AVANT-PROPOS

Les travaux conduits par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication à compter de 2020 autour de la question des restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques1(*) ont mis en évidence que la France ne pouvait pas faire l'économie de son engagement en matière de coopération patrimoniale et que les enjeux de restitution devaient s'inscrire dans le cadre de coopérations plus larges dans le champ patrimonial.

Le déploiement de l'expertise patrimoniale française à l'international répond à une double nécessité. Il s'agit non seulement de répondre aux sollicitations en matière d'ingénierie patrimoniale formulées par un nombre toujours croissant d'États étrangers, mais aussi, à l'heure d'une montée en puissance des affirmations identitaires sur la scène internationale, de promouvoir et de défendre l'idée que se fait la France de la culture : son universalisme et son corollaire, le dialogue des cultures.

La crainte que l'image de l'expertise française ne se trouve écornée à la suite des révélations par la presse au printemps 2022 de l'acquisition par le Louvre Abou Dhabi d'une stèle de provenance illicite portant le nom de Toutankhamon a conduit la commission de la culture du principe de lancer la présente mission d'information, afin de dresser un état des lieux de l'expertise patrimoniale française et de formuler un certain nombre de recommandations pour en améliorer le déploiement.

I. UNE EXPERTISE RECONNUE...

A. UN SAVOIR-FAIRE TRÈS COMPLET

1. Un savoir-faire ancien...

Grâce à l'intérêt qu'elle a très tôt manifesté pour la protection et la valorisation du patrimoine culturel et à la place particulière donnée à la culture dans son développement, la France dispose de savoir-faire, de formations spécialisées et d'un cadre juridique en matière patrimoniale sans réel équivalent.

Contrairement à la plupart des pays, la France jouit d'une riche expertise publique, qui prend appui sur plusieurs corps d'État, tels que le corps des conservateurs du patrimoine, répartis entre quatre spécialités (archéologie, archives, monuments historiques, musées), ou les corps d'architectes en chef des monuments historiques et d'architectes des bâtiments de France, respectivement formés à l'Institut national du patrimoine (INP) et à l'École de Chaillot.

Les établissements publics dans le domaine patrimonial jouissent d'une renommée internationale considérable, qu'il s'agisse des musées et monuments nationaux ou d'organismes plus spécialisés comme le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Le musée national des arts asiatiques Guimet constate ainsi que sa notoriété est plus grande à l'étranger qu'en France.

2. ... dont la réputation est solide...

La France est reconnue pour son expertise patrimoniale au niveau international, comme en témoigne le nombre de sollicitations toujours croissantes dont elle fait l'objet. Atout de poids, la qualité scientifique de son expertise est établie sur l'ensemble du champ patrimonial, qu'il s'agisse d'archéologie, d'architecture, d'archives, d'artisanat d'art, de musées, de conservation et valorisation du patrimoine bâti ou de conservation des oeuvres et objets d'art. Plusieurs disciplines scientifiques y sont nées. L'archéologie française a été parmi les premières à se déployer à l'étranger à compter du XIXe siècle.

L'attractivité de l'expertise française est renforcée par la première place qu'occupe la France sur le plan de la fréquentation touristique, interprétée comme le signe de sa capacité à savoir faire vivre son patrimoine et à utiliser cette richesse comme levier de développement économique, social et territorial.

Si la France n'est sans doute pas le seul pays à disposer d'une telle expertise, il est clair que la réputation de ses savoir-faire et la renommée de certains de ses établissements au niveau mondial, qu'il s'agisse du Louvre, du château de Versailles ou du Mont-Saint-Michel, contribuent à asseoir sa position sur le plan international.

3. ... et a résisté à l'affaire récente du trafic d'antiquités

En dépit des craintes qu'avait pu faire naître l'affaire du trafic d'antiquités égyptiennes en mai 2022, celle-ci ne parait pas, au final, avoir durablement entaché la réputation de la France sur la scène internationale, malgré les tentatives d'instrumentalisation par certains concurrents. À l'exception des tensions assez vives qu'elle a provoquées avec l'Égypte, cette affaire n'a pas eu de conséquence sur les accords conclus par la France dans le domaine patrimonial. D'une part, l'engagement de la France dans la lutte contre le trafic illicite de biens culturels ne fait aucun doute : il s'agissait d'ailleurs de l'une des priorités qu'elle avait retenue lors de sa présidence de l'Union européenne au premier semestre 2022, qui a en particulier plaidé pour la généralisation du livre de police à l'échelle européenne. D'autre part, chacun mesure à quel point le trafic de biens culturels repose sur des ramifications internationales, qui ne permettent pas d'incriminer un État en particulier.

La mission immédiatement confiée par la ministre de la culture à Marie-Christine Labourdette, Christian Giacomotto et Arnaud Oseredczuk en matière de sécurisation des acquisitions des musées a contribué à rassurer. Quel que soit leur domaine de spécialité, tous les musées indiquent que cette affaire a constitué une onde de choc qui les a conduits à redoubler de vigilance sur les enjeux autour de la provenance de leurs acquisitions, mais aussi à s'interroger sur leurs pratiques en matière de coopération muséale. Des moyens nouveaux en appui de la politique de recherche de provenance sont d'ailleurs prévus dans le projet de loi de finances pour 2024.

Les recommandations des trois auteurs sont actuellement en cours de mise en oeuvre au sein des musées. Le rapport souligne néanmoins le fait que les failles ne sauraient être imputées à la seule expertise publique, les conservateurs ne constituant que le dernier maillon de la chaîne d'acquisition.

La crédibilité de l'expertise française dépend aussi d'une bonne sécurisation du marché de l'art. La qualité de l'ensemble de l'écosystème (antiquaires, galeries, foires, maisons de vente, experts), le rôle et la capacité d'action des organismes de surveillance et de répression des trafics (Douanes, OCBC, Tracfin) et du Conseil des maisons de vente, ainsi que la fluidité du dialogue et de la coopération entre l'ensemble des acteurs publics et privés sont des enjeux clés pour la réputation française. Le rapport de la commission de la culture consacré au retour des biens culturels à leur pays d'origine avait déjà identifié l'enjeu de la responsabilité éthique des professionnels du marché de l'art et l'opportunité de réfléchir à la définition d'un statut de l'expert. Très attachée à la régulation du marché de l'art, récemment modernisée par la loi n° 2022-267 du 28 février 2022, dont l'initiative revient à la sénatrice Catherine Morin-Desailly, la commission de la culture restera vigilante sur ces questions qui appellent, à son sens, un travail approfondi à brève échéance.


* 1 Rapport d'information n° 239 (2020-2021) du 16 décembre 2020, intitulé « Le retour des biens culturels aux pays d'origine : un défi pour le projet universel des musées français », fait, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, par MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias sur la base des travaux conduits par la mission d'information sur les restitutions de biens culturels appartenant aux collections publiques, présidée par Mme Catherine Morin-Desailly.

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