SECONDE PARTIE : LA CRISE DE L'EAU

Modératrice : Marie-Christine Ponamalé,
présidente et rédactrice en chef d'Outremers360

Nous abordons une seconde séquence qui porte sur une problématique d'actualité transversale et particulièrement aiguë, celle de la crise de l'eau qui touche bon nombre de territoires. Cette question a fait l'objet de nombreux travaux et encore récemment du Conseil économique social et environnemental (CESE). Récemment, le Sénat a aussi élaboré un rapport d'information sur la gestion durable de l'eau, intitulé L'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement, du 12 juillet 2023. Le rapporteur Hervé Gillé est avec nous cet après-midi et il va nous en présenter les conclusions, puis les deux sénateurs de Mayotte nous apporteront leur témoignage.

Hervé Gillé,
sénateur de la Gironde,
rapporteur de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement rapport Sénat n° 871 (2022-2023)

Je suis très heureux et très honoré d'intervenir dans le cadre de cette journée aux côtés de mes collègues pour vous présenter nos travaux. Une mission d'information est décidée par une commission permanente ou par des groupes politiques. Ce fut le cas pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) auquel j'appartiens. Au Sénat, ces missions sont composées de manière transpartisane. Dans nos travaux, nous avons donc essayé de prendre en considération l'ensemble des propositions et des remarques pour produire le rapport le plus constructif possible.

Cette mission a travaillé de février à juillet 2023. Elle fut particulièrement lourde, ponctuée par 66 auditions, 4 déplacements. Certes, nous ne comptions pas de sénateurs ultramarins, mais nous avons décidé dès le début de nous intéresser au problème de l'eau dans les outre-mer, même si les régimes hydriques sont très différents de la France hexagonale et les problématiques spécifiques. Notre mission portait sur l'ensemble des aspects de la politique de l'eau, que ce soit le « grand cycle » de l'eau ou le « petit cycle ».

Sur les outre-mer, nous nous sommes concentrés sur les questions liées au « petit cycle », l'approvisionnement de la population en eau potable ou les problématiques d'assainissement qui pèsent assez lourdement sur les systèmes. Nous avons tenu une table ronde le 16 mai dernier en visioconférence avec les offices de l'eau de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion, ainsi qu'avec la DEAL de Mayotte.

Plusieurs constats sont partagés. L'approvisionnement en eau potable est encore insuffisant dans de nombreux territoires, en particulier à Mayotte et en Guadeloupe. Des tours d'eau doivent être organisés, une situation inacceptable au XXIe siècle. Nous avons un véritable défi de production d'eau potable à Mayotte, à partir de solutions alternatives, mais très coûteuses comme la désalinisation, mais aussi de rénovation, voire de construction de réseaux de distribution.

Nous faisons donc face à un enjeu majeur de gouvernance et d'investissement. Les territoires où l'approvisionnement en eau est défaillant n'ont pas les moyens de financer des travaux absolument colossaux. Il faudra forcément s'interroger sur la conduite à tenir pour accompagner l'ensemble des collectivités et retrouver un système plus en équilibre. Il faut donc que la solidarité nationale joue à plein. La pauvreté d'un certain nombre de consommateurs rend parfois difficile, voire impossible de leur demander une part accrue de financement par l'augmentation des factures d'eau, dont une partie n'est pas toujours recouvrée. Quand l'offre de service est dégradée, nous pouvons concevoir que la légitimité à devoir payer est moindre.

Se posent de surcroît des problèmes de qualité des eaux et de sources d'approvisionnement. Aux Antilles, la présence de chlordécone renchérit les coûts de traitement. En Guyane, le mercure dû à l'orpaillage clandestin génère de graves problèmes. De manière presque endémique, les rejets organiques dans l'environnement liés à une mauvaise maîtrise de l'assainissement dégradent la qualité des eaux captées pour approvisionner les habitants. Enfin, la diversité des territoires ultramarins impose de faire preuve de souplesse et d'ingéniosité, de mobiliser toute la palette des outils existants, notamment sur le plan technologique.

Partant de ces constats, nous avons recherché les pistes d'amélioration et d'accompagnement. La piste financière paraît évidente. Elle figure dans le plan Eau du Gouvernement décliné en 53 mesures. La mesure 40 prévoit de mobiliser 35 millions d'euros supplémentaires par an pour la politique de l'eau dans les outre-mer au titre de la solidarité interbassin. Nous soutenons cette proposition qui figure aussi dans les préconisations de notre rapport, c'est la proposition n° 42.

Cette solidarité interbassin au bénéfice des territoires ultramarins va connaître un début de mise en oeuvre en 2024 via la hausse de la contribution des agences de l'eau à l'Office français de la biodiversité (OFB) de 15 millions d'euros en 2024 et 35 millions d'euros en 2025, d'après les documents budgétaires accompagnant le projet de loi de finances actuellement en discussion. Nous vérifierons attentivement ces inscriptions budgétaires. Dans le cadre du plan de relance, l'OFB disposait de 85 millions d'euros sur les années 2021-2023, dont 47 millions d'euros pour financer des projets portant sur l'eau et l'assainissement en outre-mer.

Au-delà des financements, il faut aussi une ingénierie pour porter des projets et les faire avancer localement, c'est-à-dire planifier les travaux, passer les marchés, les suivre et mettre en service les infrastructures. Ce sujet est particulièrement important. À l'heure actuelle, sur le territoire national, nous rencontrons déjà des problèmes de mobilisation des compétences. Les collectivités font face à certaines difficultés pour répondre aux cahiers des charges parfois exigés par les procédures d'État. Les cabinets de conseil sont en crise de recrutement et de compétence. En effet, pour faire vivre ces cabinets, il faut de la visibilité.

Ce sujet intéresse particulièrement les outre-mer. Au-delà des enveloppes financières, il faut avoir les moyens humains d'ingénierie et d'accompagnement pour permettre la mise en oeuvre des projets et faire en sorte que celle-ci respecte un calendrier pour rendre les modèles plus efficaces. Nos auditions ont montré que cette ingénierie n'était pas facile à trouver, y compris en passant des marchés d'assistance à maîtrise d'ouvrage. Parfois, les bureaux d'étude qui pourraient intervenir n'existent même pas.

La mesure 30 du plan Eau du Gouvernement prévoit ainsi de lancer 10 projets de solutions fondés notamment sur la nature. Comment faire quand personne n'est là pour concevoir et suivre ces projets ? Il faudra sans doute essayer de militer pour mobiliser au niveau national une force d'appui aux territoires ultramarins pour les accompagner dans les meilleures conditions et mobiliser toutes les compétences utiles et nécessaires pour faire avancer ces projets. Cette notion de mutualisation et de mise à disposition des compétences est essentielle et nous devons travailler tous ensemble.

Enfin, sur la question de la gouvernance de l'eau, la loi a prévu de transférer les compétences eau et assainissement aux EPCI, afin de développer la mutualisation. Ce sujet fait débat au Sénat. Cependant, il faut bien admettre que les petits systèmes d'eau et d'assainissement rencontrent parfois plus de difficultés à s'adapter aux nouvelles contraintes. Avec un accompagnement adapté, le fait de renforcer les moyens et de mutualiser peut permettre d'atteindre un niveau de réponse plus efficace.

Nous ne partons pas d'une page vierge. Le plan Eau DOM lancé en 2016 doit se déployer jusqu'en 2026 pour mettre à niveau les réseaux les plus défaillants, mais il faut noter que ses crédits ont été sous-consommés. Il faut donc accélérer, comme le soulignait le rapport de 2022 du CESE, notamment pour la Guadeloupe, la Guyane et Mayotte qui connaissent une situation lourde et dramatique, et particulièrement dans ce dernier territoire. La combinaison du risque accru de sécheresse et de l'augmentation de la population y rend nécessaire l'investissement dans des capacités supplémentaires de désalinisation et dans la fiabilisation des réseaux de distribution, les taux de perte étant particulièrement importants.

Le rapport du CESE indiquait qu'il faut créer un droit opposable à l'eau au bénéfice des habitants des outre-mer, mais un tel droit ne sera effectif que si les investissements sont réellement réalisés et la gouvernance rendue efficace. Enfin, il faudra trouver les moyens de garantir un prix de l'eau abordable pour tous, car la pauvreté d'une part importante de la population ne permet pas d'envisager de la mettre fortement à contribution. Il en va de même sur l'assainissement. La mise aux normes de l'assainissement individuel est hors d'atteinte des budgets de nombreuses familles modestes. Il faut prendre ces éléments en considération.

Le rapport de la mission sénatoriale sur l'eau appelle donc à porter une attention accrue à la problématique de l'eau et de l'assainissement outre-mer. Ce rapport a fait l'objet d'un vote unanime, transpartisan. Actuellement, nous repolitisons de manière noble le sujet de l'eau. Il faut en profiter, en relation avec le Gouvernement, pour trouver les bonnes voies pour avancer et mobiliser tous les moyens nécessaires, financiers et surtout humains.

La situation à Mayotte : témoignages des sénateurs

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page