B. LES ENJEUX INSTITUTIONNELS DE LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
1. La loi Notre, une clarification nécessaire, mais insuffisante de la compétence développement économique
Comme l'indique la Cour des comptes19(*), « jusqu'en 2014, l'action des collectivités territoriales dans ce domaine [le développement économique] se fondait sur la clause de compétence générale et leur intérêt à agir. L'action économique de la région s'exerçait ainsi dans le respect des compétences des départements et des entités du bloc communal (communes et établissements publics de coopération intercommunale - EPCI). La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (dite " loi Maptam ") et la loi Notre du 7 août 2015 ont cherché à améliorer la cohérence de l'action économique des collectivités territoriales, à clarifier leurs compétences et à accroître la lisibilité de leurs interventions pour les entreprises ».
En effet, la loi Notre du 7 août 2015 a modifié la répartition des compétences en matière de développement économique, en renforçant les responsabilités des régions et des intercommunalités, et en limitant l'intervention économique des départements et des communes, même si les régions et les intercommunalités ont parfois du mal à articuler leurs actions, et si les départements et les communes ont conservé certaines formes d'intervention économique. Si la loi Notre clarifie certains pans de la compétence développement économique, elle emporte aussi des enchevêtrements de compétences qui nécessitent des efforts d'articulation entre les collectivités compétentes.
Pour autant, la réforme permise par la loi Notre a favorisé une approche plus structurée et professionnelle du développement économique territorial : les grandes collectivités (région, métropole, communautés d'agglomération) se sont dotées d'expertises internes et d'agences dédiées pour accompagner le développement économique des territoires.
a) Les régions, en charge de la stratégie économique, sont à la recherche d'une articulation plus efficace de leur ingénierie avec celle des intercommunalités et de l'État
Depuis la loi Notre, la compétence exclusive des régions en matière de développement économique repose sur deux piliers, l'attribution d'aides économiques et la planification économique.
Les régions sont responsables de l'attribution des aides aux entreprises, à l'exception des aides à l'immobilier d'entreprises, qui relèvent de la compétence des intercommunalités. L'intervention des régions en matière d'aides aux entreprises peut prendre plusieurs formes : soutien à la création, l'extension ou la reprise d'entreprises, soutien aux entreprises en difficulté, prêts, avances remboursables, garanties d'emprunts, cautionnement, participation au capital de sociétés, fonds régionaux, ainsi que la gestion des fonds européens et le recensement des aides d'État. Les aides peuvent être directement attribuées aux entreprises et porteurs de projets ou indirectement, via des organismes partenaires (réseaux, clusters, etc.) à qui les régions délèguent la mise en oeuvre de certains dispositifs.
S'agissant de la planification économique, si la loi Notre supprime la clause générale de compétences des régions en matière de développement économique que lui avait conféré la loi Maptam, elle fait de la région « la collectivité responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique »20(*). Ces orientations stratégiques se traduisent par l'élaboration d'un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internalisation (SRDEII)21(*), qui reste toutefois à articuler avec l'autre document de planification stratégique de la région, le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET)22(*). Dans une étude de 2016 sur les conséquences de la loi Notre23(*), l'association Réseau action climat France relevait que « la loi ne précise pas comment articuler SRDEII et SRADDET. Afin de ne pas assister à la réalisation d'une hydre à deux têtes par les Régions, il serait pertinent que des efforts de transversalité soient réalisés au sein des services lors de l'élaboration des SRDEII et des SRADDET. Les calendriers d'élaboration pourraient aussi être mis en parallèle, afin de plus aisément mettre en cohérence les objectifs de développement économique avec ceux d'un développement durable du territoire ».
Pour La 27e Région, si les schémas régionaux de développement économique fixent le cap, leur élaboration constitue trop souvent « un exercice institutionnel et déconnecté des réalités du terrain, qui se caractérise par l'addition d'orientations en silo, sans vision systémique ». Il s'agirait de les repenser avec moins de verticalité et sur du plus long terme, en associant davantage les acteurs locaux concernés. Pour le CNER, « on arrive à la limite de l'exercice », d'autant plus que les régions ne disposent pas de certaines compétences pourtant indispensables au développement économique : l'aménagement, le foncier, l'urbanisme, etc.
Par ailleurs, même si la loi Notre a fait de la
région la collectivité responsable de la définition des
orientations en matière de développement économique, les
régions ont parfois des difficultés à s'imposer en
tant que
telle. Le CNER relève ainsi que
« s'agissant des territoires d'industrie, c'est l'État
qui pilote : il a fallu se battre pour que les régions soient
présentes dans les comités régionaux, alors que la
région est cheffe de file. C'est un
problème ».
Régions de France appelle ainsi à « un parachèvement de la loi Notre avec un renforcement de la spécialisation de la compétence économique des régions » permettant de « rétablir un dialogue État-Région pérenne et de qualité pour l'articulation des grandes stratégies nationales et régionales ».
Par ailleurs, Régions de France note que « l'articulation des actions des collectivités en matière économique est suffisamment claire, à l'exception de la compétence tourisme, qui reste une compétence partagée entre collectivités », notamment avec les départements.
b) Les intercommunalités, un échelon pertinent pour le développement économique des territoires qui doit toutefois composer avec les compétences des autres collectivités territoriales
Avant la loi Notre, si les métropoles et les communautés urbaines exerçaient déjà une compétence économique, les intercommunalités pouvaient se voir confier des actions de développement économique lorsqu'elles étaient définies d'intérêt communautaire. La loi Notre a renforcé les compétences des intercommunalités en matière de développement économique, qui se voient désormais toutes confier la création, l'aménagement, l'entretien et la gestion des zones d'activités économiques.
Elles animent la politique locale du commerce et soutiennent les activités commerciales d'intérêt communautaire. Sur ce point, il peut y avoir des divergences d'interprétations avec les communes qui ont recentré leur intervention économique sur des actions de proximité en faveur du tissu commercial des centres-villes ou centres-bourgs.
Les intercommunalités assurent la
promotion du tourisme, dont la création des offices de
tourisme. Cette dernière compétence est toutefois partagée
avec les autres échelons de collectivités territoriales,
l'article L. 1111-4 du code général des collectivités
territoriales (CGCT) précisant que « les
compétences en matière de [...] tourisme [...] partagées
entre les communes, les départements, les régions et les
collectivités à statut particulier ».
Les intercommunalités sont également
seules compétentes, avec les communes, « pour
définir les aides ou les régimes d'aides et décider de
l'octroi de ces aides sur leur territoire en matière
d'investissement immobilier des entreprises et de location de
terrains ou d'immeubles »24(*). Ces aides doivent toutefois être
compatibles avec le schéma régional de développement
économique,
d'innovation et d'internalisation
(SRDEII)25(*). La
région peut néanmoins participer au financement de ces aides
à l'immobilier d'entreprises par convention passée avec le bloc
communal.
Le renforcement de la compétence économique des intercommunalités, souvent considérée comme l'échelon pertinent d'intervention économique, du fait de sa proximité avec le tissu économique du territoire, de son insertion dans le bassin d'emploi, mais aussi de sa vision territoriale stratégique et de sa capacité à s'outiller en matière d'ingénierie - « la bonne échelle est l'échelle intercommunale », précise la communauté de communes de Champagnole-Nozeroy-Jura - doit nécessairement s'articuler avec les autres échelons de collectivités territoriales : la région et le département au niveau supra, les communes au niveau infra.
c) Les départements continuent d'intervenir en matière de développement économique territorial, mais sous d'autres formes
Avant la loi Notre, les départements menaient de
nombreuses actions en matière de développement économique
au titre de la clause de compétence
générale : aides aux entreprises (création,
innovation, développement, reprise, export, agriculture, culture et
tourisme, économie sociale et solidaire,
etc.) ; aides à
l'immobilier d'entreprises (pépinières, zones d'activités,
incubateurs) ; création d'agences de développement
(observatoires économiques, recherche d'investisseurs, aide à la
commercialisation des zones d'activités, animation du tissu
économique, aide technique aux établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI) et communes, valorisation des
filières, politique d'attractivité économique, aides
à la création et la reprise d'entreprises, etc.
La loi Notre admet certaines interventions économiques résiduelles des départements, par exemple l'octroi d'aides en matière d'immobilier d'entreprises, mais seulement par une convention de délégation de compétences d'une intercommunalité ou d'une commune, et uniquement s'agissant de l'octroi d'aides, à l'exclusion de la définition des aides ou des régimes d'aides.
Mais elle en interdit expressément d'autres : les départements ne peuvent pas se voir déléguer par la région l'attribution d'aides aux entreprises ; ils doivent transférer aux intercommunalités ou aux communes les zones d'activité dont ils étaient propriétaires.
Toutefois, le retrait juridique de la compétence développement économique aux départements pose question au regard du maintien de certaines formes d'intervention économique des départements. Une instruction du Gouvernement du 22 décembre 201526(*), complétée par une circulaire du 3 novembre 2016 du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales27(*), rappelait d'ailleurs les conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux, à savoir que « leurs compétences sont dorénavant ciblées essentiellement sur la solidarité sociale et territoriale ».
La Cour des comptes précise à cet
égard que « l'intervention des départements a
parfois été justifiée par une
interprétation large de leur
compétence de
"solidarité territoriale"
»28(*). Les interventions économiques des
départements se sont aussi recentrées sur les secteurs de
l'attractivité et du tourisme, comme l'illustre
l'évolution des domaines d'interventions des agences
départementales. La Cour des comptes relève en effet
que « si une cinquantaine d'agences départementales
ont été supprimées, une vingtaine ont été
maintenues en faisant évoluer leur domaine d'intervention vers
l'attractivité ou le tourisme, qui constitue un domaine de
compétence partagée entre les collectivités territoriales.
Ces constats plaident pour élargir la clarification des
compétences au secteur du tourisme afin de rationaliser les structures
de développement et leurs financements »29(*).
La compétence tourisme se retrouve ainsi à la croisée des interventions des régions, des départements, des intercommunalités et parfois des communes.
La question de la prise de participations des départements dans les entreprises publiques locales s'est également posée. La loi Notre prévoyait la cession, avant la fin de l'année 2016, des deux tiers des parts détenues par les départements dans les entreprises publiques locales intervenant dans des champs ne relevant plus de leur compétence, une disposition atténuée par la loi n° 2019-463 du 17 mai 2019 tendant à sécuriser l'actionnariat des entreprises publiques locales.
Pour autant, les auditions ont permis de démontrer que c'est moins le sujet de la collectivité territoriale compétente qui compte, que la capacité des collectivités concernées à coordonner leur action et à mutualiser leurs ressources et leur ingénierie, au bénéfice du développement économique des territoires. Intercommunalités de France note ainsi que « certains départements accompagnent encore les intercommunalités : le département de Meurthe-et-Moselle a dissous son centre d'accueil des entreprises, pour faire place à une association qui regroupe les intercommunalités du sud de la Moselle pour supporter les besoins d'ingénierie. Sur certains sujets, il y a nécessité d'avoir des besoins mutualisés pour répondre à la complexité des sujets ».
d) Les communes se sont recentrées sur leurs compétences de proximité, en lien avec les intercommunalités
La loi Notre a opéré un recentrage de l'action économique des communes sur le soutien aux activités commerciales de proximité, notamment celles qui ne sont pas d'intérêt communautaire.
Les compétences des communes en matière de développement économique s'enchevêtrent toutefois avec certaines compétences des intercommunalités.
En effet, les communes peuvent également intervenir en matière d'immobilier d'entreprise, l'article L. 1511-3 du CGCT confiant la compétence au bloc communal dans son ensemble.
Elles sont enfin amenées à agir « lorsque l'initiative privée est défaillante ou insuffisante, pour assurer la création ou le maintien d'un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural ou dans une commune comprenant un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville »30(*).
L'articulation des interventions des communes et des intercommunalités en matière de développement économique peut donc être améliorée. Régions de France note « qu'il reste localement parfois des arbitrages à trouver entre intercommunalités et communes au sujet de la politique locale du commerce, qui trouvent régulièrement des issues dans le cadre démocratique de la vie locale. En cas de divergences, les intercommunalités se chargent de la stratégie à l'échelle intercommunale et du soutien aux activités commerciales d'intérêt communautaires, tandis que les communes organisent des actions d'animation du tissu commercial de centre-ville/centre-bourgs ».
e) Parachever la loi Notre sur le volet développement économique
Comme le préconise l'AMF, « contrairement à la loi Notre, il faudrait laisser la liberté aux territoires de s'organiser, par exemple en permettant à un département de s'impliquer. La répartition de compétences est aujourd'hui trop rigide ». En effet, selon les configurations locales - par exemple le caractère urbain ou rural des territoires, l'organisation ou non du territoire autour d'une ville-centre ou encore la concordance ou non des frontières administratives avec les réalités économiques du bassin d'emploi en question - plusieurs échelons de collectivité territoriale pourraient avoir une légitimité à intervenir selon les territoires ou selon les projets considérés : régions, départements, intercommunalités. Le préfet de région ou de département aurait pour mission d'être garant de la cohérence de ces différenciations territoriales de gouvernance économique.
Ce parachèvement de la loi Notre
pourrait porter sur la clarification de la répartition des
compétences en matière de développement
économique. Il pourrait aussi être envisagé une
expérimentation, au cas par cas, de la possibilité pour les
départements de se voir déléguer une partie de la
compétence développement économique. Une mission
d'information du Sénat a par ailleurs été
lancée le 2 avril 2025 pour faire le bilan des lois Maptam et Notre, dix
ans après31(*),
pour identifier les freins et les blocages et trouver les voies
d'amélioration, en particulier s'agissant des
intercommunalités.
Recommandation n°2 : parachever la loi Notre sur le volet développement économique · Clarifier la répartition des compétences en matière de développement économique, en confirmant le couple région-intercommunalité. · Expérimenter au cas par cas la possibilité pour les départements de se voir déléguer une partie de la compétence développement économique. · Une mission d'information du Sénat a par ailleurs été lancée le 2 avril 2025 pour faire le bilan des lois Maptam et Notre, dix ans après. |
f) Améliorer la coordination entre les acteurs compétents en matière de développement économique territorial
Les actions de développement économique sont à la croisée des compétences régionales, métropolitaines et intercommunales à titre principal, et communales et départementales le cas échéant. Elles nécessitent un effort important de coordination entre ces différents échelons pour être mises en oeuvre avec efficacité au niveau des territoires, ce qui n'est pas toujours le cas.
Il apparaît nécessaire de combler ce déficit de dialogue et de coopération entre collectivités à l'échelle régionale et départementale, en renforçant les coopérations interterritoriales et en favorisant les synergies entre acteurs du développement économique territorial.
Pour cela, il est proposé d'organiser des
assises de l'ingénierie du développement
économique territorial, à
l'échelle départementale, sous l'égide du préfet de
département, délégué territorial de l'ANCT, afin de
mobiliser l'intelligence collective des acteurs du
développement économique d'un territoire en termes de
gouvernance, de diagnostic, d'évaluation et de développement de
projets.
Recommandation n°3 : renforcer les coopérations territoriales et favoriser les synergies entre acteurs du développement économique territorial · Organiser des Assises de l'ingénierie du développement économique territorial à l'échelle départementale, sous l'égide du préfet de département, délégué territorial de l'ANCT, pour mobiliser l'intelligence collective des acteurs du développement économique territorial en termes de gouvernance, de diagnostic, d'évaluation et de développement de projets. |
2. La complexité normative, un frein au développement économique
Par arrêté du Bureau du Sénat du 13 novembre 2014, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a reçu pour mission « l'évaluation et la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, en liaison avec le Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics ».
Dans son rapport d'information de 2023 relatif aux « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! »32(*), la délégation dénonçait les conséquences de l'inflation des normes applicables aux collectivités en termes de coûts, de complexité et de retards dans la réalisation des projets, constituant ainsi un frein au développement des territoires.
Focus : la complexité normative, un coût pour les collectivités territoriales et un frein pour le développement des territoires « Non seulement l'inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, mais, en outre, elle en augmente significativement le coût, notamment pour les petites communes aux ressources techniques et financières limitées. La multiplication des normes constitue donc indéniablement un frein au développement des territoires, dans le contexte budgétaire contraint que chacun connaît. Or, la loi doit avant tout permettre et non entraver. La direction générale des collectivités territoriales a indiqué qu'on pouvait évaluer à près de deux milliards d'euros le coût total pour les collectivités locales de cette inflation normative, au cours de la période 2017-2021. Ce montant est, en tout état de cause, à rapprocher du montant d'un milliard d'euros que coûterait en 2023 l'indexation de la DGF sur l'inflation, indexation pour l'instant rejetée par le Gouvernement. Pour compléter ce tableau, il serait utile de
disposer d'une donnée nationale S'agissant du CGCT, il a triplé de
volume entre 2002 et 2022. Certes, cette évolution
résulte en partie de l'adaptation des règles à la
diversité des territoires. Toutefois, la différenciation
territoriale ne peut expliquer à elle seule cette situation,
étant précisé que le CGCT pourrait, au 1er
janvier 2023, dépasser le million de mots, compte tenu de - 7 -
l'adoption en 2022 de la loi dite "3DS". Quant au code de
l'urbanisme, son évolution est également
préoccupante même si sa croissance est plus
"raisonnable" : le code est ainsi passé de près de 185
000 mots au 1er janvier 2012 à environ 265 000 mots au
Extraits du rapport d'information n° 289 (2022-2023), déposé le 26 janvier 2023 |
Dans son rapport d'activités 2019-2022, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN)33(*) évaluait même à 2,5 milliards d'euros le coût des normes pour l'année 2022, un coût actualisé à 1,6 milliard dans son rapport d'activités 2023.
Le constat du poids excessif des normes pour les collectivités est partagé par les acteurs locaux. Dans sa contribution écrite, la métropole de Chartres alerte sur la « complexification insensée de l'environnement des décideurs économiques : la fiscalité, les normes et toutes les autorisations nécessaires au titre de multiples réglementations aux injonctions parfois contradictoires augmentent considérablement les coûts et délais des projets d'implantation ou de développement ».
L'association des maires ruraux de France (AMRF) soulève de son côté le paradoxe selon lequel l'augmentation des besoins en ingénierie territoriale est une conséquence de l'inflation et de la complexité des normes : « Notre problème d'ingénierie, c'est aussi l'ingénierie qu'on demande par rapport à la complexité française ». L'AMF dénonce aussi ce « cercle vicieux : plus c'est complexe, plus il faut de l'ingénierie, plus il faut du temps et de l'argent ».
Les assises de la simplification, organisée le 3 avril 2025 au Sénat34(*), en présence du Premier ministre, ont été l'occasion de repartager ces constats et de rappeler les actions possibles pour y remédier : réaliser des études d'impact sur les projets et propositions de loi, recourir aux études d'options pour s'assurer de la nécessité de passer par un nouveau vecteur législatif, expérimenter davantage, permettre la différenciation au niveau local, renforcer le pouvoir préfectoral de dérogation, assortir les nouvelles normes d'une « clause guillotine » sur le modèle du droit anglo-saxon pour les faire tomber en l'absence d'évaluation, etc.
3. Une ingénierie à deux vitesses
Dans son étude quinquennale économique 202235(*), Intercommunalités de France a réalisé une cartographie de l'ingénierie des établissements publics de coopération intercommunale. L'étude relève que 91%36(*) des intercommunalités sont désormais dotées d'un service de développement économique. On peut noter « un réel progrès par rapport à 2016, en particulier pour les communautés de communes, dont la propension à avoir un service de développement économique interne a augmenté [...]. Toutefois, si les communautés de communes ont renforcé significativement leurs moyens d'action, des marges de progrès demeurent. En effet, 22 % d'entre elles disposent de moins d'un équivalent temps plein (ETP) sur le sujet économique, alors même que les activités économiques requièrent du temps (aller à la rencontre des chefs d'entreprise, les appuyer dans le montage de leurs projets, consolider une prospective et une stratégie) ».
Le constat doit toutefois être fait d'un accès inégal à l'ingénierie en matière de développement économique entre les collectivités de grande taille (régions, métropoles, communautés d'agglomération) et les collectivités de plus petite taille, notamment dans les territoires ruraux (communautés de communes), augmentant le risque de fractures territoriales.
Les auditions ont démontré les limites de la logique de guichet et d'appels à projets, avec la multiplication des programmes de financement, au risque de saupoudrer les aides voire de défavoriser les collectivités moins outillées pour y répondre.
L'AMF considère que « les appels à projets génèrent de l'inégalité territoriale : seules les collectivités les mieux outillées arrivent à y répondre. Cela accentue les inégalités territoriales. Il faut stopper les appels à projets et partir des initiatives locales ».
Intercommunalités de France abonde dans le même sens : « il faut inverser la logique et que le projet trouve un cadre approprié pour se faire. Les appels à projets amènent de la concurrence et obligent à présenter les projets pas tels qu'on le souhaiterait pour qu'ils rentrent dans les cases et puissent être financés ».
Recommandation n°4 : repenser les modalités d'interventions de l'État et de ses opérateurs · Sortir de la logique systématique d'appels à projets ou de labellisation · Éviter de créer de la concurrence entre les territoires · Encourager les initiatives locales en territorialisant davantage l'accompagnement des collectivités territoriales, notamment des collectivités les moins outillées. |
* 19 Rapport annuel 2023, seconde partie, analyse sectorielle « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer ».
* 20 Article 4251-12 CGCT.
* 21 L'article 4251-13 du CGCT dispose ainsi que :
« La région élabore un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation.
Ce schéma définit les orientations en matière d'aides aux entreprises, de soutien à l'internationalisation et d'aides à l'investissement immobilier et à l'innovation des entreprises, ainsi que les orientations relatives à l'attractivité du territoire régional. Il définit les orientations en matière de développement de l'économie sociale et solidaire, en s'appuyant notamment sur les propositions formulées au cours des conférences régionales de l'économie sociale et solidaire ».
* 22 L'article 4251-1 du CGCT dispose que :
« La région, à l'exception de la région d'Île-de-France, des régions d'outre-mer et des collectivités territoriales à statut particulier exerçant les compétences d'une région, élabore un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires.
Ce schéma fixe les objectifs de moyen et long termes sur le territoire de la région en matière d'équilibre et d'égalité des territoires, d'implantation des différentes infrastructures d'intérêt régional, de désenclavement des territoires ruraux, d'habitat, de gestion économe de l'espace, de lutte contre l'artificialisation des sols, d'intermodalité et de développement des transports de personnes et de marchandises, de développement logistique et industriel, notamment en matière de localisation préférentielle, de maîtrise et de valorisation de l'énergie, de lutte contre le changement climatique, de développement de l'exploitation des énergies renouvelables et de récupération, de pollution de l'air, de protection et de restauration de la biodiversité, de prévention et de gestion des déchets. Sont inclus des objectifs relatifs aux installations de production de biogaz. En matière de lutte contre l'artificialisation des sols, les objectifs fixés sont traduits par une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols ainsi que, par tranches de dix années, par un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation. Cet objectif est décliné entre les différentes parties du territoire régional ».
* 23 https://reseauactionclimat.org/wp-content/uploads/2017/04/Nouvelles-compe%CC%81tences-climat-e%CC%81nergie-des-collectivite%CC%81s-territoriales-.pdf
* 24 Article L1511-3 CGCT : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031104374/2025-05-08/
* 25 Article L4251-17 CGCT : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000030999409/2025-05-08
* 26 https://www.legifrance.gouv.fr/download/file/pdf/cir_40360/CIRC
* 27 https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/ra/La circulaire minist%C3%A9rielle du 3 novembre 2016.pdf
* 28 Rapport annuel 2023, seconde partie, analyse sectorielle « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer ».
* 29 Rapport annuel 2023, seconde partie, analyse sectorielle « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer ».
* 30 Article L. 2251-3 CGCT : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000028640770/2025-05-09
* 31 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/missions-dinformation-communes/mission-dinformation-10-ans-apres-la-loi-notre-et-la-loi-maptam-quel-bilan-pour-lintercommunalite.html - c90102 (Jean-Marie Mizzon, président ; Maryse Carrère, rapporteure).
* 32 Rapport d'information n° 289 (2022-2023) de Mme Françoise GATEL et M. Rémy POINTEREAU, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 26 janvier 2023.
* 33 Le CNEN est une instance de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, qui a pour mission d'évaluer les impacts techniques et financiers du "flux" des normes nouvelles, ainsi que du "stock" de normes réglementaires en vigueur ayant un impact sur les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Il formule des propositions pour simplifier et alléger les normes applicables aux collectivités territoriales (Rapport d'activité 2017 - juin 2018).
* 34 https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-collectivites-territoriales-et-a-la-decentralisation/detail-actualite/assises-de-la-simplification-adapter-les-normes-a-la-diversite-des-territoires-4898.html
* 35 L'étude s'appuie sur un échantillon de 301 intercommunalités, qui représente un quart des intercommunalités françaises.
* 36 Source : Étude quinquennale économique 2022, Intercommunalités de France : https://www.intercommunalites.fr/publications/etude-quinquennale-economie/