- L'ESSENTIEL
- LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
- AVANT-PROPOS
- PREMIÈRE PARTIE :
FACE AUX VIOLENCES FAITES AUX FEMMES : UNE ACTION PUBLIQUE À METTRE EN ORDRE DE BATAILLE
- I. UN CONSTAT IMPLACABLE : LES VIOLENCES FAITES
AUX FEMMES, OMNIPRÉSENTES, S'INTÈGRENT DANS UN SYSTÈME DE
DOMINATION
- II. LES POUVOIRS PUBLICS PEINENT À
DÉFINIR UNE STRATÉGIE CLAIRE EN DEHORS DE LA LUTTE CONTRE LES
VIOLENCES CONJUGALES
- I. UN CONSTAT IMPLACABLE : LES VIOLENCES FAITES
AUX FEMMES, OMNIPRÉSENTES, S'INTÈGRENT DANS UN SYSTÈME DE
DOMINATION
- DEUXIÈME PARTIE :
MALGRÉ UNE HAUSSE DES FINANCEMENTS, UNE GRANDE CAUSE ENCORE MAL DOTÉE
- I. LES FINANCEMENTS DE LA LUTTE CONTRE LES
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES, BIEN QU'EN AUGMENTATION, DEMEURENT MORCELÉS
ET IMPARFAITEMENT ÉVALUÉS
- A. SI LES FINANCEMENTS DE L'ÉTAT CONNAISSENT
UNE AUGMENTATION INDÉNIABLE, LEUR MESURE ET LEUR PERFORMANCE SONT
DIFFICILES À ÉTABLIR AVEC PRÉCISION
- 1. Le programme 137 : des montants en
augmentation, mais qui restent à eux seuls dérisoires
- a) Une hausse des crédits tirée
principalement par la lutte contre les violences faites aux femmes
- b) Des dépenses d'intervention
prépondérantes, principalement au titre des subventions
versées aux associations
- c) Une exécution à tendance
haussière et une consommation intégrale des crédits qui
révèlent d'importants besoins
- a) Une hausse des crédits tirée
principalement par la lutte contre les violences faites aux femmes
- 2. Le niveau actuel du financement de l'État
en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes est un sujet de
discorde
- a) Le document de politique transverse (DPT)
renvoie une image déformée de l'effort de l'État en faveur
de l'égalité femmes-hommes
- (1) Une valorisation élevée,
jugée fantaisiste par les associations entendues et dont la progression
est largement due à des changements dans le périmètre et
le mode de comptabilisation
- (2) Des efforts d'amélioration qui ne
dissiperont pas les défauts intrinsèques de ce type de
documentation
- b) Des évaluations par les associations
très éloignées des chiffres avancés par
l'État
- a) Le document de politique transverse (DPT)
renvoie une image déformée de l'effort de l'État en faveur
de l'égalité femmes-hommes
- 3. La comparaison du budget réel avec le
budget qui paraît nécessaire aux associations fait
apparaître un hiatus important
- 4. La mesure des effets des dépenses
publiques sur l'égalité : une démarche encore
inexplorée
- 1. Le programme 137 : des montants en
augmentation, mais qui restent à eux seuls dérisoires
- B. LES AUTRES FINANCEMENTS PUBLICS : DES
MANNES SOUVENT PEU CONNUES ET PARFOIS INSUFFISAMMENT EXPLOITÉES
- 1. Les collectivités territoriales :
une contribution substantielle, mais mal connue
- a) Les collectivités territoriales
contribuent significativement au financement de la lutte contre les violences
faites aux femmes
- b) Si les collectivités territoriales
produisent leur propre documentation, il n'existe à ce jour aucune
recension leur contribution d'ensemble à la lutte contre les violences
faites aux femmes
- c) Une contribution des collectivités mieux
connue s'agissant de l'égalité professionnelle
- a) Les collectivités territoriales
contribuent significativement au financement de la lutte contre les violences
faites aux femmes
- 2. Les fonds européens : une
mobilisation à développer
- 1. Les collectivités territoriales :
une contribution substantielle, mais mal connue
- C. LES FINANCEMENTS PRIVÉS :
PIÈGE OU AUBAINE ?
- A. SI LES FINANCEMENTS DE L'ÉTAT CONNAISSENT
UNE AUGMENTATION INDÉNIABLE, LEUR MESURE ET LEUR PERFORMANCE SONT
DIFFICILES À ÉTABLIR AVEC PRÉCISION
- II. UNE POLITIQUE PUBLIQUE PROMUE AVEC CONVICTION
PAR DES ACTEURS ENCORE INSUFFISAMMENT DOTÉS
- A. L'ADMINISTRATION DE
L'ÉGALITÉ : UN MIRAGE QUI PEINE À DEVENIR
RÉALITÉ
- 1. Le service des droits des femmes et de
l'égalité (SDFE) : un acteur central qui manque encore de
capacité d'action interministérielle
- 2. L'administration déconcentrée des
délégations aux droits des femmes : un réseau peu
équipé et inégalement exploité
- a) Les effectifs de l'administration
déconcentrée ne lui permettent guère de conduire
convenablement ses missions
- b) Les services rencontrent des difficultés
dans le pilotage stratégique de leur politique publique
- c) Les délégués aux droits
des femmes et les référents égalité : un
positionnement délicat et une influence variable
- a) Les effectifs de l'administration
déconcentrée ne lui permettent guère de conduire
convenablement ses missions
- 3. Doter la politique de l'égalité
entre les femmes et les hommes d'une véritable administration
ministérielle
- 1. Le service des droits des femmes et de
l'égalité (SDFE) : un acteur central qui manque encore de
capacité d'action interministérielle
- B. LES ASSOCIATIONS : PETITES MAINS MAIS BRAS
TROP PEU ARMÉ DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX
FEMMES
- A. L'ADMINISTRATION DE
L'ÉGALITÉ : UN MIRAGE QUI PEINE À DEVENIR
RÉALITÉ
- I. LES FINANCEMENTS DE LA LUTTE CONTRE LES
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES, BIEN QU'EN AUGMENTATION, DEMEURENT MORCELÉS
ET IMPARFAITEMENT ÉVALUÉS
- TROISIÈME PARTIE :
POURSUIVRE LA LUTTE À L'HEURE DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE : QUELLES PRIORITÉS ?
- I. LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
DOIT DAVANTAGE INVESTIR LES SITUATIONS HORS DU COUPLE ET LA
PRÉVENTION
- A. MALGRÉ LES PROGRÈS DANS LA LUTTE
CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES, UN LONG CHEMIN RESTE À PARCOURIR POUR
ACCOMPAGNER LES VICTIMES DE VIOLENCES HORS DU COUPLE
- 1. Un bilan globalement positif s'agissant de la
protection et l'indemnisation des victimes de violences conjugales
- a) Un déploiement satisfaisant des
dispositifs de protection
- (1) Les téléphones grave danger
(TGD) : un déploiement déjà important
- (2) Les bracelets antirapprochement (BAR) :
des besoins satisfaits par la disponibilité du matériel
- (3) Une croissance constante du nombre
d'ordonnances de protection délivrées
- b) L'indemnisation des victimes de violences
faites aux femmes est relativement satisfaisante dans les conditions de droit
commun
- a) Un déploiement satisfaisant des
dispositifs de protection
- 2. Le développement d'une prise en charge
intégrée des femmes victimes de violences et des enfants victimes
ou co-victimes constituent des axes d'amélioration importants
- a) Des structures d'accueil et de prise en charge
toujours aussi précaires et faiblement développées
- (1) Les centres d'information sur les droits des
femmes et des familles (CIDFF) : un réseau crucial dont
l'implantation est inégalement répartie sur le territoire
- (2) Les lieux d'écoute, d'accueil et
d'orientation (LEAO) et les accueils de jour (AJ) : une réforme
à l'étude pour plus de lisibilité et de qualité de
prise en charge
- (3) Les dispositifs d'accompagnement
intégré : un développement encore insuffisant
- b) La prise en charge des enfants victimes et
co-victimes de violences appelle une coordination avec la stratégie
nationale de protection de l'enfance
- a) Des structures d'accueil et de prise en charge
toujours aussi précaires et faiblement développées
- 1. Un bilan globalement positif s'agissant de la
protection et l'indemnisation des victimes de violences conjugales
- B. PRÉVENIR LES VIOLENCES, LUTTER CONTRE LA
RÉCIDIVE ET FAVORISER L'ÉMANCIPATION DES FEMMES
- 1. La prévention : éduquer,
former, émanciper
- (1) Les espaces de vie affective, relationnelle et
sexuelle (EVARS) : un maillage à renforcer, un rôle à
intensifier
- (2) L'éducation et les formations visant
à promouvoir la culture de l'égalité : une faible
mise en oeuvre en dehors de l'action des associations
- (3) Les politiques en faveur de
l'égalité professionnelle doivent également permettre de
favoriser l'émancipation économique des femmes
- (1) Les espaces de vie affective, relationnelle et
sexuelle (EVARS) : un maillage à renforcer, un rôle à
intensifier
- 2. La prise en charge des auteurs : passer de
la lutte contre la récidive à la prévention des
violences
- a) Les centres de prise en charge des auteurs de
violences conjugales (CPCA), un nouvel outil de lutte contre la récidive
qui semble faire ses preuves
- b) Des modalités de financement qui
aboutissent à une répartition disparate des crédits sur le
territoire
- c) Les CPCA : un instrument de
prévention ?
- a) Les centres de prise en charge des auteurs de
violences conjugales (CPCA), un nouvel outil de lutte contre la récidive
qui semble faire ses preuves
- 1. La prévention : éduquer,
former, émanciper
- A. MALGRÉ LES PROGRÈS DANS LA LUTTE
CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES, UN LONG CHEMIN RESTE À PARCOURIR POUR
ACCOMPAGNER LES VICTIMES DE VIOLENCES HORS DU COUPLE
- II. LA SORTIE DU SYSTÈME
PROSTITUTIONNEL : UN VÉRITABLE PARCOURS DU COMBATTANT
- III. DE LA MISE À L'ABRI À UNE
NOUVELLE DONNE : L'HÉBERGEMENT AU CoeUR DES BESOINS
- A. LE « PACK NOUVEAU
DÉPART » : DISPOSITIF ESSENTIEL MAIS ACTUELLEMENT
RÉDUIT À L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE
- 1. L'aide universelle d'urgence pour les victimes
de violences (AUUVV) : une initiative sénatoriale bienvenue qui
doit être accompagnée d'autres dispositifs
- a) L'aide universelle d'urgence : un
dispositif innovant d'origine sénatoriale
- b) Un dispositif sur lequel manque le recul, mais
qui a certainement répondu à un besoin
- (1) Après un démarrage dynamique, un
taux de recours stabilisé et un tendanciel de dépenses
soutenable
- (2) Une aide majoritairement versée sous
forme d'allocation et au taux plein
- c) Une aide relativement bien accueillie, mais
dont l'évaluation devra identifier des axes d'amélioration
- a) L'aide universelle d'urgence : un
dispositif innovant d'origine sénatoriale
- 2. Le « pack nouveau
départ » : un dispositif d'ensemble qui tarde à
se mettre en place
- 1. L'aide universelle d'urgence pour les victimes
de violences (AUUVV) : une initiative sénatoriale bienvenue qui
doit être accompagnée d'autres dispositifs
- B. L'HÉBERGEMENT, NERF DE LA GUERRE MAIS
MAILLON FAIBLE FACE AU BESOIN DE DÉCOHABITATION
- 1. L'augmentation des places d'hébergement
en faveur des victimes de violences est une réalité
- 2. Une analyse des données des SIAO
souligne toutefois l'ampleur des besoins
- a) Les demandes d'hébergement
associées à des violences concernent principalement des femmes
seules, et sont pourvues dans 75 % des cas pour les victimes de violences
conjugales et intrafamiliales
- b) Si les places accordées dans le cadre de
violences conjugales et intrafamiliales sont plus souvent individuelles, le
recours à d'autres solutions d'hébergement moins adaptées
n'a pas disparu
- c) Depuis 2020, le nombre de demandes
d'hébergement et le nombre de refus augmentent
- a) Les demandes d'hébergement
associées à des violences concernent principalement des femmes
seules, et sont pourvues dans 75 % des cas pour les victimes de violences
conjugales et intrafamiliales
- 3. Le développement des solutions
d'hébergement pour faciliter l'éloignement des victimes de leur
conjoint violent doit être une priorité
- 1. L'augmentation des places d'hébergement
en faveur des victimes de violences est une réalité
- A. LE « PACK NOUVEAU
DÉPART » : DISPOSITIF ESSENTIEL MAIS ACTUELLEMENT
RÉDUIT À L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE
- I. LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
DOIT DAVANTAGE INVESTIR LES SITUATIONS HORS DU COUPLE ET LA
PRÉVENTION
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
N° 814
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juillet 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur
l'évolution du
financement
de la lutte
contre les violences faites aux
femmes,
Par MM. Arnaud BAZIN et Pierre BARROS,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
-
L'ESSENTIEL
En 2020, alors que le Grenelle des violences conjugales venait d'être lancé, la commission des finances du Sénat avait remis un rapport intitulé « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes »1(*). Cinq ans plus tard, MM. Arnaud Bazin et Pierre Barros, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ont remis l'ouvrage sur le métier : ils ont présenté le mercredi 2 juillet leur rapport sur l'évolution des financements de la lutte contre les violences faites aux femmes.
I. LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES, OMNIPRÉSENTES DANS NOTRE SOCIÉTÉ, SONT FONDÉES SUR LE SEXISME
Depuis 2020, force est de constater que les violences faites aux femmes n'ont guère connu de reflux : si le nombre de féminicides a diminué entre 2020 et 2023, passant d 121 à 96, le nombre de tentatives de féminicide a augmenté de 238 à 451. Le nombre de viols ou de tentatives de viol enregistré par les services de police et de gendarmerie a plus que doublé sur cette période (+104,1 %) et le nombre de cas de violences volontaires au sein du couple a connu une hausse de 47,9 %. Les enquêtes de victimation font également état du caractère endémique des violences faites aux femmes, puisque 217 000 femmes ont été victimes d'au moins une agression sexuelle hors du couple en 2022.
Chiffres clés sur les violences faites aux femmes en 2023
Le nombre de décès liés aux féminicides est de |
Dans l'ensemble des violences faites aux femmes, |
Parmi les affaires de viol, seules |
dont 96 féminicides et 30 suicides d'auteurs |
ont lieu en dehors du couple |
ont donné lieu à une condamnation définitive |
Les violences faites aux femmes font système : elles reposent sur le sexisme, dont le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) relève chaque année, non la diminution, mais la progression : 28 % des hommes considèrent être davantage faits pour être patrons, et 9 femmes sur 10 indiquent avoir été récemment confrontées à une situation sexiste.
Le sexisme engendre, non seulement des inégalités, mais aussi des violences sexistes et sexuelles.
Si la réponse pénale a été affermie, notamment depuis le Grenelle des violences conjugales, trop peu d'affaires aboutissent à une condamnation définitive (environ 3 %).
Face à ce constat, la politique de lutte contre les violences faites aux femmes semble manquer de boussole stratégique : depuis la fin du Grenelle des violences conjugales, elle est marquée par la superposition de divers plans ; quant au Plan interministériel « Toutes et tous égaux », censé incarner l'ensemble de cette politique, il est jugé peu convaincant par la majorité des associations spécialisées.
II. MALGRÉ LA HAUSSE DES FINANCEMENTS, UNE « GRANDE CAUSE » ENCORE MAL DOTÉE
A. SI LES FINANCEMENTS DE LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ONT AUGMENTÉ, ILS DEMEURENT IMPARFAITEMENT ÉVALUÉS
1. Une augmentation des financements de l'État probablement insuffisante et dont l'impact est peu évalué
Crédits exécutés du programme 137
(en crédits de paiement)
Source : commission des finances du Sénat
Les crédits exécutés sur le programme 137 « Egalite entre les femmes et les hommes » ont sensiblement augmenté depuis 2020, passant de 36,5 millions d'euros à 101,1 millions d'euros en 2024 (+ 176,8 %).
Si cette hausse des crédits est bienvenue, les montants en question demeurent dérisoires, a fortiori lorsqu'on les rapporte aux coûts des violences : ce coût est estimé entre 2,5 et 70 milliards d'euros par an pour la France, selon les périmètres pris en compte.
Les associations spécialisées ont également réalisé des estimations des besoins, qui tendent à montrer que les financements actuels sont insuffisants, même en ne considérant que la fourchette basse.
Budget actuel et besoins estimés pour
lutter contre les violences
dans le couple selon la Fondation des
femmes
Source : Fondation des femmes
Si les estimations des besoins réalisées par les associations spécialisées paraissent quelque peu maximalistes, il n'en demeure pas moins que ces besoins sont réels, et que l'estimation réalisée par le Gouvernement dans le document de politique transversale (DPT) donne une image fantaisiste des financements de l'État.
En effet, la valorisation de certaines dépenses comme concourant à la politique de l'égalité repose sur des conventions discutables, comme la rémunération des professeurs pour l'enseignement moral et civique ; en outre, la hausse des crédits valorisés dans le DPT dépend plus de l'augmentation du nombre de programmes contributeurs que de réels efforts de l'État.
De même, l'efficacité des financements ne fait guère l'objet d'une évaluation. Il conviendrait à cet égard de revoir les indicateurs de performance du programme 137 et de mener à son terme la démarche de la budgétisation intégrant l'égalité (BIE), analogue au « budget vert », pour disposer d'une évaluation de l'impact des dépenses et des recettes publiques sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
Crédits valorisés dans le DPT
(en milliards d'euros - gauche -
et en nombre de
programmes - droite)
Source : commission des finances du Sénat
2. Les autres financements, dont l'ampleur est mal connue, sont sous-exploités
La participation des financements des collectivités territoriales à la lutte contre les violences faites aux femmes et, plus largement, à l'égalité entre les femmes et les hommes est mal connue. Il s'agit là d'une source de financement à mobiliser, de même que les fonds européens, que seules certaines associations sollicitent aujourd'hui. Il conviendrait de développer l'accès à ces fonds, en mobilisant dans l'idéal l'administration face à la complexité de la réglementation européenne.
Si les financements privés demeurent marginaux pour la plupart des associations, ils pourraient également être développés à condition de ne pas se substituer à des financements publics. La pratique de la Fondation des femmes, qui collecte des fonds privés et les redistribue à d`autres associations, devrait à cet égard être poursuivie et soutenue.
B. UNE POLITIQUE PUBLIQUE PROMUE AVEC CONVICTION PAR DES ACTEURS ENCORE INSUFFISAMMENT ÉQUIPÉS
1. L'administration de l'égalité : un mirage qui peine à devenir réalité
Le service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE), qui constitue l'administration dédiée du ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, n'est ni une direction d'administration centrale ni une délégation interministérielle. Il s'agit d'un service interne à la direction générale de la cohésion sociale. Cette administration « peine à remplir sa mission » selon la Cour des comptes, notamment en raison du manque de moyens et de son positionnement.
Il est temps que la cause de l'égalité ait, enfin, une administration à soi.
Quant au réseau déconcentré du SDFE, qui repose sur des délégations aux droits des femmes et à l'égalité (DFE), il est peu équipé et inégalement exploité. En effet, la Cour des comptes relève que ses effectifs sont inférieurs de 10 ETP à ce qu'ils devraient être en théorie, et recommande de le doter de moyens compatibles avec ses missions. De même, les délégations départementales reposent sur des agents très mobilisés mais qui doivent faire face, seuls, à l'écrasante masse de leurs missions. Si la hausse des effectifs devrait permettre de mieux doter le réseau des droits des femmes et de l'égalité, il conviendrait aussi de sécuriser le positionnement des délégués en privilégiant une affectation directement auprès du préfet, susceptible de leur donner plus de poids dans les décisions de l'administration déconcentrée.
Effectifs du SDFE et de son réseau déconcentré
(en euros, en ETP et en ETPT)
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
SDFE |
27,6 |
25,1 |
21,8 |
28,8 |
28,8 |
28,8 |
28,8 |
28,8 |
Coût estimé |
2 656 996,8 |
2 416 326,8 |
2 098 642,4 |
2 772 518,4 |
2 772 518,4 |
2 772 518,4 |
2 772 518,4 |
2 772 518,4 |
Réseau DFE |
125,5 |
124,6 |
124,6 |
122,7 |
124,2 |
120,6 |
130,6 |
130,6 |
Coût estimé |
12 081 634 |
11 994 992,8 |
11 994 992,8 |
11 812 083,6 |
11 956 485,6 |
11 609 920,8 |
12 572 600,8 |
12 572 600,8 |
Source : réponse de l'administration au questionnaire des rapporteurs spéciaux
2. Les associations : petites mains et bras (trop peu) armé de la lutte contre les violences
Le rôle des associations dans la conduite de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes est essentiel : elles disposent d'une expertise et d'une expérience de terrain indéniable, gèrent les ligne d'écoute, ainsi que des lieux d'information, d'accompagnement et d'orientation, etc. Elles sont véritablement celles qui mettent en oeuvre cette politique publique sur le terrain.
Si leurs financements ont augmenté de 79,8 % entre 2020 et 2024, cette hausse ne suffit pas à faire cesser la précarisation de l'action associative. Les associations sont en effet souvent dépendantes des fonds publics, mais les procédures du conventionnement n'ont guère été simplifiées et les versements sont souvent tardifs du fait des procédures administratives. Surtout, alors que de nombreuses associations sont en voie de professionnalisation, les financements au titre de leur personnels demeurent faibles : ainsi, l'élargissement de la prime Ségur aux associations représente une charge excessive pour nombre d'entre elles - qui n'est que partiellement compensée par l'État.
III. POURSUIVRE LA LUTTE MALGRÉ LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE : QUELLES PRIORITÉS ?
A. UNE LUTTE QUI DOIT DAVANTAGE INVESTIR LES VIOLENCES HORS DU COUPLE ET LA PRÉVENTION
Malgré d'importants progrès dans la protection des victimes de violences conjugales (déploiement des téléphones grave danger - TGD - des bracelets antirapprochement - BAR - et des ordonnances de protection), la prise en charge demeure perfectible. Ainsi, malgré la hausse des crédits du programme 137 (+ 176,8 %), la progression des moyens alloués aux structures d'accompagnement, qu'il s'agisse des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), des lieux d'écoute, d'accompagnement et d'orientation (LEAO) ou des accueils de jour (AJ) n'a pas été aussi importante (+ 61 % en cinq ans).
La refonte de certains dispositifs (LEAO et AJ) devrait être l'occasion de mieux penser leur intervention dans une logique de parcours.
Crédits dédiés aux structures d'accompagnement
(en millions de CP exécutés)
Source : commission des finances du Sénat
Il en en va de même pour les actions de prévention : la mise en oeuvre des actions en faveur de la culture de l'égalité dans l'Éducation nationale laisse à désirer selon la Cour des comptes, et l'impact des politiques d'égalité professionnelle n'est guère évalué.
Quant à la prise en charge des auteurs de violence dans les centres dédiés (CPCA), ses moyens sont inégalement répartis sur le territoire ; en outre, les CPCA ne sont pas assez mobilisés dans une optique de prévention : il conviendrait à cet égard de développer les actions en direction des publics volontaires, en amont de la commission des violences.
Il est ainsi proposé de remettre à plat le financement de CPCA et de développer la prévention.
B. LA NÉCESSITÉ DE FACILITER LES PARCOURS DE SORTIE DE LA PROSTITUTION
Bénéficiaires de PSP et de l'AFIS en 2024
Source : commission des finances du Sénat
Il a fallu attendre sept ans après la loi du 13 avril 2016 pour que chaque département soit enfin doté d'une commission départementale de lutte contre la prostitution (CDLP). C'est dire si l'application de la loi a été disparate sur le territoire.
Aujourd'hui encore, les personnes qui souhaiteraient s'engager dans des parcours de sortie de la prostitution (PSP) sont confrontées aux dysfonctionnements de ces commissions, soit qu'elles ne soient jamais réunies, soit que des refus de PSP soient opposés en méconnaissance de la loi.
Si la revalorisation de l'allocation financière d'insertion sociale (AFIS), versée aux bénéficiaires d'un PSP, permet de réduire leur précarité, il est également nécessaire de sécuriser leurs parcours de sortie du système prostitutionnel en veillant au bon fonctionnement des commission départementales.
C. DE LA MISE À L'ABRI À UN NOUVEAU DÉPART : L'HÉBERGEMENT ET LE LOGEMENT AU CoeUR DES BESOINS
Avec la création de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales (AUUVV), la politique de lutte contre les violences faites aux femmes se dotait d'une allocation dédiée. Les montants versés, souvent supérieurs aux prévisions, tendent à démontrer que cette aide répond à un véritable besoin. Les associations l'ont relativement bien accueillie en raison de son rôle essentiel dans le soutien aux victimes de violences et dans leur accompagnement au moment du départ du foyer du conjoint violent. Cette aide présente toutefois des limites (montant relativement faible, versé en une fois, difficultés administratives, etc.) qui en font un instrument insuffisant à lui seul.
C'est pourquoi la mise en place du « Pack nouveau départ », dont l'ambition est de permettre un accompagnement global des victimes qui quittent leur conjoint violent, doit impérativement être accélérée.
Nombre de places d'hébergement dans le parc
spécialisé
pour les femmes victimes de violences
Source : commission des finances du Sénat
De même, les besoins en matière d'hébergement pour les victimes de violences sont très importants.
Si un parc spécialisé a été développé depuis 2020, il ne suffit guère à loger les femmes qui en ont besoin ; en outre, l'analyse des données des services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) montre une tension croissante sur l'offre d'hébergement, la création du parc spécialisé semblant avoir été partiellement rendue possible par conversion de places d'hébergement existantes.
Une priorité ces prochaines années devrait donc être de développer les places d'hébergement à destination des victimes et de structurer un véritable parcours de la mise à l'abri jusqu'au retour à l'autonomie en passant par une phase d'accompagnement dans la durée, dans des solutions d'hébergement social ou d'habitat intermédiaire et en accompagnant le retour au parc privé par le développement de mécanisme de garantie locative.
LES PRINCIPALES
RECOMMANDATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
Axe n° 1 - Fonder la politique de lutte contre les violences faites aux femmes sur une stratégie et en évaluer l'efficacité
Fonder la politique de lutte contre les violences faites aux femmes sur un constat solide et une stratégie globale
Recommandation n° 1 : À l'avenir, prévoir une stratégie globale de lutte contre toutes les violences faites aux femmes.
Recommandation n° 2 : Conduire une nouvelle étude sur le coût des violences faites aux femmes, tenant compte de l'évolution des coûts publics et de l'essor de nouvelles formes de violence, dans un cadre et selon une méthodologie harmonisés avec les travaux antérieurs.
Évaluer l'efficacité de la dépense de lutte contre les violences
Recommandation n° 3 : Mettre en oeuvre la budgétisation intégrant l'égalité dès le PLF 2026 et y faire figurer, à terme, l'ensemble des dépenses et des ressources de l'État.
Recommandation n° 4 : Améliorer la pertinence des indicateurs de performance du programme 137, en contextualisant les indicateurs porteurs de biais voire en révisant ces indicateurs en lien avec les associations concernées.
Recommandation n° 5 : Mener à bien les recensions des documents permettant de mesurer la contribution des collectivités territoriales à la promotion de l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ; à terme, étendre la budgétisation intégrant l'égalité à toutes les grandes collectivités.
Axe n° 2 - Renforcer les moyens de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes
Favoriser la diversification - mais non la substitution - des financements
Recommandation n° 6 : Développer la contribution des collectivités territoriales au financement de solutions locales concourant à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment en associant les collectivités, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des justificatifs lorsqu'ils existent.
Recommandation n° 7 : Développer le recours aux fonds européens, y compris de manière indirecte, pour le financement d'action de lutte contre les violences faites aux femmes.
Recommandation n° 8 : Encourager le développement de solutions de financement sur fonds privés, en s'inspirant des pratiques de collecte de fonds de la Fondation des femmes ou en recourant à la vente de prestations de formation à l'égalité et à la lutte contre les violences.
Doter l'Égalité d'une véritable administration ministérielle
Recommandation n° 9 : Poursuivre le renforcement des moyens humain du SDFE et du réseau des délégations aux droits des femmes, en portant à terme les effectifs du réseau déconcentré au niveau qu'impliquent les missions définies par l'instruction ministérielle du 3 février 2017.
Recommandation n° 10 : Revoir le positionnement du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) en dotant cette politique publique d'une vraie administration centrale et interministérielle, en transformant le SDFE en délégation interministérielle et en y intégrant, éventuellement, la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).
Recommandation n° 11 : Privilégier le placement des délégués départementaux aux droits des femmes directement auprès des préfets de département.
Octroyer enfin aux associations des financements qui les sécurisent
Recommandation n° 12 : Poursuivre les travaux afin de fluidifier la procédure de conventionnement et d'améliorer les conditions d'octroi des subventions, en développant notamment le recours aux conventions pluriannuelles et en réduisant les délais de versement.
Axe n° 3 - Trois priorités pour poursuivre la lutte contre les violences faites aux femmes à l'heure des contraintes budgétaires
Élargir la lutte contre les violences à l'accompagnement et à la prise en charge des victimes ainsi qu'à la prévention
Recommandation n° 13 : Favoriser le développement des structures d'accompagnement et encourager l'émergence de structures de prise en charge intégrée des femmes victimes de violences en mobilisant des financements de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales, ainsi que des fonds privés.
Recommandation n° 14 : Assurer une coordination effective entre les différents plans nationaux de lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences faites aux enfants.
Recommandation n° 15 : Rationaliser les modalités de financement des centres de prise en charge des auteurs de violences (CPCA) afin d'assurer une meilleure répartition territoriale des crédits et de développer, à moyens constant, les actions de prévention auprès des publics volontaires.
Appliquer strictement la loi en matière de lutte contre la prostitution
Recommandation n° 16 : Favoriser les entrées et sécuriser la prise en charge en parcours de sortie de prostitution (PSP) en précisant les motifs qui peuvent à bon droit leur être opposés ainsi que le nombre minimal de réunions annuelles de la commission départementale et porter la durée entre chaque renouvellement de 6 à 12 mois dans la limite de 24 mois.
Permettre aux femmes qui fuient les violences de recouvrer progressivement leur complète autonomie
Recommandation n° 17 : Mener une évaluation de l'impact de l'aide universelle d'urgence sur les victimes afin d'identifier les axes d'amélioration du dispositif et accélérer le déploiement du pack nouveau départ en l'étendant à de nouveaux départements volontaires.
Recommandation n° 18 : Établir, en l'intégrant au reste de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, un véritable parcours d'hébergement continu et cohérent, permettant d'accompagner les victimes de la mise à l'abri en urgence jusqu'à leur retour à un logement autonome.
Recommandation n° 19 : Expérimenter, sur la base du volontariat, l'hébergement des auteurs de violences afin de laisser l'occupation du domicile à la victime.
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La lutte contre les violences conjugales a été qualifiée de « grande cause du quinquennat » par le Président de la République en 2017. Alors que le Grenelle des violences conjugales venait d'être lancé, la commission des finances du Sénat avait remis un rapport intitulé « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes »2(*). Cinq ans plus tard, il a paru nécessaire de se remettre à l'ouvrage : il s'agit d'une occasion de s'interroger sur l'évolution de ces financements depuis 2020.
La première partie du présent rapport dresse un état des lieux des violences faites aux femmes en France : celles-ci ont-elles diminué à la faveur des efforts menés par les pouvoirs publics ces dernières années ? La réponse est, malheureusement, résolument négative.
Sa deuxième partie s'interroge sur les moyens financiers et humains mis à la disposition de cette politique publique depuis 2020. Les financements, jugés insuffisants et morcelés à l'époque, ont-ils été consolidés ? Les dépenses en la matière atteignent-elles leurs objectifs ? L'administration et les associations sont-elles mieux équipées pour mener à bien leurs missions ? Le rapport y apporte une réponse mitigée : malgré une augmentation des financements, leur performance est insuffisamment évaluée ; l'administration n'a pas encore acquis les moyens humains nécessaires à un pilotage satisfaisant de sa politique ; quant aux associations, elles sont toujours fragilisées.
Il s'agit enfin, dans la troisième partie du rapport, de s'interroger, du point de vue des victimes des violences, sur la réalité de la prise en charge, de l'accompagnement et de la prévention. À l'heure où les deniers publics se raréfient, c'est au fond la question des priorités de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes qui est ici posée.
PREMIÈRE PARTIE :
FACE AUX VIOLENCES FAITES AUX FEMMES : UNE ACTION PUBLIQUE À
METTRE EN ORDRE DE BATAILLE
I. UN CONSTAT IMPLACABLE : LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES, OMNIPRÉSENTES, S'INTÈGRENT DANS UN SYSTÈME DE DOMINATION
A. LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES SONT ENCORE OMNIPRÉSENTES DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
1. Le couple demeure l'un des principaux théâtres des violences sexistes et sexuelles
D'après la lettre de l'observatoire national des violences faites aux femmes de 2024, dans sa mise à jour de février 20253(*), les violences au sein du couple sont à l'origine de 169 décès, dont 9 décès de mineurs, en 2023. Parmi les victimes, 96 sont des femmes, contre seulement 23 hommes. Hors du couple, 11 victimes « collatérales » ont été recensées ; il peut s'agir d'enfants majeurs ou des nouveaux compagnons des victimes lorsque la victime est l'ex-conjointe de l'auteur.
En sus des 139 victimes, 30 décès sont recensés au titre du suicide des auteurs de violence.
Évolution du nombre de féminicides entre 2020 et 2023
|
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Victimes |
156 |
170 |
166 |
139 |
dont femmes |
102 |
122 |
118 |
96 |
dont hommes |
23 |
21 |
27 |
23 |
dont enfants |
14 |
12 |
12 |
9 |
dont victimes collatérales |
17 |
15 |
9 |
11 |
Auteurs |
37 |
51 |
40 |
30 |
Total décès |
193 |
221 |
206 |
169 |
Tentatives |
238 |
251 |
366 |
451 |
dont victimes femmes |
nr |
190 |
267 |
327 |
dont victimes hommes |
nr |
61 |
99 |
124 |
Source : commission des finances, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
Ces chiffres ne sont guère différents de ceux de 2019, sur lesquels étaient fondé le « constat glaçant » des rapporteurs spéciaux d'alors4(*). En 2019, 121 femmes avaient été tuées sous les coups de leur conjoint ; elles étaient 102 en 2020, 122 en 2021 et 118 en 2022.
Si le nombre de femmes victimes de féminicide semble donc quelque peu diminuer depuis 2021, il faut se garder d'optimisme : la hausse des tentatives de féminicides ou d'homicide, passées de 238 en 2020 à 451 en 2023 (+ 89 %) ne laisse en effet pas d'inquiéter.
Les données de l'observatoire national des violences faites aux femmes, coproduites par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), les services statistiques des ministères (notamment le service statistique ministériel de la sécurité intérieure - SSMSI), les instituts de recherche et les associations, font également apparaître une hausse du nombre de victimes de crimes et délits au sein du couple enregistrés par les services de police et de gendarmerie.
Nombre de victimes de crimes et délits au sein du couple enregistrés par les services de police et de gendarmerie entre 2020 et 2023
Source : commission des finances, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
Cette hausse est impressionnante : elle est de 47,9 % s'agissant des violences volontaires ; elle représente même un doublement s'agissant des viols et des tentatives de viol.
Il est certes malaisé de déterminer les causes de ces augmentations : sont-elles dues à une véritable explosion des violences sexistes et sexuelles dans notre pays, où une partie au moins est-elle due à une meilleure prise en compte, par les services de police et de gendarmerie, des plaintes déposées ? Si la prépondérance du second facteur est à espérer, elle ne saurait être affirmée avec certitude.
Rien dans les données dont nous disposons ne permet en tout cas de constater une diminution des violences sexistes et sexuelles à la suite des prises de consciences sociales et politiques dues au mouvement #metoo. Cinq ans après le précédent rapport de la commission des finances sur les violences faites aux femmes, le constat ne semble guère changé. En effet, ainsi, 37 % des femmes ont déclaré avoir vécu au moins une fois une situation de non consentement, ce chiffre s'établissant même à près d'une femme sur deux chez les 25-49 ans5(*).
Il faut se rendre à l'évidence : le couple demeure l'un des principaux lieux dans lesquelles les violences faites aux femmes prospèrent ; toutefois, la majorité des violences enregistrées a lieu en dehors du couple.
2. La majorité des violences faites aux femmes a néanmoins lieu hors du couple
L'ampleur des violences conjugales ne doit pas faire oublier que la majorité des violences faites aux femmes intervient hors du couple. Les violences conjugales ne représentent en fait qu'une faible part des violences faites aux femmes (9,1 %), les violences intrafamiliale - hors couple - représentant 17,8 % et les violences hors du cercle familial en représentant 73,1 %.
Cadre social de commission des violences sexistes et sexuelles en 2023
Source : commission des finances, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
Les enquêtes de victimation tendent à confirmer l'ampleur des violences sexistes et sexuelles, qu'elles aient lieu en dehors ou au sein du couple. Ainsi, en 2022, les violences physiques au sein du couple ont fait 109 000 victimes et les violences sexuelles au sein du couple 123 000.
Ces chiffres, insupportables, sont à rapprocher des 153 000 personnes victimes d'au moins un viol ou d'une tentative de viol, des 217 0000 victimes d'au moins une agression sexuelle, ou encore des presque deux millions (1 191 000) de personnes victimes de harcèlement sexuel déclarées en 2022.
Nombre de victimes de violences sexistes et sexuelles déclarées en 2022
Source : commission des finances, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
Ces chiffres ne donnent à voir que les violences sexistes et sexuelles déclarées sur la seule année 2022. Or, au cours de leur vie, les femmes sont généralement confrontées à plusieurs reprises à des situations de violence, sur plusieurs années différentes.
Les violences sexistes et sexuelles constituent en effet une réalité quotidienne et omniprésente pour de nombreuses femmes. En témoignent les lieux de commissions des violences sexuelles : rue, lieu de travail, transports6(*), domicile... tous les lieux du quotidien sont fortement représentés, donnant à voir le caractère ordinaire de ces violences.
Lieu de commission des violences sexuelles en 2023
Source : commission des finances, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
Loin d'être confinées au sein du couple, les violences sexistes et sexuelles sont donc véritablement endémiques.
3. Les violences faites aux femmes connaissent de multiples et sordides déclinaisons
Les violences faites aux femmes, qu'elles aient lieu hors ou au sein du couple, connaissent de très nombreuses déclinaisons qui s'écartent parfois de l'image stéréotypée des violences conjugales.
Les violences pornographiques, mises en lumière par plusieurs rapports récents de la délégation aux droits des femmes du Sénat7(*) et du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE)8(*), constituent un bon exemple de violences trop longtemps ignorées. Ces rapports ont fait état de l'existence de violences sexistes et sexuelles perpétrées dans l'industrie pornographique, intrinsèquement liées au discours de haine sexiste et de violence misogyne omniprésent dans la pornographie.
C'est également le cas, en raison notamment du « procès de Mazan », de la soumission chimique, qui désigne le fait « le fait d'administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle »9(*). Selon le rapport remis au Gouvernement en mai 2025, « 127 personnes ont été mises en cause [en 2023] au titre de la seule soumission chimique (...). Ces chiffres représentent toutefois une estimation infinitésimale des situations : ce phénomène ne connait de frontières ni territoriales, ni sociales. »10(*)
Le cyberharcèlement à caractère sexiste constitue une forme particulière de violence en ligne : il peut prendre la forme de « raids » en ligne, lorsque par contagion, une multitude d'internautes ciblent une victime spécifique. Ils peuvent s'accompagner de « doxing » (diffusion d'informations personnelles pour nuire à la victime) ou de « fisha » (diffusion massive d'images privées). Il peut également prendre la forme d'un chantage sexuel dans le but d'obtenir de l'argent, autrement appelé « sextorsion ».
La violence en ligne peut également viser la diffusion non consentie d'images ou de vidéos (« revenge porn »), les menaces de viol, les brimades à caractère sexuel et les autres formes d'intimidation, le harcèlement sexuel en ligne, l'usurpation d'identité, la traque via des objets connectés, etc. Les femmes (en particulier les jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans) subissent, de manière disproportionnée, des formes graves de cyberharcèlement, à savoir la traque furtive et le harcèlement sexuel en ligne11(*).
On pourrait à l'envie poursuivre l'énumération des violences longtemps ignorées : emprise, violences obstétricales, etc. Mais l'exemple, peut-être le plus archétypal, des violences faites aux femmes reste celui de violence prostitutionnelle : celles-ci touchent majoritairement des femmes (94 %), et sont quasiment exclusivement le fait d'hommes (84 % des mis en cause pour proxénétisme sont des hommes). Elles s'inscrivent dans un véritable « système prostitutionnel »12(*), fondé sur le commerce lucratif du corps des femmes et perméable à la criminalité organisée, dans lequel les proxénètes « exploitent des vulnérabilités multiples et recourent souvent à l'utilisation de stupéfiants pour asseoir leur emprise. »13(*)
Une part très importante - près de la moitié (42 %) - des victimes du système prostitutionnel sont mineures. Elles présentent, dans leur écrasante majorité, des vulnérabilités particulières, et ont toutes, sans exception, été victimes de violences : 100 % des victimes accompagnées par l'Amicale du Nid ont été victimes de violences antérieures, de même que 100 % des victimes accompagnées par l'association Le Bus des Femmes ont subi des violences dans le cadre de la prostitution.
B. LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES PRÉSENTENT UN CARACTÈRE SYSTÉMIQUE, FONDÉ SUR LE SEXISME
Les travaux académiques, institutionnels ou associatifs ont depuis longtemps montré que les violences faites aux femmes s'intégraient dans un système fondé sur le sexisme.
Le sexisme selon le Haut conseil à l'égalité (HCE)
Le sexisme est un tout : il procède d'une représentation du monde fondée sur l'inégalité entre les femmes et les hommes, considérée comme naturelle. Il est la source de tous les stéréotypes de genre. Le sexisme engendre, non seulement des inégalités, mais aussi des violences sexistes et sexuelles. Il est à l'origine d'un continuum des violences, des plus anodines en apparence aux plus graves.
Source : HCE (2025)
Le sexisme comme fondateur d'un continuum de violences renvoie aux travaux de recherches féministes des années 1970, notamment à travers l'article séminal de Liz Kelly précisément intitulé « Le continuum de la violences sexuelle »14(*). Ce continuum s'étend des violences imperceptibles, parfois dissimulé sous les atours de l'élégance, jusqu'aux violences les plus abjectes comme les féminicides.
Ainsi Erving Goffman, dans L'Arrangement des sexes15(*) - ouvrage qui par ailleurs n'est guère féministe16(*) - entendait montrer comment la domination masculine s'inscrit dans les actes les plus quotidiens et exposer les dispositifs employés inconsciemment par les hommes pour dominer les femmes, tels que la galanterie.
Plus haut sur ce continuum, la prégnance des stéréotypes sexistes peut être saisie par le biais d'enquêtes d'opinion. Ainsi, dans son rapport de 2024 sur l'état des lieux du sexisme en France17(*), le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) notait la progression des stéréotypes de genre : 70 % des hommes considèrent ainsi qu'il leur revenait de prendre soin financièrement de leur famille pour être respectés dans la société, 28 % considèrent que les hommes sont davantage faits pour être patrons, et 26 % que la contraception est une affaire de femmes.
Dans le même rapport, le HCE relevait que les femmes sont « toujours autant nombreuses à déclarer avoir déjà personnellement vécu une situation sexiste : c'est le cas de quasiment 9 femmes sur 10 (86 %) ». Ces stéréotypes sont intégrés par les individus dès l'enfance, au cours de leur socialisation18(*) : cette acculturation commence dans le cadre familial, mais se poursuit à l'école jusqu'à l'intégration de stéréotypes professionnels - les femmes étant classiquement associés aux métiers du « care », moins rémunérateurs. Enfin, le numérique joue un rôle clé dans le renforcement des stéréotypes sexistes19(*).
Plus inquiétant encore est le « backlash » ou « retour de bâton » identifié par le Haut conseil à l'égalité en réaction aux avancées contre le sexisme et les violences faites aux femmes : le HCE relève en effet que « le masculinisme gagne du terrain » et constate un essor d'une certaine hostilité à l'émancipation des femmes dans la société : 37 % des hommes considèrent ainsi que le féminisme menace leur place et leur rôle.
Au plus haut du spectre des violences dues au sexisme se trouvent, bien évidemment, les violences sexuelles. Leur caractère systémique et profondément sexiste apparaît clairement lorsqu'on se penche sur le profil des victimes : il s'agit en très grande majorité de femmes, et celles-ci ne représentent jamais moins de 95 % des victimes.
Part des femmes et des hommes parmi les victimes de violences sexuelles en 2023
Source : commission des finances, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
Bien sûr, certains hommes sont également victimes de violences sexuelles, mais cela ne signifie pas que les auteurs de ces violences soient des femmes. La comparaison avec les violences physiques volontaires, pour lesquelles les femmes ne représentent « que » 84 % des victimes, confirme le caractère éminemment sexiste des violences sexuelles.
II. LES POUVOIRS PUBLICS PEINENT À DÉFINIR UNE STRATÉGIE CLAIRE EN DEHORS DE LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES
A. UNE RÉPONSE PÉNALE PROGRESSIVEMENT AFFERMIE, MAIS QUI PRÉSENTE ENCORE D'IMPORTANTES FAILLES
1. Un renforcement de l'arsenal répressif ces dernières années
La prise de conscience de l'impact du sexisme et des violences sexistes et sexuelles qui l'accompagnent ont conduit les pouvoirs publics à renforcer substantiellement l'arsenal législatif - et particulièrement répressif - en la matière. Dans leur rapport de 2020, les rapporteurs spéciaux d'alors avait dressé une liste des lois pénales adoptées, depuis les années 1990, afin de lutter contre les violences faites aux femmes - qu'il suffise ici d'y renvoyer le lecteur intéressé.
Les rapporteurs spéciaux constatent que, depuis 2019, cet arsenal législatif et réglementaire a été élargi et renforcé.
Dispositifs législatifs adoptés
depuis 2019 pour renforcer
la lutte contre les violences conjugales et
intrafamiliales
Loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille : création du dispositif du bracelet antirapprochement (BAR) et accélération de la procédure d'obtention de l'ordonnance de protection à six jours.
Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique : prévoit la mise en oeuvre obligatoire de dispositifs de signalement des violences, harcèlements et agissements sexistes dans la fonction publique.
Loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : renforce de façon significative la protection des victimes en autorisant la levée du secret médical lorsque les violences mettent la vie de la victime en danger immédiat. Le « suicide forcé » est reconnu dans le code pénal, comme circonstance aggravante du délit de harcèlement moral au sein du couple.
Décret n° 2021-1820 du 24 décembre 2021 relatif aux mesures de surveillance applicables, lors de leur libération, aux auteurs d'infractions commises au sein du couple : renforce la protection des victimes lors de la libération de l'auteur de violences conjugales en encadrant les mesures de surveillance (BAR, TGD, interdictions de contact) pour éviter toute rupture de suivi.
Loi du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales sous la forme d'une aide non remboursable ou d'un prêt sans intérêt. Cette aide vise à permettre aux victimes qui quittent le foyer conjugal de faire face aux dépenses immédiates en attendant de trouver une solution durable.
Décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023 : institue des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel. La circulaire de du 24 novembre 2024 organise sa mise en oeuvre.
Loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales, qui prévoit :
- le retrait total de l'autorité parentale par les juridictions en cas de condamnation pour agression sexuelle, viol incestueux ou autre crime sur son enfant, et en cas de crime commis sur l'autre parent ;
- la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale, des droits de visite et d'hébergement au parent poursuivi ou mis en examen pour agression sexuelle ou viol incestueux ou pour tout autre crime commis sur son enfant ;
- la délégation forcée de l'exercice de l'autorité parentale en cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation pour crime ou agression sexuelle incestueuse commis sur son enfant par un parent s'il est seul titulaire de l'exercice de l'autorité parentale ;
- la suspension des droits de visite et d'hébergement des parents sous contrôle judiciaire pour violences intrafamiliales.
Loi du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate : adoptée à la suite du rapport parlementaire « Plan rouge VIF - Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales », cette loi prévoit notamment de :
- porter à 12 mois la durée initiale des mesures prononcées ;
- masquer l'adresse de la victime sur les listes électorales ;
- permettre au juge de délivrer sous 24 heures une ordonnance provisoire de protection immédiate, en cas de danger grave et imminent. Il peut aussi prononcer plusieurs mesures contre l'auteur présumé des violences : interdiction d'entrer en contact avec la ou les victimes ; interdiction de paraître dans certains lieux (domicile, lieu de travail de la victime...) ; suspension du droit de visite et d'hébergement ; interdiction de détenir une arme et obligation de la remettre aux forces de l'ordre.
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses aux questionnaire des rapporteurs spéciaux
Les rapporteurs spéciaux se félicitent de l'accélération de la prise de conscience politique sur la question des violences conjugales et intrafamiliales et de ses traductions législatives.
Ce satisfecit s'étend, plus largement, des violences sexistes et sexuelles, bien qu'il faille relever le caractère plus incident des mesures législatives prises en la matière : ainsi la question des violences sexistes et sexuelles est-elle à l'occasion traitée dans le cadre sportif ou dans le cadre numérique - ce qui est évidemment très positif - mais sans que le problème ne soit appréhendé dans sa globalité.
Dispositifs législatifs adoptés
depuis 2019 pour renforcer
la lutte contre les violences sexistes et
sexuelles
Loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste : instauration de seuils d'âge de non-consentement (15 ans ou 18 ans en cas d'inceste), autorisant la ratification de la convention n° 190 de l'Organisation internationale du travail (automaticité des qualifications criminelles, allongement des délais de prescription.
Loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France : formation obligatoire à la lutte contre les violences sexuelles dans les cursus des métiers du sport et obligation d'information des licenciés sur la possibilité de souscrire une assurance de protection juridique en cas de violences, notamment d'abus sexuels ou d'autorité.
Loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) : transformation de l'outrage sexiste et sexuel aggravé en délit puni de 3 750 euros (avec possibilité d'amende forfaitaire de 300 euros).
Décret n° 2023-227 du 30 mars 2023 relatif à l'outrage sexiste et sexuel non aggravé : élève la contravention à la 5ème classe (amende forfaitaire portée à 1 500 euros).
Loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l'espace numérique : lutte contre le cyberharcèlement, sanctions pour les deepfakes à caractère sexuel, obligation de vérification de l'âge sur les plateformes pornographiques.
Surtout, d'autres sujets n'ont guère suscité l'intérêt du législateur ces dernières années.
Ainsi, ni la lutte contre la prostitution ni la prévention des violences (par l'éducation par exemple) n'ont fait l'objet d'un renforcement législatif ces dernières années ; non qu'un tel renforcement eût été nécessaire si la loi avait été strictement appliquée, mais le présent rapport s'attachera à montrer les limites importantes auxquelles ces politiques ont été confrontées ces dernières années20(*).
2. La réponse pénale demeure perfectible compte-tenu du caractère endémique des violences sexistes et sexuelles
Comme le relevait nos collègues Elsa Schalck et Dominique Vérien dans leur rapport sur la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles21(*), « bien que substantielles, les avancées du droit n'ont pas encore permis une répression satisfaisante du viol et des autres agressions sexuelles. »
Les statistiques avancées par ce même rapport attestent ainsi d'un « triple « décrochage » de la réponse pénale » : seule une faible minorité des violences sexuelles est dénoncée à la police ou à la gendarmerie ; parmi elles, une large proportion fait l'objet d'un classement sans suite ; enfin, les condamnations restent rares.
Au total, sur un minimum évalué à 230 000 victimes et donc à 230 000 faits de violences sexuelles commis chaque année, moins de 8 000 donnent lieu à une condamnation.
Les chiffres publiés par l'Observatoire national des violences faites aux femmes corroborent ce constat : sur les 33 307 mises en causes pour viols en 2023, 64 % ont fait l'objet d'un classement sans suite pour seulement 36 % de poursuites lancées ; et parmi ces affaires poursuivies, seules 1 117 ont donné lieu à une condamnation définitive.
Orientation des affaires de viol hors du couple en 2023
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
B. APRÈS LE GRENELLE DE 2020, UNE POLITIQUE PUBLIQUE EN MANQUE DE BOUSSOLE STRATÉGIQUE
1. Le Grenelle des violences conjugales : une avancée majeure
Le Grenelle des violences conjugales, lancé par le Gouvernement en 2020, a été l'occasion de prendre, aux termes du SDFE, « des mesures emblématiques et structurantes ont été réalisées pour protéger, accompagner et prendre en charge les victimes. » Pour ne citer que quelques exemples, de telles mesures incluent notamment la généralisation du bracelet antirapprochement (BAR) pour géolocaliser le conjoint violent et le déploiement des téléphones grave danger (TGD), le déploiement de la procédure du dépôt de plainte dans les hôpitaux ou encore la mise en place des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel.
Cinq ans après, les rapporteurs spéciaux sont satisfaits de constater que, malgré un démarrage difficile dont les rapporteurs d'alors avaient souligné les limites en 2020, l'écrasante majorité des mesures du Grenelle a été mise en oeuvre.
La mise en oeuvre des mesures du Grenelle
- le 3919 est accessible 24h/24, 7j/7. Depuis 2021, la plateforme téléphonique est accessible aux personnes en situation de handicap (sourdes, malentendantes, aphasiques) et allophones (plus de 200 langues) ;
- le dépôt de plainte est possible dans 542 établissements de santé, dont 61 prévoient le recueil de preuves sans plainte ;
- 3 103 ordonnances de protection ont été délivrées entre janvier et septembre 2024 (entre 2017 et 2023, le nombre d'ordonnances de protection délivrées a augmenté de 187 %) ;
- 6 261 téléphones grave danger sont déployés sur le territoire, dont 5 066 affectés à une victime début janvier 2025 ;
- 817 bracelets antirapprochement (BAR) étaient actifs début janvier 2025 ;
- 488 intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG) sont déployés sur l'ensemble du territoire ;
- au 31 décembre 2024, 11 172 places d'hébergement sont dédiées aux femmes victimes de violence (le nombre de places a plus que doublé depuis 2017) ;
- 30 unités d'accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED) ont été installées afin de recueillir dans de bonnes conditions la parole de l'enfant ;
- en avril 2025, 107 maisons des femmes/santé, adossées à des centres hospitaliers pour la prise en charge des victimes de violences sont en activité ou en projet dans 86 départements ;
- 15 centres de ressources « Intimagir » sont en place pour accompagner les femmes en situation de handicap dans leur vie intime et leur parentalité ;
- 30 centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) ont été déployés.
Source : réponses du SDFE au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Le bilan de la mise en oeuvre des mesures du Grenelle des violences conjugales, transmis aux rapporteurs spéciaux par le SDFE qui en assure le suivi, ne mentionne ainsi que deux mesures encore en cours de mise en oeuvre. Il s'agit :
- de la création d'une cartographie des professionnels et des structures engagés dans la prévention et la prise en charge des victimes de violences conjugales à destination des professionnels de santé, qui figure toujours comme « en cours de réalisation » dans la documentation transmise aux rapporteurs spéciaux ; à ce stade, seules trois régions en sont dotées, le reste devrait intervenir dans le cadre de la refonte du site « Arrêtons les violences » programmée pour fin 2025 ;
- de la création d'un fichier unique de suivi des auteurs de violences conjugales, qui doit encore intégrer les bases de mains courantes.
À l'exception de ces deux mesures, l'ensemble du Grenelle a été pleinement mis en oeuvre selon l'administration.
S'agissant du bilan budgétaire, les crédits d'intervention de l'État exécutés de 2020 à 2024, sur les différents programmes des ministères pilotes dans le cadre des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, pour la mise en oeuvre des mesures du Grenelle est présenté dans le tableau ci-dessous : l'effort financier cumulé dans le cadre du Grenelle s'élève 740,3 millions d'euros sur cinq ans, principalement au titre de la création de 1 000 nouvelles solution de logement et d'hébergement pour les victimes de violences conjugales (429 millions d'euros depuis 2021).
Bilan financier du Grenelle des violences conjugales depuis 2020
(en crédits de paiement de 2020 à 2024, en autorisation d'engagement pour 2025)
N° |
Action |
co-financeurs |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
Total (hors 2025) |
5 |
Étendre les horaires du 3919 et le rendre accessible, aux personnes en situation de handicap |
1 627 640 |
2 281 582 |
2 615 408 |
4 300 000 |
4 150 000 |
4 150 000 |
14 974 630 |
|
12 |
Créer 80 postes supplémentaires d'intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries bénéficiant d'un financement de l'État |
6 450 000 |
6 960 000 |
8 810 000 |
8 970 000 |
8 650 000 |
NC |
39 840 000 |
|
17 |
Consolider et développer des structures dédiées à la prise en charge sanitaire, psychologique, sociale des femmes victimes de violences. |
5 100 000 |
5 100 000 |
7 600 000 |
13 400 000 |
19 500 000 |
31 200 000 |
||
21 |
Créer 1000 nouvelles solutions de logement et d'hébergement. |
91 270 000 |
93 170 000 |
125 530 000 |
120 000 000 |
NC |
429 970 000 |
||
29 |
Déployer dans chaque région un centre de ressources pour accompagner les femmes en situation de handicap dans leur vie intime et leur parentalité. |
3 000 000 |
3 000 000 |
3 000 000 |
3 000 000 |
9 000 000 |
|||
33 |
Développer les espaces de rencontre, lieux neutres protégeant les mères et leurs enfants en cas de séparation. |
CNAF |
NC |
NC |
16 900 000 |
23 430 000 |
24 910 000 |
NC |
65 240 000 |
Justice |
NC |
6 116 194 |
7 131 084 |
7 798 066 |
8 536 388 |
9 730 745 |
29 581 732 |
||
34 |
Promouvoir les auditions des Unités d'accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED) afin de recueillir dans de bonnes conditions la parole de l'enfant |
DGOS |
NC |
NC |
NC |
NC |
25 360 000 |
29 360 000 |
25 360 000 |
Justice |
NC |
NC |
NC |
NC |
141 326 |
NC |
141 326 |
||
38 |
Mieux connaitre les profils socio-démographiques des auteurs. |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
|||
40 |
Généraliser le bracelet antirapprochement. |
1 500 000 |
4 500 000 |
8 400 000 |
12 800 000 |
14 000 000 |
15 000 000 |
41 200 000 |
|
49 |
Plan de renforcement de la mise en oeuvre des bracelets antirapprochement (BAR) |
||||||||
41 |
Renforcer les mesures de suivi de l'auteur et de prévention de la récidive à partir de pratiques déjà développées par certaines juridictions. |
1 100 000 |
2 100 000 |
2 400 000 |
2 400 000 |
5 600 000 |
|||
42 |
Renforcer les mesures de suivi de l'auteur et de prévention de la récidive par la mise en place de 2 centres de suivi et de prise en charge des auteurs par région. |
4 682 880 |
5 742 880 |
5 742 880 |
5 742 880 |
5 742 880 |
21 911 520 |
||
48 |
Le déploiement de 5000 téléphones grave danger d'ici 2022 (mesure Novembre 2021) |
1 755 245 |
2 312 402 |
5 610 688 |
8 160 928 |
8 494 059 |
NC |
26 333 322 |
|
51 |
Création d'un fichier unique de suivi des auteurs de violences conjugales |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
NC |
||
TOTAL |
11 332 885 |
123 223 058 |
157 580 060 |
209 431 874 |
238 784 653 |
88 883 625 |
740 352 530 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du SDFE au questionnaire des rapporteurs spéciaux
2. La lutte contre les violences hors du couple en manque de boussole stratégique
a) La floraison des plans interministériels et de stratégies sectorielles
Plusieurs plans triennaux de prévention et de lutte contre les violences conjugales se sont succédés jusqu'en 2019, année durant laquelle, à la suite de la déclaration du Président de la République qualifiant les violences faites aux femmes de « Grande Cause » du quinquennat, le Grenelle des violences conjugales a constitué, ainsi qu'il a été dit, une avancée majeure en la matière.
La superposition des plans en matière
d'égalité femmes-hommes
vue par la Cour des comptes
en 2023
Source : Cour des comptes
Mobilisant 4 550 acteurs, associations, élus, experts, professionnels de la justice ainsi que des victimes et leurs associations, il s'est traduit par une forte progression des financements, la mise en oeuvre du Grenelle des violences conjugales a été perçue positivement par l'ensemble des acteurs concernés. Ainsi, les associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont, dans leur globalité, considéré que le bilan du Grenelle était positif ; la Fédération des femmes a par exemple souligné un véritable effort de l'État sur l'accueil dans les commissariats et les avancées permises par les bracelets antirapprochements (BAR) et les téléphones grave danger (TGD). De manière générale, l'augmentation des moyens financiers qui l'a accompagné a été en effet très appréciée.
De même, la Cour des comptes, dans un rapport sur la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes remis en septembre 202322(*), avait salué « des avancées dans la lutte contre les violences conjugales »23(*).
Toutefois, les rapporteurs spéciaux partagent le sentiment de la Cour qui soulignait, dans ce même rapport, une « absence de stratégie nationale globale suivie et évaluée » en dehors de la lutte contre les violences conjugales. Depuis la publication du dernier rapport de la commission des finances24(*) et celle du rapport précité de la Cour des comptes, la tendance à a multiplication des plans, le plus souvent en prolongement de plans et de stratégies préexistants, ne s'est pas atténuée.
Ainsi, la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle, lancée le 2 mai 2024 poursuit les actions engagées par le plan de lutte contre la prostitution des mineurs de 2021 et vise à renforcer la lutte contre la prostitution et l'exploitation sexuelle dans son ensemble, conformément à la loi du 13 avril 2016.
De même, le plan national de lutte contre la traite des êtres humains (2024-2027), qui inclut la lutte contre toutes les formes d'exploitation, y compris sexuelles, est piloté par la mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).
Il existe également un plan national de lutte contre les mutilations sexuelles féminines, lancé en 2019 et complété en 2025 par un plan francilien, piloté par la délégation régionale aux droits des femmes et à l'égalité d'Île-de-France.
Enfin, le SDFE a signalé l'existence, dans plusieurs ministères d'initiatives ou plans sectoriels pour renforcer la prévention et la prise en charge des violences dans leurs champs de compétence. Il en va ainsi :
- du plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur (2021)
- du comité d'action contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles dans les transports (2022) ;
- des conventions nationales de prévention des violences dans le sport (2020-2024) ;
- des plans de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans le secteur culturel, dont le plus récent couvre la période 2025-2027 ;
- du programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein des armées, renforcé à la suite de la mission d'enquête menée en 2024 ;
- du plan de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le secteur de la santé (2024).
b) Un plan interministériel global jugé peu convaincant par les acteurs concernés
Le Plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes « Toutes et tous égaux » 2023-2027 a pour ambition de prolonger la dynamique du Grenelle en donnant une nouvelle impulsion à la mobilisation de tous les acteurs. La lutte contre les violences faites aux femmes en est le premier axe. Les trois autres axes de ce plan interministériel sont consacrés respectivement à la santé des femmes, à l'égalité professionnelle et à la culture de l'égalité.
Le bilan de l'axe n° 1, consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes donne à voir, à mi-parcours, une avancée relativement satisfaisante de la mise en oeuvre de ce plan. En effet, sur les 46 mesures que comporte l'axe n° 1 du plan « Toutes et tous égaux », plus de la moitié ont été pleinement réalisées et achevées (5 mesures) ou sont engagées et en cours de déploiement (21 mesures). Parmi celles qui ne sont pas aussi bien avancée, 17 mesures sont, selon le SDFE, « en phase de mise en oeuvre », et 3 « nécessitent des ajustements. »
Les mesures les plus significatives de l'axe n° 1 du plan « Toutes et tous égaux »
Protéger et accompagner les victimes :
- l'expérimentation du Pack nouveau départ (cf. infra) et la mise en oeuvre de l'aide universelle d'urgence (cf. infra) pour les victimes de violences conjugales ont pour objectifs de faciliter une sortie définitive des violences ;
- le déploiement des dispositifs « d'aller vers » visent spécifiquement les femmes isolées socialement et/ou géographiquement, en ruralité et en quartiers prioritaires de la politique de la ville, afin d'améliorer leur accès aux droits, prévenir et accompagner celles qui sont victimes de violences ;
- le développement de places d'hébergement d'urgence et de logement adapté pour les femmes victimes de violences ;
- la promotion, auprès du grand public, des applications créées par des associations et des entreprises, permettant de prévenir et de lutter contre les violences sexistes, sexuelles et au sein du couple.
Améliorer la réponse sanitaire apportée aux femmes victimes de violences :
- la mise en place dans chaque département d'une maison des femmes/santé, pour la prise en charge sanitaire, psychologique et sociale des victimes de toutes les formes de violences ;
- le renforcement des 15 centres régionaux de prise en charge du psycho-traumatisme (CRP) dont la structuration est confortée par le ministère en charge de la santé notamment pour les enfants et adolescents (mesure issue des assises de la santé mentale et de la psychiatrie).
Améliorer le parcours judiciaire et l'accompagnement des victimes, à travers :
- le déploiement du dépôt de plainte dans les hôpitaux et cliniques, qui est aujourd'hui possible dans 542 établissements de santé, dont 61 prévoient le recueil de preuves sans plainte, grâce à la coordination entre les forces de l'ordre et les directions des établissements hospitaliers, en lien avec les agences régionales de santé ;
- la mise en place, depuis le 1er janvier 2024, des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales dans les tribunaux judiciaires et cours d'appel. L'objectif est de pouvoir traiter en transversalité les dossiers de violences intrafamiliales à la fois sur le plan civil (affaires familiales, assistance éducative, autorité parentale...) et sur le plan pénal (pôle mineurs-famille au parquet, audiences correctionnelles) avec un dossier unique et des audiences dédiées.
S'agissant du bilan budgétaire, les crédits d'intervention de l'État exécutés de 2020 à 2024, sur les différents programmes des ministères pilotes dans le cadre des lois de finances de l'État et de financement de la sécurité sociale, pour la mise en oeuvre des mesures du Plan « Toutes et tous égaux » sont recensés dans le tableau ci-dessous.
Il est précisé que, pour 2025, les crédits qui seront consacrés à la mise en oeuvre de mesures du Plan interministériel ne sont encore que partiellement disponibles ; il convient également d'indiquer que, pour les mesures de l'axe n° 1, qui forment une continuité directe des actions engagées dans le cadre du Grenelle (mesures n° 7, 17, 20 et 21), les crédits mobilisés sont intégrés dans le bilan du Grenelle, présenté supra.
Bilan financier du plan « Toutes et tous égaux » depuis 2023
(en crédits de paiement pour 2023 et 2024, en autorisation d'engagement pour 2025)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du SDFE au questionnaire des rapporteurs
Nr |
Actions |
Ministère pilote/financeur |
2023 |
2024 |
2025 |
Total |
0 |
Déployer le Pack Nouveau Départ |
Égalité |
0 |
300 000 |
|
300 000 |
1 |
Dresser un état des lieux des applis numériques afin d'optimiser et rendre lisible les outils pour les victimes et lancer un appel à projets (AAP) |
Égalité |
100 000 |
120 000 |
|
220 000 |
2 |
Développer et valoriser les outils de coffre-fort des preuves (Mémo de vie, He Hop...) |
Égalité |
50 000 |
50 000 |
|
100 000 |
Justice |
NC |
NC |
NC |
|
||
3 |
Encourager le développement des outils immersifs (réalité virtuelle) de formation visant à prévenir les violences sexuelles et sexistes, et les mettre à disposition des entreprises et la fonction publique |
|
111 000 |
109 637 |
|
220 637 |
4 |
Déployer un réseau d'ambassadeurs nationaux chargés des actions de sensibilisation en direction des personnels et des élèves de collèges et lycées |
Éducation nationale |
70 000 |
70 000 |
70 000 |
140 000 |
5 |
Lancer une campagne de sensibilisation sur les mutilations sexuelles féminines avant le départ en vacances estivales |
Égalité |
||||
7 |
Sécuriser de manière pluriannuelle le financement des centres ressources vie intime, affective et sexuelle |
Solidarités/ handicap |
3 000 000 |
3 000 000 |
3 000 000 |
6 000 000 |
11 |
Prolonger la campagne de communication à l'égard des usagers |
Transports |
|
1 000 000 |
|
1 000 000 |
14 |
A l'occasion des JO 2024, déployer une campagne de prévention et de communication ciblée sur le public étudiant, sur les risques de violences sexuelles et sexistes (VSS) dues aux consommations massives d'alcool |
Santé |
|
120 000 |
|
120 000 |
15 |
Développer les permanences associatives pour recueillir la parole des victimes au sein des Maisons France Services et des Bus France Service et former le personnel France Services au repérage et à l'orientation ; Renforcer les bus itinérants associatifs d'information |
Égalité |
1 700 000 |
1 700 000 |
1 700 000 |
3 400 000 |
17 |
Doter chaque département d'une structure médico-sociale de prise en charge globale des femmes victimes de tous types de violences, adossée à un centre hospitalier, et y généraliser le recueil de plainte |
Santé (ONDAM) |
7 600 000 |
13 400 000 |
19 500 000 |
21 000 000 |
18 |
Doter chaque département d'un dispositif de recueil de preuve sans plainte en établissement de santé |
Santé/Intérieur |
NC |
NC |
NC |
|
19 |
Enrichir le fichier relatif au violences intrafamiliales (FPVIF) des données relatives à la victime, notamment les ordonnances de protection (ODP), bracelets antirapprochement (BAR) |
Justice |
NC |
NC |
NC |
|
20 |
Renforcer le soutien, notamment financier, aux associations en charge des téléphones grave danger (TGD) et revoir les marchés publics associés |
Justice |
8 160 928 |
8 500 000 |
11 500 000 |
16 660 928 |
21 |
Renforcer l'efficacité technique des bracelets antirapprochement (ergonomie, connectivité et capacité de batterie, couverture réseau) |
Justice |
12 800 000 |
14 000 000 |
15 000 000 |
26 800 000 |
31 |
Créer des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein de chaque juridiction |
Justice |
|
NC |
NC |
|
33 |
Renforcer et pérenniser le financement des associations intervenant en matière de violences intrafamiliales |
Justice |
NC |
10 200 000 |
NC |
76 193 000 |
Intérieur |
30 993 000 |
35 000 000 |
NC |
|||
39 |
Favoriser l'éloignement des auteurs en créant de nouvelles places d'hébergement notamment mobilisables par les CPCA |
Logement |
|
|
|
|
39 |
Extension de l'expérimentation du contrôle judiciaire avec placement probatoire |
Justice |
2 100 000 |
2 400 000 |
NC |
4 500 000 |
41 |
Renforcer les moyens dédiés à l'ARIPA (agence de recouvrement et intermédiation des pensions alimentaires) |
Santé (DSS) |
NC |
NC |
NC |
|
43 |
Généraliser l'accompagnement pluridisciplinaire des familles endeuillées |
Justice |
NC |
NC |
NC |
|
44 |
Renforcer le maillage territorial des centres régionaux du psychotraumatisme, harmoniser leurs pratiques et favoriser la prise en charge des personnes vivant avec un handicap |
Santé (ONDAM) |
716 000 |
716 000 |
716 000 |
1 432 000 |
Total par année |
67 400 928 |
90 685 637 |
51 486 000 |
158 086 565 |
Par rapport à la mise en oeuvre financière du Grenelle, on constate que le montant des dépenses prévues pour les trois premières années de mise en oeuvre du plan « Toutes et tous égaux » est inférieur (209,6 millions d'euros) à celui prévu pour les trois premières années de mise en oeuvre du Grenelle (292 millions d'euros). Cette affirmation peut toutefois être nuancée car le constat s'inverse lorsque l'on ne s'intéresse qu'aux deux premières années : 158,1 millions d'euros sont prévus pour les deux premières années du plan « Toutes et tous égaux », contre 134,5 millions d'euros pour les deux premières années du Grenelle.
En tout état de cause, le montant des dépenses n'est pas en soi un gage d'efficacité de la politique publique.
La perception de ce plan par les associations est mitigée. Certaines mettent en avant les aspects positifs de ce plan, à l'instar du collectif féministe contre le viol qui a indiqué « souhait[er] l'application du plan », notamment la généralisation des structures types maisons des femmes dans chaque département et le recueil de preuves sans plainte.
D'autres associations, sans nier les potentielles avancées qui seraient permises par ce plan, ont plutôt insisté sur ses lacunes : l'association « Femmes pour le dire, femmes pour agir » a ainsi regretté l'absence de mention de l'intersection entre genre et handicap. La fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FN-CIDFF) a quant à elle remarqué un manque de coordination avec les plans et stratégie de lutte contre la prostitution, et la Fondation nationale solidarité femmes (FNSF) a mis en avant l'inadéquation des moyens avancés avec les besoins sur le terrain.
En s'appuyant sur le rapport remis au Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO)25(*), les associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont enfin relevé, comme l'avait fait la Cour des comptes, « l'absence de politique publique globale et coordonnée »26(*), ce plan ayant été présenté sans concertation et sans « visibilité sur son portage ». Dès lors, les associations considèrent qu'il « n'y a clairement plus de feuille de route ni de politique globale. »27(*)
Les rapporteurs spéciaux recommandent donc, à l'avenir, de prévoir une stratégie globale de lutte contre toutes les violences faites aux femmes.
Recommandation : À l'avenir, prévoir une stratégie globale de lutte contre toutes les violences faites aux femmes
DEUXIÈME
PARTIE :
MALGRÉ UNE HAUSSE DES FINANCEMENTS, UNE GRANDE CAUSE
ENCORE MAL DOTÉE
I. LES FINANCEMENTS DE LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES, BIEN QU'EN AUGMENTATION, DEMEURENT MORCELÉS ET IMPARFAITEMENT ÉVALUÉS
A. SI LES FINANCEMENTS DE L'ÉTAT CONNAISSENT UNE AUGMENTATION INDÉNIABLE, LEUR MESURE ET LEUR PERFORMANCE SONT DIFFICILES À ÉTABLIR AVEC PRÉCISION
1. Le programme 137 : des montants en augmentation, mais qui restent à eux seuls dérisoires
Le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » vise notamment à financer des actions d'accès au droit, de lutte contre les violences faites aux femmes et destinées à favoriser l'émancipation économique des femmes. Il est le seul programme du budget général de l'État à être entièrement consacré à l'égalité entre les femmes et les hommes.
En 2024, les crédits exécutés sur ce programme s'élevaient à 100,8 millions d'euros en AE et 101,1 millions d'euros en CP. Par rapport à 2020, les crédits du programme 137 ont ainsi presque triplé (+ 176,8 %), ayant connu un taux de croissance annuel moyen de 29 % sur les cinq années considérées.
Évolution des crédits exécutés sur le programme 137 entre 2020 et 2024
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
a) Une hausse des crédits tirée principalement par la lutte contre les violences faites aux femmes
La maquette budgétaire du programme a été totalement refondue à l'occasion du projet de loi de finances pour 2019, puis à nouveau à l'occasion du projet de loi de finances pour 2022. Comme les rapporteurs spéciaux d'alors l'avaient relevé, cette instabilité de la documentation ne participe pas à lever les difficultés de suivi des crédits du programme.
Évolutions de la maquette budgétaire du programme 137 depuis 2019
Maquette jusqu'en 2019 |
Maquette entre 2019 et 2021 |
Maquette depuis 2022 |
Action 11 - Actions et expérimentations pour la culture de l'égalité et en faveur de l'égalité professionnelle, politique et sociale |
Action 21 - Politiques publiques - accès aux droits (dispositifs spécifiques portant sur des actions d'information et d'orientation des femmes, sur la prévention, l'accompagnement et la prise en charge des femmes victimes de violences physiques et sexuelles et sur des actions de prévention et lutte contre la prostitution) |
Action 24 - Accès aux droits et égalité professionnelle (dispositifs spécifiques portant sur des actions d'information et d'orientation des femmes, actions innovantes et partenariats visant à développer la culture de l'égalité et l'égal accès des femmes à la vie sociale) |
Action 12 - Promotion des droits, prévention et lutte contre les violences sexistes |
Action 22 - Partenariats et innovations (actions innovantes et partenariats visant à développer la culture de l'égalité et l'égal accès des femmes à la vie sociale, dont mise en oeuvre du plan interministériel pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes) |
Action 25 - Prévention et lutte contre les violences et la prostitution (dispositifs spécifiques portant sur la prévention, l'accompagnement et la prise en charge des femmes victimes de violences physiques et sexuelles et sur des actions de prévention et lutte contre la prostitution) |
Action 13 - Soutien du programme égalité entre les femmes et les hommes |
Action 23 - Soutien du programme égalité entre les femmes et les hommes (dépenses de communication et de fonctionnement courant des délégations régionales aux droits des femmes) |
Action 23 - Soutien du programme égalité entre les femmes et les hommes (dépenses de communication et de fonctionnement courant des délégations régionales aux droits des femmes) |
Action 14 - Actions de soutien, d'expérimentation en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes |
|
Action 26 - Aide universelle d'urgence pour les personnes victimes de violences conjugales (ajout en LFI 2024) |
Action 15 - Prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains |
|
|
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Dans les développements qui vont suivre, il sera fait référence à la seule maquette en vigueur depuis 2022, les crédits ayant été « reventilés » dans les actions correspondantes pour plus de clarté.
On constate ainsi, nonobstant les changements de maquette, qu'au sein du programme 137, l'augmentation des crédits résulte principalement de l'investissement des pouvoirs publics dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et particulièrement les violences conjugales.
Dans le PLF 2025, les crédits alloués à la lutte contre les violences s'élèvent ainsi à 58,8 millions d'euros en AE en CP, ce qui représente une hausse de 15 % par rapport à la LFI 2024 et une multiplication par 4,2 par rapport à 2020.
Évolution des crédits
destinés spécifiquement à la lutte
contre les violences
faites aux femmes au sein du programme 137
(en euros exécutés)
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
|||||||
Actions et dispositifs |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|
Action 23 - Soutien du programme égalité entre les femmes et les hommes |
630 683 |
560 009 |
838 315 |
902 101 |
553 100 |
591 574 |
572 584 |
574 875 |
639 973 |
689 261 |
|
Action 24 - Accès aux droits et égalité professionnelle |
13 301 310 |
13 817 382 |
15 266 978 |
15 194 642 |
19 321 136 |
19 404 410 |
25 321 924 |
25 247 618 |
23 707 519 |
23 639 360 |
|
Information, droits des femmes et des familles (CIDFF - FN CIDFF) |
5 688 895 |
5 723 895 |
6 287 405 |
6 287 405 |
6 541 929 |
6 541 929 |
9 277 390 |
9 277 390 |
8 880 342 |
8 831 465 |
|
EICCF (EVARS) |
2 688 862 |
2 695 082 |
3 236 960 |
3 186 168 |
3 547 834 |
3 580 448 |
4 145 619 |
4 127 381 |
4 620 038 |
4 642 054 |
|
MFPF |
259 036 |
259 036 |
143 877 |
143 877 |
666 899 |
666 899 |
776 033 |
776 033 |
966 264 |
966 264 |
|
Mixité et entreprenariat des femmes |
1 079 601 |
1 041 568 |
1 120 526 |
1 129 229 |
2 060 140 |
2 064 300 |
3 389 708 |
3 367 708 |
1 913 475 |
1 925 476 |
|
Insertion professionnelle (CIDFF/BAIE) |
1 239 838 |
1 239 838 |
1 518 571 |
1 506 515 |
2 587 536 |
2 599 592 |
2 444 920 |
2 443 420 |
2 535 099 |
2 536 599 |
|
Projets innovants en faveur de l'égalité |
820 551 |
884 175 |
1 075 442 |
1 046 660 |
772 010 |
817 573 |
1 019 015 |
1 012 809 |
1 165 340 |
1 110 647 |
|
Partenariats territoriaux |
1 524 527 |
1 973 788 |
1 884 197 |
1 894 788 |
2 067 717 |
2 056 597 |
3 392 964 |
3 367 708 |
3 059 960 |
3 088 748 |
|
Autres actions accès aux droits et égalité professionnelle |
0 |
0 |
0 |
0 |
1 077 072 |
1 077 072 |
876 275 |
875 169 |
567 001 |
538 107 |
|
Action 25 - Prévention et lutte contre les violences et la prostitution |
21 844 677 |
22 135 990 |
32 415 334 |
25 808 305 |
30 036 727 |
33 242 924 |
40 525 094 |
43 506 328 |
41 718 135 |
41 957 020 |
|
AFIS |
906 602 |
906 602 |
1 301 976 |
1 301 976 |
1 405 288 |
1 405 288 |
1 727 225 |
1 727 225 |
2 533 309 |
2 533 309 |
|
Plateforme téléphonique 3919 |
1 993 993 |
2 040 043 |
8 396 790 |
2 580 916 |
0 |
2 920 822 |
1 481 000 |
4 390 002 |
5 353 513 |
5 353 513 |
|
Subventions nationales |
5 960 594 |
6 215 594 |
6 463 616 |
5 708 616 |
5 426 848 |
5 851 848 |
4 307 745 |
4 637 745 |
5 863 088 |
5 863 088 |
|
Lieux d'accueil, d'écoute et d'orientation (LAEO) |
2 209 009 |
2 209 009 |
2 892 304 |
2 855 421 |
3 955 929 |
3 983 612 |
5 138 159 |
5 125 359 |
5 187 959 |
5 201 106 |
|
Accueils de jour |
4 234 253 |
4 234 253 |
4 600 197 |
4 600 197 |
4 317 953 |
4 317 953 |
6 191 282 |
6 032 282 |
5 168 678 |
5 301 120 |
|
Accompagnement parcours de sortie prostitution |
1 236 262 |
1 236 262 |
1 577 226 |
1 577 226 |
2 643 170 |
2 625 570 |
2 519 102 |
2 536 702 |
2 520 169 |
2 520 169 |
|
Référents départementaux |
145 797 |
145 797 |
211 032 |
211 032 |
217 200 |
216 000 |
257 320 |
258 520 |
256 219 |
256 219 |
|
Autres actions violences et prostitution |
5 158 167 |
5 148 430 |
6 972 193 |
6 972 920 |
12 070 338 |
11 921 831 |
18 903 261 |
18 798 493 |
14 835 201 |
14 928 495 |
|
Action 26 - Aide universelle d'urgence |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
34 775 493 |
34 775 493 |
|
Total programme 137 |
35 776 671 |
36 513 381 |
48 520 627 |
41 905 048 |
49 910 963 |
53 238 907 |
66 419 602 |
69 328 821 |
100 841 120 |
101 061 134 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Cette progression a été particulièrement rapide lors de la mise en oeuvre de plusieurs mesures. La première hausse sensible des crédits a eu lieu entre 2020 et 2021 (+ 35,6 % en AE et + 14,8 % en CP) et s'explique notamment par le financement des mesures du Grenelle de lutte contre les violences conjugales du 25 novembre 2019 :
- l'ouverture de 30 centres de prise en charge psychologique et sociale des auteurs de violences conjugales (CPCA), financés à hauteur de 5,9 millions d'euros par le programme 137 en PLF 2025 ;
- le financement du passage, depuis 2021, à un fonctionnement 24h/24 et 7j/7 de la plateforme d'écoute « 39.19 - Violences femmes infos » gérée par la Fédération nationale solidarité femmes FNSF), à laquelle serait attribuée une dotation dédiée de 5,3 millions d'euros en 2025, au même niveau qu'en 2024 mais en progression par rapport à 2023 (4,7 millions d'euros).
La dernière augmentation substantielle de ces crédits, visible entre 2023 et 2024, correspond à la mise en place d'une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences à compter de 2024. Les crédits dédiés à la lutte contre les violences avaient ainsi augmenté de 51,8 % en AE et de 45,8 % en CP entre l'exécution 2023 et celle de l'exercice 2024.
Évolution des crédits
exécutés du programme 137 par
action
entre 2020 et 2024
(en crédits de paiement)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Comme en témoigne le graphique ci-dessus, l'augmentation des crédits du programme 137 est intégralement très largement absorbée par les actions 25 « Prévention et lutte contre les violences et la prostitution », qui a augmenté de 8 millions d'euros entre 2021 et 2022 puis de 10 millions d'euros entre 2022 et 2023, ainsi que, dans une moindre mesure, la nouvelle action 26 « Aide universelle d'urgence » (AUU).
C'est donc la lutte contre les violences, et singulièrement la mise en oeuvre du Grenelle, qui explique la hausse des crédits du programme, l'augmentation de l'action 24 « Accès aux droits et égalité professionnelle » étant presque deux fois moindre (10 millions d'euros en deux ans, entre 2021 et 2023).
b) Des dépenses d'intervention prépondérantes, principalement au titre des subventions versées aux associations
Depuis 2020, ce constat n'a guère changé : les crédits du programme 137 sont toujours majoritairement composés de subventions à divers organismes ou associations pour le développement de l'accès aux droit ou la lutte contre les violences, et, marginalement, de dépenses de communication ou favorisant la culture de l'égalité.
Les dépenses d'interventions représentent l'écrasante majorité des crédits du programme 137, comme en témoigne le graphique ci-dessous : seules les dépenses de fonctionnement et d'investissement ne constituent pas des dépenses d'intervention (3,6 millions d'euros en 2025).
Évolutions des dépenses du programme 137 par nature
(en millions de crédits de paiement)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Toutefois, alors que les rapporteurs spéciaux d'alors avaient relevé dans un précédent rapport28(*) que les subventions représentaient 92,9 % des crédits du programme 137, cette part a sensiblement diminué depuis la mise en oeuvre de l'aide universelle d'urgence aux victimes de violences conjugales (AUUVV) : les subventions ne représentaient plus que 60,1 % des crédits du programme en exécution 2024 ; ce chiffre s'établit à 71,8 % de ses crédits dans le PLF 2025.
c) Une exécution à tendance haussière et une consommation intégrale des crédits qui révèlent d'importants besoins
Dans leur rapport de 202029(*), les rapporteurs spéciaux d'alors avaient souligné que le budget du programme 137, globalement faible, était rendu encore plus dérisoire par « des sous exécutions et redéploiements de crédits importants ».
Les rapporteurs spéciaux constatent avec satisfaction que cet état de choses n'est plus d'actualité. Comme l'illustre le graphique ci-dessous, les crédits consommés depuis 2020 sont même systématiquement supérieurs aux crédits ouverts en LFI.
Évolution des crédits ouverts en LFI
et consommés
sur le programme 137 entre 2017 et
2025
(en millions de crédits de paiement - gauche - et en pourcentage - droite)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Ainsi, le taux d'exécution des crédits du programme 137 est, depuis 2020, supérieur à 100 % pour chaque exercice.
En outre, la Cour des comptes constate, dans sa dernière note d'exécution budgétaire (NEB) sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » que, sur le programme 137, « [l'exécution de] l'exercice 2024 se caractérise, comme en 2022 et 2023, par une consommation de la quasi-totalité des crédits disponibles, avec 99,8 % des crédits en AE et 99,2 % des crédits en CP. »30(*) La fin des redéploiements de crédits et des sous-exécutions confirme que les crédits mis à disposition de la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes sont effectivement utilisés à cette fin.
Toutefois, la tendance à la consommation intégrale des crédits et les sur-exécutions récurrentes suggèrent une certaine faiblesse des moyens par rapport aux besoins : la Cour des comptes31(*) relevait en effet qu'en 2024, les ouvertures de crédits autorisées par la loi de finances de fin de gestion, qui représentaient 28,5 millions d'euros, visaient à « couvrir une insuffisance de financement, tant sur [l'aide universelle d'urgence - AUUVV] que sur [l'allocation financière d'insertion sociale - AFIS]. »
2. Le niveau actuel du financement de l'État en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes est un sujet de discorde
Le programme 137 ne porte pas à lui seul l'intégralité des financements que l'État consacre à la lutte contre les violences faites aux femmes, ni au développement de l'égalité entre les femmes et les hommes : de nombreux autres programmes du budget général y participent également.
Toutefois, il n'est pas aisé de prendre la juste mesure des efforts financiers consentis par l'État en faveur de l'égalité femmes-hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes. En particulier, le montant des financements consentis par l'État fait l'objet d'estimations très variables entre l'administration et les associations spécialisées.
a) Le document de politique transverse (DPT) renvoie une image déformée de l'effort de l'État en faveur de l'égalité femmes-hommes
L'estimation de l'État se trouve dans le document de politique transversale (DPT) « Égalité entre les femmes et les hommes », un « orange » budgétaire qui développe la stratégie mise en oeuvre en matière d'égalité, ainsi que les crédits, objectifs et indicateurs y concourant et figurant obligatoirement dans les projets annuels de performances de chacun des programmes du budget de l'État concernés.
Dans leur précédent rapport, les rapporteurs spéciaux d'alors avaient déjà relevé que « le DPT de la politique d'égalité entre les femmes et les hommes ne permet pas d'identifier de façon satisfaisante ces différentes sources de financement », jugeant qu'il se révèle être « un outil insuffisamment fiable et développé. » Ce constat n'est guère différent cinq ans après...
(1) Une valorisation élevée, jugée fantaisiste par les associations entendues et dont la progression est largement due à des changements dans le périmètre et le mode de comptabilisation
Le dernier document de politique transversale (DPT), annexé au projet de loi de finances pour 2025, faisait état d'un effort très conséquent de l'État en faveur de l'égalité femmes-hommes.
Ainsi, il chiffrait cet effort à 5,8 milliards d'euros en AE et en CP.
Le SDFE a précisé aux rapporteurs spéciaux que les crédits valorisés par les ministères dans le DPT pour 2025 s'élèvent, pour ce qui concerne spécifiquement la thématique de la lutte contre les violences faites aux femmes, à 469 millions d'euros en AE et 545 millions d'euros en CP. »
Selon l'administration, l'augmentation des crédits valorisés dans le DPT peut résulter de plusieurs facteurs :
- d'abord, d'une augmentation du nombre de programmes contributeurs au DPT, en raison notamment d'une meilleure compréhension de l'exercice de valorisation par les ministères concernés, et d'une meilleure identification des actions et dispositifs concourant à la politique transversale ;
- ensuite, d'une meilleure appropriation de la démarche de la valorisation de crédits par les services des ministères contributeurs, résultat du renforcement de l'accompagnement conjoint du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) et de la direction du budget (DB) et selon une méthode fixée par circulaire32(*) ;
- enfin, de l'augmentation significative de l'investissement des ministères dans la mise en oeuvre de la politique depuis huit ans, à la faveur de la « grande cause » des deux quinquennats et des plans stratégiques interministériels.
Les rapporteurs spéciaux relèvent d'entrée que deux facteurs explicatifs potentiels sur trois correspondent à des changements de périmètre ou de mode de valorisation, sans lien avec la réalité de la politique mise en oeuvre. Il est vrai qu'il n'est pas aisé de distinguer l'augmentation « artificielle » imputable aux deux premiers facteurs de la véritable hausse des moyens consacrés à la lutte contre les violences. Le graphique ci-dessous tend néanmoins à accréditer l'hypothèse d'une progression largement « artificielle ».
Évolution des crédits valorisés dans le DPT « Égalité entre les femmes et les hommes » et le nombre de programmes valorisant leurs crédits
(en milliards d'euros - gauche - et en programmes - droite)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
On constate en effet au premier coup d'oeil la forte corrélation entre l'augmentation du nombre de programmes valorisant ses crédits et l'augmentation des crédits valorisés dans le cadre du DPT. Ainsi, 48 programmes budgétaires ont valorisé des crédits au titre du DPT 2025, contre seulement 13 en 2018. Dans le même temps, les crédits valorisés sont passés de 0,4 milliard d'euros en AE et en CP en 2018 à 5,8 milliards d'euros en AE et en CP en 2025.
Pour se faire une idée de la part des facteurs « artificiels » dans la croissance des crédits valorisés, on peut comparer leur évolution à celles des crédits du Grenelle. Si l'on exclut l'année 2020, durant laquelle le Grenelle a tardé à démarrer du fait de la crise sanitaire, on constate que, de 2021 à 2024, les crédits de paiement exécutés au titre du Grenelle ont presque doublé, augmentant de 94 %.
En parallèle, les crédits valorisés au titre du DPT ont été presque multipliés par 6, connaissant une augmentation de + 480 %. Sans constituer une preuve définitive, cette comparaison suggère que les facteurs « artificiels » de croissance des crédits valorisés dans le DPT l'emportent sur les facteurs « réels ».
(2) Des efforts d'amélioration qui ne dissiperont pas les défauts intrinsèques de ce type de documentation
Les associations tendent également à souligner que certains choix de valorisation opérés dans le DPT en démontre le caractère quelque peu « artisanal ». En effet, les crédits de certains programmes sont comptabilisés selon une méthode tout à fait conventionnelle, qui ne traduit que très imparfaitement la réalité.
Ainsi, le DPT annexé au PLF 2021 indiquait par exemple que « le DPT Égalité 2020 incluait des crédits exceptionnels liés à la politique extérieure de la France, dans le cadre de sa présidence du G7 », dont on voit mal la pertinence - a fortiori s'agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Les rapporteurs spéciaux déplorent aujourd'hui que ce constat n'ait rien perdu de son actualité. Ainsi, certains crédits valorisés de manière conventionnelle en 2020 sont encore aujourd'hui valorisés au même titre, sans que leur impact spécifique sur l'égalité entre les femmes et les hommes soit immédiatement discernable : c'est ainsi le cas des crédits de rémunération des professeurs d'histoire-géographie dans l'enseignement secondaire pour le temps qu'ils consacrent à l'éducation morale et civique (EMC).
À l'époque, cette valorisation - de même que celle des enseignants du premier degré, représentaient 138,3 millions d'euros, soit près du quart des crédits valorisés au titre du DPT. On reste circonspect devant ce mode de valorisation des crédits de titre 2.
Depuis, la DGCS et le SDFE indiquent « travaille[r] depuis plusieurs années en lien avec la direction du Budget (DB) et les ministères parties prenantes afin d'améliorer la qualité des contributions et d'augmenter le nombre de programmes concourant au DPT afin de donner annuellement une photographie la plus juste et la plus complète possible de l'effort de l'État. »
Ainsi, la circulaire budgétaire dédiée33(*) précise chaque année les critères présidant à la comptabilisation des crédits d'une mission au sein du DPT. L'administration souligne ne plus comptabiliser que les crédits qui contribuent de manière manifeste à la politique d'égalité entre les femmes et les hommes et à la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Sont ainsi exclus les crédits proratisés sur la base de la part du public féminin d'un dispositif ou une action de droit commun sans impact direct sur l'égalité entre les femmes et les hommes - les rapporteurs spéciaux, s'interroge sur la pertinence de la valorisation de l'EMC à ce titre.
b) Des évaluations par les associations très éloignées des chiffres avancés par l'État
De leur côté, les associations spécialisées adoptent une approche plus restrictive de l'effort financier de l'État dans la lutte contre les violences faites aux femmes. La Fondation des femmes a ainsi réitéré, en 2023, son étude « Où est l'argent contre les violences faites aux femmes ? »34(*). Il en ressort que l'effort total de l'État serait de tout juste 184 millions d'euros, dont la très grande majorité (171,6 millions d'euros, soit 92,9 %) serait consacrée à la seule lutte contre les violences conjugales.
Le tableau suivant présente la répartition de l'effort financier de l'État dans la lutte contre les seules violences conjugales. Par rapport à la présentation de l'administration dans le document de politique transversale, on remarque l'absence de valorisation de crédits de personnel - ce qui paraît plus prudent méthodologiquement - ; on constate également l'exclusion du financement des centres de prise en charge des auteurs de violences (CPCA), qui ne concernent guère les victimes.
Tentative de reconstruction du financement par l'État de la lutte contre les violences conjugales
(en millions d'euros)
Violences conjugales |
Budget programmé 2019 |
Budget programmé 2023 |
Écoute et orientation |
15,3 |
28,4 |
Campagnes / information sur le droit, les recours possibles, les services de soutien |
4,0 |
|
Lignes téléphoniques d'écoute et d'orientation |
1,3 |
6,1 |
Dispositifs d'accueil, d'orientation et d'accompagnement global (de type "maisons de solidarité pour les femmes") |
10,0 |
20,9 |
Dispositifs d'accès aux soins spécialisés (de type "maisons de santé pour les femmes") |
|
1,4 |
Signalement et plaintes |
3,8 |
5,2 |
Intervenants sociaux police/gendarmerie (ISGG) |
3,8 |
3,8 |
Plateforme pour dépôt de plainte en ligne |
|
1,4 |
Hébergement |
67,7 |
105,9 |
Places d'hébergement |
67,7 |
105,9 |
Abri d'urgence |
|
|
Formation des personnels des SIAO et éducateurs spécialisés |
|
|
Protection des enfants |
10,2 |
7,1 |
Espaces de rencontre protégés, mesures d'accompagnement protégé |
10,2 |
7,1 |
Accompagnement durant la phase judiciaire |
1,0 |
8,9 |
Téléphone Grave Danger |
1,0 |
3,7 |
Bracelet antirapprochement |
|
5,2 |
Santé mentale |
3,4 |
5,1 |
Remboursement à 100 % des consultation en psycho-traumatologie |
3,4 |
5,1 |
Total des dispositifs |
101,4 |
160,6 |
Pilotage de la politique publique |
23,2 |
11,0 |
Recherche et développement |
2,1 |
|
TOTAL |
126,7 |
171,6 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Fondation des femmes.
S'agissant des seules violences sexuelles hors du couple, la valorisation de la Fondation des femmes aboutit à un chiffre dérisoire de seulement 13,2 millions d'euros en 2023.
Tentative de reconstruction du financement par l'État de la lutte contre les violences sexuelles hors du couple
(en millions d'euros)
Violences sexuelles hors du couple |
Budget programmé 2019 |
Budget programmé 2023 |
Écoute et orientation |
1,7 |
4,0 |
Lignes téléphoniques d'écoute et d'orientation |
0,6 |
2,2 |
Dispositifs d'accueil, d'orientation et d'accompagnement global (de type "maisons de solidarité pour les femmes") |
1,1 |
1,5 |
Dispositifs d'accès aux soins spécialisés (de type "maisons de santé pour les femmes") |
|
0,3 |
Signalement et plaintes |
0,7 |
1,0 |
Intervenants sociaux police/gendarmerie (ISGG) |
0,7 |
0,7 |
Plateforme pour dépôt de plainte en ligne |
|
0,3 |
Hébergement |
0,7 |
4,7 |
Hébergement des personnes en sortie de prostitution |
0,7 |
4,7 |
Soutien financier |
0,3 |
1,6 |
Aide financière à l'insertion sociale (AFIS) |
0,3 |
1,6 |
Total des dispositifs |
3,4 |
11,3 |
Pilotage de la politique publique |
4,1 |
1,9 |
Recherche et développement |
0,0 |
0,0 |
TOTAL |
7,5 |
13,2 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Fondation des femmes
C'est sur cette base que les associations ont souligné, dans leur rapport remis au Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO)35(*), que le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes était « prioritairement dédié aux violences conjugales » et que le budget dédié aux violences sexistes et sexuelles hors du couple « dissimul[ait] mal sa faiblesse ».
3. La comparaison du budget réel avec le budget qui paraît nécessaire aux associations fait apparaître un hiatus important
a) Les montants jugés nécessaires par les associations ne sont pas atteints
La Fondation des femmes, dans sa publication précitée « Où est l'argent contre les violences faites aux femmes ? »36(*), accompagne ses estimations du niveau du financement de l'État par des estimations des besoins, avec une fourchette haute et une fourchette basse.
Financement de l'État
en 2023 pour les seules violences conjugales
rapporté aux
besoins selon la Fondation des femmes
Violences conjugales |
Budget programmé 2023 |
Besoins estimés (hypothèse basse) |
Besoins estimés (hypothèse haute) |
Écoute et orientation |
28,4 |
453,0 |
668,1 |
Campagnes / information destinées aux victimes de témoins sur le droit, les recours possibles, les services de soutien |
|
15,0 |
15,0 |
Lignes téléphoniques d'écoute et d'orientation |
6,1 |
8,6 |
8,6 |
Dispositifs d'accueil, d'orientation et d'accompagnement global (de type "maisons de solidarité pour les femmes") |
20,9 |
390,5 |
594,0 |
Dispositifs d'accès aux soins spécialisés (de type "maisons de santé pour les femmes") |
1,4 |
22,2 |
33,8 |
Formation des professionnels de la santé, du secours médical et du travail social |
|
16,7 |
16,7 |
Signalement et plaintes |
5,2 |
354,9 |
361,1 |
Formation des professionnels de la sécurité (police/gendarmerie) |
|
5,8 |
5,8 |
Intervenants sociaux police/gendarmerie (ISGG) |
3,8 |
48,2 |
48,2 |
Diverses améliorations des conditions d'accueil des victimes en commissariat/gendarmerie |
|
31,1 |
31,1 |
Enquêteurs spécialisés dédiés |
|
253,6 |
253,6 |
Plateforme pour dépôt de plainte en ligne |
1,4 |
2,1 |
2,1 |
Plateforme informatique / registre des cas de violence |
|
2,1 |
2,1 |
Recueil des preuves (unités médico-judiciaires) |
|
12,0 |
18,2 |
Hébergement |
105,9 |
308,6 |
511,5 |
Places d'hébergement |
105,9 |
304,3 |
507,2 |
Abri d'urgence |
|
3,4 |
3,4 |
Formation des personnels des SIAO et éducateurs spécialisés |
|
0,9 |
0,9 |
Protection des enfants |
7,1 |
91,4 |
131,0 |
Espaces de rencontre protégés, mesures d'accompagnement protégé |
7,1 |
91,1 |
130,7 |
Protocole féminicide |
|
0,3 |
0,3 |
Soutien financier |
0,0 |
118,3 |
179,6 |
Aide financière d'urgence |
|
117,7 |
179,0 |
Fonds pour les familles des victimes de féminicide |
|
0,6 |
0,6 |
Accompagnement durant la phase judiciaire |
8,9 |
124,5 |
127,6 |
Formation obligatoire des professionnels de la justice |
|
0,2 |
0,2 |
Téléphone Grave Danger |
3,7 |
6,8 |
6,8 |
Bracelet antirapprochement |
5,2 |
0,9 |
0,9 |
Aide juridictionnelle |
|
6,0 |
9,1 |
Pôles spécialisés sur les violences intrafamiliales dans les tribunaux |
|
110,6 |
110,6 |
Santé mentale |
5,1 |
500,2 |
761,0 |
Remboursement à 100 % des consultation en psycho-traumatologie pour les femmes victimes |
5,1 |
250,1 |
380,5 |
Remboursement à 100 % des consultation en psycho-traumatologie pour les enfants co-victimes |
|
250,1 |
380,5 |
Emploi |
0,0 |
150,8 |
229,4 |
Allocation d'aide de retour à l'emploi |
|
135,7 |
206,4 |
Accompagnement à l'insertion professionnelle |
|
15,1 |
23,0 |
Total des dispositifs |
160,6 |
1 950,9 |
2 739,9 |
Pilotage de la politique publique |
11,0 |
51,0 |
51,0 |
Recherche et développement |
|
215,2 |
302,0 |
TOTAL |
171,6 |
2 217,1 |
3 092,9 |
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Fondation des femmes.
Les besoins identifiés par la Fondation des femmes pour les seules violences conjugales apparaissent très importants et - même dans l'estimation basse - largement supérieurs aux moyens avancés par l'État pour y répondre : ce ne sont ainsi pas moins de 2,2 milliards d'euros, voire 3,1 milliards d'euros en estimation haute, qui seraient nécessaires.
Ces montants sont à mettre en regard des 171,6 millions d'euros dépensés en 2023 selon la Fondation des femmes - soit à peine 8 % des besoins identifiés dans l'estimation la plus basse...
Financement de l'État
en 2023 pour les seules violences sexuelles hors du
couple
rapporté aux besoins selon la Fondation des femmes
(en millions d'euros)
Violences sexuelles hors du couple |
Budget programmé 2023 |
Besoins estimés (hypothèse basse) |
Besoins estimés (hypothèse haute) |
Écoute et orientation |
4,0 |
31,2 |
384,1 |
Campagnes / information destinées aux victimes de témoins sur le droit, les recours possibles, les services de soutien |
|
15,0 |
15,0 |
Lignes téléphoniques d'écoute et d'orientation |
2,2 |
3,3 |
3,3 |
Dispositifs d'accueil, d'orientation et d'accompagnement global (de type "maisons de solidarité pour les femmes") |
1,5 |
5,7 |
356,4 |
Dispositifs d'accès aux soins spécialisés (de type "maisons de santé pour les femmes") |
0,3 |
0,4 |
2,6 |
Formation des professionnels de la santé, du secours médical et du travail social |
|
6,8 |
6,8 |
Signalement et plaintes |
1,0 |
197,2 |
200,1 |
Formation des professionnels de la sécurité (police/gendarmerie) |
|
1,0 |
1,0 |
Intervenants sociaux police/gendarmerie (ISGG) |
0,7 |
8,5 |
8,5 |
Diverses améliorations des conditions d'accueil des victimes en commissariat/gendarmerie |
|
5,5 |
5,5 |
Enquêteurs spécialisés dédiés |
|
44,7 |
44,7 |
Plateforme pour dépôt de plainte en ligne |
0,3 |
0,4 |
0,4 |
Plateforme informatique / registre des cas de violence |
|
0,4 |
0,4 |
Recueil des preuves (unités médico-judiciaires) |
|
0,6 |
3,5 |
Centres d'aide d'urgence pour victimes |
|
100,0 |
100,0 |
Dispositifs de signalement |
|
36,1 |
36,1 |
Hébergement |
4,7 |
32,6 |
168,0 |
Hébergement des personnes en sortie de prostitution |
4,7 |
32,6 |
168,0 |
Soutien financier |
1,6 |
20,5 |
105,6 |
Aide financière à l'insertion sociale (AFIS) |
1,6 |
20,5 |
105,6 |
Accompagnement durant la phase judiciaire |
0,0 |
20,0 |
22,0 |
Formation obligatoire des professionnels de la justice |
|
0,2 |
0,2 |
Aide juridictionnelle |
|
0,3 |
2,3 |
Pôles spécialisés sur les violences intrafamiliales dans les tribunaux |
|
19,5 |
19,5 |
Santé mentale |
0,0 |
17,6 |
1 176,8 |
Remboursement à 100 % des consultation en psycho-traumatologie |
|
17,6 |
1 176,8 |
Total des dispositifs |
11,3 |
319,1 |
2 056,6 |
Pilotage de la politique publique |
1,9 |
9,0 |
9,0 |
Recherche et développement |
0,0 |
32,8 |
206,6 |
TOTAL |
13,2 |
360,9 |
2 272,2 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Fondation des femmes
Pour les violences sexuelles hors du couple, l'estimation basse, qui s'établit à 360,9 millions d'euros, apparaît relativement accessible, ce qui est loin d'être le cas pour l'estimation haute fixée à 2,3 milliards d'euros - à rapprocher, là encore, des 13,2 millions d'euros dépensés en 2023 selon l'association.
Sans se prononcer sur le réalisme des valorisations du DPT et de la Fondation des femmes, les rapporteurs spéciaux constatent que les valorisations du DPT sont assez complaisantes et larges ; à l'inverse, celles de la Fondation des femmes sont restrictives dans la valorisation de l'effort de l'État et assez maximalistes dans leur estimation des besoins. Toutefois, il paraît indéniable que les moyens en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes pourraient être renforcés, tant au regard des limites de la prise en charge (cf. partie 3) que des « coûts » sociaux des violences.
b) Un coût budgétaire qui doit être rapporté au « coût » des violences
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) rappelle régulièrement que les violences faites aux femmes ont un impact économique massif. Dans certains pays, elles représenteraient jusqu'à 2 % du PIB, en cumulant leurs effets sur la santé, le travail, l'éducation, la justice, et les coûts intergénérationnels.
À l'échelle européenne, l'Institut européen pour l'égalité entre les femmes et les hommes (EIGE) a estimé en 202237(*) que le coût des violences fondées sur le genre dans l'Union européenne (UE-27) s'élevait à 366 milliards d'euros par an. Les violences faites aux femmes représentent 79 % de ce coût, soit 289 milliards d'euros. Les violences conjugales, quant à elles, coûtent 175 milliards d'euros par an, dont 87 % concernent des violences contre des femmes. L'estimation inclut les coûts médicaux, juridiques, ainsi que d'autres coûts monétisables et non monétisables, tels que les impacts physiques et psychologiques durables ou la perte de vie humaine.
En France, plusieurs études ont cherché à chiffrer le coût des violences faites aux femmes.
L'étude de référence pour le cas français reste, plus de dix ans après, celle menée par la société d'experts Psytel38(*), commanditée par le service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE). Elle estimait à 3,6 milliards d'euros par an le coût des violences conjugales, en intégrant : des coûts directs (santé, police, justice, hébergement, accompagnement social) et des coûts indirects (perte de revenus, absentéisme, impact sur les enfants, etc.)
Estimations du coût des violences sexistes et sexuelles
- Catherine Cavalin et al., Étude relative à l'actualisation du chiffrage des répercussions économiques des violences au sein du couple et leur incidence sur les enfants en France en 2012, Psytel, 2014.
Estimation : 3,6 milliards d'euros euros par an. Base du chiffrage : coûts directs (santé, police, justice, hébergement, accompagnement social) et coûts indirects (perte de revenus, absentéisme, impact sur les enfants, etc.)
- Santé publique France, Estimation du coût des violences au sein du couple et de leur incidence sur les enfants en France en 2012, 2016.
Estimation : 3,6 milliards d'euros par an. Base du chiffrage : coût direct (médicaux, accueil et accompagnement des victimes et des auteurs, dépenses de police, de justice, hébergements, etc.) et coûts indirects (manque à gagner : perte de rémunération, coût de la douleur du préjudice).
- Société française de santé publique, Évaluation économique des violences conjugales en France, 2010.
Estimation : 2,5 milliards d'euros par an. Base du chiffrage : système de santé, justice, perte de production, coûts humains.
- Jacques Bichot, Le fardeau des crimes et délits qui provoques les blessures de l'intimité, 2016.
Estimation : entre 40 et 70 milliards d'euros par an. Base du chiffrage : préjudices personnels et collectifs, y compris les dépenses publiques et privées liées à la sécurité, à la justice, à la santé et au soutien des victimes.
- CIIVISE, Violences faites aux enfants : le coût du déni, 2023.
Estimation : 9,7 milliards d'euros par an.
- Lucile Peytavin, Le coût de la virilité, 2021
Estimation : 95,2 milliards d'euros par an mais portant sur les comportements masculins antisociaux dans leur ensemble tels que infractions routières, délinquance, incarcération...). Base du chiffrage : prix des sanctions judiciaires et des conséquences pour les victimes.
- Virginie Cresci, Le Prix des larmes, 2024
Estimation : entre 40 et 70 milliards d'euros par an (reprise notamment du travail de Jacques Bichot). Base du chiffrage : frais de justice, de santé physique et psychique, rupture du parcours professionnel.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux.
Concernant la prostitution, l'étude « Prostcost » financée par la Commission européenne et réalisée par le Mouvement du Nid et Psytel39(*) a estimé en 2015 le coût social à 1,6 milliard d'euros par an, incluant notamment les conséquences sanitaires, psychosociales ou encore les coûts de lutte contre les réseaux en estimant à 37 000 le nombre de personnes en situation de prostitution.
Plus récemment, une étude de la Fondation des femmes sur le coût des inégalités (2022)40(*), entendu comme les pertes de richesse engendrées chaque année par la France en raison des inégalités femmes-hommes, l'a estimé à 118 milliards d'euros. Selon elle, les violences conjugales coûteraient 3,6 milliards d'euros par an, tandis que chaque viol représenterait un coût individuel oscillant de 810 000 euros (estimation haute) à 60 000 euros (estimation basse)41(*).
Comme l'ont indiqué la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et le SDFE dans leurs réponses, « ces chiffrages sont indispensables pour rendre visibles les conséquences économiques des violences, qui restent souvent sous-estimées dans les politiques publiques. Ils permettent de présenter l'enjeu des violences, non plus comme un simple poste de dépense, mais comme un ensemble de coûts évitables grâce à la prévention ».
Bien sûr, ces études présentent également plusieurs limites : les méthodologies sont hétérogènes, les périmètres analysés peuvent varier, toutes les formes de violences ne sont pas prises en compte, de même que les conséquences différées des violences, par exemple sur les enfants exposés.
Dans ce contexte, les travaux de l'EIGE et de l'OMS sont précieux, car ils fournissent des cadres méthodologiques harmonisés, qui permettent des comparaisons dans le temps et entre pays. L'étude Psytel reste une référence précieuse en France, notamment en raison de son approche systémique et de sa prise en compte des impacts sur les enfants.
Les rapporteurs spéciaux partagent le sentiment du SDFE, qui leur a indiqué que, « dix ans après sa publication, une actualisation serait opportune », précisant que « l'évolution des coûts publics ou encore l'essor de nouvelles formes de violences - comme les cyberviolences et la prostitution des mineurs - justifieraient pleinement une mise à jour de cette étude. »
Recommandation : Conduire une nouvelle étude sur le coût des violences faites aux femmes, tenant compte de l'évolution des coûts publics et de l'essor de nouvelles formes de violence, dans un cadre et selon une méthodologie harmonisés avec les travaux antérieurs
4. La mesure des effets des dépenses publiques sur l'égalité : une démarche encore inexplorée
Au-delà du seul montant des dépenses en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes, c'est leur efficacité qui devrait être mieux connue et évaluée. Toutefois, si l'évaluation des actions est, d'avis général, nécessaire, la pertinence de certains indicateurs est parfois mise en question.
a) Les indicateurs de performance du programme 137 : une complétude et une pertinence perfectibles
La maquette de performance du programme 137 est présentée dans le tableau ci-dessous.
Maquette de performance du programme 137
(en unité et en pourcentage)
Réalisation 2020 |
Réalisation 2021 |
Réalisation 2022 |
Réalisation 2023 |
Réalisation 2024 |
||
Objectif 1 |
Améliorer la qualité de service en matière d'aide aux personnes victimes de violence |
|
|
|
|
|
1.1 |
Taux d'appels traités par la permanence téléphonique nationale de référence (3919) - % |
60,3 |
61,9 |
75,8 |
86,5 |
88 |
1.2 |
Accompagnement offert par les centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) |
|
|
|
|
|
1.2.1 |
Nombre de personnes informées individuellement, en moyenne par ETP* |
|
|
|
1 058 |
1 051 |
1.2.2 |
Nombre d'entretiens réalisés, en moyenne par ETP* |
|
|
|
1 674 |
1 676 |
1.2.3 |
Nombre de demandes formulées par le public, en moyenne par ETP* |
|
|
|
3 969 |
4 037 |
Objectif 2 |
Mesurer l'engagement financier du ministère de l'Égalité en faveur de l'égalité professionnelle et l'insertion économique et l'effet levier des crédits du programme 137 sur cette politique*** |
|
|
|
|
|
2.1 |
Part des crédits du programme 137 dédiée aux projets en faveur de l'égalité professionnelle |
|
|
|
|
|
2.1.1 |
Part des crédits du programme 137 sur l'ensemble des co-financements nationaux du FSE ( %) |
10 |
12 |
11 |
9 |
8 |
2.1.2 |
Part des crédits mobilisés par le programme 137 en faveur de l'égalité professionnelle (hors FSE) - % |
20 |
20 |
29 |
23 |
34 |
Objectif 3* |
Aider à la sortie de la prostitution et lutter contre son développement |
|
|
|
|
|
3.1 |
Déploiement des parcours de sortie de prostitution (PSP) : nombre de parcours de sortie de prostitution (PSP) en cours |
|
|
|
845 |
898 |
Objectif 3** |
Mesurer l'impact de la culture de l'égalité |
|
|
|
|
|
3.1 |
Développement de la culture de l'égalité ( %) |
187 |
140 |
138 |
|
|
* Depuis 2023. ** Jusqu'en 2022. *** Depuis 2025.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du SDFE au questionnaire des rapporteurs spéciaux et les documents budgétaires
Cette maquette appelle plusieurs remarques des rapporteurs spéciaux.
D'abord, certains indicateurs s'apparentent à des indicateurs de suivi plutôt que de performance. C'est le cas de l'indicateur 3.1 qui se borne à reporter le nombre de parcours de sortie de prostitution (PSP) en cours, sans contextualiser ce chiffre et sans le rapporter au nombre de demande de PSP refusées, par exemple. Cet indicateur ne permet guère d'appréhender la performance de la politique publique - dont les rapporteurs spéciaux soulignent infra les importantes limites ; tout juste permet-il de suivre la montée en charge d'un dispositif qui aurait dû être opérationnel depuis de nombreuses années.
En outre, certains indicateurs souffrent de biais importants. L'indicateur du taux d'appels traités par la plateforme téléphonique de référence 3919, comme les rapporteurs spéciaux l'ont déjà relevé42(*), souffre d'un biais puisque, pour citer une association gestionnaire de ligne d'écoute, « plus nous sommes proactifs et plus nous nous faisons connaître, plus les appels sont nombreux pour nos écoutantes, et plus le taux de réponse baisse... »43(*).
De même, les indicateurs permettant d'appréhender l'accompagnement des personnes par les centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) ont suscité des critiques de la Fédération nationale des CIDFF : dans la mesure où « les conditions d'accueil conditionnent la qualité des entretiens et des informations délivrées » et où « l'objectif du maillage territorial qui répond à une demande de l'État nous amène à animer des permanences sur des territoires faiblement peuplés »44(*), mesurer la performance par le nombre d'entretiens réalisés par ETP paraît peu pertinent, voire contreproductif. Sur ce dernier point, le SDFE a indiqué que, « dans la perspective du PLF 2026, des travaux sont engagés afin de réviser [cet] indicateur (...), en lien avec la fédération nationale », ce dont les rapporteurs spéciaux se félicitent.
L'amélioration de la mesure de la performance nécessite en effet, comme le préconisait Jean Arthuis en 2005 dans son rapport d'information sur les indicateurs45(*), de remplacer les indicateurs porteurs de biais ou de leur associer un second indicateur. Par exemple, le biais lié au taux de réponses des écoutantes pourrait être neutralisé en y associant un autre indicateur mesurant, en valeur absolue, le nombre d'appels reçus par l'association46(*).
Enfin, les indicateurs de l'objectif n° 2 suscitent une certaine perplexité ; en effet, il paraît étonnant de mesurer la performance d'une dépense publique par le niveau de cette même dépense - même exprimé en termes relatifs.
Sur ce point, l'administration indique que « pour le PLF 2025, l'objectif n° 2 a été révisé ». Un premier indicateur permet de suivre l'évolution du taux de cofinancement des projets associatifs dédiés à l'égalité professionnelle, mesurant donc « l'effet de levier » des dépenses de l'État ; en ce sens, cette modification de la maquette paraît pertinente. L'autre indicateur, qui permet de suivre la part des crédits d'intervention du programme 137 dédiés à l'égalité professionnelle, paraît moins pertinent, tant dans sa philosophie - mesurer des dépenses ne permet guère de mesurer leur performance - que dans son mode de calcul - une hausse des crédits dédiés à la lutte contre les violences ferait baisser cet indicateur...
Les rapporteurs spéciaux insistent en tout état de cause pour la pertinence des indicateurs de performance du programme 137 fassent l'objet d'une attention particulière.
Recommandation : Améliorer la pertinence des indicateurs de performance du programme 137, en contextualisant les indicateurs porteurs de biais voire en révisant ces indicateurs en lien avec les associations concernées.
b) La budgétisation intégrant l'égalité (BIE) : une ambition bientôt concrétisée ?
La mesure des effets des politiques publiques et de la performance du financement de la lutte contre les violences faites aux femmes pourrait également bénéficier de la mise en oeuvre de la budgétisation intégrant l'égalité (BIE) : il s'agit d'une démarche analytique et informative visant à prendre en compte la perspective de genre dans tout le cycle du processus budgétaire.
Son objectif est de comprendre en quoi la collecte et l'utilisation des crédits publics (recettes comme dépenses) renforcent, sont neutres ou au contraire diminuent les inégalités entre les genres, et de proposer, au regard des résultats, des ajustements budgétaires pour garantir l'égalité réelle.
En ce sens, la budgétisation intégrant l'égalité contribue à la transparence de la gestion des fonds publics et permet à l'État de mesurer ses engagements.
Définition de la budgétisation
intégrant l'égalité femmes-hommes,
retenue par le
Conseil de l'Europe et par le Parlement européen
(dans sa
résolution 2002/2198(INI))
« L'intégration d'une perspective de genre dans le processus budgétaire est une application de l'approche intégrée de l'égalité entre les femmes et les hommes, dans le processus budgétaire. Cela implique une évaluation des budgets existants avec une perspective de genre à tous les niveaux du processus budgétaire ainsi qu'une restructuration des revenus et des dépenses dans le but de promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes. »
En France, cette démarche est en cours de mise en oeuvre au sein de l'État. Dans leur rapport de 2020, les rapporteurs spéciaux d'alors47(*) avaient documenté la première expérimentation de la budgétisation intégrant l'égalité : en 2018-2019, les ministères de la Culture, de l'Agriculture, des Affaires sociales et de l'Égalité des territoires l'avaient expérimenté sous le double pilotage de la direction du Budget et du service des droits des femmes (SDFE).
Les rapporteurs spéciaux avaient alors jugé que « le BIE pourrait utilement compléter l'approche budgétaire du DPT, mais il semble préférable, à court et moyen terme, de continuer le processus d'expérimentation. »
Cette expérimentation de 2018-2019 ne devait guère avoir de suite. Toutefois, à la suite d'un rapport parlementaire48(*), la marche vers la budgétisation intégrant l'égalité à repris : ainsi, la loi de finances pour 202449(*) prévoit, à compter du PLF 2025, qu'un rapport sur l'impact du budget sur l'égalité entre les femmes et les hommes soit annexé aux projets de loi de finances. À la suite de cette disposition législative, la circulaire de la direction du budget du 13 mars 202450(*) a demandé l'utilisation d'indicateurs permettant d'évaluer la performance de la dépense à l'aune de son impact sur l'égalité femmes-hommes.
Afin de définir le cadre méthodologique et institutionnel de la BIE, une mission a été confiée en février 2024 à l'Inspection générale des finances (IGF) et à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a remis son rapport en juin 202451(*).
Sur la base de ce travail de préfiguration et des recommandations de la mission, les ministres des Comptes publics, de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, et de l'Éducation nationale ont annoncé, le 8 mars 2025, le lancement d'une démarche de budgétisation intégrant l'égalité à compter du PLF 2026. Selon le SDFE, trois changements majeurs seraient apportés : d'abord, chaque article des textes budgétaires sera désormais évalué sous l'angle de l'égalité femmes-hommes, par le biais d'une étude d'impact ; ensuite, une analyse qualitative des dépenses de l'État sera menée pour identifier et corriger les biais en défaveur de l'égalité entre les femmes et les hommes - le premier secteur concerné est l'éducation. Enfin, un outil de suivi des indicateurs de performance sexués sera mis en place.
Les rapporteurs spéciaux considèrent que la démarche de la BIE pourrait, à terme, donner lieu à une évaluation d'ensemble de l'impact des finances publiques sur l'égalité entre les femmes et les hommes, et notamment de l'efficacité des financements contre les violences faites aux femmes. La méthodologie proposée par l'Igas et l'IGF semble rendre cette démarche possible. Ils en suivront le développement avec intérêt dès le PLF 2026.
Recommandation : Mettre en oeuvre la budgétisation intégrant l'égalité dès le PLF 2026 et y intégrer, à terme, l'ensemble des dépenses et des ressources de l'État
B. LES AUTRES FINANCEMENTS PUBLICS : DES MANNES SOUVENT PEU CONNUES ET PARFOIS INSUFFISAMMENT EXPLOITÉES
1. Les collectivités territoriales : une contribution substantielle, mais mal connue
a) Les collectivités territoriales contribuent significativement au financement de la lutte contre les violences faites aux femmes
Les associations du champ des droits des femmes perçoivent également des financements de la part des collectivités territoriales. Ce co-financement est prévu dans la doctrine de l'administration de l'État, qui indique que « le programme 137 [a] vocation à faire « effet levier », la plupart des dispositifs sont cofinancés. Cela peut être par plusieurs programmes budgétaires de l'État dans un cadre interministériel (...), mais également par des collectivités (régions, départements, métropoles, municipalités). »
À titre d'exemple, en 2022, les collectivités territoriales étaient à la source de 29,8 % des crédits alloués aux Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), l'État représentant pour sa part 39,8 % de leurs ressources. De même, les collectivités territoriales sont souvent impliquées dans les démarches « d'aller vers » tels que les dispositifs itinérants. Ces dispositifs sont ainsi co-financés à l'échelle régionale ou départementale, en complément des crédits du programme 137, dont la part du financement est estimée par l'administration à 45 % en moyenne du coût d'un projet.
Les dispositifs d'accueil, d'écoute et d'orientation des femmes victimes de violences - c'est-à-dire les accueils de jours (AJ) et les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO) - sont soutenus sur le programme 137 mais également, lorsqu'ils sont implantés localement par d'autres programmes du budget de l'État52(*) et par des collectivités territoriales.
Comme les rapporteurs spéciaux d'alors l'avaient souligné dans un récent rapport53(*), la mobilisation par les associations de co-financements des collectivités territoriales peut constituer une solution pour raffermir la situation financière des associations. Encore faut-il que les démarches administratives permettant d'obtenir de tels financements ne placent pas les associations dans des difficultés insurmontables, et que la contribution des collectivités au redressement des comptes publics leur laisse suffisamment de marges pour ce faire.
Recommandation : Développer la contribution des collectivités territoriales au financement de solutions locales concourant à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment en les associant, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des justificatifs lorsqu'ils existent
b) Si les collectivités territoriales produisent leur propre documentation, il n'existe à ce jour aucune recension leur contribution d'ensemble à la lutte contre les violences faites aux femmes
La DGCS a, à plusieurs reprises, indiqué ne pas disposer « d'éléments formalisés pouvant faire état d'une estimation globale de la part des financements des collectivités territoriales à la lutte contre les violences faites aux femmes. »
Une documentation vaste existe pourtant : en effet, aux termes de l'article 61 de la loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes54(*), les communes de plus de 20 000 habitants, les EPCI, les départements et les régions doivent présenter chaque année, préalablement aux débats sur le projet de budget, un rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes intéressant le fonctionnement de la collectivité. La DGCS indique toutefois qu'à ce stade, aucun recensement exhaustif n'a été réalisé par le direction générale des collectivités locales (DGCL).
En outre, dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER), les régions doivent faire figurer des diagnostics régionaux, dont un axe est consacré à l'égalité femmes-hommes et alimenté par les contributions des directrices et directeurs régionaux aux droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (DRDFE). Il en va de même dans les contrats de convergence et de transformation (CCT), qui sont l'équivalent des CPER pour les 5 départements et régions d'Outre-mer. Si des recensions exhaustives se font attendre, l'administration a indiqué souhaiter disposer, à terme, d'une vision plus précise des crédits des collectivités territoriales participant aux politiques publiques relevant des CPER, notamment la lutte contre les violences faites aux femmes.
Enfin, il convient de mentionner l'initiative de certaines collectivités qui se sont précocement engagées dans la mise en oeuvre de la budgétisation intégrant l'égalité (BIE) à leur échelle : c'est notamment le cas de la commune de Strasbourg et de la Ville de Paris. Toutefois, cet engagement restant une simple faculté, aucune recension d'ensemble n'est produite par les services de l'État. Il conviendrait, lorsque les travaux sur la BIE auront acquis une plus grande maturité s'agissant du budget de l'État, d'en étendre la logique à l'ensemble des grandes collectivités sur le modèle du « budget vert » désormais utilisée tant par l'État que les collectivités.
Recommandation : Mener à bien les recensions des documents permettant de mesurer la contribution des collectivités territoriales à la promotion de l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ; à terme, étendre la budgétisation intégrant l'égalité à toutes les grandes collectivités
c) Une contribution des collectivités mieux connue s'agissant de l'égalité professionnelle
La DGCL a indiqué que l'absence de recensement des rapports de situation comparée remis par les collectivités en application de l'article 61 de la loi de 2014 résultait des « évolutions du cadre législatif et réglementaire », les bilans sociaux ayant en effet été remplacés par les rapports sociaux uniques (RSU).
Ces derniers permettent de recenser les données ayant trait à l'égalité professionnelle dans la fonction publique territoriale55(*). Il en existe une synthèse nationale réalisée conjointement par la DGCL et le conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CNFPT)56(*).
En outre, l'index « égalité professionnelle » a été décliné dans la fonction publique, et notamment dans la fonction publique territoriale57(*). Le dispositif prévoit une publication des actions mises en oeuvre pour supprimer les écarts de rémunération, ainsi qu'une publication des objectifs de progression lorsque la note obtenue est inférieure à 75 %. Selon la SDFE, les recensements effectués par les services des préfectures font ressortir que 85 % des collectivités territoriales ont atteint la cible de 75 points sur 100 et que 59 % de celles n'ayant pas atteint cette cible ont transmis leurs objectifs de progression.
2. Les fonds européens : une mobilisation à développer
Il existe divers fonds européens pouvant être mobilisés pour la lutte contre les violences faites aux femmes. L'administration a d'ailleurs indiqué aux rapporteurs que certaines associations porteuses de dispositifs soutenus sur le programme 137 mobilisent également des crédits européens pour financer des actions contribuant à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Les fonds européens mobilisables dans la
lutte contre les
violences faites aux femmes
- le programme Daphné, principal fonds européen dédié à la lutte contre les violences faites aux femmes : ce fonds est désormais intégré au programme « Citoyens, égalité, droits et valeurs » (CERV). Ce programme vise à protéger et promouvoir les droits fondamentaux dans l'Union européenne, avec une enveloppe budgétaire totale de 1,56 milliard d'euros sur la période 2021-2027, dont une part significative est dédiée à la lutte contre les violences de genre. Le volet Daphné finance des projets transnationaux de prévention, de sensibilisation et d'assistance aux victimes de violences (femmes, enfants ou autres groupes à risque). Le budget d'un projet financé par le volet Daphné peut aller de 75 000 à 2 millions d'euros ;
- le programme Justice, qui vise à soutenir la coopération judiciaire en matière civile et pénale, la formation des juges et des autres praticiens du droit, un accès effectif à la justice pour les citoyens et les entreprises et la protection des victimes et de leurs droits, dont les femmes victimes de violences. Son budget total s'élève à 305 millions d'euros pour la période 2021-2027. Le budget d'un projet financé par le programme Justice peut aller de 100 000 à 800 000 euros ;
- le Fonds social européen (FSE+), en particulier sur les priorités de promotion de l'intégration sociale des personnes les plus vulnérables (Priorité 1 - Objectif spécifique L) et de promotion de l'égalité des chances et de la non-discrimination (Priorité 1 - Objectif spécifique H), pour soutenir l'intégration sociale des femmes victimes de violences ;
- le Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI), lorsqu'il s'agit des femmes migrantes.
Source : SDFE
Ainsi, la Fédération nationale des centres d'information pour les droits des femmes et des familles (FN-CIDFF) a bénéficié de financements européens pour des actions de lutte contre les violences : 9 258 euros en 2019 au titre du FAMI, 8 000 euros en 2020 au titre du même fonds et 41 704 euros en 2023 au titre du FSE+ en 2023. Elle a également sollicité, en 2025, un financement dans le cadre du programme « Daphné 2025 » pour un projet prévu en 2026 et 2027.
D'autres associations se sont engagées dans une dynamique proactive en vue de bénéficier également de fonds européens. La Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF) a constitué en 2025 un consortium avec la Région Île-de-France pour répondre à un appel à projets du programme CERV autour d'un projet portant sur la situation des femmes en milieu rural. La FNSF, envisage par ailleurs de renforcer sa mobilisation sur les appels à projets européens dans les années à venir.
L'association En avant toute(s) a répondu, en 2024, à un appel à projets européen mais n'a pas été retenue. L'association a renouvelé sa candidature cette année dans le cadre du programme CERV, avec un projet visant à développer ses actions de prévention. Le montant sollicité est de 177 000 euros sur deux ans. Si ce projet est retenu, En avant toute(s) prévoit de structurer davantage son action à l'échelle européenne et d'envisager des candidatures à des programmes plus ambitieux, tels qu'Horizon Europe.
Les rapporteurs spéciaux considèrent que la mobilisation des fonds européens, insuffisamment développée en France, devrait être une priorité à l'heure où les finances publiques de notre pays sont particulièrement contraintes. Une telle mobilisation s'intègrerait parfaitement à la logique de la Commission européenne qui requiert de plus en plus que les programmes financés par ses fonds incluent une dimension d'égalité.
Ainsi, il apparaît possible de mobiliser, de manière indirecte, des fonds qui ne sont pas spécifiquement dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes dès lors que ces programmes peuvent incidemment y contribuer. À titre d'exemple, il apparaît possible de financer une prise en charge médico-sociale des femmes victimes de violences par le biais du programme « EU4Health ».
Ils relèvent toutefois que la mobilisation de ces fonds risque de s'avérer difficile : ils savent en particulier le dimensionnement restreint du FSE +, déjà fortement sollicité dans le cadre de l'aide alimentaire58(*). Ces difficultés seront particulièrement importantes pour les associations, qui n'ont pas nécessairement les moyens humains suffisants pour répondre aux appels à projets européens, a fortiori lorsque l'on connait le caractère parfois tatillon des contrôles et des audits européens59(*).
Pour cette raison, il apparaît préférable que l'administration propose elle-même des projets dans le cadre de ces fonds, éventuellement en parallèle des associations et en tout état de cause en concertation avec elles - un peu de la même manière que FranceAgriMer reçoit et répartit les fonds européens destinés à l'aide alimentaire. La DGCS a indiqué avoir « pour ambition de proposer des projets dans le cadre des fonds existants », ce dont les rapporteurs spéciaux se félicitent.
Recommandation : Développer le recours aux fonds européens, y compris de manière indirecte, pour le financement d'action de lutte contre les violences faites aux femmes
C. LES FINANCEMENTS PRIVÉS : PIÈGE OU AUBAINE ?
1. Le recours aux financements privés, relativement marginal, tend à se développer
S'il n'est pas possible de déterminer avec précision le montant des dons des particuliers et des entreprises contribuant à financer les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, le nombre de femmes et des filles ciblées et l'impact social de ces investissements, il est bien connu que plusieurs associations nationales du champ de l'égalité entre les femmes et les hommes bénéficient de financements privés.
En 2023, les financements privés représentent ainsi 21,5 % des ressources de la Fédération nationale des centres d'information des droits des femmes et des familles (FN-CIDFF) ; la même année, les dons des entreprises (mécénat) et des particuliers dont a bénéficié la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF) qui gère la plateforme téléphonique 3919, s'est élevé à 1 064 710 euros.
La recherche de co-financements, y compris via des fonds privés, est même encouragé par l'État de manière assumée. Ainsi, la DGCS a indiqué qu'au niveau local, « les crédits du programme 137 ont vocation à impulser les actions et dispositifs innovants, dans une dynamique partenariale et de co-financement systématique avec d'autres acteurs publics (autres ministères, collectivités territoriales...), ainsi qu'avec les structures privées (fondations, entreprises) », dans une logique « d'effet levier ».
Aux fins de mieux mobiliser les financements privés, le plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 prévoyait une mesure fiscale visant à inciter les dons des particuliers aux entreprises. Cette mesure, adoptée dans la loi de finances pour 202460(*), a étendu le droit à réduction d'impôt de 66 % pour les dons des particuliers effectués au profit des organismes d'intérêt général concourant à l'égalité entre les femmes et les hommes. Après quoi la doctrine concernant le régime du mécénat d'entreprise à été mise à jour dans le même sens par l'administration fiscale61(*). Cette mesure renforce ainsi l'incitation fiscale à soutenir les associations oeuvrant dans le champ des droits des femmes.
2. Développer le recours aux financements privés sans les substituer aux fonds publics
La collecte de fonds privés peut également constituer une solution de financement complémentaire, en particulier à l'heure où la pression sur les finances publiques fait peser des risques importants sur les associations. Toutefois, celle-ci exige en elle-même des moyens pour les associations, et ces financements ne sont, par nature, pas garantis62(*).
Deux pratiques inspirantes permettent toutefois de limiter ces risques.
D'abord, les rapporteurs spéciaux souhaitent mettre en avant la pratique de la Fondation des Femmes qui, sous égide de la Fondation de France, collecte des fonds auprès des particuliers ou de fondations privées et reverse les dons collectés aux associations de terrain. Ces reversements ont permis, aux dires des associations entendues, d'apporter un soutien crucial à d'autres associations qui rencontraient des difficultés faut d'avoir pu recevoir leurs subventions.
En outre, les rapporteurs spéciaux relèvent que plusieurs associations proposent des prestations de formation dans le secteur public ou privé, et qu'elles peuvent bénéficier de rémunérations à ce titre. Bien sûr, ces rémunérations doivent également couvrir les coûts de ces prestations, mais elles présentent en outre l'intérêt de promouvoir directement l'égalité auprès des bénéficiaires des formations.
Les rapporteurs spéciaux appellent donc au développement de ces solutions de financement, à condition qu'elles n'aient pas d'effet d'éviction sur les financements publics.
Recommandation : En compléments de financements publics, encourager le développement de solutions de financement sur fonds privés, en s'inspirant des pratiques de collecte de fonds de la Fondation des femmes ou en recourant à la vente de prestations de formation à l'égalité et à la lutte contre les violences
II. UNE POLITIQUE PUBLIQUE PROMUE AVEC CONVICTION PAR DES ACTEURS ENCORE INSUFFISAMMENT DOTÉS
A. L'ADMINISTRATION DE L'ÉGALITÉ : UN MIRAGE QUI PEINE À DEVENIR RÉALITÉ
1. Le service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE) : un acteur central qui manque encore de capacité d'action interministérielle
Le Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) et son réseau déconcentré constituent l'administration dédiée du ministère en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes. Le schéma ci-dessous en présente succinctement l'organisation.
Les services chargés du pilotage de la politique d'égalité menée par l'État
Note : les référents mentionnés dans l'organigramme n'existent pas dans tous les ministères.
Source : Cour des comptes
a) Un acteur central encore contrarié dans son ambition interministérielle
Le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE), comme son nom l'indique, ne constitue pas une direction d'administration centrale ni une délégation interministérielle. Il s'agit d'un service de taille réduite, parmi d'autres, rattaché à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
Si le directeur général de la cohésion sociale est également, en tant que tutelle du SDFE, délégué interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes, il ne dispose pas à ce titre d'une véritable administration.
Le SDFE a pour principales missions de « concevoir, d'impulser, de promouvoir et d'assurer la mise en oeuvre stratégique et opérationnelle de la politique publique d'égalité entre les femmes et les hommes ; il contribue à éclairer les décisions publiques concernant ces politiques. »
Les missions principales du SDFE
L'action du SDFE contribue à :
- la prévention et la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes, dans la sphère privée comme dans l'espace public, la prise en charge et l'accompagnement des femmes victimes de violences, et la responsabilisation des auteurs de violences ;
- l'accès effectif des femmes à leurs droits, dans le champ politique et le champ social, à la prévention et au traitement des situations de précarité, de pauvreté et d'exclusion ;
- la garantie du droit des femmes à disposer librement de leur corps, l'accès aux soins, la prise en compte des spécificités liées à la santé des femmes et aux pathologies féminines ;
- l'insertion et l'autonomie économiques des femmes, l'accélération de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les secteurs privé et public, le développement de la mixité des emplois et l'articulation des temps de vie ;
- la transmission d'une culture de l'égalité dès le plus jeune âge et à toutes les étapes de la vie, la lutte contre les stéréotypes dans toutes les sphères de la société.
Il contribue également à développer l'innovation et la connaissance en produisant, diffusant et valorisant des données, analyses et diagnostics en matière d'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines d'action et les politiques publiques. Par ailleurs, le SDFE participe aux travaux du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) et travaille en collaboration avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences (MIPROF).
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Le SDFE a donc des attributions comparables à la fois à une administration centrale : à ce titre, il anime un réseau constitué d'une administration déconcentrée des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes ; il pilote également les crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ».
Ses attributions s'apparentent également à celles d'une délégation interministérielle, dans la mesure où le SDFE pilote et anime l'action interministérielle en faveur des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, notamment à travers les hautes fonctionnaires à l'égalité des droits (HFED).
Le réseau des hautes et hauts fonctionnaires à l'égalité des droits (HFED) est constitué de fonctionnaires nommés au sein de chaque ministère. Ils sont les pilotes de la politique d'égalité entre les femmes et les hommes dans leur ministère, tant en ce qui concerne la politique de l'État-employeur que pour la mise en oeuvre de leurs politiques publiques sectorielles. Toutefois, les hauts fonctionnaires à l'égalité ne disposent, du fait de leur statut, que d'un pouvoir d'impulsion limité en matière de politique publique, le véritable pouvoir de décision étant l'apanage des ministres. En outre, ces attributions demeurent insuffisamment valorisées.
Les missions des hauts fonctionnaires à l'égalité (HFE)
Elles sont prévues par la circulaire du 23 août 2012 :
- définir et mettre en oeuvre une politique publique en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes (coordination des travaux permettant de dresser l'état des lieux en matière d'égalité entre les femmes et les hommes dans l'ensemble des politiques relevant du ministère, élaboration des feuilles de route, coordination de la préparation et du suivi du plan d'action interministériel) ;
- suivre et impulser une politique des ressources humaines égalitaire (suivi des nominations de femmes aux emplois supérieurs avec le secrétariat général et les services chargés des ressources humaines du ministère, proposition de toutes mesures de nature à favoriser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle des agent.e.s) ;
- suivre les travaux relatifs au renforcement de la prise en compte de la question des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes dans la préparation des textes législatifs et réglementaires et dans les indicateurs de performance des programmes du budget de l'État (élaboration des études d'impact ou du document de politique transversale) ;
- prendre toutes les initiatives utiles pour favoriser l'implication des services déconcentrés dans les politiques d'égalité entre les femmes et les hommes mises en oeuvre dans les territoires (notamment dans le cadre des plans régionaux stratégiques en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes élaborés par les préfets de région).
Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Le SDFE a également de liens privilégiés avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et avec le Haut conseil de l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE). En effet, trois équivalents temps plein (ETP) attribués aux SDFE sont mis à la disposition de ces institutions pour leur fonctionnement (cf. infra).
Enfin, le SDFE est l'interlocuteur privilégié des associations et des collectivités territoriales en ce qui concerne la promotion de l'égalité femmes-hommes et la lutte contre les violences faites aux femmes.
Dans son rapport relatif à la politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État de 2017 à 2022, paru en septembre 2023, la Cour des Comptes a souligné que le SDFE et le réseau déconcentré ont dû faire face à une forte augmentation de leurs missions pendant cette période, sans moyen humain supplémentaire jusqu'en 2024, et « peinent à remplir leur fonction »63(*). À la suite de ce rapport, les effectifs du réseau déconcentré ont été renforcés en 2024 par la création de 10 ETP.
Cette dynamique de renforcement des moyens du SDFE et du réseau serait à poursuivre afin de sécuriser l'exercice de l'ensemble de ses missions : la Cour des comptes propose ainsi que « porter les effectifs réels des services territoriaux des droits des femmes (124,2 ETP) au niveau prévu en théorie (soit 140 ETP). »
Le SDFE ne bénéficie ainsi pas d'un poids suffisant pour assurer une forte mobilisation des autres directions ministérielles concernées par la question des violences, et n'est surtout pas outillé pour répondre à toutes les missions croissantes demandées par le ministère. Il en est de même pour le réseau déconcentré qu'il anime.
L'efficacité de l'administration n'a, il est vrai, pas été favorisée par les changements récurrents à sa tête. Depuis 2017, ce ne sont pas moins de sept ministres qui se sont succédées à ce portefeuille, de telle sorte que, sitôt qu'une relation de travail fructueuse et confiante s'était établie entre le politique, l'administration et les associations, elle était remise en cause. Une certaine stabilité à ce portefeuille serait certainement appréciée par le secteur - et sans doute par l'administration.
b) La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) : une structure presque évanescente
La MIPROF a trois missions principales : d'abord, elle constitue d'une part l'Observatoire national des violences faites aux femmes et contribue à la production de connaissances dans ce domaine ; ensuite, elle réalise de nombreuses actions de formation à destination de l'administration de l'État, des collectivités territoriales ou de la société civile (en milieu scolaire notamment) ; enfin elle assure la coordination nationale de la lutte contre la traite des êtres humains.
Toutefois, pour mener à bien ces missions, la MIPROF dispose de moyens très limités, qui en font une structure presque évanescente.
Ses effectifs sont en effet très faibles : seules 9 personnes y travaillent, dont deux magistrates, 6 contractuels et une doctorante. Pour dérisoires qu'ils soient, ces moyens humains très limités constituent tout de même une véritable amélioration par rapport au passé récent, où la MIPROF ne comptait que 5 personnes.
Quant aux moyens financiers de la MIPROF, ils sont presque introuvables, l'intégralité de la structure devant fonctionner - outre la rémunération de ses personnels - avec une ligne de frais de seulement 9 000 euros par an. L'activité de la mission fait ainsi largement appel aux financements de partenaires publics ou privés, par exemple pour réaliser des longs-métrages.
2. L'administration déconcentrée des délégations aux droits des femmes : un réseau peu équipé et inégalement exploité
a) Les effectifs de l'administration déconcentrée ne lui permettent guère de conduire convenablement ses missions
À la suite de la réforme territoriale de 2015, une nouvelle organisation du réseau a été mise en place en 2017. Ce schéma d'organisation, exposé ci-après, n'a pas été modifié lors de l'entrée en vigueur de la réforme de l'organisation territoriale de l'État effective depuis le 1er avril 2021.
Au niveau régional, le réseau déconcentré compte 18 directrices et directeurs régionaux (DR) : 13 dans l'Hexagone et 5 dans les outre-mer. Pour chaque région hexagonale, la directrice ou le directeur régional (DR) est secondé par une ou d'un directeur régional délégué (DRD), ainsi que par une ou un assistant de gestion (AG) chargé de l'engagement des crédits de subvention aux associations et de la consolidation du suivi de l'activité budgétaire. Cette équipe est rattachée à la préfète ou au préfet de région (SGAR). En Outre-mer, le réseau est constitué d'une directrice ou d'un directeur régional pour chaque DROM et d'un cadre de gestion.
Au niveau départemental, une ou un délégué départemental (DD) est positionné au sein des direction départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) ou, dans certains départements, directement auprès du préfet. Le délégué du département chef-lieu de région est intégré à l'équipe régionale des droits des femmes auprès du SGAR, pour plus de cohérence.
Comme cette rapide présentation le laisse deviner, le réseau déconcentré des délégations aux droits des femmes est très « léger », pour ne pas dire insuffisamment doté. En effet, le schéma d'emploi du SDFE et du réseau déconcentré des droits des femmes, compris dans les effectifs des ministères sociaux, n'a pas subi de trajectoire ascendante jusqu'en 2024, alors même que, comme le soulignait la Cour des comptes64(*), les sollicitations adressées au SDFE et au réseau déconcentré ont été multiplié, ces dernières années, dans des proportions considérables.
En 2025, le SDFE s'est vu notifier 25 ETPT et 130,6 ETPT pour le réseau déconcentré aux droits des femmes65(*).
Évolution des effectifs du SDFE et de son réseau déconcentré de 2018 à 2025
(en euros, en ETP et en ETPT)
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
SDFE* |
27,6 |
25,1 |
21,8 |
28,8 |
28,8 |
28,8 |
28,8 |
28,8 |
Coût estimé*** |
2 656 996,8 |
2 416 326,8 |
2 098 642,4 |
2 772 518,4 |
2 772 518,4 |
2 772 518,4 |
2 772 518,4 |
2 772 518,4 |
Réseau DFE** |
125,5 |
124,6 |
124,6 |
122,7 |
124,2 |
120,6 |
130,6 |
130,6 |
Coût estimé*** |
12 081 634 |
11 994 992,8 |
11 994 992,8 |
11 812 083,6 |
11 956 485,6 |
11 609 920,8 |
12 572 600,8 |
12 572 600,8 |
* 3,8 ETPT pour la MIPROF et le HCE sont intégrés dans les ETPT du SDFE.
** EPT jusqu'en 2022, EPTP à compter de 2023.
*** Le chiffrage est calculé sur la base d'un coût unitaire (estimation DFAS fin 2023) de 96 268 € CAS compris, pour une catégorie A administrative.
Source : réponse de l'administration au questionnaire des rapporteurs spéciaux
L'augmentation des effectifs du réseau déconcentré, renforcés en loi de finances pour 2024 par la création de 10 ETP, a permis la création d'un poste de chargé de mission à l'animation territoriale dans six régions et de doter les DROM d'un appui à la gestion budgétaire.
Le SDFE juge indispensable de poursuivre cette dynamique, ce que tend à confirmer le rapport de la Cour des comptes. Pour doter chaque région d'un poste de chargé de mission sur l'animation territoriale, les besoins sont estimés par l'administration à + 12 ETP. De même, la DGCS relève que l'instruction ministérielle du 3 février 2017 relative à l'organisation et aux missions du réseau des délégations aux droits des femmes implique un besoin réel de 152 EPT, alors que le schéma d'emploi du SDFE a été plafonné à 130,6 ETP depuis 2024. La Cour des comptes estime quant à elle le plafond d'emploi prévu en théorie à 140 ETP.
Les rapporteurs spéciaux appellent à combler cet écart afin de sécuriser le fonctionnement d'un réseau encore fragile et incomplet à l'heure actuelle.
Recommandation : Poursuivre le renforcement des moyens humains du SDFE et du réseau des délégations aux droits des femmes, en portant à terme les effectifs du réseau déconcentré au niveau qu'impliquent les missions définies par l'instruction ministérielle du 3 février 2017
b) Les services rencontrent des difficultés dans le pilotage stratégique de leur politique publique
Dans son rapport sur la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes conduite par l'État66(*), la Cour des comptes a souligné les lacunes du pilotage stratégique exercé par le SDFE et son réseau déconcentré. Pour fonder ce constat, la Cour s'est appuyée sur une analyse de la répartition des crédits budgétaires du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » : les magistrats financiers relèvent que ces crédits « sont reconduits d'année en année sans appréciation des besoins réels, ni ajustement des critères de répartition, créant des disparités inexpliquées. »
Les rapporteurs spéciaux partagent, dans leur globalité, les constats de la Cour des comptes : en effet, il est remarquable que la répartition des crédits d'intervention du réseau déconcentré - malgré ce qu'en dit l'administration, qui se prévaut d'une répartition sur la base des besoins identifiées par des stratégies régionales - est relativement disparate entre les régions, sans que des critères transparents de répartition soient identifiables.
Le réseau déconcentré de la région Pays de la Loire perçoit ainsi, en proportion de ses habitants, significativement moins (0,65 euro par habitant) que la région Hauts-de-France (1,02 euro par habitant), sans que les critères qui justifient cette répartition ne soient facilement identifiables.
Toutefois, les rapporteurs spéciaux sont tentés de nuancer la critique portée par la Cour des comptes : en effet, ils semblent que depuis 2023, avec le temps, les travaux menés par l'administration aient permis de mieux orienter les crédits vers les régions les moins riches du pays. Ainsi, la région Île-de-France, de loin la plus riche, est la moins bien dotée (0,5 euro par habitant), tandis que la Corse et les Outre-mer bénéficient de montants sensiblement supérieurs : 1,48 euro par habitant en Guadeloupe, 1,84 euro par habitant en Corse, et jusqu'à 2,1 et 2,21 euros par habitant en Guyane et à Mayotte respectivement. Il est également frappant de constater que les inégalités femmes-hommes, et singulièrement les violences faites aux femmes, revêtent une particulière acuité dans ces territoires67(*).
Il semble que l'administration aient mis à profit l'augmentation des crédits délégués au réseau déconcentré (+ 95,4 % en CP entre 2020 et 2024) pour orienter progressivement les crédits vers les régions où les besoins étaient les plus importants ou vers les territoires les moins aisés. En effet, la répartition des crédits en 2020 semble bien moins cohérente que celle de 2024 : la région Bourgogne-Franche-Comté y recevait plus de crédits par habitant que la Guyane.
Répartition des crédits alloués à chaque délégation régionale en 2024
(en euros par habitant)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le SDFE
Si le SDFE applique des critères objectifs et rationnels pour la répartition de ces crédits déconcentrés, il conviendrait qu'il les rende publics.
c) Les délégués aux droits des femmes et les référents égalité : un positionnement délicat et une influence variable
Ainsi qu'il a été dit, les délégations régionales aux droits des femmes comportent trois agents : un directeur régional (DR), secondé par un directeur régional délégué (DRD), ainsi que par un assistant de gestion (AG). Il s'agit d'une structure très « légère » ; mais l'organisation des délégations départementales pousse cette logique plus loin puisqu'elles ne sont composées que d'un seul délégué départemental.
De même, chaque service régional ou départemental ne comporte qu'un seul référent égalité.
Pour ces personnels, le positionnement est délicat et l'influence est variable. Les délégués départementaux, en particulier, supportent seuls une charge de gestion très importante : ils doivent gérer des enveloppes de crédits très conséquentes et toutes les missions de coordination leur reviennent. Comme les rapporteurs spéciaux d'alors l'avaient relevé dans leur rapport de 2020, cette situation expose ces personnels à « un risque d'épuisement professionnel (...) face à un surcroit de tâches. »68(*) Le SDFE a indiqué que ces risques étaient d'autant plus élevés que les effectifs du réseau sont contraints - en 2024, la crainte d'un dépassement du schéma d'emploi a par exemple conduit à geler certains recrutements - ce qui ne permet pas d'alléger la charge de travail qui pèse sur ces personnels.
Les responsabilités des délégués départementaux sont d'autant plus importantes que leur influence est variable : elle dépend en particulier fortement de la personnalité du préfet de département et de son engagement sur les sujets d'égalité entre les femmes et les hommes. À cet égard, la question du placement des délégués - auprès de l'administration déconcentrée, la DDETS en l'occurrence, ou directement auprès du préfet - constitue un choix crucial. Selon le SDFE, deux tiers des délégués sont aujourd'hui placés auprès des DDETS, et seulement un tiers auprès des préfets.
Les différents travaux d'évaluation, dont l'un diligenté par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) en 2024, ont pu aboutir à des conclusions divergentes sur cette question. Les rapporteurs spéciaux considèrent quant à eux qu'il convient de privilégier un placement direct auprès du préfet. Il leur apparaît en effet que les délégués pourraient d'autant mieux s'acquitter de leurs missions qu'ils bénéficieront de la proximité et de l'appui du préfet, chef de l'administration déconcentrée.
Recommandation : Privilégier le placement des délégués départementaux aux droits des femmes directement auprès des préfets de département
3. Doter la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes d'une véritable administration ministérielle
La Cour des Comptes, dans son rapport précité69(*), a recommandé l'intégration au SDFE des effectifs de la MIPROF. Cette recommandation a été accueillie avec circonspection par les principaux intéressés : l'administration a ainsi rappelé que le SDFE et la MIPROF ont d'ores et déjà développé une collaboration plus étroite pour parvenir à une meilleure articulation de leurs missions respectives, et quelle partagent même un certain nombre de leurs effectifs. Les deux institutions ont également souligné que la MIPROF était également chargée de la coordination des plans nationaux de lutte contre la traite des êtres humains, sujet qui dépasse la lutte contre les violences faites aux femmes - bien qu'elle la recoupe.
Dès lors, une « fusion » des deux structures aboutirait soit à intégrer à l'administration de l'égalité femmes-hommes le sujet de la traite des êtres humains, soit à priver la MIPROF de l'une de ses attributions.
La MIPROF a néanmoins indiqué qu'un tel rapprochement pourrait permettre de réduire les « doublons », notamment en matière d'information et de formation, en limitant la multiplication des supports et des outils développés parallèlement par les deux institutions.
Pour les rapporteurs spéciaux, le principal défi de l'administration de l'égalité est la transformation du SDFE en une véritable administration centrale à vocation interministérielle, comme le rapport de 2020 le proposait70(*). À cette fin, plusieurs scenarios peuvent être envisagés, mais il s'agirait dans tous les cas de renforcement des moyens de la MIPROF et du SDFE, avec la transformation du SDFE en délégation interministérielle, qui pourrait éventuellement comprendre la MIPROF si la recommandation de la Cour des comptes était suivie.
Cette nouvelle architecture placerait résolument le SDFE face aux autres administrations centrales et permettrait enfin un portage interministériel nécessaire. Pour donner plus de pouvoir à ces instances et renforcer le portage politique, le rattachement à un ministère des droits des femmes lui-même rattaché aux Premier ministre devrait être envisagé.
Enfin, le positionnement et le rôle des hauts fonctionnaires à l'égalité doivent également être renforcés, notamment en leur conférant plus de place au sein des cabinets ministériels.
La révision de la circulaire du Premier ministre du 23 août 2012 relative à la mise en oeuvre de la politique interministérielle en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, proposée par le ministère en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, pourrait être le vecteur de cette transformation.
Les rapporteurs spéciaux renouvellent la recommandation avancée dans le rapport de 2020 de la commission des finances sur le même sujet. Près de 100 ans après la parution de l'oeuvre de Virginia Woolf, il est temps que la cause de l'égalité ait, enfin, une administration à soi71(*).
Recommandation : Revoir le positionnement du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) en dotant cette politique publique d'une véritable administration centrale et interministérielle, en transformant le SDFE en délégation interministérielle et en y intégrant, éventuellement, la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF)
B. LES ASSOCIATIONS : PETITES MAINS MAIS BRAS TROP PEU ARMÉ DE LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
1. Compte-tenu du rôle essentiel des associations dans la lutte contre les violences, leur financement a presque doublé depuis 2020
a) Le rôle essentiel des associations dans la lutte contre les violences faites aux femmes
Comme l'avaient relevé les rapporteurs spéciaux d'alors dans leur précédent rapport72(*), les associations - souvent des petites structures - « jouent un rôle essentiel dans la prévention et l'accompagnement des femmes victimes de violences, en offrant un service de conseil, d'accès à l'information et de mise à l'abri notamment. »
Ainsi, les numéros d'écoute sont principalement gérés par des associations. La Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) gère la ligne 39.19, le Collectif Féministe Contre le Viol (CVCF) a également une ligne directe (0800 05 95 95), comme l'association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA). De même, l'essentiel des accueils de jour sont portés par des structures associatives. De nombreuses associations (une femme un toit, l'amicale du Nid, le réseau « Solidarité femmes » etc.) constituent des lieux d'hébergement, sans parler des structures de prises en charge globale comme la Maison des femmes et Women Safe. Par ailleurs, elles jouent un rôle indispensable pour la mise en oeuvre du parcours de sortie de la prostitution (cf. infra, partie 3).
Quant aux centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) et des espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), ils mènent également des actions essentielles, pour les femmes victimes de violences (cf. infra, partie 3).
Or, comme les rapporteurs spéciaux d'alors l'avaient souligné dans un rapport de 202373(*), la place accrue des associations dans l'action publique peut apparaître comme le signe d'un désengagement concomitant de l'État75(*). Dans la mesure où l'action associative correspond à une modalité de l'action publique, les rapporteurs spéciaux considèrent comme indispensable que l'État assure un soutien efficace du secteur associatif.
b) Le montant des subventions versées aux associations a presque doublé en cinq ans
Compte-tenu du rôle indispensable que remplissent les associations dans la lutte contre les violences faites aux femmes, le montant total des subventions qui leur sont versées sur le programme 137 a également augmenté : en 2020, 33,9 millions d'euros ont été versés aux associations spécialisées en la matière ; ce sont 60,1 millions d'euros qui l'ont été en 2024, soit une augmentation de 79,8 %, qui représente presque un doublement.
Bien sûr, le programme 137 n'est pas le seul vecteur de financement des associations impliquées dans la lutte contre les violences faites aux femmes : le Collectif féministe contre le viol (CFCV), par exemple, reçoit également des financements du programme 304, à hauteur de près d'un quart (23 %) de ses financements publics.
Évolution des crédits
dédiés aux associations sur le programme
137
entre 2020 et 2024
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du SDFE au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Les associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont, dans leur globalité, reconnu avec satisfaction avoir obtenu une augmentation de leurs financements publics via le programme 137. Toutefois, la grande majorité de ces associations a également souligné l'impact de l'inflation et la hausse des besoins en matière d'accompagnement des victimes, qui ont fortement réduit la portée de ces augmentations et nécessiteraient selon elles une progression plus soutenue de leurs moyens.
2. Des associations toujours fragilisées par l'imprévisibilité de leurs ressources et la faiblesse des moyens humains
a) Des associations souvent très dépendantes des financements publics
La majorité des associations dépend fortement des financements publics pour assurer ses missions.
Ainsi, le Mouvement du Nid est financé à 82 % par des subventions publiques, dont 46 % par le seul programme 137. Il en va de même pour le Collectif féministe contre le viol, pour lequel les financements d'État représentent 70 % des ressources (46 % pour les seul programme 137, 23 % pour le programme 304).
Même pour les réseaux très développés et dont les ressources sont très diversifiées, comme c'est le cas des CIDFF, le soutien public demeure prépondérant. De fait, si la FN-CIDFF a indiqué aux rapporteurs qu'un quart (25 %) de ses financements provenaient de sources privées - qu'il s'agisse de mécénat et de dons ou du concours de fondations privées - les financements publics restent indispensables, puisqu'ils représentent les trois quarts restants, donc 45 % de la part de l'État et 26 % de la part des collectivités territoriales.
Rares sont les associations, comme Women Safe, pour lesquelles les sources de financement public sont faibles (environ un tiers).
Cette dépendance aux fonds publics peut créer des difficultés lorsque ceux-ci tendent à s'amenuiser, comme c'est le cas, pour le Mouvement du Nid, des financements au titre du fonds de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), qui utilisent les biens confisqués aux condamnés pour proxénétisme aux fins de financer la lutte contre la prostitution.
Le Mouvement du Nid a ainsi indiqué que, si ses financements publics avaient globalement augmenté via le programme 137, l'inverse était vrai pour les fonds Agrasc, passés de 503 000 euros en 2020 à 225 000 euros en 2022 et 100 000 euros en 2024.
Surtout, la hausse de ces moyens financiers ne permet que difficilement - voire pas du tout - d'absorber la hausse de l'activité des associations depuis le mouvement « #MeToo ». Pour le Collectif féministe contre le viol, le nombre d'appels traités par la plateforme Viols femmes informations avait augmenté de 25 % entre 2018 et 2019 à la suite du mouvement #MeToo - progression qui n'a pas cessé depuis. Or les financements n'ont pas évolué à ce rythme.
b) L'insuffisance des moyens humains rend indispensable la compensation du « Ségur »
Pour remplir leurs missions, les associations ont également besoin de moyens humains. Or les auditions menées par les rapporteurs spéciaux tendent à montrer qu'en la matière, les associations sont toujours fortement fragilisées.
Certaines associations fonctionnent très largement grâce au bénévolat, qui constitue à cet égard une ressource capitale. Ainsi, le Mouvement du Nid compte environ 400 bénévoles pour 35 salariés.
Toutefois, les nécessités de l'accompagnement des victimes et de l'animation des réseaux conduisent les associations à se « professionnaliser » et à compter parmi elles de plus en plus de salariés : le Collectif féministe contre le viol compte ainsi 19 salariés - dont 13 écoutantes et 4 poste administratifs - pour seulement 10 bénévoles ; l'Amicale du Nid compte 271 professionnels pour 50 bénévoles ; enfin, la FN-CIDFF fait état de 1 1170 équivalents temps plein (ETP) mobilisés au sein du réseau de CIDFF.
Dans ce contexte, de nombreuses associations ont été très fragilisées par l'extension de la prime dite « Ségur » aux membres de leur personnel. En effet, si cette mesure était attendue depuis plusieurs années, elle se traduit pour les associations-employeurs par des dépenses supplémentaires qui peuvent mettre en danger leur équilibre économique. Pour la FN-CIDFF, le surplus de dépenses liés au « Ségur » serait ainsi de près de 8 millions d'euros.
Pour d'autres associations, le montant est plus modeste : il s'établit par exemple à 202 300 euros pour le Mouvement du Nid. Il s'agit toutefois d'un chiffre non négligeable pour de petites structures à l'équilibre précaire et avec peu de salariés.
C'est pourquoi, lors de l'examen du PLF 2025, un amendement76(*) de Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, a été adopté, avec un avis favorable des rapporteurs spéciaux et de la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, afin d'ouvrir 7 millions d'euros supplémentaires sur le programme 137 pour compenser le coût du Ségur pour les associations de lutte contre les violences faites aux femmes.
Il est donc indispensable que ces financements soient rapidement versés aux associations, certaines d'entre elles ayant indiqué aux rapporteurs spéciaux ne pas les avoir reçus.
c) Des difficultés persistantes pour le versement des subventions et le pilotage des financements
Dans leur rapport de 202377(*), les rapporteurs spéciaux d'alors avait relevé que les associations ne disposaient pas de visibilité sur leurs financements en provenance de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et qu'elles attendaient parfois de longs mois avant d'obtenir le versement de leurs subventions.
Aux dires des associations entendues par les rapporteurs spéciaux dans le cadre du présent contrôle, cet état de fait n'a guère connu d'amélioration depuis deux ans.
Pour remédier à ces difficultés, les rapporteurs spéciaux avaient notamment proposé d'augmenter la durée moyenne des conventions, en privilégiant les conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO) et en augmentant le nombre de conventions pluriannuelles signées pour une durée de quatre ans au lieu de trois et d'avancer le calendrier de programmation des subventions.
S'agissant de cette seconde recommandation, la DGCS a d'ores et déjà indiqué avoir mis en oeuvre un nouveau calendrier de programmation plus avancé que celui qui existait avant 2023.
Le nouveau calendrier de programmation des subventions au niveau central
Décembre N-1 : appels à propositions des bureaux métiers pour faire émerger les avant-projets à financer en année N.
Janvier : période de dépôt des avant-projets par les associations.
Février : instruction des avant-projets par les bureaux métiers.
Mars : retour des tableaux de programmation à SD5A78(*) (avec une éventuelle mise à jour des têtes de réseau).
Avril : validation de la programmation en « comités de programmation », associant le directeur général, la sous-direction métier et SD5.
Mai : transmission de la programmation aux cabinets.
Entre avril et juin : pré-notification, instructions, signature et mise en paiement des subventions.
Toutefois, ce calendrier ne s'applique pas aux avenants aux conventions pluriannuelles d'objectifs : dans ce cas, si le versement des avances est en principe prévu à la fin du premier trimestre de chaque année, ce calendrier ne peut bien souvent être respecté en raison d'aléas de gestion. En 2024, le gel des crédits du programme 137 décidé par le Gouvernement d'alors a ainsi empêché le versement des avances prévues aux associations.
Ces aléas de gestion expliquent probablement que certaines associations, comme le Collectif féministe contre le viol, n'aient obtenu leurs financements par avenant que très tardivement l'année dernière.
S'agissant de la première recommandation, les rapporteurs spéciaux sont satisfaits de constater qu'elle est globalement appliquée au niveau central, mais relèvent qu'elle ne l'est qu'inégalement au niveau déconcentré.
En 2024, 24 CPO étaient en cours d'exécution à l'échelon central du SDFE, avec notamment les principales têtes de réseau comme la fédération nationale des CIDFF (FNCIDFF), la fédération nationale solidarité femmes (FNSF) ou le mouvement français pour le planning familial (MFPF). Ces conventions pluriannuelles représentent un total de 9,9 millions d'euros pour l'année 2024. Hors CPO, 69 actes attributifs de subventions ont été dressés, dont 36 conventions annuelles et 33 arrêtés d'attribution.
Les CPO représentent donc un peu plus d'un quart des conventions signées (25,8 %) dans le total des actes attributifs au niveau central en 2024.
Au niveau déconcentré, en revanche, le recensement mené par le SDFE a constaté 1 931 actes attributifs de subventions ont été dressés, dont 259 actes liés à des CPO (renouvellement, avance ou solde), soit seulement 13,4 %. Ce chiffre ne tient toutefois pas compte des disparités selon les régions (cf. infra), liées aux particularités locales du tissu associatif. En effet, si certaines délégations régionales recourent très largement aux CPO comme en Bourgogne Franche-Comté (45,5 %) ou en Martinique (27 %), d'autres n'en font guère usage (Hauts-de-France, avec 6,2 %) voire n'y ont pas recours du tout (Corse, Guadeloupe, Guyane, etc.).
Les disparités de recours aux CPO témoignent soit d'une inégale mobilisation des délégations régionales dans le pilotage de la politique de l'égalité, soit d'une faible structuration des partenariats avec le tissu associatif dans les territoires concernés.
Part des CPO parmi les actes attributifs de subvention par région en 2024
Région |
Nombre d'actes |
Nombre de CPO |
Nombre de CAO/Arrêtés |
Part des CPO |
AURA |
184 |
37 |
147 |
20,10 % |
BOURGOGNE-FRANCHE COMTE |
66 |
30 |
36 |
45,50 % |
BRETAGNE |
103 |
8 |
95 |
7,80 % |
CENTRE-VAL-DE-LOIRE |
105 |
14 |
91 |
13,30 % |
CORSE |
21 |
0 |
21 |
0,00 % |
GRAND EST |
243 |
23 |
220 |
9,50 % |
GUADELOUPE |
25 |
0 |
25 |
0,00 % |
GUYANE |
7 |
0 |
7 |
0,00 % |
HAUTS DE FRANCE |
113 |
7 |
106 |
6,20 % |
ÎLE-DE-FRANCE |
192 |
16 |
176 |
8,30 % |
MARTINIQUE |
37 |
10 |
27 |
27,00 % |
MAYOTTE |
27 |
0 |
27 |
0,00 % |
NORMANDIE |
75 |
17 |
58 |
22,70 % |
NOUVELLE-AQUITAINE |
268 |
29 |
239 |
10,80 % |
OCCITANIE |
204 |
37 |
167 |
18,10 % |
PAYS-DE-LA-LOIRE |
131 |
14 |
117 |
10,70 % |
PROVENCE-ALPES-CÔTE D'AZUR |
104 |
13 |
91 |
12,50 % |
REUNION |
26 |
4 |
22 |
15,40 % |
TOTAL |
1931 |
259 |
1672 |
13,40 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du SDFE au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Recommandation : Poursuivre les travaux afin de fluidifier la procédure de conventionnement et d'améliorer les conditions d'octroi des subventions, en développant notamment le recours aux conventions pluriannuelles et en réduisant les délais de versement
TROISIÈME
PARTIE :
POURSUIVRE LA LUTTE À L'HEURE DE LA CONTRAINTE
BUDGÉTAIRE : QUELLES PRIORITÉS ?
I. LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES DOIT DAVANTAGE INVESTIR LES SITUATIONS HORS DU COUPLE ET LA PRÉVENTION
A. MALGRÉ LES PROGRÈS DANS LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES, UN LONG CHEMIN RESTE À PARCOURIR POUR ACCOMPAGNER LES VICTIMES DE VIOLENCES HORS DU COUPLE
1. Un bilan globalement positif s'agissant de la protection et l'indemnisation des victimes de violences conjugales
a) Un déploiement satisfaisant des dispositifs de protection
(1) Les téléphones grave danger (TGD) : un déploiement déjà important
Le dispositif de téléphones grave danger (TGD) a été mis en place en 2013. Il permet aux victimes, en cas de grave danger, de contacter immédiatement un service de téléassistance disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cette plateforme évalue la situation et, si nécessaire, contacte les forces de l'ordre via un canal dédié pour intervenir rapidement.
Nombre de TGD actifs et en attente d'affectation
(en unité - gauche - et en pourcentage - droite)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
À ce titre, les TGD jouent un rôle fondamental dans la protection des victimes de violences conjugales et de viols.
Comme le démontre le graphique supra, ce dispositif a été renforcé par les mesures du Grenelle, prévoyant le déploiement de 5 000 TGD supplémentaires d'ici 2022. Depuis 2020, le nombre de TGD déployés et actifs a augmenté de façon constante et significative. Au 3 janvier 2025, 6 273 TGD sont déployés en juridiction ; en 2020, ils étaient 976 et 3 176 en 2021. Cela représente une hausse de 98 % des TGD déployés en juridiction pour répondre aux demandes des parquets.
En conséquence, la dépense de marchés publics au titre des TGD a fortement augmenté depuis 2020, passant de 1,8 à 8,5 millions d'euros en 2024, soit une augmentation de 372 % (cf. infra).
De même, après une hausse entre 2021 et 2023, la part des TGD en attente d'affectation a baissé de 30 % pour atteindre 19 % de l'ensemble des TGD en janvier 2025. Cette diminution de la part des TGD « inactifs » illustre une adéquation croissante du nombre de TGD aux besoins.
Les appels des femmes victimes, représentés par le nombre d'alarmes déclenchées, ont également connu une forte hausse au cours des dernières années. Entre 2022 et 2024, le nombre d'alarmes déclenchées a augmenté de 85 %. Si toutes ces alarmes n'engendrent pas systématiquement l'intervention des forces de l'ordre, la fréquence de telles interventions a augmenté de 73 % entre 2022 et 2024.
Évolution du recours aux TGD et dépenses associées entre 2020 et 2924
(en unités - gauche - et en millions d'euros - droite)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
Le déploiement des TGD semble dès lors répondre aux besoins identifiés sur le terrain et atteindre ses objectifs. Le nombre relativement important de TGD inactifs (environ un cinquième de l'ensemble des TGD) paraît également satisfaisant à ce stade et ne rend pas nécessaire un nouvel investissement massif dans ce dispositif.
(2) Les bracelets antirapprochement (BAR) : des besoins satisfaits par la disponibilité du matériel
Mesure-clé de la loi nº 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, le bracelet antirapprochement (BAR) est un dispositif technique de surveillance électronique mobile visant à interdire le rapprochement entre les deux partenaires ou ex-partenaires, d'un couple.
Évolution du nombre de BAR en activité et de décisions de justice associées
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
Le nombre de BAR actifs a fortement augmenté, passant de 267 en septembre 2021 à 1 032 en septembre 2023, avant de diminuer pour atteindre 784 en avril 2025 - ce qui représente une augmentation de 517 BAR entre 2021 et 2025, soit un doublement.
Les BAR sont principalement associés à des peines : il s'agit en majorité des condamnations par le tribunal judiciaire ou des aménagements de peine, plus rarement des mesures de sûreté. Les Bar actifs associés à des ordonnances de protection ou à des mesures pré-sentencielles sont plus rares.
L'administration indique que « la variation du nombre de BAR actifs n'est pas liée à la disponibilité du matériel, mais résulte du nombre de décisions prononcées par les juridictions. En effet, le nombre de dispositifs disponibles (...) est actuellement suffisant pour répondre aux besoins des juridictions. »
Compte-tenu du coût des BAR, de nouveaux investissements dans de tels dispositifs peuvent être considérés comme non prioritaires.
Coût des bracelets antirapprochement (BAR)
(en millions d'euros)
Programme budgétaire imputé |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Programme 107-Administration pénitentiaire |
0,7 |
1,5 |
5,7 |
12,8 |
14,0 |
Programme 349- Transformation publique |
0,8 |
3,0 |
2,7 |
0,0 |
0,0 |
TOTAL |
1,5 |
4,5 |
8,4 |
12,8 |
14,0 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
(3) Une croissance constante du nombre d'ordonnances de protection délivrées
Inspirée de la législation espagnole, l'ordonnance de protection, a été créée par la loi du 9 juillet 2010, avec pour objectif principal de protéger les victimes de violences conjugales. Plusieurs réformes successives ont été adoptées pour améliorer son efficacité. Dernièrement, la loi du 13 juin 2024 (loi n° 2024-536 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate) a introduit deux avancées majeures : l'allongement de la durée des mesures, portée de 6 à 12 mois, et la création d'une ordonnance provisoire de protection immédiate.
Ce dispositif connaît une croissance constante, tant du nombre de demandes que de décisions statuant sur celles-ci, ainsi que d'ordonnances effectivement délivrées.
En effet, les décisions statuant directement sur la demande d'ordonnance de protection représentent la majorité des cas. En 2024, 6 235 décisions ont statué sur la demande, sur un total de 6 846 demandes (91 %) - 611 décisions n'ont pas statué sur la demande, en raison de désistement, de caducité ou de radiation - contre 5 027 décisions en 2020 sur 5 993 demandes (83,9 %). En outre, 4 261 ordonnances de protection ont été délivrées en 2024 (soit un taux d'acceptation de 68,3 %), contre 3 361 en 2020 (soit 66,9 %).
Évolutions du nombre de décisions
acceptant et rejetant les demandes d'ordonnances de protection
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
Le nombre de décisions octroyant une ordonnance de protection est donc en constante augmentation depuis 2020.
Toutefois, la part relativement importante des décisions de rejet s'expliquer par plusieurs facteurs, notamment l'interprétation des critères de délivrance établis par l'article 515-11 du code civil, qui établit deux critères cumulatifs pour que le juge aux affaires familiales puisse délivrer une ordonnance de protection :
- d'une part, la vraisemblance des violences (le juge doit être convaincu que des faits de violence ont eu lieu) ;
- d'autre part, l'existence d'un danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés.
Un rapport de recherche mené pour la mission « Droit et Justice » par l'université de Strasbourg79(*) a mis en évidence une interprétation autonome du critère du danger. Ainsi, même lorsque le juge considère les violences comme vraisemblables, cela ne conduit pas nécessairement à la reconnaissance automatique du danger. Une étude plus récente80(*), réalisée dans le cadre du comité national de l'ordonnance de protection (CNOP) révèle que, bien que la vraisemblance des violences soit souvent admise, le critère du danger, notamment le risque de réitération des violences, est fréquemment difficile à établir.
Il semble donc que ce soit ce second critère qui explique une partie des décisions de rejet. S'il n'appartient pas aux rapporteurs spéciaux de faire des propositions en matière de droit civil, ils relèvent que le CNOP a recommandé la suppression de la notion de danger, soulignant qu'elle « complexifie la décision à rendre par le juge ».
b) L'indemnisation des victimes de violences faites aux femmes est relativement satisfaisante dans les conditions de droit commun
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), créé en 1986, permet depuis 1990 l'indemnisation des victimes d'infractions de droit commun les plus graves (via les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions - CIVI81(*)) et, depuis 2008, à l'aide au recouvrement des dommages et intérêts alloués par une décision de justice (via le SARVI)82(*).
En 2023, plus de 25 500 victimes d'infractions de droit commun ont été prises en charge au titre de la CIVI, pour un montant total de 467 millions d'euros. Par ailleurs, 67 874 victimes ont été indemnisées au titre du SARVI.
S'il n'existe pas d'infraction spécifique intitulée « violences faites aux femmes » donnant lieu à une indemnisation par le FGTI, des données existent en ce qui concerne plus spécifiquement les violences sexuelles (viols, agressions et atteintes sexuelles, harcèlement sexuel) : 4 386 victimes de ces infractions ont été définitivement indemnisées par le FGTI en 2024, pour un montant total de 80,8 millions d'euros.
La loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice du 20 novembre 202383(*) a élargi l'accès à l'indemnisation devant les CIVI pour les victimes mineures et les victimes de violences intrafamiliales, en abaissant le seuil de gravité des blessures : ainsi, les victimes majeures ou mineures peuvent désormais bénéficier d'une indemnisation à condition de justifier d'au moins huit jours d'incapacité totale.
Enfin, une enquête conduite par le FGTI fait état d'un taux de satisfaction élevé des victimes.
2. Le développement d'une prise en charge intégrée des femmes victimes de violences et des enfants victimes ou co-victimes constituent des axes d'amélioration importants
a) Des structures d'accueil et de prise en charge toujours aussi précaires et faiblement développées
Si les crédits dédiés aux diverses structures d'accueil et de prise en charge ont sensiblement augmenté ces dernières années, ces structures demeurent précaires et insuffisamment déployées.
Évolution des crédits
dédiés
au titre des CIDFF, EVARS, LEAO et AJ
entre 2020 et 2024
(en millions de crédits de paiement exécutés)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
(1) Les centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) : un réseau crucial dont l'implantation est inégalement répartie sur le territoire
Les CIDFF ont accompagné plus de 200 000 femmes en 2024, dont près de 70 % victimes de violences. Ils à ce titre la première solution d'accueil et d'accompagnement des femmes, qu'elles soient ou non victimes de violences - et donc bien au-delà des seules victimes de violences conjugales. Ils ont à ce titre assuré plus de 2 598 permanences.
Les financements alloués aux CIDFF peuvent être divisés en trois parts :
- d'abord, le financement consacré, via une convention pluriannuelle d'objectifs (CPO), au soutien à l'action de la fédération nationale des CIDFF (FN-CIDFF), qui représente 1,43 million d'euros pour 2025 ;
- les financements dédiés aux CIDFF et à leurs fédérations régionales, qui s'élèvent à 6,6 millions d'euros pour 2025 ;
- les financements dédiés à des projets spécifiques portés par les CIDFF en complément de leurs missions d'information des femmes sur leurs droits (pour lesquelles ils sont agréés par les préfets de région) : ainsi, les 98 CIDFF ont à ce titre bénéficié, au total, de 9,6 millions d'euros sur le programme 137 en 2022, dont - par exemple - 543 895 euros au titre d'actions de lutte contre les violences, 200 400 euros pour des actions de lutte contre la prostitution ou encore un peu plus d'un million d'euros pour des actions d'accueil de jour (cf. infra).
Si les CIDFF constituent un réseau crucial pour la politique d'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences faites aux femmes, force est de constater qu'il est financièrement fragile. L'association Women Safe a ainsi porté à la connaissance des rapporteurs spéciaux la situation très difficile du CIDFF du Finistère, dont l'antenne de Morlaix a même été supprimée.
La même association a également indiqué que, alors que 50 % des féminicides sont commis en milieu rural, les ressources sont concentrées dans les zones urbaines et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) - le SDFE a effectivement indiqué que 615 permanences des CIDFF avaient lieu dans des QPV en 2024.
Le manque de moyens conduit donc à fragiliser un réseau indispensable et à faire obstacle à son implantation sur l'ensemble du territoire.
(2) Les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO) et les accueils de jour (AJ) : une réforme à l'étude pour plus de lisibilité et de qualité de prise en charge
Les LEAO et accueils de jour sont des dispositifs spécialisés dans l'accueil et l'accompagnement des femmes victimes de violences. Ils constituent bien souvent un dispositif de première prise en charge dans le parcours de sortie d'une situation de violences conjugales et dispensent un accompagnement : permanences juridiques, bureaux d'aide aux victimes, etc. Ils interviennent aussi en complémentarité des hébergements pour les femmes victimes de violences.
Il est donc indispensable que ces ressources soient facilement et rapidement identifiables, tant pour les victimes elles-mêmes que pour les professionnels ou partenaires concernés afin de bien orienter les victimes.
La distinction entre
les lieux d'écoute,
d'accueil et d'orientation (LEAO) et les accueils de jour (AJ)
Les accueils de jour (AJ), dispositif permettant un primo-accueil inconditionnel des femmes victimes de violences, en individuel et en collectif, visant à mettre à la disposition des victimes un lieu de proximité ouvert sans rendez-vous durant la journée pour les accueillir, les informer et les orienter ;
Les lieux d'écoute d'accueil et d'orientation (LEAO), permanences associatives sur rendez-vous assurent des missions spécifiques d'accueil, d'information, d'accompagnement et d'orientation des femmes victimes de violences.
Source : SDFE
En 2021, on dénombrait 166 LEAO, répartis dans 95 départements, et 128 accueils de jour. Le montant des crédits exécutés en 2024 pour les deux dispositifs s'élève à 10,5 millions d'euros - soit une augmentation de 4 millions d'euros depuis 2020), dont 5,2 millions d'euros pour les LEAO et 5,3 millions d'euros pour les accueils de jour. Ces moyens seront reconduits en 2025.
Afin de renforcer le pilotage de ce dispositif, un chantier de refonte des AJ et des LEAO a été lancé en novembre 2024. L'objectif est de clarifier les missions de ces deux dispositifs complémentaires, afin de les faire évoluer vers un dispositif commun, dans un souci de meilleure visibilité de l'offre, de lisibilité des interventions et de qualité de la prise en charge.
À l'issue de ces travaux, menés en lien avec le réseau déconcentré aux droits des femmes, puis avec les associations spécialisées têtes de réseau, un appel à projets régional sera lancé au second semestre 2025. L'objectif est d'aboutir à une mise en oeuvre effective du nouveau dispositif en 2026.
Les rapporteurs spéciaux se montreront attentifs à la mise en oeuvre de cette refonte, en particulier aux conditions de passage des anciens dispositifs au nouveau.
(3) Les dispositifs d'accompagnement intégré : un développement encore insuffisant
Le Grenelle des violences conjugales aura permis des avancées majeures dans la prise en charge des victimes de violences, notamment dans son volet judiciaire.
Ainsi, les associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont confirmé les effets positifs de la formation des enquêteurs amenés à enregistrer des plaintes, avec un agent spécifiquement formé dans chaque commissariat ou gendarmerie - bien que des situations inacceptables de refus de dépôt de plainte par des agents non-formés remplaçants soient ponctuellement signalées.
Ces avancées doivent cependant être poursuivies en renforçant le caractère intégré de l'accompagnement. Ainsi, les LEAO et les accueils de jour peuvent disposer des intervenants sociaux dans les services de police et de gendarmerie.
De même, le Grenelle des violences conjugales a permis le déploiement de la procédure du dépôt de plainte dans les hôpitaux : cette procédure est aujourd'hui possible dans 542 établissements de santé, dont 61 prévoient le recueil de preuves sans plainte, grâce à la coordination entre les forces de l'ordre et les directions des établissements hospitaliers, en lien avec les agences régionales de santé.
De même, les crédits des agences régionales de santé (ARS) peuvent également être mobilisés, par exemple dans le financement des Maisons des femmes-Santé en cours de déploiement sur le territoire. Adossées à une structure hospitalo-universitaire ou hospitalière, les Maisons des femmes « prennent en charge », selon leurs propres termes, « les femmes victimes de violence, en évaluant l'impact de la violence sur la santé somatique, physique et sur les difficultés sociales tout en leur apportant une accompagnement psycho-social personnalisé. » Elles proposent ainsi « une prise en charge pluridisciplinaire de proximité, avec un guichet unique. »
En avril 2025, 107 Maisons des femmes-Santé, adossées à des établissements hospitaliers, sont en activité ou en projet, dans 86 départements. La Maison des femmes de Saint-Denis a toutefois constaté des difficultés du fait de l'hétérogénéité de l'accompagnement proposé par le réseau des Maisons des femmes, qui nécessiterait une homogénéisation réglementaire exigeante de leur cahier des charges.
Les rapporteurs spéciaux considèrent que le développement de ces structures d'accompagnement pluridisciplinaire et intégré devrait être encouragé. Ce déploiement rend toutefois nécessaire la mobilisation de financements divers, de l'État - incluant mais ne se limitant pas au programme 137 -, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales, compte-tenu du caractère transversal de l'accompagnement proposé. De même, le recours à des fonds privés, lorsque cela est possible, ne doit pas être écarté (cf. supra, partie 2).
Recommandation : Favoriser le développement des structures d'accompagnement et encourager l'émergence de structures de prise en charge intégrée des femmes victimes de violences, en mobilisant des financements de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales, ainsi que des fonds privés
b) La prise en charge des enfants victimes et co-victimes de violences appelle une coordination avec la stratégie nationale de protection de l'enfance
Le Haut conseil à l'égalité relevait également que « les violences s'exercent sur les enfants » : le rapport très attendu de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE)84(*) en novembre 2023 a ainsi révélé que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. Au total, 5,4 millions de femmes et d'hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance85(*).
Dès lors, il a paru important aux rapporteurs spéciaux de vérifier si la politiques de lutte contre les violences faites aux femmes et la stratégie nationale de protection de l'enfance étaient coordonnées et articulées entre elles.
De telles articulations existent. Ainsi, dans le cadre du Grenelle, certaines mesures (33 à 36 par exemple) visaient à renforcer spécifiquement la sécurité des enfants dans le cadre des violences conjugales, par le développement d'espaces de rencontre sécurisés, par la suspension de l'autorité parentale du parent violent ou par la promotion des unités d'accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED).
De même, les grands plans et stratégies nationaux promeuvent une prise en compte transversale des enfants victimes ou co-victimes de violences conjugales ou de violences sexistes et sexuelles plus généralement. Ainsi, le plan « Toutes et tous égaux » 2023-2027 prévoit la désignation d'administrateurs ad hoc pour améliorer l'accompagnement des enfants co-victimes.
Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants vise à renforcer la prévention par l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (cf. infra) ou par l'allocation de moyens visant à atteindre la cible de 163 UAPED d'ici 2027, en lien avec les structures d'accueil des femmes victimes. Dans certains cas, les structures locales telles que les LEAO peuvent également proposer une prise en charge directe des enfants co-victimes, garantissant ainsi une continuité de soins et d'accompagnement.
Enfin, la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle prend en compte les publics majeurs comme mineurs, avec l'intégration dans les commissions départementales de lutte contre la prostitution, l'exploitation sexuelle et la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle d'acteurs de la protection de l'enfance, afin de mieux coordonner les actions de prévention, de sensibilisation et de prise en charge des mineurs victimes d'exploitation sexuelle.
Recommandation : Assurer une coordination effective entre les différents plans nationaux de lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences faites aux enfants
B. PRÉVENIR LES VIOLENCES, LUTTER CONTRE LA RÉCIDIVE ET FAVORISER L'ÉMANCIPATION DES FEMMES
1. La prévention : éduquer, former, émanciper
Dans son rapport sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes menée par l'État86(*), la Cour des comptes dressait le constat de « mesures de long-terme concernant la prévention et l'évolution des mentalités peu mises en oeuvre ». Alors même qu'il constitue un enjeu déterminant pour l'avenir, ce volet n'a, selon la Cour, « pas bénéficié d'une dynamique aussi forte que les autres mesures du Grenelle. »
L'axe n° 4 du nouveau plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes, pour 2023 à 2027, consacré à la culture de l'égalité, aurait notamment pour ambition de remédier à ces lacunes.
(1) Les espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) : un maillage à renforcer, un rôle à intensifier
Les espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) constituent un premier dispositif permettant de prévenir les violences faites aux femmes et d'assurer un premier accueil et une orientation des victimes.
Agréés par les préfets de département, les EVARS sont des services de premier accueil et d'orientation vers des acteurs spécialisés, qui informent et accompagnent les personnes dans leur vie affective, relationnelle et sexuelle, dont l'IVG et la contraception sans acte médical. Leurs actions concernent tous les publics, sans distinction d'âge. Il peut s'agir d'entretiens individuels (notamment pré- et post-IVG) ou encore de séances d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, notamment en milieu scolaire.
En 2022, près de 160 000 personnes ont été accueillies dans les EVARS pour être informées sur leurs droits en matière de vie affective, relationnelle et sexuelle (contraception, IVG, prévention des IST, désir ou non-désir d'enfant, emprise mentale, etc.). Plus de 15 000 entretiens pré- ou post-IVG ont été réalisés, 21 000 interventions extérieures ont été conduites, dont 14 000 en milieu scolaire, touchant environ 175 000 élèves et étudiants. Selon le SDFE, les sujets abordés lors de ces interventions incluent « l'accès aux droits, la santé sexuelle, les aspects psychologiques et psychoaffectifs, le respect et la prévention des violences, avec des thématiques adaptées au public visé. »
Les crédits (CP) exécutés en 2023 en faveur des EVARS s'élevaient à 4,1 millions d'euros : il s'agissait d'une augmentation par rapport aux 3,6 millions d'euros exécutés en 2022. Les CP exécutés en 2024 s'élevaient à 4,6 millions d'euros. Cette enveloppe a été stabilisée en LFI pour 2025.
La progression de cette enveloppe vise à renforcer le maillage territorial des EVARS - aujourd'hui, 157 structures sont installées ou en cours d'installation sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultra-marin - et à intensifier leur rôle, en portant une attention particulière à l'augmentation du nombre d'interventions en milieu scolaire.
(2) L'éducation et les formations visant à promouvoir la culture de l'égalité : une faible mise en oeuvre en dehors de l'action des associations
En matière d'éducation, la Cour des comptes notait que « faute d'outils de suivi du déploiement, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse n'est pas en mesure de rendre compte de la mise en oeuvre, vraisemblablement inégale, de ces mesures liées à la prévention, en l'absence d'implication forte de la hiérarchie. »
La Cour porte également un regard critique sur certaines actions du Grenelle jugée « réalisées » par l'administration. Par exemple, si un module de formation initiale obligatoire de 18 heures portant sur l'égalité filles-garçons a bien été mis en place à la rentrée 2021 pour 21 000 élèves et enseignants, cette mesure du Grenelle avait vocation à s'appliquer à l'ensemble des personnels et « ne peut donc être considérée comme réalisée » selon la Cour.
Par contraste, l'engagement de certaines structures dotées de très faibles moyens, comme la MIPROF - qui assure de nombreuses formations à destination du secteur public, notamment dans les commissions départementales chargées de parcours de sortie de la prostitution, comme du secteur privé, doit être salué. Il convient à nouveau de mentionner les formations dispensées par les associations spécialisées, qui contribuent au développement de la culture de l'égalité.
Dans la mesure où, comme les rapporteurs spéciaux l'ont écrit, les violences faites aux femmes reposent sur un système fondé sur le sexisme, toute action permettant d'en réduire l'emprise sur la société et les esprits peut contribuer à prévenir ces violences.
(3) Les politiques en faveur de l'égalité professionnelle doivent également permettre de favoriser l'émancipation économique des femmes
Comme l'indique le rapport du Haut conseil à l'égalité sur l'état des lieux du sexisme en France de 202587(*), les violences envers les femmes sont aussi économiques.
Le concept de violences économiques
Les violences économiques désignent les modalités par lesquelles un partenaire - souvent un homme - impose, au sein du couple, des contraintes sur les moyens financiers et économiques de son - souvent de sa - partenaire.
Il peut s'agir de saisie de paie, d'interdiction d'accès aux comptes bancaires, d'empêchement de travailler, de confiscation de carte bancaire, de refus de payer la pension alimentaire, de contraction de dettes (violences explicites), voire plus indirectement de partage déséquilibré des dépenses du foyer (violences implicites).
Qu'elles soient perpétrées de façon explicite ou insidieuse, les violences économiques ont des conséquences graves sur les femmes, en termes d'appauvrissement et de fragilisation, puisqu'elles peuvent conduire à la perte totale d'autonomie.
Source : HCE
Selon le HCE, un quart des femmes appelant le 3919 en 2021 dénonçait des violences de cet ordre au sein du couple88(*), et, selon une étude de l'Ifop réalisée pour le collectif « Les Glorieuses », plus de 4 Françaises sur 10 connaissent au moins une forme de violences économiques conjugales au cours de leur vie89(*).
Dans ces conditions, les constats de la Cour des comptes90(*) sur les « difficultés d'application et de contrôle » dans les entreprises et sur l'absence de « réduction effective des inégalités » dans la fonction publique doivent conduire à relancer une dynamique en matière d'égalité professionnelle.
2. La prise en charge des auteurs : passer de la lutte contre la récidive à la prévention des violences
a) Les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA), un nouvel outil de lutte contre la récidive qui semble faire ses preuves
Les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) sont un nouvel outil de lutte contre les violences conjugales visant à réduire le taux de récidive, dans un objectif de protection des victimes. En effet, la philosophie de ce dispositif est que, si la violence doit être judiciairement sanctionnée, elle doit aussi être traitée dans le cadre d'une prise en charge multidimensionnelle des auteurs.
Les CPCA se situent à l'intersection du judicaire, du sanitaire et du social. Ils complètent l'offre portée par le ministère de la Justice via des accompagnements individualisés, multidimensionnels et dans la durée.
En 2024, 21 856 auteurs de violences seraient pris en charge par un CPCA sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. Le financement de ces structures a ainsi atteint 5,8 millions d'euros cette même année, soit une dépense moyenne par auteur de 264,7 euros.
Interrogée sur l'efficacité de ces structures, l'administration se prévaut d'une recherche-action menée par les universités de Tours et de Laval (Québec) portant sur 95 auteurs pris en charge par les CPCA. Selon cette étude, l'impact de l'accompagnement dispensée par ces structures sur la réitération des violences serait positif, avec une diminution globale de 60 % des violences ainsi qu'une forte baisse de la consommation d'alcool et de cannabis.
Cet outil paraît donc plutôt efficace dans la lutte contre les violences conjugales.
b) Des modalités de financement qui aboutissent à une répartition disparate des crédits sur le territoire
L'analyse des financements attribués aux différents CPCA en 2024 laisse apparaître de fortes disparités territoriales dans les capacités de prise en charge.
En effet, toutes les régions ne disposent pas du même nombre de CPCA : là où certaines n'en compte d'un seul (Pays de la Loire, Centre-Val de Loire), d'autres en comptent jusqu'à 3 (Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine).
En outre, si le montant de la dépense moyenne est de 264,7 euros par auteur, ce montant connaît de fortes variations selon les régions. Ainsi, il fluctue entre 79,3 euros par auteur dans la région Pays de la Loire à plus du triple (670,2 euros en Normandie), et jusqu'à 1 705,8 euros par auteur à Mayotte.
Répartition des capacités de prise en charge des auteurs en 2024
(en nombre de structures et en euros par auteur)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
Ces disparités dans la répartition des crédits s'expliquent probablement par les modalités de financement des CPCA. En effet, lors de leur création, un montant forfaitaire de 156 096 euros par structure a été alloué. Le financement des CPCA est donc, à l'origine, forfaitaire.
Par la suite, d'autres modalités de financement, variables cette fois-ci se sont ajoutées. En effet, le caractère forfaitaire du financement ne tenait pas suffisamment compte du territoire d'intervention, ni de la file active des auteurs pris en charge. En 2023 et 2024, une enveloppe complémentaire de 1,06 million d'euros a été allouée à 18 CPCA, répartie selon les critères suivants : le nombre de territoires couverts, le nombre d'auteurs pris en charge et la population des territoires couverts. Le versement de cette enveloppe a permis de mieux répondre aux besoins des CPCA.
En outre, lorsqu'ils organisent des stages de responsabilisation, les CPCA perçoivent des paiements de la part des auteurs sous main de justice, selon des tarifs qui vont de 50 euros à 300 euros.
Il reste que le financement des CPCA demeure largement forfaitaire, l'enveloppe de 1,06 million d'euros allouée ces dernières années ne représentant qu'une part marginale des subventions versées en 2024 (5,8 millions d'euros). Il conviendrait d'inverser ces proportions, pour allouer au maximum les financements en fonction des besoins (les critères utilisés pour répartir l'enveloppe supplémentaire étant à cet égard pertinents).
c) Les CPCA : un instrument de prévention ?
Outre la lutte contre la récidive, les CPCA ont également pour objectif de prévenir le passage à l'acte des individus violents. À cette fin, ils accompagnent également des personnes engagées dans une démarche volontaire.
Ils répondent ainsi à un objectif de prévention primaire des violences en limitant les risques de passage à l'acte. Toutefois, de l'aveu même de l'administration, ce dispositif n'est pas assez connu et identifié, par le grand public, ni même par les professionnels de santé ou par les travailleurs sociaux qui pourraient pourtant orienter vers les CPCA.
En termes d'affichage, les associations entendues par les rapporteurs déplorent que le financement soit assuré par le programme 137 - qui devrait selon elles être dédié uniquement aux victimes - et non par la mission « Justice », dans la mesure où le placement dans ces structures relève dans la majorité des cas de décisions judiciaires (92 %).
Or selon l'administration, un tel transfert vers le ministère de la Justice ne permettrait pas la prise en charge d'auteurs accompagnés sur le fondement du volontariat alors les CPCA prennent aussi en charge ces publics volontaires. Il s'agit là d'une plus-value essentielle des CPCA par rapport aux dispositifs comme les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), plus-value largement reconnue sous l'angle de la prévention des violences.
Sans prendre de position dans ce débat, les rapporteurs suggèrent que la rationalisation des modalités de financement des CPCA soit l'occasion de dégager des crédits afin de favoriser les actions de prévention auprès des publics volontaires.
Recommandation : Rationaliser les modalités de financement des CPCA afin d'assurer une meilleure répartition territoriale des crédits et de développer, à moyens constants, les actions de prévention auprès des publics volontaires
II. LA SORTIE DU SYSTÈME PROSTITUTIONNEL : UN VÉRITABLE PARCOURS DU COMBATTANT
A. LES PARCOURS DE SORTIE DE PROSTITUTION (PSP) : UNE MONTÉE EN CHARGE DIFFICILE
1. Une mise en place lente et contrariée des PSP
Instauré par la loi du 13 avril 201691(*), le parcours de sortie de la prostitution (PSP), lorsqu'il est validé par le préfet de département, permet en principe aux victimes de prostitution de bénéficier de l'accès à une solution d'hébergement, d'une autorisation provisoire de séjour (APS), de l'aide financière à l'insertion sociale (AFIS) et d'un accompagnement individualisé à l'insertion professionnelle, et ce pour une durée 6 mois renouvelable dans la limite de 24 mois.
Le PSP s'organise par une collaboration entre la personne bénéficiaire et l'association départementale agréée qui l'accompagne.
Au 31 décembre 2024, 903 personnes étaient engagées dans un parcours de sortie de la prostitution (PSP), réparties sur 67 départements. Outre le tiers des départements dans lesquels aucun PSP n'est engagé, 26 départements comptaient entre 1 et 5 PSP, 16 départements entre 6 et 10 PSP, 9 départements entre 11 et 20 PSP, et 12 départements au-delà de 20.
Répartition des bénéficiaires des PSP et de l'AFIS en 2024
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le SDFE
Les PSP ont tendance à se concentrer dans les départements urbains : les cinq départements les plus concernés par les parcours de sortie de la prostitution en 2024 sont en effet Paris (148 PSP), le Rhône (89 PSP), les Bouches-du-Rhône (49 PSP), l'Isère (39 PSP) et la Haute-Garonne (39 PSP). Ces départements représentent 40 % de l'ensemble des PSP.
Toutefois, la mise en oeuvre complète de la loi de 2016 a été lente et contrariée s'agissant des PSP, principalement en raison des retards dans l'installation des commissions départementales chargées d'émettre un avis consultatif sur les demandes de parcours de sorties de prostitution. Le tableau ci-dessous souligne qu'en 2020, soit déjà quatre ans après l'adoption de la loi, 20 commissions n'étaient pas encore installées, et que la couverture complète du territoire n'a eu lieu qu'en 2023.
La lente installation des commission départementales
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
|
Commissions départementales installées |
80 |
87 |
90 |
100 |
100 |
Nombre de personnes en PSP |
403 |
446 |
643 |
845 |
903 |
Note : Les PSP en cours sont comptabilisés au 31 décembre de l'année révolue.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Les crédits consacrés à la lutte contre la prostitution et à l'accompagnement des PSP permettent de soutenir les associations nationales têtes de réseau, les associations locales qui accompagnent les personnes dans leurs parcours de sortie de la prostitution, et également de financer l'aide financière à l'insertion sociale (AFIS), entrée en vigueur en décembre 2017.
Budgétés sur le programme 137, ils ont connu une progression significative depuis 2020 : ainsi, en LFI 2024, l'enveloppe consacrée à la lutte contre la prostitution s'est élevée à 3,3 millions d'euros.
En outre, ces crédits sont annuellement abondés en gestion par les fonds issus de l'Agence de gestion et de recouvrement des biens saisis et confisqués (Agrasc), qui permettent de lancer des appels à projets régionaux renforçant les capacités de réponse et d'accompagnement des associations pour les personnes en situation de prostitution, ainsi que de former les professionnels au repérage et à la prise en charge des victimes.
Ces crédits ont représenté un peu moins de 2 millions d'euros en 2024, après un niveau record de 3,8 millions d'euros en 2023 : ils ont permis le lancement d'un appel à projets régional, dont 1,8 million ont été fléchés vers 33 projets locaux, et 200 000 euros vers le soutien des projets des associations nationales têtes de réseau.
Évolution des crédits du programme
137 et du fonds Agrasc
alloués à la lutte contre la
prostitution
(en euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
2. L'application de la loi se heurte aujourd'hui encore à des obstacles locaux inacceptables
a) Certaines commissions départementales ne se réunissent pas malgré les instructions
Depuis décembre 2023, tous les préfets de département ont installé une commission départementale, chargée de mettre en oeuvre la politique départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, et d'examiner les demandes d'entrée en PSP qui lui sont soumises.
En 2024, 23 commissions départementales n'ont pas été réunies cette même année (elles étaient 14 en 2023) et 15 ne l'ont été qu'une seule fois. Il s'agit d'une méconnaissance de l'instruction ministérielle du 13 avril 2022, qui rappelle les obligations prévues par la loi de 2016 quant au rôle et au fonctionnement de ces commissions. La stratégie nationale de lutte contre la prostitution du 2 mai 2024 renforce cette exigence en prévoyant au moins deux réunions par an, contre une seule auparavant.
Ces dysfonctionnements, là où ils sont observés, trouvent leurs origines dans des décisions préfectorales : c'est en effet le préfet, et lui seul, qui convoque les commissions. Lorsqu'elles ne sont pas réunies, les raisons invoquées sont généralement l'absence de prostitution repérée sur le territoire, l'absence de demande de parcours de sortie de la prostitution (PSP) ou encore un agenda préfectoral contraint - raisons qui ne sauraient justifier, aux yeux des rapporteurs spéciaux, que soient méconnues les instructions émanant des ministres de l'égalité entre les femmes et les hommes.
b) Les personnes en sortie de prostitution confrontées aux dysfonctionnements des commissions et aux pratiques restrictives de certaines préfectures
S'agissant de l'instruction des demandes de PSP, l'association agréée transmet à la préfecture le dossier de la personne accompagnée. Ce dossier est présenté à la commission, qui émet un avis consultatif. La décision finale d'acceptation ou de refus revient au préfet.
En principe, toute personne majeure, qu'elle soit en situation administrative régulière ou non, peut bénéficier d'un parcours de sortie de la prostitution si elle manifeste clairement sa volonté de sortir de la prostitution. La personne doit avoir cessé ou, a minima, être en train de cesser cette activité, qu'elle soit ou non sous l'emprise d'un réseau. L'engagement à s'inscrire dans un parcours de sortie est formalisé par une déclaration sur l'honneur, exigée à l'entrée du dispositif. Ces principes, clairement établis par la loi, s'imposent à tous les départements.
Pourtant, la progression du nombre de parcours de sortie de la prostitution connaît depuis 2023 une nette décélération.
Évolution du nombre de PSP en cours depuis 2017
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Observatoire national des violences faites aux femmes
En effet, si 903 personnes étaient engagées dans un parcours de sortie de la prostitution en décembre 2024, la progression du nombre de personnes en PSP ralentit nettement : elle n'est plus que de + 6,3 % entre 2023 et 2024, alors qu'elle avait atteint les chiffres de + 31 % entre 2022 et 2023, et de + 44 % entre 2021 et 2022.
Selon l'administration, cette tendance serait due, outre à une plus grande prudence des associations agréées (qui ne transmettraient que les dossiers estimés avoir une forte chance d'aboutir) et à une saturation croissante des capacités d'accompagnement, à l'absence de réunion des commissions départementales déjà citée et à un phénomène sur lequel les associations spécialisées ont alerté les rapporteurs spéciaux : les pratiques très restrictives de certaines préfectures.
En effet, le dernier rapport de l'Observatoire national des violences faites aux femmes portant sur le système prostitutionnel et publié en avril 202592(*) a relevé une augmentation de 8 points de la part des refus de PSP entre 2023 et 2024, passant de 10 % à 18 % en un an. Au total, ce sont 84 demandes de PSP qui ont été refusé par les préfectures.
Or, pour la MIPROF, plusieurs motifs avancés au soutien des refus opposé par les préfets « ne relèvent pas des conditions réglementaires actuellement prévues pour l'entrée en PSP » : c'est notamment le cas des refus fondés sur les motifs suivants :
- la circonstance que la demandeuse ait été déboutée de sa demande d'asile ou que son conjoint était en situation irrégulière ;
- le fait sa prostitution n'avait pas eu lieu dans le département où elle avait fait sa demande ;
- le fait qu'elle était toujours en situation de prostitution.
Les associations spécialisées ont en particulier attiré l'attention des rapporteurs spéciaux sur le fait que certains refus ont pu être motivés par la volonté de ne pas créer, en accordant un parcours de sortie de prostitution, une voie vers la régularisation du séjour sur le territoire français de personnes prostituées qui y résident irrégulièrement. En d'autres termes, la politique de lutte contre la prostitution se heurterait à la priorité donnée à la politique migratoire.
Les rapporteurs spéciaux considèrent qu'au vu des faibles effectifs de personnes engagées dans des PSP, il convient de réévaluer le risque « d'appel d'air ». Au vrai, qui peut décemment soutenir que des étrangers iraient jusqu'à entrer dans la prostitution - a fortiori dans le cadre d'une exploitation par un réseau de traite, comme c'est parfois le cas - dans le seul but d'obtenir le droit au séjour ?
Il est nécessaire, aux yeux des rapporteurs spéciaux - qui rappellent que c'est là la volonté du législateur de 2016, de ne pas opposer aux parcours de sortie de la prostitution des considérations de politique migratoire.
Outre la stabilisation du financement des associations agréées grâce à la signature de conventions pluriannuelles (cf. recommandation supra), les rapporteurs spéciaux proposent de revoir les instructions ministérielles afin de préciser les motifs qui peuvent à bon droit être opposés aux demandes de PSP, de préciser par décret que chaque commission départementale doit se réunir au moins deux fois par an.
Ils recommandent également d'allonger la durée entre chaque « renouvellement » des PSP. Actuellement, ceux-ci sont en effet accordés pour six mois, renouvelables trois fois dans la limite de 24 mois. L'allongement de la durée entre chaque renouvellement, en les portant à 12 mois renouvelable une fois - toujours dans la limite de 24 mois - permettrait aux yeux des rapporteurs spéciaux de sécuriser les parcours des personnes engagées dans des sorties de prostitution.
Recommandation : Favoriser les entrées et sécuriser la prise en charge en parcours de sortie de prostitution (PSP) en précisant les motifs qui peuvent à bon droit leur être opposés ainsi que le nombre minimal de réunions annuelles de la commission départementale, et porter la durée entre chaque renouvellement de 6 à 12 mois dans la limite de 24 mois
B. LA REVALORISATION DE L'AFIS : UN BON SIGNAL
L'allocation financière d'insertion sociale (AFIS) s'adresse aux personnes en situation de prostitution qui s'engagent dans le parcours de sortie de la prostitution et qui ne peuvent pas bénéficier du revenu de solidarité active, ni d'aucun autre revenu minimum social. Il s'agit, majoritairement, de jeunes majeurs ou de personnes ne résidant pas régulièrement sur territoire national - le bénéfice du RSA, principal substitut de l'AFIS, étant conditionné à un âge de 25 ans et à un séjour régulier.
L'AFIS est accordée à toute personne en PSP, sous plafond de ressources du mois précédent la demande qui, cumulé à l'AFIS, ne peut dépasser le montant du RSA. Entre sa mise en place en 2017 et décembre 2024, 1 783 personnes ont bénéficié de l'AFIS, avec une montée en charge progressive. Son montant est actuellement de 343,20 euros par mois et par personne, auquel s'ajoute un supplément de 106,08 euros par enfant à charge. Ce montant est versé mensuellement durant la durée du PSP. Pour tenir compte de l'inflation, le décret du 19 octobre 2022 a revalorisé de 4 % l'AFIS, appliqué au 1er juillet 2024 - ce qui explique la forte progression des crédits alloués à cette allocation entre 2023 et 2024.
Crédits de paiement exécutés au titre de l'AFIS entre 2020 et 2024
(en euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Lors de la discussion de la loi de finances pour 2025, un amendement de la Présidente Maryse Carrère93(*), adopté avec un avis favorable des rapporteurs spéciaux et du Gouvernement, a prévu l'attribution de 1,9 millions d'euros supplémentaires en AE et en CP sur le programme 137 afin de permettre une revalorisation de l'AFIS au niveau du RSA, ce qui revient à porter cette prestation à 635,71 euros mensuels.
Cette revalorisation au niveau du RSA était une demande répétée de la part des associations nationales de lutte contre le système prostitutionnel. Ce montant de 635 euros, au lieu de 343 euros actuellement pour une personne seule, devrait améliorer les conditions financières des personnes accompagnées en PSP en renforçant leur autonomie financière et en réduisant leur précarité, un facteur essentiel pour prévenir un éventuel retour à la prostitution.
Les rapporteurs spéciaux appellent de leurs voeux la publication rapide du décret qui doit permettre l'application de cette mesure.
III. DE LA MISE À L'ABRI À UNE NOUVELLE DONNE : L'HÉBERGEMENT AU CoeUR DES BESOINS
A. LE « PACK NOUVEAU DÉPART » : DISPOSITIF ESSENTIEL MAIS ACTUELLEMENT RÉDUIT À L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE
1. L'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences (AUUVV) : une initiative sénatoriale bienvenue qui doit être accompagnée d'autres dispositifs
a) L'aide universelle d'urgence : un dispositif innovant d'origine sénatoriale
Pour lutter contre les violences économiques (cf. supra), le législateur a créé l'aide universelle d'urgence en faveur des victimes de violences conjugales (AUUVV)94(*). Il s'agit de l'aboutissement d'une proposition de loi déposée par la sénatrice Valérie Létard, alors vice-présidente du Sénat.
L'aide universelle d'urgence est versée depuis le 28 novembre 2023 aux victimes de violences conjugales pour leur permettre de faire face aux dépenses immédiates pour quitter leur conjoint violent. Les bénéficiaires sont donc des victimes de violences commises par leur conjoint, leur concubin ou partenaire lié à elles par un pacte civil de solidarité (PACS).
Pour bénéficier de l'AUU, la personne doit attester de la situation de violences conjugales par un document de moins de 12 mois pouvant être un dépôt de plainte, une ordonnance de protection ou un signalement adressé au procureur de la République. L'aide est alors versée par la caisse d'allocations familiales de rattachement (CAF ou CMSA), dans un délai de trois à cinq jours ouvrés (selon que la personne est affiliée ou non) à compter de la réception de la demande.
Les modalités d'application de l'aide universelle d'urgence ont été précisées par décret95(*), notamment s'agissant de son barème. Concrètement, celui-ci dépend des ressources nettes mensuelles de la personne bénéficiaire, ainsi que du nombre d'enfants de moins de 21 ans qui sont à sa charge.
L'une des principales innovations de l'aide universelle d'urgence réside dans le fait qu'elle peut être attribuée sous forme d'aide non-remboursable ou sous forme de prêt ; dans ce second cas, elle peut être remboursée par l'auteur des violences si celui-ci a été condamné définitivement.
Barème de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales du 1er avril 2024 au 31 mars 2025
(Métropole, DOM, hors Mayotte)
Nombre d'enfant de moins de 21 ans à charge |
|||||
Ressources nettes mensuelles |
Pas d'enfant |
1 enfant |
2 enfants |
3 enfants |
par enfant supplémentaire |
Inférieures ou égales à 699,35 € (0,5 SMIC) |
635,71 € |
953,57 € |
1 144,28 € |
1 398,56 € |
254,28 € |
Entre 699,36 € et 1398,69 € (1 SMIC) |
508,57 € |
762,86 € |
915,42 € |
1 118,85 € |
203,42 € |
Entre 1398,7 € et 2098,04 € (1,5 SMIC) |
381,43 € |
572,14 € |
686,50 € |
839,14 € |
152,57 € |
Entre 2098,05 € et 3147,04 € |
254,28 € |
381,43 € |
457,71 € |
559,42 € |
101,71 € |
Entre 3147,05 et 3776,45 € |
381,43 € |
||||
Entre 3776,46 € et 4615,67 € |
457,71 € |
||||
Supérieures ou égales à 4615,68 € |
559,42 € |
101,71 € |
Note : en bleu, les cas où l'AUU est attribuée sous forme de prêt.
Source : réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
b) Un dispositif sur lequel manque le recul, mais qui a certainement répondu à un besoin
(1) Après un démarrage dynamique, un taux de recours stabilisé et un tendanciel de dépenses soutenable
Les documents budgétaires relatifs à l'approbation des comptes de l'État pour l'année 2023 faisaient apparaître, selon la direction générale de la cohésion sociale, une « belle dynamique » de l'aide universelle d'urgence dans ses premiers mois de mise en oeuvre. En effet, en décembre 2023, 5 723 aides avaient été versées, pour un montant total de 5 045 891 euros.
Cette montée en charge abrupte du dispositif s'explique compte tenu des modalités d'ouverture des droits à l'aide : les bénéficiaires potentiels doivent fournir un document de moins de 12 mois. Les dépenses d'aide universelle d'urgence ont pris en compte, pour la première année, un « effet stock » marqué.
Le recours à cette nouvelle aide a ensuite connu une diminution progressive : le taux de recours s'est ainsi élevé à plus de 30 % en décembre 2023, mais il était de 14 % en juin et juillet 2024, pour un nombre total de bénéficiaires potentiels estimé à environ 220 000 par an96(*). Le montant des aides versées semble aujourd'hui avoir atteint un plateau et évolue désormais en « dents de scie ».
Évolution du montant mensuel versé
au titre de l'aide universelle d'urgence
depuis sa mise en
oeuvre
(en euros)
Source : commission des finances, d'après les données fournies par le SDFE
Comme le montre le graphique ci-dessus, la dépense mensuelle oscille entre 2 et 2,4 millions d'euros selon les mois, avec une moyenne d'environ 2,1 millions d'euros par mois sur le dernier semestre disponible (entre novembre 2024 et avril 2025)
Sur la base de cette dépense moyenne mensuelle, la prévision annuelle s'établit à 26,5 millions d'euros à fin 2025, ce qui impliquerait un écart à la hausse de 5,7 millions d'euros par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances pour 2025 (20,4 millions d'euros). Il semble ainsi que la prévision retenue dans le cadre de la construction du PLF 2025. Elle reposait sur l'hypothèse d'une poursuite jusqu'à fin novembre 2024 de la baisse observée tout au long du 1er semestre 2024, en raison de la résorption de « l'effet stock », ait été trop optimiste.
La progression des dépenses demeurerait toutefois maîtrisée jusqu'en 2028 (27,3 millions d'euros).
Tendanciel de dépenses au titre de l'aide
universelle d'urgence
pour les années 2024-2028
(en millions d'euros)
Note : exécution pour 2024, prévisions pour les années suivantes.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE.
La demande d'aide universelle d'urgence demeure toutefois constante, ce qui témoigne, selon le SDFE « d'un recours significatif au dispositif ». Le non-recours reste quant à lui un phénomène difficile à quantifier. Sur ce point, l'administration a indiqué mener des travaux d'évaluation pour intégrer une analyse plus fine des obstacles et pour formuler des pistes d'amélioration, le cas échéant.
(2) Une aide majoritairement versée sous forme d'allocation et au taux plein
De décembre 2023 à avril 2025, 47 723 victimes ont bénéficié de l'AUU, avec un montant moyen de 886 euros par aide.
Dans leur grande majorité, les aides sont versées sous forme de prestation non remboursable, et le plus souvent à taux plein. Sur les 47 723 aides versées entre décembre 2023 et avril 2025, 21 657 l'ont été à taux plein, pour un montant moyen de 1 080 euros.
Les aides versées avec minoration sont moins nombreuses (19 103 au total), et le sont pour des montants moyen inférieurs à la moyenne générale de 886 euros.
Répartition des bénéficiaires
et du montant moyen versé
entre décembre 2023 et
mars 2025
(en nombre de bénéficiaires - gauche, champ CNAF - et en euros - droite)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
Enfin, l'aide peut prendre la forme d'un prêt sans intérêt ou d'une aide non-remboursable, selon la situation financière et sociale de la personne, ainsi que le nombre d'enfants à sa charge (cf. barème supra).
Ces prêts, fortement minoritaires (seuls 331 prêts ont été accordés, sur un total de 47 723 aides versées), ne représentent que 0,7 % des aides versées et n'ont pas encore fait l'objet d'un recouvrement. En effet, le remboursement de l'aide attribuée sous forme de prêt n'est exigible de son bénéficiaire que deux années après l'attribution. En outre, le circuit de financement et les échanges d'information nécessaires pour permettre son fonctionnement ont nécessité l'introduction de règles complexes par un amendement sénatorial97(*) adopté lors de l'examen du PLF pour 2024.
En tout état de cause, il apparaît peu probable que le recouvrement des aides accordées sous forme de prêt puisse permettre de modérer significativement le coût de l'aide pour les finances publiques, ce qui pose, pour l'avenir, la question du maintien de cette modalité de versement marginale et très complexe.
c) Une aide relativement bien accueillie, mais dont l'évaluation devra identifier des axes d'amélioration
L'aide universelle d'urgence, a été relativement bien accueillie pour son rôle essentiel dans le soutien aux victimes de violences et leur accompagnement dans le processus de départ.
La FN-CIDFF, par exemple, souligne l'intérêt majeur de l'aide universelle d'urgence pour les femmes victimes de violences, qui est de prévenir les situations de « faux départs » de certaines d'entre elles qui, quittant le domicile conjugal, restent sous emprise ou dépendantes financièrement, et doivent revenir au domicile conjugal. Les acteurs associatifs soulignent toutefois également les limites de cette nouvelle aide.
Certaines ont d'ores et déjà reçu une réponse : par exemple, les difficultés dans la vérification des documents justifiant l'ouverture des droits, qui nécessitait initialement la lecture des pièces de procédure de dépôt de plainte, ont été résolue par la création d'un récépissé de dépôt de plainte. Depuis, la CNAF a souligné que ce problème est résolu.
D'autres limites constituent encore des obstacles importants, notamment l'exclusion de certaines femmes étrangères en situation irrégulière, la difficulté pour les victimes de porter plainte, la durée de validité (12 mois) jugée trop restrictive des pièces justificatives, ou encore les difficultés liées à la fracture numérique ou à l'absence de compte bancaire.
Surtout, le Collectif féministe contre le viol a regretté que l'aide soit payée en une seule fois, et que son montant soit relativement faible, équivalent à « quinze jours à l'hôtel », alors que le parcours psychologique des femmes quittant leur foyer pour fuir leur conjoint violent est souvent marquée par l'emprise et de nombreux retours au domicile en l'absence d'accompagnement.
Face à ces obstacles, l'administration a indiqué préparer une évaluation de l'AUU, en lien avec la CNAF, afin de mesurer son impact réel sur les victimes afin d'identifier les axes d'amélioration et de lever les obstacles pour rendre cette aide encore plus efficace. Surtout, il importe que l'aide universelle d'urgence ne demeure pas une solution isolée mais s'intègre dans un continuum de solutions en faveur de la mise à l'abri et d'une nouvelle donne pour les femmes qui se séparent de leur conjoint violent.
2. Le « pack nouveau départ » : un dispositif d'ensemble qui tarde à se mettre en place
Le Pack nouveau départ (PND) est une des mesures essentielles de l'axe « lutte contre les violences faites aux femmes » du plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes « Toutes et tous égaux » 2023-2027. Pourtant, ce dispositif n'est à ce stade mis en oeuvre que dans cinq départements.
En complément de l'aide universelle d'urgence, le PND vise à prévenir les situations, trop récurrentes, dans lesquelles les personnes victimes de violences conjugales font des allers/retours - 7 en moyenne selon les associations spécialisées - avant de quitter définitivement leur conjoint violent.
Le PND a pour objectif de lever les freins au départ des victimes et de sécuriser leur parcours de sortie de ces violences. Pour ce faire, le PND concerne toute personne déclarant des violences et souhaitant quitter son conjoint. Au niveau départemental, il s'appuie sur l'organisation, d'un « parcours » mobilisant tous les acteurs en relation avec les victimes, coordonné par une institution désignée (CAF ou Conseil départemental) et via une animation territoriale renforcée.
En d'autres termes, il conjugue guichet unique et accompagnement intégré des victimes de violence. Selon le « kit de communication » du PND98(*), l'accès au dispositif est proposé par des professionnels de proximité (médecin, policiers, associations). En cas d'accord du bénéficiaire, un référent coordinateur prend contact dans les cinq jours afin d'organiser la prise en charge : celle-ci a vocation à s'inscrire dans la durée, grâce à la mobilisation de différents professionnels (CAF, CPAM, France Travail, bureau d'aide aux victimes, Action logement, associations, etc.) et à une ouverture accélérée des droits sociaux (accès au logement, soutien psychologique, garde d'enfant, etc.)
Le PND est donc un projet ambitieux, mais « dont les modalités sont complexes à mettre en oeuvre (...) c'est pourquoi il s'inscrit dans un cadre expérimental et se déploie progressivement dans cinq départements »99(*) selon l'administration. N'étant pas pleinement opérationnel, le PND n'a pas donné lieu à une enveloppe dédiée en 2023, année de cadrage général et de conception. En 2024, une enveloppe de 60 000 euros par département lui est dédiée.
Le PND est toutefois intégré aux objectifs du plan « Toutes et tous égaux » depuis 2023. Il importe donc d'accélérer son déploiement et de l'étendre à d'autres départements, sans quoi la principale solution du plan gouvernemental restera l'AUU - une initiative sénatoriale.
Recommandation : Mener une évaluation de l'impact réel de l'aide universelle d'urgence sur les victimes afin d'identifier les axes d'amélioration du dispositif et accélérer le déploiement du pack nouveau départ en l'étendant à de nouveaux départements volontaires
B. L'HÉBERGEMENT, NERF DE LA GUERRE MAIS MAILLON FAIBLE FACE AU BESOIN DE DÉCOHABITATION
1. L'augmentation des places d'hébergement en faveur des victimes de violences est une réalité
L'une des mesures-phare du Grenelle des violences conjugales a consisté dans la prise en compte de la situation des femmes victimes de violences dans la politique de l'hébergement et le développement d'un parc d'hébergement spécialisé à destination des victimes de violences.
Comme la Cour des comptes le relève dans son rapport de 2023 relatif à la politique de l'État en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes100(*), la coordination entre le numéro de téléphone 39 19 et le 115 - numéro pour obtenir un hébergement en urgence - a été améliorée à l'occasion du Grenelle des violences conjugales afin de favoriser l'accès des victimes à ces solutions d'hébergement.
Les écoutants du 39 19 disposent en effet d'un numéro direct vers le 115 dans la majorité des départements, utile en cas de saturation du 115 ou pour contacter le SIAO d'un autre département. En parallèle, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale se sont concertées pour améliorer l'articulation entre les forces de l'ordre et les SIAO, qui a vocation à être décliné au niveau départemental.
a) Un développement du parc d'hébergement spécialisé qui semble avoir partiellement eu lieu par conversion de places préexistantes
L'analyse du nombre de places d'hébergement dans le parc de droit commun et dans le parc spécialisé à destination des victimes de violences montre une augmentation importante du nombre de place d'hébergement entre 2020 et 2021, mais une augmentation modérée entre 2020 et 2024.
Le nombre de places passe de 200 385 en 2020 à 203 151 en 2021, soit une augmentation de 1 % en une année. Toutefois, cette augmentation appelle deux remarques.
D'abord, la progression dans le parc spécialisé semble avoir été partiellement obtenue par la conversion de places de droit commun préexistantes, dans la mesure où la hausse de 9 185 places dans le parc spécialisé entre 2020 et 2021 ne s'est pas accompagnée d'une augmentation aussi importante du nombre total de places dans l'ensemble du parc.
Ensuite, une partie de ces solutions d'hébergement semblent avoir été créées de manière temporaire, puisque leur nombre diminue entre 2021 et 2022, passant de 203 151 à 200 685 places.
Évolution du nombre de places d'hébergement dans l'ensemble du parc et dans le parc spécialisé pour les femmes victimes de violences
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
En raison de la diminution du nombre de places entre 2021 et 2022, le nombre de places dans l'ensemble du parc n'a ainsi augmenté que de 2 % en cinq ans.
Le nombre de places spécialisées a quant à lui connu une nette progression, passant de 5 000 places en 2017 à 11 276 places au 31 décembre 2024 et de 9 185 places en 2021 à 11 276 en 2024, soit une augmentation de 23 % en quatre ans. Parmi celles-ci :
- 45 % sont des places en centres d'hébergement d'urgence (CHU) ;
- 29 % en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ;
- 22 % en logement conventionné au titre de l'allocation logement temporaire (ALT1) ;
- 5 % en logement adapté, incluant les résidences sociales et l'intermédiation locative.
Évolution du nombre de places
d'hébergement dans le parc spécialisé
pour les femmes
victimes de violences
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
b) Une hausse substantielle des crédits dédiés à l'hébergement spécialisé
En 2024, près de 126 millions d'euros ont été consacrés à l'hébergement des femmes victimes de violences et de leurs enfants, via le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Ce montant était de 91,3 millions d'euros en 2021, soit une augmentation d'environ 38 % sur la période.
Évolution des crédits exécutés pour l'hébergement dans l'ensemble du parc et dans le parc spécialisé pour les femmes victimes de violences
(en millions de crédits de paiement)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE
2. Une analyse des données des SIAO souligne toutefois l'ampleur des besoins
Afin d'apprécier la prise en charge des victimes de violences, et singulièrement des victimes de violences conjugales et intrafamiliales, les services de la commission des finances ont mené une analyse des données du « SI-SIAO » (cf. encadré infra). Ces analyses doivent toutefois être utilisées avec prudence compte-tenu des biais qui peuvent fausser les données de cette plateforme - une annexe jointe à la fin du présent rapport présente en détail les précautions méthodologiques nécessaires.
Précisions méthodologiques sur l'utilisation du SI SIAO
Le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO), dont la mission est d'assurer l'accueil des personnes sans abri ou en détresse, a développé une plateforme informatique dénommée « SI SIAO » visant à centraliser l'ensemble des demandes réalisées par les travailleurs sociaux. Ce système d'information vise à centraliser à la fois les demandes reçues par le numéro d'urgence 115, les demandes d'orientation en centre d'hébergement, ou en logement adapté.
Dans le détail, des informations précises sur la situation socio-économique du demandeur sont disponibles au sein de la fiche ménage renseignée par le travailleur social lors de la création d'une demande SIAO. Ces données sont donc déclaratives. Elles incluent des éléments relatifs à la précarité locative, la situation socio-médicale, ou encore à la situation professionnelle et financière.
La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), qui gère le SI SIAO, s'est engagée dans un plan de modernisation de la plateforme.
Dans ces conditions, il convient d'apprécier avec exactitude la portée de l'analyse réalisée par le service de la commission des finances du Sénat. Cette analyse trouve trois limites principales :
- d'abord, elle est limitée à l'exploitation des données sur le périmètre des appels au 115, numéro à appeler pour obtenir un hébergement en urgence - à l'exclusion des données « insertion » ;
- ensuite, elle peut être sujette à des biais liés à la nature déclarative des données : outre quelles sont sujettes à des erreurs de déclaration ou des saisies erronées, de nombreuses variables sont ainsi peu renseignées, ce qui nuit à l'analyse ; de même, certaines variables sont sujettes à interprétation de la part des travailleurs sociaux, notamment la qualification de « victime de violences » ;
- enfin, les demandes issues d'un renouvellement ont été retraitées de l'ensemble des demandes, avec l'hypothèse - forte, mais raisonnable - que les bénéficiaires de demandes issues de renouvellement sont de même nature que ceux réalisant des demandes sans renouvellement.
Une annexe méthodologique plus fournie est jointe à la fin du présent rapport pour le lecteur qui souhaiterait davantage de précisions.
Source : commission des finances du Sénat
a) Les demandes d'hébergement associées à des violences concernent principalement des femmes seules, et sont pourvues dans 75 % des cas pour les victimes de violences conjugales et intrafamiliales
En 2024, la typologie des ménages ayant réalisé une demande « 115 » est hétérogène en fonction du type de demande. Sur l'ensemble des demandeurs, l'homme seul est le principal profil rencontré, à plus de 50 %.
À l'inverse - et sans réelle surprise - pour les demandeurs victimes de violences au sens large, ou ceux dont la demande porte spécifiquement sur le motif de violences familiales et conjugales, les femmes représentent près de 80 % de l'ensemble des demandes. Les femmes seules avec enfants représentent environ 40 % de l'ensemble.
De l'ordre de 5 % des demandeurs ayant déclaré être un homme ont réalisé une demande d'hébergement d'urgence avec comme motif les violences familiales et conjugales.
Typologie des demandes par type de ménages en 2024
Source : SI SIAO, calculs Sénat. Champ : hors demandes issues d'un renouvellement
En 2024, sur l'ensemble des demandes, la part des demandes pourvues s'élève à 34 %, soit plus de 600 000 demandes. Le taux d'acceptation des demandes augmente nettement pour les individus ayant comme motif les violences familiales et conjugales. Celui-ci atteint en effet 76 %, soit un taux plus de deux fois supérieur à celui observé pour l'ensemble des demandes.
Part de demandes pourvues en 2024 en fonction du type de demandeur
Source : SI SIAO, calculs Sénat. Champ : hors demandes issues d'un renouvellement
Ce taux d'acceptation très élevé pour les demandes associées à des violences conjugales et intrafamiliales confirment la priorité donnée, dans la politique de l'hébergement, aux parcours des victimes, ce qui constitue aux yeux des rapporteurs spéciaux un motif de satisfaction.
b) Si les places accordées dans le cadre de violences conjugales et intrafamiliales sont plus souvent individuelles, le recours à d'autres solutions d'hébergement moins adaptées n'a pas disparu
Le type de place accordée dépend du demandeur. Au regard du taux de non-réponse élevé, ces éléments sont à interpréter avec précautions. Ainsi, en 2024 :
- au sein de l'ensemble des demandes, les principaux types de places accordées correspondent aux places en urgence (39 % de l'ensemble des demandes), ou dans les abris de nuit (24 %) et dans les hôtels (9 %) ;
- les demandes associées à un épisode de violences correspondent à quatre principaux types de places. Les places en urgence représentent 26 % de l'ensemble des places accordées, les places en hôtel 19 %, les abris de nuit 13 % et les places spécifiquement fléchées vers les femmes victimes de violences 11 % ;
- enfin, les demandes ayant pour motif les violences familiales et conjugales se caractérisent par une faible part en abri de nuit (2 %) et par un recours important à l'hôtel (25 %) et aux places spécifiquement fléchées vers les femmes victimes de violences (33 %).
Type de place accordée en 2024 par type de demandeur
Source : SI SIAO, calculs Sénat. Champ : hors demandes issues d'un renouvellement
Si la prépondérance des places spécialisées pour les victimes de violences conjugales et intrafamiliales est logiquement associée aux victimes de ces violences, les rapporteurs spéciaux constatent avec surprise la part encore très importante prise par les hébergements en hôtel, qui sont considérés par les associations comme l'un des pires modes d'hébergement, car dépourvu de tout accompagnement.
Il s'agit généralement d'un signe de manque de places dans les autres structures d'hébergement.
S'agissant des catégories de places, les individus victimes de violences familiales et conjugales bénéficient plus fréquemment d'une chambre individuelle par rapport à l'ensemble des demandes. En effet, seules 4 % des demandes ayant pour motif des violences familiales et conjugales sont attribuées à des places en chambre collective, contre 31 % pour l'ensemble des demandes.
Sur le champ des demandes ayant pour motif des violences familiales et conjugales, 33 % d'entre elles ont obtenu l'attribution d'une place en chambre individuelle, contre 18 % pour l'ensemble des demandes.
Deux spécificités additionnelles peuvent être relevées : la part des places accordées en chambre d'hôtel est plus importante pour les individus victimes de violences familiales et conjugales (11 % contre 4 % pour l'ensemble des demandes) ; à l'inverse, la part des places accordées pour ces demandeurs en dortoir de plus de cinq personnes est quasi-nulle (1 % contre 9 % pour l'ensemble des demandes).
Catégorie des places accordées en 2024 par type de demandeur
Source : SI SIAO, calculs Sénat. Champ : hors demandes issues d'un renouvellement
Une nouvelle fois, les rapporteurs spéciaux déplorent la part trop importante des chambres d'hôtel parmi les modes d'hébergement proposés aux victimes de violences conjugales et intrafamiliales.
Il est en revanche rassurant de constater que les chambres individuelles sont largement majoritaires - juste devant, il est vrai, l'absence de renseignement - et que l'hébergement des victimes en dortoir et en chambre de plus de 5 personnes est très minoritaire. Tout juste s'étonne-t-on qu'il ne soit pas inexistant.
c) Depuis 2020, le nombre de demandes d'hébergement et le nombre de refus augmentent
En observant l'évolution du nombre de demandes d'hébergement entre 2018 et 2024, on constate tout d'abord une augmentation très importante (- 79 %) des demandes entre 2018 et 2019.
Les évolutions du SI SIOA et de la méthodologie appliquée à la variable « victime de violences » ont pu avoir un impact sur le nombre de demandes de ce type enregistrées au sein du système d'information, ce qui pourrait expliquer l'évolution atypique du nombre de demandes observée entre 2018 et 2019. Sans être en capacité d'expliquer celle-ci, elle ne doit pas être interprété comme une hausse de la demande en hébergement d'urgence par des individus ayant vécu un épisode de violences.
Nombre de demandes associées à un
épisode de violences
entre 2018 et 2024
Source : SI SIAO, calculs Sénat. Champ : hors demandes issues d'un renouvellement
Depuis 2019, deux périodes se distinguent :
- une période 2019-2021 avec un nombre de demandes inférieur à 115 000, quasi stable sur la période (+ 3 %) avec une légère baisse observée en 2020 ;
- une période 2022-2024, avec un nombre de demandes en légère augmentation (+ 4 %) autour de 119 000 demandes par an.
La part de demandes non pourvues associées à un épisode de violences a été globalement stable à hauteur de 45 % de demandes non pourvues sur la période 2018-2021, avant de croître jusqu'à atteindre 57 % en 2024. Les rapporteurs spéciaux considèrent cette tendance, qui semble témoigner d'une tension croissante sur l'offre d'hébergement, avec inquiétude.
Évolution de la part des demandes pourvues sur le champ des demandes associées à un épisode de violences entre 2018 et 2024
Source : SI SIAO, calculs Sénat. Champ : hors demandes issues d'un renouvellement
Cette intuition de tension sur l'offre d'hébergement semble confirmée par le fait qu'entre 2018 et 2022, la part des demandes refusées ayant pour motif l'absence de places étaient globalement stable, autour de 70 %, mais que cette part a fortement augmenté entre 2022 et 2023, puis à un rythme plus contenu entre 2023 et 2024 pour atteindre 78 % en 2024.
Les rapporteurs spéciaux ressortent de cette analyse des données du 115 du SI SIAO avec autant de motifs de satisfaction que d'inquiétude.
D'une part, l'analyse confirme la large part des femmes, avec ou sans enfant, qui accède à l'hébergement, confirmant la priorité donnée aux victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Toutefois, ces analyses témoignent également d'une tension grandissante sur l'offre d'hébergement, qui conduit à loger un nombre important de victimes dans de mauvaises conditions, voire à refuser un nombre croissant de demande d'hébergement pour manque de place.
Part des demandes refusées ayant pour motif l'absence de places entre 2018 et 2024
Source : SI SIAO, calculs Sénat. Champ : hors demandes issues d'un renouvellement
3. Le développement des solutions d'hébergement pour faciliter l'éloignement des victimes de leur conjoint violent doit être une priorité
a) Une priorité : constituer un parcours d'hébergement continu et cohérent, de l'hébergement jusqu'au retour à l'autonomie
À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs spéciaux ont acquis la conviction, consolidée par les témoignages unanimes des personnes entendues, qu'il revenait aux pouvoirs publics d'établir, en l'intégrant au reste de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes - notamment le déploiement du pack nouveau départ - un véritable parcours d'hébergement, continu et cohérent, permettant d'accompagner les victimes de la mise à l'abri en urgence jusqu'à leur retour à l'autonomie.
La mise en place de ce parcours passe d'abord par le développement de places d'hébergement dans les SIAO, dont ce rapport vient de démontrer l'ampleur des besoins. Bien sûr, cette priorité requiert la mobilisation de moyens budgétaires, mais notre assemblée a déjà emprunté cette voie : à la suite de la remise d'un rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat « Femmes sans abri, la face cachée de la rue101(*) », l'examen du PLF 2025 a été l'occasion d'adopter par amendement l'ouverture de 20 millions d'euros supplémentaires afin d'obtenir l'ouverture de 1 000 nouvelles places d'hébergement. Ces moyens doivent permettre de faire face à l'urgence et d'éviter l'hébergement des victimes dans des chambres d'hôtel ou des dortoir collectifs.
Il convient également de mobiliser des dispositifs innovants - qui présentent souvent l'avantage d'être plus ponctuels et donc moins coûteux : le SDFE a ainsi signalé aux rapporteurs spéciaux l'existence d'une association dénommée « Un abri qui sauve des vies » ayant mis en place un dispositif d'hébergement citoyen destiné aux femmes victimes de violences conjugales et à leurs enfants co-victimes.
De même, les associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont mentionné le dispositif « Elles déménagent », porté par la Fondation des femmes et qui consiste en l'organisation du déménagement d'urgence sécurisé et adapté, la mise en place d'un service d'entreposage et le ré-emménagement une fois le logement pérenne identifié.
Une fois passé l'urgence, il convient d'accompagner les victimes vers des solutions d'hébergement de plus long-terme, tels que des logements conventionnés ALT1, des résidences sociales ou des dispositifs d'intermédiation locative.
Enfin, dans la dernière ligne droite avant le retour à l'autonomie complète, le développement du cautionnement locatif devrait être encouragé. Cette initiative avait été avancée dans le cadre du Grenelle, mais le recours à la garantie public Visale est demeuré marginal, vraisemblablement car la location dans le parc privé requiert une situation économique déjà relativement stable. Pourtant, il semble que cette solution puisse s'avérer pertinente pour éviter les ruptures de parcours à l'approche du terme de la prise en charge.
Recommandation : Établir, en l'intégrant au reste de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, un véritable parcours d'hébergement continu et cohérent, permettant d'accompagner les victimes de la mise à l'abri en urgence jusqu'à leur retour à un logement autonome.
b) Une piste à explorer : développer les solutions d'hébergement des auteurs de violence pour laisser aux victimes l'occupation du domicile conjugal
Entendu par les rapporteurs spéciaux, le SDGE a également évoqué le développement de l'hébergement des auteurs de violences conjugales, présenté comme une piste pertinente dans leur prise en charge et pour la protection des victimes.
Il existe d'ailleurs un précédent : en 2020, pendant le confinement lié à la crise sanitaire du Covid 19, et afin d'assurer protection et répit aux victimes de violences conjugales, le ministère en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, a mis en place une plateforme visant à faciliter les mesures d'éviction des auteurs de violences du domicile conjugal prononcées par un juge : il s'agit de la « Plateforme Éviction », dispositif de recherche de solutions d'hébergement temporaire (hébergement hôtelier) pouvant être mobilisé en urgence. Elle est gérée par le Groupe SOS Solidarités. Ce dispositif, à vocation nationale, intervient essentiellement dans les régions connaissant des tensions sur l'hébergement d'urgence (Île-de-France notamment).
En 2024, la plateforme a été saisie à 579 reprises et a proposé un hébergement à 558 auteurs ; 301 auteurs ont été hébergés (dont 89,7 % étaient des hommes).
Le financement de cette plateforme, réalisé exclusivement par le biais du programme 137, a vocation à évoluer : faute de cofinancement du ministère de la justice, la plateforme a été contrainte de réduire son activité depuis le 1er juillet 2024 (fermeture le week-end et diminution du nombre de nuitées hôtelières attribuées pour chaque demande).
De même, si la création de places d'hébergement pour les auteurs de violences conjugales, prévue par le plan « Toutes et tous égaux », n'a pas encore pu être mise en oeuvre faute de financement sur le programme 177, elle devrait être a minima expérimentée, dans la mesure où les hébergement pour les auteurs de violence peuvent, plus aisément que pour les victimes, être réalisé en hôtel ou en hébergement collectif, ce qui limite leur coût et l'engorgement des dispositifs associés à un accompagnement.
Recommandation : Expérimenter, sur la base du volontariat, l'hébergement des auteurs de violences afin de laisser l'occupation du domicile à la victime
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 2 juillet 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Arnaud Bazin et Pierre Barros, rapporteurs spéciaux, sur l'évolution du financement de la lutte contre les violences faites aux femmes.
M. Claude Raynal, président. - Nous allons enfin entendre la communication de MM. Pierre Barros et Arnaud Bazin, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur l'évolution du financement de la lutte contre les violences faites aux femmes.
M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - Mes chers collègues, avant de céder la parole à mon collègue Arnaud Bazin, je souhaiterais dresser un rapide état des lieux des violences faites aux femmes en 2025 et apporter un certain nombre de précisions sur ce dont nous parlons.
Le constat n'est pas moins glaçant qu'il y a cinq ans : si le nombre de féminicides a diminué entre 2020 et 2023, passant de 121 à 96, le nombre de tentatives, lui, a augmenté de 238 à 451. Le nombre de viols ou de tentatives de viol enregistrés par les services de police et de gendarmerie a plus que doublé sur cette même période et le nombre des cas de violences volontaires au sein du couple a progressé de près de moitié.
Ces chiffres pourraient nous conduire à sous-estimer l'importance des violences, mais, en réalité, elles ne sont pas toutes déclarées - tant s'en faut. Les enquêtes de victimation témoignent au contraire du caractère endémique des violences faites aux femmes, puisque 217 000 femmes ont été victimes d'au moins une agression sexuelle hors du couple en 2022. Plus inquiétant encore, seuls 3 % des affaires de viol aboutissent à une condamnation définitive.
En réalité, les violences faites aux femmes, en particulier les violences sexuelles, s'inscrivent dans un véritable système de domination, fondé sur le sexisme. Celui-ci, loin de s'éteindre comme on voudrait parfois le croire, a malheureusement encore de beaux jours devant lui : plus d'un quart des hommes sondés par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) considèrent qu'ils feraient de bien meilleurs patrons qu'une femme, et la proportion d'hommes qui perçoivent la cause des femmes comme une menace pour leur pouvoir s'établit à 37 % en 2025, selon le même sondage.
Les violences faites aux femmes ne sont que l'aboutissement, le haut du spectre pour ainsi dire, d'un continuum de violences qui va du stéréotype à la discrimination, au viol et à l'exploitation sexuelle, voire au féminicide. Ainsi, quand Arnaud Bazin et moi-même parlons de violences faites aux femmes, c'est à ce gradient de violences que nous nous référons.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Il y a cinq ans, Éric Bocquet et moi-même avions publié un rapport d'information intitulé Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes. La communication que je présente aujourd'hui, avec Pierre Barros, procède à un nouvel examen des mêmes questions : quels sont les moyens financiers mis à la disposition des politiques en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes ? Quels sont les moyens humains déployés dans cette perspective ? L'administration et les associations exercent-elles leurs missions dans des conditions satisfaisantes ?
D'abord, il nous est apparu que les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes manquent d'une boussole stratégique depuis la fin du Grenelle des violences conjugales. La Cour des comptes a ainsi déploré « une juxtaposition de plans inégalement suivis », un constat que nous partageons. En outre, le plan « Toutes et tous égaux » pour la période 2023-2027 est jugé insuffisamment ambitieux, la lutte contre les violences faites aux femmes ne constituant que l'un de ses quatre axes. Il nous semble donc qu'il faudrait doter cette politique publique d'une véritable stratégie interministérielle ciblant les violences faites aux femmes, quitte à en adopter, comme nous le faisons, une large définition.
S'agissant des financements, il ressort de nos travaux que leur progression est difficile à évaluer. En effet, si les crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » ont augmenté de 176,8 % entre 2020 et 2024, ils ne représentent au total qu'un peu plus de 100 millions d'euros. Il s'agit d'un montant dérisoire, a fortiori lorsqu'on le rapporte au « coût » des violences pour la société, que plusieurs études ont chiffré à au moins 3,6 milliards d'euros par an.
Heureusement, les crédits du programme 137 ne sont pas les seuls à concourir à la lutte contre les violences faites aux femmes : d'autres programmes permettent de financer les places d'hébergement d'urgence pour les femmes qui quittent leur conjoint violent ; certaines enveloppes dédiées à la justice ou à la sécurité sociale y concourent également.
Cela étant, l'estimation exacte de ces financements n'est pas aisée. Ainsi, la Fondation des femmes évalue cet effort financier à un peu plus de 180 millions d'euros, un montant qui nous paraît assez faible. Le document de politique transversale (DPT) fourni par l'administration de l'État, lui, considère que les crédits contribuant à l'égalité femmes-hommes s'élèvent à 5,8 milliards d'euros, ce qui semble franchement excessif. Dans notre rapport de juillet 2020, Éric Bocquet et moi-même avions ainsi déploré la complaisance avec laquelle on avait décidé de considérer un certain nombre de financements figurant dans le DPT comme contribuant à cette politique - je pense notamment aux salaires des professeurs d'histoire-géographie, qui font référence à l'égalité hommes-femmes dans leur cours d'enseignement moral et civique, ou encore à certains crédits de l'aide au développement, qui contribuent à la construction de stations de pompage et dispenseraient de ce fait les femmes africaines de transporter l'eau... Notre constat à cet égard est évidemment toujours valable.
Nos observations sont similaires s'agissant des autres sources de financement : les financements des collectivités territoriales sont significatifs, mais ils sont probablement sous-exploités. De même, il nous semble qu'il faudrait davantage mobiliser les fonds européens. En outre, les fonds privés pourraient également être une manne intéressante. Mentionnons ici l'exemple inspirant de la Fondation des femmes, qui se fait une spécialité de collecter des fonds privés pour les redistribuer à d'autres associations agissant en faveur de la prévention des violences faites aux femmes.
S'il semble judicieux de s'interroger sur le niveau des financements, qui peut apparaître inférieur à celui des besoins, il l'est tout autant de s'interroger sur leur efficacité. Or, en la matière, nous ne disposons que de peu d'informations. Nous recommandons de revoir certains indicateurs de performance, que nous jugeons trop peu pertinents. Il importe surtout d'être fidèle à la démarche, qui n'était encore qu'une ébauche en 2020, de la « budgétisation intégrant l'égalité » : il s'agit d'une sorte de « budget vert », à ceci près qu'il permet de mesurer l'impact du budget, non pas sur l'environnement, mais sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Il nous semble que cette démarche présente un intérêt certain si l'on veut vraiment évaluer l'impact des dépenses publiques en faveur de l'égalité femmes-hommes. L'administration a assuré qu'une préfiguration de ce dispositif était prévue dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2026 : nous y serons attentifs.
J'en viens enfin aux acteurs indispensables de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, à savoir le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) et les associations spécialisées. Une fois encore - et nous n'en tirons malheureusement aucune satisfaction -, notre constat n'est guère différent d'il y a cinq ans.
S'agissant de l'administration, la Cour des comptes juge que ses services « peinent à accomplir leur mission », en raison notamment de la faiblesse de leurs moyens. Cette faiblesse est particulièrement criante à l'échelon déconcentré : il faut garder à l'esprit que les délégations départementales aux droits des femmes ne sont composées que d'un délégué, qui doit remplir seul ses missions.
Nous souhaitons apporter une réponse à cette situation. D'abord, il faudrait donner à l'administration les moyens de ses missions - c'est un préalable élémentaire -, en portant les effectifs du réseau déconcentré au niveau théorique prévu par une instruction ministérielle. Cela impliquerait de rehausser le plafond des autorisations d'emplois d'une dizaine d'ETP. Il nous semble également qu'il faudrait faire du SDFE une véritable administration ministérielle, en le transformant en une délégation interministérielle dont le ministre de tutelle serait lui-même rattaché au Premier ministre.
Enfin, nous observons que les associations sont très fragilisées par le versement tardif de leurs subventions et la faiblesse de leurs moyens humains. Nous réitérons donc les recommandations du rapport que j'ai commis avec Éric Bocquet en 2023 sur le conventionnement des associations : simplifier les procédures de conventionnement et développer les conventions pluriannuelles qui sont encore trop peu utilisées.
Aujourd'hui, malgré la hausse des moyens, les besoins ne sont pas satisfaits. Il serait tentant de réclamer une hausse des moyens tous azimuts en faveur d'une cause aussi importante que celle-ci. Mais, compte tenu de la contrainte budgétaire qui ne cesse de s'accentuer, nous avons préféré chercher à identifier les priorités de l'action publique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - À l'issue de nos auditions, Arnaud Bazin et moi-même avons en effet identifié trois axes d'action prioritaire.
Le premier consiste à étendre le champ de la lutte contre les violences faites aux femmes aux violences hors du couple et à développer la prévention. En effet, malgré d'importants progrès réalisés en matière de protection des victimes de violences conjugales - déploiement des téléphones grave danger (TGD) et des bracelets antirapprochement (BAR), ordonnances de protection -, la prise en charge demeure perfectible, à plus forte raison s'agissant des violences hors du couple.
Ainsi, la progression des moyens alloués aux structures d'accompagnement - la hausse enregistrée s'élève à 61 % en cinq ans -, qu'il s'agisse des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), des lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO), ou des accueils de jour, n'a pas été aussi importante que celle des crédits du programme 137, qui a atteint 176,8 % sur la même période.
Davantage de moyens doivent également être consacrés à la prévention. Les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) pourraient constituer un outil intéressant en la matière. Plusieurs études soulignent leur impact positif sur les récidives. Ces centres pourraient ainsi développer leurs activités auprès des publics volontaires, afin de prévenir la commission des violences.
Les associations considèrent que les CPCA ne devraient pas être financés par le programme 137, lequel devrait être consacré aux victimes. Sans prendre position dans ce débat, qui paraît avant tout symbolique, il est clair que le financement des CPCA devrait être remis à plat. En effet, il repose actuellement sur un forfait par centre, quel que soit le nombre d'auteurs de violences pris en charge. Il convient d'augmenter les parts des financements variables selon la file active et de réduire la part des financements forfaitaires pour renforcer la prévention.
Le deuxième axe prioritaire concerne la facilitation des parcours de sortie de la prostitution. L'application de la loi est en effet disparate sur le territoire, notamment du fait des dysfonctionnements des commissions départementales de lutte contre la prostitution : dans certains départements, une telle commission n'a été mise en place que sept ans après l'adoption de la loi de 2016. Aujourd'hui encore, certaines d'entre elles ne se réunissent jamais ; d'autres opposent systématiquement un refus aux parcours de sortie de la prostitution, en parfaite méconnaissance de la loi.
Ces dysfonctionnements tout à fait inadmissibles doivent cesser immédiatement. Outre l'actualisation de l'instruction ministérielle pour assurer une meilleure information des administrations déconcentrées concernées, il conviendrait de réglementer les commissions départementales par décret et d'augmenter la durée qui sépare le renouvellement de deux parcours de sortie de la prostitution, afin de sécuriser les parcours de celles et ceux qui bénéficient du dispositif.
Enfin, il est primordial de renforcer l'accompagnement des femmes qui quittent leur conjoint violent. Certes, la création de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales est une avancée en ce sens, mais elle ne peut résoudre à elle seule toutes les difficultés des victimes. C'est pourquoi la mise en place du pack « nouveau départ », dont l'ambition est de permettre un accompagnement global des victimes qui quittent leur conjoint violent, doit impérativement s'accélérer.
De même, les besoins en matière d'hébergement pour les victimes de violences sont très importants. Si un parc spécialisé a été développé depuis 2020, il ne suffit guère à loger les femmes qui en ont besoin ; en outre, on constate une tension croissante sur l'offre d'hébergement, la création du parc spécialisé semblant avoir été partiellement rendue possible par la conversion de places d'hébergement existantes.
Dans les années à venir, la priorité doit aller à la structuration d'un véritable parcours, de la mise à l'abri jusqu'au retour au logement autonome, qui passe par une phase d'accompagnement dans la durée dans le logement social ou l'habitat intermédiaire, laquelle doit se conclure par un retour dans le parc privé grâce au développement de mécanismes de garantie locative. Les 10 millions d'euros de crédits ouverts dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 pour loger les femmes sans abri constituent, à ce titre, un modèle à suivre.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pierre Barros vient d'évoquer la dotation de 10 millions d'euros votée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 : il importe de regarder de plus près la traduction concrète qui en a été faite sur le terrain. Ce retour d'expérience est essentiel.
Arnaud Bazin nous alerte chaque année sur ce sujet très important des violences faites aux femmes. J'ai moi-même assisté vendredi dernier à une réunion de maires près de la sous-préfecture de Lunéville, en présence des services de l'État, lors de laquelle a été abordée la question des violences intrafamiliales. À cette occasion, le commandant de la gendarmerie de Lunéville nous a alertés sur le fait que, d'après les deux intervenantes sociales qu'il employait, près de 40 % des cas de violences n'avaient jamais été détectés par les services sociaux, un chiffre impressionnant qui éclaire d'un nouveau jour les statistiques que nos rapporteurs spéciaux viennent de nous communiquer.
Cela me conduit à penser qu'il convient de renforcer l'articulation des actions engagées par les différents acteurs sur le terrain.
Au travers votre recommandation n° 8, vous préconisez d'« encourager le développement de solutions de financement sur fonds privés ». Toutes les solutions doivent en effet être explorées. À ce titre, je citerai un exemple intéressant : se pose, toujours à Lunéville, le problème du financement d'un poste supplémentaire d'intervenant social en gendarmerie ; or il est envisagé de faire peser la prise en charge de près de 80 % de ce budget par la Mutualité sociale agricole (MSA), qui interviendrait dans la mesure où le territoire concerné est à dominante rurale. Par ailleurs, une part de l'effort financier peut être fourni par les collectivités locales : ces dernières acceptent parfois de financer le relogement de femmes victimes de violences et de leurs enfants, en mettant un ou deux logements à disposition - même si tout cela implique des moyens et de l'ingénierie de projet. Je souscris en tout cas à cette recommandation qui met en exergue l'importance de la recherche collective de solutions de financement privées ou publiques.
Mme Isabelle Briquet. - Je remercie les deux rapporteurs spéciaux de cette communication, dans laquelle ils dressent un rapport plutôt alarmant. Les violences sont en nette augmentation. Que cela s'explique ou non par une meilleure connaissance du phénomène, les chiffres sont effarants.
Mes chers collègues, je souhaite vous interroger sur un point précis : pourriez-vous nous en dire plus sur les importantes tensions que vous avez mentionnées sur l'offre d'hébergements. Par ailleurs, pourriez-vous préciser en quoi consisterait le parcours d'hébergement continu et cohérent que vous appelez de vos voeux ? Enfin, dans votre recommandation n° 19, vous proposez d'« expérimenter [...] l'hébergement des auteurs de violences », ce qui pourrait apparaître contre-intuitif, dès lors que les moyens financiers consacrés à l'accompagnement desdites victimes sont insuffisants aujourd'hui : pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? Disposez-vous d'informations sur les dispositifs actuels de suivi des auteurs de violences ?
M. Vincent Éblé. - Mes chers collègues, dans votre communication, vous évoquez les dysfonctionnements des commissions départementales de lutte contre la prostitution. C'est un commentaire qui m'interpelle, car, vous l'avez vous-même dit, il n'en existe pas partout. C'est du reste pourquoi je considère, pour ma part, qu'elles ont surtout le mérite d'exister. De quels dysfonctionnements s'agit-il exactement ?
M. Stéphane Sautarel. - Par votre recommandation n° 6, vous proposez de « développer la contribution des collectivités territoriales au financement des solutions locales concourant à l'égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ». Mais cette contribution n'existe-t-elle pas déjà ? Êtes-vous en mesure d'estimer le niveau des efforts financiers déjà consentis par celles-ci ? Quels efforts supplémentaires envisagez-vous ?
M. Jean-Marie Mizzon. - Cette recommandation n° 6 est-elle, dans l'esprit de ses auteurs, une obligation ou une incitation ? Quelles sont les collectivités visées lorsque l'on évoque cette contribution complémentaire ?
Il faut savoir que la moitié des féminicides en France ont lieu en zone rurale, alors que les territoires ruraux ne représentent qu'un tiers de la population globale. Les communes rurales ont conscience de la situation : elles se sont organisées en mettant en place le dispositif « Élu rural relais de l'égalité » (Erre) au travers duquel elles invitent l'ensemble des communes de chaque département à désigner un référent susceptible de détecter les endroits où se produisent de telles violences. Envisagez-vous de solliciter davantage ces programmes à travers un financement dédié ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, les 10 millions d'euros de crédits consacrés aux femmes victimes de violences sans domicile feront évidemment l'objet d'une expertise en vue d'une traduction concrète dans le cadre du prochain projet de loi de finances. À l'heure où je vous parle, nous ne nous sommes pas encore penchés sur le sujet.
Vous avez eu raison d'évoquer les intervenants sociaux en gendarmerie, car leur importance - vous l'avez souligné avec l'exemple que vous avez donné - est cruciale dans cette lutte contre les violences. Leur généralisation, souhaitée, suppose des financements qui sont en règle générale tripartites - État, département et groupement de communes -, mais qui peuvent varier, notamment en zone rurale - vous avez à juste titre mentionné le rôle de la MSA. Quoi qu'il en soit, le dispositif des intervenants sociaux en gendarmerie a fait ses preuves.
Mme Briquet nous interroge sur notre recommandation n° 19 : la promotion de l'hébergement des auteurs de violences doit permettre à la victime d'occuper le domicile, ce qui est essentiel lorsque le couple a des enfants - il est extrêmement complexe de devoir déménager, car cela implique un changement de lieu de vie, d'école, etc. Il est toujours préférable, nous semble-t-il, d'éloigner les auteurs des violences, soit par voie de justice, soit via un programme reposant sur le volontariat. À ce sujet, je fais mienne la conclusion du rapporteur général : c'est d'une prise en charge collective, impliquant l'État et tous les acteurs locaux, chacun jouant son rôle en fonction de ses capacités, que nous avons besoin.
Notre collègue nous interroge également sur les causes d'une telle hausse des violences en l'espace de seulement cinq ans : il est possible qu'on les détecte mieux ; ce qui est certain, c'est que la pandémie de covid-19 a renforcé les tensions au sein de certains couples et a accentué le phénomène des violences, libérant un certain nombre de comportements. Il est cependant difficile d'en mesurer les incidences.
Nous appelons effectivement de nos voeux un parcours d'hébergement continu et cohérent : cela passera, je viens de le dire, par la contribution de chacun, et notamment des collectivités locales, en fonction des moyens dont il dispose.
Enfin, l'éloignement des auteurs de violences ne nous semble absolument pas contre-intuitif : il s'agit au contraire d'une voie à privilégier.
M. Éblé a évoqué la question de la lutte contre la prostitution : dans le cadre de mes travaux sur le sujet, j'ai toujours pris soin de déplorer la lenteur avec laquelle les commissions départementales de lutte contre la prostitution avaient été mises en place dans les départements. Aujourd'hui, il en existe partout, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'elles se réunissent régulièrement et efficacement. Parmi les dysfonctionnements que nous décrivons, je mettrai en avant la cohabitation difficile en leur sein d'acteurs aux préoccupations divergentes : certains services de l'État s'inquiètent ainsi d'une possible instrumentalisation de la politique de lutte contre la prostitution afin de contourner les règles en vigueur en matière d'immigration, ce qui nous semble être un sujet mineur, au vu des chiffres dont nous disposons. La priorité doit rester la lutte contre la prostitution, même si cela conduit à terme à la délivrance de titres de séjour.
M. Sautarel a bien expliqué que les collectivités locales étaient déjà mises à contribution de manière significative en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, et, plus largement, pour ce qui est des actions concourant à l'égalité femmes-hommes - nous en avons conscience. D'ailleurs, en 2022, près de 30 % des crédits alloués aux centres d'information sur les droits des femmes et des familles émanaient des collectivités territoriales - essentiellement par le biais des départements et des groupements de communes -, contre 40 % pour l'État. De même, les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation des femmes victimes de violences et les accueils de jour sont souvent cofinancés par l'État et les collectivités territoriales.
Nous ne disposons pas pour autant d'éléments formalisés pour livrer une estimation globale des financements alloués par les collectivités à cette politique de lutte contre les violences. C'est d'autant plus regrettable que les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants ont l'obligation de publier chaque année un rapport sur la situation en matière d'égalité femmes-hommes intéressant le fonctionnement de la collectivité. Pour améliorer la lisibilité de ces financements, nous proposons de réaliser un recensement des rapports produits par ces collectivités et de généraliser, comme nous l'avons déjà expliqué, la « budgétisation intégrant l'égalité ».
Enfin, pour répondre à M. Mizzon, l'appel à contribution des collectivités ne relève évidemment pas de l'obligation : celles-ci doivent faire selon leurs moyens. Dans le contexte budgétaire actuel, il convient cependant de s'interroger sur les capacités tant de l'État que des collectivités à monter en gamme.
M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - Je fais bien entendu miennes les réponses que vient d'apporter Arnaud Bazin, avec qui je partage une expérience commune dans le même département.
L'idée est de mettre en place un partenariat entre services de l'État, collectivités et associations, pour tenter de traiter l'intégralité de la problématique des violences faites aux femmes.
Chacun le reconnaît, la marche est très haute, et l'est de plus en plus année après année. Notre société va mal de ce point de vue. Les chiffres des violences progressent, d'autant que le traitement du problème est complexe, notamment quand les violences ont lieu dans l'espace privé.
Vos questions le prouvent : la question du logement est centrale. Même si la loi prévoit la mise à l'écart des auteurs de violences, on s'aperçoit que, dans les faits, les choses sont plus compliquées. Souvent, les auteurs de violences sont aussi propriétaires du logement et subviennent à l'essentiel des besoins du foyer, si bien que les femmes se trouvent très isolées, en particulier dans les quartiers populaires et en zone rurale, où l'aide qu'elles sont susceptibles de demander est plus éloignée ou diffuse.
Je veux souligner par ailleurs l'importance de l'accompagnement psychiatrique et psychologique mis en place dans certains hôpitaux pour soutenir les femmes victimes de violences et leurs enfants. Il s'agit d'initiatives cruciales tant les souffrances sont importantes.
Je suis persuadé que les collectivités ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les violences faites aux femmes : les élus locaux exercent une mission de proximité vis-à-vis des populations ; on dit même parfois que les maires soignent les âmes. Ils sont capables, dans certaines situations, de détecter des situations de détresse qui ne l'avaient pas été par les services sociaux, les collègues ou les voisins des victimes.
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je vous remercie de cette communication fort intéressante. Je suis cependant dubitatif quant à l'intérêt qu'il y aurait à développer l'hébergement des auteurs de violences, et, donc, à laisser les femmes victimes dans leur logement, car un nouvel hébergement présente justement l'avantage de leur garantir une forme d'anonymat et de contribuer à éviter toute récidive - même si j'ai bien noté qu'il s'agissait d'une expérimentation, qui plus est sur la base du volontariat.
La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
LISTE DES
PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)
- M. Jean-Benoît DUJOL, directeur général ;
- Mme Catherine PETIT, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes ;
- Mme Catherine MORIN, adjointe à la cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité femmes/hommes ;
- M. Benoit BOUSSINESQ, chargé des affaires budgétaires au bureau animation et veille.
Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF)
- Mme Roxana MARACINEANU, secrétaire générale ;
- Mme Cécile MANTEL, secrétaire générale adjointe.
Table ronde organismes publics
Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes
- Mme Bérangère COUILLARD, présidente ;
- M. Kevin PELLÉ, chargé de communication.
Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis
- Mme Ernestine RONAI, responsable.
Maison des femmes de Saint-Denis
- Mme Violette PERROTTE, directrice générale.
Table-ronde associations 1
Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF)
- Mme Clémence PAJOT, directrice ;
- Mme Amandine BERTON SCHMITT, directrice adjointe ;
- M. Grégoire LERAY, directeur administratif et financier.
Fondation des Femmes
- Mme Laura SLIMANI, directrice des projets en charge du financement des associations.
Women safe
- Mme Frédérique MARTZ, présidente.
Femmes pour le dire femmes pour agir
- Mme Soraya ALMANSA, directrice générale ;
- Mme Chantal RIALIN, présidente.
Table-ronde associations 2
Amicale du Nid
- Mme Delphine JARRAUD, déléguée générale.
Mouvement du Nid
- Mme Claire QUIDET, présidente ;
- Mme Héloïse DUCHÉ, nouvelle directrice de l'association ;
- Mme Zoé PELLEGRINO, chargée d'appui à l'accompagnement au secrétariat national.
Table-ronde associations 3
Collectif féministe contre le viol (CFCV)
- Mme Emmanuelle PIET, présidente ;
- Mme Élodie COZIC, co-coordinatrice.
Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF)
- Mme Mine GÜNBAY, directrice générale.
Une Femme-Un toit
- Mme Séverine LEMIÈRE, présidente.
Contributions écrites
Coordination nationale des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA).
ANNEXE MÉTHODOLOGIQUE
SUR L'USAGE DU SI
SIAO
I. LE SERVICE INTÉGRÉ D'ACCUEIL ET D'ORIENTATION AU SEIN DU SAMU SOCIAL EST UN ACTEUR CENTRAL DANS LA GESTION DE L'OFFRE ET DE LA DEMANDE
Créé par la circulaire du 8 avril 2010 relative au service intégré de l'accueil et de l'orientation (SIAO)102(*), le rôle du SIAO est d'assurer « l'accueil des personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état »103(*). Ce service intégré d'accueil et d'orientation est présent au sein de chaque département.
Les missions du SIAO sont définies par l'article L. 345-2-4 du code de l'action sociale et des familles104(*). Ces missions sont de huit ordres :
- recenser toutes les places d'hébergement, les logements en résidence sociale ainsi que les logements des organismes qui exercent les activités d'intermédiation locative ;
- gérer le service d'appel téléphonique pour les personnes ou familles sans domicile ou éprouvant des difficultés particulières ;
- veiller à la réalisation d'une évaluation sociale, médicale et psychique pour les personnes concernées ;
- suivre le parcours des personnes prises en charge jusqu'à la stabilisation de leur situation ;
- contribuer à l'identification des personnes en demande d'un logement, avec si besoin un accompagnement social ;
- assurer la coordination des personnes concourant au dispositif de veille sociale ;
- produire des données statistiques d'activité, de suivi et de pilotage du dispositif d'accueil, d'hébergement et d'accompagnement vers l'insertion et le logement ;
- participer à l'observation sociale.
Pour ce faire, le SIAO a développé une plateforme informatique dénommée « SI SIAO » visant à centraliser l'ensemble des demandes réalisées par les travailleurs sociaux. Ce système d'information vise à centraliser à la fois les demandes reçues par le numéro d'urgence 115, les demandes d'orientation en centre d'hébergement105(*), ou en logement adapté106(*).
Afin que le SIAO soit en capacité de traiter une demande, le travailleur social doit transmettre plusieurs informations sur le demandeur et la demande.
Ces informations sont de plusieurs ordres et concernent :
- des indications sur le demandeur, à la fois d'identification, mais également sur sa situation économique et la composition familiale de son ménage ;
- des informations sur la demande avec notamment un rapport social, la zone géographique concernée ou la présence d'une personne à mobilité réduite ou d'un animal.
Dans le détail, des informations précises sur la situation socio-économique du demandeur sont disponibles au sein de la fiche ménage renseignée par le travailleur social lors de la création d'une demande SIAO. Ces informations incluent des éléments relatifs à :
- la précarité liée au logement : le ménage est-il en cours d'expulsion, sans domicile personnel, avec une expérience en logement autonome ou co-titulaire d'un bail locatif ;
- la situation socio-médicale : une personne est-elle à mobilité réduite, est-elle enceinte, a-t-elle subie des violences et a-t-elle des droits ouverts à la sécurité sociale ;
- les démarches d'accès au logement, notamment les droits au logement ou à l'hébergement opposable ;
- la situation professionnelle et financière du ménage.
II. LA DÉLÉGATION INTERMINISTÉRIELLE À L'HÉBERGEMENT ET À L'ACCÈS AU LOGEMENT A MODERNISÉ LA PLATEFORME VISANT À MIEUX CONNAÎTRE ET MIEUX COORDONNER LES PARCOURS DES PERSONNES
Les informations présentes au sein du SI SIAO sont précieuses pour suivre des parcours et réaliser des statistiques sur le champ des personnes sans abri ou en difficulté. Au regard du volume de la demande et du nombre de professionnels l'utilisant (environ 40 000), l'ergonomie et la maintenance de la plateforme est un enjeu important.
La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) s'est impliquée dans le pilotage d'un plan de modernisation ambitieux guidé par trois principaux objectifs :
- mieux orienter les personnes sans domicile et accélérer leurs parcours d'insertion ;
- piloter l'offre des territoires et alimenter les acteurs en données utiles à leur action ;
- simplifier et optimiser les parcours utilisateurs, intégrer le design et l'accessibilité au coeur de la refonte.
III. LE « SI SIAO » PRÉSENTE TOUTEFOIS DES FRAGILITÉS QUI LIMITENT LES POSSIBILITÉS D'ANALYSE
Le SI SIAO constitue un outil fondamental pour permettre un suivi précis et rigoureux à la fois des demandes et des bénéficiaires. Toutefois, ce système d'information reste un outil qui repose sur des informations déclaratives renseignées par de nombreux travailleurs sociaux. Ces informations sont ainsi sensibles à la fois aux déclarations erronées ou d'absence de réponse de la part de bénéficiaires, mais également d'erreurs de saisie des travailleurs sociaux.
De nombreuses variables sont ainsi peu renseignées, ce qui nuit à l'analyse globale de la situation. Un renforcement des capacités d'analyse et de fiabilisation des données du SI SIAO permettrait de renforcer le suivi des personnes sans abri ou en difficulté, notamment des femmes victimes de violences.
Par ailleurs, certains territoires semblent touchés de manière hétérogène par la non-réponse. Des campagnes de sensibilisation ou de formation ciblées pourraient permettre à terme de réduire ce biais.
À titre illustratif, sur le champ des demandes pourvues associées à des individus ayant été victimes de violences, le non-renseignement du type de place accordé est très élevé pour les départements d'Île-de-France. En particulier, le Val-d'Oise, la Seine-et-Marne et les Yvelines renseignent très rarement cette information.
Or, dans le suivi de la prise en charge des femmes victimes de violences, notamment familiales et conjugales, la part de places fléchées vers le dispositif spécifique destiné aux femmes victimes de violences107(*) est un élément central.
Tableau 1 : Taux de non réponse du type de place par département
Département |
Taux de non-réponse |
Val-d'Oise |
99 % |
Seine-et-Marne |
97 % |
Yvelines |
96 % |
Paris |
75 % |
Essonne |
68 % |
Val-de-Marne |
65 % |
Hauts-de-Seine |
63 % |
Seine-Saint-Denis |
10 % |
Haute-Corse |
10 % |
Source : SI SIAO, calculs Sénat
Au-delà des précautions méthodologiques induites par la qualité des informations renseignées, plusieurs spécificités liées au fonctionnement des SIAO a un impact sur les analyses réalisées.
Dans le cas d'une demande d'hébergement d'urgence via le 115, le nombre de nuitées est indiqué par la structure d'accueil. Pour modifier ce champ, il est possible de réaliser un renouvellement automatique ou permanent :
- dans le cas d'un renouvellement automatique, le travailleur social indique le nombre de renouvellements souhaités. Par exemple, si la demande initiale portait sur trois nuits, et que l'instructeur indique deux renouvellements automatiques, le bénéficiaire pourra rester trois nuits puis deux fois trois nuits, soit neuf nuits au total ;
- dans le cas d'un renouvellement permanent, la demande d'hébergement d'urgence est renouvelée automatiquement jusqu'au renseignement d'une fin de prise en charge.
Au sein du système d'information, lorsqu'une demande est renouvelée, toutes ses caractéristiques sont copiées et une nouvelle demande est ajoutée au SI SIAO portant la mention « demande issue d'un renouvellement ».
Pour analyser la structure des demandes 115, il est alors nécessaire de retraiter les demandes issues de renouvellements afin de ne pas considérer qu'il s'agit d'une nouvelle demande à chaque renouvellement.
En 2024, 2,3 millions de demandes ont été enregistrées au sein du SI SIAO. Au sein de celles-ci, 8,0 % des demandes sont associées à un ménage ayant été victime de violences. 69 000 demandes ont pour motif « violences familiales et conjugales », soit environ 3 % de l'ensemble des demandes.
La part des demandes issues de renouvellements varie en fonction du type de demande. Celle-ci s'élève à environ 30 % sur l'ensemble des demandes enregistrées, à 39 % sur le seul champ des victimes de violences au sens large et à 60 % pour les demandes ayant pour motif les violences familiales et conjugales.
Tableau 2 : Nombre de demandes issues d'un renouvellement en 2024
Type de demande |
Demande issue d'un renouvellement |
Demande non issue d'un renouvellement |
Total |
Taux de renouvellement |
Ensemble des demandes |
692 749 |
1 755 222 |
2 447 971 |
28 % |
Victime de violences |
72 883 |
113 179 |
186 062 |
39 % |
Violences familiales et conjugales |
41 520 |
27 627 |
69 147 |
60 % |
Source : SI SIAO, calculs Sénat
Le taux de renouvellement permanent est proche du taux de renouvellement, ce qui indique que la plupart des demandes issues d'un renouvellement correspondent à un renouvellement permanent.
Une demande renouvelée hérite des caractéristiques de la demande initiale. Pour autant, celle-ci ne correspond pas réellement à une nouvelle demande. Inclure les renouvellements permet d'étudier avec précision l'offre et la demande en hébergement, mais complexifie l'analyse des caractéristiques des bénéficiaires.
Afin de se placer sur un champ homogène, les demandes issues de renouvellements ont été exclues de l'analyse réalisée. Cela revient à faire implicitement l'hypothèse que les bénéficiaires de demandes issues de renouvellement sont de même nature que ceux réalisant des demandes sans renouvellement.
Tableau 3 : Nombre de demandes avec un renouvellement permanent en 2024
Type de demande |
Renouvellement permanent |
Sans renouvellement permanent |
Total |
Taux de renouvellement permanent |
Ensemble des demandes |
635 875 |
1 812 096 |
2 447 971 |
26 % |
Victime de violences |
67 700 |
118 362 |
186 062 |
36 % |
Violences familiales et conjugales |
40 233 |
28 914 |
69 147 |
58 % |
Source : SI SIAO, calculs Sénat
TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)
N° de la proposition |
Proposition |
Acteurs concernés |
Calendrier prévisionnel |
Support |
Axe n° 1 - Fonder la politique de lutte contre les violences faites aux femmes sur une stratégie et en évaluer l'efficacité |
||||
1 |
À l'avenir, prévoir une stratégie globale de lutte contre toutes les violences faites aux femmes. |
Gouvernement, DGCS-SDFE |
Dès que possible |
Stratégie inter-ministérielle |
2 |
Conduire une nouvelle étude sur le coût des violences faites aux femmes, tenant compte de l'évolution des coûts publics et de l'essor de nouvelles formes de violence, dans un cadre et selon une méthodologie harmonisés avec les travaux antérieurs. |
DGCS-SDFE |
Dès que possible |
Appel à projets |
3 |
Mettre en oeuvre la budgétisation intégrant l'égalité dès le PLF 2026 et y faire figurer, à terme, l'ensemble des dépenses et des ressources de l'État. |
DGCS-SDFE, DB, autres ministères |
A compter du PLF 2026 |
Rapports annexés aux PLF |
4 |
Améliorer la pertinence des indicateurs de performance du programme 137, en contextualisant les indicateurs porteurs de biais voire en révisant ces indicateurs en lien avec les associations concernées. |
DGCS-SDFE, DB |
Dès le PLF 2026 |
Préparation de la loi de finances |
5 |
Mener à bien les recensions des documents permettant de mesurer la contribution des collectivités territoriales à la promotion de l'égalité femmes-hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ; à terme, étendre la budgétisation intégrant l'égalité à toutes les grandes collectivités. |
DGCS-SDFE, DGCL |
Dès que possible |
Recension des rapports des collectivités |
Axe n° 2 - Renforcer les moyens de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes |
||||
6 |
Développer la contribution des collectivités territoriales au financement de solutions locales concourant à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment en associant les collectivités, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des justificatifs lorsqu'ils existent. |
Collectivités territoriales, DGCS-SDFE, associations |
Dès que possible |
Bonne pratique |
7 |
Développer le recours aux fonds européens, y compris de manière indirecte, pour le financement d'action de lutte contre les violences faites aux femmes. |
DGCS-SDFE, associations |
Dès que possible |
Bonne pratique |
8 |
Encourager le développement de solutions de financement sur fonds privés, en s'inspirant des pratiques de collecte de fonds de la Fondation des femmes ou en recourant à la vente de prestations de formation à l'égalité et à la lutte contre les violences. |
Associations |
Dès que possible |
Bonne pratique |
9 |
Poursuivre le renforcement des moyens humain du SDFE et du réseau des délégations aux droits des femmes, en portant à terme les effectifs du réseau déconcentré au niveau qu'impliquent les missions définies par l'instruction ministérielle du 3 février 2017. |
Gouvernement, Parlement |
A compter du PLF 2026 |
Loi de finances |
10 |
Revoir le positionnement du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) en dotant cette politique publique d'une vraie administration centrale et interministérielle, en transformant le SDFE en délégation interministérielle et en y intégrant, éventuellement, la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). |
Gouvernement |
Dès que possible |
Voie réglementaire |
11 |
Privilégier le placement des délégués départementaux aux droits des femmes directement auprès des préfets de département. |
DGCS-SDFE |
Dès que possible |
Instruction |
12 |
Poursuivre les travaux afin de fluidifier la procédure de conventionnement et d'améliorer les conditions d'octroi des subventions, en développant notamment le recours aux conventions pluriannuelles et en réduisant les délais de versement. |
DGCS-SDFE |
Dès que possible |
Instruction, conventions |
Axe n° 3 - Trois priorités pour poursuivre la lutte contre les violences faites aux femmes à l'heure des contraintes budgétaires |
||||
13 |
Favoriser le développement des structures d'accompagnement et encourager l'émergence de structures de prise en charge intégrée des femmes victimes de violences en mobilisant des financements de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales, ainsi que des fonds privés. |
DGCS-SDFE, Sécurité sociale |
Dès que possible |
Cahiers des charges ; loi de financement de la sécurité sociale |
14 |
Assurer une coordination effective entre les différents plans nationaux de lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences faites aux enfants. |
DGCS-SDFE |
Dès que possible |
Bonnes pratiques |
15 |
Rationaliser les modalités de financement des centres de prise en charge des auteurs de violences (CPCA) afin d'assurer une meilleure répartition territoriale des crédits et de développer, à moyens constant, les actions de prévention auprès des publics volontaires. |
DGCS-SDFE |
Dès que possible |
Modalités de répartition des financements |
16 |
Favoriser les entrées et sécuriser la prise en charge en parcours de sortie de prostitution (PSP) en précisant les motifs qui peuvent à bon droit leur être opposés ainsi que le nombre minimal de réunions annuelles de la commission départementale et porter la durée entre chaque renouvellement de 6 à 12 mois. |
DGCS-SDFE |
Dès que possible |
Décret, instruction |
17 |
Mener une évaluation de l'impact de l'aide universelle d'urgence sur les victimes afin d'identifier les axes d'amélioration du dispositif et accélérer le déploiement du pack nouveau départ en l'étendant à de nouveaux départements volontaires. |
DGCS-SDFE |
Dès que possible |
Bonnes pratiques |
18 |
Établir, en l'intégrant au reste de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, un véritable parcours d'hébergement continu et cohérent, permettant d'accompagner les victimes de la mise à l'abri en urgence jusqu'à leur retour à un logement autonome. |
DGCS-SDFE, DIHAL |
Dès le PLF 2026 |
Loi de finances |
19 |
Expérimenter, sur la base du volontariat, l'hébergement des auteurs de violences afin de laisser l'occupation du domicile à la victime. |
DGCS-SDFE, DIHAL |
Dès le PLF 2026 |
Loi de finances |
* 1 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 2 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 3 « Les violences sexistes et sexuelles en France en 2023 », Observatoire national des violences faites aux femmes, MIPROF, n° 22, novembre 2024, mise à jour de février 2025.
* 4 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 5 HCE, Rapport annuel n° 2024-01-22-STER-61 2024 sur l'état des lieux du sexisme en France, 22 janvier 2024.
* 6 « Les violences sexistes et sexuelles dans les transports en commun », Observatoire national des violences faites aux femmes, MIPROF, n° 23, mars 2025.
* 7 « Porno : l'enfer du décor », Rapport d'information n° 900 (2021-2022) fait par Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio-Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat, déposé le 27 septembre 2022.
* 8 HCE, « Pornocriminalité : mettons fin à l'impunité de l'industrie pornograhique », 27 septembre 2023.
* 9 Article 222-30-1 du code pénal.
* 10 Sandrine Josso, Véronique Guillotin, Rapport au Gouvernement sur la soumission chimique, 12 mai 2025.
* 11 Rapport soumis par la France au Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), reçu le 30 juin 2024.
* 12 « Le système prostitutionnel », Observatoire national des violences faites aux femmes, MIPROF, n° 24, avril 2025.
* 13 Ibid.
* 14 Liz Kelly, « Le continuum de la violence sexuelle », traduit de l'anglais par Marion Tillous, Cahiers du genre 2019/1, n° 66, pages 17 à 36.
* 15 Erving Goffman, « The Arrangement of the Sexes », Theory and Society, 1977.
* 16 Janet M. Wedel, « Ladies, We've been Framed ! Observation on Erving Goffman's The Arrangement of the Sexes », Theory and Society, 1978.
* 17 HCE, Rapport annuel n° 2024-01-22-STER-61 2024 sur l'état des lieux du sexisme en France, 22 janvier 2024.
* 18 France Stratégie, Lutter contre les stéréotypes filles-garçons. Quel bilan de la décennie, quelles priorités d'ici à 2023 ?, mai 2025.
* 19 HCE, Rapport annuel n°2024-01-22-STER-61 2024 sur l'état des lieux du sexisme en France, 22 janvier 2024.
* 20 Cf. infra.
* 21 Rapport n° 731 (2024-2025), fait par Mmes Elsa Schalck et Dominique Vérien au nom de la commission des lois du Sénat, sur la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, remis le 11 juin 2025.
* 22 Cour des comptes, « La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État. Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés », septembre 2023.
* 23 Ibid.
* 24 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 25 Rapport d'évaluation remis par le collectif d'associations spécialisées au Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), reçu le 24 juin 2024.
* 26 Ibid.
* 27 Ibid.
* 28 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.
* 29 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 30 Cour des comptes, Note d'exécution budgétaire 2024, mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
* 31 Ibid.
* 32 Circulaire NOR ECOB2415733C - PLF 2025 relative à l'élaboration des annexes générales, jaunes et des documents de politique transversale.
* 33 Circulaire NOR ECOB2415733C - PLF 2025 relative à l'élaboration des annexes générales, jaunes et des documents de politique transversale.
* 34 Fondation des femmes, « Où est l'argent contre les violences faites aux femmes », édition 2023.
* 35 Rapport d'évaluation remis par le collectif d'associations spécialisées au Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), reçu le 24 juin 2024.
* 36 Fondation des femmes, « Où est l'argent contre les violences faites aux femmes », édition 2023.
* 37 EIGE, « The costs of gender-based violence in the European Union : Technical report », janvier 2022.
* 38 Catherine CAVALIN et al., Étude relative à l'actualisation du chiffrage des répercussions économiques des violences au sein du couple et leur incidence sur les enfants en France en 2012, Psytel, novembre 2014.
* 39 Mouvement du Nid, Psytel, Prostcost, Estimation du coût économique et sociale de la prostitution en France, mai 2015.
* 40 Fondation des femmes, Le coût des inégalités en France, mars 2022.
* 41 Fondation des femmes, Où est l'argent contre les violences faites aux femmes ?, septembre 2023.
* 42 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.
* 43 Ibid.
* 44 Ibid.
* 45 Rapport d'information du 2 mars 2005, fait par M. Jean Arthuis au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur les objectifs et les indicateurs de performance de la LOLF du 2 mars 2005.
* 46 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.
* 47 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 48 Rapport d'information n° 1240 (2022-2023), fait par Mmes Céline Calvez et Sandrine Josso au nom de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, sur la budgétisation intégrant l'égalité (BIE), déposé le 16 mai 2023.
* 49 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 50 Circulaire NOR ECOB2407423C du 13 mars 2024 relative à la préparation des volets « performance » des projets annuels de performances (PAP) du PLF 2025.
* 51 Igas-IGF, Mettre en oeuvre la budgétisation intégrant l'égalité entre les femmes et les hommes, juin 2024.
* 52 Par exemple le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».
* 53 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.
* 54 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
* 55 Les indicateurs à renseigner sont fixés par l'arrêté du 10 décembre 2021 fixant pour la fonction publique territoriale la liste des indicateurs contenus dans la base de données sociales
* 56 Voir par exemple la synthèse de novembre 2024 sur les RSU 2022.
* 57 Décret n° 2024-801 du 13 juillet 2024 relatif à la mesure et à la réduction des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans la fonction publique territoriale.
* 58 Annexe n° 30 au rapport général n° 144 (2024-2025) fait par MM. Arnaud Bazin et Pierre Barros au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2025.
* 59 Ibid.
* 60 Article 16 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 61 Bofip, mise à jour du 24 avril 2024.
* 62 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.
* 63 Cour des comptes, La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État. Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés, septembre 2023.
* 64 Cour des comptes, La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État. Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés, septembre 2023.
* 65 Le nombre d'ETPT indiqué ci-dessous pour le SDFE intègre depuis 2013 les personnels du Haut conseil à l'égalité (HCE) et de la MIPROF, qui émargent pour partie sur les effectifs du SDFE.
* 66 Cour des comptes, La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État. Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés, septembre 2023.
* 67 Cour des comptes, Les politiques de prévention des violences faites aux femmes en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, avril 2024.
* 68 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 69 Cour des comptes, La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État. Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés, septembre 2023.
* 70 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 71 Virginia Woolf, Une chambre à soi, 1929.
* 72 « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes », rapport d'information n° 602 (2019-2020) fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet au nom de la commission des finances, déposé le 8 juillet 2020.
* 73 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.
74 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
* 75 « Quand les associations remplacent l'État ? », Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.
* 76 Amendement n° II-2065 de Mme Dominique Vérien.
* 77 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.
* 78 SD5A désigne le bureau A « Budgets et performances » de la 5e sous-direction « Affaires financières et modernisation » de la DGCS.
* 79 « Violences conjugales - Protection des victimes : Usages et conditions d'application dans les tribunaux français des mesures de protection des victimes de violences au sein du couple », Rapport pour la Mission Droit et Justice, juillet 2019.
* 80 Rapport d'activité du CNOP 2020-2021.
* 81 Articles 706-3 à 706-15 du code de procédure pénale.
* 82 Ces deux dispositifs d'indemnisation sont mutuellement exclusifs.
* 83 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
* 84 CIIVISE, Violences sexuelles faites aux enfants : « On vous croit », novembre 2023.
* 85 Ibid.
* 86 Cour des comptes, La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État. Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés, septembre 2023.
* 87 HCE, Rapport annuel n° 2024-01-22-STER-61 2024 sur l'état des lieux du sexisme en France, 22 janvier 2024.
* 88 Ibid.
* 89 Ifop, Enquête sur l'exposition des françaises aux violences économiques dans le couple, 2023.
* 90 Cour des comptes, La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État. Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés, septembre 2023.
* 91 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
* 92 « Le système prostitutionnel », Observatoire national des violences faites aux femmes, MIPROF, n° 24, avril 2025.
* 93 Amendement n° II-2066 de Mme Maryse Carrère.
* 94 Loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales.
* 95 Décret n° 2023-1088 du 24 novembre 2023 relatif à l'aide universelle d'urgence pour les personnes victimes de violences conjugales.
* 96 Sur la base du nombre de dépôts de plainte pour violences conjugales, des ordonnances de protection, des signalements au parquet pour violences conjugales.
* 97 Amendement n° II-687 rect. de Mme Dominique Vérien, modifié par des sous-amendements de la commission et du Gouvernement.
* 98 Kit de communication Pack nouveau départ. Accessible en ligne.
* 99 Le Val d'Oise, le Lot-et-Garonne, la Réunion, la Côte d'Or et les Bouches du Rhône.
* 100 Cour des comptes, La politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État. Des avancées limitées par rapport aux objectifs fixés, septembre 2023.
* 101 « Femmes sans abri : la face cachée de la rue », Rapport d'information n° 15 (2024-2025) fait par Mmes Agnès Evren, Marie-Laure Phinera-Horth, Olivia Richard et Laurence Rossignol au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat, déposé le 8 octobre 2024.
* 102 https://www.bulletin-officiel.developpement-durable.gouv.fr/documents/Bulletinofficiel-0024334/met_20100012_0100_0024.pdf;jsessionid=79C9809B77B25F3A70FD4C74F1087468.
* 103 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000028807133.
* 104 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037670330.
* 105 CHU, CHS, CHRS, hôtels.
* 106 Résidence sociale, foyer de jeunes travailleurs, notamment.
* 107 https://asso-riposte.fr/index.php/nos-activites/pole-social/hebergement-urgence-femmes-victimes-de-violence-conjugale/.