II. EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 12 JUIN 2025

Communication sur la réunion du Conseil scientifique (Pierre Henriet, député, Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs)

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le troisième et dernier point de notre réunion sera consacré à une communication sur la réunion du Conseil scientifique de l'Office le 15 mai dernier. Deux sujets étaient à l'ordre du jour : les répercussions des décisions prises par l'administration fédérale américaine sur la recherche et l'usage de l'intelligence artificielle dans les pratiques des scientifiques.

Je rendrai compte du premier sujet et Pierre Henriet présentera le second.

Les membres du Conseil scientifique qui étaient nombreux à être présents le 15 mai dernier se sont inquiétés de l'appauvrissement de la recherche américaine mais aussi de la recherche internationale. L'offensive virulente de l'administration Trump touche tous les secteurs de la science. Les programmes scientifiques arrêtés pour des raisons idéologiques concernent principalement le changement climatique, l'épidémiologie, la virologie, les recherches sur les vaccins, les énergies renouvelables et certains pans des sciences humaines et sociales.

Les autres disciplines scientifiques ne sont pas épargnées, qu'il s'agisse des sciences physiques, des sciences spatiales, ou des sciences de l'ingénieur. Certaines universités prestigieuses, comme Harvard et Columbia, sont attaquées et les missions et le fonctionnement des institutions muséales, archivistiques et de certaines bibliothèques sont également remis en cause.

Depuis, de nouvelles mesures de contrôle des visas pour les étudiants étrangers dans les universités américaines, et également le contrôle des réseaux sociaux, ont été instaurés. Nous observons des coupes budgétaires, des licenciements massifs et un climat d'intimidation généralisé dans les agences fédérales et les universités. Les réductions budgétaires sont considérables, allant jusqu'à 50 % pour les sciences spatiales et 25 % pour l'exploration à la NASA et 24 % pour l'Office sur l'énergie nucléaire. Les dynamiques de coopération scientifique et technologique sont fortement entravées. L'Académie des sciences a témoigné de la difficulté pour les chercheurs étrangers de participer à des réunions internationales aux États-Unis en raison des difficultés pour obtenir des visas.

Les programmes de recherche sur le climat sont suspendus, notamment ceux impliqués dans le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Le CNRS a confirmé que les scientifiques américains n'y participent plus. Un projet cosmologique important, en phase finale, risque d'être arrêté. Le programme de retour d'échantillons martiens, auquel la France a participé, est également menacé. Une grande inquiétude pèse sur l'avenir du CERN et la physique des particules en raison des restrictions budgétaires qui pourraient toucher des organisations internationales impliquées dans ce projet. Le Conseil scientifique a observé des retraits de financement concernant certaines universités, dont Harvard, menacée de perdre 2,2 milliards de dollars par an. Les membres du Conseil soulignent le climat d'intimidation qui gagne les milieux de la recherche, avec une atmosphère oppressante et une retenue dans les messages reçus de scientifiques établis aux États-Unis.

Le réseau des Académies des sciences d'Europe, ALLEA, a publié une déclaration encourageant les gouvernements et les institutions internationales à défendre la liberté académique et l'autonomie des institutions scientifiques. Cependant, cette déclaration est diversement suivie selon les pays.

Ces évolutions déstabilisent les jeunes scientifiques, en particulier les doctorants et les postdoctorants, dont la situation est souvent précaire. Une forte proportion de jeunes chercheurs étrangers dans les laboratoires américains pourraient se tourner vers d'autres régions du monde. Cela pourrait représenter une opportunité pour nous d'accueillir des doctorants et post-doctorants qui aspiraient à poursuivre leurs parcours aux États-Unis, comme l'a souligné le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

La destruction rapide de structures, de réseaux, de bases de données et de travaux de recherche aux États-Unis met en danger l'ensemble du système de recherche et du patrimoine scientifique. Les témoignages recueillis font état de conséquences irréversibles. L'importance de disposer de sites miroirs a été évoquée, mais cela nécessiterait des moyens numériques considérables et aurait des conséquences écologiques déplorables.

La crise révèle la fragilité du système international de recherche, très dépendant des États-Unis. Les États-Unis représentent 23 % des publications mondiales sur le climat et 50 % de celles sur la recherche océanographique. Plusieurs scientifiques estiment que la position dominante des États-Unis dans le domaine scientifique aura tendance à s'effacer au profit de la Chine.

Les scientifiques présents ont tiré trois conclusions : les financements annoncés n'apparaissent pas à la hauteur des enjeux, comme en témoigne la conférence Choose Europe for Science organisée à Paris le 5 mai dernier. Ursula von der Leyen a annoncé que l'Union européenne allait mobiliser 500 millions d'euros pour attirer des chercheurs étrangers, notamment américains. La France y consacrerait 100 millions d'euros. Les membres du Conseil scientifique ont déploré la faiblesse de ces sommes au regard de l'enjeu de l'attractivité des carrières scientifiques en France et en Europe.

Il semble ensuite qu'il faille concentrer les efforts sur l'accueil de jeunes chercheurs étrangers, en leur offrant l'opportunité de débuter leur carrière sur le sol français ou européen. L'échelle européenne semble la bonne taille pour mener ces réflexions.

Le Conseil scientifique a enfin appelé à un travail prospectif sur la résilience du système de recherche français et européen, en réaffirmant les valeurs de la science et la liberté académique. L'expertise scientifique joue un rôle central dans l'aide à la décision politique et l'éclairage de l'opinion publique.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Le second thème de la réunion avec le Conseil scientifique était l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) dans les pratiques des chercheurs. Il en ressort que l'impact de l'IA est déjà très significatif et les perspectives nombreuses. L'usage de l'IA est généralisé, et son importance croissante pour la recherche est illustrée par l'attribution en 2024 des prix Nobel de physique et de chimie à des chercheurs ayant développé ou mobilisé l'IA.

L'IA joue un rôle central dans les sciences de l'ingénieur, pour la réduction des données en astrophysique, ainsi que dans le secteur de la recherche biomédicale et de la santé, où les bases de données sont nombreuses et volumineuses. Elle est également utilisée pour l'analyse des données, la modélisation ou la simulation, et, depuis l'essor des grands modèles de langage (LLM), pour l'aide à la rédaction.

Les disciplines des SHS qui travaillent avec de grandes bases de données, comme les langues, l'économie, l'archéologie, utilisent l'IA par exemple pour la lecture automatique d'écriture ancienne ou l'extraction de données. En philosophie, la validité de ChatGPT en tant que partenaire de discussion est reconnue.

Les chercheurs sont unanimes sur l'intérêt des nouveaux outils d'IA pour le résumé de contenu ou le gain de temps appréciable qu'ils peuvent leur offrir. Les perspectives sont nombreuses, en particulier pour la reconnaissance d'images et la robotisation. Les retours d'expérience des résultats du Cevipof font état d'une performance élevée de ChatGPT pour le commentaire de modèles statistiques.

La première conclusion est que la poursuite de l'adaptation de l'organisation de la recherche aux enjeux de l'IA est nécessaire. Cela signifie qu'il faut approfondir les collaborations entre scientifiques et experts de la donnée. La création de passerelles plus nombreuses entre scientifiques et experts de la donnée et de l'IA apparaît essentielle. Cependant, la difficulté de recruter des experts en IA est patente, ces derniers étant le plus souvent attirés vers des structures privées offrant des rémunérations beaucoup plus avantageuses.

L'attractivité des postes et des carrières dans la recherche publique reste un enjeu de taille, qui nécessite d'investir dans les équipements et les architectures de calcul sous-jacents. De nombreux systèmes actuels ne sont pas adaptés à une utilisation massive de données. À défaut d'investissements dans certaines branches prometteuses de la physique, comme le magnétisme, l'optique ou le quantique, la France connaîtra un retard croissant. Des efforts d'investissement dans les équipements sont indispensables à l'échelle européenne.

Le travail d'évaluation des outils disponibles, notamment des LLM, doit se poursuivre. Ce travail doit permettre de comprendre et d'anticiper les biais culturels que peuvent porter l'entraînement et l'utilisation des modèles. Les chercheurs appellent de leurs voeux la mise en place d'une intelligence artificielle européenne, souveraine et digne de confiance. Il faut réfléchir à la façon de considérer les informations issues des modèles génératifs, notamment être conscient du risque de fausses informations.

Certains membres du Conseil scientifique préconisent de maintenir deux voies parallèles : le savoir-faire avec et sans l'intelligence artificielle. L'utilité de l'intelligence artificielle et les risques liés à son utilisation plaident pour une vision positive mais prudente. Pour garantir une utilisation efficace et éthique de l'intelligence artificielle, un consensus existe sur le besoin de formation massive des chercheurs et des ingénieurs, et la nécessité de garder un esprit critique. Il faut former à l'intelligence artificielle tout en gardant la maîtrise des savoirs fondamentaux.

Le rapport au terrain reste fondamental pour tout chercheur. Les perspectives sont nombreuses mais ce sont les chercheurs qui pensent, pas les machines. Par nature ou par construction, les intelligences artificielles sont capables d'hallucinations, c'est-à-dire de corrélations erronées. La maîtrise des fondamentaux de chaque discipline et le rapport au terrain restent indispensables pour rester maître de son projet de recherche. Il s'agit d'assurer l'explicabilité des modèles d'apprentissage et des résultats en faisant preuve d'un bilinguisme technologique.

L'enjeu de l'exactitude des données utilisées dans les recherches assistées par l'intelligence artificielle est crucial, notamment dans des disciplines comme la recherche clinique, l'évaluation de médicaments ou de protocoles chirurgicaux.

Les membres du Conseil scientifique ont souligné l'importance d'une formation massive des chercheurs à l'intelligence artificielle, en particulier pour comprendre le fonctionnement de l'échange itératif avec les modèles de langage et maîtriser l'art du prompt. Il est indispensable de signaler l'utilisation de l'intelligence artificielle dans les publications et les travaux de recherche. Cette règle de transparence doit être enseignée dès la formation initiale, surtout dans un contexte où l'outil d'intelligence artificielle générative transforme les façons d'apprendre et d'évaluer les étudiants. Enfin, l'impact environnemental de l'intelligence artificielle est un enjeu éthique majeur auquel l'étudiant et le chercheur doivent être formés.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous propose de formaliser ce compte rendu de la réunion du Conseil scientifique, peut-être sous la forme d'un court rapport, pour prendre acte que l'Office a tenu compte des inquiétudes de son Conseil scientifique.

La réunion que nous avons tenue avec lui a suscité des commentaires extrêmement positifs. Plusieurs membres du Conseil sont venus vers moi à la fin pour me dire que celle-ci avait été vraiment très riche. L'actualité américaine a mobilisé les chercheurs et les académiciens, mais le format de notre réunion a été très apprécié.

Vous avez reçu le texte de nos conclusions, nous y ajouterons le compte rendu complet de la réunion.

M. Arnaud Saint-Martin, député. - Je n'étais pas présent ce jour-là, c'était un jour de niche parlementaire en séance, et j'en étais bien désolé. Il est précieux d'avoir cet état des lieux sur la menace pour la science aux États-Unis. Je me demande pourquoi elle n'est pas davantage qualifiée. On a l'impression d'un processus un peu aveugle. Les États-Unis ne sont pas épargnés, mais par qui ? par quoi ?

La menace est en fait très caractérisée : c'est Trump, son administration, tous les gens qu'il a nommés - qui, pour certains, quittent déjà le navire. Cette menace est qualifiée, obscurantiste, climatonégationniste, elle déteste la science, elle déteste les scientifiques, elle les vire littéralement.

J'ai récemment parlé avec des personnels du Centre national d'études spatiales (Cnes), notamment de la direction des relations internationales, qui ne peuvent pas interagir avec leurs interlocuteurs, même par mail. C'est du maccarthysme, de la censure, de l'autocensure. Certains historiens, comme Timothy Snyder, parlent même de fascisme. Je trouve que la caractérisation que vous faites de la menace est très polie.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Nous avons mentionné l'administration fédérale américaine.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Les membres du Conseil scientifique n'ont pas utilisé ces termes. Nous sommes sur un compte rendu de ce qui a été dit, pas sur notre opinion.

M. Arnaud Saint-Martin, député. - Ils n'ont pas utilisé ces termes ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Ils n'ont pas utilisé ces termes.

M. Arnaud Saint-Martin, député. - « Trump », jamais ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - « Trump », oui, mais les termes de fascisme, de maccarthysme... n'ont pas été utilisés. Nous sommes donc sur un compte rendu de ce qui a été dit.

M. Arnaud Bazin, sénateur. - En ce qui concerne les 500 millions d'euros annoncés par la présidente de la Commission européenne, en savons-nous davantage ? J'ai noté que cette somme était insuffisante. S'agit-il de salaires, de compléments de salaire, d'aide à l'investissement pour des projets, ou bien d'un pur effet d'annonce ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Il faut être poli également sur ce point. Nous sommes plutôt en faveur de votre deuxième option. L'enveloppe est insuffisante et étalée sur trois ans. Du côté français, c'est 100 millions étalés sur trois ans.

Le salaire et les conditions de travail d'un chercheur français sont sans commune mesure avec ce que la recherche privée, notamment aux États-Unis, peut offrir.

Il y a eu une annonce, une volonté européenne de lancer quelque chose, mais cela n'ira pas très loin. Je ne pense pas qu'on attirera beaucoup de chercheurs américains avec ce montant en France.

Cependant, il y a un vrai sujet concernant les chercheurs qui se destinaient à partir. Chaque année, on produit des doctorants, des post-doctorants qui aspirent naturellement à aller aux États-Unis. Comment peut-on les aider ? Pour eux, c'est une vraie rupture à très court terme.

La loi de programmation de la recherche (LPR) pourra peut-être être consolidée. Le processus de révision de la LPR, annoncé par le ministre pour cette année, pourrait aborder le sujet de ceux qui ne peuvent pas faire leur mobilité internationale aux États-Unis.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Une précision s'impose, car nous avons abordé le sujet à plusieurs reprises, notamment les annonces qui ont été faites deux jours avant la réunion du Conseil scientifique. Certains chercheurs ont perçu ces annonces comme une provocation, car les budgets actuels ne sont pas à la hauteur des enjeux, notamment en termes de rémunération de carrière pour les chercheurs français. Cela ressortait des échanges informels que nous avons eus. Il faut toujours être vigilant sur ces éléments budgétaires.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Après ces échanges, je vous demande l'autorisation de publier les conclusions que vous avez reçues avec l'intégralité du compte rendu de la réunion du 15 mai. Je vous remercie.

L'Office adopte les conclusions de la réunion du Conseil scientifique et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de la réunion et de ces conclusions.

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