N° 710
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juin 2025
RAPPORT D'INFORMATION
sur le bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2025,
FAIT
Par Mme Sylvie VERMEILLET,
Présidente de la délégation du bureau
en charge du travail parlementaire
et des conditions d'exercice du mandat de
sénateur
SYNTHÈSE
Le présent bilan, présenté par Mme Sylvie VERMEILLET, Présidente de la délégation du Bureau en charge du travail parlementaire et des conditions d'exercice du mandat de sénateur, s'appuie sur l'examen détaillé réalisé par chaque commission permanente du Sénat de la mise en application des lois relevant de sa compétence. Les conclusions de la commission des affaires européennes sur les positions européennes du Sénat y figurent également. Ce rapport d'information analyse la mise en application des 51 lois promulguées lors de la session parlementaire 2023-2024.
Obligation juridique à forte résonance politique, l'application des lois est une victime collatérale de l'instabilité politique constatée en 2024. En effet, le taux global de mise en application des mesures prévues par les lois promulguées au cours de la session, calculé par le Sénat, est en contraction de cinq points par rapport à la session précédente, et s'établit à 59 %. Si l'on exclut les mesures dont le législateur a autorisé une entrée en vigueur différée, ce taux d'application s'élève à 62 %, de six points inférieur à celui de la session 2022-2023.
Corrélativement à la contraction du taux global moyen d'application, le délai global moyen de publication s'est considérablement allongé. Les mesures règlementaires d'application ont été en moyenne publiées 7 mois et 24 jours après la promulgation de la loi. Ce délai moyen est non seulement en nette augmentation par rapport à l'année parlementaire précédente (+ 37 %) mais il ne respecte pas le délai de six mois que le Gouvernement s'est fixé par les circulaires de 2008 et 2022.
Les textes votés par la commission des affaires sociales ont été particulièrement concernés par le retard pris dans la publication des mesures d'application constaté en période de « gestion des affaires courantes ». Le taux d'application des mesures des lois relevant de sa compétence s'établit à 48 % contre 70 % pour la session précédente. Cette chute est d'autant plus importante que cette commission concentre 42 % du total des mesures attendues.
Outre les aspects quantitatifs, ce rapport alerte sur les conséquences dommageables de la non application de certaines mesures à caractère substantiel. L'absence de parution d'une telle mesure constitue non seulement un déni de la volonté du législateur mais une atteinte concrète aux droits des personnes.
Un autre élément préoccupant est la dégradation du taux de remise des rapports au Parlement qui ne cesse de diminuer depuis 2021, alors que le nombre de demandes de rapports décroît. Un seul rapport sur les 12 demandés par le Sénat lui a été remis. Toutes origines de demandes confondues, le taux de mise en application des mesures prévoyant le dépôt d'un rapport se contracte de cinq points en 2023- 2024 pour s'établir à 13 %. Cette faible transmission des rapports demandés nuit à la qualité globale du travail législatif. Ayant pour objet le plus souvent de dresser un bilan, ces rapports sont nécessaires à la juste appréciation des dispositions examinées ultérieurement.
Concernant les rapports d'application des lois devant être systématiquement transmis au Parlement six mois après la date d'entrée en vigueur d'une loi, le taux de remise n'est que de 41 % sur la session 2023-2024.
Deux éléments nuancent néanmoins la portée de l'aggravation du bilan sur la session 2023-2024.
Une certaine « résistance » des lois d'initiative parlementaire dont le délai moyen de mise en application s'est réduit de neuf jours pour se fixer à 6 mois et 30 jours, ce qui est relativement bref, compte tenu des circonstances politiques. En revanche, leur taux d'application reste extrêmement faible, 46 % sur la session 2023-2024, en dépit d'une augmentation de trois points de ce taux d'application par rapport à 2022-2023.
Si d'année en année, le taux d'application des lois examinées après engagement de la procédure accélérée s'est constamment détérioré pour tomber à 50 % à l'occasion de la session précédente, il augmente légèrement, atteignant 55 % au 31 mars 2025.
Le paradoxe de la faible application de ces lois n'en disparait pas pour autant, compte tenu du caractère urgent, prévisible et très encadré de la procédure législative. Ce léger redressement ne saurait donc effacer les motifs de mécontentement pour deux raisons. Premièrement, ce manque de célérité semble avoir pour cause la part toujours plus grande des lois dites « urgentes » rapportée au nombre total des lois. Elle passe de 59 % durant l'année parlementaire précédente à 78 % en 2023-2024. Cette augmentation de l'assiette conduit mécaniquement à une dégradation du taux d'application. « Trop d'urgence tue l'urgence. »
Deuxièmement, alors que 45 % des mesures d'application des lois adoptées en procédure accélérée ne sont pas parues, celles qui ont été prises ont été publiées dans un délai plus long de deux semaines que le délai moyen global, à savoir 8 mois et 8 jours sur 2023-2024. Pourquoi astreindre le Parlement à une célérité au risque de dégrader la qualité de l'examen de la loi, si les mesures sont prises dans des délais globalement plus longs que ceux pris pour une loi ordinaire ?
Enfin, dans la continuité des conclusions du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat de mars 2021, un suivi particulier des ordonnances, et distinct du bilan annuel de l'application des lois, a été mis en place.
Tableau synthétique comparatif des
principales données
du bilan de l'application
des lois
promulguées au cours de la session 2023-2024
Nombre de lois votées lors de la session 2023-2024, hors conventions internationales |
51 (+7) |
Nombre de lois votées après engagement de la procédure accélérée |
40 (+14) |
Nombre de lois d'initiative parlementaire |
30 (+1) |
Taux d'application global des lois |
59 % (-5 points) |
Taux d'application des lois votées après engagement de la procédure accélérée |
55 % (+ 5 points) |
Taux d'application des lois d'initiative parlementaire |
46 % (+ 3 points) |
Délai moyen global de parution des mesures d'application |
7 mois et 24 jours (+64 jours) |
Délai moyen global de parution des mesures d'application pris pour les lois adoptées après la procédure accélérée |
8 mois 8 jours (+48 jours) |
Délai moyen global de parution des mesures d'application pris pour les lois d'initiative parlementaire |
6 mois et 30 jours (- 9 jours) |
Nombre de rapports demandés au Gouvernement lors de la session 2023-2024 |
67 (-31) |
Taux de remise de rapports prévus par une disposition législative |
13 % (-5 points) |
Taux de remise de rapports sur la mise en application d'une loi (article 67 de la loi de 2004) |
41 % (-1 point) |
N.B. Les taux et les délais mentionnés dans le tableau ne prennent en compte que les mesures réglementaires prévues (décrets et arrêtés), différées ou non.
AVANT-PROPOS
Depuis plus de cinquante ans, le Sénat s'attache à vérifier que les mesures d'application appelées par les lois votées par le Parlement sont effectivement prises, et dans un délai raisonnable. Décrets et arrêtés, textes peu connus de nos concitoyens, sont en effet indispensables à la bonne mise en oeuvre de la loi et au respect de la volonté du législateur. Cette mission, que le Parlement détient directement de l'article 24 de la Constitution, demeure pour le Sénat un devoir essentiel au sein d'une démocratie moderne.
Comme pour les précédents bilans annuels, celui-ci est établi en lien direct avec les commissions permanentes. Leur rôle de suivi de l'application des lois et leur contribution au présent bilan, réaffirmé par le Règlement du Sénat, s'accompagne, aux termes de celui-ci, d'une mission de contrôle confiée à leurs membres rapporteurs d'un texte législatif. Sur le fondement de l'article 19 bis B du Règlement du Sénat, plusieurs d'entre eux ont ainsi procédé au suivi de l'application de lois dont ils avaient été rapporteurs, contribuant ainsi pour la cinquième année à l'enrichissement de ce bilan annuel.
Depuis dix années maintenant, ce bilan intègre le suivi des positions européennes effectué par la commission des affaires européennes. Sur la base des textes européens reçus par cette commission, neuf résolutions européennes ont été adressées par le Sénat au Gouvernement au titre de l'article 88-4 de la Constitution. La baisse du nombre de ces résolutions par rapport à la session précédente s'explique par la tenue des élections européennes et la suspension concomitante des travaux législatifs de l'Union européenne. Toutefois, à l'instar de la session précédente, le bilan demeure positif puisque dans plus de la moitié des cas, les positions exprimées par le Sénat ont été prises en compte en totalité ou en majorité.
Cette année encore, l'écoute et la réactivité des services de la Secrétaire générale du Gouvernement ont permis aux commissions d'obtenir de premières réponses à leurs interrogations, notamment sur les mesures non prises par le Gouvernement, ou prises avec un degré élevé de liberté par rapport à la volonté initiale du législateur.
Pour la première fois, le secrétariat général du Gouvernement (SGG), en réponse à une demande récurrente du Sénat, a comptabilisé les arrêtés faisant l'objet d'un renvoi exprès dans la loi. Il a été en mesure pour la session 2023-2024 de transmettre des taux de parution des arrêtés consolidés et fiabilisés.
Le débat sur le bilan de l'application des lois avec l'ensemble des sénatrices et sénateurs aura lieu sous la forme d'une réunion avec le ministre en charge des relations avec le Parlement, afin de tenir compte du changement de programmation, de la semaine de contrôle, au fil des ans, de fin juin à fin mai.
La session 2023-2024 revêt un caractère particulier en raison de la conjoncture politique, issue de l'instabilité ministérielle engendrée à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024 et de l'adoption d'une motion de censure le 4 décembre 2024.
Toutefois, ce contexte ne saurait à lui seul expliquer la dégradation de la mise en application des lois sur la session. En effet, le taux moyen global d'application des lois se contracte de cinq points, pour se fixer à 59 %, contre 64 % au titre de la session 2022-2023. Force est de constater que l'exercice réglementaire d'application des lois s'est éloigné des taux de plus de 80 % d'avant la période de la pandémie.
De manière inquiétante, les taux d'application des mesures des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée comme celles des lois d'initiative parlementaire sont depuis 2020 systématiquement inférieurs au taux moyen global. Ils s'établissent respectivement à 55% pour les premières et 46 % pour les secondes.
Ce double constat pénalisant pour le Parlement interroge. Premièrement, le taux d'application des lois d'initiative parlementaire de 46 % est particulièrement faible, au regard du nombre de mesures attendues. En effet, les propositions de lois n'appellent généralement que peu de mesures d'application. En l'espèce, elles n'ont concentré que 17 % du total des mesures réglementaires attendues, au titre de la session 2023-2024. Or, cette application à deux vitesses des dispositions législatives, selon leur origine, se manifeste de manière constante et ne saurait être expliquée uniquement par les périodes de gestion des affaires courantes. Quelle que soit l'intention du Gouvernement, elle tend à ignorer, voire nier la volonté du législateur.
Deuxièmement, le Parlement se trouve toujours plus contraint à des délais d'examen brefs, en raison du choix du Gouvernement d'engager la procédure accélérée. Plus de 78 % des lois adoptées en 2023-2024 l'ont été après engagement de la procédure accélérée. Cela représente une augmentation de plus de 53 % en 2023-2024, du nombre de lois adoptées « en urgence ». Ce constat conduit à s'interroger sur la nécessité d'un tel choix procédural, au regard du taux global moyen médiocre d'application de 55 % de ces lois. Que justifie une telle urgence, si elle n'est pas suivie d'effet en matière de publication des mesures réglementaires ?
Le faible taux d'application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée s'accompagne de l'allongement du délai moyen de publication de leurs mesures d'application. Ce dernier a augmenté en 2023-2024, de près de deux mois par rapport à la session précédente, en s'établissant à 8 mois et 8 jours. Le constat est une fois de plus celui d'une célérité imposée au Parlement, à laquelle le Gouvernement ne s'astreint pas.
Le seul motif de satisfaction concernant l'application des lois adoptées lors de la session 2023-2024 est le délai moyen de publication des mesures des lois d'initiative parlementaire qui s'établit à 6 mois et 30 jours.
Quant aux rapports demandés par le Parlement, leur taux de remise chute à 13 %, dans le contexte d'une diminution très sensible du nombre de rapports demandés (67 en 2023-2024 contre 98 l'année parlementaire précédente). Guère plus d'un rapport sur 10 est donc transmis au Parlement. L'amélioration observée en 2021-2022 avec un taux de 38 % aura été éphémère. Quant aux rapports d'application des lois devant être systématiquement transmis au Parlement, six mois après l'entrée en vigueur d'une loi, leur taux de remise n'est que de 41 %.
À l'heure où le rythme législatif s'accélère toujours plus, rendant l'évaluation des mesures plus que jamais cruciale, la privation d'information nuit gravement au travail parlementaire. La compétence législative est portée par les missions de contrôle et d'évaluation. C'est pourquoi le Sénat est garant du « service après vote ».