C. LA 3ÈME ATTENTE DES ÉLUS LOCAUX : L'ACCOMPAGNEMENT ET L'ACCÉLÉRATION DE LA TRANSITION PASSENT PAR UN RENFORCEMENT DE L'INGÉNIERIE

Paroles d'élu et contribution écrite

« On a besoin de facilitateurs, d'animateurs de cette transition. Les RH sont de l'investissement stratégique pour porter cette démarche ». Un maire.

« L'introduction d'une réelle expertise sur les territoires pour accompagner l'action publique semble primordiale. Les collectivités se tournent régulièrement vers de la prestation privée pour les conseiller. Cette démarche permet la mobilisation d'une certaine expertise, toutefois elle se trouve être souvent déconnectée des réalités locales et fonctionne de manière systématique “en silos”, traitant thématique par thématique sans vision globale et territoriale ». PETR Causses et Cévennes

1. Constat : faiblesse de l'ingénierie, importance des besoins
a) Carences locales de l'ingénierie

L'ingénierie publique est parfois atrophiée et l'offre privée défaillante sur certains segments thématiques ou certains territoires. Une étude récente de Services, conseil, expertises et territoires (SCET), filiale de la Caisse des Dépôts, met en évidence que dans 26 départements, il existe « un manque critique en expertises pour porter des projets territoriaux »135(*).

26 Départements en manque critique d'expertise

Source : étude SCET

Cette carence locale s'illustre et se renforce avec la contraction des effectifs des opérateurs contribuant à ces enjeux de transition.

Évolution cumulée entre 2014 et 2021 des effectifs totaux

des principaux opérateurs contribuant à l'adaptation


Source : Institut I4CE 136(*)

b) L'importance des besoins d'ingénierie pour la transition environnementale

L'Institut I4CE estime que les besoins d'ingénierie climat pour le pilotage et l'animation des secteurs clés seront au minimum de 25 000 agents dédiés au pilotage des actions climat des collectivités qui seront requis pour atteindre les objectifs de la Stratégie Nationale Bas-Carbone137(*). Cela représente environ 1,5 milliard d'euros de masse salariale chaque année.

Le détail du tableau suivant donne aussi, en fonction des sujets, quelques préconisations sur la taille critique de mutualisation de l'ingénierie. À titre d'exemple, l'Institut I4CE estime que pour 50 000 m2 de rénovation énergétique de bâtiment, il faut prévoir 1 ETP.

Les besoins d'ingénierie climat
pour le pilotage et l'animation des actions climat

Source : L'Institut I4CE

Il y a également la nécessité de renforcer les différents organismes qui proposent une expertise et une ingénierie d'accompagnement : l'ONF, l'Ademe, le Cerema, etc.

Cette analyse confirme le besoin d'ingénierie. Les auditions ont permis de préciser ce besoin : ingénierie de premier conseil, ingénierie d'animation, ingénierie du transfert et d'essaimage et ingénierie et systémique.

2. Le besoin d'une ingénierie de premier conseil

Le premier enjeu est d'aider les collectivités à y voir clair dans les ressources disponibles sur la transition environnementale grâce, par exemple, à un guichet de premier niveau.

Lors des auditions, est apparu le besoin d'un guichet de premier conseil, remplissant les fonctions « accueil, conseil et orientation » coordonné avec l'ANCT, le Cerema et l'OFB.

Dans le rapport « ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! » précédemment cité, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat recommandait de « positionner le sous-préfet d'arrondissement comme interlocuteur de 1er niveau sur les questions d'ingénierie : orientation des élus et relai des offres ». En cohérence avec cette proposition, vos rapporteurs ne recommandent pas la mise en place d'un nouveau dispositif, mais plutôt d'outiller préfets et sous-préfets pour réaliser cette mission.

Il est indispensable, en lien avec les premiers développements de ce rapport, que les sous-préfets soient formés pendant quelques jours aux enjeux de transition et d'ingénierie avant leur prise de poste.

Recommandation n°7 : Réaliser un référentiel (guide) de l'accompagnement des transitions environnementales à l'attention des services déconcentrés de l'État et, particulièrement, des sous-préfets interlocuteurs de premier niveau des collectivités.

3. Le besoin d'une ingénierie d'animation

Tous les enjeux soulevés précédemment (sensibiliser, coopérer et faire alliance, conduire un récit, entrainer l'implication citoyenne...) impliquent un fort besoin de dialogue et d'animation.

Construire la confiance et générer de la coopération demande des ressources. À titre d'exemple, le syndicat d'énergie de l'Allier a mis en place un pôle ingénierie énergie-climat mutualisé. Créé en janvier 2022, ce pôle est constitué de trois chargés de projets climat-énergie pour accompagner les EPCI dans la phase de mise en place de leur PCAET. Le syndicat déploie une animation soutenue et chaque EPCI participe financièrement.

Financer cette animation est donc essentiel. Le programme européen « Liaison Entre Actions de Développement de l'Économie Rurale » (Leader) a été cité comme exemplaire puisqu'il permet de consacrer 25 % des crédits à l'animation territoriale sur un contrat de longue durée (6 ans). Cette possibilité de financer la mise en réseau, la création de dynamique de rapprochement et de mutualisation, et la recherche de coopération entre acteurs est la clé de la réussite du programme pour les élus concernés.

L'exemple du programme leader

Le programme européen Liaison Entre Actions de Développement de l'Économie Rurale (Leader) vise à favoriser le développement local. Il permet le financement d'actions innovantes portées par les collectivités et les acteurs locaux contribuant au développement de leur territoire en cohérence avec une stratégie territoriale. Il repose sur un partenariat entre acteurs publics (collectivités) et acteurs privés (associations, entreprises, habitants, membres du Conseil de développement).

À titre d'exemple, le PETR Briançonnais, Écrins, Guillestrois, Queyras a porté le programme Leader 2014-2020. Le territoire disposait d'une enveloppe financière alimentée par le Feader (Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural) de 1 500 000 € et de contreparties publiques nationales (provenant principalement de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur). Le programme était animé par le Groupe d'Action Locale (GAL). Les projets sont sélectionnés avec cette question comme boussole : « (Sur quels points d'appui ou points forts le territoire peut-il aujourd'hui s'appuyer pour répondre aux enjeux et relever les défis de demain ?) ».

Plus récemment, le plan avenir montagne a été signalé comme une méthode satisfaisante en raison de deux éléments : il s'agit de crédits nouveaux et non « recyclés » (331 millions d'euros) et le fléchage de 10 % de cette enveloppe se fait sur des crédits d'ingénierie. Le Fonds Vert permet aussi le financement de l'ingénierie. Cette tendance doit être maintenue.

Bonne pratique n°22 : intégrer à chaque fois que c'est pertinent un volet conséquent de soutien à l'ingénierie dans le déploiement des financements et programmes de l'État et ses agences ou opérateurs, relatifs à la transition environnementale.

4. Le besoin d'une ingénierie du transfert et d'essaimage

Comme le résume le Shift Project « l'échelon local est propice au déploiement de solutions adaptées aux spécificités des territoires. Il dispose d'un surcroît de confiance qui le qualifie pour être un moteur de transition écologique »138(*).

Les auditions ont notamment mis en évidence qu'au sein de l'échelon local, les communes rurales, sont des acteurs clés de la transition environnementale. Elles représentent 80 % du territoire national et jouent un rôle sur plusieurs des enjeux : mobilité, occupation du sol, accueil de projets énergétiques, accompagnement à l'évolution de l'agriculture, ressources en l'eau...

Leur population réduite leur permet d'atteindre plus facilement la mobilisation citoyenne. Cette proximité est un atout de premier ordre pour définir les zones d'acceptabilité des projets, construire les consensus et les bases d'une dynamique locale. « On pense que les actions du monde rural ont une force particulière dans la transition écologique, elles arrivent à embarquer une population dans une forme de simplicité » explique la maire de la commune de Châtel-en-Trièves.

L'institut Paris Région, dans une étude relative à l'Île-de-France139(*), s'intéresse aux « hauts lieux » de la transition socio-écologique entendus comme des « lieux délimités où se concentrent, dans un carré d'1 km sur 1 km, des innovations écologiques, économiques ou climatiques ». L'étude conclue qu'une part non négligeable de ces hauts lieux est située dans des territoires ruraux. « L a transition s'invente aussi dans les villages ! » résume l'Institut Paris Région. « En termes de conduite du changement, ce qui fait sens n'est pas la proximité géographique mais la proximité organisée notamment par les élus. C'est une condition pour que l'innovation prenne ».

Les auditions ont effectivement mis en évidence de très nombreuses expériences locales, souvent menées par des communes de taille modeste, qui ont obtenu des résultats remarquables à leur échelle. Cependant, ces succès restent à cette échelle locale et ne se diffusent que par le bouche à oreille des réseaux et les visites de terrain. Autrement dit, c'est sur ses propres ressources que s'opère la diffusion des initiatives.

Par exemple le « Développement Durable (DD) Tour en Normandie » est un panel de visites de collectivités, d'agriculteurs et de partenaires pour aller à la découverte de projets de terrain clés en main. Ce service développé par le GIP Agence Normande de la Biodiversité et du Développement propose de découvrir des réalisations concrètes et de rencontrer des acteurs inspirants. Les circuits ont été sélectionnés pour leur « transférabilité » et leur capacité à aborder toutes les étapes d'un projet. Les hôtes « ont souvent innové, pris des risques et inventé de nouvelles manières de faire pour répondre aux enjeux d'aujourd'hui et de demain » et sont prêts à accueillir et transmettre.

La Communauté de Communes du Briançonnais a, par exemple, réduit le tonnage d'ordures ménagères résiduelles -celles destinées à être incinérées- de 45 % (de 12 200 tonnes à 6 900 tonnes). Puy Saint André, l'une de ses communes, produit deux fois l'énergie qu'elle consomme et a largement réduit la consommation d'eau issue du réseau potable grâce à la réhabilitation des canaux d'irrigation qui alimentent des citernes utilisées pour l'arrosage des jardins.

Autre exemple avec la commune de Mouans-Sartoux, très engagée sur les sujets d'alimentation durable et aux résultats reconnus, elle a reçu depuis 2018 plus de 600 délégations venues se renseigner sur son modèle. Pour franchir un autre cap dans le partage de son expérience, pour être dans l'accompagnement de moyen terme plus que de la démonstration sur site, la commune a pris plusieurs initiatives notables. La première consiste en un partenariat avec l'université Côte d'Azur qui a monté une formation diplômante de 6 mois « chef de projet en alimentation durable ». Il s'agit donc de former des techniciens capables de conduire des projets alimentaires. La seconde consiste à avoir monté un réseau « cantines durables - territoires engagés » dont l'objectif est d'accompagner 9 collectivités de régions différentes pendant deux ans dans la mise en place de leur projet alimentaire territorial, en s'appuyant sur le levier de la restauration collective. Le dispositif est financé par l'Ademe dans le cadre du Programme National pour l'Alimentation (PNA) avec une aide de 70 000 euros. Le PNA ne finançant jamais 2 fois la même action, elle n'a pas pu être reconduite malgré des résultats positifs pour la majorité de ces collectivités.

Cependant, ces interventions restent rares.

Il y aurait un intérêt à identifier sur le territoire des réalisations qui ont un fort impact environnemental et qui ont fonctionné.

En ce sens, l'outillage ne manque pas pour repérer les projets pertinents et pourrait même être rationalisé tant il est illisible coté utilisateur :

le label « Territoire engagé transition écologique » ;

- la plateforme du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires « solutions d'élus», dont la vocation est de « recueillir ces solutions portées par les maires pour inspirer d'autres maires dans le développement de leur territoire » ;

- la plateforme COMETE (COMmunauté Écologie et Territoires) portée par le même ministère est destinée à être « la communauté nationale référente en matière de transition écologique territoriale » qui « s'appuie sur des initiatives de terrain inspirantes et reproductibles » ;

- la plateforme collaborative « Expertises territoires » du Cerema qui se veut « la connexion entre expertises pour réussir la transition écologique des territoires » et qui partage les expériences. Sa promesse est celle de « de résoudre des problèmes complexes en gagnant beaucoup de temps » ;

- la liste des expériences « Territoires Conseils » de la Banque des territoires qui repère ces initiatives.

L'État doit favoriser la mise en place d'une ingénierie de diffusion, de transfert, et d'essaimage de ces initiatives pour permettre aux collectivités de capitaliser sur des expériences fructueuses.

Bonne pratique n°23 : Faciliter la capitalisation, le transfert et l'essaimage des succès locaux.

Sur des initiatives particulièrement efficaces et duplicables, l'ANCT pourrait porter une ingénierie en propre à disposition des collectivités. Les associations d'élus pourraient aussi proposer ce type de prestation d'ingénierie mutualisée à des collectivités volontaires.

Dans le même ordre d'idée, pour répondre aux besoins des collectivités, une enveloppe « ingénierie » de 25 M€ a été déléguée aux préfets dans le cadre du Fonds vert. Toutefois l'utilisation et l'effet de levier de cette enveloppe pourrait être renforcés en en confiant le pilotage aux opérateurs, sous le contrôle du préfet. Pour 2024, il serait intéressant de confier aux opérateurs qui financent de l'ingénierie (Ademe, ANCT ...) des enveloppes d'ingénierie à attribuer aux collectivités, notamment pour massifier les démarches intégrées de transition écologique.

5. Le besoin d'une ingénierie de soutien plus intégrée

Une dernière analyse tirée des auditions et des études sur cette question met en évidence une fragmentation des actions et des acteurs. Chaque collectivité met en évidence ses bonnes pratiques, chaque élu valorise ses réalisations. Il y a un enjeu à passer de l'addition de ces réussites à l'échelle d'une collectivité à une démarche plus globale à l'échelle d'un territoire, et même au-delà, à construire une parole portée par les collectivités en matière de transition.

Un des moyens de passage à des logiques plus territoriales pourrait être de faire évoluer l'ingénierie territoriale existante vers des approches plus globales et des solutions plus systémiques. En effet, dans les territoires, l'ingénierie publique et privée peut être spécialisée et fonctionner elle-même en silos.

Il semble aussi qu'une approche régionale faciliterait, par la proximité relative des acteurs et des savoir-faire, la capacité à dupliquer les réussites locales. L'ingénierie locale serait mieux à même de jouer ce rôle d'essaimage. L'Institut I4CE faisait une proposition en ce sens (voir encadré).

Des plateformes régionales d'adaptation aux changements climatiques

L'Institut I4CE propose la création de plateformes régionales d'adaptation aux changements climatiques140(*)

qui mettraient à disposition des ressources d'animation pour faciliter l'identification des besoins et soutenir l'émergence des initiatives d'adaptation en coordonnant la mobilisation des acteurs pertinents d'une part, et de l'ingénierie technique, juridique et économique pour accompagner le montage de projets et leur financement et qui piloteraient une coordination des financeurs (instruire, orienter, conseiller) d'autre part.

Dans un premier temps, une plateforme pilote pourrait être expérimentée dans une région test. Plus précisément, cette plateforme serait une initiative conjointe du Conseil régional, de l'État (représenté par ses services déconcentrés et ses opérateurs : Ademe, ANCT, Cerema, etc.) et des institutions financières publiques (comme la Banque des territoires ou BPI France) visant à apporter les moyens humains et financiers indispensables à la concrétisation de projets adaptés aux changements climatiques sur le territoire.

En s'appuyant sur les connaissances scientifiques territorialisées, les Plateformes régionales d'adaptation permettraient ainsi de massifier les projets sur le territoire, afin de concrétiser la stratégie d'adaptation aux changements climatiques définie au niveau régional. Elle serait donc un lieu d'élaboration et de financement des solutions d'adaptation pertinentes pour chaque contexte.

Bonne pratique n°19 : Expérimenter la mise en place d'une plateforme régionale d'ingénierie de la transition (mise en réseau - mutualisation) en s'appuyant sur l'existant.


* 135 « L'ingénierie territoriale, une aubaine pour les territoires (et pour la France !) » étude de 2022, du SCET, filiale de la Caisse des Dépôts : 

https://www.cadredeville.com/announces/2022/04/29/scet_ingenierie-territoriale.pdf

* 136 I4CE, étude « Un besoin croissant d'accompagnement des territoires tandis que les capacités d'expertise publique se sont réduites. », novembre 2020.

* 137 Ibidem.

* 138 Contribution écrite.

* 139 « Les villes petites et moyennes des franges de l'agglomération parisienne : nouveaux refuges ? », L'Institut Paris Région, 2019 et « Villes des franges de l'agglomération parisienne. Être plus qu'une simple campagne à Paris », note rapide de l'Institut, 2019.

* 140 Voir dans POINT CLIMAT N°63, Octobre 2020, document I4CE.

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