B. LA RÉALISATION DES OBJECTIFS DE CAPACITÉS FIXÉS PAR LA LPM POUR 2030 RESTE POSSIBLE À CE JOUR, MAIS DES DIFFICULTÉS APPARAISSENT
1. Si le rythme d'acquisition des matériels reste à ce jour compatible avec l'atteinte des objectifs capacitaires pour 2030, des difficultés doivent être relevées
Si la LPM ne prévoit pas la chronique annuelle des commandes et livraisons de matériels, les informations recueillies par le rapporteur spécial laissent à penser que le rythme tenu jusqu'ici est globalement compatible avec l'atteinte des objectifs fixés pour 2030. Néanmoins, des limites doivent d'ores et déjà être relevées, en particulier pour certains matériels.
a) Un rythme de commandes et de livraisons globalement conforme aux objectifs pour les trois armées
Dans le cadre des objectifs capacitaires portés par la LPM 2024-2030, en retrait par rapport à ceux qui étaient formalisés dans l'« Ambition 2030 », le rapport annexé à cette dernière comprend un tableau intitulé « Équipement de nos forces », qui présente les capacités constatées en dotation pour 2023 et attendues pour 2030 et 2035. Sont concernés une soixantaine de types d'équipements relevant des capacités interarmées, et des forces terrestres, navales et aériennes.
Quelques objectifs capacitaires prévus par la LPM 2024-2030
Force |
Capacités |
Parc fin 2023 |
Parc fin 2030 |
Parc à horizon 2035 |
||
Équipements |
Description |
|||||
Armée de Terre |
Leclerc rénovés |
Char de combat. Les travaux de rénovation doivent permettre d'intégrer cette capacité au programme SCORPION pour le combat collaboratif avec les autres blindés. |
19 |
160 |
200 |
|
SCORPION (programme de renouvellement des capacités de l'armée de Terre autour d'un système de combat collaboratif) |
Jaguar |
Engin blindé de reconnaissance. Appelé notamment à remplacer l'AMX-10 RC. |
60 |
238 |
300 |
|
Griffon |
Véhicule blindé multirôle (VBMR) lourd destiné au transport de soldats au plus près des combats. Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB). |
575 |
1437 |
1818 |
||
Serval (dont Scorpion) |
VBMR léger tactique polyvalent (transport de troupe, pose de commandement...). Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB). |
189 (nc) |
1405 (660) |
2038 (978) |
||
Marine nationale |
Frégates de premier rang |
Frégates multi-missions (FREMM) et frégates de défense aérienne (FDA) |
8 FREMM + 2 FDA |
8 FREMM +2 FDA rénovées |
8 FREMM + 2 FDA |
|
Frégates de défense et d'intervention (FDI) |
Bâtiments de combat capables d'opérer dans tous les domaines de lutte (antinavire, antiaérien, anti-sous-marin et projection de forces spéciales). Appelées à remplacer les Frégates type La Fayette (FLF). |
5 FLF |
3 FDI + |
5 FDI |
||
Sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) |
Sous-marins à propulsion nucléaire non dotés de l'arme nucléaire, chargés de missions de protection, de renseignement et de projection de puissance. |
2 SNA de nouvelle génération (Barracuda) et 4 SNA de génération antérieure |
6 SNA Barracuda |
6 SNA Barracuda |
||
Rafale version Marine |
Avion de défense et de supériorité aérienne, d'attaque au sol et à la mer, de reconnaissance et de dissuasion nucléaire. |
41 |
41 |
41 |
||
Armée de l'Air et de l'Espace |
Rafale version Air |
Idem. |
100 Rafale + 36 M2000 D rénovés |
137 Rafale + 48 M2000 D rénovés |
185 Rafale |
Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport annexé à la LPM 2024-2030.
Les éléments disponibles à ce jour laissent penser que le rythme tenu reste compatible avec l'atteinte des objectifs fixés pour 2030, encore relativement éloignés, et ce, pour les différentes armées, comme les travaux du rapporteur spécial ont été l'occasion de le confirmer.
En 202471(*), les livraisons ont notamment concerné :
- pour la projection, la mobilité et le soutien : 1 avion de transport A400M et 1 hélicoptère NH 90 pour l'armée de terre ;
- pour l'engagement et le combat : le troisième sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) de nouvelle génération (Barracuda), 14 Rafale, 13 Mirage 2000D rénovés, 12 canons Caesar72(*), 21 chars Leclerc rénovés, 289 véhicules blindés du programme Scorpion, 102 régénérations de véhicules blindés légers et des fusils, missiles, torpilles et obus ;
- pour la protection et la sauvegarde : des missiles pour Rafale et Mirage 2000, une première capacité exploratoire de maîtrise des fonds marins, un patrouilleur outre-mer, ou encore un prototype opérationnel de système laser de lutte anti-drones ;
- pour le commandement et la maîtrise de l'information : des stations de communication satellitaires Syracuse IV, la poursuite de la mise à niveau du système de réseau intranet sur les bâtiments de la Marine, la modernisation du système de commandement et de conduite des opérations aériennes et des postes radios (Contact), ainsi que leur intégration dans les véhicules terrestres.
Concernant les commandes, l'année 2024 a notamment connu la commande de 100 rénovations de chars Leclerc, de 395 véhicules blindés Scorpion, de 530 véhicules blindés Serval d'appui, de 120 régénérations de véhicules blindés légers, de fusils d'assaut et de missiles, ainsi que des capacités de lutte anti-drones. En outre, ont été lancés des développements de capacités de traitement de l'information et d'intelligence artificielle et la suite des études concernant le porte-avion de nouvelle génération.
Pour 202573(*), selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, sont pris en compte les évolutions prévues dans l'ajustement annuel de la programmation militaire de 2024 (A2PM 2024) visant à intégrer des inflexions prioritaires (intelligence artificielle, munitions) et des besoins essentiels ciblés (drones, lutte anti-drones, guerre électronique, connectivité, etc.) pour répondre aux évolutions du contexte national et international, notamment la guerre en Ukraine.
Sont notamment prévus en livraison : 14 Rafale, 12 Mirage 2000D rénovés, 1 avion de transport militaire A400M Atlas, 2 avions Atlantique 2 rénovés74(*) et 1 avion multi-rôle de ravitaillement en vol et de transport (MRTT), 308 véhicules Scorpion, environ 21 chars Leclerc rénovés et 1 frégate de défense et d'intervention (FDI).
Les commandes les plus importantes devraient concerner le porte-avion de nouvelle génération (PA-NG), appelé à succéder au Charles-de-Gaulle à l'horizon 2038 (10,2 milliards d'euros en AE en 2025), les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération (SNLE 3G), qui doivent remplacer les quatre SNLE actuels au-delà de l'horizon 2035 (11,5 milliards d'euros en AE en 2025), le système de combat aérien du futur (SCAF), qui devrait succéder au Rafale à l'horizon 2040, programme réalisé en coopération européenne (814 millions d'euros en AE en 2025), ou encore l'acquisition de munitions (1,9 milliard d'euros en AE en 2025).
b) Des limites apparaissent néanmoins, en particulier pour certains matériels des trois armées
Des limites à la bonne tenue des objectifs fixés en LPM apparaissent néanmoins dès son début d'exécution, tant au niveau global que pour certains matériels spécifiques.
En premier lieu, même si le rythme de livraison et de commandes reste aujourd'hui globalement compatible avec l'atteinte des objectifs fixés à l'horizon 2030, il n'en demeure pas moins que le taux de réalisation des équipements (cible de commandes, de livraisons, de jalons ou étapes importantes des programmes d'armement à franchir dans l'année) n'est pas conforme aux objectifs fixés pour ce qui concerne l'année 2024. Ainsi, ce taux s'établit en 2024 à 62,7 %, contre un objectif fixé à 85 %. Ce résultat est en régression de 2,1 points par rapport à 2023, du fait de retards sur certaines commandes et livraisons. Ces derniers peuvent provenir des services du ministère, mais également des industriels ; une partie reflète également des changements de priorité. Ils devront être suivi de très près au regard de leur niveau, tant s'agissant de la livraison des matériels que de la bonne avancée des grands programmes en cours de développement, parmi lesquels le porte-avions de nouvelle génération, les SNLE de troisième génération, les missiles M51 de nouvelle génération75(*), le missile ASN4G76(*) et le futur missile antinavire (FMAN), ayant tous des jalons en 2025.
En second lieu, ces retards se matérialisent notamment concernant les livraisons de plusieurs types de matériels, pour les trois armées. Peuvent être notamment cités en 2024, pour l'armée de terre, le Jaguar, dont il manquerait 7 unités et des drones tactiques (1 livraison contre 9 prévus). Pour la Marine nationale, des retards sont constatés sur les programmes FDI (report de la livraison du premier exemplaire de 2024 à 2025), et d'autres bâtiments77(*). Enfin, pour l'armée de l'Air et de l'Espace, des retards ont notamment concerné 2 avions de transport C-130 modernisés (aucune livraison contre 2 prévues), alors que les livraisons de Rafale ont dépassé - d'un exemplaire - la prévision (après un retard en 2023).
Trajectoire prévue en LPM 2024-2030 et son
exécution à ce jour
pour plusieurs équipements de la
Marine nationale
Segment capacitaire |
Parc prévu fin 2030 |
Tenue de la trajectoire |
Frégates de 1er rang |
8 FREMM + 2 FDA rénovées 3 FDI + 2 FLF rénovées78(*) |
Échelonnement des livraisons des FDI à la suite d'un retard d'un an sur la livraison du premier exemplaire |
Patrouilleurs |
3 patrouilleurs Antilles-Guyane (PAG) + 6 patrouilleurs outre-mer (POM) + 7 patrouilleurs hauturiers (PH) + 3 frégates de type La Fayette (FLF) |
Pour les PH, la livraison des deux derniers exemplaires a été reportée à 2031. |
Hydrographie-Océanographie |
2 bâtiments hydrographiques de nouvelle génération (BH NG) + un bâtiment hydrographique et océanographique (BHO) |
Décalage de la livraison du 2e BH NG de 2029 à 2030. |
Rafale Marine |
41 |
Le format à 41 Rafales Marine est tenu. |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial
2. Le début d'exécution de la LPM connaît une reprise de la hausse des effectifs, au prix d'une politique d'attractivité et de fidélisation source de rigidité budgétaire
Comme la loi de programmation précédente mais à la différence de celles qui leur sont antérieures, la LPM 2024-2030 porte un objectif de rehaussement des effectifs du ministère des armées, y compris s'agissant de la réserve opérationnelle. L'exécution du schéma d'emplois en 2024 est globalement positive mais le respect de la trajectoire prévue en LPM est loin d'être garanti, tandis que l'ampleur de la politique d'attractivité et de fidélisation déployée pourrait conduire à un effet cliquet coûteux d'un point de vue budgétaire.
a) Une reprise des augmentations d'effectifs du ministère des armées, mais non sans limites
L'article 7 de la LPM prévoit un objectif d'augmentation nette d'effectifs sur la période (+ 6 300 ETP), devant permettre d'atteindre une cible à 275 000 ETP pour le ministère à l'horizon 2030, soit avec un retard de cinq ans par rapport à l'objectif, identique, déjà fixé pour le terme de la programmation 2019-2025.
La chronique annuelle de la hausse des effectifs actée par la LPM prévoit une augmentation nette des effectifs limitée annuellement à 700 équivalents temps plein (ETP) en 2024 et 2025, soit un net ralentissement par rapport à la cible établie la même année par la précédente LPM (+ 1 500 ETP), avant d'atteindre + 1 200 ETP en fin de période (en 2030).
Cibles d'augmentations nettes d'effectifs du ministère des Armées (périmètre LPM)
(en ETP)
LPM |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total |
LPM 2019-2025 |
450 |
300 |
300 |
450 |
1 500 |
1 500 |
1 500 |
- |
- |
- |
- |
- |
6 000 |
LPM 2024-2030 |
- |
- |
- |
- |
- |
700 |
700 |
800 |
900 |
1 000 |
1 000 |
1 200 |
6 300 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les LPM 2019-2025 et 2024-2030.
La traduction des trajectoires de création d'effectifs prévue par les deux plus récentes LPM dans les faits est apparue difficile.
Programmation et exécution des schémas d'emplois depuis 2019
(en ETP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires.
Sur la période 2019-2023, la cible annuelle prévue en LPM a été respectée seulement lors des deux premières années. De 2021 à 2023, les schémas d'emplois négatifs réalisés (respectivement - 485, - 1 018 et - 2 515 ETP) se sont ainsi établis à un niveau très inférieur aux cibles d'augmentation nette d'effectifs du ministère des armées prévus par la LPM 2019-2025 (respectivement + 300, + 450 et + 1 500 ETP). Au total, les effectifs ont connu une diminution de - 4 018 ETP sur la période 2021-2023, contre + 2 250 ETP prévus en LPM, soit un écart de près de 6 300 ETP en trois ans.
Au regard des difficultés constatée dans la politique d'augmentation des effectifs lors des années précédentes, la prévision de schéma d'emplois inscrite au PLF 2024 était de + 456 ETP (dont 26 ETP dédiés au SIAé et 30 ETP en vue de la réinternalisation de postes dans le domaine numérique), dont + 400 ETP sur le périmètre de la LPM, soit 300 ETP de moins que ne le prévoyait cette dernière. Le PLF pour 2025 a quant à lui prévu un schéma d'emplois de + 700 pour 2025 (en incluant toutefois + 70 ETP ne relevant pas du périmètre du ministère des armées), soit un niveau relativement conforme à la LPM, et supérieur de 300 ETP à celui prévu en 2024.
Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, le schéma d'emplois prévu par la LFI pour 2024 a été respecté et même dépassé, s'établissant à + 479 ETP (sur le périmètre des + 456 ETP prévus en LFI). Ce niveau demeure inférieur à celui prévu en LPM mais la dynamique constatée est plus favorable qu'en 2023, le nombre de sorties ayant été moins élevé qu'initialement prévu. L'atteinte d'un niveau de schéma d'emploi exécuté supérieur a d'ailleurs surtout été empêchée par la consommation de l'ensemble des crédits de masse salariale disponibles et non par une incapacité à recruter davantage. En 2024, le nombre de sorties s'est établi à 37 225 ETP, en baisse nette de 9 % par rapport à 2023, tandis que le nombre d'entrées, qui a fait l'objet d'une régulation pour éviter de dépasser l'autorisation budgétaire, a atteint 37 704 ETP, en baisse de 1,7 % par rapport à 2023. Sur les 479 ETP créés, 296 relèvent des domaines prioritaires identifiés par la LPM et 183 des autres domaines, selon la Cour des comptes79(*).
Le rapporteur spécial rappelle toutefois que bien que le ministère présente les résultats de 2024 comme positifs, ce qu'ils sont dans une certaine mesure, l'effectif total réalisé à fin 2024 reste très en-deçà des objectifs fixés par la LPM, essentiellement du fait de la très forte sous-réalisation de son schéma d'emplois en 2023.
Évolution des effectifs du ministère des armées de 2019 à 2030 (périmètre LPM)
(en ETP)
Note : périmètre LPM (hors volontaires du service militaire volontaire et apprentis), SIAé compris.
Source : Cour des comptes80(*), d'après les données du ministère des armées.
b) Une trajectoire de hausse du nombre de réservistes tenue à ce jour
Outre la progression des effectifs du ministère des armées, l'article 7 de la LPM a prévu un objectif de doublement de la réserve (+ 40 000), l'effort annuel étant nettement concentré sur la fin de période. L'objectif consacré par le même article est de porter le nombre de volontaires à 80 000 en 2030 puis à 105 000 au plus tard en 2035 pour atteindre l'objectif d'un pour deux militaires d'active.
Chronique de la hausse du nombre de volontaires de la réserve opérationnelle
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
2029 |
2030 |
Total |
+ 3 800 |
+ 3 800 |
+ 4 400 |
+ 5 500 |
+ 6 500 |
+ 7 500 |
+ 8 500 |
+ 40 000 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2024-2030
En 2024, le nombre de réservistes s'établit à 43 797, conformément à la trajectoire prévue en LPM (43 800 en 2024)81(*). Cette dynamique devra être renforcée dans les prochaines années, la trajectoire prévue concentrant les plus fortes augmentations annuelles d'effectifs en fin de période.
c) Un effet cliquet des dépenses liées aux politiques d'attractivité et de fidélisation des personnels du ministère à prendre en compte pour la soutenabilité des dépenses de personnel
Afin d'atteindre les objectifs visés, l'article 7 de la LPM précise que l'effort de transformation de la ressource humaine est poursuivi, « notamment afin de renforcer la fidélisation, l'expertise et l'adaptabilité des agents civils et militaires du ministère ». Il est en outre prévu par cet article, comme cela avait déjà été fait dès 2023, que le ministère de la défense peut employer les crédits rendus disponibles par une sous-réalisation de ses cibles d'effectifs pour renforcer son attractivité et la fidélisation de ses agents.
Dans ce cadre, le ministère a effectivement mis en place dans les dernières années des mesures générales et catégorielles, notamment dans le cadre de la mise en oeuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et la revalorisation de grilles indiciaires, en plus des mesures transversales à la fonction publique.
Le rapporteur spécial est conscient de la nécessité de recourir à des mesures d'attractivité et de fidélisation des personnels. Néanmoins, il constate que leur ampleur est un enjeu fort de soutenabilité des dépenses de personnel pour l'avenir, notamment dans la mesure où elles présentent un effet « cliquet » de nature à renchérir significativement les futurs recrutements.
Ainsi, alors que la prévision de dépenses de masse salariale (donc hors CAS « Pensions ») correspondait en 2024 au schéma d'emplois prévu en LPM82(*), à savoir + 700 ETP, l'ensemble des crédits correspondants ont été consommés, alors que le schéma d'emplois réalisé est de + 479 ETP. Si d'autres facteurs ont contribué à cette situation, notamment la sous-évaluation du coût des OPEX et MISSINT, elle illustre le risque financier engendré par le coût des mesures incitatives.
Entre 2021 et 2024, les crédits de personnel annuels exécutés, hors CAS « Pensions », sont en hausse de plus de 1,4 milliard d'euros (de 12,577 milliards d'euros à 13,994 milliards d'euros), soit + 11,3 %, alors que le nombre d'ETP total a baissé de 271 694 à 266 762 ETP, soit de 1,8 %. Schématiquement, le coût des dépenses de personnel est ainsi passé en trois ans de 46 292 euros par ETP et par an à 52 458 euros, correspondant à une hausse de 13,3 %.
En 2024, les crédits exécutés au titre des dépenses de personnel, hors CAS « Pensions », ont augmenté de 4,0 %, soit de près de 557 millions d'euros, alors même que la hausse d'effectifs a été très modeste. Les mesures catégorielles ont représenté un coût de 401 millions d'euros, notamment au titre de la NPRM. En outre, le ministère a augmenté son taux de personnel de niveau supérieur, tant pour les militaires que les civils, en 2024.
Ces éléments sont de nature à interroger la soutenabilité financière des hausses programmées d'effectifs, au regard de l'effet cliquet des politiques de hausse de rémunération au titre de l'attractivité et de la fidélisation.
Recommandation n° 5 : Communiquer au Parlement la trajectoire actualisée des dépenses de personnel prévues pour la période de programmation (ministère des armées)
3. Une hausse très progressive de la préparation opérationnelle des forces et de la disponibilité des matériels
La LPM porte des objectifs, dont certains sont modestes, tenant à la préparation opérationnelle, à la disponibilité des matériels, et aux capacités opérationnelles83(*). Leur atteinte est pour partie entravée par des difficultés techniques et budgétaires et leur réalisation souffre d'un manque de transparence.
a) Une transparence devenue très limitée en matière de préparation opérationnelle des forces et de disponibilité des matériels
À l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2024, le projet annuel de performances de la mission « Défense », qui lui était annexé, comportait une refonte de la maquette de performance du programme n° 178 « Préparation et emploi des forces », qui s'est accompagnée d'une interruption de la publication des résultats et des cibles des indicateurs relatifs à la disponibilité technique des matériels, d'une part, et à l'activité des forces, d'autre part. Le budget pour 2025 n'est pas revenu sur cette décision.
Pour les années postérieures à 2022, ces données, désormais classées « diffusion restreinte - spécial France » restent accessibles aux parlementaires des commissions chargées de la défense et à certains parlementaires des commissions des finances appelés à en connaître84(*) mais ne sont plus disponibles en source ouverte et ne peuvent pas être publiées.
À l'occasion d'auditions du rapporteur spécial dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances, il lui avait été indiqué que le ministère des armées, dans un souci de transparence, aurait fait preuve par le passé d'une forme de « naïveté » en publiant ainsi des éléments de nature à révéler de façon assez précise notre potentiel militaire à nos compétiteurs.
Comme il l'a récemment rappelé85(*), le rapporteur spécial est bien entendu sensible à cet enjeu, même s'il n'est pas certain que la protection des données au titre de la mention « Diffusion restreinte », qui ne relève pas du secret de la défense nationale, suffise à empêcher nos principaux concurrents internationaux d'avoir in fine accès à ces informations.
Or, en l'état, ce changement a en revanche bel et bien pour conséquence de priver le débat budgétaire d'informations importantes et de réduire la capacité du Parlement à contrôler et à évaluer les politiques mises en oeuvre.
Le rétablissement de l'information du Parlement à un niveau suffisant apparait ainsi indispensable pour que la représentation nationale puisse en tirer les conséquences budgétaires et législatives. C'est aussi l'intérêt des forces armées de permettre un contrôle effectif du niveau de disponibilité de leurs matériels, par nature favorable à son amélioration.
Recommandation n° 6 : Afin de restaurer la qualité de l'information du Parlement sur la disponibilité effective des matériels militaires et sur le niveau d'activité des forces armées pour en tirer les conséquences nécessaires, rétablir, si besoin en y associant des précautions de confidentialité, la publication des indicateurs afférents (ministère des armées)
Cette dynamique de réduction de la documentation de la performance physico-financière de la mission « Défense » est d'ailleurs plus large, comme le rappelle la Cour des comptes86(*). En effet, depuis l'adoption de la LPM 2024-2030, ne sont en outre plus publiées la trajectoire des crédits d'équipement et celle des reports de charges87(*) et des restes à payer.
Le rapporteur spécial regrette cette évolution, qui entre en outre en contradiction frontale avec la hausse de la part des dépenses de défense dans le budget de l'Etat.
b) En dépit de progrès, une atteinte des objectifs en partie ralentie
(1) Un niveau de disponibilité des matériels encore inégal et pas toujours satisfaisant
Alors que la LPM 2024-2030 porte un objectif de hausse du niveau des disponibilité des matériels, comme l'avait montré le rapporteur spécial dans un rapport récent de contrôle sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels militaires88(*), la disponibilité technique opérationnelle (DTO)89(*) des équipements militaires ne s'est pas réellement améliorée sur les dernières années d'un point de vue global, jusqu'en 2022, dernière année pour laquelle les données peuvent être divulguées90(*).
Le rapporteur spécial constatait que, certes, les efforts portés sur le MCO ont produit des effets réels. Le niveau de disponibilité de certains parcs d'équipements a effectivement progressé, à l'image du Rafale. Néanmoins, d'un point de vue global, les données fournies par l'indicateur de DTO91(*) étaient insatisfaisantes, et ce pour les trois armées. À fin 2022, sur les 21 matériels structurants répertoriés par l'indicateur, seuls 2 avaient une DTO supérieure à 90 %, correspondant à un niveau proche ou conforme aux contrats opérationnels, tandis que 12 avaient une DTO inférieure à 75 %, dont 2 en-dessous de 50 %.
Or, si ce constat d'une DTO générale insuffisante n'est ni nouveau ni spécifique à la France, ce niveau ne s'est pas amélioré globalement entre 2014 et 2022.
Évolution de la disponibilité
technique opérationnelle (DTO)
de quatre équipements
structurants de l'armée de terre
(en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires.
Les travaux menés par le rapporteur spécial dans le cadre du présent rapport ont été l'occasion de constater que si des progrès sont en cours, ces constats apparaissent toujours pertinents, ce qui peut être expliqué notamment par les caractéristiques du parc de matériel (marqué par la coexistence de matériels en partie hétérogènes et de générations différentes, dont certains sont très vieillissants et d'autres très jeunes), un niveau technologique des matériels qui tend à progresser de façon continue, les limites de capacités de maintenance au sein la BITD française et européenne et la pratique des cessions non anticipées de matériels à des pays étrangers qui alourdissent les besoins en MCO des équipements restants dans le parc, davantage sollicités.
Cette situation induit de facto des capacités réduites d'engagement, d'entraînement et de formation, dans un contexte pourtant marqué par un risque d'engagement majeur.
(2) Des objectifs modestes de hausse de la préparation opérationnelle dont la réalisation n'est aujourd'hui pas garantie
Dans le cadre de la volonté, dans un contexte de durcissement géostratégique, de renforcer la préparation opérationnelle et donc le niveau d'activité et d'entraînement des forces, la LPM a prévu de rehausser les normes d'activité annuelles dans plusieurs domaines. En outre, elle prévoit une augmentation de leur qualité en termes notamment de matériels utilisés et d'entraînements du « haut du spectre » de la conflictualité.
D'un point de vue quantitatif, la LPM prévoit en particulier 19 normes d'activité annuelle qui visent à augmenter l'activité constatée en 2030 par rapport à 2023. Il convient de noter que ces normes sont pour certaines assez modestes et sont d'ailleurs très proches de celles établies dans le cadre de la programmation précédente, à l'exception notamment de celle des pilotes de chasse de la marine, qui passent de 180 à 200 heures par an.
Exemples de normes d'activités prévue par la LPM 2024-2030
Milieu |
Type |
Cible 2023 |
Normes et heures visées en 2030 |
Terrestre |
Journées d'activité du combattant terrestre (JACT) |
Nouvel indicateur |
120 |
Naval |
Jours de mer par bâtiment |
90 |
100 |
Aéronautique / armée de terre |
Heures de vol par pilote d'hélicoptère forces conventionnelles |
144 |
200 |
Aéronautique / marine nationale |
Heures de vol par pilote de chasse de l'aéronavale |
188 |
200 |
Heures de vol par équipage d'hélicoptère |
218 |
220 |
|
Aéronautique / armée de l'air et de l'espace |
Heures de vol par pilote de chasse |
147 |
180 |
Heures de vol par pilote de transport |
189 |
320 |
|
Heures de vol par pilote d'hélicoptère |
181 |
200 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2024-2030.
Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, la déclinaison interne au ministère des armées des objectifs du renforcement de la préparation opérationnelle prévoit que si cette dernière doit se traduire sur le plan qualitatif dès 2024, elle ne se produira sur le plan quantitatif qu'à compter de 2028. Le rapporteur spécial, conscient des enjeux budgétaires et de disponibilité des matériels afférents, considère néanmoins que ce renvoi à 2028 entre en contradiction avec les impératifs posés par le contexte géostratégique. La marine nationale précise ainsi que son niveau d'activité de 2025 sera le même qu'en 202392(*).
Évolution
du niveau d'activité de différents types de personnels
des
forces armées entre 2014 et 2022
(en heures ou en jours)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Concrètement, le niveau d'activité restera éloigné des normes fixées pour un certain nombre de capacités, parmi lesquels les heures de vol des pilotes de transport et de chasse de l'armée de l'air, mais également celles des pilotes d'hélicoptère des forces conventionnelles de l'armée de terre, parmi d'autres.
D'un point de vue qualitatif, l'acquisition de nouveaux matériels est de nature à améliorer la préparation opérationnelle des armées, dans la mesure où elle leur permet de s'entraîner sur leurs futurs moyens de combat. De même, la réalisation effective d'exercices de grande ampleur a permis de renforcer la préparation opérationnelle de nos armées, par exemple à l'occasion des exercices Dragon 24 et Nordic Response. En 2025, d'autres exercices de ce type sont prévus93(*).
Néanmoins, les travaux menés par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater que la préparation opérationnelle des forces armées est aujourd'hui encore entravée par des enjeux tenant au trop faible nombre d'heures d'activité et d'entraînement, à des problèmes de nombre et de disponibilité des matériels et à des problématiques budgétaires.
En 2024, si l'armée de terre indique ainsi satisfaire l'objectif en respectant 70 % de la norme de 2030 dans le domaine terrestre94(*), la marine nationale indique que les objectifs d'activités atteints en 2024 sont sensiblement inférieurs à ceux prévus, en raison de difficultés techniques persistantes et du scenario de fin de gestion (crédits gelés et couverture partielle des surcoûts opérationnels et soutien à l'Ukraine). À titre d'exemple, les navires patrouilleurs, les avions Atlantique 2 et les hélicoptères NH90 ont connu des problèmes de disponibilité qui ont réduit les capacités d'entraînement.
S'agissant des capacités opérationnelles, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, l'armée de terre prévoit de disposer d'une brigade interarmes « bonne de guerre » en 2025 projetable en 10 jours et d'une division en 30 jours en 2027, ce qui apparaît cohérent avec les objectifs fixés par la LPM en cas d'engagement majeur.
* 71 Réponses aux questionnaires du rapporteur spécial et documents budgétaires.
* 72 Camion équipé d'un système d'artillerie.
* 73 Réponses aux questionnaires du rapporteur spécial et documents budgétaires.
* 74 Avions Atlantique 2 de lutte anti sous-marine.
* 75 Missile mer-sol balistique stratégique (MSBS), porteur de la dissuasion nucléaire française et équipant les SNLE.
* 76 Missile nucléaire à statoréacteur hypersonique français devant équiper les Rafale.
* 77 Voir infra.
* 78 Voir les définitions supra.
* 79 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 80 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 81 Selon le rapport annuel de performances de la mission « Défense » pour 2024.
* 82 Comme le confirme la Cour des comptes : Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 83 Voir supra.
* 84 En particulier, le rapporteur spécial.
* 85 Notamment dans son rapport d'information n° 4 (2024-2025), déposé le 2 octobre 2024, fait au nom de la commission des finances, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires.
* 86 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 87 Voir supra.
* 88 Rapport d'information précité n° 4 (2024-2025), déposé le 2 octobre 2024, fait au nom de la commission des finances, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires.
* 89 Son ratio renvoie au nombre de matériels en état de fonctionnement par rapport au nombre de matériels disponibles nécessaires afin d'honorer le scénario le plus dimensionnant des contrats opérationnels fixés en loi de programmation militaire.
* 90 Voir supra. Les données postérieures à 2022 sont classées « Diffusion restreinte - spécial France ».
* 91 Dont les résultats sont publiés deux fois par an dans les documents budgétaires.
* 92 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.
* 93 Notamment Steadfast Dart, Talisman Sabre (Australie), Dacian fall (déploiement d'une brigade complète en Roumanie dans le cadre des plans de réassurance de l'OTAN), etc.
* 94 Hors domaine aéroterrestre, pour lequel la norme a également été respectée, avec 160 heures de vol par équipage.