N° 1577 |
N° 739 |
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ASSEMBLÉE NATIONALE |
SÉNAT |
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CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE |
SESSION ORDINAIRE 2024 - 2025 |
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Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale |
Enregistré à la présidence du Sénat |
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le 12 juin 2025 |
le 12 juin 2025 |
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RAPPORT au nom de L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES sur Réunion du Conseil scientifique du 15 mai 2025 par M. Pierre HENRIET, député et M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur |
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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale par M. Pierre HENRIET, Premier vice-président de l'Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Stéphane PIEDNOIR, Président de l'Office |
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Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques Président M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur Premier vice-président M. Pierre HENRIET, député Vice-présidents |
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M. Jean-Luc FUGIT, député M. Gérard LESEUL, député M. Alexandre SABATOU, député |
Mme Florence LASSARADE, sénatrice Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice M. David ROS, sénateur |
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DÉPUTÉS |
SÉNATEURS |
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M. Alexandre ALLEGRET-PILOT M. Maxime AMBLARD M. Philippe BOLO M. Éric BOTHOREL M. Joël BRUNEAU M. François-Xavier CECCOLI M. Maxime LAISNEY Mme Mereana REID ARBELOT M. Arnaud SAINT-MARTIN M. Emeric SALMON M. Jean-Philippe TANGUY Mme Mélanie THOMIN M. Stéphane VOJETTA Mme Dominique VOYNET |
M. Arnaud BAZIN Mme Martine BERTHET Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP M. Patrick CHAIZE M. André GUIOL M. Ludovic HAYE M. Olivier HENNO Mme Sonia de LA PROVÔTÉ M. Pierre MÉDEVIELLE Mme Corinne NARASSIGUIN M. Pierre OUZOULIAS M. Daniel SALMON M. Bruno SIDO M. Michaël WEBER |
CONCLUSIONS DE LA RÉUNION DU 15 MAI 2025
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a réuni son Conseil scientifique le 15 mai 2025 pour son échange de vues annuel.
Deux sujets essentiels pour l'actualité de la recherche et de la formation scientifiques étaient inscrits à l'ordre du jour :
- les répercussions des décisions prises par l'administration fédérale américaine sur les laboratoires de recherche et les projets scientifiques, en particulier dans le cadre des nombreuses coopérations internationales ;
- l'usage de l'intelligence artificielle (IA) dans les pratiques des scientifiques et les perspectives offertes pour leurs travaux par les évolutions technologiques.
Quels que soient les champs de recherche concernés et sans ignorer les spécificités de chaque discipline, des analyses convergentes et des préoccupations communes ont émergé des discussions entre les membres du Conseil scientifique et ceux de l'Office.
Sur ces fondements, pour chacun des deux thèmes abordés, l'Office tire plusieurs enseignements et avance des orientations allant dans le sens de la promotion d'une plus grande indépendance, stratégique pour la France et pour l'Europe.
I. LES CONSÉQUENCES DES DÉCISIONS DE L'ADMINISTRATION FÉDÉRALE AMÉRICAINE DANS LE DOMAINE DE LA RECHERCHE
A. UN RISQUE MAJEUR D'APPAUVRISSEMENT DE LA RECHERCHE AU NIVEAU MONDIAL
1. Une offensive qui touche tous les secteurs, provoquant de fortes inquiétudes et une grande instabilité
Les membres du Conseil scientifique de l'Office ont souligné l'ampleur de l'offensive lancée par l'administration américaine contre les sciences : ses décisions remettent en cause l'ensemble du système de recherche, très dépendant des États-Unis au niveau mondial, et provoquent des dommages que l'on peut craindre irréversibles.
Les raisons invoquées pour réduire les moyens de la recherche sont à la fois idéologiques et budgétaires.
Au-delà de l'environnement et de la santé publique, très affectés, toutes les disciplines sont concernées.
Les programmes scientifiques arrêtés pour des raisons idéologiques concernent principalement le changement climatique, l'épidémiologie, la virologie et les recherches sur les vaccins, les énergies renouvelables et certains pans des sciences humaines et sociales (SHS) qui touchent à la diversité, l'inclusion ou encore l'égalité (études de genre, théorie critique de la race, histoire de l'esclavage ou encore sociologie des inégalités).
Les autres disciplines scientifiques ne sont pas épargnées, qu'il s'agisse des sciences physiques, des sciences spatiales ou des sciences de l'ingénieur.
Outre certaines universités prestigieuses (Harvard et Columbia par exemple), les missions et le fonctionnement des institutions muséales, archivistiques et de certaines bibliothèques sont également remis en cause.
De fortes coupes budgétaires, des licenciements massifs et un climat d'intimidation dans les agences fédérales et certaines académies et universités
L'Inserm fait état d'un certain abattement des personnels des National Institutes of Health (NIH), dont beaucoup sont dans l'incertitude quant à l'avenir de leur activité et se sentent menacés. Des licenciements massifs y ont été imposés parmi les directeurs et les autres employés.
D'autres agences de premier plan, dont de nombreux collaborateurs ont été brutalement congédiés, sont durement touchées : la National Science Foundation (NSF) ou encore la National Aeronautics and Space Administration (Nasa).
Les budgets de ces agences ont été fortement restreints, la diminution atteignant, selon les informations recueillies, jusqu'à - 50 % pour les sciences spatiales et - 25 % pour l'exploration à la Nasa. Les moyens alloués aux départements de l'énergie (Department of Energy - DOE) et de l'agriculture (United States Department of Agriculture - USDA) ont également fait l'objet de sévères coupes.
Dans le domaine des sciences physiques, les restrictions budgétaires annoncées pour 2026 sont extrêmement importantes : - 24 % pour l'Office sur l'énergie nucléaire, - 31 % pour l'énergie fossile ou encore - 75 % sur les énergies renouvelables.
Les dynamiques de coopération scientifique et technologique sont ainsi freinées, l'Académie des sciences témoignant de la participation de plus en plus difficile des chercheurs étrangers aux réunions internationales aux États-Unis du fait de la difficulté à obtenir des visas, et des chercheurs américains aux réunions à l'étranger, faute de financements.
Les programmes de recherche sur le climat sont notamment suspendus. Très impliqué dans le Giec, le CNRS confirme que les scientifiques américains n'y participent plus.
Dans le domaine des sciences spatiales, un projet cosmologique important (Roman), en phase finale après plusieurs centaines de millions de dollars d'investissement, risque d'être arrêté. Le programme de retour d'échantillons martiens, auquel la France a participé, est également menacé.
Une grande inquiétude porte sur l'avenir du Cern et la physique des particules en raison des restrictions budgétaires qui pourraient toucher les organisations internationales.
Les retraits de financement concernent également les universités, parmi lesquelles celle de Harvard, menacée de se voir privée de 2,2 milliards de dollars annuels.
Les membres du Conseil scientifique soulignent le climat d'intimidation qui gagne les milieux de la recherche. Il a notamment été souligné que la Présidente de l'Académie américaine des sciences évitait de prendre position sur la nouvelle politique scientifique par peur de représailles. Plusieurs membres ont plus généralement témoigné d'une atmosphère oppressante et d'une certaine retenue dans les messages reçus de scientifiques établis aux États-Unis, dont certains semblent craindre de laisser des traces écrites.
Enfin, malgré les protestations organisées dans les milieux universitaires et de la recherche (mouvement « Stand-up for Science »), la prudence, voire le silence, dont font preuve certaines instances scientifiques, notamment européennes, dans leurs expressions publiques a été déploré. En Europe, le réseau des académies des sciences (Allea) a publié une déclaration encourageant les gouvernements et institutions internationales à défendre la liberté académique et l'autonomie des institutions scientifiques mais celle-ci est diversement suivie selon les pays1(*).
Une forte instabilité qui explique un certain attentisme
Ces évolutions déstabilisent l'ensemble des jeunes scientifiques au niveau mondial, en particulier les doctorants et post-doctorants, dont la situation est souvent précaire. De l'avis général, du fait de la forte proportion de jeunes chercheurs de nationalité étrangère dans les laboratoires américains, en provenance d'Asie et d'Europe notamment, il faut s'attendre à ce qu'ils se tournent massivement vers d'autres régions du monde.
À l'inverse, les chercheurs les plus établis au plan international ne cherchent pas spécialement à venir s'installer en Europe. Certains attendent les élections de mi-mandat ou un changement de président pour envisager la suite de leur carrière.
Dans certaines disciplines prévaut ainsi un relatif attentisme : dans les sciences physiques par exemple, passé un moment de stupeur face à l'ampleur des restrictions mises en place dans un pays auparavant connu pour sa liberté d'expression, il semble que les scientifiques commencent à temporiser sans envisager de partir.
2. Une mise en danger de l'ensemble du système de recherche et du patrimoine scientifique
Il n'en demeure pas moins que c'est l'intégrité du patrimoine scientifique qui est mise en péril, avec la destruction d'infrastructures et de données essentielles au développement de la recherche scientifique. La crise révèle ainsi la fragilité de notre système de recherche, largement dépendant des États-Unis.
La destruction d'infrastructures et de données essentielles à la culture scientifique
Les témoignages recueillis par l'Académie des sciences auprès de ses réseaux font état d'une destruction rapide de structures, réseaux, bases de données et travaux de recherche, avec des conséquences parfois irréversibles ou dont la reconstruction sera très longue.
Dans le domaine des sciences spatiales en particulier, certaines bases de données sont hébergées de façon exclusive aux États-Unis, comme celles liées au projet du télescope grand champ installé au Chili (Large Synoptic Survey Telescope ou LSST), qui vise notamment à mieux comprendre la nature de l'énergie noire, ou certaines données sur les ondes gravitationnelles.
Dans ce contexte, le CNRS indique avoir été saisi par le ministère de la recherche d'une demande de recensement de l'ensemble des bases de données scientifiques qui se trouvent en souffrance en raison des arrêts de financement.
L'importance de disposer de sites miroirs est bien identifiée : s'agissant par exemple des séquences d'ADN en biologie, le CNRS dispose de trois sites miroirs, répartis entre les États-Unis (au sein du National Center for Biotechnology Information), l'Europe et le Japon, répliqués quotidiennement. Cependant, la généralisation de sites miroirs à l'ensemble des disciplines concernées requerrait des moyens considérables (à la fois en bande passante et en capacité de stockage).
Une crise qui révèle la fragilité du système international de recherche
À travers ses conséquences très concrètes, la crise provoquée par les décisions américaines révèle la fragilité du système international de recherche, très dépendant des États-Unis.
L'Académie des sciences rappelle à titre d'exemple que les États-Unis représentent 23 % des publications mondiales sur le climat, 50 % de celles relatives à la recherche océanographique et deux tiers du réseau « Argo » (programme international qui coordonne la collecte des informations dans les océans à l'aide d'une flotte d'instruments robotisés).
Dans ces conditions, certains scientifiques estiment que la position dominante occupée par les États-Unis dans le domaine scientifique aura tendance à s'effacer au profit de la Chine, interrogeant l'avenir de la stratégie française et européenne pour la science.
* 1 https://allea.org/wp-content/uploads/2025/02/ALLEA-Statement-on-Threats-to-Academic-Freedom.pdf