B. PERMETTRE AU BLOC COMMUNAL DE SE DÉVELOPPER

1. Équiper tous les maires et maires délégués d'un système de visio-conférence

La géographie rend donc difficile les échanges entre communes d'une même intercommunalité, voire même entre des communes associées. Les rencontres physiques sont indispensables mais sont parfois soumises à des conditions difficiles de déplacement, des temps de transport élevés voire même, parfois, à des itinéraires peu pratiqués.

À titre d'exemple, l'île de Rurutu dans l'archipel des îles Australes n'est reliée à Tahiti que par quatre vols directs par semaine, tandis que l'île de Rapa, sans piste d'aéroport, est desservie seulement par bateau, cette île étant distante de l'île de Raivavae de 500 kilomètres, soit 30 heures de navigation.

Autre illustration, la commune de Fangatau est située dans l'archipel des Tuamotu-Gambier, à 975 kilomètres de Tahiti. Cette commune comprend près de 300 habitants, répartis sur deux atolls distants de 90 kilomètres, qui constituent chacun une commune associée : Fangatau, chef-lieu de la commune, et Fakahina. De même, plusieurs communes associées ne sont reliées que par des liaisons maritimes, que ce soit la commune associée de Makatea à 110 kilomètres de Rangiroa, le chef-lieu communal, ou la commune associée de Hereheretue à 430 kilomètres de Hao, également chef-lieu.

À ce jour, 12 des 48 communes et une commune associée sont équipées en outils de visio-conférence. L'achat d'un système de visio-conférence par une commune ou une intercommunalité est un investissement éligible à un co-financement du fonds intercommunal de péréquation (FIP), dès lors qu'il est justifié dans son usage.

Doter l'ensemble des communes et des communes associées d'un système de visio-conférence permettrait, à n'en pas douter, de fluidifier les échanges et d'intensifier les coopérations en dépit de difficultés techniques liées au débit internet pouvant exister.

Recommandation n°4 : doter toutes les communes et communes associées d'un système de visio-conférence et promouvoir son usage.

2. Rendre effective la possibilité de délégation de compétences vers le bloc communal et autoriser des compétences partagées

Vos rapporteurs ont rappelé, en première partie, les compétences des communes et l'absence de clause générale de compétences.

L'article 48 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, prévoit la possibilité que le Pays délègue aux maires ou aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale, les compétences pour prendre les mesures individuelles d'application de la réglementation édictée par le Pays.

Cette délégation de compétences « ne peut intervenir qu'avec l'accord du conseil municipal de la commune intéressée ou de l'assemblée délibérante de l'établissement public de coopération intercommunale intéressé et s'accompagne du transfert des moyens nécessaires à l'exercice des pouvoirs qui font l'objet de la délégation ».

L'article 55 prévoit la possibilité, pour le Pays, de confier aux communes ou aux établissements communaux ou de coopération intercommunale, et réciproquement pour ces derniers, la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences respectives. Une convention est signée, dans tous les cas, pour prévoir la participation financière des partenaires.

Cependant, ces dispositions datant du statut de 2004 n'ont jamais été mises en oeuvre.

L'assemblée de Polynésie avait adopté à l'unanimité en mars 2023, deux textes qui venaient préciser les principes généraux des articles LP 48 et LP 55 de la loi statutaire dans le but d'une mise en application.

Dans la veine de nos collègues Mme Catherine Troendlé et M. Mathieu Darnaud, qui plaidaient pour une application du principe de subsidiarité et une forme de décentralisation interne du Pays vers les communes, nous appelons à une évolution de la logique existante.

Le statut d'autonomie prévoit une logique binaire : soit le Pays est compétent, excluant l'intervention de la commune, soit la commune devient compétente, empêchant le Pays de s'y intéresser.

Les communes ne revendiquent pas l'exercice total et exclusif de compétences du Pays mais une participation à cet exercice et une gestion de la compétence dans les cadres fiés par le Pays. À titre d'exemple, lorsqu'une commune ou un groupement de communes souhaite mettre en place une aide sociale, un projet de développement économique ou un établissement culturel, ils n'entendent pas exercer l'ensemble de la compétence sociale, économique ou culturelle, ni priver leurs habitants du bénéfice des dispositifs proposés par le Pays.

Nous reprenons la suggestion de nos collègues faite en 2017 qui recommandaient de modifier la loi statutaire pour permettre aux communes d'exercer, à titre subsidiaire, des compétences transférables du Pays, sans pour autant que cette compétence leur échoit intégralement ni exclusivement. En cas d'intervention volontaire de la commune, celle-ci prendrait en charge sur son budget le coût de son initiative.

La mise à disposition d'agents (MAD) publics intégrés aux administrations qui exercent la compétence (par exemple des agents du Pays dans les administrations communales ou intercommunales) avec la prise en charge des coûts de masse salariale par le Pays, pourrait aussi être une modalité de mise en oeuvre de compétences partagées en vue d'une plus grande efficacité.

Recommandation n°5 : autoriser une forme à définir d'organisation de l'exercice des compétences selon le principe de subsidiarité et, d'ici là, encourager le Pays à déléguer ses compétences vers le bloc communal lorsque c'est le souhait de ce dernier.

3. Expérimenter un EPCI d'archipel à statut dérogatoire

Les îles Marquises sont situées à 1 400 km de Tahiti et sont dotées d'une forte identité.

Le déplacement à Hiva Oa a été l'occasion d'échanges approfondis avec les maires et élus des îles Marquises et leur projet de communauté d'archipel évoqué précédemment dans ce rapport. Présentée initialement lors du congrès des maires de 2022 par les six maires de la communauté de communes des Marquises (CODIM) cette communauté d'archipel serait une nouvelle collectivité territoriale à statut particulier -- communauté d'archipel des îles Marquises ou CodAM -- au sein de la collectivité d'outre-mer de la Polynésie française.

Le projet de la communauté d'archipel des îles Marquises ou CodAM

La CodAM serait administrée par un conseil d'archipel élu en même temps que les conseils municipaux et serait présidée par un maire élu parmi ses pairs. Le président et les vice-présidents en constitueraient le bureau et l'organe exécutif du conseil mais un fonctionnement plus collégial pourrait prendre la forme d'un « conseil exécutif » comme à Saint-Barthélemy.

Elle disposerait d'un champ de compétence comparable à celui des provinces de la Nouvelle-Calédonie, à savoir : le développement économique et touristique, le développement rural et maritime, les actions sanitaires et sociales, la culture et la protection du patrimoine, la protection de l'environnement et des milieux marins, aménagement du territoire et urbanisme. À l'intérieur d'un tel champ, elle disposerait de compétences administratives propres pouvant être définies par référence aux compétences des départements et régions d'outre-mer (DROM), voire des communes de métropole comme l'aménagement du territoire et l'urbanisme.

Dans le champ de compétence de l'État et du Pays, elle pourrait se voir reconnaître un pouvoir normatif délégué fondé sur des habilitations spécifiques afin d'adapter certaines normes aux contraintes et caractéristiques de l'archipel, reconnaissance d'un véritable « droit à la différenciation » et à la consultation préalable.

Pour son fonctionnement, la CodAM s'appuierait notamment sur les leviers suivants :

- le transfert, dans les limites fixées par la loi organique, du domaine public maritime du Pays (zone des 12 milles nautiques, zone des 50 pas du droit) - ancien domaine de l'État, mais aussi de son domaine privé (terres domaniales, héritage de l'époque coloniale, en grande quantité aux Marquises puisque, par exemple, elles représentent 80 % de la superficie de l'île de Nuku Hiva) ;

- divers financements « sanctuarisés » : financement du fonds d'investissement de proximité (FIP), compensations des compétences transférées, quote-part des transferts de l'État vers le Pays, ...

Cette demande s'inscrit dans la perspective d'une réforme de la loi organique statutaire de la Polynésie française, la CodAM étant assimilée à une institution du Pays au sens de l'article 74 de la Constitution. Toutefois, une éventuelle consultation des électeurs des îles Marquises pourrait aussi être organisée, sur décision du Président de la République, sur la base du second alinéa de l'article 72-4 de la Constitution aux termes duquel : « Le Président de la République, sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut décider de consulter les électeurs d'une collectivité territoriale située outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif. Lorsque la consultation porte sur un changement prévu à l'alinéa précédent et est organisée sur proposition du gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat. »

Le précédent de Saint Barthélemy est souvent cité en exemple. À la suite des lois de décentralisation de 1982, Saint Barthélemy, qui était une commune de la Guadeloupe, a souhaité plus d'autonomie, ce qui a conduit l'île à demander une évolution de son statut.

Après avoir obtenu un referendum local en 2003 qui a approuvé à une majorité écrasante cette évolution, une loi organique a défini un champ de compétences étendues pour Saint Barthélemy qui, en 2007, est devenue une collectivité d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution, distincte de la Guadeloupe.

Bien qu'aujourd'hui autonome, l'État y conserve toutefois les compétences de souveraineté et le droit national s'y applique, sauf dans les domaines concernés par le transfert de compétences (tourisme, environnement, circulation, transports...).

À la différence de la CodAM - qui serait une institution de la Polynésie française, la collectivité de Saint-Barthélemy est une COM régie par l'article 74 de la Constitution et un statut propre défini par une loi organique.

À l'occasion du dernier contrôle des comptes et de la gestion de la CODIM, la Chambre territoriale des comptes de Polynésie française a pointé le « blocage du dialogue institutionnel » sur la question de la répartition des compétences avec le Pays.

Bien que la création de l'intercommunalité ait eu vocation à gérer des compétences économiques, sous réserve des compétences du Pays, et que la Codim ait élaboré un plan de développement économique dès 2012, aucun projet de loi du Pays n'est venu concrétiser la mise en oeuvre des actions de développement correspondantes. La Chambre souligne que les actions de développement économique ou d'aménagement de l'espace n'ont pu être réalisées, faute d'avancées sur les modalités de délégation.

Pour aller plus loin : https://www.codim.pf/

Vos rapporteurs sont convaincus qu'il faut soutenir les élus dans la prise en main du développement local, de la préservation et l'amélioration du cadre de vie de leurs populations. Savoir que les élus des îles Marquises ont élaboré depuis plus de 10 ans un plan de développement économique sans pouvoir le mettre en oeuvre illustre un fonctionnement qui doit être dépassé.

Vos rapporteurs recommandent de réaliser une expérimentation qui nécessiterait une réforme de la loi organique de 2004.

Il s'agirait de mettre en place un EPCI d'archipel qui aurait un statut « dérogatoire », des compétences et une organisation dédiée. Il aurait vocation à voir le jour pour les archipels qui le souhaitent et qui disposent déjà d'un fonctionnement intercommunal depuis quelques années.

En matière de compétences, cette structure intercommunale s'appuierait sur des compétences administratives propres et de certaines compétences qui relèvent actuellement du Pays. Elle devrait notamment disposer des compétences clés du développement (développement économique, tourisme, aménagement ...). Une autre possibilité serait de la doter d'une clause générale de compétence.

Cette question des compétences devra être clarifiée au moment de sa mise en place, avec la question des moyens de les exercer (transferts). La possibilité de délégation et de transfert de compétences du Pays vers les intercommunalités et les communes existe déjà mais n'est pas mise en oeuvre. Aussi, il sera essentiel que cette expérimentation se traduise par une avancée réelle : que la nouvelle structure dispose lors de sa constitution de ces compétences clés et que cela ne dépendant pas d'une mise en oeuvre ultérieure.

Cette structure pourrait également exercer, dans des conditions fixées par une convention notamment en matière de ressources humaines et financière, les compétences du Pays pour le compte de ce dernier. Cette possibilité serait une façon d'assurer la transition d'une délégation vers un transfert sur certaines compétences à l'avenir.

Elle pourrait compter sur divers financements « sanctuarisés » pour financer ses compétences.

Elle disposerait, dans les limites fixées par la loi organique, d'un domaine constitué à partir du domaine du Pays dans l'archipel : domaine public maritime (zone des 50 pas du roi, zone des 12 miles nautiques) et terres domaniales du Pays - ancien domaine privé de l'État.

Dans ses conditions constitutives, elle pourrait, par exemple, être mise en place sur un périmètre qui connait déjà, et depuis au moins 5 années de fonctionnement, une communauté de communes. Ce statut ne serait donc pas « réservé » aux îles Marquises mais serait susceptible d'être expérimenté par d'autres archipels où le fait intercommunal existe et trouve l'assentiment des élus et des populations.

Recommandation n°6 : expérimenter la mise en place d'un EPCI d'archipel avec des compétences et une organisation dérogatoire. Ce statut serait ouvert aux archipels qui le souhaitent et qui disposent déjà d'une structure intercommunale depuis 5 ans.

Ce statut pourrait être expérimenté, pendant une durée à fixer au terme d'une concertation, qui pourrait être entre six et dix années à compter de l'exercice opérationnel des compétences.

Afin de déconnecter cette création des échéances électorales, cette création ne pourra intervenir que dans un délai de 18 mois avant ou après des élections municipales.

Une évaluation du statut sera réalisée dans les 12 mois précédant la fin de l'expérimentation afin qu'une décision soit prise dans les 6 mois avant son terme. Cette évaluation conduira à abandonner, poursuivre, adapter, ou généraliser l'expérimentation. Cette évaluation devra, bien-sûr être, collective et devra impliquer les diverses autorités et partenaires, les élus et les habitants.

Ce statut dérogatoire apporterait aussi la reconnaissance de l'existence d'une aire culturelle spécifique. Elle sera aussi un outil juridique permettant aux Marquisiens de mieux piloter les options de développement économique qui se profilent, avec le projet de création d'un l'aéroport international qui va faire l'objet d'une étude cofinancée par l'État et le Pays.

À noter que lors de son déplacement à l'été 2023, le Ministre de l'Intérieur et des Outremer s'est engagé auprès des élus des iles Marquises à ce que l'État apporte un soutien financier à une étude portant sur la création d'une éventuelle communauté d'archipel.

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