Thani Mohamed Soilihi,
sénateur de Mayotte

Monsieur le président du Sénat, madame la présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, chers collègues parlementaires, mesdames et messieurs les présidents d'associations d'élus, mesdames et messieurs les maires, mesdames et messieurs les élus, mesdames et messieurs, je voudrais commencer mon propos en remerciant chaleureusement le président Gérard Larcher et la délégation sénatoriale aux outre-mer, ainsi que sa présidente Micheline Jacques, d'avoir consacré ce moment de solidarité avec la situation à Mayotte. Je demande aux autres collègues élus de nous excuser pour ce temps. Je pense néanmoins que le sujet le mérite. Je pense aussi à nos collègues de Guadeloupe et des autres territoires qui souffrent eux aussi de la problématique de l'eau.

La situation est extrêmement grave dans le 101e département de France. Depuis mai dernier, des coupures d'eau potable ont lieu : deux jours de suspension d'eau pour une réouverture pendant 18 heures le 3e jour. Ce dispositif a été adapté en raison de la raréfaction de l'eau.

Les répercussions sont nombreuses sur les conditions de vie. L'intervention du président Madi Madi Souf sur la violence était pertinente. Imaginez une situation de non-alimentation en eau aussi grave, à laquelle s'ajoute une recrudescence inouïe de la violence. Des bandes de jeunes profitent de cette situation pour se faire la guerre. Tous les élus de Mayotte étaient venus à votre rencontre, Monsieur le président, ainsi que devant les membres de l'Assemblée nationale et du Gouvernement, pour s'émouvoir de cette violence. Cette situation s'est encore aggravée depuis.

Ces bandes débarquent dans un village et s'attaquent à tout le monde de façon indiscriminée. Elles incendient les voitures, les maisons et s'en prennent à la population avec des armes blanches. Les forces de l'ordre dont il faut souligner l'engagement font ce qu'elles peuvent. Néanmoins, la réaction consistant à lancer du gaz lacrymogène dans des villages ou quartiers avec des enfants et des personnes âgées est intolérable.

Cette situation douloureuse se conjugue à cette crise de l'eau. Nous espérons obtenir le même écho que par le passé auprès de vous. Je ne mets pas en cause les forces de l'ordre et leur engagement. Il faut néanmoins changer de doctrine pour que ces voyous cessent de sévir. Je vous demande solennellement de nous aider. N'ajoutons pas une crise supplémentaire à d'autres crises déjà importantes.

Au-delà des conditions de vie, cette crise de l'eau entraîne également des répercussions importantes sur les conditions épidémiologiques. Sans eau, on ne peut pas se laver convenablement, avec toutes les conséquences sanitaires que cela peut engendrer. Cette crise a aussi des conséquences écologiques. Le Gouvernement a commencé une opération de distribution massive de bouteilles d'eau. 63 millions d'euros ont été débloqués à cette fin. Pour autant, ces bouteilles ne doivent pas se retrouver dans la nature. Imaginez la pollution que cette opération pourrait engendrer si nous n'y prenions pas garde.

Enfin, des conséquences économiques n'ont pas tardé à se faire jour, notamment au niveau de la restauration, de même que des conséquences sur le fonctionnement des services publics. Des écoles ont dû fermer à plusieurs reprises, car les conditions d'accueil de nos enfants n'étaient pas réunies. Nous sommes pourtant dans un département français.

Les raisons de cette crise sont nombreuses. Elles auraient pu être mieux anticipées. Cette crise découle d'abord de la dépendance aux pluies : 95 % de l'eau produite à Mayotte provient des retenues collinaires. L'année dernière, la saison des pluies est venue très tardivement. Elle a été très courte et peu abondante. La troisième retenue collinaire qui aurait dû voir le jour depuis des décennies n'a pas été construite.

Mais cette crise résulte aussi de la surpopulation du département directement due à une immigration incontrôlée. Je ne stigmatise personne, mais c'est une réalité. Des infrastructures étaient prévues pour une population donnée. Quand du jour au lendemain, une population supplémentaire vient s'ajouter sans que vous en connaissiez le nombre ni la durée d'installation, vous manquez forcément d'eau. Il en est de même pour les écoles ou les infrastructures de santé.

La crise vient également de la déforestation massive sur cette petite île de 374 kilomètres carrés qui compte déjà peu de forêts, et d'un réseau de distribution usé et mal entretenu. Un tiers de l'eau distribuée est perdu à cause des fuites. Cette problématique de gestion et ces dysfonctionnements ont été mis en avant par la Chambre régionale des comptes en 2018, révélant les difficultés de gestion au sein du syndicat chargé de la gestion des eaux. La Chambre régionale des comptes a également souligné que « l'État n'a pas suffisamment joué son rôle de pilotage, de contrôle et d'accompagnement dans les investissements sur les moyens de production et le réseau alors même que plusieurs crises de l'eau étaient déjà survenues. Sa gestion des fonds européens a fait peser un temps le risque d'une perte d'une partie d'entre eux ». La responsabilité de l'État est pointée du doigt.

Face à cette crise, le Gouvernement a réagi par la livraison d'eau potable depuis La Réunion et Maurice, auxquels je rends hommage. Une usine de dessalement est en cours de construction à Pamandzi. Le prix des bouteilles d'eau a été gelé pour remédier aux abus. La prise en charge des factures d'eau entre septembre et la fin de l'année a également été décrétée. Cependant, au-delà de ces mesures d'urgence, nous devons absolument agir à plus long terme, notamment en matière de gouvernance. En 2024, l'Office de l'eau de Mayotte devrait voir le jour pour jouer un rôle de pilotage et d'impulsion auprès de tous les acteurs de l'eau, au même titre que les offices de l'eau existant dans les quatre départements d'outre-mer ou que les agences de l'eau dans l'Hexagone.

En matière de distribution, outre la poursuite de la réduction du taux de fuites, il faut absolument renforcer le réseau de distribution. En matière de production, une seconde usine de désalinisation devait être construite en 2024-2025 pour produire 10 000 m3 d'eau supplémentaires. Surtout, le projet de troisième retenue collinaire doit être lancé sans hésitation. À l'avenir, il pleuvra de moins en moins et en moindre quantité. En Grèce, récemment, il est tombé en une nuit l'équivalent d'une année de pluie. Pour financer ces travaux, un plan pluriannuel d'investissement de 287 millions d'euros est prévu. Cet argent devrait être utilisé pour anticiper davantage.

La crise mahoraise et plus généralement la situation de l'eau dans tous les territoires ultramarins mettent en évidence des faiblesses et manquements dans plusieurs domaines, une gouvernance éclatée qui appelle la création d'une autorité organisatrice unique sur chaque territoire, un contrôle insuffisant des délégataires par les collectivités et des difficultés de gestion des autorisations organisatrices, un contrôle de légalité problématique de l'État, une mobilisation inefficace des crédits européens et un volet assainissement encore plus délaissé que celui de l'eau. Face au changement climatique, même les territoires ultramarins disposant d'une ressource en eau abondante doivent engager des investissements pour mieux la sécuriser.

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