance du service et, partant, des armées. Les résultats du nouveau modèle RH prévu dans le cadre de la nouvelle LPM devront rapidement être évalués, notamment à l'occasion de la première actualisation de la programmation devant intervenir avant la fin de l'année 202710(*).

Relever le défi des ressources humaines constitue un prérequis indispensable pour la réalisation des objectifs de la LPM 2024-2030, en particulier celui, décisif pour répondre au contrat opérationnel au titre de la fonction « intervention », de porter à 65 le nombre d'équipes chirurgicales projetables, le plus tôt possible (voir supra).

Recommandation n° 1 : Dynamiser la politique des ressources humaines du service de santé des armées, en mobilisant l'ensemble des leviers financiers et non financiers pertinents, en simplifiant la procédure de recrutement de contractuels en hôpital et en valorisant l'identité militaire du service (ministère des armées).

C. UN IMPÉRATIF DE CONSOLIDATION DE LA COMPOSANTE HOSPITALIÈRE DU SSA

1. Remettre à niveau les infrastructures et préserver l'expertise médicale des HIA

En permettant la confrontation des personnels à une large variété de pathologies, la composante hospitalière du SSA est essentielle à la préservation de compétences médicales de haut niveau.

Le sous-investissement avéré dans les infrastructures hospitalières a entraîné l'accumulation d'une importante « dette grise ».

Les HIA Percy, Clermont-Tonnerre, et Laveran se trouvent sur ce plan dans un état particulièrement dégradé. La décision de remplacer l'hôpital Laveran par un HIA de nouvelle génération (HIA-NG) pour 2031, projet donc le coût est estimé à 300 millions d'euros, constitue un symbole fort et positif.

L'HIA-NG, conforté dans sa spécialisation en infectiologie et renforcé en matière de traumatologie, devrait être doté d'infrastructures adaptées à l'hypothèse d'engagement majeur des armées, notamment en matière d'accueil ou de transit de patients militaires évacués.

Il est à noter que la LPM 2024-2030 prévoit également la mise en service à horizon 2026 d'un centre de traitement et de décontamination des blessés contaminés par des agents radiologiques ou chimiques (CTBR2C) sur le site de l'HIA Sainte-Anne (Toulon).

Le remplacement de l'hôpital Laveran par un hôpital neuf

L'Hôpital d'instruction des armées (HlA) Laveran est aujourd'hui jugé vétuste. Néanmoins, sa rénovation présenterait un coût élevé (coût global de 96,3 millions d'euros), perturberait la continuité de l'offre de soins pendant les travaux, et ne permettrait pas d'aboutir à une évolution adaptée aux enjeux stratégiques du SSA. C'est pourquoi, dans le cadre de la LPM 2024 - 2030, le président de la République a annoncé la construction d'un hôpital militaire de nouvelle génération.

Ce nouvel hôpital militaire a vocation à répondre aux besoins des armées comme de la population locale. Conjuguant haut niveau d'expertise médicale et spécificités militaires, cet établissement sera construit autour des principes d'agilité, de modularité et d'adaptabilité aux différentes situations sanitaires du temps de paix comme du temps de crise.

Le nouvel hôpital, en cohérence avec l'hôpital Sainte-Anne de Toulon, assurera le soutien santé de la communauté de défense de la première zone militaire de France. Il garantira le soutien médical de tous les types d'opérations militaires et permettra une prise en charge complète et pluridisciplinaire des militaires blessés psychiques et physique. Il sera en mesure de prendre en charge un afflux massif de patients en cas de crise.

Ouvert à l'ensemble de la population, cet hôpital sera construit sur le camp de Sainte-Marthe, dans les quartiers nord de Marseille et s'intégrera dans le projet régional de santé. ll proposera une offre médicochirurgicale adaptée aux besoins de la patientèle civile du territoire de santé dans lequel il est inséré, notamment avec des services d'urgences, de soins critiques et d'infectiologie.

La manoeuvre du nouvel hôpital est rythmée par:

- les études préalables et de programmation (2022-2024) : en cours ;

- l'acquisition du foncier (2023): réalisée ;

-  l'obtention du permis de construire après les études de conception et procédures environnementales (pose de la première pierre en 2027) ;

- la phase de travaux (2028-2030) ;

- la livraison en 2030 ;

- la mise en service en 2031 ;

- la libération définitive du site de Laveran et son démantèlement (2031).

Son coût est estimé à 300 millions d'euros.

Source : ministère des armées, réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Si la LPM prévoit une évolution des dépenses d'investissements en infrastructures de santé (sous-action n° 05.11 du programme n° 178) en nette progression (voir graphique ci-dessous), il conviendra de veiller, pour l'avenir, à ce que les HIA disposent de dotations suffisantes pour mener les indispensables opérations d'entretien des infrastructures de nature à éviter la reconstitution d'une coûteuse « dette grise ».

Évolution des dépenses d'infrastructures de santé

(en millions d'euros)

Note : de 2014 à 2022 : montants exécutés (RAP) ; en 2023 : montant prévus en LFI (PAP) ; de 2024 à 2030 : programmation LPM.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Recommandation n° 2 : Poursuivre l'effort de rénovation ou de remplacement des infrastructures des hôpitaux d'instruction des armées (HIA). Pour l'avenir, octroyer aux HIA des moyens suffisants pour les entretenir, de façon à éviter la constitution d'une nouvelle « dette grise » (ministère des armées).

Compte tenu du rôle joué par l'HIA Clermont-Tonnerre (Brest) pour la force océanique stratégique, la remise à niveau de ses infrastructures et la consolidation de ses spécialités médicales revêt une importance capitale.

La particularité des soignants embarqués de la FAN et de la FOST, en particulier ceux des SNLE, est de devoir entretenir une capacité à gérer des urgences en totale autonomie. Cette exigence militaire se comprend comme loin de tout soutien hospitalier, voire sans avoir à recourir à un avis médical extérieur, lorsque les contraintes opérationnelles ou la discrétion des communications l'exigent.

Au bilan, expertise avancée permet de réduire par un facteur de 8 à 10 les évacuations médicales réalisées depuis les SNLE par rapport à la moyenne des autres embarcations. En 50 années de dissuasion, 126 interventions chirurgicales sous anesthésie générale ont été pratiquées à bord d'un SNLE en patrouille, témoignant de la nécessité absolue de maintenir à leur plus haut niveau les savoir-faire des équipes médicales embarquées.

Ainsi, la performance de l'HIA Clermont-Tonnerre, d'où sont issus les médecins projetés en SNLE, participe de la crédibilité de la dissuasion nucléaire française. Récemment, l'HIA a en outre démontré son intérêt pour la continuité de la mission dans le contexte de la pandémie de covid-19. Il a été le point d'appui indispensable qui a permis une adaptation rapide aux contraintes opérationnelles et mis à disposition, sous faible délai, des capacités de vaccination performantes au profit des marins.

Alors que le budget de personnels et de fonctionnement de cet HIA a connu une baisse importante ces dernières années (- 21 % entre 2014 et 2020), sa consolidation doit désormais être mise à l'ordre du jour. Au regard de leur valeur militaire, la préservation des compétences présentes dans l'HIA doit primer sur la politique civile de répartition territoriale de l'offre de soins, qui aurait tendance à regarder le secteur comme suffisamment doté et à plaider en conséquence pour des transferts de spécialités vers d'autres établissements de la région. Cet enjeu renvoie à la problématique plus large de « rééquilibrage » des relations entre le SSA et le système civil (voir infra).

Évolution des charges de personnels et de fonctionnement
de l'HIA Clermont-Tonnerre

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Recommandation n° 3 : Préserver, au sein des HIA, les compétences médicales dites « projetables », répondant aux besoins militaires en opérations. Veiller tout particulièrement à la consolidation de la capacité de l'HIA Clermont-Tonnerre à assurer sa mission de soutien à la dissuasion nucléaire (ministère des armées).

2. Rééquilibrer les relations avec le système de santé civil

Les relations du SSA avec le système civil sont historiquement déséquilibrées, car essentiellement tournées vers sa contribution à l'offre de soins globale. Si, au plan quantitatif, les HIA ne représentent que 0,5 % de l'offre de soins totale, leur apport qualitatif s'avère précieux compte tenu de leur large éventail de prise en charge incluant des spécialités rares (médecine polyvalente, soins de suite et de réadaptation, urgences, chirurgie, traitement des grands brûlés, réanimation, médecine hyperbare...).

Conformément à la « règle des 4 I » voulant que les moyens militaires soient mobilisés en complément des moyens civils lorsque ceux-ci s'avèrent « indisponibles, insuffisants, inadaptés ou inexistants », le SSA a également été mis à contribution dans le contexte de la crise de la covid-19 au travers de l'opération Résilience, qui a permis l'envoi de renforts zonaux en capacités de réanimation, la réalisation de transferts médicalisés et un appui à la politique de vaccination (voir encadré).

Le SSA mobilisé face à la pandémie de covid-19 : l'opération Résilience

Lancée le 25 mars 2020, l'opération Résilience constitue la contribution des armées à l'effort interministériel de lutte contre la pandémie de covid-19.

Outre la prise en charge de patients atteints du covid-19 dans les HIA, cette opération comprenait trois dimensions.

- premièrement, elle a permis l'apport de renforts zonaux en capacités de réanimation. Les effectifs du SSA mobilisés dans ce cadre se sont élevés à 753 ;

- deuxièmement, les armées ont organisé des transferts médicalisés. La première mission de transfert interrégional de patients mettant en oeuvre la capacité MoRPHEE (Module de réanimation pour patient à haute élongation d'évacuation) est conduite, au profit de 6 patients de réanimation de la région Grand-Est vers Provence-Alpes-Côte d'Azur dès le 18 mars 2020. Cinq autres suivront, pour un total de 36 patients. Le SSA a également armé une capacité de réanimation hospitalière sur le porte-hélicoptères amphibie (PHA) TONNERRE afin de transférer 6 patients intubés-ventilés d'Ajaccio vers Marseille le 21 mars. Le PHA DIXMUDE fut projeté aux Antilles du 3 avril au 27 mai 2020 afin de procéder au transfert de 12 patients par PUMA, en 10 vols inter-îles. Enfin, la capacité MEROPE (Module de réanimation pour les opérations) sur A400M a été mise en oeuvre en Guyane, afin de permettre le transfert de 6 patients, entre le 26 juin et le 21 juillet 2020 ;

- troisièmement, le SSA, appuyé par les armées, directions et services, a pris une part active à la campagne de vaccination. Il a armé 8 centres au sein de 7 HIA et des écoles militaires de santé de Lyon-Bron (EMSLB), permettant la réalisation de 609 820 injections vaccinales entre le 2 avril et le 29 octobre 2021. Suite à la réactivation du pilier vaccination en décembre 2021, 60 343 injections seront réalisées par du personnel SSA au sein de centres de vaccination civils.

Les dépenses hors titre 2 opérées au profit de l'opération Résilience sont de 2 millions d'euros, remboursées ex post au SSA.

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Pour faire face à un afflux massif de blessés dans le contexte d'un engagement majeur, les HIA doivent en retour pouvoir compter sur le soutien du système de santé civil. Ses hôpitaux doivent notamment être en mesure d'accueillir en urgence les patients civils des HIA afin d'y libérer des lits, voire de traiter eux-mêmes des combattants blessés, ce qui correspond à une forme d'inversion de la « règle des 4 I ».

Le récent protocole pluriannuel du 11 avril 2022 signé entre les ministères des armées, de la santé et du budget traduit ce souci de rééquilibrage. Il est désormais en phase de déclinaison, territoire de santé par territoire de santé.

Le SSA a également signé un protocole d'accord avec l'Institut national des invalides (INI), notamment pour déterminer les conditions dans lesquelles peuvent s'opérer les transferts de patients au sein de cet établissement qui est en particulier spécialisé dans la réhabilitation des blessures post-traumatiques.

Le protocole pluriannuel défense-santé-budget du 11 avril 2022

En application de l'article L. 6147-11 du code de la santé publique, le protocole pluriannuel interministériel, signé le 11 avril 2022 par les ministères en charge de la défense, de la santé et du budget, définit les relations et les engagements réciproques des ministères signataires dans le but de mieux répondre aux besoins de santé de la population, notamment aux besoins spécifiques des armées dans le domaine de la santé. Surtout, il réaffirme la mission première de soutien santé des forces.

Il aborde trois thématiques :

la gestion de crise : principes et cadre de mise en oeuvre des moyens des armées au profit de la santé publique, contribution du système de santé civil au soutien sanitaire des forces en cas de combat de haute intensité ;

l'offre de soins : insertion des hôpitaux militaires dans les territoires de santé et coopération avec des établissements civils, développement de parcours de soins au profit des militaires et de leur famille, politique de prévention ;

la formation et la recherche : reconnaissance de l''expertise du SSA, collaborations dans le domaine de la recherche et formations conjointes.

Ce protocole va désormais être décliné au niveau régional grâce à des collaborations adaptées aux particularités des territoires, et ce, en lien étroit avec les agences régionales de santé (ARS) appuyées par les officiers généraux de zone de défense et de sécurité.

Quatre ARS se sont déjà portées volontaires pour débuter la déclinaison du protocole : Provence-Alpes-Côte d'Azur, Bretagne, Occitanie et Martinique. Ces premières ARS sont assez représentatives des différentes particularités régionales (région dépourvue d'HIA, présence d'un ou de plusieurs HIA, zone ultramarine). Dans la mesure où le protocole doit être déployé dans tous ses aspects, l'ensemble des ARS sera concerné d'ici la fin de l'année 2023. Cette initiative s'inscrit plus largement dans le cadre des projets régionaux de santé des ARS (2023-2028) et, pour le SSA et les armées, dans la lignée de la nouvelle loi de programmation militaire. Pour accompagner cette déclinaison, un guide de l'inscription territoriale du SSA sera publié au troisième trimestre 2023. Il prendra en compte le retour d'expérience (Retex) des 4 régions dites « pilotes » et permettra de mieux définir les limites des partenariats tout en décrivant les processus à mettre en oeuvre dans le cadre de la déclinaison du protocole.

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Il conviendra de mettre celui-ci à l'épreuve, comme ce fut le cas lors de l'exercice Orion, et d'en évaluer l'efficacité. En préparation de l'exercice, plusieurs groupes de travail avaient été constitués entre le ministère des Armées et le ministère de la Santé et de la Prévention pour définir les modalités d'organisation :

- de la sécurisation dans la durée des approvisionnements en produits de santé essentiels ou indispensables, de la logistique sanitaire et, plus largement, de l'établissement d'une « économie de guerre » pour les produits de santé ;

- d'évacuations sanitaires massives ;

- pour assurer la prise en charge massive de combattants blessés ou malades de guerre dans le système de santé ;

- pour assurer la prise en charge de la patientèle civile des HIA dans le système de santé civil, de façon à leur permettre de se concentrer sur le soin des militaires.

Les prochains exercices prévus (Warfighter 25, Orion 26), fourniront l'occasion d'améliorer le dispositif.

Recommandation n° 4 : Rééquilibrer les relations entre les SSA et le système civil de façon à assurer la résilience du système hospitalier dans son ensemble en cas d'engagement majeur. Pour cela, mener à son terme la déclinaison territoriale du protocole armées-santé-budget du 11 avril 2022 et, lorsque le recul sera suffisant, en évaluer l'efficacité (ministère des armées, ministère de la santé).

Ce rééquilibrage passe également, comme indiqué supra s'agissant de l'HIA Clermont-Tonnerre, par une meilleure compréhension par les autorités régionales de santé (ARS), dans le cadre des coopérations territoriales menées avec le SSA, de l'impératif de préserver dans ses HIA certaines compétences médicales indispensables à la réalisation de ses missions, aux premier rangs desquels les spécialités dites « projetables », correspondant aux compétences les plus critiques au regard des besoins en opération (chirurgie, réanimation, psychiatrie...) (voir recommandation n° 3).

D. LA NÉCESSAIRE (RE)CONSTITUTION DE CAPACITÉS DE SOUTIEN MÉDICAL SUR LES THÉÂTRES D'OPÉRATIONS ADAPTÉES AUX CONFLITS DE HAUTE INTENSITÉ

Plusieurs leviers capacitaires sont identifiés pour amener le dispositif de soutien médical opérationnel au niveau requis par la haute intensité.

1. Pour se préparer à un engagement majeur, la priorité est de reconstituer la capacité de déployer des hôpitaux de campagne

La reconstitution d'une capacité à déployer un hôpital de campagne à l'arrière du front constitue une priorité pour préparer le SSA à un engagement majeur.

Cette capacité, qui fait aujourd'hui défaut, revêt en effet une importance primordiale pour faire face à un afflux massif de blessés sur le champ de bataille et permettre le maintien des forces sur la longue durée.

La LPM 2024-2030 prévoit de doter le SSA à horizon 2025 de groupements médico-chirurgicaux (GMC) sous tentes, adaptés à des engagements de 5 000 hommes et des pics de haute intensité. Le coût d'un GMC est évalué à 6 millions d'euros.

La reconstitution d'une structure sous tente de 50 à 80 lits permettant de soutenir un engagement de forces de niveau divisionnaire (15 000 hommes) est quant à elle prévue pour 2030, horizon qui paraît tardif au regard de l'enjeu et du contexte géostratégique.

À l'avant, les structures médico-chirurgicales sous tentes dont disposent aujourd'hui le SSA, qui étaient au coeur du dispositif de médicalisation au plus près du lieu de blessure déployé dans le cadre d'une intervention type Barkhane, sont mal adaptées aux exigences de mobilité qui s'appliquent à la manoeuvre terrestre dans un contexte de haute intensité. La LPM prévoit à ce titre l'acquisition de structures sur roues.

2. Le renforcement des différentes capacités d'évacuations médicales doit être poursuivi

Le renforcement en cours de la capacité d'évacuation médicale (MEDEVAC) est également nécessaire et pourrait être accéléré.

Sa composante aérienne (dispositif Morphée), reposant sur les A330 MRTT et A330 UAG, doit poursuivre sa montée en puissance, avec notamment l'objectif d'une harmonisation des matériels d'évacuation pour l'ensemble des appareils, afin de pouvoir notamment les appliquer aux A400 M. Elle permet d'opérer des évacuations stratégiques (STRATEVAC) soit vers l'hexagone, soit vers les porte-hélicoptères amphibie (PHA) et le porte-avions Charles de Gaulle, qui disposent d'infrastructures médico-chirurgicales. Dans le cadre de l'opération Barkhane, la doctrine du SSA privilégiait des évacuations stratégiques systématiques et précoces.

Le renforcement de la composante terrestre, liée au programme Scorpion et passant par le déploiement des véhicules blindés Griffon SAN et Serval SAN, est d'autant plus indispensable qu'elle constitue la modalité préférentielle d'évacuation dans un contexte de haute intensité. Si, dans le cadre d'opérations type Barkhane, la maîtrise du ciel permettait le recours systématique à des évacuations stratégiques vers la métropole, il en va différemment dans le cadre d'un conflit marqué par la contestation de l'espace aérien.

Au vu de ces enjeux, il convient d'accélérer ce programme d'équipement, dont le déploiement est tardif par rapport au reste du programme Scorpion. L'évaluation technico-opérationnelle du Griffon SAN n'a été conduite qu'en octobre 2022 et les premiers exemplaires doivent être livrés en 2023, soit quatre ans après la livraison du premier Griffon. Alors que les premiers Serval ont été livrés en mai 2022, le Serval SAN est quant à lui en cours de développement et sa qualification devrait intervenir d'ici à la fin de l'année 2023.

3. La chaîne de ravitaillement médical doit être modernisée

Pour être en mesure répondre aux besoins d'un engagement, majeur, la chaîne logistique de ravitaillement en produits de santé doit être modernisée.

Cela suppose notamment une remise à niveau de ses infrastructures sur le territoire national. Il convient en effet d'optimiser les établissements du ravitaillement médical (RAVMED) pour les préparer à absorber une augmentation d'activité pour la constitution des unités médicales opérationnelles (UMO) et l'augmentation des flux associés.

Si la modernisation de l'ESRA de Marseille est en cours et devrait être achevée pour 2025, le projet de construction d'une plateforme logistique automatisée au sein de l'ESRA de Marolles, représentant un coût estimé à 65 millions d'euros, constitue l'un des chantiers prioritaires identifiés par le SSA en la matière. La LPM prévoit sa mise en oeuvre pour 2028.

4. La mise à l'étude de certains modes d'action sanitaire innovants doit être favorisée

Pourrait enfin être favorisée la mise à l'étude de certains modes d'action innovants.

L'un des enjeux identifiés est le développement de la coopération entre les soignants projetés en opérations - qui ne sauraient être spécialistes de l'ensemble des blessures et pathologies auxquelles ils sont confrontés - et les spécialistes en HIA, via la télémédecine. Le développement de la télé-chirurgie, technologie permettant de réaliser une intervention chirurgicale à distance au moyen d'un robot, pourrait également être d'un grand intérêt pour les armées.

En matière de ravitaillement médical, le développement d'une capacité d'approvisionnement vers l'avant de produits sanguins par drone doit également être envisagé. Il convient de rappeler à cet égard que le développement des drones constitue l'une des priorités de la LPM 2024-2030 avec 5 milliards d'euros prévus à ce titre sur la période.

Pour accompagner de telles innovations, un effort budgétaire en faveur des systèmes d'information et du numérique est indispensable. D'après les informations communiquées au rapporteur spécial, la LPM prévoit une augmentation conséquente des crédits afférents, qui seraient en 2030 plus de deux fois supérieurs à leur niveau de 2018 (voir graphique ci-dessous).

Évolution des dépenses du SSA en faveur des systèmes d'information
et du numérique

(en millions d'euros)

Note : de 2014 à 2022 : montants exécutés ; en 2023 : montant prévus en LFI ; de 2024 à 2030 : programmation LPM.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Recommandation n° 5 : élever le soutien médical sur les théâtres d'opérations au niveau requis par la haute intensité en accélérant la constitution de capacités de médicalisation vers l'arrière et d'évacuation médicale, en modernisant la chaîne de ravitaillement en produits de santé, et en favorisant la mise à l'étude de modes d'action innovants (ministère des armées).

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 27 septembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur le service de santé des armées (SSA).

M. Claude Raynal, président. - Nous allons entendre la communication de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial des crédits consacrés à la Défense, sur le service de santé des armées (SSA).

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Le service de santé des armées intervient en opération selon le principe « premiers arrivés, derniers sortis ». Alors que le renouvellement sénatorial vient d'avoir lieu et que nous reprenons nos travaux, il me semble que ce principe pourrait parfaitement s'appliquer à ma communication d'aujourd'hui : je ne sais pas, en effet, si je suis le premier projeté ou le dernier rapatrié parmi les membres de notre commission avant la reconstitution des instances du Sénat...

En matière de défense, l'année 2023 a été marquée par l'adoption d'une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) prévoyant un effort financier important en faveur de nos armées : 413,3 milliards d'euros sur la période 2024-2030.

Il faut dire que notre outil de défense s'est trouvé considérablement fragilisé par les choix budgétaires des décennies passées. Il est aujourd'hui loin du niveau requis pour soutenir durablement un engagement des forces dans un conflit de haute intensité.

Pour répondre au défi de la remontée en puissance de nos armées, le soutien santé constitue un enjeu décisif, à ne surtout pas sous-estimer. Sans lui, aucune projection de forces, aucune opération, aucune mission n'est envisageable. Des soignants sont présents dans chaque base, sur chaque théâtre d'opérations, dans chaque frégate, dans chaque sous-marin.

Comme tout service de soutien, le SSA est placé sous l'autorité du chef d'état-major des armées. Il est doté d'un budget de 1,6 milliard d'euros, dont environ 1,2 milliard d'euros de dépenses de personnels, soit un peu moins de 4 % du budget total des armées.

Ses effectifs s'élèvent à plus de 14 000 équivalents temps plein (ETP), dont environ deux tiers de militaires et - chose rare dans les armées - environ deux tiers de femmes. S'y ajoutent un peu plus de 4 000 réservistes.

L'ambition du SSA est de proposer un modèle de soutien santé complet, qui s'articule autour de quatre composantes principales : la médecine des forces, au plus près des troupes ; un réseau de huit hôpitaux militaires, dits « hôpitaux d'instruction des armées » (HIA) ; le ravitaillement médical ; et la formation et la recherche.

Le SSA a subi de plein fouet la cure d'austérité imposée aux armées dans les années 2010. Sous la LPM 2014-2019, le SSA a connu une diminution sèche et brutale de ses ressources budgétaires et une baisse de 10 % de ses effectifs.

La profonde restructuration de la composante hospitalière en a fait la principale sacrifiée. À cet égard, la fermeture en 2016 de l'hôpital du Val-de-Grâce, établissement emblématique, a constitué, pour le SSA, un traumatisme encore perceptible.

Dans ce contexte, la remontée en puissance des effectifs des forces armées - et donc des militaires à soigner -, décidée au lendemain des attentats de 2015, a rapidement placé le SSA dans une situation d'effet ciseaux, alors que ses propres ressources humaines continuaient de diminuer.

Si la prise de conscience de la nécessité de renforcer un service de santé au bord de la rupture s'est rapidement fait jour au ministère des armées, la traduction pratique de cette volonté s'est avérée difficile. En effet, le service est confronté à une conjoncture de très fortes tensions sur les compétences, qui affecte l'ensemble du secteur de la santé. Les moyens budgétaires augmentent bien depuis 2019, mais permettent tout juste de « stopper l'hémorragie » sans parvenir à renforcer les effectifs.

En résumé, la politique de déflation a structurellement et durablement fragilisé le SSA, de telle sorte que, malgré la hausse des budgets, la reconstitution de ses capacités ne se décrète pas du jour au lendemain. Je note au passage que ce constat est applicable à la plupart des capacités militaires.

Face à ce constat, on était en droit de se demander si le SSA était en mesure de remplir son contrat opérationnel. Ma principale interrogation, lorsque j'ai choisi de me pencher sur ce sujet, était de savoir s'il arrivait que des opérations soient reportées ou même annulées faute de pouvoir déployer le soutien médical adéquat. Sur ce point, les états-majors m'ont fourni une réponse claire et nette : non, cela n'arrive jamais. Même si cela est au prix d'arbitrages difficiles, qui peuvent générer des tensions importantes dans les centres médicaux des armées, le SSA est toujours au rendez-vous des opérations. Pour autant, il est clair que ses capacités seraient très rapidement dépassées en cas d'engagement majeur des forces. L'exercice Orion, mené un peu plus tôt cette année, a clairement montré que le SSA était loin de pouvoir traiter un afflux de blessés comparable à ceux qu'on observe, par exemple, de part et d'autre du front russo-ukrainien.

Les principaux leviers pour amener le SSA au niveau requis par la haute intensité sont aujourd'hui bien identifiés.

La hausse des crédits est bien sûr nécessaire, elle est prévue par la LPM. Sur la période de programmation, les crédits hors titre 2 connaîtraient une croissance annuelle moyenne de 12 %.

De l'aveu de l'ensemble des acteurs que j'ai auditionnés, la bataille prioritaire est celle des ressources humaines, de la reconquête des compétences et de la fidélisation des effectifs, dans le contexte de fortes tensions que j'ai déjà évoqué. La LPM porte un objectif ambitieux d'augmentation des effectifs de 460 ETP.

Pour l'atteindre, tous les leviers doivent être mobilisés, à la fois financiers et non financiers. Les hôpitaux militaires éprouvent aujourd'hui de grandes difficultés à attirer des médecins civils. Non seulement ils peinent à s'aligner sur les rémunérations proposées dans le privé, mais, en plus, du fait d'une procédure lourde et très centralisée, les délais de recrutement sont si longs qu'ils découragent les candidats. Un vrai effort de simplification est donc ici à mener.

J'ai également acquis la conviction que la valorisation de l'identité militaire du SSA peut constituer un puissant élément d'attractivité. Les soignants qui rejoignent le SSA ont l'honneur de servir leur pays et accèdent à une pratique singulière et passionnante de la médecine, caractérisée par une technicité de très haut niveau, mais également par une certaine rusticité, qui tranche avec la tendance à l'hyperspécialisation qu'on observe dans la médecine civile.

Sur ce point, le SSA ne doit pas se mettre « à la remorque » du civil, mais au contraire affirmer son identité. Autrement, il serait à craindre que les besoins civils ne fragilisent la résilience de l'armée.

Ensuite, la composante hospitalière du SSA doit impérativement être consolidée. Cela suppose un effort financier conséquent. En effet, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, l'entretien des infrastructures a longtemps constitué la seule variable d'ajustement disponible pour les hôpitaux militaires, qui ont donc constitué une importante « dette grise ».

Le mouvement de remise à niveau a commencé, avec notamment le lancement du projet de remplacement par un établissement neuf de l'hôpital Laveran de Marseille, où je me suis rendu. Le projet, qui doit aboutir à l'horizon 2031, représente un coût aujourd'hui estimé à 300 millions d'euros. À titre personnel, je crains que ce soit bien le minimum. Le mouvement doit désormais être poursuivi dans les autres hôpitaux militaires, en particulier Percy de Clamart et Clermont-Tonnerre à Brest, où l'état de dégradation des infrastructures est également avancé.

Le second enjeu pour les hôpitaux militaires est le rééquilibrage de la relation avec le système civil. Celui-ci comporte deux dimensions.

En premier lieu, il convient de sortir de la logique qui a prévalu dans la période récente, où la principale question était de se demander dans quelle mesure le SSA pouvait aider la santé publique. S'ils ne représentent en effet que 0,5 % de l'offre de soins, les hôpitaux militaires apportent un concours qualitatif précieux : ils sont largement ouverts à la patientèle civile, à laquelle ils peuvent offrir un large éventail de spécialités, parfois rares, avec un haut niveau de performance. Dans le contexte de la pandémie de covid-19, l'opération Résilience a également montré l'utilité, en situation de crise, du SSA.

Cependant, dans la perspective de la préparation à des conflits de haute intensité et donc à un possible afflux de blessés excédant les capacités d'accueil du SSA, il est temps d'inverser la logique et de se demander comment le système civil peut apporter son concours à la politique de défense. Un protocole pluriannuel signé en 2022 entre les ministères des armées, de la santé, et du budget vise à encadrer la coopération en ce sens. Il conviendra d'évaluer celui-ci, lorsque le recul sera suffisant, notamment à l'aune des retours d'expériences issus d'exercice de type Orion. J'ajoute que le SSA me paraît particulièrement adapté à l'accueil de jeunes en service national.

En second lieu, les agences régionales de santé (ARS) doivent mieux comprendre, dans le cadre des coopérations territoriales menées avec le SSA, l'impératif de préserver, dans les hôpitaux militaires, les compétences médicales indispensables à la réalisation de ses missions. On parle ici de compétences dites « projetables », qui répondent aux besoins opérationnels prioritaires des armées, telles que la chirurgie, la réanimation, ou encore, et de plus en plus, la psychiatrie.

J'insiste à cet égard sur le cas d'un hôpital militaire particulier : l'hôpital Clermont-Tonnerre à Brest, dont la mission est de soutenir la dissuasion nucléaire. Les médecins projetés dans les sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE) sont issus de cet hôpital. Leur expertise permet ainsi de réduire par un facteur de huit à dix les évacuations médicales réalisées depuis les SNLE par rapport à la moyenne des autres embarcations, et donc les remontées à la surface des sous-marins. Ils contribuent donc pleinement à la réalisation des missions de la force océanique stratégique. En d'autres termes, le médecin projeté fait partie intégrante du système d'armes du SNLE. Pour cette raison, il est indispensable de renforcer l'hôpital Clermont-Tonnerre, en menant bien sûr les investissements nécessaires, mais aussi en préservant les compétences médicales présentes. La confrontation des médecins de l'hôpital à une large variété de pathologies est essentielle pour maintenir leur niveau de performance. Il y va de la crédibilité de notre dispositif de dissuasion.

Pour résumer mon propos : si la composante hospitalière du SSA peut concourir à la politique d'offre de soins, il faut rappeler que, par essence, elle n'est pas un instrument de santé publique, mais, avant toute chose, un outil de défense.

Un autre axe de montée en puissance identifié est la reconstitution de capacités de soutien médical sur les théâtres d'opérations qui soient adaptées aux conflits de haute intensité.

Il nous faut recréer une capacité à déployer à l'arrière du front un hôpital de campagne dimensionné pour soutenir un engagement de niveau divisionnaire. La LPM prévoit de la constituer à l'horizon 2030, ce qui me paraît tardif eu égard à l'enjeu géostratégique.

Il faut également accélérer le renforcement en cours des capacités d'évacuation médicale aérienne, mais aussi terrestre, car cette dernière peut constituer la seule option lorsque la maîtrise du ciel est disputée. Ce renforcement est lié au programme Scorpion de modernisation de l'armée de terre : on peut regretter les décalages dont il a fait l'objet dans le cadre de la nouvelle LPM. Je m'étais longuement exprimé sur ce sujet lors de l'examen du texte au Sénat.

Enfin, il faut mener les investissements indispensables à la modernisation de la chaîne de ravitaillement et favoriser la mise à l'étude de certains modes d'action innovants prometteurs, tels que la télé-chirurgie ou l'approvisionnement en produits sanguins par drone.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie pour cet éclairage et pour vos recommandations. Je voulais vous interroger sur les raisons expliquant la pénurie de personnels au sein du SSA. Ces tensions sont-elles le miroir de celles que l'on observe généralement dans toutes les professions de santé ? Est-ce uniquement une question de nombre de médecins et de manque de candidats ? Ou bien le manque d'attrait du SSA est-il dû aux rémunérations ? Les hôpitaux d'instruction des armées forment-ils assez de personnes ? Ces dernières restent-elles dans l'armée ou ont-elles tendance à partir dans le civil dans une proportion plus importante que jadis ?

M. Marc Laménie. - Notre rapporteur a mis en lumière un service que l'on ne connaît pas toujours. Le volet humain est essentiel. Vous mettez aussi l'accent, dans vos recommandations, sur la rénovation des infrastructures. Que signifie à cet égard la « dette grise » ? Quel est le montant des travaux à réaliser, selon vous, dans les hôpitaux ?

Existe-t-il un nombre réglementaire de médecins et d'infirmières par régiment ? Enfin, vous avez évoqué la psychiatrie. La question du mal-être est importante et d'actualité. L'armée dispose-t-elle d'assez de psychologues pour accompagner les militaires ?

M. Michel Canévet. - Le SSA est une composante des armées souvent oubliée et qui a été délaissée dans les précédentes LPM. Ses effectifs ont fortement baissé et il est temps aujourd'hui de changer de braquet en matière de ressources humaines. Mais la remise à niveau prendra du temps, car on ne forme pas des professionnels de santé du jour au lendemain, alors même que notre pays en manque déjà cruellement.

Je soutiens la recommandation n° 3 : il est important de renforcer les capacités de l'hôpital d'instruction des armées Clermont-Tonnerre de Brest, établissement essentiel qui participe au service public de santé. Il faut aussi soutenir les autres établissements à proximité, comme l'hôpital de Carhaix, notamment pour son service des urgences.

M. Antoine Lefèvre. - Le SSA est peu connu ; ce service est pourtant une pièce maîtresse de notre système de défense. Notre rapporteur propose de dynamiser les ressources humaines : existe-t-il des passerelles entre la médecine de ville et le SSA ? Est-il envisagé de créer ce type de dispositif pour les internes en médecine? Le recrutement de contractuels devrait être facilité.

Mme Christine Lavarde. - Lors de l'examen de loi de programmation militaire, notre rapporteur spécial avait évoqué des réflexions pour dégager d'éventuelles recettes supplémentaires pour les armées. Le SSA peut-il être mobilisé dans cette perspective ? Ce service est ouvert sur l'extérieur et des civils peuvent venir s'y faire soigner. Le SSA retire-t-il des bénéfices de son activité ?

M. Christian Klinger. - Pourquoi faudra-t-il attendre 2030 pour disposer de la capacité de déployer un hôpital de campagne digne de ce nom ? Ce délai est-il imputable à des facteurs financiers, humains ou techniques ? Un tel établissement peut être utilisé à d'autres fins que des fins militaires : souvenez-vous de l'hôpital de campagne de Mulhouse construit pendant la crise du covid-19. Comment expliquer ces délais ?

M. Claude Raynal, président. -Ma question portera sur votre recommandation no 4 : quels équipements et quels services doivent-ils être réservés à l'armée ? À l'inverse quels sont ceux qui peuvent être d'utilité générale et mis à disposition des armées uniquement lorsque cela est nécessaire ? Derrière cette question se pose celle de la mutualisation et des coûts. Dans une guerre à haute intensité, si les protocoles ont été bien préparés en amont, on peut mettre tous les services de la nation au service de l'armée. Notre rapporteur est-il capable de faire cette distinction - subtile, j'en conviens- entre ce qui relève spécifiquement du militaire et ce qui relève du domaine général ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Malheureusement, monsieur le président, je ne suis pas en mesure de fournir la clé pour opérer cette distinction très subtile, car elle dépendra forcément des circonstances sanitaires et militaires. Mais je vais essayer de vous donner quelques éléments.

Au fond, une question pourrait être la suivante : a-t-on besoin d'un SSA ? En effet, un patient, qu'il soit militaire ou civil, est toujours un patient. Mais la bonne question, me semble-t-il, est plutôt celle-ci: comment fait-on en temps de guerre pour soigner les blessés ? Les militaires souffrent-ils de pathologies spécifiques - auquel cas le SSA pourrait s'apparenter à un service de médecine du travail ? Plus fondamentalement, les armées ont besoin d'une médecine qui lui soit propre parce qu'en raison de la singularité de leur mission, leur rapport au risque est différent du reste de la société. La société civile exige un service public de la santé totalement sûr, qui apporte le maximum de sécurité. Il ne peut en aller de même pour la médecine militaire qui, par essence, doit accepter une dose de risque. Comme l'a souligné le major général de la Marine lorsque je l'ai entendu, un sous-marin ne peut accueillir à bord, faute de place, qu'un seul médecin et non plusieurs spécialistes de différentes pathologies !

Comment faire dès lors ? Les médecins du SSA ont une connaissance particulière d'un certain nombre de disciplines qui sont essentielles pour traiter les blessures occasionnées au combat. C'est le cas notamment de la traumatologie. Dans l'armée de l'air et de l'espace, les militaires ont parfois des pathologies liées aux variations de pression et à leurs effets sur le coeur. Les médecins du SSA ont acquis une vraie compétence en ce domaine, tout comme dans celui de l'infectiologie pour traiter les maladies rencontrées dans les opérations extérieures, notamment en Afrique. Ces expertises sont mises au service des civils en cas de besoin.

L'enjeu est de trouver le meilleur moyen pour que nos militaires puissent avoir accès aux meilleurs spécialistes, quel que soit l'endroit du globe où ils sont déployés. Les militaires fondent beaucoup d'espoir sur la télémédecine, voire la télé-chirurgie, qui permettrait aux médecins des armées présents sur les théâtres d'opérations d'être accompagnés, à distance, par des spécialistes pour soigner ou même opérer.

En conclusion, je serais tenté de dire que si l'on n'a pas forcément besoin d'une médecine militaire en temps de paix, on a besoin, en revanche, en temps de guerre, de pouvoir disposer, dans l'urgence, d'expertises particulières sur des pathologies précises. Il est difficile de penser que l'on pourra déployer des spécialistes de toutes les disciplines, en nombre, suffisant, sur tous les théâtres d'opérations.

Vous avez été nombreux à m'interroger sur la capacité des armées à recruter des personnels de santé, alors que l'on peine, dans de nombreux territoires, à trouver des médecins et à accéder aux soins. La médecine militaire rencontre les mêmes difficultés de recrutement. Le volet humain est essentiel : je rappelle que les dépenses de personnel représentent trois quart du budget du SSA ! La vraie question est celle de la fidélisation des professionnels de santé. En vertu de leur statut militaire, ils ne peuvent exercer que pendant un certain nombre d'années, tandis que plusieurs d'entre eux sont tentés de rejoindre le privé qui offre de meilleures rémunérations, après avoir accompli la durée minimale de service exigée.

Madame Lavarde, les hôpitaux militaires ne représentent que 0,5 % de l'offre de soins : leur concours est donc marginal, tandis que plus de 70 % de leurs patients sont civils. C'est pourquoi, lorsque nous avons voté la loi de programmation militaire, nous avons tenu compte des recettes versées par la sécurité sociale à raison de l'activité civile des hôpitaux militaires.

Monsieur Klinger, je me demande comme vous pourquoi il faudra attendre 2030 pour pouvoir disposer d'un hôpital de campagne ! Ces délais sont dus tout simplement à des arbitrages réalisés dans le cadre de la loi de programmation militaire qui font que la construction ne pourra pas intervenir avant ! En attendant, il faut continuer de développer en parallèle nos dispositifs d'évacuation médicale. Il est toutefois possible, je crois, de transformer des avions militaires de transport en hôpitaux de premiers secours.

Monsieur Lefèvre, des passerelles entre les médecines civiles et militaires existent, même si elles nourrissent plutôt les fuites de médecins militaires vers le civil... La réponse est la télémédecine : celle-ci permet au médecin généraliste engagé sur le front de recevoir les conseils d'une sorte de back office, installée à l'arrière, pour soigner au plus près.

Michel Canévet a raison : l'hôpital de Brest joue un rôle crucial dans notre système de dissuasion nucléaire. Les médecins projetés dans les sous-marins nucléaires lanceurs d'engin sont issus de cet hôpital. Leur présence à bord permet aux sous-marins de rester en immersion plus longtemps.

Marc Laménie, la « dette grise » est une dette différée : il s'agit des investissements qui ont été reportés, mais qu'il faudra bien réaliser un jour. En attendant, les bâtiments et les équipements continuent à se dégrader. Je n'ai malheureusement pas d'évaluation précise à vous communiquer sur les moyens nécessaires pour procéder à une remise à niveau des hôpitaux militaires dans leur ensemble.

En ce qui concerne la psychiatrie, les besoins en médecins psychiatres sont considérables et l'armée a du mal à en recruter. On pourrait croire que les militaires sont endurcis, mais en réalité la guerre reste traumatisante. Les opérateurs qui réalisent un tir de missile et qui savent, grâce aux écoutes, ce qu'il se passe lorsqu'il atteint sa cible, peuvent être fortement affectés.

Enfin, monsieur Husson, il existe des tensions en matière de recrutement de médecins militaires. Au risque de ne pas être politiquement correct, la forte féminisation du SSA engendre de nombreux congés maternité pendant lesquels les postes ne sont pas couverts à temps plein. Un autre frein aux recrutements tient à la rémunération, souvent inférieure à celle proposée dans le civil, et aux lourdes contraintes de ces postes, qui exigent une très grande disponibilité.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Déplacement à l'Hôpital d'instruction des armées Laveran (Marseille)

- Médecin général Medhi OULD-AHMED, médecin chef de l'hôpital d'instruction des armées ;

- Médecin chef des services Thierry COTON, médecin chef adjoint ;

- Médecin en chef Hélène SAVINI, chef du service de pathologies infectieuses et tropicales et directrice médicale ;

- Directeur des soins hors classe Frédéric PAUZE, coordonnateur général des soins ;

- Commissaire en chef Frédéric EYCHENNE, gestionnaire.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Service de santé des armées

- Médecin général des armées Philippe ROUANET de BERCHOUX, directeur central ;

- Médecin général Jean-Christophe BEL, chef de la division Anticipation et Stratégie ;

- Médecin général inspecteur Frédéric HONORÉ, sous-directeur Études et politiques des ressources humaines ;

- Commissaire en chef de 2ème classe Michaël GAUTHIER, chef de bureau à la sous-direction Achats-Finances.

État-major des armées

- Général Éric CHARPENTIER, sous-chef d'état-major Performance ;

- Médecin en chef Julie-Anne WEBER, conseiller santé.

État-major de la Marine nationale

- Vice-amiral d'escadre François MOREAU, major général de la Marine nationale ;

- Capitaine de Vaisseau Vincent GUÉQUIÈRE.

État-major de l'armée de l'Air et de l'Espace

- Général de division aérienne Christophe PAGES, sous-chef performance synthèse ;

- Lieutenant-colonel Nicolas DION, assistant militaire du major général de l'armée de l'Air et de l'Espace ;

- Médecin en chef Samuel MADEC, conseiller santé du major général de l'armée de l'Air et de l'Espace.

Secrétariat général pour l'administration du ministère des armées

- Mme Chloé MIRAU, directrice des affaires financières ;

- M. David KNECHT, chef de service de la politique des ressources humaines ;

- Colonel Philippe SUHR, adjoint à la cheffe du service des synthèses et du pilotage budgétaire (SPB) de la DAF ;

- Commissaire en chef Emmanuelle SANTARELLI, adjoint au chef du bureau de l'exécution budgétaire du service SPB.

Direction générale de la santé

- Mme Marie BAVILLE, sous-directrice veille et sécurité sanitaire ;

- Docteur Jean-Marc PHILIPPE, conseiller médical auprès du directeur général de la santé.

Direction générale de l'offre de soins

- Mme Aurélie AVONDO RAY, conseillère médicale auprès de la directrice générale ;

- M. Matthieu LECLERCQ, directeur de cabinet.

Agence régionale de santé Île-de-France

- M. Arnaud CORVAISIER, directeur de l'offre de soins.

Institution nationale des Invalides

- M. Christian BLAS, directeur-adjoint, commissaire en chef.

*

Contribution écrite :

État-major de l'armée de Terre


* 1 Hors force d'action navale, force océanique stratégique et forces spéciales.

* 2 Article 3 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense

* 3 Hors force d'action navale, force océanique stratégique et forces spéciales.

* 4 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

* 5 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 6 Pour mémoire, cinq fonctions stratégiques sont traditionnellement conférées aux armées françaises : connaissance-anticipation, prévention, protection, intervention, dissuasion.

* 7 Rapport annuel de performances de la mission « Défense » annexé au projet de loi de règlement 2022.

* 8 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 9 Avis n° 730 (2022-2023) de M. Dominique de LEGGE, déposé le 13 juin 2023, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 10 Article 8 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

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