B. APPORTER UN ACCOMPAGNEMENT DÉONTOLOGIQUE EN SORTIE DE MANDAT

Dans le meilleur des cas, la sortie de mandat se prépare suffisamment en amont des élections, dans le pire, elle s'improvise dans l'urgence des lendemains d'élection. Pour autant, quel que soit le cas de figure, la déontologie et son respect doivent s'imposer parmi les priorités à l'esprit de l'élu. Cette exigence occupe une place essentielle en vue d'une reprise d'activité, d'une reconversion professionnelle ou d'une création d'entreprise réussies. Elle vise notamment à écarter tout risque juridique pénal, une fois la page du mandat tournée. Car contrairement à une idée reçue, même lorsque le mandat est achevé et qu'il n'est pas renouvelé, ses implications juridiques peuvent encore se faire sentir, pendant plusieurs années, sur la situation professionnelle de l'ancien élu.

Depuis la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les anciens titulaires de fonctions exécutives locales peuvent être poursuivis pour prise illégale d'intérêts suivant l'exercice des fonctions, sur le fondement de l'article 432-13 du code pénal16(*). En outre, en application la loi précitée du 11 octobre 2013, le projet de départ vers le secteur privé des titulaires de certaines fonctions exécutives locales est soumis au contrôle déontologique préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Ainsi que le rappelle Mme Elise Untermaier-Kerléo, Maitresse de conférences de droit public à l'Université Jean-Moulin Lyon 3, référente déontologue rattachée au Centre de gestion du Rhône (CDG 69) et Présidente du Comité de déontologie et d'éthique de la Métropole européenne de Lille, dans un article intitulé « La reconversion professionnelle des élus locaux : quel cadre déontologique ? »17(*), ces dispositions interdisent à un ancien exécutif local d'exercer une activité rémunérée dans une société dès lors qu'il en a assuré le contrôle ou la surveillance en tant qu'élu ou avec laquelle il a conclu des contrats ou formulé un avis sur de tels contrats ou à l'égard de laquelle il a proposé à l'autorité compétente de prendre des décisions ou formulé un avis sur de telles décisions.

Des exemples de situation de reprise d'activité professionnelle pour lesquelles l'ancien élu court un risque pénal

Dans sa nouvelle activité professionnelle, un ancien élu se voit dans l'interdiction de prendre pour client une entreprise ayant entretenu de nombreuses relations avec les services placés sous son autorité dans le cadre de son ancien mandat et dont il a rencontré à plusieurs reprises les dirigeants lorsqu'il occupait ses fonctions exécutives locales. En effet, si elle ne constitue pas nécessairement une prise illégale d'intérêts, cette situation caractérise un conflit d'intérêts. Dans un cas comme celui-ci, la HATVP a demandé à l'ancien élu de mettre immédiatement fin à ses relations avec cette entreprise et ses filiales jusqu'à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de la fin de ses fonctions publiques1.

Un risque pénal pèse également sur l'ancien élu qui envisage de créer son entreprise, un cabinet de conseil par exemple. Dans la mesure où par définition cette entreprise n'existait pas encore au moment où l'élu exerçait ses fonctions publiques, celui-ci n'a certes pas pu accomplir d'actes mentionnés par l'article 432-13 du code pénal à son égard. Cependant le risque pénal n'est pas écarté, et l'ancien élu doit faire preuve d'une grande prudence dans le choix de ses futurs clients. Ainsi, l'ancien élu qui crée une société de conseil ne peut réaliser aucune prestation pour une entreprise titulaire de contrats publics dans l'élaboration, la conclusion ou le suivi desquels il a joué un rôle lorsqu'il était exécutif local ou ayant bénéficié d'autorisations, d'agréments ou d'aides, décidés par lui ou sur lesquels il a été amené à rendre un avis pendant cette période.

Il doit également s'abstenir de démarcher toute entreprise détenant 30 % de capital en commun ou ayant un contrat d'exclusivité de droit ou de fait avec une telle entreprise.

1 HATVP, délibération n° 2019-106, 6 novembre 2019.

Source : d'après la contribution écrite d'Élise Untermaier Kerléo à vos rapporteurs

La judiciarisation croissante de l'exercice d'un mandat électoral local, avec un risque pénal à la clef, fait peser une lourde responsabilité sur les élus locaux. Elle pourrait conduire, à plus ou moins brève échéance, soit à décourager encore un peu plus les vocations de se présenter à un mandat électoral, soit à dissuader les élus de prendre certaines initiatives dans le cadre de leur mandat, avec pour corolaire le blocage inéluctable de l'action publique locale. Face à ce constat et pour sécuriser les élus locaux, l'article 218 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dite loi « 3DS ») prévoit que « tout élu local peut [désormais] consulter un référent déontologue chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des principes déontologiques consacrés dans la charte [de l'élu local] »18(*).

Le référent déontologue a pour mission d'accompagner et de prémunir les élus contre les risques juridiques, et en particulier les risques de poursuites pénales, liés par exemple aux situations de conflit d'intérêts dans lesquelles ils peuvent se trouver. À cet égard, il faut bien souligner que ce référent n'est pas une juridiction, il ne dit pas le droit, mais a pour vocation d'aider et de conseiller les élus qui décident de le saisir pour anticiper une situation à risque.

Dans sa rédaction, l'article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) ne concerne que les élus en cours de mandat. Or, la période durant laquelle les exécutifs locaux, lorsqu'ils ont quitté leur fonction, ne peuvent travailler pour un organisme avec lequel ils ont eu des relations durant l'exercice de leur mandat court sur trois ans. Dès lors, on comprend que l'ancien élu local pourrait avoir intérêt à saisir le référent déontologue sur un délai identique, ce qui n'est pas prévu par le droit existant.

Vos rapporteurs considèrent donc opportun d'ouvrir à l'ancien élu local la faculté de saisir le référent déontologue de son ancienne collectivité d'élection pour être conseillé et mieux se protéger du risque pénal éventuellement encouru.

Recommandation n° 7 : donner la faculté à l'ancien élu de saisir le référent déontologue de son ancienne collectivité d'élection pour être conseillé et mieux se protéger du risque pénal.

Délai : avant les prochaines élections municipales en 2026

Acteur(s) : Parlement


* 16 Pour rappel, l'article 432-13 du code pénal est ainsi rédigé :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que membre du Gouvernement, membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante, titulaire d'une fonction exécutive locale, fonctionnaire, militaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.

« Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l'une des entreprises mentionnées au premier alinéa.

« Pour l'application des deux premiers alinéas, est assimilée à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément aux règles du droit privé.

« Ces dispositions sont applicables aux agents des établissements publics, des entreprises publiques, des sociétés d'économie mixte dans lesquelles l'État ou les collectivités publiques détiennent directement ou indirectement plus de 50 % du capital et des exploitants publics prévus par la  loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom.

« L'infraction n'est pas constituée par la seule participation au capital de sociétés cotées en bourse ou lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale. ».

* 17 Revue de La Semaine juridique - Administrations et collectivités territoriales (JCP A) n° 19-20, 10 mai 2021, n° 2160.

* 18 Article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

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