L'ESSENTIEL

Confrontées depuis une dizaine d'années à des réformes de la fiscalité locale qui réduisent leur autonomie en matière de recettes, les collectivités locales peinent à exercer leurs missions et leurs responsabilités. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les collectivités territoriales se situent en première ligne face à des défis tels que le maintien des services publics de proximité ou encore la transition écologique, pour lesquels des investissements colossaux doivent être réalisés à très court terme (rénovation énergétique des bâtiments, développement des transports en commun, gestion de l'eau et des déchets, adaptation au changement climatique...).

À l'issue de ses travaux, la commission d'enquête appelle à redonner un cadre protecteur aux collectivités territoriales pour assurer dans de bonnes conditions l'exercice des compétences qui leur ont été transférées par l'État. Cet objectif passe par une refonte complète des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.

I. DES FINANCES PUBLIQUES LOCALES QUI SUBISSENT UNE PRESSION DE MOINS EN MOINS SUPPORTABLE

A. LES PROMESSES DE LA DÉCENTRALISATION ONT FAIT LONG FEU ET L'ÉTAT CONTRAINT CHAQUE JOUR UN PEU PLUS LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

1. Une succession de réformes de la fiscalité locale menées avant tout pour le contribuable

Alors que les grands actes de la décentralisation aspiraient à rapprocher les citoyens des centres de décision et à responsabiliser les autorités élues, les collectivités territoriales s'apparentent de plus en plus à des opérateurs de l'État, s'appuyant sur des recettes aléatoires pour financer des dépenses obligatoires.

Les réformes fiscales engagées depuis près de 10 ans, à commencer par la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP) et la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE), ont complètement redéfini le panier de recettes des collectivités, leurs incitations économiques et les liens avec leurs administrés. Différentes mesures de compensation ont été introduites pour neutraliser, au moins à court terme, les effets de ces réformes, contribuant à forger un ensemble difficilement lisible et dont la légitimité sera contestée alors que la réalité économique s'écarte progressivement de la date à laquelle la compensation a été arrêtée.

La suppression de la THRP était initialement présentée comme une mesure de justice fiscale, la promesse de campagne du candidat Macron étant centrée sur les 80 % des ménages les plus modestes. Son élargissement aux 20 % les plus aisés, en a fait une mesure extrêmement coûteuse et régressive, qui aurait mérité d'être rééquilibrée.

La suppression annoncée de la CVAE s'inscrivait quant à elle dans une réforme plus générale des impôts de production et ambitionnait de doper la compétitivité des entreprises françaises : de fait, elle a bien contribué à renforcer leurs marges.

Le choix de ces réformes traduit un certain scepticisme sur l'opportunité de maintenir une fiscalité locale, qui vient s'ajouter à la fiscalité d'État et se trouve plus menacée à ce titre quand il s'agit d'alléger la pression fiscale. Ces réformes s'inscrivent en outre dans un contexte où, depuis plus de 20 ans, les rapports invitant à contraindre l'évolution de la dépense locale se sont empilés, aboutissant à l'adoption en 2014, puis en 2018, d'un objectif d'évolution de la dépense locale et à la signature en 2017 des contrats de Cahors.

2. Une absence de vision globale aux effets délétères sur les finances locales

Ces suppressions d'impôts représentent un coût considérable pour les finances publiques : près de 35 milliards d'euros d'après la Cour des comptes (38,5 milliards d'euros en intégrant la suppression de la redevance audiovisuelle).

Ces baisses de recettes, non financées par des baisses de dépenses ou des hausses d'impôt, ont fortement contribué à la dégradation du solde public de la France. À titre de comparaison, dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2026, le Gouvernement peine à trouver 40 milliards d'euros d'économies. Les autorités entendues par la commission d'enquête se félicitent d'avoir instauré des systèmes de compensation favorables aux collectivités territoriales.

Force est néanmoins de constater que la détérioration du solde public se traduit, année après année, par une participation toujours plus importante des collectivités territoriales à l'effort budgétaire collectif.

Dès la loi de finances pour 2025, le Gouvernement est ainsi revenu sur un de ses engagements, la principale mesure d'économies touchant les collectivités territoriales étant un gel de la TVA versée à l'issue de diverses compensations, pour un impact estimé à 1,2 milliard d'euros.

Parmi les causes du dérapage budgétaire, on peut pointer l'extension de la suppression de la THRP aux 20 % des ménages les plus favorisés, qui a représenté une hausse de 80 % de l'allègement consenti, décision pleinement assumée en audition par les représentants de l'exécutif, qui ont mis en avant l'impact sur le pouvoir d'achat sans commenter son côté régressif.

Les effets de ces réformes dépassent par ailleurs le simple aspect financier. En limitant le nombre de leviers fiscaux des collectivités, elles restreignent l'autonomie financière réelle des collectivités, les leviers restants ne pouvant être indéfiniment actionnés au risque de devenir confiscatoires. Elles cassent par ailleurs le lien contributif et opposent sur certains territoires les propriétaires et le reste de la population, suscitant défiance et incompréhension. Enfin, avec la perte de ressources fiscales, les collectivités ne tirent plus parti financièrement du développement économique et de la construction de logements sur leur territoire.

Ce diagnostic sévère rejoint malheureusement l'opinion dominante en matière de finances publiques locales, à savoir le constat d'un système à bout de souffle, l'héritage d'une succession de réformes progressivement oubliées, aujourd'hui illisibles et dont les effets s'éloignent chaque jour un peu plus de la réalité économique des territoires.

Recommandation n° 1

Redéfinir un système de financement des collectivités territoriales qui permette de garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes propres, en lien avec leurs compétences, et à la hauteur des charges qu'elles supportent (législateur).

B. LE REFLET IMPLACABLE D'UN CADRE JURIDIQUE INSUFFISAMMENT PROTECTEUR...

1. Le principe d'autonomie financière issu de la révision constitutionnelle de 2003 : une « coquille vide »

Telle qu'initialement envisagée par le constituant, la révision du 28 mars 2003 poursuivait un objectif clairement identifié : l'instauration d'un cadre constitutionnel plus protecteur pour les finances locales et le pouvoir fiscal des collectivités territoriales.

Alors qu'il était censé constituer un frein à la recentralisation financière et au recul de la fiscalité locale, le principe d'autonomie financière inscrit à l'article 72-2 de la Constitution a été vidé de sa substance par la loi organique de 2004. En effet, ont été artificiellement incluses dans la catégorie des « ressources propres » des collectivités des impositions sur lesquelles elles n'ont pas leur mot à dire et ne disposent d'aucun pouvoir de taux ou d'assiette.

Inaptes à protéger le pouvoir fiscal des collectivités, ces nouvelles dispositions juridiques ont, de surcroît, souffert d'une interprétation très restrictive de la part du Conseil constitutionnel.

2. Une jurisprudence constitutionnelle peu protectrice et des ratios d'autonomie financière totalement déconnectés de la réalité

Se refusant à reconnaître un principe d'autonomie fiscale, le juge constitutionnel s'est en outre borné, depuis deux décennies, à considérer que la réduction des ressources propres des collectivités résultant des lois qui lui ont été déférées n'était pas d'une ampleur suffisante pour entraver leur libre administration.

Parallèlement, le juge constitutionnel s'est abstenu d'exiger que les transferts ou extensions de compétences fassent l'objet d'une compensation financière intégrale et actualisée, en s'appuyant sur un principe de « compensation au coût historique » hautement préjudiciable aux collectivités dans la durée.

Résultat : le législateur a pu, au fil des réformes de la fiscalité locale, réduire de manière croissante et ininterrompue les marges de manoeuvre fiscales et financières des collectivités, sans risquer la moindre censure de la part du Conseil constitutionnel, dont le contrôle s'est restreint à vérifier le respect des fameux « ratios d'autonomie financière ».

« La réforme constitutionnelle de 2003 a suscité des incompréhensions, des malentendus et peut-être même quelques tromperies ».

Xavier Cabannes, professeur de droit public

En effet, à mesure que s'effaçaient les marges de manoeuvre fiscales des collectivités et que progressait le sentiment de perte de maîtrise des élus locaux, les ratios d'autonomie définis par la loi organique de 2004 n'ont fait que grimper.

C. LES LEVIERS DE FINANCEMENT DONT DISPOSENT LES COLLECTIVITÉS NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX D'AVENIR

1. Maintien des services publics de proximité, transition écologique : un mur d'investissements colossal

Les investissements publics sont majoritairement portés par les collectivités territoriales, à hauteur de 64 % (hors dépenses militaires). De par leurs compétences, leur patrimoine et infrastructures stratégiques, leur vulnérabilité aux effets du dérèglement climatique, celles-ci sont en première ligne des défis du XXIe siècle : maintenir des services publics de proximité, contribuer à l'atteinte de la neutralité carbone, adapter les territoires aux conséquences déjà visibles du dérèglement climatique...

Une part significative de ces investissements locaux supplémentaires qui s'imposent à très court terme semble constituer un impensé du débat public et commence tout juste à être documentée, notamment sous l'impulsion de travaux du Sénat.

Tel est par exemple le cas des investissements supplémentaires nécessaires pour assurer la sécurité des ponts et des ouvrages d'art communaux, suite au retard d'investissements accumulé lors de la baisse des dotations qui a suivi la crise financière et budgétaire des années 2010 ; de la mise en oeuvre effective du principe d'accessibilité universelle des bâtiments publics locaux ; de l'adaptation du bâti scolaire aux fortes chaleurs...

À ces besoins massifs s'ajoutent les projections robustes de la littérature économique : les collectivités, qui contribuent à la hausse des investissements publics en faveur de la transition écologique, devront cependant plus que doubler chaque année leur niveau actuel d'investissements climatiques à horizon 2030, selon la trajectoire bas-carbone définie sur le plan national.

« De tous les volets de la planification écologique, l'adaptation des territoires au dérèglement climatique constitue celui que nous sommes le moins capables de chiffrer ».

Antoine Pellion, Secrétaire général à la Planification écologique de juillet 2022 à avril 2025

2. Un décalage croissant entre les besoins et les leviers de financement disponibles

Une fois posé ce constat d'un mur d'investissements à anticiper à très court terme par les collectivités territoriales, la question des leviers de financement mobilisables se pose avec acuité. Il est frappant de relever qu'en matière d'objectifs de neutralité carbone et d'adaptation au dérèglement climatique, les trajectoires définies par le Gouvernement - Stratégie nationale bas-carbone, Plan national d'adaptation au changement climatique - ne reposent sur aucune analyse économique ni financière qui mettrait en regard, d'un côté, une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, et de l'autre, les sources de financement associées. Il en résulte pour les élus locaux une « équation impossible » entre leurs ambitions environnementales, leurs engagements climatiques et les financements disponibles.

Un exemple d'équation impossible : le financement de l'adaptation
des territoires au dérèglement climatique

Recommandation n° 7

Compléter le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), et tout autre document de planification, d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Recommandation n° 8

Compléter la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Recommandation n° 9

Conférer à la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE) une portée transversale et interministérielle en y associant notamment les ministères chargés respectivement de la transition écologique, de l'agriculture et de la recherche et de l'enseignement supérieur ; la compléter d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées à un horizon plus large que 2027 (Gouvernement).

II. REDONNER UN CADRE PROTECTEUR ET RÉTABLIR LA CONFIANCE, POUR FAIRE DE LA FRANCE, ENFIN, UNE RÉPUBLIQUE VÉRITABLEMENT DÉCENTRALISÉE

A. RÉNOVER LE CADRE CONSTITUTIONNEL POUR MIEUX PROTÉGER L'AUTONOMIE DES COLLECTIVITÉS EN RECETTE ET EN DÉPENSE

1. Pour sanctuariser le pouvoir fiscal des collectivités : la nécessaire consécration d'un principe d'autonomie fiscale

La commission d'enquête recommande une rénovation du cadre constitutionnel et organique, indispensable pour sanctuariser les marges de manoeuvre fiscales que les collectivités ont conservées.

En ce sens, elle propose d'inscrire à l'article 72-2 de la Constitution un principe d'autonomie fiscale, en prévoyant qu'une part significative des ressources des communes doit provenir d'impositions sur lesquelles celles-ci disposent d'un pouvoir de taux ou d'assiette. S'agissant des départements et des régions, le constituant pourrait garantir qu'une part minimale de leur panier de ressources est constituée de recettes fiscales sur lesquelles ces collectivités disposent d'un pouvoir de taux ou d'assiette, afin de tenir compte de l'affaiblissement de leur pouvoir fiscal tout en ouvrant la voie à sa restauration.

Ces dispositions seraient précisées par le législateur organique afin d'abolir les ratios actuels et de faire en sorte que la part des ressources fiscales sur lesquelles les collectivités bénéficient d'une autonomie ne puisse être inférieure au niveau constaté en 2024.

Recommandation n° 2

Consacrer un principe constitutionnel d'autonomie fiscale des collectivités afin de préserver leurs marges de manoeuvre fiscales.

2. Une approche complémentaire : garantir une « autonomie en dépense » en permettant aux collectivités de faire face à leurs dépenses contraintes

Eu égard à l'ampleur des dépenses obligatoires auxquelles sont désormais assujetties les collectivités, la commission d'enquête considère que leur autonomie financière réside également dans leur capacité à bénéficier d'une marge pour décider librement de « dépenses facultatives ».

La reconnaissance d'une telle « autonomie en dépense » consisterait à identifier le montant des dépenses obligatoires (imposées par la loi) des collectivités et à leur garantir un niveau de ressources suffisant pour couvrir ces dépenses tout en disposant d'une marge de manoeuvre pour financer des dépenses propres reflétant de réels choix en matière de financement des services publics locaux.

Recommandation n° 3

Garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes pour financer leurs charges et dépenses contraintes (législateur).

En témoigne la situation financière inquiétante des départements, l'évolution dynamique des dépenses obligatoires issues de transferts de compétences, sans que cette dynamique ne soit réévaluée et intégralement compensée, porte atteinte à l'autonomie financière des collectivités en ce qu'elle réduit de manière considérable leurs marges de manoeuvre pour financer des dépenses propres.

La commission d'enquête préconise ainsi la mise en place, via une modification des dispositions constitutionnelles et organiques, d'une procédure de réexamen régulier du montant de ces transferts, afin de préserver les marges de manoeuvre financières des collectivités.

Recommandation n° 4

Instaurer un principe de réexamen régulier des compensations financières versées aux collectivités territoriales au titre des compétences transférées.

B. POUR UNE GOUVERNANCE ASSOCIANT VÉRITABLEMENT LES COLLECTIVITÉS AUX DÉCISIONS FINANCIÈRES QUI LES CONCERNENT

Le constat est aujourd'hui partagé par le plus grand nombre : les enjeux auxquels sont confrontées les finances des collectivités locales justifient la mise en place d'une instance de dialogue dotée de compétences étendues afin de s'assurer que les élus soient suffisamment associés aux décisions financières qui les concernent.

Il est plus que jamais nécessaire de rétablir la confiance entre l'État et les représentants des collectivités. Afin de donner un nouveau souffle au dialogue État-collectivités, la commission propose ainsi la création d'une nouvelle instance dotée de prérogatives renforcées : le Conseil d'orientation des finances locales.

Composée de représentants des collectivités territoriales et de l'État, cette nouvelle instance remplacerait le comité des finances locales (CFL) et l'observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL).

Doté d'un rôle d'expertise et de production de données financières fiables et partagées sur les finances locales, le nouveau Conseil d'orientation des finances locales bénéficierait de moyens et d'une expertise de haut niveau, l'objectif étant de mettre un terme à la « bataille des chiffres » qui persiste.

Sur la base d'un diagnostic partagé, seraient définies de façon concertée entre l'État et les collectivités des trajectoires pluriannuelles : l'instance serait associée à l'élaboration des textes budgétaires (LPFP et PLF), l'objectif étant d'assurer la stabilité et la prévisibilité des recettes locales. En ce sens, le nouveau Conseil serait associé à la procédure de réexamen des compensations financières liées aux transferts de compétences (voir recommandation n° 4) et pourrait se prononcer sur les critères de partage des impôts nationaux affectés aux collectivités.

Recommandation n° 5

Créer un Conseil d'orientation des finances locales chargé de produire des données et des analyses de référence pour encadrer les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales, définir des trajectoires pluriannuelles et assurer le suivi de l'adéquation des recettes locales à l'évolution des charges des collectivités (législateur et Gouvernement).

Parallèlement, afin de mieux structurer le dialogue au sein de chaque strate de collectivités, la commission d'enquête propose de créer, au sein du nouveau « Conseil d'orientation des finances locales », des conférences territoriales représentatives de chaque niveau de collectivités territoriales.

Ces conférences, qui interviendraient à l'issue du vote de la loi de finances de l'année, seraient investies d'un rôle en matière de répartition des fractions d'impôts nationaux affectés, de répartition des dotations de l'État et de renforcement des mécanismes de péréquation horizontale.

Recommandation n° 6

Créer des conférences territoriales décisionnaires de haut niveau entre l'État et chaque strate de collectivités territoriales, compétentes pour fixer les critères de répartition des dotations de l'État et des impôts nationaux partagés.

III. RENDRE DES CAPACITÉS D'ACTION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LEUR PERMETTRE D'ASSUMER LEURS RESPONSABILITÉS

A. DES DOTATIONS MIEUX CIBLÉES, SANCTUARISÉES ET À LA MAIN DES COLLECTIVITÉS

1. Identifier et prioriser les dispositifs les plus efficaces et les plus efficients : l'exemple du « fonds chaleur »

Le contexte budgétaire contraint doit nous amener à prioriser les dispositifs à plus fort rendement, ceux pour lesquels un euro investi produira les effets les plus probants. En matière de transition écologique, une forte hétérogénéité des coûts à la tonne de CO2 évitée est observée : alors que le coût de certains dispositifs se chiffre à plusieurs centaines d'euros par tonne de CO2 évitée, un dispositif a fait l'unanimité parmi l'ensemble des acteurs entendus, le fonds chaleur, avec un coût situé entre 19 et 36 euros par tonne de CO2, selon le périmètre retenu.

Pourtant les crédits de ce fonds ont été menacés lors de l'examen de la loi de finances pour 2025 : il apparaît donc nécessaire, d'une part, de systématiser des évaluations de politique publique qui permettent de comparer leur efficacité relative et, d'autre part, de privilégier les instruments qui ont fait leurs preuves.

2. S'appuyer sur la fusion des dotations d'investissement pour garantir un niveau de financement pour des dotations plus transparentes et mieux articulées

Le Gouvernement a annoncé, fin avril 2025, une « fusion de dotations de soutien à l'investissement », envisageant de fusionner le fonds vert avec certaines dotations de soutien à l'investissement de la mission Relation avec les collectivités territoriales. Les travaux de la commission d'enquête ont permis de faire ressortir la valeur ajoutée du fonds vert, créé en 2023 pour financer les projets des collectivités territoriales en lien avec la transition écologique. Le fonds répond à un besoin urgent de financement des collectivités, notamment pour la rénovation des bâtiments publics.

Le rapprochement de ces différentes dotations n'est pas infondé. Une part significative des dotations de la mission Relation avec les collectivités territoriales finance des projets favorables à l'environnement, et, dans la pratique, il arrive déjà que des dossiers déposés au titre du fonds vert soient basculés sur la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), et réciproquement.

Avant toute fusion, il convient toutefois au préalable de s'intéresser au périmètre de ces dotations et notamment de recentrer le fonds vert sur les actions où il est le plus utile, avec un rapport direct avec la transition écologique. Par ailleurs, l'objectif de simplification administrative n'implique pas nécessairement une fusion budgétaire : compte tenu des spécificités de la DETR, il convient de lui maintenir une ligne budgétaire séparée, sans préjudice du travail d'alignement des procédures et des calendriers actuellement en cours.

Passé ce travail d'évaluation, de priorisation et de ciblage, il conviendra de sanctuariser un socle de dotations d'investissement afin de conférer, enfin, aux collectivités territoriales, la visibilité nécessaire pour réaliser des investissements indispensables. Localement, ces dotations renforcées et sécurisées feraient l'objet d'un engagement formalisé entre les collectivités territoriales et l'État, en conférant aux contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) un volet financier suffisamment développé et contraignant.

Recommandation n° 10

Sanctuariser un socle de dotations d'investissement en faveur des collectivités territoriales mieux évaluées et ciblées (Gouvernement).

Recommandation n° 11

Compléter l'annexe financière des contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) en leur donnant une dimension pluriannuelle (Gouvernement).

3. Des financements enfin à la main des collectivités

La refonte des dotations d'investissement en faveur des collectivités territoriales doit permettre de rationaliser la politique de soutien à l'investissement local en faisant concorder les calendriers et procédures des différents dispositifs. De plus, elle implique un soutien aux collectivités renforcé en matière d'ingénierie, pour assurer à l'ensemble des collectivités une réelle liberté de choix dans leurs investissements. Il convient par ailleurs de sortir de la logique de concurrence entre collectivités portée par les appels à projets, en s'inspirant de dispositifs comme le fonds territorial climat, créé en 2025 à l'initiative du Sénat afin d'accompagner la mise en oeuvre des « plans climat air-énergie territoriaux » (PCAET).

À terme, dans le cadre d'une refonte plus large de la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui s'appuie sur des études d'impact détaillées, le basculement d'une partie des dotations d'investissement vers le fonctionnement pourra être considéré, afin de soutenir la capacité d'autofinancement des collectivités territoriales.

B. UNE FISCALITÉ MIEUX ADAPTÉE AUX COMPÉTENCES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, POUR DONNER À CHAQUE STRATE LES MOYENS D'AGIR

1. Bloc communal : identifier une base satisfaisante pour un nouvel impôt territorial

La concentration de la fiscalité du bloc communal sur un nombre plus restreint de contribuables met en péril à terme le consentement à l'impôt et casse le lien contributif. Plusieurs propositions existent pour rééquilibrer cette fiscalité, sans qu'aucune ne fasse consensus : restauration de la taxe d'habitation, imposition territorialisée sur le revenu, création d'un impôt forfaitaire local à la capitation... Les pistes sont nombreuses, mais pour ne pas accroître la pression fiscale, devront s'intégrer dans une refonte générale de la fiscalité locale acceptée de tous.

Un point fait néanmoins l'unanimité : il est impératif que la fiscalité foncière puisse s'appuyer sur une assiette plus en phase avec la réalité économique du territoire. Le Sénat appelle de longue date à une révision des valeurs locatives cadastrales (VLC) des locaux d'habitation, dont la réalisation est repoussée chaque année. Les VLC sont vétustes et leur méthodologie favorise les territoires plus aisés. Des assiettes alternatives existent. Dans le cadre des auditions menées par la commission, le directeur de la législation fiscale a indiqué que le Gouvernement avait confié à l'inspection générale des finances une mission sur le sujet. La question de l'assiette fiscale foncière occupe une place centrale dans les finances locales et constitue une problématique d'intérêt général, aussi la commission recommande-t-elle au Gouvernement de rendre publiques les conclusions de cette mission.

Recommandation n° 12

Rendre public le rapport de mission de l'inspection générale des finances sur les valeurs locatives et autres assiettes fiscales foncières alternatives (Gouvernement).

2. Départements : pour des ressources plus prévisibles et un pouvoir de taux renforcé

Contrairement au bloc communal, le consensus est plus apparent sur la question de la fiscalité départementale. Il ressort en effet de la littérature et des auditions menées par la commission qu'il serait souhaitable d'attribuer aux départements une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG). Cette proposition a deux vertus : elle permet, d'une part, d'atténuer la forte volatilité observée aujourd'hui sur les recettes de cette strate du fait de l'importance des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans le panier de recettes, et d'autre part, d'attribuer une recette à vocation sociale, avec une assiette large, notamment, pour répartir l'effort.

Si plusieurs pistes peuvent être envisagées en termes de mise en oeuvre, cette commission préconise d'attribuer un pouvoir de taux encadré aux départements, assorti d'un mécanisme de péréquation horizontale pour lisser les inégalités territoriales, sur le modèle de ce qui se fait aujourd'hui pour les DMTO.

Recommandation n° 13

Attribuer aux départements une fraction de la contribution sociale généralisée, assortie d'un pouvoir de taux et d'un mécanisme de péréquation (législateur).

3. Régions : pour une fiscalité plus territorialisée et recentrée sur l'économie

En 2023, la principale recette fiscale des régions est une fraction non territorialisée d'un impôt national, la TVA (63 %). Cette commission d'enquête s'est attelée à corriger le panier de ressources des régions, pour qu'il soit plus territorialisé et plus en ligne avec les compétences de cette strate, cheffe de file en matière de développement économique.

Une première proposition porte sur le transfert par l'État aux régions d'une fraction d'impôt sur les sociétés, proposition formulée dans la littérature et reprise par Régions de France. Si ces recettes sont volatiles, une part importante des dépenses des régions peuvent s'accommoder de tels mouvements, s'agissant d'investissements et de subventions. Toutefois, sur le plan technique, l'attribution d'un pouvoir de taux semble irréaliste et sujet à la concurrence fiscale et à l'optimisation : une répartition territorialisée sur la base de critères économiques permettrait d'assurer un côté incitatif pour les régions.

Recommandation n° 14

Attribuer aux régions une fraction d'impôt sur les sociétés, répartie sur la base de critères économiques et assortie d'un dispositif de péréquation (législateur).

Une seconde proposition porte sur l'annulation de la suppression annoncée de la CVAE, dont le produit n'est plus reversé aux collectivités territoriales depuis le 1er janvier 2023.Or l'échéance de sa suppression complète a déjà été repoussée lors de l'examen des deux derniers projets de loi de finances. La France se trouve dans « le pire des deux mondes », où sa situation financière la contraint à maintenir un impôt sans qu'elle puisse durablement compter sur ses recettes pour investir.

La commission appelle à faire preuve de réalisme financier et à assumer le maintien de ce qu'il reste de CVAE. Le transfert de cette fiscalité aux régions doit permettre de reterritorialiser leurs recettes et de valoriser leur action en matière économique.

Recommandation n° 15

Revenir sur la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et en affecter le produit aux régions (législateur).

4. Mieux orienter la fiscalité répartie

Il convient en premier lieu d'attribuer effectivement aux collectivités territoriales les financements qu'elles sont en droit d'exiger. En matière de transition écologique, une surprime a ainsi été instaurée au titre de la garantie contre les catastrophes naturelles (« CatNat »). Or la commission a pu constater un écart croissant entre le rendement de cette surprime (450 millions d'euros en 2025) et les actions de prévention qu'elle finance (220 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2025). Si la discussion budgétaire au Sénat a permis de corriger le tir, la commission d'enquête recommande de s'assurer chaque année que le produit de cette surprime finance bien des actions de prévention des collectivités territoriales.

Recommandation n° 16

Inscrire chaque année sur le programme « Prévention des risques » un montant de financement d'actions portées par les collectivités territoriales cohérent avec les sommes collectées au titre du prélèvement sur la garantie « CatNat » (législateur).

La commission relève par ailleurs la part toujours plus importante de la fiscalité transférée par l'État aux collectivités territoriales. Il est primordial que ce produit ne soit pas figé et que sa répartition corresponde aux réalités du territoire en s'appuyant sur deux recommandations de ce rapport, un conseil d'orientation des finances locales qui établit des faits incontestables et des conférences territoriales décisionnaires pour s'accorder sur les montants des flux financiers.

C. LE LEVIER DE LA DETTE : POUR UNE DETTE VERTE MAÎTRISÉE

La dette publique locale est stable depuis près de 50 ans, oscillant essentiellement entre 7 % et 10 % du PIB, quand sur la même période, la dette toutes administrations publiques a progressé de 21,6 % du PIB en 1978 à 113,2 % en 2024, portée par la hausse de la dette de l'État. Si la situation peut varier fortement d'une collectivité à l'autre, dans l'ensemble, une majorité de collectivités dispose d'une bonne capacité d'autofinancement et de marges supplémentaires pour s'endetter.

Les collectivités territoriales pourront réaliser les investissements nécessaires en matière de transition écologique, la question est de savoir à quel rythme : le feront-elles en 10 ans ou en 25 ans ?

Les travaux de la commission incitent à la vigilance sur la question de la dette, a fortiori dans un contexte de dégradation de la situation financière des collectivités territoriales : une dette verte reste une dette et il ne s'agit pas de créer une « dette verte cachée », nichée dans des sociétés publiques locales ou des sociétés d'économie mixte.

Il ressort toutefois des auditions menées que certaines collectivités peuvent s'appuyer sur leur situation plus favorable pour aller plus loin dans la transition écologique. Le levier de la dette apparait, en outre, particulièrement indiqué pour les projets présentant un retour sur investissement. Par ailleurs, l'introduction en 2024 d'un budget vert pour les collectivités territoriales doit permettre d'identifier les projets qui favorisent la transition écologique et de les présenter à des établissements financiers soucieux de proposer de tels projets à leur clientèle. La commission d'enquête appelle donc à un travail commun entre le Parlement, le Gouvernement et les collectivités territoriales sur les évolutions législatives et réglementaires souhaitables pour tirer parti des possibilités offertes par la finance durable.

AVANT-PROPOS

Cette commission d'enquête sur la libre administration des collectivités territoriales intervient dans un contexte particulièrement fort de tensions entre l'État et les collectivités locales. Il y a quelques mois à peine, la version initiale du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 entendait réguler fortement les dépenses des collectivités locales. Cette volonté du Gouvernement s'est exprimée après une série de réformes de la fiscalité locale qui ont privé les collectivités d'un certain nombre de leviers fiscaux. 

C'est ce sentiment de reprise en main de l'autonomie des collectivités qui a attisé une nouvelle fois les tensions entre l'État et les élus locaux en mettant en exergue une situation nouvelle : la dépendance accrue des collectivités locales vis-à-vis des décisions budgétaires nationales, conséquence de la suppression progressive de l'autonomie fiscale.

Cette dépendance est bien le fruit des réformes successives de la fiscalité locale qui ont été menées sur un rythme effréné durant la période 2017-2023 (suppression de la taxe d'habitation sur les résidences et de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, notamment).

L'analyse de ces réformes fait apparaître plusieurs points saillants. Tout d'abord, un consensus s'est formé pour reconnaître que l'objet de ces réformes n'était pas d'améliorer la fiscalité locale, ni de permettre aux collectivités de mieux assurer leurs compétences et de préparer l'avenir. Leur objectif affiché était, d'une part, de donner du pouvoir d'achat aux ménages et, d'autre part, d'améliorer la compétitivité des entreprises en réduisant les impôts dits de production qui pesaient sur le facteur travail ou sur le facteur capital.

Ces réformes se sont traduites par d'importants transferts de recettes entre collectivités (des départements vers les communes) et entre l'État et les collectivités.

Enfin, elles sont intervenues dans un contexte où les collectivités locales faisaient part de leurs difficultés à assumer leurs compétences faute de moyens suffisants transférés par l'État et à l'heure où elles doivent investir massivement pour adapter leurs territoires au dérèglement climatique.

Les travaux de la commission d'enquête se sont donc inscrits dans ce cadre riche d'une actualité récente et dans un temps plus long, celui d'un sujet au coeur des préoccupations du Sénat, qui consacre régulièrement des travaux aux questions relatives à la décentralisation, avec comme derniers exemples en date les travaux des groupes de travail présidés par Gérard Larcher en 2021 et 2023. Ce temps long permet de mettre en perspective les réformes des dix dernières années et de les rattacher à des débats complexes et évolutifs sur l'autonomie fiscale et la libre administration des collectivités territoriales.

La commission d'enquête s'est en effet attachée à analyser les conséquences des réformes fiscales sur l'autonomie des collectivités, la pérennité de leurs ressources ainsi que sur leurs capacités à exercer leurs responsabilités.

Elle a débuté ses travaux par l'audition des associations qui représentent les différentes strates de collectivités territoriales et qui, à ce titre, dialoguent avec l'État. Certaines remarques étaient attendues, notamment celles relatives à la complexité et à l'imprévisibilité des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.

Toutes les interventions de ces associations alertent sur la dégradation de la situation financière des collectivités locales. Cette dégradation, et la perte d'autonomie financière qui en découle, ont des conséquences sur les politiques publiques locales. Alors que les collectivités doivent faire face à des charges croissantes et notamment préparer les territoires en matière de transition écologique et d'adaptation au changement climatique, elles ne disposent pas des moyens nécessaires pour assumer ces missions.

Des faits connexes doivent également retenir notre attention.

Tout d'abord, une dépendance toujours plus forte à des concours financiers en baisse et menacés par une contrainte financière qui sera marquée ces prochaines années.

Ensuite, une perte de lisibilité, et de prévisibilité, qui ne permet pas d'engager des investissements nécessaires.

Enfin, conséquence non anticipée de ces réformes : tous les acteurs locaux ont souligné l'atténuation ou la disparition des liens contributifs habituels entre les ménages et les entreprises, d'une part, et les collectivités territoriales, d'autre part.

Cette situation est problématique dans la relation avec les citoyens puisque seuls les propriétaires demeurent des contribuables. Elle soulève d'autres difficultés en ce qui concerne les entreprises, puisque même s'il demeure un lien avec les intercommunalités et de manière plus accessoire avec les communes, au travers de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises, les entreprises ne payent plus aucune rétribution pour les services qui leur sont rendus par les régions et les départements, alors qu'elles bénéficient d'externalités positives : le transport collectif de la part des régions, les routes de la part des départements. Le lien contributif est rompu...

Que faire dans ce contexte ?

La première étape consiste incontestablement à rétablir des relations de confiance entre l'État et les collectivités locales. Cette proposition n'est pas nouvelle : il y a 15 ans, Gilles Carrez et Michel Thénault regrettaient déjà que  « les recommandations en faveur de la rénovation de ces relations fondées sur un contrat et une co-responsabilité des acteurs, exprimées dans plusieurs rapports, sont pour la plupart restées lettre morte, entraînant une certaine déception du côté des acteurs locaux. » Ce rétablissement ne peut plus être différé. Il est impératif de partager des données et de promouvoir des dispositifs qui favorisent l'autonomie et offrent de la prévisibilité aux collectivités locales.

La deuxième étape vise à réaffirmer le principe de libre administration et à rendre une capacité d'action aux collectivités territoriales afin de leur permettre d'exercer leurs responsabilités. La palette d'action en ce domaine est large, elle peut aller d'une réforme de la Constitution jusqu'à des mesures techniques relatives à la contractualisation entre l'État et les collectivités ou la mobilisation des fonds de cohésion européens.

L'atteinte de ces objectifs nécessite également une refonte complète des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.

Recommandation n° 1 : redéfinir un système de financement des collectivités territoriales qui permette de garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes propres, en lien avec leurs compétences, et à la hauteur des charges qu'elles supportent (législateur).

Cette recommandation s'inscrit dans le prolongement d'un entretien accordé par le président du Sénat, dans lequel celui-ci soulignait la nécessité de « remettre à plat tout le système de financement des collectivités territoriales1(*) »

Avec ces propositions, le Sénat réaffirme son rôle de garant de l'équilibre institutionnel et de la solidarité territoriale. Cette commission d'enquête constitue, dans cette perspective, une étape indispensable pour préserver et renforcer la capacité des collectivités à répondre aux défis actuels et futurs.

LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

Recommandation n° 1 : redéfinir un système de financement des collectivités territoriales qui permette de garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes propres, en lien avec leurs compétences, et à la hauteur des charges qu'elles supportent (législateur).

Recommandation n° 2 : consacrer un principe constitutionnel d'autonomie fiscale des collectivités afin de préserver leurs marges de manoeuvre fiscales.

Recommandation n° 3 : garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes pour financer leurs charges et dépenses contraintes (législateur).

Recommandation n° 4 : instaurer un principe de réexamen régulier des compensations financières versées aux collectivités territoriales au titre des compétences transférées.

Recommandation n° 5 : créer un Conseil d'orientation des finances locales chargé de produire des données et des analyses de référence pour encadrer les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales, définir des trajectoires pluriannuelles et assurer le suivi de l'adéquation des recettes locales à l'évolution des charges des collectivités (législateur et Gouvernement).

Recommandation n° 6 : créer des conférences territoriales décisionnaires de haut niveau entre l'État et chaque strate de collectivités territoriales, compétentes pour fixer les critères de répartition des dotations de l'État et des impôts nationaux partagés.

Recommandation n° 7 : compléter le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), et tout autre document de planification, d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Recommandation n° 8 : compléter la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Recommandation n° 9 : conférer à la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE) une portée transversale et interministérielle en y associant notamment les ministères chargés respectivement de la transition écologique, de l'agriculture et de la recherche et de l'enseignement supérieur ; la compléter d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées à un horizon plus large que 2027 (Gouvernement).

Recommandation n° 10 : sanctuariser un socle de dotations d'investissement en faveur des collectivités territoriales mieux évaluées et ciblées (Gouvernement).

Recommandation n° 11 : compléter l'annexe financière des contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) en leur donnant une dimension pluriannuelle (Gouvernement).

Recommandation n° 12 : rendre public le rapport de mission de l'inspection générale des finances sur les valeurs locatives et autres assiettes fiscales foncières alternatives (Gouvernement).

Recommandation n° 13 : attribuer aux départements une fraction de la contribution sociale généralisée, assortie d'un pouvoir de taux et d'un mécanisme de péréquation (législateur).

Recommandation n° 14 : attribuer aux régions une fraction d'impôt sur les sociétés, répartie sur la base de critères économiques et assortie d'un dispositif de péréquation (législateur).

Recommandation n° 15: revenir sur la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et en affecter le produit aux régions (législateur).

Recommandation n° 16 : inscrire chaque année sur le programme « Prévention des risques » un montant de financement d'actions portées par les collectivités territoriales cohérent avec les sommes collectées au titre du prélèvement sur la garantie « CatNat » (législateur).

I. DES RÉFORMES FISCALES QUI ONT FAIT RECULER L'AUTONOMIE BUDGÉTAIRE ET FISCALE DES COLLECTIVITÉS LOCALES

En moins de dix ans, le modèle de financement des collectivités territoriales a fait l'objet de nombreuses réformes portant sur ses trois principales ressources : la fiscalité locale, la fiscalité nationale et les dotations.

De l'avis général, ces réformes n'ont pas toujours été accompagnées d'une réflexion sur l'optimisation des modalités de financement des collectivités ni sur la réponse aux besoins des territoires. Elles se caractérisent tout d'abord par une augmentation de la part des impôts nationaux partagés avec l'État, avec le transfert de fractions de TVA décidé depuis 2017. Ensuite, avec la suppression de la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à partir de 2021 et le transfert des taxes foncières aux communes, régions et départements perdent l'essentiel de leur pouvoir de taux. Enfin, avec la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, la fiscalité du bloc communal repose désormais principalement sur le propriétaire foncier et non plus sur l'habitant.

Ces réformes font l'objet de critiques unanimes. Les principes fondateurs des finances locales et les apports des réformes constitutionnelles et organiques menées au début des années 2000 ont perdu leur pertinence.

Alors que les élus locaux font état d'une perte de maitrise de leurs recettes, l'autonomie financière des collectivités, telle que mesurée par les ratios définis en 2004, progresse sous l'effet de la part croissante de la fiscalité nationale au sein de leurs ressources propres. Les modalités de compensation des transferts de compétences ont conduit à un émiettement fiscal, le système de répartition des dotations et subventions est tout aussi complexe, l'ensemble est peu prévisible, l'examen du PLF 2025 en est une illustration.

Ces réformes illustrent la persistance d'un malentendu entre décentralisation et finances locales ; entre des règles constitutionnelles et organiques qui déterminent les principes de libre administration et d'autonomie budgétaire et une réalité pratique où le pouvoir fiscal des collectivités n'a jamais été aussi faible depuis l'acte I de la décentralisation. Alors que les élus ont plus que jamais besoin de pouvoir se projeter et anticiper, à mesure que leur rôle d'investisseur public prend de l'ampleur, sous l'effet de besoins nouveaux comme le financement de la transition écologique.

A. DES RÉFORMES NOMBREUSES ET UN SYSTÈME DE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS LOCALES À BOUT DE SOUFFLE

Comme le soulignait le Premier président de la Cour des comptes lors de la présentation d'une enquête consacrée aux scénarios d'évolution du financement des collectivités territoriales commandée par la Commission des finances du Sénat en 2022 : « Le manque de lisibilité d'une part, et l'évolution profonde des sources de financement d'autre part, appellent désormais une réflexion d'ensemble sur les finances locales. Des ressources issues d'une sédimentation historique, sans révision d'ensemble, rendent aujourd'hui ce financement peu compréhensible tant pour les responsables locaux que pour les contribuables, avec des inégalités qui se creusent entre les territoires2(*) ».

Les transferts financiers entre l'État et les différents niveaux de collectivités sont désormais d'une grande complexité, voire d'une grande opacité. Cette complexité doublée d'une dépendance vis-à-vis de décisions prises au niveau national fragilise les collectivités et limite leurs capacités d'action.

1. Une succession de réformes qui au mieux, ignorent l'autonomie financière des collectivités, au pire visent à la contraindre
a) Des réformes engagées avant tout pour les contribuables

Après « le retour vers l'équilibre structurel et la réduction du ratio de la dette publique » (sic), la réduction de la pression fiscale était le principal objectif affiché par la loi de programmation des finances publiques3(*) pour les années 2018 à 2022, une apparente contradiction dont les effets ne seraient que trop apparents. L'article 5 présente ainsi un taux de prélèvement obligatoire en baisse de 1 % entre 2017 (44,7 %) et 2022 (43,7 %), pour un impact alors estimé par ce Gouvernement à 10 milliards d'euros par an. Cette politique de réduction de la fiscalité a conduit à la suppression, effective ou annoncée, de deux impôts qui, par leur rendement, occupaient une place majeure dans les finances locales : la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP) et la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE). L'annonce de la suppression de la CVAE s'inscrit par ailleurs dans un mouvement plus général de baisse des impôts de production.

(1) Sans surprise et contrairement à son ambition affichée, la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales a principalement bénéficié aux ménages les plus aisés

Le premier impôt supprimé fut la THRP. Il s'agissait d'une promesse de campagne du candidat Macron qui, en février 2017, s'était engagé à exonérer de taxe d'habitation 80 % des Français, mettant en avant le caractère « injuste » de cet impôt et annonçant explicitement « une politique d'exonération sur les impôts locaux »4(*). Une fois élue, cette suppression fut mise en oeuvre, et même étendue, selon les étapes suivantes :

Ø de 2018 à 2020 : conformément à la loi de finances initiale pour 20185(*), dégrèvement d'office de THRP croissants6(*) à la charge de l'État parmi les 80 % de foyers disposant du revenu fiscal de référence le plus modeste.

Dans sa décision sur la loi de finances initiale pour 2018, le Conseil constitutionnel n'a pas censuré ce dispositif, mais a précisé toutefois que « la décision du Conseil constitutionnel sur ce point s'entend (...) sans préjudice de la possibilité pour lui de réexaminer ces questions en fonction notamment de la façon dont sera traitée la situation des contribuables restant assujettis à la taxe d'habitation dans le cadre d'une réforme annoncée de la fiscalité locale. »

Ø de 2021 à 2023 : la loi de finances initiale pour 20207(*) prévoit une suppression échelonnée selon des modalités similaires jusqu'à 2023 pour les 20 % des ménages ayant le revenu fiscal le plus élevé, pour une suppression en 2023 de la taxe d'habitation sur les revenus principaux. Dès 2021, les communes et EPCI ne perçoivent plus le produit résiduel de la THRP, versé au budget général de l'État.

Le produit de la taxe d'habitation était affecté exclusivement aux collectivités du bloc communal depuis 2010. La suppression de la THRP a toutefois eu un effet plus large, affectant notamment les départements du fait du schéma de compensation retenu par le Gouvernement, qui prévoyait la réaffectation aux communes de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (cf. infra).

La taxe d'habitation n'était pas exempte de critiques et de fait, des écarts importants pouvaient en effet être constatés entre contribuables dont les revenus étaient pourtant comparables. Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)8(*), « le fonctionnement de la fiscalité locale conduit des ménages aux revenus identiques, mais résidant dans des communes différentes, à payer un montant de taxe d'habitation différent. Par exemple, alors que le revenu médian est proche à Poitiers et à Cognac, la taxe d'habitation moyenne est de 592 euros à Cognac (3,3 % du revenu médian) quand elle s'élève à 1 099 euros à Poitiers (6,3 % du revenu médian) ».

Ces écarts pouvaient résulter de faiblesses inhérentes à cet impôt, comme la valeur locative cadastrale sur laquelle la taxe était assise (cf. infra), mais aussi d'un certain nombre de facteurs techniques (hétérogénéité des taux et des abattements appliqués par les communes, situations personnelles différentes donnant lieu ou non à exonération ou dégrèvement, structure économique de la commune, etc.).

Après prise en compte des nombreux allégements destinés à rendre la taxe d'habitation plus juste (abattements obligatoires ou facultatifs, exonérations, dégrèvements, plafonnements), la commission des finances du Sénat constatait dès 2018 que la taxe d'habitation était in fine relativement progressive. Une progression significative de la taxe acquittée était notamment observée entre le 9e et le 10e décile.

En euros

En %

Montant moyen de taxe d'habitation acquittée en 2016 en fonction du revenu

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction de la législation
fiscale au questionnaire du groupe de travail sur la réforme de la taxe d'habitation

C'est donc sans surprise que la Cour des comptes9(*) peut, a posteriori, observer que la suppression de la THRP a occasionné un gain qui croit avec le revenu, avec un saut entre le 9e et le 10e décile.

Gain moyen de la suppression de la THRP par décile de niveau de vie mesuré

par unité de consommation sur l'ensemble de la période 2018-202310(*)

(en euros)

Source : Cour des comptes, d'après des données de l'Insee.

Ces inégalités sont renforcées au demeurant par le fait que, d'après l'Institut des politiques publiques (IPP)11(*), les gains de la réforme ont été en partie captés par des hausses des prix de l'immobilier et des loyers. L'IPP observe en effet une hausse des prix de l'immobilier supérieure dans les communes où la THRP occupait auparavant un poids supérieur.

(2) La suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) pour doper les marges des entreprises

Le plan France Relance prévoyait en 2020 une baisse des impôts de production des entreprises, « dans un objectif de renforcement de leur compétitivité et d'attractivité du territoire ». Parmi les différentes mesures annoncées12(*) figurait la réduction de moitié de la CVAE, mesure qui comme pour la THRP sera fortement élargie par la suite. La CVAE a ainsi été supprimée dans les recettes des collectivités en deux étapes :

Ø 2021 : la loi de finances initiale pour 202113(*) prévoit que la cotisation due par les entreprises redevables de la CVAE est supprimée à hauteur de sa part régionale, soit une réduction de moitié ;

Ø 2023 : la loi de finances pour 202314(*) prévoit que le montant dû par les entreprises redevables par la CVAE a été réduit d'un quart supplémentaire. En outre, la CVAE a été supprimée en tant que recette des départements, des intercommunalités et des communes et son produit résiduel a été réaffecté à l'État (5,3 milliards d'euros en 2023, contre 15 milliards d'euros en 2020, avant que soit engagée la suppression de cet impôt).

Répartition du produit de la CVAE avant et après la réforme

Source : Commission d'enquête
d'après les dispositions des lois de finances

À noter que la loi de finances pour 2023 prévoyait de supprimer totalement la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) à compter de l'exercice 2024 : cet horizon a été repoussé par les lois de finances pour 2024 et 2025 et la suppression définitive est désormais prévue pour 2030.

Sur le fond, le niveau des impôts de production constitue bien un sujet de compétitivité économique, et, parmi ses principaux voisins, la France se singularisait par leur niveau élevé : la France constituait ainsi le deuxième pays de l'Union européenne où la part dans le produit intérieur brut (PIB) de la valeur ajoutée était la plus élevée, derrière la Grèce. Comme l'illustre le graphique ci-après, l'écart est particulièrement marqué vis-à-vis de l'Allemagne : en 2018, la part des impôts de production dans la valeur ajoutée des entreprises était 5,6 fois plus élevée en France qu'en Allemagne.

Comparaison européenne
des impôts de production payés par les entreprises

(chiffres 2018)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données Eurostat

A posteriori, la Cour des comptes juge que cette mesure a mieux atteint sa cible et que la réduction des trois quarts de la CVAE entre 2021 et 2023 a apporté « une contribution importante à l'amélioration de la rentabilité des entreprises », leur procurant un gain financier équivalent à 0,75 point de leur valeur ajoutée et 1,9 point de leur excédent brut d'exploitation. Dans le détail, cet effet est réparti entre les différents secteurs d'activité, profitant aussi bien aux secteurs financiers qu'industriels.

CVAE en % de l'excédent brut d'exploitation par secteur d'activité

(2019 et 2022)

Source : Cour des comptes, d'après des données de la DGFIP et de l'Insee

Note : En 2022, le secteur de l'hébergement et de la restauration a dégagé un léger excédent brut d'exploitation (EBE) négatif (186 millions d'euros). Le montant de la CVAE déclaré par les entreprises de ce même secteur a le même ordre de grandeur (171 millions d'euros).

(3) La réduction des bases locatives des impôts industriels, deuxième volet de la baisse des impôts de production

En plus de la diminution pour moitié de la CVAE, la loi de finances pour 202115(*) comportait une deuxième mesure permettant une réduction significative des impôts de production : la réduction des bases locatives des impôts industriels, dont le coût estimé s'élevait dès l'origine à plus de 3 milliards d'euros.

Il s'agit ici d'une mesure plus technique qui prend la forme d'une révision des modalités de calcul de la valeur locative des locaux industriels retenue pour l'établissement des impôts fonciers. Pour mémoire, les établissements industriels sont assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) au titre de la propriété des terrains et des constructions et à la cotisation foncière des entreprises (CFE) au titre de leur utilisation.

La valeur locative des locaux industriels est évaluée selon une méthode dite « comptable » qui applique différents taux d'intérêt au prix de revient des différents éléments constituant un local industriel (terrain, bâti...). Aux termes de l'article 29 de la loi de finances pour 2021, à compter des impositions de l'année 2021, le taux d'intérêt est réduit de moitié, ce qui conduit à réduire de moitié la charge de CFE et de taxe foncière sur les propriétés bâties supportée par les établissements industriels.

Les moindres recettes supportées par les communes et leurs groupements ont été compensées par l'institution d'un prélèvement sur les recettes de l'État. Le montant prévisionnel de l'allègement d'impôt s'élevait à 1,75 milliard d'euros pour la TFPB et à 1,54 milliard d'euros pour la CFE.

Cette mesure trouvait les mêmes motivations et suivait les mêmes objectifs que la suppression de la CVAE, à savoir, la volonté de réduire les impôts de production pour doper les marges et stimuler la compétitivité du tissu économique français.

Dans le rapport précité, la Cour des comptes estime que cette mesure a globalement produit les effets escomptés, permettant une réduction de la fiscalité dont les effets peuvent expliquer 39 % de la hausse de l'excédent brut d'exploitation observée entre 2019 et 2022. Ces effets sont particulièrement visibles dans le secteur de l'industrie manufacturière ainsi que dans les secteurs comprenant de nombreux locaux industriels (transport et entreposage, commerce et réparations d'automobiles, etc.).

CFE en % de l'excédent brut d'exploitation par secteur d'activité

(2019 et 2022)

Source : Cour des comptes, d'après des données de la DGFIP et de l'Insee

Note : En 2022, le secteur de l'hébergement et de la restauration a dégagé un léger EBE négatif (186 millions d'euros). Le montant de la CFE déclaré par les entreprises de ce même secteur (546 millions d'euros) est plus élevé que ce dernier.

Abstraction faite des succès divers rencontrés par ces réformes de la fiscalité locale, la commission d'enquête observe que dans tous les cas, la réforme visait avant tout à limiter la pression fiscale, sans souci particulier pour les ressources des collectivités territoriales autre que celui de compenser les ressources supprimées (cf. infra). Qui plus est, l'existence d'une fiscalité au profit d'un acteur autre que l'État apparaît, aux yeux du Gouvernement, comme une circonstance aggravante pouvant justifier un diagnostic particulièrement sévère sur l'impôt critiqué (cf. l'injustice reprochée à la THRP). Ainsi, l'ensemble de ces réformes peut être inscrit dans une volonté plus ancienne du Gouvernement de contrôler la décentralisation, d'en maîtriser les effets et de circonscrire l'autonomie financière des collectivités territoriales. En bref, on a assisté à une forme de recentralisation diffuse.

b) Contraindre les dépenses locales

Cette succession de réformes peut en effet être replacée dans une démarche plus large visant à contraindre les dépenses des collectivités locales.

Le discours prononcé devant la conférence des territoires le 17 juillet 2017 par le Président de la République comportait plusieurs registres d'actions. Il était proposé en effet d'engager une grande réforme de la fiscalité locale, mais aussi de stabiliser les dotations versées par l'État et de plafonner les dépenses des collectivités locales.

(1) De nombreux rapports ont prôné des mesures d'encadrement des dépenses locales

Le déploiement d'instruments de régulation des dépenses des collectivités locales est une figure imposée de toute réflexion gouvernementale sur la réduction du déficit public. Ce type de propositions figure dans de nombreux rapports consacrés au redressement des finances publiques, commandés par les gouvernements successifs à des personnalités qualifiées, ou à des parlementaires, et publiés dans la première décennie des années 2000.

Ces rapports passent en revue les mesures susceptibles de permettre la maitrise des dépenses de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales.

Au sein des développements consacrés aux dépenses des administrations locales, l'idée forte que l'on retrouve dans ces documents est celle d'une stabilisation de l'évolution de la dépense des collectivités locales.

Sans produire de liste exhaustive, ce point est évoqué avec des options plus ou moins contraignantes dans le rapport Camdessus16(*) en 2004 (« mettre en place, à l'instar de pays voisins, un pacte de stabilité interne avec les collectivités locales, permettant d'avoir une stratégie nationale d'évolution des dépenses publiques plus globale » »). Les rapports Pébereau17(*) (« stabiliser les dotations de l'État aux collectivités territoriales en euros constants ») ou Richard18(*) (« Négocier un contrat pluriannuel (triennal ou quinquennal), qui déterminerait : 1) l'évolution des financements de l'État aux collectivités ; 2) les engagements réciproques de l'État et des collectivités locales sur la maîtrise des dépenses publiques ») s'inscrivent dans la même veine.

Cette préoccupation figure également dans le rapport Attali19(*) publié en 2008 dont le chapitre 3, celui consacré aux collectivités territoriales, s'intitule « clarifier la décentralisation pour en accroitre l'efficacité ». Dans ce rapport, les propositions relatives à la décentralisation sont présentées au sein de deux objectifs distincts, l'un dénommé « Simplifier l'organisation territoriale » est consacré à la gouvernance, le second aux finances locales. Ce dernier est doté d'un intitulé transparent quant à ses intentions « Promouvoir une gestion budgétaire performante des collectivités territoriales ». Cet objectif comporte 6 propositions (« décisions » dans le vocabulaire du rapport) dont certaines ont pu inspirer, ou sous-tendre, les récentes évolutions des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales :

· Privilégier l'autonomie budgétaire plutôt que l'autonomie fiscale pour inciter les électeurs à mieux contrôler les dépenses des collectivités locales (décision 263) ;

· Définir un objectif de croissance pour les dépenses des collectivités territoriales et prendre en compte le respect des objectifs fixés dans la répartition des dotations de l'État (décision 264) ;

· Désindexer l'ensemble des dotations de l'État aux collectivités territoriales pour en assurer une maîtrise et une allocation plus efficace (décision 267).

Dans cet ensemble, le rapport Carrez-Thénault20(*) fait figure d'exception en proposant de structurer le dialogue État/collectivités locales et en considérant comme indispensable « d'instaurer sans attendre un partenariat renouvelé entre l'État et les collectivités locales pour la définition et la gestion de leurs responsabilités partagées ». Ce rapport proposait en outre de « mettre fin à l'effet inflationniste des normes ».

(2) Fixer un objectif d'évolution des dépenses des collectivités locales

Existe-t-il un lien direct entre ces rapports et les décisions prises par les Gouvernements successifs depuis le milieu des années 2010 ? Force en tout cas est de constater que plusieurs dispositifs visant à plafonner l'évolution des dépenses des collectivités locales ont été déployés selon des modalités, des modes de concertation et une efficacité variables au cours des années 2010, avant la réforme de la taxe d'habitation et de la CVAE.

Ainsi, en 2014, puis en 2018, le Gouvernement a fait adopter un objectif d'évolution de la dépense locale. Ce dispositif de plafonnement des dépenses des collectivités était censé être basé sur le volontariat et prendre la forme d'un contrat.

L'article 29 de la loi de programmation des finances publiques 2018 à 2022 (LPFP) a ainsi institué un mécanisme de contractualisation financière avec les plus grosses collectivités pour garantir la réalisation d'une partie des économies attendues, qui est connu sous le nom de « contrats de Cahors ». Cette dénomination tient au fait que ce dispositif a été élaboré à l'occasion de la conférence nationale des territoires (CNT) qui s'est tenue le 14 décembre 2017 à Cahors.

Il était prévu que les régions, les départements, les communes et leurs groupements à fiscalité propre dont les dépenses de fonctionnement du budget principal dépassent les 60 millions d'euros concluent des contrats avec le représentant de l'État portant, pour la période 2018-2020, sur trois points :

· un objectif contraignant d'évolution de leurs dépenses réelles de fonctionnement ;

· un objectif de réduction de leur besoin de financement ;

· une trajectoire d'amélioration de leur capacité de désendettement.

Le bilan de ce dispositif est complexe, ne serait-ce que parce que leur application a été suspendue en 2020, avant leur dernière année d'exécution dans le contexte de la crise sanitaire.

Trois points peuvent toutefois être mis en exergue.

Tout d'abord lors de leur présentation, une partie des acteurs locaux a considéré que cette solution était moins défavorable que la prorogation du dispositif de réduction de la dotation globale de fonctionnement. Cette première appréciation peut expliquer pourquoi près des trois quarts des collectivités territoriales concernées ont accepté de rentrer dans cette démarche de contractualisation (la moitié des départements et des régions, 83 % des communes et 87 % des EPCI). Cette démarche peut aussi être lue comme la façon de se protéger des sanctions applicables aux collectivités refusant de signer.

Ensuite, le terme de « contrat » est sans doute impropre pour définir un dispositif qui vise à demander aux collectivités de respecter un objectif fixé par l'État, et donc ne faisant pas l'objet d'une véritable négociation entre les parties, d'une part, et où seuls les manquements des collectivités sont sanctionnés, d'autre part.

Enfin, les « contrats de Cahors » semblent moins pénaliser l'investissement public en ce qu'ils encadrent seulement la progression des dépenses de fonctionnement. Cette méthode a toutefois également des limites, car la perspective d'une contrainte exercée à long terme sur l'évolution des dépenses de fonctionnement a pour effet de freiner le lancement de projets impliquant, une fois réalisés, d'importantes charges de gestion ou d'entretien21(*).

In fine, cette tentative de contractualisation entendait enfermer les collectivités territoriales dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. L'échec du dispositif peut être lu comme une occasion manquée de redéfinir les contours d'une véritable relation de confiance entre l'État et les collectivités territoriales.

La LPFP pour les années 2023 à 2027 a reconduit le principe d'un objectif indicatif d'évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités. L'article 14 de la loi fixe une trajectoire de concours financiers de l'État tandis que l'article 17 définit une trajectoire d'évolution des dépenses réelles de fonctionnement (DRF).

Objectifs d'évolution des dépenses réelles de fonctionnement

 

2023

2024

2025

2026

2027

Objectifs d'évolution des DRF

4,8 %

2,0 %

1,5 %

1,3 %

1,3 %

Source : article 17 de la loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de
programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027

(3) Des solutions contestables pour une compensation des réformes de la taxe d'habitation et de la CVAE

Les réformes de la fiscalité locale mises en oeuvre entre 2018 et 2023 (suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), réduction de moitié des bases des locaux industriels assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties) interviennent donc dans un contexte marqué par une volonté de l'État de réguler les dépenses des collectivités locales.

Dans ce contexte, la réforme et les solutions retenues par le Gouvernement pour compenser les pertes de recettes liées à la suppression d'impôts « à la main des collectivités locales » vont contribuer à renforcer le niveau de défiance entre les acteurs.

Les modalités de suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP) ainsi que l'introduction d'un nouveau schéma de financement des collectivités locales à compter de 2021 figurent à l'article 16 de la loi de finances pour 2020.

La suppression de la THRP a été compensée, pour les communes, par la réaffectation de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre par l'attribution d'une fraction de TVA. Une autre fraction de TVA est venue compenser les recettes de taxe foncière sur les propriétés bâties des départements. Une troisième fraction de TVA a été affectée aux régions, aux départements et aux établissements publics de coopération intercommunale, pour compenser les pertes de recettes liées à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Compensation de la suppression de la taxe d'habitation

sur les résidences principales à compter de 2021

Source : Cour des comptes 2025

Cette solution, présentée comme vertueuse par le Gouvernement, et considérée comme complexe par le Sénat lors de l'examen du texte, s'est en fait imposée par défaut. La création d'un nouvel impôt a été écartée et le remplacement de la THRP et de la CVAE par une dotation budgétaire aurait eu pour effet de réduire le ratio d'autonomie du bloc communal. Cette solution n'aurait donc pas été conforme aux dispositions de la loi organique relative à l'autonomie financière. Cette contrainte explique une partie du schéma retenu et les transferts de ressources entre les différentes strates de collectivité locale.

Auditionnée par la commission d'enquête, Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales a indiqué que « les modalités de compensation choisies ont visé à respecter le plus possible l'autonomie financière et fiscale des collectivités [...]. Auparavant, les compensations de suppressions d'impôts se sont toujours traduites soit par des dotations figées progressivement intégrées dans la dotation globale de fonctionnement (DGF), soit dans des compensations via des prélèvements sur recettes qui sont d'abord figés puis évoluent et peuvent même être écrêtés lorsqu'ils rejoignent progressivement l'enveloppe normée des concours financiers ».

Olivier Dussopt, ministre en charge de la réforme, a quant à lui souligné que : « lorsque nous avons proposé d'affecter la taxe foncière des départements aux communes et de compenser les départements par une fraction de TVA, nous avons aussi pris en compte le fait que la majorité des départements avaient, sur la période 2010-2019, une dynamique de leurs ressources en Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) inférieure à celle de la TVA sur la même période. Par exemple, dans le département du Nord, la dynamique de la TFPB était inférieure de 40 à 50 % à celle de la TVA.

« Les départements périurbains, ruraux ou frappés par la désindustrialisation, présentaient tous une dynamique de TVA supérieure à celle de la TFPB sur les neuf à dix années précédentes. Nous avons jugé plus avantageux pour les élus de bénéficier d'une ressource dynamique plutôt que d'un pouvoir de taux qu'ils n'utilisaient plus et qui ne garantissait pas une dynamique comparable.

« Pour les communes, nous avons compensé la taxe d'habitation par l'attribution de la totalité de la Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Dans 7 300 communes, la surcompensation était égale ou inférieure à 10 000 euros. Nous avons décidé de ne pas reprendre ces montants. Parmi elles, 7 000 sont des communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles une recette pérenne de 7 000 à 9 000 euros représente un avantage significatif permettant d'équilibrer certaines charges.

« Les communes ont conservé la totalité du produit de la TFPB, corrigé par le coefficient correcteur pour celles ayant une surcompensation supérieure à 10 000 euros ou une sous-compensation. Nous avons veillé à ce que cette allocation soit indexée sur l'évolution des bases, physiques comme forfaitaires, pour garantir une compensation dynamique et maintenir l'incitation à la construction ».

Dans un rapport commandé par la commission des finances de l'Assemblée nationale, publié en janvier 202522(*) et qui est à ce jour le seul document public procédant à une évaluation de la compensation de la réforme de la TH et de la CVAE, la Cour des comptes estime « que les pertes de recettes ont été compensées aux collectivités à un niveau plutôt favorable pour ces dernières. Le dynamisme des recettes de TVA a fait bénéficier les collectivités d'un effet financier favorable en 2021 et en 2022 ». La Cour module son appréciation en soulignant que : « cet effet s'est réduit en 2023 en raison d'une progression ralentie des recettes de TVA. Il est appelé à se réduire encore en 2024 et en 2025 ». Mais elle considère que « passé ces évolutions conjoncturelles, les collectivités pourraient cependant bénéficier d'un gain durable : les recettes de TVA intègrent de manière instantanée les effets de l'inflation et de l'évolution en volume, généralement positive, de la consommation ; en revanche, les bases des anciens impôts locaux intégraient les effets « prix » et « volume » avec une année de décalage. 

Cette analyse conforte la première évaluation faite par la Cour dans son rapport annuel sur les finances publiques locales de 2023, dans lequel elle avait estimé que l'attribution de recettes de TVA aux collectivités locales en remplacement de l'ancienne taxe d'habitation sur les résidences principales leur avait procuré un gain financier très significatif. « Ce gain avait été estimé à 4,3 Md€, en prenant pour base de comparaison le montant de la taxe d'habitation sur les résidences principales de 2020 et pour hypothèse une stabilité des taux d'imposition en 2021 et 2022 ».

Si l'appréciation de la Cour sur les premières années de compensation est positive, des points d'attention peuvent être observés.

Ceux exprimés par les collectivités d'abord. Auditionné par la commission d'enquête, André Laignel, président du comité des finances locales (CFL) a opposé deux arguments à cette modalité de compensation. Il a tout d'abord posé un principe, celui d'un financement des collectivités locales qui ne repose pas sur « des transferts d'impôts d'État aux collectivités territoriales, car cela ne leur donne aucune liberté. Je plaide pour une autonomie fiscale, c'est-à-dire un pouvoir de fixation du taux et de l'assiette, sinon les collectivités seront toujours les dindons de la farce ».

Il a ensuite mis en avant un argument de nature économique en soulignant que la TVA était une recette cyclique et que « si on indexe nos ressources sur le cycle économique, nous ne pourrons plus jouer de rôle contracyclique en cas de crise. »

Les éléments techniques rappelés par la Cour constituent un autre point d'attention et mettent en exergue un phénomène récurrent des réformes de la fiscalité locale : leur dimension statique qui se traduit par des situations figées au moment de la réforme.

La Cour rappelle ainsi que trois dispositifs ont réduit le montant des compensations à la charge de l'État :

- « l'État n'a pas pris en charge les incidences des hausses de taux et des diminutions d'abattements sur les bases de la taxe d'habitation sur les résidences principales décidées par les collectivités après l'annonce de sa réforme. Ainsi, entre 2018 et 2020, l'État a compensé les dégrèvements sur la base des taux et des abattements en vigueur pour les impositions de 2017. Entre 2020 et 2022, les valeurs locatives retenues pour le calcul de la taxe d'habitation sur les résidences principales n'ont pas été revalorisées, les taux ou montants d'abattements ont été gelés et le pouvoir de fixation de taux des communes a été suspendu afin de limiter les hausses de cotisation de taxe d'habitation pour les contribuables qui restaient redevables de cette taxe comme le coût de la compensation de sa suppression pour l'État. Pour la fraction de TVA versée aux intercommunalités et à la Ville de Paris depuis 2021, il est tenu compte du taux intercommunal appliqué en 2017 ».

- « l'État a limité le montant de la taxe d'habitation sur les résidences principales de 2020 à compenser à partir de 2021 en revalorisant forfaitairement les bases de cet impôt de 0,9 % (correspondant à l'évolution de l'indice des prix à la consommation harmonisé sur un an à fin septembre déterminé par l'Insee), au lieu de 1,2 % en faisant application de la règle d'indexation de droit commun (évolution de l'indice sur un an à fin novembre) ».

- l'État a fait bénéficier les intercommunalités, mais pas les départements de la dynamique positive de la fraction de TVA en 2021. C'est seulement à partir de 2022 que les départements ont bénéficié de la dynamique de la fraction de TVA qui leur est attribuée ».

En outre, la Cour a estimé que le montant total des pertes de recettes pour l'État s'est élevé à 38,5 milliards d'euros en 2023, par comparaison à 2017.

2. Des réformes aux conséquences délétères sur la situation financière des collectivités territoriales
a) Des réformes dont le coût démesuré reposera in fine sur les collectivités

Dès la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022, la trajectoire de réduction des prélèvements obligatoires était assumée. Le chiffrage communiqué évoquait alors une baisse du taux de prélèvement obligatoire de 1 % et un impact budgétaire de l'ordre de 10 milliards d'euros : la réalité est tout autre.

La commission d'enquête ne peut que constater l'impact disproportionné de ces mesures sur l'équilibre budgétaire de notre pays. Dans le rapport précité, la Cour des comptes évoque « un coût massif des réformes des impôts locaux pour les finances publiques ». Lors des auditions menées par la commission d'enquête, ses analyses et chiffrages n'ont pas été remis en question et mènent à l'estimation suivante :

Pertes (-) et gains (+) de recettes pour le budget général de l'État imputables
aux réformes des impôts locaux en 2023 par comparaison à 2017

(en millions d'euros)

Dispositif

Impact

TVA compensant la suppression de la TFPB dans les recettes des départements et de la THRP dans les recettes des intercommunalités et de la ville de Paris

- 25 453

Exonérations et dégrèvements de la TH à la charge de l'État

+ 4 648

Coefficient correcteur

- 728

Forfait de TVA accordé aux départements

- 250

Total suppression THRP (A)

- 21 783

TVA compensant la suppression de la CVAE dans les recettes des collectivités

- 21 269

Dégrèvement barémique à la charge de l'État

+ 4 192

Affectation du produit résiduel de la CVAE à l'État

+ 5 767

Total réduction CVAE (B)

- 11 310

Prélèvement sur recettes compensant la réduction des bases des locaux industriels (C)

- 4 081

Total impôts directs locaux (A) + (B) + (C)

- 37 174

Estimation effet retour IS et IR au taux de 20 %

+ 2 468

Total Impôts directs locaux, y compris estimation retour IS et IR

- 34 706

Source : commission d'enquête d'après la Cour des comptes

Quelques précisions sur la méthodologie retenue tout d'abord. L'impact pour l'État correspond principalement au coût des mesures de compensation introduites (fraction de TVA pour la TFPB et la CVAE, prélèvement sur recettes pour la CFE).

Ces impacts sont atténués ou renforcés par plusieurs effets en retour :

· s'agissant de la suppression de la THRP, le coût brut est fortement atténué par les exonérations et dégrèvements qui étaient supportés par l'État, mais il comprend différents dispositifs de compensation dont le coût est de second ordre (coefficient correcteur et forfait de TVA accordés aux départements, cf. supra;

· s'agissant de la réduction de la CVAE, son coût doit prendre en compte le « dégrèvement barémique »23(*) anciennement versé aux collectivités territoriales, et exclure le rendement actuel de la CVAE ;

· enfin, le chiffrage intègre une estimation de « l'effet retour »24(*), à savoir les hausses d'impôts sur le revenu et sur les sociétés qui découlent de la suppression des impôts de production.

Il est noté enfin que la Cour des comptes ajoute à ce chiffrage le coût de la suppression de la redevance audiovisuelle (3,8 milliards d'euros), considérant que celle-ci découle de la suppression de la taxe d'habitation : la contribution à l'audiovisuel public étant adossée à la taxe d'habitation, la suppression de cette dernière ne permettait pas de maintenir le dispositif de collecte en l'état. La commission d'enquête constate l'effet sur les finances publiques de cette mesure, mais, considérant d'une part, que d'autres pistes de collecte auraient pu être envisagées et que, d'autre part, le produit de cette contribution n'était pas attribué aux collectivités, il ne lui appartient pas de se prononcer sur les effets de sa suppression.

La commission d'enquête observe en premier lieu que, du fait de son élargissement, le coût de la suppression de la THRP a fortement excédé les promesses de campagne. Le coût annoncé en 2017 se situait en effet autour de 10 milliards d'euros. L'élargissement à l'ensemble de la population en a fortement augmenté le coût, et ce de façon tout à fait prévisible.

Voici en effet les projections réalisées par la commission des finances du Sénat dès 2019, dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2020 :

Évolution annuelle du montant de l'allègement progressif
de taxe d'habitation entre 2018 et 2023

Source : commission des finances du Sénat d'après les données
de la direction générale des finances publiques

Ainsi, d'après ces projections, l'extension de la suppression de la THRP aux 20 % des ménages les plus favorisés représente une hausse de 80 % de l'allègement consenti. Après prise en compte de hausses liées à la progression des bases, cette décision politique explique la différence de coûts entre les 10 milliards d'euros annoncés et les quelque 20 milliards d'euros observés.

Comme rappelé précédemment, cette décision politique était fortement contrainte par l'analyse du Conseil constitutionnel. Toutefois, la suppression de la taxe d'habitation pour les 80 % des ménages les moins favorisés était présentée comme une mesure de justice fiscale : la généralisation de sa suppression aux ménages les plus aisés a constitué une mesure manifestement coûteuse et régressive.

La commission d'enquête a interrogé l'ancien ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, ainsi que Laurent Martel, le directeur de la législation fiscale, sur les pistes alternatives envisagées pour préserver les finances publiques et l'objectif de justice fiscale de la promesse de campagne. Le premier a relativisé l'impact sur les finances publiques, notant que les « ressources de l'État » ont augmenté entre 2017 et 2024, et pointé l'impact sur le pouvoir d'achat. Le second a semblé indiquer qu'aucun doute ne portait sur la nécessité d'étendre cette suppression : « lorsque la suppression de la taxe d'habitation a été décidée, la question était de savoir si celle-ci devait être supprimée pour tous les contribuables ou seulement pour 80 % d'entre eux. Il me semble qu'il était d'emblée inscrit dans les caractéristiques de la réforme qu'une suppression complète était nécessaire en raison des effets un peu aberrants de la situation intermédiaire où 80 % des contribuables seraient dégrevés. Les conséquences de cette suppression étaient connues. » La commission d'enquête constate donc que ce manque à gagner « massif » lié à l'extension de la suppression de la taxe d'habitation aux 20 % des ménages les plus aisés est assumé par l'exécutif.

Aujourd'hui, la facture totale de ces suppressions d'impôts locaux s'élève à près de 35 milliards d'euros. Il est difficile de ne pas faire le lien avec les 40 milliards d'euros d'économies aujourd'hui recherchés pour équilibrer le budget. Le Gouvernement a beau jeu de mettre en avant le niveau de la compensation décidée en faveur des collectivités territoriales (cf. audition d'Olivier Dussopt , sur la compensation de la suppression de la THRP : « je tenais à ce que la compensation soit à la fois intégrale et dynamique »), in fine, les suppressions d'impôts locaux ont contribué fortement à dégrader la situation des finances publiques, qui nécessite aujourd'hui un effort de tous auquel les collectivités territoriales prennent leur part. La loi de finances initiale pour 2025 a pointé les limites des dispositifs de compensation mis en place par le Gouvernement, la principale mesure d'économies touchant les collectivités territoriales étant un gel de la TVA versée aux collectivités territoriales, pour un impact estimé à 1,2 milliard d'euros. En complément de cette mesure, un dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités (DILICO) a été instauré, représentant un prélèvement additionnel de 1 milliard d'euros. De surcroît, les collectivités territoriales sont amenées à payer année après année le prix de ces déséquilibres : les premières discussions budgétaires pour 2026 évoquent un nouvel effort des collectivités territoriales à hauteur de 2 milliards d'euros.

b) Un lien contributif rompu qui s'affaiblit entre collectivités territoriales et administrés
(1) Une concentration croissante des contributions sur un nombre de plus en plus restreint de contribuables qui peut affecter tant le consentement à l'impôt que le souci de la bonne gestion financière

Avec la suppression de la THRP, le lien contributif des ménages locataires avec la commune dans laquelle ils résident a été rompu. Dorénavant, comme l'a rappelé la directrice générale des collectivités locales en audition, « les élus peuvent avoir perdu en liberté d'action locale. Actuellement, la seule possibilité pour un maire d'avoir un lien avec les citoyens réside dans la taxe foncière, qui ne s'applique qu'aux propriétaires. » La concentration croissante de la fiscalité affecte l'autonomie financière réelle des collectivités : avec un nombre de leviers fiscaux limités, le risque de mettre en place une fiscalité confiscatoire est accru et l'équation budgétaire se trouve plus difficile à équilibrer.

Les effets de cette rupture dépassent le seul cadre financier. Le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation25(*) recommandait de « renforcer (...) le lien démocratique essentiel, opéré par l'impôt, entre les citoyens et leurs collectivités ». De fait, les auditions menées par la commission d'enquête ont confirmé le caractère fondateur de ce lien. Lors de son audition, Boris Ravignon, vice-président d'Intercommunalités de France, observait ainsi une déresponsabilisation chez certains citoyens : « ne sont plus contribuables que les propriétaires (...). Nous sommes passés de 85 % d'assujettis - en tenant compte des exonérations - à 60 %, soit un quart de contribuables en moins. Ceux-ci peuvent se demander s'il y a des limites à ce qu'ils peuvent demander à la collectivité, puisqu'ils n'y contribuent pas. Même si l'on ne rencontre pas ce phénomène sur le terrain, cet étirement du lien " je réside, je paye des impôts locaux " est regrettable ».

Ce diagnostic était partagé par M. François de Mazières, maire de Versailles, président de la communauté d'agglomération Versailles Grand Parc et membre de France Urbaine : la question du lien contributif « est pour nous un sujet de préoccupation majeure. (...) Nous avons tous organisé un nombre significatif de réunions publiques. À chaque fois, nos échanges avaient la même teneur : nos électeurs nous faisaient part de leurs souhaits, et nous ne pouvions pas faire autrement que de les mettre en garde, ces demandes devraient nécessairement être financées par une hausse de la fiscalité. Désormais, cet argument est privé de sa portée, car nous savons qu'il n'y aura peut-être, dans certaines villes, que 50 % de nos électeurs qui seront imposables ».

M. Daniel Cornalba, maire de l'Étang-la-Ville, membre du bureau de l'association des petites villes de France, relate aussi des situations « où le citoyen devient parfois aussi consommateur », mais observe dans le même temps un « corollaire inquiétant » où « certains citoyens, se prévalant de leur statut de contribuable ou de propriétaire, estiment que leur voix devrait être prépondérante. Il en résulte des enjeux éthiques importants, avec le risque de voir ressurgir une forme de suffrage censitaire ». La commission d'enquête alerte ainsi sur le fait que la concentration du lien contributif sur une fraction limitée de la population peut corroder la conscience d'appartenir à une même collectivité et d'en être responsable.

Ce constat concerne toutefois particulièrement les zones urbaines. Lors de son audition, M. Bertrand Hauchecorne, membre du conseil d'administration de l'association des maires ruraux de France (AMRF), rappelait que « la population est constituée de 75 % de propriétaires et de 25 % de locataires ». La Cour des comptes relève dans le rapport précité que « c'est seulement dans 890 communes que la proportion de ménages propriétaires de leur résidence principale est inférieure à 50 % », s'alarmant en particulier pour les 194 communes de plus de 40 000 habitants où la proportion de propriétaires peut descendre jusqu'à un peu plus de 20 %.

(2) La nécessité de réaligner les ressources des collectivités sur leurs compétences pour appuyer les élus qui développent leur territoire

Avec la perte de ressources fiscales, les collectivités ne tirent plus parti financièrement du développement économique et de la construction de logements sur leur territoire.

Comme l'a relevé le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, la suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) « a remis en cause le lien économique vertueux entre la réussite des politiques d'attractivité menées localement et leur retour sous forme de recettes fiscales. »

Le constat est encore plus sévère s'agissant des régions, pour lesquelles le panier de ressources attribuées entre en contradiction directe avec les ressources dévolues. À titre d'exemple, une part significative des ressources fiscales de cette strate provient des accises sur les produits énergétiques (25 % des ressources fiscales en 2023) et de la taxe sur les certificats d'immatriculation (9 %), deux ressources directement liées à l'utilisation de la voiture et en direct contradiction avec le développement des mobilités collectives, notamment par le transport ferroviaire. Il appartient donc urgent aux yeux de la commission d'enquête de rééquilibrer leur panier de ressources pour mieux valoriser leur rôle de chef de file en matière de développement économique.

Un constat similaire peut être réalisé en matière de développement du logement. Comme noté par la directrice générale des collectivités locales en audition, « les maires peuvent avoir le sentiment qu'ils sont moins incités qu'auparavant à accueillir de nouvelles populations et à développer de nouveaux services publics, puisqu'une partie seulement de la population les finance. » La suppression de la THRP a ainsi pu contribuer à accentuer la crise du logement. Ce diagnostic a été confirmé par le maire de Versailles en audition, constatant qu'en l'absence d'incitation contraire, notamment financière, il est souvent plus simple désormais de ne rien faire : « nombre de mes collègues ont décidé de ne plus construire de nouveaux équipements. (...) Quand vous construisez, il faut faire des places en crèche, il faut faire des services publics et on n'a plus rien en face. C'est dramatique. Pas un élu ne se dit que la perte de la taxe d'habitation ne constitue pas un vrai problème ».

B. UNE SITUATION QUI NÉCESSITE DE REDONNER UN CADRE PROTECTEUR AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Au début des années 2000, les travaux du Sénat ont largement contribué à définir un cadre protecteur pour les collectivités territoriales. Ils ont débouché sur la révision constitutionnelle de 2003 et l'adoption de la loi organique de 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités locales.

Il faut constater que la portée de ces réformes s'est atténuée. Comme l'a souligné le professeur Cabannes devant la commission d'enquête : « plus de vingt ans après la réforme de 2003, il apparaît que le principe d'autonomie financière n'est pas plus protecteur en matière de finances que le principe de libre administration »26(*).

Ce constat est partagé et le groupe de travail sénatorial le rappelle quand il souligne que : « la réalité de la décentralisation vécue par les élus locaux est plus administrative que politique [...] les capacités de décision qui leur sont conférées sont souvent en trompe-l'oeil, leur pouvoir d'agir demeurant aux mains d'un État procédant à une recentralisation, protéiforme et larvée, des capacités de décision. »

Le Sénat relevait alors que « si les collectivités territoriales ne souhaitent ni big bang ni grand soir, un consensus se dégage quant aux effets négatifs de la recentralisation rampante que connaît notre pays et qu'il convient, sans plus attendre, d'enrayer. »

1. Le rendez-vous manqué de la protection constitutionnelle de l'autonomie financière des collectivités territoriales

Censée aboutir à la définition d'un cadre constitutionnel plus protecteur de l'autonomie financière et du pouvoir fiscal des collectivités territoriales, la révision constitutionnelle de 2003, loin d'avoir tenu ses promesses, a généré autant de déception que de malentendus.

Insatisfaisant, car vidé de sa substance par la loi organique 2004, le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales a, de surcroît, souffert d'une jurisprudence peu protectrice du Conseil constitutionnel, transformant ce principe en véritable « coquille vide », au mépris de l'intention du constituant et des attentes légitimes des élus locaux.

a) Un cadre constitutionnel peu protecteur, à rebours des ambitions initiales de la révision de 2003
(1) Les ambitions initiales du constituant de 2003 : protéger l'autonomie fiscale des collectivités
(a) L'autonomie financière locale avant la révision de 2003

Avant même sa consécration constitutionnelle en 2003, l'autonomie financière des collectivités territoriales avait été reconnue par le Conseil constitutionnel, en tant que corollaire au principe de libre administration inscrit à l'article 72 de la Constitution.

En découlait l'impossibilité pour le législateur de fixer des règles qui restreindraient les ressources des collectivités territoriales « au point d'entraver leur libre administration »27(*).

Toutefois, aucune disposition législative n'a été, avant 2003, censurée sur ce motif. Le grief tiré de l'entrave au principe de libre administration des collectivités territoriales a, en particulier, été écarté s'agissant :

- de la suppression, par la loi de finances pour 1999, de la « part salaires » de la taxe professionnelle. Relevant notamment que le montant de la compensation était « indexé sur le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement, avant d'être intégré dans cette dernière à partir de 2004 », le Conseil constitutionnel a jugé que la réforme n'avait « pour effet ni de diminuer les ressources globales des collectivités locales ni de restreindre leurs ressources fiscales au point d'entraver leur libre administration »28(*) ;

- de la suppression, par la loi de finances rectificative pour 2000, de la part régionale de la taxe d'habitation. Selon un raisonnement similaire, le Conseil constitutionnel a estimé que « les dispositions critiquées, si elles réduisent de nouveau la part des recettes fiscales des régions dans l'ensemble de leurs ressources, n'ont pour effet ni de restreindre la part de ces recettes ni de diminuer les ressources globales des régions au point d'entraver leur libre administration »29(*).

Or, la question du pouvoir dont disposent les collectivités territoriales sur leurs recettes a fait l'objet d'une attention particulière entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Une série d'allègements et d'encadrements législatifs a notamment généré d'importantes critiques et fait naître la crainte d'une « remise en cause des marges d'autonomie financière et fiscale ouvertes aux collectivités locales »30(*).

À raison, le principe de libre administration a été jugé insuffisamment protecteur au regard de l'importante réduction du pouvoir fiscal des collectivités générée par ces réformes, fondées sur des objectifs de politique économique nationaux. Aussi, comme le relève la Cour des comptes, « la protection offerte par la référence au principe de libre administration était d'autant moins solide que le juge constitutionnel n'avait pas déterminé de seuil à partir duquel le législateur était susceptible de porter atteinte à ce principe ».

(b) L'intention initiale du constituant : renforcer la protection du pouvoir fiscal local

Des travaux préparatoires et des déclarations des principaux instigateurs de la révision constitutionnelle de 2003, il ressort clairement que l'objectif premier de cette réforme résidait dans l'instauration d'un cadre plus protecteur pour les finances locales et le pouvoir fiscal des collectivités territoriales.

Interrogé sur ce point par le rapporteur, le professeur Éric Oliva a en ce sens affirmé « [qu'à] l'époque, le constat avait été dressé qu'il n'existait aucun frein à la recentralisation des finances locales qui avait provoqué la suppression de plusieurs impôts locaux (par exemple la disparition de la part régionale de la taxe d'habitation ou de la part salaires de la taxe professionnelle). L'idée a ainsi germé de protéger l'autonomie financière contre le législateur en élevant certains principes au rang constitutionnel ou organique ».

Ces propos font échos aux déclarations de Dominique Perben, alors garde des Sceaux, ce dernier ayant affirmé en 2002 devant les députés : « Aujourd'hui, aucune disposition ne consacre explicitement dans la Constitution l'autonomie financière des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel a, certes, développé une jurisprudence en ce sens, fondé sur le principe de libre administration, mais, à défaut d'une base plus précise, celle-ci est nécessairement demeurée limitée. Elle n'a donc pu faire obstacle à un véritable mouvement de recentralisation financière ».31(*)

L'analyse des travaux parlementaires révèle que l'enjeu central de la révision constitutionnelle de 2003 consistait à reconnaître aux collectivités territoriales un véritable pouvoir de taux. Lors de son audition par la commission d'enquête, la professeure Géraldine Chavrier a d'ailleurs souligné que « maîtrise locale des taux a donc toujours été au coeur » des débats. Dans cette optique, la notion de « ressources propres » était unanimement entendue comme un désignant un panier de ressources sur lesquelles les collectivités disposent d'un pouvoir de taux, « l'autonomie [résidant] dans la maîtrise des taux »32(*).

Le rapporteur de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi constitutionnelle, René Garrec, considérait ainsi que « l'autonomie locale ne peut se limiter à la liberté de la dépense. Elle exige aussi que les collectivités territoriales aient la faculté de moduler l'évolution de leurs ressources par le vote des impôts locaux dans les conditions prévues par la loi33(*) ».

Il n'a, a contrario, jamais été question au cours de ces débats d'inclure les transferts d'impôts nationaux dans la définition des « ressources propres » des collectivités territoriales. Le rapport du 23 octobre 2002 précité de la commission des lois du Sénat fait à cet égard mention d'informations transmises par la direction générale de la comptabilité publique, selon laquelle « les ressources propres des collectivités territoriales comprennent les recettes de la fiscalité locale directe, les recettes de la fiscalité locale indirecte et les produits des domaines et d'exploitation ».

(c) Les principes posés par la révision constitutionnelle de 2003

En adoptant la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, le constituant a introduit un article 72-2 au sein du titre XII de la Constitution, consacrant expressément le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales.

Article 72-2 de la Constitution

« Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi.

« Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine.

« Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre.

« Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.

« La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités. »

· Les deux premiers alinéas de cet article ont inscrit dans la Constitution des principes déjà reconnus par la loi ou le juge constitutionnel, à savoir :

- au premier alinéa, le principe selon lequel, dans les conditions prévues par la loi, les collectivités bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement ;

- au deuxième alinéa, la possibilité ouverte aux collectivités de recevoir le produit d'impositions de toutes natures, dont elles peuvent être autorisées par la loi, dans les conditions qu'elle détermine, à fixer le taux et l'assiette.

· Le principe d'autonomie financière a en outre été enrichi de deux nouvelles règles, que sont :

- le principe selon lequel les recettes fiscales et autres ressources propres doivent représenter, pour chaque catégorie de collectivités, « une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources », les conditions de mise en oeuvre de cette règle étant renvoyées à une loi organique ;

l'obligation pour l'État de compenser tout transfert de compétences par « l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » et d'accompagner toute création ou extension de compétences par des « ressources déterminées par la loi ».

Cette révision constitutionnelle, qui était censée conférer au Conseil constitutionnel les outils juridiques nécessaires pour faire face aux tentatives de recentralisation des ressources des collectivités territoriales, avait suscité de grands espoirs.

Force est toutefois de constater, plus de vingt ans après son entrée en vigueur, qu'elle n'a pas atteint son objectif. Ce constat d'échec semble aujourd'hui, eu égard à l'absence de censure des réformes successives qui ont amoindri le pouvoir fiscal local, partagé par le plus grand nombre.

(2) Une réforme qui n'a pas tenu ses promesses : une protection vidée de sa substance par la loi organique de 2004
(a) La loi organique de 2004 : une définition extensive de la notion de « ressources propres »

Alors que le principe d'autonomie financière avait été conçu pour préserver le niveau de recettes propres des collectivités territoriales, sa portée a été considérablement réduite, pour ne pas dire effacée, par l'intégration, par la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 200434(*), d'impôts nationaux sur lesquels les collectivités n'ont aucun pouvoir dans le calcul de leurs « ressources propres ».

Le législateur organique a en effet retenu une définition extensive de la notion de « ressources propres ». L'article LO. 1114-2 du code général des collectivités territoriales prévoit ainsi « [qu'au] sens de l'article 72-2 de la Constitution, les ressources propres des collectivités territoriales sont constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs ».

Comme l'a régulièrement dénoncé le Sénat depuis deux décennies, le « noeud du problème [réside dans] la définition large des ressources propres des collectivités, qui inclut non seulement les ressources fiscales sur lesquelles les collectivités ont un certain pouvoir, mais également celles sur lesquelles elles n'ont aucune prise, conduit à ce que l'ensemble des impôts (locaux et nationaux) affectés aux collectivités soit considéré comme des ressources propres »35(*).

C'est la raison pour laquelle le professeur Xavier Cabannes a estimé, lors de son audition par la commission d'enquête, que « l'autonomie financière des collectivités territoriales, une fois constitutionnalisée, a cessé de correspondre aux discours politiques. D'un point de vue pragmatique, cette autonomie était définie, jusqu'en 2003, par la nécessité pour les collectivités de disposer de ressources propres, pour lesquelles elles disposaient d'un pouvoir décisionnel. Ces ressources propres devaient suffire pour qu'elles assument leurs compétences et en usent librement, sous réserve de quelques interdictions ou obligations fixées par la loi ». En inscrivant dans le droit la notion « d'autonomie financière » - qui ne figure pas à l'article 72-2 de la Constitution » -, le législateur organique « a inclus dans les ressources propres des collectivités des impositions à propos desquelles elles n'ont pas leur mot à dire »36(*).

D'après la professeure Géraldine Chavrier, ces dispositions organiques, qui constituent « une violation [de] la Constitution [et de] l'accord passé avec le Parlement », auraient dû être censurées par le Conseil constitutionnel. Le commentaire de la décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 200437(*) reconnaît en effet que la « définition donnée par l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel comprend une formule déroutante en première approche ».

Il ajoute que le fait de restreindre la notion ressources propres à celles dont les collectivités territoriales peuvent elles-mêmes fixer le montant aurait été « plus conforme à l'idée naturelle de ressources propres ». Tout en relevant qu'une « autre option aurait consisté à définir les ressources propres comme celles (et seulement celles) dont les collectivités territoriales peuvent fixer elles-mêmes le montant », le Conseil a considéré que la définition retenue par le législateur organique trouvait un « fondement textuel solide dans le rapprochement des deuxième et troisième alinéas de l'article 72-2 de la Constitution ».

Il n'en demeure pas moins que cette définition extensive des ressources propres des collectivités a privé de sa portée l'exigence de « part déterminante » de cette catégorie de ressource

(b) La notion de « part déterminante », ou la référence figée à des ratios de 2003

L'exigence « d'une part déterminante ressources propres » trouve sa traduction à l'article LO. 1114-3 du code général des collectivités territoriales, qui fixe un « mode d'emploi » pour apprécier si la part de ressources propres pour chaque catégorie de collectivités est déterminante ou non.

Le premier alinéa de cet article précise ainsi que « la part des ressources propres est calculée en rapportant le montant de ces dernières à celui de la totalité de leurs ressources, à l'exclusion des emprunts, des ressources correspondant au financement de compétences transférées à titre expérimental ou mises en oeuvre par délégation et des transferts financiers entre collectivités d'une même catégorie », tandis que le dernier alinéa précise le « ratio minimal » de ressources propres permettant de considérer que celles-ci constituent une « part déterminante » du total. Il dispose que, « pour chaque catégorie, la part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003 », soit 60,8 % pour le « bloc communal », 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions.

Le législateur organique avait initialement prévu une condition supplémentaire pour l'appréciation de la part déterminante, en exigeant de cette part déterminante qu'elle soit de nature à garantir « la libre administration des collectivités territoriales relevant de cette catégorie, compte tenu des compétences qui leur sont confiées ». Cette appréciation du juge constitutionnel a pu être qualifiée de « particulièrement sévère, car elle a privé la notion de part déterminante des ressources propres de toute dimension dynamique »38(*).

L'article LO. 1114-4 du code général des collectivités territoriales fixe, enfin, la procédure destinée à garantir le respect des ratios d'autonomie financière. Il prévoit à cet effet que le Gouvernement doit transmettre au Parlement, pour une année donnée, au plus tard le 1er juin de la deuxième année qui suit, « un rapport faisant apparaître, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, la part des ressources propres dans l'ensemble des ressources ainsi que ses modalités de calcul et son évolution ». Il indique en outre que « si, pour une catégorie de collectivités territoriales, la part des ressources propres ne répond pas aux règles fixées à l'article L.O. 1114-3, les dispositions nécessaires sont arrêtées, au plus tard, par une loi de finances pour la deuxième année suivant celle où ce constat a été fait ».

Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de préciser la portée de ces dispositions, en jugeant que si la part des ressources propres d'une catégorie de collectivités devenait inférieure au ratio d'autonomie financière, « il appartiendrait à la loi de finances pour la deuxième année suivant celle de ce constat d'arrêter les mesures appropriées pour rétablir le degré d'autonomie financière des communes au niveau imposé par le législateur organique »39(*).

Le caractère insatisfaisant du cadre fixé par la loi organique de 2004 se conjugue avec l'interprétation restrictive qui a irrigué, sur son fondement, la jurisprudence constitutionnelle en matière de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales.

(3) Une jurisprudence constitutionnelle peu protectrice de l'autonomie financière

Depuis la consécration constitutionnelle de l'autonomie financière en 2003 et 2004, le Conseil constitutionnel a développé une approche restrictive du principe d'autonomie financière, conduisant même certains observateurs à considérer que le juge constitutionnel « n'a pas varié dans sa jurisprudence depuis 1991 »40(*).

(a) L'absence d'autonomie fiscale des collectivités territoriales

En premier lieu, le Conseil constitutionnel considère qu'il ne résulte ni de l'article 72-2 de la Constitution ni d'aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d'une autonomie fiscale41(*). Il en déduit le caractère inopérant du grief tiré de ce qu'une collectivité territoriale perdrait, sous l'effet de dispositions législatives contestées, le pouvoir de déterminer le taux de ses ressources fiscales.

Dans le prolongement de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel a jugé, à propos de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, qu'aucune exigence constitutionnelle n'imposait que la suppression ou la réduction d'une recette fiscale soit compensée par l'allocation de recettes comparables42(*).

De fait, le principe d'autonomie financière est distinct du principe d'autonomie fiscale en ce qu'il ne garantit absolument pas l'existence d'une part minimale d'impôts locaux sur lesquels les collectivités territoriales auraient un pouvoir de taux ou d'assiette.

Comme l'a souligné la professeure Céline Viessant « les collectivités n'ont pas de compétence fiscale - le Parlement est tout puissant en la matière, c'est lui qui détermine l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions, y compris des impôts locaux, les collectivités n'ont qu'un pouvoir très limité de choisir le taux dans la fourchette fixée par le législateur ».

C'est également ce que rappelle la Cour des comptes, en relevant que le « pouvoir fiscal, défini comme la capacité de créer, modifier ou supprimer un impôt, est un attribut de souveraineté politique qui est confié au Parlement par l'article 34 de la Constitution »43(*). Dès lors, en application de l'article 72-2 de la Constitution, la loi peut « seulement » autoriser les collectivités à fixer l'assiette et le taux de certaines impositions de toute nature, dans les limites qu'elle détermine.

(b) L'absence de censure de la réduction du pouvoir fiscal local au gré des réformes successives

En l'absence de protection constitutionnelle du pouvoir fiscal des collectivités territoriales, le législateur a ainsi pu réduire leurs marges de manoeuvre fiscales « au fil des réformes de la fiscalité directe locale, qui ont répondu à des objectifs exogènes aux finances publiques locales (investissement des entreprises, contenu de la croissance économique en emplois, pouvoir d'achat des ménages) »44(*).

Sans exception, les réformes de la fiscalité locale qui se sont succédé ont été jugées conformes aux principes d'autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales par la jurisprudence constitutionnelle. Ainsi la validation, par le Conseil constitutionnel, de la réforme de suppression de la taxe d'habitation illustre-t-elle cette tendance, en ce qu'il a jugé « [qu'en] dépit de l'ampleur [de son] dégrèvement, la taxe d'habitation continu[ait] de constituer une ressource propre des communes »45(*).

Le juge constitutionnel se borne ainsi, conformément à la conception extensive des « ressources propres » retenue par le législateur organique, à veiller au respect des ratios d'autonomie financière. Certains observateurs46(*) estiment toutefois que le Conseil constitutionnel aurait pu faire un usage plus protecteur du principe de libre administration.

En effet, le Conseil constitutionnel a jugé à plusieurs reprises qu'il était loisible au législateur de réduire les ressources des collectivités, à condition que cette réduction ne soit pas « d'une ampleur telle qu'elle entraverait la libre administration des collectivités territoriales ou porterait atteinte à leur autonomie financière »47(*). Pour autant, et malgré leur ampleur, il a systématiquement considéré que les réformes fiscales successives ne restreignaient pas les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration.

Interrogé sur ce point par le rapporteur, le professeur Xavier Cabannes a estimé que « de ce point de vue, le Conseil constitutionnel aurait pu être plus protecteur en estimant que la diminution des ressources fiscales (et non des ressources globales) suffisait à entraver la libre administration. Mais il ne l'a jamais fait - c'est bien ce qui lui a été reproché. Sa jurisprudence n'a jamais permis de savoir si un seuil minimal de ressources fiscales existait [ou] si une réforme fiscale ne devait pas entraîner une diminution de ces ressources fiscales en deçà d'un certain seuil ». En ce sens, estime-t-il, tant que le principe de libre administration n'est pas mobilisé de façon plus protectrice, celui d'autonomie financière, tel qu'encadré par le législateur organique en 2004, ne peut être « qu'un jeu mathématique ».

Ce constat a été de nouveau confirmé par la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2025. En effet, celle-ci comportait en son article 109 une mesure de « gel » de la fraction de la taxe pour la valeur ajoutée (TVA) affectée aux collectivités territoriales pour l'année 2025. Les députés requérants ont reproché à cette disposition de porter atteinte aux principes de libre administration et d'autonomie financière, au motif qu'elle générait une diminution des ressources propres des collectivités territoriales et concernait des recettes affectées aux collectivités en compensation de la suppression d'impôts locaux. Le Conseil constitutionnel a, une fois encore, jugé que la minoration du montant des recettes en résultant pour ces collectivités n'était « pas d'une ampleur telle qu'elle entraverait la libre administration des collectivités territoriales ou porterait atteinte à leur autonomie financière ».48(*)

In fine, comme le résume le professeur Aurélien Baudu49(*), « la liste des dispositions ne constituant pas une atteinte au principe de libre administration des collectivités s'avère bien plus longue que celle des dispositions constituant une telle atteinte ».

(c) Une appréciation de la constitutionnalité des mécanismes de compensation des transferts peu favorable aux collectivités

Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel s'agissant du principe de compensation financière des transferts et des créations ou extensions de compétences se sont avérées décevantes pour les collectivités territoriales, qui doivent souvent assumer des charges très dynamiques sans bénéficier d'une progression équivalente de leurs recettes.

Le principe de compensation financière des transferts de compétences

Le principe de la compensation financière des transferts de compétences a été posé dès le premier acte de décentralisation. L'article 5 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État a ainsi posé les bases du principe de neutralité budgétaire du transfert de compétences50(*) : « Les transferts de compétences [...] sont accompagnés du transfert concomitant par l'État aux communes, aux départements et aux régions, des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences ».

Ce principe a par la suite connu une consécration constitutionnelle. L'article 72-2 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, prévoit ainsi que « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ».

Le Conseil constitutionnel a fait du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution une lecture plutôt restrictive dont découle un principe de compensation « au coût historique »51(*). Or, le Sénat dénonce de longue date la décorrélation totale entre les compensations octroyées aux collectivités territoriales et la dynamique réelle des charges. En ce qu'elle accroît, parfois dans des proportions considérables, les dépenses contraintes des collectivités sans évolution des compensations correspondantes, cette situation peut être regardée comme portant atteinte au principe de libre administration. Les compensations financières versées n'ont en effet pas à être intégrales ni « glissantes ».

Comme le soulignait le rapport du groupe de travail de la présidence du Sénat sur la décentralisation de 2023, « le cas le plus emblématique » de cette tendance « est celui de l'exercice de la compétence d'aide et d'action sociale par les départements. Les départements font, en effet, face à la dynamique des allocations individuelles de solidarité (AIS) que sont le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Ainsi, leur coût global s'élevait à près de 20 milliards d'euros en 2021. Compte tenu de la hausse du nombre de bénéficiaires par rapport à la date des transferts de compétences, les compensations historiques ne couvraient dès lors, en 2021, plus que 45 % de la charge, soit environ 9 milliards d'euros, laissant ainsi un reste à la charge des départements de 11 milliards d'euros »52(*).

Le cas du RSA illustre également bien la problématique liée de la compensation des charges supplémentaires issues d'une modification des règles relatives à l'exercice d'une compétence. Les revalorisations successives de la prestation ont été couvertes par l'instauration de plusieurs dispositifs de compensation dont les ressources ne provenaient pas de l'État, mais, pour l'essentiel, de la péréquation horizontale ou du pouvoir fiscal des départements53(*).

Cette situation est rendue possible par l'interprétation stricte qu'a retenue le juge constitutionnel s'agissant de la notion « d'accompagnement financier » que l'État est tenu d'accorder aux collectivités en cas d'extension de compétences déjà transférées ou de création d'une nouvelle compétence.

Dans une décision rendue à propos d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 30 juin 2011 au sujet du revenu minimum d'insertion et du RSA54(*), le Conseil constitutionnel avait ainsi considéré que les dispositions relatives à la compensation financière des transferts de compétences ne s'appliquent, « en ce qui concerne les créations et extensions de compétences, que [pour] celles qui présentent un caractère obligatoire ». Dans ces conditions, il a estimé qu'il « n'est fait obligation au législateur que d'accompagner ces créations ou extensions de compétences de ressources dont il lui appartient d'apprécier le niveau ». Autrement dit, le législateur n'est tenu de prévoir une compensation financière qu'à hauteur d'un montant qu'il est libre d'apprécier, sans obligation d'actualisation et sous la seule réserve que ce montant ne constitue pas une entrave au principe de libre administration.

En somme, comme le souligne le professeur Aurélien Baudu, « le système a donc une forme de perversité, comme l'a affirmé le professeur Michel Lascombe depuis longtemps, relevant que "l'État est incité à transférer tout ce qu'il néglige et à négliger tout ce qu'il envisage de transférer" ».

S'il est permis de regretter l'absence de volontarisme du juge constitutionnel en la matière, la situation décrite révèle avant tout les insuffisances du cadre juridique instauré en 2003 et 2004.

b) L'autonomie financière : une « illusion » source de malentendus et de perplexité

La constitutionnalisation de l'autonomie financière n'a empêché ni la suppression de ressources fiscales maîtrisées par les collectivités territoriales ni la privation de compensations financières suffisantes pour assurer dans de bonnes conditions l'exercice des compétences qui leur ont été transférées par l'État

Et pour cause : le cadre constitutionnel et organique mis en place en 2003 et 2004 est, de façon quasi unanime, jugé insatisfaisant. Certains observateurs, à l'instar du professeur Éric Oliva, estiment ainsi que « si le Conseil constitutionnel ne protège pas l'autonomie financière des collectivités locales », cela s'explique « peut-être parce qu'il n'en a pas juridiquement les moyens ». Dans le même ordre d'idées, le professeur Xavier Cabannes juge que « du point de vue de l'autonomie financière, le Conseil constitutionnel veille au respect de l'article 72-2, on pourrait dire tout l'article 72-2, mais rien que lui » 55(*).

Comme rappelé précédemment, les collectivités ont progressivement perdu la maîtrise dont elles disposaient sur leurs ressources, ce mouvement n'ayant fait que s'accélérer au cours des deux dernières décennies. Il s'agit là d'une « perte d'autonomie qualitative » : si les collectivités ont vu leur pouvoir de taux s'éroder, leur autonomie financière, selon une approche « quantitative », n'a fait que progresser sur la même période.

Comme l'a en effet indiqué le professeur Matthieu Conan à la commission d'enquête, de façon paradoxale, alors que les « atteintes pratiques à l'autonomie financière des collectivités territoriales n'ont vraisemblablement jamais été aussi importantes en l'espace de dix ans [...], les ratios mesurant le degré d'autonomie financière n'ont jamais été aussi élevés qu'aujourd'hui : il y a à l'évidence un problème dans leur construction »56(*). D'après le professeur Vincent Dussart, les « problèmes de définition » qui caractérisent la loi organique de 2004 sont liés au fait que celle-ci « repose sur une conception faussée de l'autonomie financière locale »57(*).

Sous l'effet des réformes successives, les ressources propres ont vu leur composition « évoluer fortement avec une progression de la part des impôts nationaux partagés dont les taux sont fixés par le législateur national et l'assiette n'est pas territorialisée, en substitution à des impôts locaux sur lesquels les élus avaient une maîtrise plus forte »58(*).

Évolution des ratios d'autonomie financière par catégorie de collectivités (2003-2022)

Source : Rapport du Gouvernement au Parlement sur l'autonomie financière (2024)59(*)

Or, l'augmentation continue des ratios d'autonomie financière depuis 2003 démontre, s'il le fallait, qu'il ne s'agit pas d'un « outil pertinent pour rendre compte des marges de décision des collectivités »60(*) : la notion ayant été vidée de sa substance, leur progression ne rend absolument pas compte de la perte de maîtrise réelle de leurs ressources par les collectivités territoriales.

Le graphique ci-dessus illustre parfaitement le constat partagé à propos de ces ratios, résumé en ces termes par le professeur Matthieu Conan : « [ils] ne veulent plus rien dire, les élus locaux n'ont jamais eu le sentiment qu'ils étaient autonomes financièrement, c'est un euphémisme - mais le Conseil constitutionnel leur dit, en appliquant les ratios, que le pourcentage d'autonomie financière augmente. Il faudrait revoir ces ratios, ils fonctionnent à l'inverse de ce que les élus ressentent sur le terrain, c'est un hiatus à corriger »61(*).

En définitive, ainsi que le relève le professeur Xavier Cabannes, il est permis d'affirmer que la « réforme constitutionnelle de 2003 a suscité des incompréhensions, des malentendus et peut-être quelques tromperies »62(*). De fait, les nombreux représentants des élus locaux entendus par la commission d'enquête se sont accordés de façon univoque pour regretter la disparition progressive de l'autonomie fiscale des collectivités. En témoignent les affirmations d'André Laignel, président du Comité des finances locales (CFL), lors de son audition par la commission d'enquête, qui considère que la « libre administration est fantomatique, tandis que l'autonomie financière est réduite à l'état de guenille »63(*), et ce parce que sa définition a été « viciée » par la loi organique de 2004.

2. Pour une approche renouvelée de la liberté financière des collectivités territoriales

Compte tenu de son insuffisance, une révision du cadre constitutionnel actuel est nécessaire pour renforcer l'autonomie financière des collectivités territoriales.

L'autonomie financière, comme le défend constamment le Sénat depuis plusieurs décennies, est indissociable d'une meilleure protection de la marge de manoeuvre fiscale des collectivités. En dépit de l'affaiblissement de la fiscalité locale lié aux récentes réformes, il convient donc d'inscrire dans la Constitution un véritable principe d'autonomie fiscale.

Parallèlement, la commission d'enquête a souhaité mettre en lumière une approche complémentaire, centrée sur « l'autonomie en dépense ». En effet, en raison de l'augmentation ininterrompue des dépenses qui leur sont imposées par l'État, sans réelle compensation, les collectivités sont confrontées à une croissance de leurs dépenses contraintes, au détriment de leur capacité à financer des dépenses « facultatives ». Or c'est bien ce type de dépenses qui, in fine, reflète la véritable marge de liberté financière dont disposent les collectivités pour mettre en oeuvre leurs propres politiques publiques locales. Protéger l'autonomie financière des collectivités implique, dans cette perspective, de leur garantir un certain degré d'autonomie en matière de dépenses.

a) L'impasse d'une approche de l'autonomie financière exclusivement centrée sur les recettes des collectivités
(1) Consacrer un principe constitutionnel d'autonomie fiscale : une réforme nécessaire, mais insuffisante

Ainsi que le défend de façon constante le Sénat, il convient de conférer à la fiscalité locale une protection constitutionnelle en consacrant le principe d'autonomie fiscale et rénovant le droit organique en vigueur depuis 2004.

Les travaux de la commission d'enquête ont toutefois fait apparaître un certain nombre de difficultés pratiques et d'obstacles à la mise en oeuvre d'une telle solution, en raison de l'affaiblissement du pouvoir fiscal des collectivités consécutif aux différentes suppressions et réformes récentes de la fiscalité locale. En effet, la constitutionnalisation de l'autonomie fiscale assortie de la création de nouveaux ratios risquerait de se heurter à la faiblesse relative de la part d'impôts sur lesquels les collectivités disposent encore d'une véritable marge de manoeuvre.

De manière générale, la part des impôts nationaux déterritorialisés dans le total des recettes réelles de fonctionnement des collectivités a été multipliée par trois, parallèlement à la chute des impôts locaux. Ce constat mérite toutefois d'être nuancé et précisé tant, en la matière, la situation diverge en fonction des catégories de collectivités considérées.

Part des impôts locaux territorialisés dans les recettes réelles de fonctionnement des collectivités territoriales (2017-2023)64(*)

 

2017

2023

Régions

47,2 %

12,1 %

Départements

46 %

20,4 %

Bloc communal

60,7 %

54,1 %

Source : à partir des données de la Cour des comptes

Comme le relève la Cour des comptes, le pouvoir fiscal est « réduit pour les départements et les régions, mais [demeure] significatif pour les collectivités du bloc communal »65(*). En effet, comme le montre le graphique ci-après, près de la moitié des recettes du bloc communal sont encore constituées d'impôts sur lesquels les communes et leurs groupements disposent d'un pouvoir d'assiette ou de taux, tandis que cette proportion a considérablement chuté pour les régions et les départements.

Part des impôts territorialisés et, en leur sein, des impôts dont les collectivités fixent l'assiette ou le taux dans leurs recettes de fonctionnement

entre 2019 et 2022 (en %)

Source : Cour des comptes

Cette situation conduit certains observateurs, à l'instar du professeur Matthieu Conan, à considérer que « la reconnaissance d'une autonomie fiscale [n'aurait] de sens » que pour le bloc communal. En tout état de cause, l'instauration de nouveaux ratios fondés sur une part déterminante ou significative d'impôts sur lesquels les collectivités ont un pouvoir de taux ou d'assiette devrait, en l'état, s'accompagner de la création ou du rétablissement d'impositions laissées à la main des collectivités.

Or, les auditions menées par le rapporteur ont mis en lumière l'absence de consensus sur cette question et conduisent à s'interroger sur le réalisme d'une telle proposition du point de vue de son acceptabilité par les contribuables locaux.

(2) Pour sanctuariser le pouvoir fiscal des collectivités : une nécessaire révision de cadre constitutionnel et organique

La commission recommande, en tout état de cause, une rénovation du cadre constitutionnel et organique protégeant l'autonomie financière des collectivités territoriales par la consécration d'un principe d'autonomie fiscale à l'article 72-2 de la Constitution.

L'inscription de cette « garantie manquante dans la Constitution »66(*) aurait pour objectif de garantir qu'une part significative des ressources des communes, qui doivent continuer de bénéficier d'une certaine autonomie fiscale, provienne d'impositions sur lesquelles celles-ci disposent d'un pouvoir d'assiette ou de taux.

Une telle évolution, qui serait précisée par une loi organique prise en application de la révision constitutionnelle escomptée, permettrait de « sanctuariser » le pouvoir fiscal dont dispose actuellement le bloc communal en plaçant la fiscalité directe locale dont il bénéficie - qui repose désormais essentiellement sur les impôts fonciers - à l'abri des réformes : la réduction ou la suppression d'une de ces taxes ne pourrait alors être compensée que par l'attribution d'un autre élément de fiscalité locale.

S'agissant des départements et des régions, afin de prendre acte de la faible part d'impôts locaux sur lesquels ces collectivités disposent d'un pouvoir fiscal dans leur panier de ressources actuelles, la commission considère que le constituant pourrait néanmoins garantir que ceux-ci continuent de représenter une part minimale des ressources des départements et des régions.

En effet, pour ces catégories de collectivités, inscrire dans la Constitution l'exigence d'une part déterminante ou significative conduirait à rendre inconstitutionnelle la législation en vigueur et impliquerait de « localiser » plusieurs milliards d'euros d'impôts nouveaux, ce qui engendrerait des difficultés pratiques difficilement surmontables à court terme.

L'inscription de l'exigence d'une part minimale ouvrirait néanmoins la perspective d'un octroi aux départements et aux régions de nouveaux leviers fiscaux dans les années à venir67(*).

Une loi organique viendrait préciser, en modifiant les articles LO. 1114-3 et LO. 1114-4 du code général des collectivités territoriales, les conditions de mise en oeuvre de cette garantie du pouvoir fiscal des collectivités territoriales, afin notamment de prévoir que, pour chaque catégorie, la part des impositions de toutes natures dont la loi autorise les collectivités à fixer l'assiette, le taux ou le tarif ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2024.

Recommandation n° 2 : Consacrer un principe constitutionnel d'autonomie fiscale des collectivités afin de préserver leurs marges de manoeuvre fiscales.

Nécessaire pour protéger le pouvoir fiscal dont disposent encore les collectivités territoriales, cette réforme ne saurait suffire à garantir pleinement la capacité des collectivités territoriales à faire face à l'ensemble de leurs dépenses obligatoires tout en bénéficiant d'une certaine autonomie. Dans cette perspective, la commission d'enquête juge nécessaire d'adopter une approche renouvelée et complémentaire de l'autonomie financière des collectivités, centrée sur « l'autonomie en dépense ».

b) Redonner aux collectivités un cadre protecteur de leur liberté financière : pour une approche complémentaire centrée sur les dépenses
(1) Une « autonomie en dépense » difficile à apprécier et définir

Alors que la perte de maîtrise des collectivités sur leurs recettes est établie, leur liberté de gestion dépend aujourd'hui largement du niveau de contrainte qui s'exerce sur leurs dépenses.

Dans un rapport publié en 2023, la Cour des comptes68(*) a mis en lumière l'intérêt de considérer la notion « [d']autonomie en dépense », en proposant des clefs de lecture destinées à estimer la latitude dont disposent les collectivités en la matière.

En premier lieu, les collectivités font face à de nombreuses et coûteuses dépenses contraintes. En effet, le code général des collectivités territoriales impose à chaque catégorie de collectivités un certain nombre de dépenses obligatoires, qui répondent à plusieurs motifs, tels que :

- la nécessité d'assurer la continuité de l'action publique locale (nécessité d'assurer l'entretien de l'hôtel de ville, indemnisation des élus, rémunération des agents, etc.) ;

- la garantie de l'exercice des compétences essentielles spécifiques à chaque échelon de collectivités, notamment en matière de financement des équipements (bâtiments d'enseignement, voiries, ports maritimes, etc.) et d'accomplissement des missions de services publics (par exemple, l'eau et l'assainissement pour les communes, les AIS pour les départements ou encore les transports ferroviaires pour les régions) ;

- le respect de principes de gestion financière (à l'instar de l'obligation de remboursement des dettes exigibles).

La marge de manoeuvre dont disposent les collectivités territoriales sur ces catégories de dépenses est extrêmement faible. Les AIS représentent, par exemple, près d'un tiers des dépenses des départements69(*), alors même que ces derniers n'ont aucun levier sur les conditions et les modalités de calcul de ces prestations.

La notion de « dépenses obligatoires » des collectivités territoriales

Les dépenses obligatoires correspondent aux dépenses dont, en application des articles L. 1612-15 et L. 1612-16 du code général des collectivités territoriales (CGCT), la non-inscription au budget primitif ou le non-mandatement durant l'exercice par l'exécutif de la collectivité peuvent entraîner l'inscription d'office par le préfet, après avis de la chambre régionale des comptes (CRC) compétente.

En second lieu, la Cour des comptes relève que certaines compétences, facultatives en droit, revêtent, dans les faits, un caractère obligatoire pour les collectivités en raison de leur dimension essentielle pour les administrés. C'est notamment le cas des activités périscolaires, qui recouvrent notamment le transport et la restauration scolaires.

Or, comme démontré précédemment, les modalités de compensation de ces transferts et extensions de compétences, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel, apparaissent insatisfaisantes. La décorrélation entre les compensations attribuées et l'évolution des charges réelles associées à l'exercice des compétences concernées est hautement préjudiciable à l'autonomie en dépenses des collectivités. La Cour illustre ce constat avec la question des dépenses d'investissement des collèges : sur la période 2015-2019, leur taux de couverture « s'est élevé en moyenne nationale à 15,61 %, sur une échelle allant de 7,59 % (Vendée) à 84,25 % (Ardennes) »70(*).

Il convient toutefois de relever que, pour l'exercice d'une même compétence obligatoire, le niveau de dépenses peut varier substantiellement entre les collectivités, révélant ainsi l'existence de marges d'autonomie.

(2) L'autonomie financière se mesure à la capacité des collectivités à financer des dépenses « facultatives »

Les travaux de la commission d'enquête ont permis de mettre en lumière une approche alternative de l'autonomie financière des collectivités territoriales, laquelle semble, dans le sillage des récentes réformes et suppressions de la fiscalité locale, partagée par un nombre croissant d'observateurs.

Cette approche repose sur l'interrogation suivante, relayée par le professeur Xavier Cabannes : « Au lieu de s'attacher à un ratio d'autonomie relatif au niveau des ressources propres, ne faudrait-il pas s'attacher au pouvoir de dépenser ? Une fois [engagées] les dépenses obligatoires, quelle marge de manoeuvre reste-t-il aux collectivités territoriales ? [Le plus important est-il] l'origine de la recette ou la capacité à pouvoir faire face aux dépenses ? ».

Dans le même ordre d'idées, le professeur Vincent Dussart a indiqué qu'en dépit de récentes évolutions d'approche, « l'autonomie en matière de dépenses [...] est souvent sous-estimée »71(*). L'autonomie en recettes est en effet particulièrement mise en avant et discutée, les dispositions constitutionnelles et organiques étant imprégnées et centrées sur cette approche. Pour autant, le fait de délaisser une conception de l'autonomie financière fondée sur la dépense pourrait soulever « d'importantes difficultés », notamment dans la mesure où « la transition écologique constitue d'abord [...] une dépense obligatoire, en investissement et en fonctionnement ».

Auteur d'une thèse intitulée « Contribution à une redéfinition de l'autonomie financière des collectivités territoriales », Matthieu Rouveyre propose en ce sens une approche de l'autonomie financière centrée sur les dépenses des collectivités. Ses travaux s'appuient sur le constat suivant : « le véritable obstacle à la libre administration n'est pas d'ordre juridique, il est d'ordre financier » puisque les « collectivités doivent d'abord financer leurs dépenses dites obligatoires, c'est-à-dire celles qui relèvent de leurs obligations légales, liées à leurs compétences, et ce n'est qu'ensuite, une fois ces missions financées, qu'elles peuvent, s'il reste des marges de manoeuvre financières, financer leur liberté d'agir au profit de politiques qu'elles choisissent librement. Or la liberté d'agir, qui constitue le coeur de la libre administration, est aujourd'hui résiduelle »72(*).

En ce sens, il conviendrait de distinguer entre, d'une part, les « dépenses imposées » qui permettent la mise en oeuvre à l'échelle locale des politiques publiques décidées par l'État et, d'autre part, les « dépenses propres », qui traduisent la liberté d'action des collectivités pour mettre en oeuvre des politiques ou des services publics choisis. Or, « les ressources propres servent prioritairement à financer des dépenses imposées » : en ce sens, une plus grande autonomie en recettes n'aurait pas nécessairement pour résultat d'accroître la liberté financière des collectivités.

Matthieu Rouveyre estime ainsi que « l'autonomie fiscale ne résoudra rien, car, tant que les ressources locales serviront à financer des politiques décidées par l'État, il n'y aura pas de libre administration ». Il propose par conséquent de fonder l'autonomie financière non pas sur la nature des recettes, mais sur la nature des dépenses, en distinguant entre « dépenses imposées » et « dépenses propres ». L'autonomie financière serait alors calculée sous forme de « taux », en fonction de la part de dépenses propres que peut engager une collectivité une fois financées les dépenses imposées.

Lors de son audition devant la commission d'enquête, le professeur Éric Oliva a développé une conception similaire de l'autonomie financière : compte tenu de l'ampleur des dépenses obligatoires et de la règle d'équilibre budgétaire73(*) à laquelle sont soumises les collectivités, il estime que ce sont « les dépenses facultatives qui révèlent la seule et unique autonomie financière locale ». A contrario, il n'y a pas d'autonomie financière « lorsque les collectivités territoriales ne peuvent financer que des dépenses obligatoires »74(*), en témoigne la situation financière à laquelle sont aujourd'hui confrontés les départements.

(3) Garantir aux collectivités les ressources au financement de leurs dépenses contraintes

Au-delà de la question de la nature des ressources - qui conduit la commission d'enquête à recommander la consécration constitutionnelle d'un principe d'autonomie fiscale des collectivités territoriales -, l'enjeu consiste à garantir aux collectivités un niveau de ressources suffisant pour leur permettre de faire face à l'ensemble de leurs dépenses contraintes.

Une première déclinaison de cet objectif réside dans la mise en place d'une véritable compensation financière intégrale et glissante des transferts de compétences, afin d'éviter la décorrélation aujourd'hui constatée entre, d'une part, la compensation versée aux collectivités et, d'autre part, l'accroissement dans le temps des charges réelles et obligatoires qu'elles supportent au titre de l'exercice des compétences concernées.

Un second volet concerne la recherche d'une méthode en vertu de laquelle une réelle « autonomie en dépense » pourrait être reconnue aux collectivités territoriales, afin de leur octroyer une véritable liberté d'agir en ménageant une « part de dépenses facultatives » une fois les dépenses obligatoires effectuées.

Recommandation n° 3 : garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes pour financer leurs charges et dépenses contraintes (législateur).

(a) Instaurer un réexamen régulier des ressources attribuées en compensation des transferts ou extensions de compétences

L'évolution dynamique des dépenses obligatoires issues de transferts de compétences, sans que cette dynamique ne soit réévaluée et intégralement compensée, porte atteinte à l'autonomie financière des collectivités en ce qu'elle réduit de manière considérable leurs marges de manoeuvre pour financer des dépenses « facultatives ».

La commission d'enquête recommande ainsi de donner corps à l'exigence de compensation des compétences transférées en consacrant un principe constitutionnel de réexamen régulier du droit à compensation financière des collectivités territoriales au titre des transferts de compétences. Parallèlement, le droit à compensation en cas d'augmentation des dépenses locales engendrées par une création ou extension de compétences pourrait être renforcé, en exigeant une compensation par des ressources équivalentes et non plus seulement un accompagnement financer déterminé par la loi.

Après avoir été inscrit à l'article 72-2 de la Constitution, le principe de réexamen régulier verrait sa portée précisée par des dispositions de nature organique. Un réexamen tous les cinq ans pourrait ainsi être organisé, en prévoyant la remise par le Gouvernement au Parlement d'un rapport exposant les mesures envisagées pour ajuster les ressources attribuées aux collectivités territoriales au regard des charges actualisées qu'elles supportent au titre de l'exercice de la compétence concernée.

Dans ce cadre, un rôle d'évaluation de l'évolution de ces charges pourrait être confié à la nouvelle instance de gouvernance - le « Conseil d'orientation des finances locales » - dont la création est proposée par la recommandation n° 5 (voir infra).

Recommandation n° 4 : instaurer un principe de réexamen régulier des compensations financières versées aux collectivités territoriales au titre des compétences transférées.

(b) Concevoir un système garantissant aux collectivités une autonomie financière en dépense

L'autonomie en dépense des collectivités territoriales réside dans leur capacité à financer des « dépenses facultatives », qui révèle leur véritable liberté d'action. Il importe, par conséquent, de concevoir un système permettant de garantir aux collectivités une telle marge de manoeuvre après couverture de leurs dépenses obligatoires.

En ce sens, le professeur Éric Oliva a proposé la mise en place « d'un cliquet d'autonomie financière » qui prendrait la forme d'un « seuil minimal, qui pourrait être de 5 % ou 10 %, de dépenses facultatives75(*) ». Un tel mécanisme permettrait de « sanctuariser » une part de dépenses facultatives et éventuellement « d'enclencher une sorte d'aide automatique pour l'autonomie lorsqu'une collectivité n'est plus en mesure de financer ses choix » en raison de la progression de ses dépenses obligatoires.

Une telle approche apparaît toutefois complexe à concrétiser, en raison de la difficulté à objectiver le niveau de dépense adapté à l'exercice d'une compétence donnée. La Cour des comptes a identifié cet enjeu, et considéré « [qu'il] est délicat de déterminer un "juste" niveau de dépense, en l'absence de définition de coûts standards qui permettraient de différencier ce qui relève d'un "socle" incompressible de dépenses à l'exercice par la collectivité d'une compétence, et de choix d'extension ou d'amélioration du niveau du service offert par la collectivité »76(*).

La détermination de ce « juste » niveau de dépense est en effet primordial pour prévenir le risque d'une « déresponsabilisation » et afin de ne pas léser les collectivités les plus efficaces dans la gestion de leurs dépenses obligatoires.

Le système présenté aux membres de la commission d'enquête par Matthieu Rouveyre prévoit, dans le même ordre d'idées, la définition d'un « taux d'autonomie financière » correspondant à la part des « dépenses propres » des collectivités dans les dépenses totales. Après identification des dépenses imposées par l'État relevant d'un « service public socle », le taux d'autonomie financière serait appliqué à ces dépenses, afin de déterminer la somme qui serait laissée à la disposition des collectivités territoriales pour financer librement leurs dépenses propres (ou facultatives).

L'auteur propose parallèlement un mécanisme visant à prévenir le risque d'inflation des dépenses locales. Celui-ci est fondé « sur le calcul du coût médian du service public décidé par l'État et mis en oeuvre à l'échelle locale »77(*). Ce coût médian serait déterminé en analysant les montants alloués par les collectivités comparables pour une même politique publique. Les dépenses outrepassant le coût médian ainsi fixé seraient alors considérées non comme des dépenses imposées, mais comme des dépenses propres. Ce mécanisme permettrait de tenir compte de la part de liberté de gestion que suppose la mise en oeuvre d'un service public - fût-il - obligatoire et, ainsi, d'inciter les collectivités à maintenir une gestion efficace.

Ces propositions émergent en réponse à la perte d'autonomie en recette provoquée par les dernières réformes de la fiscalité locale. Elles reposent sur une approche de bon sens à laquelle souscrivent pleinement les membres de la commission d'enquête : alors que la recentralisation financière tend à faire des collectivités de simples « opérateurs » de l'État, leur libre administration réside désormais dans leur capacité à financer des dépenses propres, qui ne découlent pas de contraintes imposées par l'État.

Créer les conditions d'une véritable autonomie en dépense des collectivités suppose une évaluation précise de l'évolution de leurs dépenses obligatoires et du montant des ressources qui doivent leur être attribuées pour y faire face. Une telle évaluation ne peut avoir lieu que dans le cadre d'une gouvernance efficace et renouvelée, associant pleinement les collectivités aux prévisions et aux décisions relatives aux finances locales, dans un souci de prévisibilité et de confiance restaurée entre les acteurs locaux et l'État.

3. Vers une gouvernance qui associe mieux les collectivités aux décisions financières en matière de finances publiques locales

Le constat est aujourd'hui partagé par le plus grand nombre : les enjeux auxquels sont confrontées les finances des collectivités locales justifient la mise en place d'une instance de dialogue dotée de compétences étendues afin de s'assurer que les élus soient suffisamment associés aux décisions financières qui les concernent.

La commission d'enquête préconise, dès lors, afin de rétablir la relation de confiance entre les collectivités territoriales et les autorités de l'État, une rénovation et une simplification de la gouvernance des finances locales visant à renforcer la lisibilité, la transparence et la place des élus locaux dans le processus de décision en matière financière.

a) Le constat : l'insuffisante association des élus locaux à la gouvernance des finances publiques locales
(1) L'insuffisante association des élus locaux aux réformes et évolutions des finances locales : un facteur d'incompréhension et de défiance
(a) Une relation de confiance entre l'État et les collectivités territoriales à reconstruire

Les élus locaux entendus par la commission d'enquête ont, de façon quasi unanime, regretté le manque d'association des collectivités territoriales aux décisions financières qui les concernent.

De ce fait, comme le relevait le rapport du groupe de travail de la présidence du Sénat sur la décentralisation en 2023, « des réformes aussi structurantes que la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales ont ainsi pu être présentées au Parlement sans réelle concertation préalable. En fonction des sujets, le Gouvernement a développé la pratique consistant à engager une négociation séparée avec telle ou telle association d'élus, sans dialogue avec les représentants des autres échelons de collectivités territoriales ni avec le Parlement, à qui il est trop souvent demandé d'entériner tel quel dans la loi un accord déjà conclu »78(*).

À ce titre, la réforme de la taxe d'habitation est considérée par beaucoup comme l'expression paroxystique d'une absence d'écoute et de concertation des élus locaux, tant sa suppression a suscité une forte opposition et continue d'être considérée comme une erreur. Lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2020 qui tirait les conséquences de la suppression progressive de la taxe d'habitation décidée en 2017, la commission des lois du Sénat avait ainsi regretté « le manque de concertation des élus en amont de la réforme » et le choix gouvernemental d'une réforme par le biais du projet de loi de finances plutôt que par « un texte dédié à la fiscalité locale »79(*).

S'il n'est pas nouveau, un constat s'impose : la relation de confiance entre l'État et les collectivités apparaît aujourd'hui compromise, voire abîmée. Semble ainsi prévaloir une logique de « confrontation »80(*) qui, d'après la Cour des comptes, révèle « l'absence d'un dialogue véritablement partenarial entre l'État, le Parlement et les collectivités territoriales »81(*).

Les propos tenus par André Laignel, président du comité des finances locales (CFL), lors de son audition par les membres de la commission d'enquête, sont révélateurs de cette situation : en effet, il a dénoncé une « situation détestable pour le pays, à savoir l'absence quasi totale de confiance entre l'État et les collectivités locales. Du côté de l'État, une certaine haute administration semble ne jamais avoir assimilé la culture de la décentralisation et refuse d'accorder sa confiance à des collectivités territoriales censées être dépensières, si ce n'est porteuses des sept plaies d'Égypte. En retour, les collectivités ont l'impression que l'État ne leur dit pas toute la vérité, voire qu'il leur ment »82(*).

La commission d'enquête ne peut que souscrire, en ce sens, à l'observation selon laquelle « aujourd'hui, le dialogue entre État et collectivités territoriales est mis à mal par une "bataille de chiffres" entre les différents acteurs ». De fait, les instances censées remplir ce rôle n'ont, à ce jour, pas permis de faire émerger une logique partenariale et de transparence reposant sur des constats partagés.

(b) Des instances de dialogue qui ne sont pas parvenues à jouer un véritable rôle de concertation dans une logique partenariale

De fait, les instances existantes n'ont pas permis d'incarner et de mettre en oeuvre cet esprit de dialogue et de concertation entre l'État et les collectivités territoriales, pourtant indispensable pour rétablir le lien de confiance, au service de l'efficacité de l'action publique et de la démocratie locales.

D'une part, si le comité des finances locales (CFL) joue un rôle important pour associer les représentants des collectivités territoriales à la répartition des dotations de l'État et recueillir leur avis sur les textes réglementaires, force est de constater que son mode de fonctionnement actuel ne permet pas d'associer pleinement les élus locaux et parlementaires à la préparation de l'ensemble des mesures fiscales et budgétaires qui les concernent dans le cadre des projets de lois de finances (PLF) et des projets de loi de programmation des finances publiques (LPFP).

Le comité des finances locales (CFL) : missions et composition

En application de l'article L. 1211-3 du code général des collectivités territoriales, la première mission du CFL, qui a été institué en 197983(*), consiste à contrôler la répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Il est également chargé, aux termes de l'article L. 1211-4 du code général des collectivités territoriales, « de fournir au Gouvernement et au Parlement les analyses nécessaires à l'élaboration des dispositions du projet de loi de finances intéressant les collectivités locales ».

Il est en outre doté par l'article L. 1211-3 précité d'un rôle consultatif : il peut être consulté par le Gouvernement « consulter sur tout projet de loi, tout projet d'amendement du Gouvernement ou sur toutes dispositions réglementaires à caractère financier concernant les collectivités locales. Pour les décrets, cette consultation est obligatoire. »

Le CFL est composé de 64 membres élus titulaires et suppléants au sein des assemblées parlementaires - deux sénateurs et deux députés y siègent - et des collectivités territoriales, ainsi que onze représentants de l'État et de leurs suppléants.

Il peut s'organiser en groupes de travail sur des thématiques dédiées, dont il s'autosaisit. Toutefois, contrairement au Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), il ne produit ni rapport public ni rapport d'activité.

D'après la Cour des comptes, le CFL ne dispose pas, en l'état actuel de ses attributions et de son fonctionnement, des informations et moyens permettant de répondre pleinement au besoin de dialogue financier entre l'État et les collectivités territoriales. Elle estime ainsi « [qu'une] refonte du CFL serait judicieuse pour confirmer son rôle de dialogue autour des finances locales »84(*).

D'autre part, le bilan des différentes structures de dialogue mises en place par l'exécutif ces dernières années apparaît pour le moins contrasté.

À plusieurs reprises, le Sénat a jugé que la « Conférence nationale des territoires lancée en 2017 [avait] constitué à cet égard un échec patent, faute de réelle volonté de dialogue du Gouvernement avec les associations d'élus ». Alors qu'elle devait succéder à la « conférence des finances publiques » instituée par la LPFP 2014-2017 et qui n'a jamais été réunie, la Conférence nationale des territoires (CNT) n'a été convoquée qu'en 2017 et 2018 et plus jamais réunie depuis lors85(*).

Créé par le Gouvernement et réuni pour la première fois en septembre 2023, le Haut conseil des finances locales a été conçu comme une instance stratégique de dialogue, associant plusieurs ministères, les rapporteurs généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, le président du CFL, les présidents des principales associations d'élus locaux ainsi que le premier président de la Cour des comptes. Après deux ans d'existence, le bilan de son action apparaît mitigé, l'instance n'ayant, à la connaissance de la commission d'enquête, pas été réunie depuis plus d'un an.

Le Gouvernement a récemment initié une nouvelle instance, en réunissant, en avril 2025, une « Conférence financière des territoires » dans la perspective de réaliser un diagnostic commun de l'état des finances publiques locales, dans le cadre de l'élaboration du projet de loi (PLF) pour 2026. Cette première réunion a donné lieu à la constitution de plusieurs groupes de travail chargés de définir des orientations pluriannuelles et de réfléchir aux modalités de contribution des collectivités territoriales au redressement des comptes publics.

(2) Un manque de lisibilité sur l'évolution des charges des collectivités et une approche centrée sur le contrôle de leurs dépenses

Les élus locaux entendus par la commission d'enquête ont exprimé un besoin accru de visibilité et prévisibilité s'agissant de la structure des recettes des collectivités territoriales et de l'évolution de leurs charges. Le manque de lisibilité des évolutions en matière de finances locales complexifie, en effet, la gestion pluriannuelle des investissements des collectivités et contribue à l'érosion, mentionnée précédemment, du lien de confiance avec l'État.

En ce sens, la « contractualisation pluriannuelle » pourrait constituer un outil pertinent de planification, à condition, comme l'a rappelé André Laignel, qu'elle ait « lieu entre des partenaires égaux » et que les collectivités ne soient pas considérées comme « des sous-traitants »86(*). Or, les élus locaux manifestent aujourd'hui une certaine méfiance à l'égard de la contractualisation, tant les « contrats de Cahors »87(*) ont suscité un rejet important (voir supra).

Aussi, le rapport de 2023 du groupe de travail de la présidence du Sénat sur la décentralisation a-t-il estimé que « plutôt que de donner aux collectivités la visibilité dont elles ont besoin, l'État s'est plutôt attaché à contraindre leurs dépenses de fonctionnement, au travers des précédentes lois de programmation des finances publiques (LPFP), indépendamment de toute analyse de l'évolution de leurs charges, d'abord par la baisse unilatérale de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur la période 2014-2018 puis avec les léonins "contrats de Cahors" »88(*).

Le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027 prévoyait initialement89(*) un nouveau mécanisme de contractualisation entre l'État et les collectivités90(*), dans la lignée des contrats « de Cahors ». Le Sénat avait supprimé, en première lecture91(*), ces dispositions relatives au contrôle de la trajectoire des finances des collectivités territoriales, les jugeant « à la fois illégitimes et superflues »92(*).

Dans un contexte de recours croissant à la fiscalité partagée, la détermination commune d'un cadrage pluriannuel partagé entre l'État et les collectivités territoriales apparaît d'autant plus nécessaire. En effet, le défaut d'information des collectivités territoriales en amont du dépôt des projets de loi de finances (PLF) et lors des réformes de la fiscalité locale entrave la capacité à élaborer des réformes consensuelles et adaptées aux réalités locales.

Il importe à cet égard d'assurer une information plus transparente, complète et structurée93(*) des collectivités, notamment s'agissant des transferts de l'État aux collectivités, y compris, souligne la Cour de comptes, « le détail des fractions de TVA ayant pour objet de compenser des suppressions d'impôts locaux (taxe d'habitation sur les résidences principales et CVAE) »94(*).

Favorable à l'instauration d'un cadre pluriannuel des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales, le Sénat s'est toutefois opposé à la création d'une loi annuelle de financement des collectivités, en rejetant, le 6 avril 2023, la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences95(*). Jugeant un tel véhicule financier inapte, en tant que tel, à renforcer l'autonomie financière des collectivités, la rapporteure, Agnès Canayer, avait en outre mis en exergue « le risque de confier à l'État un nouvel outil à sa main pour réglementer les finances des collectivités territoriales »96(*), avec la crainte qu'il ne s'agisse, in fine, que d'un instrument supplémentaire de recentralisation financière.

(3) L'insuffisante association des élus locaux aux décisions d'attribution des dotations

L'État apporte un soutien financier aux projets des collectivités territoriales au travers des quatre principales dotations d'investissement que sont la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), la dotation politique de la ville (DPV) et la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) ; à celles-ci s'ajoute désormais le « Fonds vert », introduit en 2023 et destiné à soutenir le financement de projet de transition écologique dans les territoires.

Le Sénat dénonce régulièrement le fait que les collectivités ne soient pas, ou seulement de façon marginale, associées aux procédures d'octroi des dotations, qui relèvent pour l'essentiel de la décision du préfet de région ou de département. Cette situation conduit certains élus à considérer, à l'instar d'André Laignel, que ces « dotations d'investissement ne sont en effet pas forcément là pour [les] aider, mais pour [leur] faire mettre en oeuvre les politiques que l'État a déterminées »97(*).

À cet égard, le rapport de 2023 du groupe de travail de la présidence du Sénat sur la décentralisation regrettait que « [dans] les années récentes, de surcroît, les dotations d'investissement de l'État tendent à être de plus en plus "fléchées" vers les priorités de l'État, formalisées dans le cadre d'initiatives partenariales - telles que "Action coeur de ville" ou encore "Petites villes de demain" - ou contractuelles - telles que les contrats de relance et de transition écologique [CRTE] ». Or, cette « priorisation des programmes nationaux se fait parfois au détriment des spécificités des besoins locaux identifiés par les élus »98(*) locaux.

Pour autant, ce sont bien les collectivités qui disposent de la connaissance la plus fine des besoins de leurs territoires. La procédure d'attribution de la DETR se singularise d'ailleurs par l'existence d'une commission prévue par l'article L. 2434-37 du code général des collectivités territoriales. Instituée auprès du préfet de département, elle est chargée de déterminer, chaque année, les catégories d'opérations prioritaires et les taux minimum et maximum de subvention afférents et d'émettre un avis sur les projets pour lesquels le préfet envisage d'octroyer une subvention de plus de 100 000 euros. Sous l'impulsion du Sénat, la loi de finances pour 2024 a complété l'article précité pour obliger le préfet à porter à la connaissance de la commission, non seulement la liste des opérations qu'il a retenues, mais également « la liste des opérations faisant l'objet, au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux, d'une demande de subvention dont le dossier a été déclaré complet et recevable »99(*).

À cela s'ajoutent les grandes difficultés rencontrées par certains élus lors de la constitution des dossiers de subvention. Bertrand Hauchecorne, représentant l'Association des maires ruraux de France (AMRF), a indiqué, lors de son audition, constater que les communes très rurales déposent peu, voire pas du tout, de dossiers de demande de financement, ce qui tend à accroître les inégalités entre les territoires. De ce fait, « de nombreux maires des communes rurales se voient contraints de solliciter des cabinets d'études pour mener à bien ces dossiers »100(*).

Le manque d'association des élus locaux nuit également à la prévisibilité du montant des dotations, laquelle génère parfois de l'incompréhension voire un sentiment d'amertume. La réduction drastique du « Fonds vert », amputé de 1,5 milliard d'euros en 2025, constitue un exemple topique de ce type de situation. D'après Daniel Cornalba, représentant de l'Association des petites villes de France (APVF), le Gouvernement ayant « annoncé l'augmentation du Fonds vert comme une perspective durable et pérenne, [avec l'objectif] d'offrir une visibilité aux décideurs publics locaux, comparable à celle dont ont besoin les acteurs économiques, d'où le montant de 2,5 milliards à l'époque », sa réduction « a été très mal perçue dans les territoires »101(*).

b) Pour des instances de gouvernance renouvelées qui associent pleinement les élus locaux aux décisions financières qui les concernent
(1) La mise en place d'une instance nationale d'évaluation et de dialogue pour définir des orientations partagées des finances locales.

Afin d'approfondir le dialogue financier entre l'État et les collectivités territoriales et de lui conférer un nouveau souffle, la commission d'enquête recommande une refonte du cadre actuel de gouvernance, par la création d'une nouvelle instance dotée de prérogatives renforcées.

Baptisée « Conseil d'orientation des finances locales », cette nouvelle instance de concertation réunirait des représentants de l'État et des différentes strates de collectivités territoriales afin de constituer un cadre de dialogue régulier, dans une perspective pluriannuelle.

(a) Une architecture institutionnelle et une composition destinées à assurer une représentation équilibrée des différents acteurs et un haut niveau d'expertise

Le « Conseil d'orientation des finances locales » aurait vocation à se substituer à la fois au comité des finances locales (CFL) et à l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL) qui seraient dotés de moyens et de compétences renforcées.

Il serait composé de représentants des différentes strates de collectivités territoriales, de représentants de l'État ainsi que de parlementaires. Par rapport au CFL, la composition de sa formation plénière serait ajustée pour assurer une représentation plus équilibrée des différentes strates.

Le Conseil pourrait alors être composé de :

- parlementaires ;

- représentants de collectivités locales de plein exercice ;

- représentants d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ;

- représentants de l'État (issus de différents ministères, à commencer par le ministère de l'économie et des finances, le ministère de l'intérieur et le ministère de la décentralisation).

Le principe de l'élection des membres représentants des différents échelons de collectivités territoriales au sein de collèges organisés par strate serait maintenu pour asseoir la légitimité du Conseil d'orientation des finances locales, qui serait doté de prérogatives étendues (voir infra).

Un dialogue entre l'État et les collectivités plus structuré à l'étranger

En Allemagne, un conseil de coordination inscrit dans la Constitution permet de partager les objectifs de soutenabilité des finances publiques. Le Stabilitätsrat réunit ainsi deux fois par an le ministre fédéral des finances avec ses homologues de chaque Land. Cette instance permet de diffuser largement les hypothèses économiques nationales, en vue de l'élaboration des prévisions budgétaires des différents sous-secteurs. Par ailleurs, celui-ci est chargé, à travers ses conclusions, d'entériner des engagements partagés et publics des soldes budgétaires du gouvernement fédéral et des seize Länder. Enfin, plusieurs fois par an, des comités organisent la surveillance de l'exécution budgétaire de l'ensemble des administrations publiques pour s'assurer de l'atteinte des objectifs publiés.

En Suède, le pilotage des finances locales s'inscrit dans le cadre plus large des finances publiques : un accord transpartisan a été renforcé en juin 2016 pour assurer la soutenabilité et la transparence de la politique de finances publiques. Dans ce cadre global, les collectivités locales doivent adopter des orientations pour une bonne gestion de leurs finances avec une obligation depuis 2000 de budget équilibré (en cas de déficit constaté lors de l'exécution budgétaire, la collectivité doit restaurer sa situation nette au cours des trois années suivantes).

En Espagne, le Conseil de politique financière et fiscale (CPFF) est composé du ministre de l'économie et des finances, du ministre des administrations publiques et des conseillers aux finances de chaque Communauté. Cette instance est chargée, en rendant des avis ou des rapports, d'assurer la coordination de la politique budgétaire de l'État et des Communautés et plus largement de leurs activités financières respectives (article 3 de la loi organique du 22 septembre 1980 pour le financement des Communautés autonomes - LOFCA). En parallèle, le Conseil supérieur pour la direction et la coordination de la gestion fiscale, composé de représentants de l'administration fiscale étatique et des administrations fiscales autonomiques, est en charge de coordonner la gestion des impôts cédés par l'État aux Communautés autonomes, notamment de faire des propositions pour coordonner les politiques normatives sur ces impôts (article 65 de la loi 22/2009).

En Italie, le principe de collaboration loyale prend la forme de conférences multilatérales, notamment la Conférence État-régions composée du président du conseil ou du ministre des affaires régionales, des présidents des régions et provinces autonomes. Élargie aux représentants des communes, la Conférence est alors dite « unifiée » et c'est en son sein que siège la Conférence permanente pour la coordination des finances publiques (article 33-37 du décret-loi n° 68 du 6 mai 2011). Les accords qui en sont issus traduisent une « coordination dynamique des finances publiques » et cette coopération institutionnelle a également un impact normatif : le défaut de consultation des conférences peut entraîner la censure de dispositions et à l'inverse, l'État peut « imposer » aux collectivités « des contraintes sur leurs politiques budgétaires, même si elles se traduisent, inévitablement, dans des limitations indirectes de l'autonomie de dépenses de ces entités »102(*).

Source : commission des finances du Sénat

(b) Un rôle de production de données financières et d'élaboration de trajectoires pluriannuelles des finances locales
(i) Un rôle d'expertise et de production de données financières permettant un diagnostic partagé sur les finances locales

Le Conseil d'orientation des finances locales serait chargé de produire des données fiables sur les finances locales, à commencer par un état des lieux annuel ainsi que d'éventuelles études spécifiques en fonction des enjeux identifiés et des évolutions envisagées en matière de financement des collectivités territoriales.

L'objectif réside dans l'établissement d'un diagnostic partagé des finances locales s'appuyant sur des données incontestables, condition sine qua non d'une gouvernance réussie. Il s'agit de dépasser la logique de « confrontation » et de « bataille des chiffres » précédemment mentionnée, afin de définir de façon concertée des orientations pluriannuelles (voir infra). Il s'agit également d'assurer l'adéquation, à moyen terme, des ressources des collectivités à l'évolution prévisionnelle de leurs dépenses de fonctionnement, laquelle fait parfois défaut en raison, le plus souvent, d'absence de données et de prévisibilité.

À cet effet, il conviendrait de doter cette nouvelle instance de moyens et d'une expertise de haut niveau, garantissant l'objectivité et la fiabilité de ses analyses. Elle devrait ainsi disposer de services et capacité de commander des études, assortis d'un budget adéquat pour conduire ses missions d'expertise et d'analyse.

(ii) Un rôle de définition d'une trajectoire pluriannuelle et une mission de répartition des recettes locales

Sur la base du diagnostic partagé fondé sur les données financières produites par l'instance, serait définie, de façon concertée entre l'État et les collectivités territoriales, une trajectoire pluriannuelle des finances locales.

La nouvelle instance serait ainsi associée à l'élaboration de la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Comme l'a déjà recommandé le Sénat, il s'agira de « renverser la logique présidant actuellement à la conception des projets de LPFP, en faisant de ces dernières non pas un outil de contrainte sur les budgets locaux, mais bien un instrument d'accompagnement, en prévoyant une trajectoire de ressources reposant sur une analyse approfondie de l'évolution prévisionnelle de leurs charges et permettant de donner aux élus la visibilité dont ils ont besoin »103(*).

L'objectif premier de cette concertation consisterait à assurer la prévisibilité et la lisibilité des recettes locales, indispensables pour garantir aux collectivités de bonnes conditions pour investir.

Dans cette optique, la LPFP pourrait définir, pour la durée de la programmation, les règles et les modalités de répartition et d'attribution des impôts nationaux partagés.

La nouvelle instance serait ainsi chargée de veiller au respect des principaux fondamentaux du financement des collectivités territoriales, tels que l'équilibre des finances locales, la compensation financière des transferts et extensions de compétences ainsi que le suivi des effets des réformes et suppressions de la fiscalité locale.

Dans l'enquête qu'elle a réalisée en 2022 à la demande de la commission des finances du Sénat sur le financement des collectivités territoriales, la Cour des comptes a plus spécifiquement proposé de mettre en place des « clauses de rendez-vous » sur les critères de partage d'impôt nationaux, par exemple sur la durée de la période de programmation des finances publiques, adossées à « un suivi de la correcte compensation des transferts de compétences en vertu de l'article 72-2 de la Constitution104(*).

La commission d'enquête propose, dans cette perspective, de confier à la nouvelle instance de gouvernance un rôle essentiel dans le cadre de la procédure de réexamen des compensations financières liées aux transferts de compétences qui serait mise en place conformément à la recommandation n° 4.

Aussi, sur la base des évaluations et des trajectoires élaborées en concertation avec les collectivités territoriales, le Conseil d'orientation des finances locales assurerait le suivi de l'évolution des charges et proposerait au Gouvernement et au Parlement des mesures destinées à ajuster les ressources attribuées aux collectivités territoriales au regard des charges actualisées qu'elles supportent au titre des compétences concernées.

In fine, comme le souligne la Cour des comptes, « une meilleure connaissance des charges des collectivités est également indispensable pour assurer une répartition équitable des ressources »105(*).

(c) Une association de la nouvelle instance à l'élaboration du projet de loi de finances

L'intervention du nouveau « Conseil d'orientation des finances locales », qui a vocation à devenir une instance permanente de concertation entre l'État et les collectivités territoriales, devra s'intégrer pleinement dans le calendrier budgétaire.

Afin de mieux structurer le dialogue État-collectivités, la consultation de l'instance devrait intervenir dès le premier semestre de l'année, afin que les collectivités territoriales puissent véritablement être associées à la préparation du projet de loi de finances (PLF) pour les mesures qui les concernent, ainsi qu'à celle du débat d'orientation des finances publiques (DOFP) pour lui conférer une dimension pluriannuelle.

Les bonnes pratiques à l'étranger

La question de la production et de l'analyse de données financières est une question récurrente dans les pays analysés par la Cour. Ces données sont en effet essentielles pour arriver à trouver des consensus entre État et collectivités locales sur des sujets complexes voire conflictuels, mais également dans un souci de transparence à l'égard des citoyens. Les données peuvent également être produites dans une logique d'accompagnement des élus dans la gestion des budgets locaux. Plusieurs pratiques étrangères intéressantes peuvent ainsi être citées :

En Italie, l'observatoire sur la finance et la comptabilité des collectivités locales, placé auprès du ministère de l'intérieur est comparable à l'OFGL. Il est notamment chargé de fournir des analyses sur la correcte application des principes comptables des collectivités et de suivre la situation financière de ces dernières. Il est composé de 20 membres nommés pour trois ans dont un magistrat de la Cour des comptes (président), le directeur central pour les finances locales (vice-président), des représentants de divers ministères (intérieur, économie, affaires régionales), des représentants des collectivités locales et des experts de la société civile (experts comptables, chercheurs universitaires notamment). Il exprime des avis, propositions et orientations. Par ailleurs, un portail « open civitas » a été conçu pour mettre en ligne des données des municipalités, provinces et partager la comparaison entre niveaux de dépenses des collectivités.

Aux Pays-Bas, l'État et les municipalités ont conclu un accord pour la mise en place, en 2020, d'un outil de benchmarking de la fiscalité municipale. Cet outil est géré par le Centre de recherche de l'économie des collectivités locales (COELO), rattaché à l'université de Groningue, et vise à renforcer la transparence de la fiscalité locale et améliorer la comparabilité entre municipalités.

En Belgique, les pouvoirs locaux wallons sont équipés d'un outil public gratuit d'analyse informatisée de leurs finances, déployé dans le cadre du Plan « e-comptes ». Il permet notamment de produire dans toutes les administrations, une Base de données comptables standardisées (BDCS) via un logiciel financier unique et gratuit, développé par des fonctionnaires locaux.

Source : commission des finances du Sénat

L'analyse des exemples étrangers montre que trois étages sont indispensables pour aboutir non seulement à un diagnostic partagé, mais aussi à des pistes d'amélioration consensuelles : la production de données de qualité, l'analyse objective de ces données, et la capacité à en tirer des orientations voire des recommandations. La France parait encore éloignée de ce triple objectif pour le suivi des finances publiques locales.

En amont, les discussions sur les orientations en matière de finances locales pourraient, en se référant à la trajectoire pluriannuelle définie en commun dans la LPFP, favoriser l'émergence de consensus sur les crédits à inscrire dans le PLF et les ajustements de la fiscalité locale à opérer.

S'appuyant sur l'enquête réalisée en 2022 par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances du Sénat sur le financement des collectivités territoriales, la commission d'enquête recommande de doter la nouvelle instance de pouvoirs d'avis sur les textes financiers. Dans certains cas, il pourrait s'agir d'un pouvoir décisionnel, notamment s'agissant de certains critères de répartition des impôts nationaux et de certaines dotations.

Recommandation n° 5 : créer un Conseil d'orientation des finances locales chargé de produire des données et des analyses de référence pour encadrer les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales, définir des trajectoires pluriannuelles et assurer le suivi de l'adéquation des recettes locales à l'évolution des charges des collectivités (législateur et Gouvernement).

(2) La création de conférences territoriales représentatives de chaque strate de collectivités territoriales

Parallèlement, le dialogue au sein de chaque strate de collectivités gagnerait à être développé et mieux structuré. À cette fin, la commission d'enquête recommande la création, au sein du nouveau « Conseil d'orientation des finances locales », de conférences territoriales représentatives de chaque niveau de collectivités territoriales.

Seraient ainsi rattachées au Conseil d'orientation des finances locales : une « conférence des finances régionales », une « conférence des finances départementales » et une « conférence des finances du bloc communal ».

Ces conférences par niveau de collectivités auraient particulièrement vocation à intervenir dans la phase postérieure à l'adoption de la loi de finances initiale. Elles seraient alors chargées de définir, à l'échelle de la strate qu'elles représentent, une méthode et des critères de répartition des fractions d'impôts nationaux affectés.

Elles pourraient également être dotées d'un pouvoir décisionnel en matière de répartition des dotations de l'État au sein de chaque niveau de collectivités, de façon à renforcer l'efficacité et la légitimité des mécanismes de péréquation horizontale. Inscrire dans la durée un tel dialogue par strate de collectivités permettrait, en effet, via la reconnaissance aux conférences d'un pouvoir pour déterminer le niveau et les règles de partage des montants péréqués, une meilleure appropriation de ces outils par les collectivités et les élus concernés.

Recommandation n° 6 : créer des conférences territoriales décisionnaires de haut niveau entre l'État et chaque strate de collectivités territoriales, compétentes pour fixer les critères de répartition des dotations de l'État et des impôts nationaux partagés.

*

Simultanément confrontées à un « mur d'investissements » en matière de transition écologique et à la dégradation tendancielle de leur situation financière, les collectivités territoriales risquent, à cadre constitutionnel constant, de subir une aggravation de leur perte d'autonomie financière.

En effet, la commission d'enquête a identifié, au cours de ses travaux, le risque que la transition écologique, au lieu de constituer une politique coconstruite et conduite au plus près de la réalité des territoires, ne devienne un facteur supplémentaire de recentralisation financière à travers une planification verticale et contraignante, définie par l'État de façon unilatérale.

Sur le plan juridique, il n'est pas à exclure, en l'absence d'adoption des recommandations de niveau constitutionnel formulées par la commission d'enquête, que l'objectif de transition écologique soit, à l'avenir, mobilisé de façon croissante à l'appui des contrôles de constitutionnalité pour valider de nouvelles atteintes au principe de libre administration résultant de la loi.

À l'inverse, les enjeux d'atténuation du changement climatique et d'adaptation doivent constituer un levier de renforcement des marges de manoeuvre des collectivités, qui seront et sont déjà en première ligne pour conduire la transition.

* * *

II. DES PISTES POUR RENDRE UNE CAPACITÉ D'ACTION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Comment les collectivités territoriales peuvent-elles être à la hauteur des défis auxquels elles se trouvent confrontées, alors que leur marge de manoeuvre est continûment rognée par des dépenses sans cesse plus contraintes et que leurs recettes sont toujours plus surdéterminées par l'État ?

Les collectivités territoriales sont censées être des piliers du développement local. À travers leurs nombreux investissements, elles favorisent le développement et le fonctionnement des services publics locaux et ont un rôle prépondérant à jouer pour préparer les territoires notamment en matière de transition écologique et d'adaptation au changement climatique. Elles jouent ainsi un rôle central en matière de rénovation énergétique des bâtiments, de développement des transports en commun, de préservation des terres agricoles et des espaces naturels, de gestion de l'eau et des déchets. Pourtant, faute de moyens suffisants et d'une autonomie financière réelle, elles peinent à assumer ces responsabilités, alors même que le climat s'emballe, que les catastrophes se multiplient et que le mur d'investissements indispensables grandit.

Face à cette situation alarmante, il était impératif de mener une réflexion approfondie sur les causes de l'érosion des ressources des collectivités et sur les conséquences de cette dépendance croissante vis-à-vis des décisions nationales.

Il était tout aussi indispensable de dresser un bilan des besoins et des modalités de financement utilisables pour atteindre des objectifs souvent fixés par le Gouvernement.

A. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES FONT FACE À UN MUR D'INVESTISSEMENTS, CHIFFRÉ AVEC UNE PRÉCISION CROISSANTE

Il était frappant de constater à quel point l'image d'un « mur d'investissements » à anticiper à très court terme pour les collectivités territoriales a constitué une expression récurrente des auditions menées par la commission d'enquête.

Ces investissements sont principalement liés au maintien, par les collectivités, des services publics de proximité qu'elles assurent actuellement, ainsi qu'à l'adaptation de leur patrimoine et de leurs infrastructures aux conséquences déjà visibles du dérèglement climatique.

Comme le souligne l'association de collectivités Amorce lors de son audition par la commission d'enquête : « La suppression progressive de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales les place dans une situation de dépendance vis-à-vis des dotations de l'État, les réduisant parfois à un rôle de prestataire devant attendre des financements de l'État pour le recrutement d'agents et la mise en oeuvre d'une ingénierie dédiée à la transition écologique et, plus largement, de l'ensemble des services publics dont elles ont la maîtrise. Cette situation est aggravée par un budget 2025 très inquiétant, avec des réductions significatives dans des domaines cruciaux comme le Fonds vert, les budgets de l'Agence de la transition écologique (ADEME) pour l'économie circulaire, ou encore MaPrimeRénov'. »

Par ailleurs, le respect des trajectoires nationales de réduction des émissions carbonées repose largement sur les investissements attendus des collectivités en matière de transition écologique.

Là encore le ton est donné par l'audition d'Amorce : « Nous constatons également une contradiction croissante entre les travaux menés au niveau du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), des Conférences des Parties régionales (COP), et ce qui est effectivement prévu dans le budget 2025. Par exemple, la Programmation pluriannuelle de l'énergie en consultation (PPE 3) prévoit une augmentation des réseaux de chaleur, mais le Fonds chaleur n'augmente pas cette année, et son budget est déjà entièrement consommé. Ainsi, tous projets envisagés à fin 2024 ne pourront être financés. »

1. Le maintien de services publics de proximité nécessite des investissements significatifs

L'entretien des équipements publics et infrastructures locaux stratégiques tels que les réseaux d'eau et d'assainissement ou les ouvrages d'art représente des investissements massifs. Toutefois, comme le relèvent les sénateurs Chaize et Dagbert à propos des ponts dans leur rapport d'information de 2019 « Sécurité des ponts : éviter un drame », assurer un tel niveau d'investissements implique une stabilité dans les ressources et la protection des collectivités face aux effets économiques contracycliques tels que l'austérité budgétaire. Cependant, face à un constat d'investissements « fluctuants » voire de sous-investissements chroniques dans les ouvrages d'art communaux, le besoin de rattrapage est parfois si colossal que la sécurité des personnes et des biens se trouve dans une situation critique. Les sénateurs citent par exemple M. Charles-Éric Lemaignen, alors premier vice-président de l'Assemblée des communautés de France : à la question « comment en est-on arrivés là ? », celui-ci a ainsi déclaré : « Nous avons attiré l'attention sur l'effondrement de l'investissement des collectivités locales à compter de 2014, et en particulier sur ce qui ne se voit pas. L'entretien des routes, des ouvrages d'art et des réseaux fait partie des thématiques qui ont été les plus " zappées ", à la suite de la baisse brutale des dotations de nos collectivités locales due à la crise financière ».

a) Les investissements publics sont majoritairement portés par les collectivités territoriales

Les dépenses locales d'équipement, soit les investissements dont les collectivités territoriales assurent la maîtrise d'ouvrage, représentent plus de 60 milliards d'euros, selon les dernières données disponibles de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL). Ces montants font des collectivités territoriales le premier investisseur public, à hauteur de 64 % du total des investissements des administrations publiques (hors dépenses militaires), dont les deux tiers sont portés par les services de proximité assurés par le bloc communal.

Dépenses locales d'équipement par échelon territorial

Échelon territorial

Dépenses d'équipement consolidées (budget principal + budgets annexes) en 2023

Évolution entre
2019 et 2023

Bloc communal

40,5 Md€

+ 8,6 %

Départements

8,21 Md€

+ 26,5 %

Régions et CTU

4,12 Md€

+ 21,8 %

Total collectivités hors syndicats publics locaux

53 Md€

+ 12,8 %

Total collectivités y compris syndicats publics locaux

60,82 Md€

+ 12,0 %

Source : Observatoire des finances et de la gestion publique locales,

Rapport sur les finances des collectivités locales - édition 2024, juillet 2024.

Le niveau d'augmentation constaté entre 2019 et 2023 peut s'expliquer en partie par l'inflation et ses conséquences sur l'augmentation des coûts d'entretien du patrimoine public local et de maintien des services publics locaux : l'OFGL relève ainsi la contribution significative de l'effet « prix » sur les dépenses d'investissements constatées en 2022 et 2023, dont la hausse la plus importante est répercutée sur les dépenses d'équipements.

b) Les collectivités territoriales assurent des services publics locaux diversifiés, dont le maintien en état nécessite des investissements conséquents

Selon les estimations de l'Inspection générale des finances106(*), le maintien en état du patrimoine public local, évalué à 1 948 milliards d'euros, nécessite un investissement global annuel de l'ordre de 40 milliards par an, auquel s'ajoute le maintien des services publics locaux qui relèvent de la compétence des collectivités concernées : soit, pour l'ensemble des collectivités, 38 % consacrés aux transports et aux équipements scolaires.

Classification fonctionnelle de certaines dépenses d'équipement
des collectivités territoriales

Échelon territorial

Transports

Équipements scolaires

Bloc communal

21 %

11 %

Départements

40 %

19 %

Régions

15 %

74 %

Total

24 %, soit 16,3 Md€

14 %, soit 9 Md€

Source : Observatoire des finances et de la gestion publique locales,

Rapport sur les finances des collectivités locales - édition 2024, juillet 2024.

Au-delà des dépenses d'équipement nécessaires au maintien des services publics locaux et du patrimoine public local à leur niveau actuel, des travaux récents du Sénat107(*) tels que le rapport « Sécurité des ponts : éviter un drame » de Patrick Chaize et Michel Dagbert ont permis de prendre la mesure du mur d'investissements représenté par le rattrapage du retard pris dans la rénovation d'équipements locaux stratégiques tels que les ouvrages d'art communaux. En ce qui concerne ces derniers, le besoin de rattrapage a été estimé en 2019  entre 110 et 120 millions d'euros annuels dès 2020 et pour au moins 10 ans - quand la moyenne des dépenses concernées dans les années 2010 était plutôt de l'ordre de 45 millions annuels.

Des estimations complémentaires du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) datées de mai 2025108(*) estiment, en extrapolant à l'échelle nationale les résultats de 29 354 ouvrages communaux recensés via le « Programme Ponts », qu'un rattrapage de près de 2 milliards d'euros serait nécessaire pour remettre à niveau les ouvrages dégradés (études et travaux), dont plus de 400 millions d'euros pour les ouvrages nécessitant une action immédiate suite à des désordres graves de structures.

Une autre illustration de mur d'investissements représenté par la remise en état d'équipements locaux d'intérêt stratégique a été relevée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) lors de son audition par la commission d'enquête le 10 juin 2025 : « dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, les collectivités font face à un déficit d'investissement dans les infrastructures de 4,6 milliards d'euros. Les aides des agences de l'eau en faveur des mesures territoriales (restauration des milieux, biodiversité, protection de la ressource) progressent, passant de 16 % en 2013 à 29 % en 2022, mais restent insuffisantes ».

c) Un exemple emblématique de « mur d'investissements » : garantir des services publics locaux universellement accessibles

L'adaptation du patrimoine ancien au défi de l'accessibilité universelle des services publics locaux constitue un autre exemple emblématique du « mur d'investissements » auquel font face les collectivités territoriales. Ce défi immense et sans cesse reporté, plusieurs fois mentionné par les associations d'élus locaux, a été en particulier mis en avant par les élus de la Ville de Lyon rencontrés lors d'un déplacement effectué par la commission d'enquête. Comme détaillé par Sylvain Godinot, adjoint à la transition écologique et au patrimoine, « l'impératif d'accessibilité universelle de nos services publics municipaux conduit à une explosion des coûts de maintien en l'état de notre patrimoine bâti ancien »109(*) (voir encadré ci-après).

Accessibilité universelle des bâtiments publics :
une exigence pressante et colossale

La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dite « Loi Handicap », crée le principe de l'accessibilité aux personnes en situation de handicap du cadre bâti et en particulier des bâtiments publics et des établissements recevant du public (ERP) en général en tant que composante emblématique de la vie en société et au « plein exercice de la citoyenneté ».

La loi de 2005 fixe l'obligation d'accessibilité au 1er janvier 2015 pour les ERP.

Un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable, de l'Inspection générale des affaires sociales et du Contrôle général économique et financier, daté d'octobre 2011, avait constaté que l'échéance du 1er janvier 2015 pour la mise en conformité des ERP aux normes d'accessibilité ne pouvait pas être tenue : cette impossibilité résulte avant tout de l'ampleur considérable des travaux à réaliser.

Prenant acte de cette impossibilité, une ordonnance du 26 septembre 2014 (ratifiée par la loi 2015-988 du 5 août 2015) avait simplifié et explicité les normes d'accessibilité. Elle avait également instauré les Agendas d'Accessibilité Programmée (Ad'AP). Obligatoire pour tous les ERP, ce dispositif permet d'obtenir un délai supplémentaire de 3 à 9 ans pour réaliser les travaux d'accessibilité.

Selon les chiffres de la Conférence nationale du handicap de 2023 (CNH 2023), seulement 900 000 ERP sont engagés dans une mise en accessibilité sur près de 2 millions. En ce qui concerne les chiffres évoqués alors pour le patrimoine bâti du bloc communal, 20 % des services publics municipaux n'étaient toujours pas engagés dans un agenda d'accessibilité programmée en 2023.

La mise en accessibilité des bâtiments de l'État, des opérateurs publics et de la sécurité sociale doit être finalisée d'ici à 2027.

Source : rapport interministériel, les modalités d'application des règles
d'accessibilité du cadre bâti pour les personnes handicapées, octobre 2011.

L'enjeu financier de l'accessibilité universelle des services publics locaux avait été chiffré à 17 milliards d'euros par les travaux du sénateur Éric Doligé relatifs aux normes applicables aux collectivités territoriales110(*). Ces travaux avaient également estimé le surcoût moyen à anticiper pour chaque type d'ERP local.

Échelon

Nombre d'ERP

Surcoût moyen par ERP

(hors taxes)

Enjeux financiers

Bloc communal

> 3 000 habitants

114 160 ERP

73 000 €

8,337 Md€ HT

Communes de moins de 3 000 habitants

183 670 ERP

10 775 €

1,979 Md€ HT

Départements

13 000 ERP

170 000 €

2,210 Md€ HT

Régions

2 000 ERP

226 000 €

454 M€ HT

Total TTC

16,815 Md€ TTC

La difficulté financière et opérationnelle dans laquelle se trouvent les collectivités territoriales pour garantir la pleine accessibilité de leurs équipements constitue, selon Boris Ravignon, auditionné par la commission d'enquête en tant que vice-président d'Intercommunalités de France111(*), un obstacle budgétaire, mais aussi politique et éthique envers les usagers concernés : « les agendas d'accessibilité programmée (Adap) [constituent] autant d'épées de Damoclès, car ils ne sont que partiellement mis en oeuvre : cela crée une dette morale à l'égard d'engagements nationaux sur le handicap ».

L'agenda d'accessibilité programmée de la Ville de Lyon

La stratégie d'accessibilité des bâtiments municipaux lyonnais constitue un chantier de 2,7 millions d'euros annuels, « soit le double par rapport au mandat précédent » comme l'ont détaillé à la commission d'enquête Audrey Hénocque, adjointe aux finances et Sylvain Godinot, adjoint à la transition écologique et au patrimoine.

« Lorsque nous avons pris nos fonctions en 2020, 11 % des bâtiments municipaux étaient accessibles aux personnes en situation de handicap, aujourd'hui, nous sommes à environ 30 % et nous maintenons l'objectif de 50 % d'ici la fin du mandat » ont présenté les élus.

En 2023, 13 chantiers de mise en accessibilité ont été réalisés pour un montant de 590 000 euros, avec à chaque fois trois priorités : l'accessibilité des entrées, celle des accueils et l'accès aux prestations des services publics.

2. Les effets du dérèglement climatique nécessitent des investissements locaux massifs

Depuis plus de vingt ans, les collectivités territoriales sont en première ligne de manifestations de plus en plus visibles du dérèglement climatique et de la multiplication d'événements météorologiques extrêmes : le Sénat se fait le relai de cette préoccupation croissante des élus locaux afin de la porter dans le débat public, notamment depuis le rapport d'information des sénateurs Roux et Dantec de 2019 sur « l'adaptation de la France aux dérèglements climatiques à horizon 2050 ».

a) Les collectivités territoriales sont en première ligne des risques climatiques

Les risques environnementaux auxquels sont exposées les collectivités territoriales sont de plus en plus marqués et de moins en moins exceptionnels, comme l'attestent les données du rapport annuel du Ministère de la Transition écologique sur les chiffres clés relatifs aux risques naturels. Ainsi, la sinistralité liée aux catastrophes naturelles est en forte hausse depuis 2016. Parallèlement, alors que les inondations constituaient, jusqu'en 2010, la principale cause des dégâts indemnisés, les sécheresses et les canicules ont tendance à devenir le phénomène le plus coûteux aujourd'hui.

La tendance à la multiplication d'événements climatiques d'ampleur devrait se poursuivre dans les années à venir, voire s'accentuer. Cela concerne en particulier les risques de submersion marine, les aléas en montagne, les feux de forêt, les précipitations intenses et les cyclones, selon les perspectives dressées par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC)112(*).

Les effets déjà perceptibles du dérèglement climatique se traduisent par une sinistralité accrue des collectivités locales sur le plan humain, matériel et financier. En particulier, les scénarios d'impacts financiers des risques climatiques à horizon 2050 cités par les travaux de mars 2024 du sénateur Jean-François Husson sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales113(*) dressent la perspective d'un surcoût conséquent lié aux impacts du dérèglement climatique : + 215 % en ce qui concerne les sécheresses et les canicules, + 87 % en ce qui concerne les inondations, et + 46 % pour les tempêtes.

b) Le coût de l'adaptation des collectivités territoriales constitue un impensé

L'adaptation au changement climatique peut être définie comme un processus d'ajustement face aux évolutions climatiques actuelles et futures ainsi qu'aux effets qu'elles entraînent.

Selon les termes du dernier rapport à date de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable sur le sujet, « il est essentiel d'intégrer le fait que l'adaptation nécessite des financements adéquats, des ressources humaines et techniques, ainsi qu'une coordination entre les différents niveaux de gouvernance et les parties prenantes114(*) ».

Lors de son audition devant la commission d'enquête115(*), l'ancien secrétaire général à la planification écologique (SGPE), Antoine Pellion, a reconnu la difficulté pour l'État de disposer d'estimations précises des investissements supplémentaires à engager pour adapter le territoire aux conséquences du dérèglement climatique : « des cinq volets de la planification écologique116(*), l'adaptation des territoires constitue celui que nous sommes le moins capables de chiffrer. »

De fait, selon les méthodologies retenues et les projections climatiques étudiées, les estimations du surcoût de l'adaptation pour les collectivités territoriales sont susceptibles de varier fortement, avec par exemple un ordre de grandeur estimatif de 3 milliards d'euros d'investissements locaux supplémentaires par an d'ici 2030 selon le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz de 2023117(*).

Le 3e Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC 3)

Le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) constitue la stratégie française visant à anticiper et à limiter les impacts du changement climatique sur le territoire national. Conçu pour structurer et harmoniser les politiques d'adaptation, il s'inscrit dans un cadre évolutif, actualisé périodiquement afin d'intégrer les avancées scientifiques et les nouvelles priorités politiques.

Ce texte constitue avec la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC 3) et la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE 3) l'un des trois piliers de la Stratégie française de l'énergie et du climat (SFEC). Il a été adopté en mars 2025 après trois ans de concertations et de consultations.

En ce qui concerne le statut juridique de ce texte : le PNACC est prévu par l'article 42 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement118(*). Il repose principalement sur des orientations stratégiques et des recommandations, qui influencent la réglementation sectorielle, mais n'imposent pas d'obligations directes aux acteurs publics ni privés. Il a un caractère principalement incitatif, qui repose sur l'engagement volontaire des acteurs plutôt que sur des obligations légales strictes.

La trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation
au changement climatique (TRACC)

La principale évolution du PNACC 3 réside dans la définition d'une Trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique (TRACC), qui vise à garantir une préparation efficace face au scénario médian du GIEC, correspondant à un réchauffement global de 1,5 à 2 °C d'ici la fin du siècle, en cohérence avec les engagements internationaux de la France.

La vocation principale de la TRACC est de structurer et de mettre en cohérence les politiques d'adaptation au changement climatique en France.

La TRACC a fait l'objet d'une consultation publique de mai à septembre 2023. Par ailleurs, lorsque le projet de PNACC 3 a été mis en consultation d'octobre à décembre 2024, il se fondait sur la TRACC. Le texte final incite tous les acteurs à prendre la trajectoire en compte.

Cependant, à date, la TRACC n'est pas juridiquement définie et la procédure conduisant à son adoption reste floue. Il n'est donc pas possible d'y faire référence dans des textes normatifs.

La difficulté de chiffrer le mur d'investissements en matière d'adaptation se couple avec un décalage entre, d'une part, les politiques publiques visant à faire face au dérèglement climatique, et, d'autre part, les besoins d'adaptation : en effet, comme le relève le Haut conseil pour le climat dans ses deux derniers rapports annuels119(*), « les aléas climatiques induits par le réchauffement s'intensifient plus rapidement que les moyens mis en oeuvre pour en limiter les impacts ».

Ainsi, pour la mise en oeuvre par les collectivités du PNACC tel que publié en 2025, les financements connus à ce stade sont insuffisants et une grande partie demeure à définir. À titre d'exemple à propos de l'emblématique Fonds vert : celui-ci est mentionné dans le PNACC comme le principal levier de financement de plusieurs mesures du Plan, telles que : « se préparer à l'augmentation attendue des incendies de forêt et de végétation120(*) » ; « renaturer les villes pour améliorer leur résilience121(*) » ; « mieux prendre en compte l'adaptation au changement climatique dans les financements en faveur de la transition écologique122(*) »... Cependant, dans le même temps, le Fonds vert a été réduit de 1,35 milliard d'euros, passant de 2,5 milliards d'euros en 2024 à 1,15 milliard d'euros en 2025123(*).

Cet exemple concerne des mesures dont les modalités de financement ont été précisées, sans toutefois que les montants consacrés ne soient indiqués. Cela n'est même pas le cas de la grande majorité des mesures du Plan, pour lesquelles ne sont indiqués ni les montants consacrés ni les modalités de financement.

Outre l'insuffisance des financements, le nouveau PNACC reste très succinct sur le volet économique et ne contient ni vision d'ensemble des moyens actuellement engagés pour l'adaptation ni de vrai budget associé aux mesures proposées, et ce en dépit des demandes faites de chiffrage précis formulées par la majorité des élus auditionnés par la commission d'enquête ainsi que par la Cour des comptes124(*). La commission d'enquête a ainsi entendu s'exprimer un réel désarroi à ce sujet lors des auditions des associations d'élus locaux. Ainsi, les représentants de l'Association des Maires de France (AMF) ont déclaré devant la commission d'enquête : « Le PNACC repose sur toute une série de mesures dont la mise en oeuvre a été renvoyée aux collectivités sans étude d'impact ni hiérarchisation. Il n'est pas possible qu'elles puissent assurer leurs missions de façon satisfaisante dans ces conditions. Cela suscite un sentiment d'impuissance et fragilise la capacité à agir des collectivités. Nous avons l'impression, au fond, que les contraintes locales des élus ne sont pas prises en compte. »125(*) Cette perception de ses adhérents a d'ailleurs conduit l'AMF à émettre un avis « très réservé » sur le projet de PNACC lors de la consultation publique dont celui-ci a fait l'objet à l'automne 2024.

Il ressort en outre des auditions de la très grande majorité des associations d'élus entendues par la commission d'enquête que le chiffrage précis des efforts budgétaires à anticiper conditionne sensiblement la capacité des élus locaux à se projeter sur le long terme. Ainsi, il est crucial pour les collectivités territoriales de pouvoir évaluer et de budgéter les financements nécessaires pour décliner, en vertu de leurs compétences respectives, les 51 mesures proposées dans le PNACC. Cela implique d'explorer tous les leviers économiques et financiers disponibles. Une évaluation approfondie des coûts et des sources de financement est essentielle pour garantir la faisabilité et l'efficacité de la mise en oeuvre de ces mesures.

Recommandation n° 7 : compléter le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), et tout autre document de planification, d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Perspectives sur l'adaptation : le point de vue de la Métropole de Lyon

La Métropole de Lyon, rencontrée par la commission d'enquête126(*), produit des ressources documentaires127(*) qui ont vocation à alimenter le débat public local.

Le Pôle « Prospective » de la Métropole a ainsi rencontré la géographe Magali Reghezza-Zitt, géographe spécialiste des questions environnementales et urbaines et ancienne membre du Haut Conseil pour le Climat. Cet entretien128(*) propose des pistes de réflexion qui rejoignent le périmètre de la commission d'enquête (extraits) :

« Conférer un pouvoir d'action aux échelons locaux ne doit pas être un transfert à sens unique des coûts et des responsabilités, avec un désengagement de l'État. On a plus que jamais besoin d'une stratégie nationale, voire européenne, car les choix opérés auront des conséquences sur les territoires environnants. On a donc besoin d'un État stratège, qui oriente l'action, qui distribue les moyens de façon juste, qui arbitre, compense, accompagne, sanctionne parfois, afin de permettre une action locale à la hauteur des enjeux. Et cette action doit marcher sur deux jambes complémentaires : adapter le territoire, tout en réduisant les émissions. »

« L'action d'adaptation est forcément locale, sectorielle et spécialisée, mais la coordination, le financement, la répartition des moyens, la mobilisation et le pilotage des ressources et capacités sont nécessairement nationaux. Tous les territoires ne sont pas égaux en termes d'exposition, de fragilités, de ressources. L'adaptation ne doit donc pas juste renvoyer les territoires et acteurs locaux à la charge de s'adapter sans les outiller ni les accompagner. » [...]

« J'alerte sur le fait que le déficit de moyens et le cadre d'action actuel, le PNACC 3, ne doivent pas amener à imaginer que la vision locale suffit à régler le problème ou que les territoires fonctionnent en isolat. Mettre en oeuvre l'adaptation, c'est d'abord créer un cercle vertueux en articulant l'action des échelons locaux, en construisant localement les conditions qui vont rendre possible l'action individuelle. S'il ne le fait pas, on condamne les élus locaux à gérer des crises permanentes ou successives. »

c) Deux postes d'investissement majeurs à anticiper par les collectivités sont l'adaptation du bâti et la végétalisation de l'espace public
(1) L'adaptation du patrimoine bâti

L'adaptation du patrimoine bâti des collectivités territoriales aux épisodes climatiques extrêmes et en particulier aux vagues de chaleur qui sont amenées à s'intensifier sur le territoire est identifiée par la littérature économique comme étant le principal défi auquel font face les collectivités en matière d'adaptation129(*). Ce défi titanesque n'est pas seulement financier, mais touche à des questions plus fondamentales de continuité des services publics locaux dans des conditions matérielles dégradées comportant un risque pour la santé ou la sécurité des usagers.

Selon le think tank de référence I4CE, l'intégration des enjeux d'adaptation climatique dès la conception d'un équipement se traduit par un surcoût de l'ordre de 10 %130(*), chiffre qui est susceptible d'être multiplié par 4 lorsqu'il s'agit d'un bâti existant. La majorité des équipements publics locaux qui seront en service en 2050 sont déjà construits : autant d'équipements qui seront confrontés à un climat probablement très différent que celui que nous connaissions au moment de sa conception. La délégation sénatoriale à la prospective du Sénat alerte ainsi sur une « urgence d'ores et déjà déclarée »131(*).

L'immense défi de l'adaptation climatique du bâti scolaire

Les 51 000 établissements scolaires publics représentent 45 % du patrimoine des collectivités territoriales, qui investissent chaque année plus de 8 milliards d'euros dans leur entretien132(*).

La sénatrice Nadège Havet, rapporteure de la mission d'infirmation lancée au Sénat suite aux chaleurs intenses constatées dans les salles d'examen du baccalauréat lors de la canicule de l'été 2022, insiste sur la complexité que représente le défi de l'adaptation scolaire pour les élus locaux : l'exercice de la programmation est éminemment complexe en raison de la grande technicité du sujet et de l'hétérogénéité du patrimoine bâti : « le coût de deux opérations de même nature et de même niveau peut varier du simple au double selon l'état initial du bâtiment, son époque de construction, les matières utilisées et la nécessité de travaux liés à la présence d'amiante ou de plomb. » Il en découle pour les élus une grande difficulté pour estimer le coût des investissements nécessaires et a fortiori pour les programmer.

Des pistes techniques vertueuses encore peu mobilisées
dans les équipements publics

Sans prise en compte de l'évolution du climat lors de la conception ou dans les opérations de rénovation des bâtiments, la réponse la plus probable face à des étés de plus en plus chauds sera le recours massif à la climatisation, dont le marché est en constante progression (800 000 unités vendues en France par an selon l'Ademe) et dont les externalités négatives sont considérables.

Il sera impossible pour les gestionnaires d'équipements publics locaux de ne pas mobiliser la climatisation en appui des publics les plus fragiles, notamment dans les Ehpad ou les établissements d'accueil de la petite enfance. Des leviers existent toutefois pour en dépendre le moins possible et optimiser son usage, mais ceux-ci sont encore émergents et correspondent ainsi à un nouveau « mur d'investissements » à anticiper pour les collectivités.

Parmi les pistes possibles, la Ville de Paris met à la disposition de ses chefs de projets dans le domaine du patrimoine et de l'architecture un « Guide environnemental » recensant quelques solutions existantes pour rafraîchir le bâti municipal (extraits) :

En ce qui concerne le bâti existant : « les dispositifs constructifs déjà en place assurant une ventilation naturelle des locaux doivent être conservés ou adaptés. En cas d'impossibilité technique ou de contraintes liées à la préservation du patrimoine architectural ou à l'insertion dans le cadre bâti environnant, des dispositifs produisant des effets équivalents doivent être mis en oeuvre. Les interventions sur les façades doivent être l'occasion d'améliorer l'isolation thermique des baies par l'installation de dispositifs d'occultation (contrevents, persiennes, jalousies, etc.) ou par le remplacement des dispositifs existants s'ils sont peu performants. »

En ce qui concerne les projets de nouvelles constructions : « certaines solutions pour rafraîchir le bâti devront être intégrées aux projets. Pour cela, il est possible de mettre en place des solutions de rafraîchissement passives telles les protections solaires (casquettes, brises soleil, volets, persiennes, etc.), qui doivent être impérativement situées à l'extérieur pour prévenir efficacement la surchauffe du bâtiment.

« Il est également possible de tester de nouvelles solutions de rafraîchissement passives ou peu énergivores. Par exemple :

Augmenter la part de ventilation naturelle (par tirage thermique) pour permettre le rafraîchissement nocturne ;

Réduire les apports thermiques internes (condenseurs des appareils réfrigérants, éclairage, bureautique, etc.) ;

Intégrer aux constructions neuves des matériaux apportant de l'inertie thermique.

« Les matériaux de construction à forte inertie permettent d'emmagasiner et de stocker la chaleur en excès, évitant que la chaleur se retrouve dans l'air ambiant et améliorant ainsi le confort thermique [...]

« L'isolation thermique du bâtiment complète le dispositif constructif : les matériaux biosourcés (issus de matières organiques renouvelables) sont à privilégier notamment du fait de leur temps de déphasage plus long et de leur respirabilité. Ces dispositions permettent également le maintien de la chaleur lors de la saison froide ;

Choisir les revêtements de couverture et des façades exposées (Est, Sud et Ouest) en fonction de leur capacité à réfléchir les rayons du soleil (albédo) ;

Utiliser une pompe à chaleur puisant la fraîcheur du sous-sol ;

Étudier la possibilité de recourir à des climatisations alternatives : rafraîchissement adiabatique (par humidification), machine à absorption, climatisation magnétique, climatisation solaire, cheminées solaires (sous réserve des consommations d'énergie nécessaires et de l'absence d'impacts sanitaires)133(*). »

L'ensemble de ces pistes émergentes est susceptible de se traduire dans des investissements conséquents, illustrés par exemple, en ce qui concerne le bâti existant de la Ville de Paris, par les crédits consacrés aux travaux sur les ventilations des équipements publics (24,4 millions d'euros au budget 2025) ou les 600 000 € annuels consacrés à l'installation de volets aux fenêtres des équipements publics.

Le principal levier mis à la disposition des collectivités territoriales pour l'adaptation du bâti est le Fonds vert, dispositif créé en 2022 et doté en moyenne de 2,2 milliards d'euros annuels sur la période 2022-2024 - il a été depuis réduit de plus d'un milliard pour atteindre 1,15 milliard d'euros en 2025.

Les crédits du Fonds vert qui ont soutenu des mesures d'adaptation du bâti public local ont représenté 14 % de l'enveloppe globale depuis 2022. Cependant, il est ressorti des auditions des associations d'élus que les incertitudes qui pèsent sur les futures dotations du Fonds vert pourraient les conduire à devoir reporter, voire geler un nombre significatif de projets dans leur programmation.

Le think tank I4CE estime134(*) que la nécessité de soutenir l'adaptation du bâti public local, notamment par le biais du Fonds vert, constitue un « enjeu récemment identifié par l'État, mais insuffisamment pris en compte ». Ainsi, en septembre 2023, le Gouvernement annonçait un objectif de 40 000 écoles primaires publiques rénovées d'ici 10 ans, annonce qui, pour la première fois, mentionnait le confort d'été en s'appuyant sur les financements du Fonds vert. Cet engagement s'est traduit par la mise à jour par le ministère du « Cahier d'accompagnement des porteurs de projet et des services instructeurs pour les rénovations énergétiques des bâtiments publics locaux » en mai 2024. Les travaux spécifiques au confort d'été tels que la ventilation ou les protections solaires sont ainsi devenus éligibles à un soutien du Fonds vert.

Cette avancée demeure toutefois « largement insuffisante » selon I4CE : en effet, il n'est jamais exigé de vérifier systématiquement dans les dossiers instruits si le confort d'été a été correctement pris en compte dans la conception du projet.

De manière générale, le confort d'été reste un sujet relativement absent de la plupart des rénovations énergétiques de bâtiments publics locaux. Certaines collectivités tentent néanmoins de progresser en intégrant cet aspect, parfois en tenant compte du climat actuel, parfois avec des données prospectives. Toutefois, en l'absence de cadre de référence commun, chacune adopte sa propre méthodologie, notamment concernant l'horizon temporel à considérer ou les scénarios climatiques à mobiliser pour établir les projections.

Stratégie d'investissement dans l'adaptation du bâti existant :
l'exemple de la Ville de Lyon

Les élus rencontrés par la commission d'enquête ont souligné la difficulté représentée par le fait que la grande majorité du patrimoine public, constitué de 1 200 bâtiments soit du bâti ancien.

Sylvain Godinot, adjoint à la transition écologique et au patrimoine, a ainsi déclaré à la commission d'enquête : « L'adaptation du bâti est ma principale préoccupation. Au début de notre mandat, nous avons pu constater qu'aucun des bâtiments du parc municipal ne résiste aux conséquences du dérèglement climatique. Même les équipements livrés en début de mandat, qui correspondaient aux investissements engagés sous le mandat précédent, ont subi des dégâts lors des dernières grosses précipitations ; ils n'ont pas été conçus pour s'adapter aux conséquences du dérèglement climatique. Au vu des investissements que nous avons à engager pour l'adaptation du bâti existant, on peut dire que nous avons une « dette patrimoniale » importante. »

La Ville de Lyon a ainsi mis en place une stratégie d'investissements en se fixant un objectif de « rénovation totale »de dix équipements par an « selon des critères d'adaptation exigeants que nous nous fixons nous-mêmes dans la mesure où la réglementation actuelle ne prend pas en compte les enjeux d'adaptation ». Malgré un plan pluriannuel des investissements (PPI) « ambitieux » de 1,3 milliard d'euros, en hausse de 30 % par rapport au mandat précédent, « pour couvrir l'ensemble du parc d'ici 2030, il nous faudrait l'équivalent d'un deuxième PPI. »

(2) Le rafraîchissement de l'espace public dans les aires urbaines

À l'horizon 2050, les canicules en France devraient être deux fois plus nombreuses qu'actuellement, mais aussi plus sévères et plus longues, ce qui correspondra à des températures de 28 °C pendant plus de 30 jours, à plusieurs reprises135(*). Les zones urbaines sont particulièrement vulnérables à ces épisodes extrêmes, celles-ci étant soumises au phénomène de surchauffe urbaine.

Le phénomène « d'îlot de chaleur urbain » ou de surchauffe urbaine

Le phénomène d'îlot de chaleur urbain se caractérise par un rafraîchissement nocturne limité en ville par rapport à la campagne, en raison notamment du stockage de la chaleur par les matériaux urbains en journée, de + 15 % à + 30 % dans les zones denses.

Source : Cerema

L'amplification des chaleurs intenses à anticiper rendra plus prégnant le phénomène de surchauffe urbaine, sur une saisonnalité plus étendue.

L'îlot de chaleur urbain constitue un facteur d'aggravation de la vulnérabilité des villes en cas de vague de chaleur. La situation des citadins soumis à ces conditions extrêmes peut conduire à des coups de chaleur et des déshydratations pouvant aller jusqu'au décès des personnes les plus fragiles. À titre d'exemple, lors de la canicule de 2003, la surmortalité s'est élevée de 141 % à Paris, alors qu'en zones rurales, elle atteignait 40 %.

Outre sa grande dangerosité sur la santé, ce phénomène a des impacts variés sur le bien-être des habitants, sur le caractère praticable de l'espace public et donc sur l'attractivité des centres-villes, sur les consommations énergétiques (climatisation) ou encore sur la résilience des infrastructures ou les réseaux urbains.

Parmi les pistes que le Cerema estime les plus efficaces en matière de rafraîchissement urbain, les solutions dites « fondées sur la nature » impliquant la mobilisation de végétal ou d'eau dans l'espace public sont fréquemment mises en avant136(*). En ce qui concerne les seules dépenses d'investissement nécessaires à « renaturer » les zones urbaines, une étude de Carbone 4137(*) les estime à 14 milliards d'euros sur la période 2021-2050, soit 480 millions annuels pour une superficie totale à végétaliser de 12 500 hectares.

Il est à noter que ce type de solution implique pour les collectivités des dépenses d'investissement conséquentes, mais également des coûts de fonctionnement : par exemple, pour garantir les capacités d'entretien d'espaces verts qui s'étendent, ou la révision périodique de brumisateurs ou de fontaines. Ce surcoût de fonctionnement constitue lui aussi une difficulté supplémentaire pour les collectivités : les représentants de l'AMF auditionnés par la commission d'enquête ont ainsi évoqué la « double peine » financière représentée par la nécessité de lutter contre la surchauffe urbaine : « Le vivant coûte cher à l'entretien. Il est probable que les politiques d'adaptation au changement climatique marquent le pas, tout simplement parce que les communes n'auront pas les moyens d'entretenir de nouveaux espaces végétalisés. »

L'adaptation au phénomène de surchauffe urbaine génère également un surcoût à anticiper pour les opérations d'aménagement : à titre d'illustration, à Lyon, lors du réaménagement de la place de Francfort (8 500 m²) en 2020, le surcoût lié aux choix techniques permettant de réduire l'effet d'îlot a été estimé à + 10 % par le Cerema.

Lutte contre le phénomène d'îlot de chaleur urbain :
l'exemple de la Ville de Paris

Selon l'étude de vulnérabilité138(*) établie en 2021 pour la Ville de Paris, l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des périodes caniculaires constitue le premier enjeu climatique auquel la collectivité doit faire face, d'autant que le phénomène d'îlot de chaleur urbain en amplifie les effets : « tous les indicateurs futurs sont au rouge : nous devons anticiper 22 jours en 2050 de très fortes chaleurs (températures égales ou supérieures à 30°C) contre 14 aujourd'hui [...] Les vagues de chaleur devraient donc être plus fréquentes, mais aussi plus sévères et plus longues. Elles pourraient aussi se produire sur une période plus étendue, du printemps à l'automne. »

En outre, selon une étude139(*) réalisée par l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), 65 % des voies parisiennes ont un trottoir sur lequel l'inconfort thermique est notable en cas d'ensoleillement, ce qui correspond à 1 082 km de linéaire.

Afin de tenter de contrer ce phénomène, la Ville de Paris a fait de l'adaptation urbaine une « thématique prioritaire d'investissement » : en témoignent par exemple les montants arbitrés en faveur de la débitumisation et de la végétalisation des trottoirs, du programme « 30 hectares d'espaces verts supplémentaires », ou encore la création de « cours oasis » (cours d'écoles débitumisées et structurées en îlots de fraîcheur) pour une enveloppe globale de 320 millions d'euros sur la mandature 2020-2026.

En outre, 8 millions d'euros ont été consacrés à pérenniser la baignade en Seine et 3 millions d'euros au déploiement d'ombrières et de brumisateurs dans l'espace public afin de le rafraîchir lors des pics de chaleur.

3. Investissements bas-carbone : les collectivités territoriales en première ligne

En tant que premier investisseur public, les collectivités territoriales portent l'augmentation de l'investissement public en matière climatique : selon le « Panorama des financements climat des collectivités locales » du think tank I4CE (données 2023), « l'évolution des investissements climat des collectivités participe à la hausse des investissements climat en France, tous acteurs confondus [...] D'après nos estimations, les investissements climat des collectivités augmentent même plus rapidement que l'ensemble de leurs dépenses d'investissement tous secteurs confondus. »

Les investissements locaux en matière de décarbonation dépendent d'un ensemble de facteurs budgétaires et économiques, mais soulèvent également des enjeux de prévisibilité et de stabilité des ressources ainsi que de confiance des élus locaux, notamment sur l'accompagnement dont ils peuvent bénéficier de la part de l'État.

a) Une appropriation croissante par les collectivités des enjeux de décarbonation

Parmi l'ensemble des échelons territoriaux, une part non négligeable des élus se sont appropriés les enjeux climatiques, a minima pour des raisons d'intérêt bien compris : la totalité des associations d'élus auditionnées ont ainsi cité l'exemple de la rénovation énergétique des bâtiments et de sobriété carbone, telle que l'Association des Petites Villes de France : « concernant les objectifs de transition, les maires sont volontaires, ne serait-ce que parce que la rénovation thermique présente notamment un intérêt en termes d'économies budgétaires »140(*) ».

Cette perception est robuste et objectivée sur le plan économique : les collectivités dépensent en effet plus de 2,5 milliards d'euros chaque année en énergie fossile selon I4CE. La décarbonation « n'est pas qu'un sujet environnemental et climatique : c'est aussi un enjeu de souveraineté, dans la mesure où les pays fournisseurs ne nous sont pas toujours favorables, et c'est aussi un sujet de bonne gestion des deniers publics. »

La commission d'enquête a relevé de manière récurrente que cette appropriation et ce volontarisme climatiques locaux faisaient l'objet d'une réelle fierté pour les collectivités concernées, avec la perception aigüe du rôle déterminant de l'investissement local pour la décarbonation, à l'instar de l'association Régions de France : « l'effort de verdissement est constant. La région Île-de-France réunit ainsi les deux plus gros chantiers publics d'Europe, à savoir le Grand Paris Express et la rénovation thermique des lycées, avec plus d'un milliard d'euros par an, majoritairement dédié à l'efficacité énergétique. »141(*)

Cette perception est corroborée par les chiffres mis en avant par la littérature économique. Selon les données d'I4CE et du pôle « études et recherche » de la Banque postale142(*), les investissements des collectivités locales en faveur du climat dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l'énergie ont atteint 8,3 milliards d'euros en 2022. Ils sont en augmentation de 44 % depuis 2017. D'après les dernières données disponibles, ils ont continué d'augmenter en 2023 pour atteindre 10 milliards d'euros. Cette évolution provient notamment de l'augmentation des investissements des collectivités dans la mobilité électrique (véhicules et infrastructures de recharge), dans les transports collectifs - ferroviaire et transports en commun urbains - et pour la rénovation énergétique de leurs bâtiments.

Source infographie : I4CE / la Banque Postale

Cette appropriation des enjeux climatiques est d'ailleurs souvent appréhendée de manière globale, et intégrée de manière transversale dans les politiques publiques locales. À l'inverse, la catégorisation des investissements locaux de manière trop sectorielle conduit, selon les estimations de l'APVF, à sous-estimer la part écologique des investissements des collectivités » : « nos calculs récents montrent qu'au moins 60 % des investissements des collectivités de notre strate ont une dimension climatique, et cette donnée est probablement sous-évaluée. »

b) La dynamique locale de décarbonation est actuellement menacée

De l'avis unanime des associations d'élus locaux, la séquence budgétaire de l'automne 2024 a été « très mal vécue » par les collectivités, nourrissant souvent un sentiment de « perte de confiance » vis-à-vis de l'État : en témoigne par exemple l'APVF lors de son audition par la commission d'enquête : « Lors des Assises des petites villes de France, qui se sont tenues en septembre [2024], le Ministre de la Transition écologique, également chargé des territoires, avait annoncé l'augmentation du Fonds vert comme une perspective durable et pérenne. L'objectif était d'offrir une visibilité aux décideurs publics locaux, comparable à celle dont ont besoin les acteurs économiques, d'où le montant de 2,5 milliards d'euros annoncé à l'époque. La réduction de ce Fonds vert annoncée le mois d'après a été très mal perçue dans les territoires. »

I4CE juge de son côté que les annonces du premier PLF 2025 ont suscité des « inquiétudes légitimes sur les perspectives économiques à court et à moyen terme », notamment dans la mesure où la nette diminution des enveloppes « climat » (Fonds vert et Fonds chaleur) en 2025 « affaiblit le signal de priorisation qui avait été envoyé ces dernières années aux acteurs locaux et risque de créer dès 2025 un climat défavorable à un investissement local dynamique ».

Ce risque de décélération climatique se matérialise déjà selon l'association de collectivités Amorce143(*). À la question posée à leurs adhérents en octobre 2024 : « au regard des risques de coupes budgétaires de l'État, avez-vous remis en cause au moins un projet territorial en matière de décarbonation ? », 91 % des 105 collectivités sondées ont répondu par l'affirmative. Ce contexte budgétaire et économique incertain est également source de pessimisme pour les élus locaux : 68 % des adhérents d'Amorce se sont déclarés « peu ou pas du tout confiantes dans la capacité de leur territoire à atteindre la neutralité carbone en l'état des politiques publiques actuelles et à moyens constants ».

Au-delà de la dynamique budgétaire récente, le risque relevé y compris par les opérateurs de l'État est celui d'une perte de confiance des collectivités territoriales en matière de priorisation et d'accompagnement de l'État sur les sujets environnementaux, qui constituerait un autre facteur potentiel de décélération climatique pour les collectivités territoriales. Tel est par exemple le constat formulé par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) suite à la diminution de l'enveloppe de la mesure « Territoires d'industrie en transition écologique » du Fonds vert, qui avait connu un « fort succès » en 2024 avec plus de 300 candidatures déposées et 163 projets lauréats sur l'ensemble du territoire national, représentant 63 millions d'euros de subventions accordées pour un prévisionnel de 779 millions d'euros d'investissements industriels. : « en 2025, la mesure est cependant reconduite avec des moyens en baisse alors que l'attente des collectivités et industriels reste forte pour la mesure avec de nombreux dépôts de dossiers attendus [...] En termes de priorités, l'enjeu est ainsi de pouvoir assurer la pérennité des moyens du Fonds vert et la crédibilité de l'accompagnement pluriannuel de l'État auprès des collectivités territoriales en matière de transition écologique après plusieurs baisses successives des budgets en la matière, afin d'accompagner les collectivités sur leurs projets de transition écologique, notamment sur les projets les plus complexes et de long terme (déploiement de filières industrielles de la transition écologique, requalification de friches industrielles fortement polluées... »144(*). Un autre facteur potentiel de décélération climatique est identifié par le fait que certains dispositifs de l'État font émerger des besoins locaux en matière de transition écologique, mais que, selon les termes de l'ANCT, « les dispositifs actuels ne permettent pas de répondre à l'ensemble de ces besoins exprimés ». Par exemple, le programme « Territoires d'Industrie » piloté par l'ANCT a fait remonter 820 actions environnementales sur le territoire national, dont la mise en oeuvre nécessite « de vastes besoins d'accompagnements humains, en ingénierie et en financement » : « les besoins de financement pour le recyclage foncier de friches industrielles dans le cadre des 55 « sites industriels clés en main » ne sont pas couverts à date et de nombreux sites peinent à trouver un modèle économique viable à moyen et long terme. En plus des enjeux de recyclage foncier, certaines collectivités rencontrent des difficultés pour financer les études réglementaires nécessaires au pré-aménagement d'une zone (étude faune/flore, étude archéologique) alors que cette anticipation est clé dans l'accélération des implantations industrielles ».

Le risque d'essoufflement de la dynamique écologique dans les territoires est donc bien réel et caractérisé comme tel, d'autant plus suite à des déclarations telles que celles formulées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires Christophe Béchu lors de son audition par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 : « Il est essentiel que nous mettions des tuyaux " de financement en face des " tuyaux " de projets afin de ne pas alimenter de suspicion sur la capacité des territoires à avancer »145(*).

c) La mise en oeuvre des ambitieuses politiques climatiques nationales repose largement sur les collectivités territoriales

En vertu du code L. 222-1B du code de l'environnement, la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), soit le document qui traduit juridiquement l'engagement de la France en matière de décarbonation vis-à-vis de ses obligations internationales, s'impose aux collectivités territoriales : celles-ci, à l'instar des autres acteurs publics, doivent en tenir compte dans leurs documents de planification et de programmation qui « ont des conséquences significatives sur les émissions de gaz à effet de serre ».

La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC)

La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) a été instaurée par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Elle constitue l'outil de planification pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'ensemble des secteurs d'activité.

Cette feuille de route comprend comme objectif de long terme la neutralité carbone en 2050 et la réduction de l'empreinte carbone. Elle décline cet objectif selon une trajectoire de décarbonation cible pour y parvenir, fondée sur un ensemble de mesures et d'hypothèses par secteur, ainsi que des plafonds d'émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser par période de cinq ans, dits « budgets carbone ».

La contribution financière de l'investissement local à l'objectif fixé par la SNBC est évaluée avec une précision croissante par la littérature économique. Dans la continuité des travaux d'I4CE et de la mission pilotée par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, l'Inspection générale des finances (IGF)146(*) a évalué les besoins d'investissement des collectivités territoriales pour la transition écologique à 21 milliards d'euros par an d'ici 2030, dont près de 15 milliards annuels pour les actions de réduction de gaz à effet de serre. Lors de son audition par la commission d'enquête, I4CE a présenté le même ordre de grandeur d'estimations : « pour atteindre la neutralité carbone, les collectivités doivent plus que doubler leurs investissements pour le climat ».

Source : I4CE

Ainsi, les dépenses publiques des collectivités doivent augmenter de l'ordre de 11 milliards d'euros entre 2025 et 2030 en moyenne annuelle pour la seule mise en oeuvre de la stratégie nationale bas-carbone : « ces dépenses ne peuvent être reportées sur les acteurs privés du fait des compétences et du patrimoine des collectivités territoriales »147(*).

L'organisme France Stratégie148(*) estime que « les quatre cinquièmes des mesures de la SNBC nécessitent une implication des collectivités territoriales ». Un exemple parlant, cité par I4CE lors de son audition, est constitué par le secteur des transports, dont la neutralité carbone définie dans la SNBC repose principalement sur un objectif de triplement par les communes du nombre d'infrastructures cyclables : sur ce volet de la SNBC, « les collectivités sont seules à bord et les 50 millions d'euros prévus dans le cadre du " plan vélo " de l'État ne changeront pas la donne au regard des besoins. Le financement de cette mesure repose exclusivement sur les collectivités. »

L'autre exemple le plus cité est celui de la rénovation énergétique des bâtiments publics locaux : selon les déclarations de l'association Amorce lors de son audition : « pour la rénovation des bâtiments publics, nous reprenons les hypothèses figurant dans le rapport Pisani-Ferry, avec un minimum de 10 milliards d'euros par an, principalement au niveau local, pour atteindre les objectifs fixés dans l'ancienne Stratégie nationale bas-carbone.[...] La majeure partie de cet investissement incombera aux collectivités. C'est d'autant plus vrai que les nouvelles directives réglementaires imposent soit de rénover 3 % par an de la surface, soit de trouver des économies équivalentes. Ce mur d'investissement est d'autant plus conséquent qu'il est chiffré pour atteindre des objectifs qui ont évolué depuis l'ancienne SNBC et l'ancienne programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), avec des projections actuelles qui sont encore plus ambitieuses. »

Cette situation alimente chez les élus locaux le sentiment d'un affaiblissement de leur marge de manoeuvre et d'une évolution de leur rôle vers un « opérateur des politiques publiques nationales », allant parfois jusqu'à évoquer la transition écologique comme une compétence nouvelle non compensée : toujours selon les termes de l'association Amorce : « les collectivités territoriales se retrouvent aujourd'hui dans une position de prestataires de l'État, devant appliquer des planifications décidées au niveau national sans avoir nécessairement eu leur mot à dire. De plus, elles ont été privées de recettes propres pour financer leurs projets. Il est important de rappeler le principe constitutionnel selon lequel chaque transfert de compétences vers les collectivités devrait s'accompagner d'un transfert de ressources. Par exemple, pour le tri à la source des biodéchets, les collectivités territoriales font face à un surcoût de 7 à 20 euros par habitant par an, alors que le Fonds économie circulaire ne finance cette année que 20 millions d'euros pour l'ensemble des collectivités. » En guise d'illustration de cette perception de leurs adhérents, l'association relève que « 86 % des 105 répondants estiment que l'accompagnement financier de l'État et de ses opérateurs et agences est insuffisant pour la mise en oeuvre de leurs obligations réglementaires en matière climatiqu».

Une piste souvent évoquée pour rétablir un climat favorable à l'investissement public local en matière de décarbonation et redonner de la confiance et de la visibilité aux investisseurs publics locaux est, en miroir de la recommandation précédemment formulée par la commission d'enquête à propos du PNACC, de compléter la SNBC d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées.

Recommandation n° 8 : compléter la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Ce besoin de visibilité et de robustesse des analyses économiques et financières faisant consensus, un document produit par l'État a tenté de répondre à cet objectif : la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE). Afin de favoriser la montée en puissance nécessaire des investissements écologiques, l'article 9 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 prévoit la remise annuelle au Parlement par le Gouvernement, avant le début de la session ordinaire, d'une stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale afin d'assurer une montée en puissance des investissements à la hauteur des besoins de la transition écologique.

Cependant, de l'avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat149(*), la SPAFTE produite en 2024 constitue un « premier exercice au bilan mitigé » : « élaboré par la seule direction générale du Trésor, le rapport remis au Parlement ne résulte pas d'un travail interministériel. Il indique que si le secteur privé aligne sa part d'investissement bas-carbone d'ici 2027 avec le secteur public, et si ce secteur public poursuit la hausse tendancielle de l'effort, les investissements bas-carbone pourraient progresser de 63 milliards d'euros d'ici 2027. Les leviers qui pourraient conduire à cette augmentation de l'investissement privé ne sont pas détaillés, il s'agit donc d'un scénario plutôt que d'une stratégie politique pluriannuelle de financement étayée et crédible ».

En outre, la SPAFTE se concentre sur le court terme, dans la mesure où elle annonce des financements d'ici à 2027, alors que tous les objectifs de décarbonation sont définis à un horizon 2050.

Enfin, elle n'est pas non plus incluse dans le périmètre du rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État, un document qui fait l'objet d'un suivi parlementaire chaque année, ce qui lui confère une portée limitée et un manque de lisibilité peu démocratique.

Recommandation n° 9 : conférer à la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE) une portée transversale et interministérielle en y associant notamment les ministères chargés respectivement de la transition écologique, de l'agriculture et de la recherche et de l'enseignement supérieur ; la compléter d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées à un horizon plus large que 2027 (Gouvernement).

4. La gouvernance introuvable de la transition écologique

Selon les termes de l'ancien secrétaire général à la planification écologique, Antoine Pellion, devant la commission d'enquête : « les effets du réchauffement climatique ne nous permettent pas de rester sur un statu quo en matière de gouvernance et d'enjeux de financement, selon chaque échelle territoriale, secteur par secteur. Ce travail d'articulation et de coordination [des interventions respectives de l'État et des collectivités territoriales en matière d'environnement] recoupe des sujets potentiellement très conflictuels. »

Outre le niveau de financement, c'est aussi également la méthode de financement qui doit être repensée en termes de dialogue et de pilotage stratégique : les services de l'État au niveau central et au niveau déconcentré doivent associer les collectivités territoriales au pilotage de l'action environnementale au regard des contraintes liées aux finances locales et à la libre administration des collectivités. Comme sur les questions financières, il apparaît nécessaire d'instaurer une gouvernance transversale du financement de la transition écologique qui soit compatible avec le principe de libre administration.

a) La spécificité des sujets environnementaux impose une nouvelle gouvernance

Les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales sur les sujets environnementaux traduisent la complexité de ces sujets éminemment transversaux : selon la contribution de l'ANCT, « les principales difficultés constatées sont liées aux montants des financements disponibles et au manque d'accès à l'ingénierie. En effet, les projets de transition écologique, pour répondre aux enjeux d'atténuation et d'adaptation au changement climatique, sont plus complexes et nécessitent des investissements et des moyens d'ingénierie plus importants. » Les sujets climatiques et d'adaptation « requièrent une expertise à 360 degrés » et ne peuvent ainsi être isolés par une approche sectorielle, ce qui nécessite un appui spécifique. Cependant, dans le même temps, l'Agence relève que les collectivités rencontrent des difficultés de plusieurs ordres : « déficit de financement, de continuité, d'accessibilité et de stabilité des dispositifs publics » ; en outre, « l'action publique manque parfois de lisibilité », en témoigne par exemple la « multiplicité des acteurs intervenant dans le champ de l'accompagnement à la transition écologique ».

Ce besoin de vision stratégique globale témoigne de travaux encore inaboutis et d'une articulation non effectuée entre le volet lié aux objectifs et le levier relatif aux financements, sur le plan économique notamment : Antoine Pellion a ainsi reconnu devant la commission d'enquête : « je ne suis pas aujourd'hui en mesure de vous indiquer le besoin net de subventions supplémentaires qu'il conviendrait d'engager. En effet, nous n'avons pas terminé ce travail consistant à identifier les différentes sources de financement possibles selon les secteurs d'intervention et à consolider les montants afin de déterminer, une fois que toutes les autres pistes de financement possibles ont été explorées, le niveau de financement résiduel qui devra être réalisé par le biais de subventions pures. ».

À l'inverse, l'économiste François Thomazeau du think tank I4CE a identifié lors de son audition par la commission d'enquête la nécessité de « changer les pratiques à toutes les échelles » en articulant les dimensions stratégique, politique et financière : « la première condition est de garantir les conditions d'un investissement local dynamique et pérenne [...] ; il devient fondamental, dans ce contexte, de mieux structurer le débat autour des finances locales ».

Dans le même registre, l'ANCT évoque dans sa contribution la « mise en place d'espaces de dialogue et de pilotage ouverts (associant collectivités, opérateurs, services de l'État, acteurs économiques, etc.) et qui permettent de définir au niveau local des plans d'actions concrets en matière de transition écologique (par exemple : requalification de friches, développement de filières locales...) - dans un rôle d'« usine à projets ». Toutefois, « pour que cela soit pleinement efficace, les collectivités doivent être en mesure de se projeter sur des actions de moyen ou long terme et d'avoir confiance en l'accompagnement dont elles pourront bénéficier de la part de l'État. Cela nécessite ainsi un État qui soit capable de s'engager sur des stratégies et des moyens de manière pluriannuelle ».

b) Une méthode qui reste à trouver : quelle place pour le principe de libre administration ?

La nécessité d'une vision stratégique globale et d'une association des collectivités aux politiques environnementales nationales a été perçue par l'exécutif, qui a entamé depuis 2022 et la création du Secrétariat général à la Planification Écologique une démarche de « territorialisation de la planification écologique ».

Telle que décrite par Antoine Pellion, celle-ci « a été dès le départ conçue à une échelle à la fois nationale et territoriale. [...] Nous avons ainsi mis en place [en 2024] une démarche de conférences des parties (COP) régionale. Nous avons retenu l'échelle régionale au sens géographique du terme et non au sens purement administratif. Au sein de cette maille géographique de la région, nous nous sommes efforcés de rassembler tous les échelons de collectivités et les acteurs aussi bien économiques que de la société civile. »

Deux écueils ont toutefois pu être relevés par les associations d'élus locaux lors de la toute première édition des COP régionales en 2024 : en particulier, l'animation et le pilotage de la démarche par les services de l'État, mais également la feuille de route indicative d'atteinte des objectifs régionaux élaborée par le SGPE comme base de discussion, qui ont été perçus comme de la « verticalité » par l'AMF. Antoine Pellion s'est défendu de cette accusation : « j'insiste sur la dimension indicative de ces plans d'action régionaux, car le but des COP est justement que chaque collectivité puisse s'en emparer, l'adapte et le transforme autant qu'elle le souhaite, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, la contrainte essentielle de l'exercice était la suivante : lorsque l'on additionne l'ensemble des contributions, l'objectif global devait rester atteignable. »

Le nécessaire « dialogue » prôné par les différentes parties se révèle particulièrement complexe en ce qui concerne l'articulation de la libre administration des collectivités territoriales et des enjeux de financement de la transition environnementale. Comme l'a déclaré l'AMF devant la commission d'enquête : « nous ne pouvons que regretter la verticalité très importante dans la prise de décision et l'élaboration de ces stratégies [...] Dès lors qu'il y a un dialogue entre l'État et les collectivités, une écoute mutuelle et de l'horizontalité dans les décisions, on peut avancer. Nous approuvons tous la mise en place d'une stratégie nationale en matière de transition et il n'est pas choquant que ce soit l'État qui la définisse. En revanche, sa mise en oeuvre dans les territoires doit se faire de manière concertée, d'autant que ce sont les collectivités qui en ont la charge matérielle et financière. Ainsi, il faut que le binôme entre l'État et les collectivités fonctionne. »

Comme l'a reconnu Antoine Pellion devant la commission d'enquête à propos de la territorialisation de la transition écologique : « nous avons mis en place cette démarche et cette expérimentation, mais l'on ne peut pas encore dire que nous avons trouvé la bonne méthode. [...]. Nous n'avons pas encore résolu l'équation selon laquelle l'ensemble des travaux à l'échelle territoriale correspondante permettra d'atteindre nos objectifs collectifs », dans la mesure notamment où à l'issue des COP régionales plus d'un tiers des baisses de gaz à effet de serre (GES) nécessaires à l'atteinte des objectifs nationaux ne sont pas sécurisées.

Une piste envisageable pourrait être de combiner une vision économique et financière robuste des besoins en matière de financement de la transition environnementale, avec un dialogue paritaire entre l'État et les collectivités territoriales. Il s'agirait, selon les préconisations du rapport150(*) « Transition environnementale : aider les collectivités locales à s'organiser » de 2023 des sénateurs Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin, de « partager, discuter et valider les objectifs régionaux de contribution à la neutralité nationale, afin d'en vérifier la cohérence avec la stratégie nationale bas-carbone et d'assurer une juste répartition de l'effort selon les spécificités régionales ». Cette piste rejoint les orientations défendues par l'AMF devant la commission d'enquête, à savoir l'instauration d'un « cadre national de gouvernance paritaire pour assurer la convergence des stratégies locales et nationales. Il est vraisemblable que le dialogue entre trajectoire globale et stratégies locales et entre objectifs souhaitables et réalités de la mise en oeuvre se poursuive d'ici 2050. Il est donc utile de mettre en place le cadre de ce dialogue. »

Cette instance de dialogue pourrait par exemple s'appuyer sur l'analyse financière du Conseil d'orientation des finances locales que la commission d'enquête appelle de ses voeux.

B. LA REMISE EN CAUSE DE L'ÉQUILIBRE FINANCIER ISSU DE LA DÉCENTRALISATION NÉCESSITE DES ÉVOLUTIONS STRUCTURELLES

Il appartient désormais de se pencher sur le « nerf de la guerre » et d'identifier les ressources financières qui permettront d'assurer une autonomie financière réelle à chaque strate de collectivité. Quatre leviers peuvent schématiquement être considérés : la fiscalité, les concours financiers, l'endettement et les redéploiements de fonds. Sans surprise, I4CE considérait dans son rapport sur les financements climat des collectivités territoriales151(*) que « l'ensemble de ces leviers doit être mobilisé simultanément grâce à une action commune de l'État et des collectivités ».

Entendu en audition par la commission d'enquête, I4CE a légèrement revu son discours, se référant à ce rapport : « nous avions alors montré que, sous certaines conditions, et en cumulant les efforts, il était possible de tenir la trajectoire envisagée pour 2030. Toutefois, depuis cette étude de 2023, le contexte économique et budgétaire a un peu évolué », se référant à un exercice budgétaire 2025 difficile pour les collectivités territoriales et à un exercice 2026 qui ne s'annonce pas plus aisé.

Cette commission d'enquête ne s'est pas penchée sur les redéploiements qui pourraient être réalisés et qui nécessiteraient des analyses approfondies de politiques sortant de son périmètre. Elle présente successivement les trois autres leviers identifiés à savoir les concours financiers, la fiscalité et l'endettement.

Force est toutefois de constater, s'agissant des deux principaux leviers que sont la fiscalité et les dotations aux collectivités, que, pour reprendre une expression qui semble faire consensus, les finances publiques locales sont à « bout de souffle », et ce depuis maintenant plusieurs années152(*).

Comme exposé précédemment, on assiste à une remise sous tutelle progressive des collectivités territoriales. Les collectivités deviennent des « opérateurs » de l'État : chargées d'effectuer des dépenses qu'elles ne choisissent pas au moyen de recettes sur lesquelles elles n'ont pas de marge de manoeuvre, comme un affront direct à notre République dont l'article premier de la constitution affirme le caractère décentralisé.

La part toujours plus importante de la fiscalité transférée par l'État aux collectivités territoriales conduit à « figer dans l'ambre » la situation économique existante au moment du transfert et, avec le temps, les finances publiques locales deviennent une collection de fossiles, dont peu connaissent l'origine et qui à ce titre se voient menacées (cf. infra).

Interrogé fin avril 2025153(*), le président du Sénat dénommait les déséquilibres causés par la suppression de la taxe d'habitation « la faute originelle ». Pour quelle réponse ? « Il faut qu'on soit extrêmement attentifs à ne pas susciter à nouveau une demande d'effort fiscal (...) [le rattrapage financier doit passer] par une réflexion globale (...) Il faut remettre à plat tout le système de financement des collectivités territoriales ».

Cette commission d'enquête formule plusieurs propositions pour dégager des ressources supplémentaires à court terme sur les trois principaux leviers des finances publiques locales et esquisse les principes qui doivent guider une réflexion plus globale et les propriétés qu'elle doit revêtir.

1. Des dotations mieux ciblées, sanctuarisées et à la main des collectivités
a) Identifier et prioriser les dispositifs les plus efficaces et les plus efficients : l'exemple du « fonds chaleur »

Le contexte budgétaire contraint doit nous amener à prioriser les dispositifs à plus fort rendement, ceux pour lesquels un euro investi produira les effets les plus probants. Dans son dernier rapport sur la valeur de l'action pour le climat154(*), France Stratégie155(*), tout en reconnaissant la complexité de l'exercice de comparaison du coût des dispositifs en faveur de l'environnement, estime néanmoins qu'il est possible de « muscler » cette analyse en systématisant les évaluations détaillées mesure par mesure. France Stratégie. Une telle systématisation permet en effet de quantifier et d'objectiver les effets des différents dispositifs et de venir en appui du décideur public dans ses arbitrages, afin notamment de limiter les effets d'aubaine ou autres effets rebond156(*). Or les premières études réalisées font ressortir une forte hétérogénéité des coûts à la tonne de CO2 évitée.

Prix implicites du carbone associés à quelques mesures

Mesure

Type de mesure

Prix implicite

Source

Dispositif BCIAT*

du Fonds chaleur

Subvention

19 €/tCO2e (hors prix ETS)

France Stratégie (2024), Comité d'évaluation du plan France Relance. Rapport final, janvier

Malus automobile

Taxe

150 €/tCO2e

Vernon-Lin N. (2024),
Balancing environmental,
fiscal, and welfare impacts of
transportation decarbonization
in France », IMF Working
Paper, n° 2024/145, Fonds
monétaire international, juillet

Incorporation de

biocarburants

Norme

271 à 541 €t/tCO2e en 2022

SDES (2024),
Bilan énergétique de la France
pour 2022, coll. « Data Lab -
Énergie », mai

Bonus automobile

Subvention

300 €/tCO2e hors effet d'aubaine
800 €/tCO2e avec impact TICPE
600 €/tCO2e avec effet d'aubaine

Montout S. et Robinet A. (2024),
« Le soutien au développement
des véhicules électriques est-il
adapté ? », La Note d'analyse,
n° 139, France Stratégie, juin

* Biomasse Chaleur pour l'Industrie, l'Agriculture et le Tertiaire.

Source : France Stratégie

Mise en exergue par France Stratégie, l'efficience d'un dispositif comme le « fonds chaleur » est clairement ressortie des travaux de la commission d'enquête. Ce dispositif clef pour accompagner les collectivités territoriales dans la transition écologique fait consensus parmi les acteurs publics et associations entendus, à commencer par l'ADEME, gestionnaire du fonds, qui en audition a pointé cet « outil extrêmement efficace à la disposition des élus » pour lequel « les demandes sont deux fois plus importantes que le budget disponible ». L'association Amorce en fait « la politique de transition énergétique la plus performante et économique » quand l'ancien secrétaire général à la planification écologique a mis en avant son mode de fonctionnement : « Dans un contexte de rigueur budgétaire accrue, nous préconisons d'appliquer la méthode du fonds chaleur (...) : quantifier précisément le coût par tonne de carbone évitée, par tonne de déchets non produits, et par tonne de polluants non rejetés pour chaque euro d'aide accordé. Cette approche permettrait d'identifier les investissements les plus pertinents. » Dans la présentation de son rapport sur le projet de loi de finances pour 2025, Christine Lavarde, rapporteur spécial de la mission « écologie, développement et mobilité durables » pointait déjà que « l'efficacité de ces crédits ne [fait]pas de doute » et qu'ils jouent « un rôle important dans le déclenchement des programmes d'investissement des collectivités territoriales ».

De quoi s'agit-il ? Créé en 2009, le fonds chaleur est le principal outil pour accompagner la généralisation de la chaleur renouvelable en dehors du secteur des particuliers. Avec ce dispositif, l'ADEME soutient le développement des investissements de production et des réseaux de distribution de chaleur renouvelable, pour les besoins de l'habitat collectif, du tertiaire, de l'industrie et de l'agriculture.

Ce fonds finance deux types de projets : les installations de petite et moyenne taille, en complément d'autres aides (contrat de projets État-région par exemple) ; les installations biomasses de grande taille dans le secteur agricole et tertiaire, dans le cadre d'appels à projets nationaux annuels « Biomasse chaleur industrie agriculture tertiaire » (BIACT).

Les soutiens apportés par le fonds visent à atteindre les objectifs fixés tant par la loi que par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) d'avril 2020157(*). Entre 2009 et 2023, 4,28 milliards d'euros ont été engagés pour soutenir près de 8 500 opérations d'investissement. Il est estimé qu'ils ont généré un montant d'investissement de 14 milliards d'euros et une production de 45,4 TWh/an.

Évolution des montants engagés par le fonds « chaleur » de l'ADEME

(en millions d'euros)

Fonds « chaleur »

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

168

263

249

231

206

165

216

213

197

259

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

295

350

350

522

520

820

800

Note : les chiffres jusqu'en 2022 correspondent à l'exécution constatée du fonds chaleur, tandis que les chiffres pour 2023 et 2024 sont des prévisions.

Source : commission d'enquête d'après la commission des finances du Sénat

Il était initialement prévu que le fonds chaleur connaisse une forte augmentation de ses crédits dans les années à venir. Dans la dernière trajectoire présentée par la direction générale de l'énergie et du climat dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, le fonds chaleur était censé atteindre 1,2 milliard d'euros en 2025, puis augmenter de 200 millions d'euros par an, jusqu'en 2029 où il progressera de 300 millions d'euros.

Ce fonds est toutefois apparu menacé lors de l'examen de la loi de finances pour 2025, avec des crédits initialement prévus à 500 millions d'euros en projet de loi de finances, en baisse de 320 millions d'euros, conduisant à une année blanche pour le fonds, consacrée au financement des projets déjà engagés. L'examen du texte au Sénat a permis de maintenir ce fonds à hauteur de 800 millions d'euros.

La commission d'enquête ne nie pas la contrainte budgétaire et les arbitrages difficiles qu'elle implique. C'est au contraire en son nom qu'elle appelle à constituer un socle de dotations sanctuarisé en faveur des collectivités, composé de dotations qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur efficience, comme le fonds chaleur.

b) S'appuyer sur la fusion des dotations d'investissement pour garantir un niveau de financement pour des dotations plus transparentes et mieux articulées
(1) Des collectivités territoriales soutenues dans leur transition écologique par un « fonds vert » à l'utilité reconnue, mais qui pourrait être mieux ciblé

La loi de finances initiale pour 2023158(*) a prévu la création d'un « Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires », doté initialement de 2 milliards d'euros en autorisation d'engagement (AE) et 500 millions d'euros en crédit de paiement (CP), puis porté à 2,5 milliards d'euros en AE et 1,1 milliard d'euros en CP en loi de finances initiale pour 2024. Ce fonds, qui constitue le programme 380 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », est mieux connu sous le nom de « fonds vert ».

Il a pour objectif de financer les projets des collectivités territoriales en lien avec la transition écologique et porte sur la « performance environnementale » (rénovation des bâtiments publics, soutien au tri et à la valorisation des déchets, éclairage public), « l'adaptation des territoires au changement climatique » (lutte contre l'érosion côtière, prévention des incendies, des inondations, etc.) et « l'amélioration du cadre de vie » (reconquête des friches, restructuration des locaux d'activité, etc.).

La création du fonds vert devait répondre aux aspirations des collectivités territoriales, qui souhaitaient à la fois un dispositif de gré à gré et un guichet unique fusionnant les dispositifs en place (fonds friches, fonds déchets, etc.).

La rénovation énergétique des bâtiments des collectivités territoriales est de loin la mesure du fonds vert qui a fait l'objet du plus de dossiers déposés et de financements versés. Au 31 août 2024, 1 977 dossiers avaient été acceptés et 472 millions d'euros de subvention ont été accordés, soit une subvention moyenne de 239 000 euros, pour un total de 4 567 dossiers déposés et une demande de 1,42 milliard d'euros. Un tiers environ des dossiers visaient à rénover des bâtiments scolaires, suivis par les bureaux et les logements (environ un sixième des dossiers pour chacune de ces catégories).

Les travaux de la commission d'enquête ont permis de faire ressortir la valeur ajoutée du fonds vert pour les collectivités territoriales. En matière de priorités retenues, Amorce a ainsi pointé que « le Fonds vert a répondu à un besoin urgent de financement des collectivités, notamment pour la rénovation des bâtiments publics. » Diagnostic partagé par le représentant de France Urbaine, qui a notamment mis en avant l'utilité de financements pour la rénovation de groupes scolaires, « gouffres financiers en matière d'investissement si l'on veut les mettre aux normes environnementales », notant que « de nombreuses écoles datent des années 1970 et sont un peu des" passoires thermiques " ». En termes de méthode, l'association des petites villes de France a salué la souplesse retenue dans sa mise en oeuvre en préfecture, qui a permis au fonds de jouer un rôle d'accélérateur dans « la mise en place de moyens d'éclairage de basse consommation (en LED) ou la rénovation thermique », avant de conclure par un soutien fort et sans ambiguïté : « je considère que le Fonds vert fonctionnait et constituait un bon outil. Il est toujours regrettable de vouloir supprimer des outils qui fonctionnent, contrairement à d'autres qui, du fait de leur complexité, sont sous-utilisés. »

Tous les acteurs entendus par la commission d'enquête n'ont toutefois pas émis un avis aussi net en faveur du fonds vert. Le directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique de l'Institut de l'économie pour le climat, François Thomazeau, a ainsi constaté que ce Fonds « a donné lieu à un certain nombre de cavaliers », rejoignant en cela le diagnostic du Secrétaire général à la planification écologique quand il reconnaissait que « peut-être que le périmètre des projets qui ont bénéficié de subventions était trop large (...) il convient de cibler précisément ce que [le fonds vert] finance pour qu'il ne subventionne plus que les initiatives non rentables sur le plan économique. Il serait aussi judicieux d'en accroître la visibilité. »

En effet, certaines mesures ont été ajoutées au fonds vert alors qu'elles n'ont qu'un rapport indirect avec la transition écologique. À titre d'exemple, la sous-action « territoires d'industries » (100 millions d'euros d'AE en 2024) finance un dispositif de soutien au développement des compétences industrielles, à la revitalisation des friches industrielles, à la formation et la mobilité des salariés, et à l'attractivité des territoires et des métiers industriels, autant d'objectifs louables, mais dont le rattachement au Fonds vert est pour le moins discutable.

Ce ciblage perfectible est accentué par un déficit de transparence. La commission des finances du Sénat dénonce ainsi chaque année dans son rapport budgétaire l'absence de répartition prévisionnelle des crédits entre les différentes mesures du Fonds vert, qui ne permet pas d'assurer un suivi précis de l'efficacité de composantes très diverses.

(2) Une exigence de visibilité renforcée à l'heure où ses crédits sont menacés et où les collectivités ont besoin d'un engagement prévisible et continu de l'État

Évolution des crédits du programme 380 entre 2024 et 2025

(en millions d'euros)

Programme 380 - Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires

LFI 2024

LFI 2024 après annulations de février 2024

PLF pour 2025

LFI 2025

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Total

2 499

1 124

1 999

694

1 000

1 143

1 150

1 124

Source : commission d'enquête d'après la commission des finances du Sénat

Le fonds vert, initialement présenté comme « à la main des collectivités territoriales », est en réalité devenu une variable d'ajustement des politiques environnementales de l'État. Ses crédits se sont effondrés dès l'exécution de la loi de finances pour 2024. Le décret d'annulation de février 2024 a ainsi coupé 500 millions d'euros en AE et plus d'un tiers (38,2 %) des CP du fonds vert, avant que le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 n'annule 400 millions d'euros en AE et 65 millions d'euros en CP sur le programme. L'attribution de 1,124 milliard d'euros en CP pour 2025, soit un montant supérieur à celui inscrit dans la loi de finances initiale pour 2024, ne saurait être interprétée comme une « stabilisation » du fonds vert : en réalité, ces crédits viennent principalement financer des projets déjà engagés les années précédentes.

Au-delà de la simple baisse de niveau, déjà préjudiciable aux collectivités territoriales, c'est l'imprévisibilité de ces fonds qui affecte la capacité des collectivités territoriales à s'engager. Auditionné, le directeur des études et de la recherche à la Banque Postale, Luc-Alain Vervisch, notait que « ce qui nous préoccupe le plus, c'est la situation d'imprévisibilité dans laquelle l'État met ses partenaires. Cette situation est de nature à faire attendre et hésiter les collectivités à faire preuve d'un engagement plus fort pour l'environnement. »

L'Institut de l'économie pour le climat pointe les injonctions contradictoires du Gouvernement sur ce fonds, notant que le dernier Plan national d'adaptation au changement climatique comprend plus d'une quinzaine de références à des actions qui pourraient être éligibles au fonds vert. Or, comme l'a relevé cet institut en audition, « nous entrons dans une période clé. Tous les exécutifs municipaux et intercommunaux vont être renouvelés. Nombre de collectivités vont donc établir leur programmation, potentiellement jusqu'à 2035, entre mars 2026 et septembre 2026. Or, si rien ne change, quel maire pourra en 2026 tabler sur le montant de fonds vert qu'il percevra en 2027, en 2028, en 2029, en 2030 et construire une stratégie d'investissements sur cette base ? »

La commission d'enquête appelle donc à sécuriser à court terme les crédits des actions financées par le fonds vert, pour accompagner les nouveaux exécutifs territoriaux dans leur programmation pluriannuelle, et à engager un travail d'évaluation pour identifier et rendre publiques ses actions les plus transparentes, afin de renforcer un ciblage qui apparaît perfectible.

(3) Réussir la fusion des dotations de soutien à l'investissement des collectivités territoriales

Le ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation a organisé fin avril 2025 un « Roquelaure de la simplification ». Parmi les annonces en faveur des collectivités territoriales figurait la « fusion de dotations de soutien à l'investissement », en vue de faciliter la mobilisation de ces fonds par les collectivités. Si aucune annonce explicite n'a été formulée à ce stade sur le périmètre des dotations retenues, il est envisagé toutefois de fusionner le fonds vert avec certaines dotations de soutien à l'investissement de la mission Relation avec les collectivités territoriales. Cette mission comprend en effet des dotations d'investissement de droit commun, principalement la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation politique de la ville (DPV), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et une part de la dotation de soutien à l'investissement des départements (part « projet » de la DSID), répartis de la façon suivante.

Principales dotations d'investissement en faveur des collectivités territoriales

(en millions d'euros)

Dotation

LFI 24 

LFI 25 

AE

CP

AE

CP

Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR)

1 046,0

917,7

1 046,0

924,2

Dotation de soutien à l'investissement des communes et de leurs groupements (DSIL)

570,0

549,4

420,0

381,7

Dotation de soutien à l'investissement local exceptionnelle

-

110,9

-

114,4

Dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID)

211,9

154,9

211,9

167,7

Total

1 827,9

1 732,9

1 677,9

1 588,0

Source : commission d'enquête d'après la documentation budgétaire

Or ces dotations financent elles-mêmes pour partie les actions des collectivités en faveur de la transition écologique. Ce thème figurait ainsi par les quatre priorités transversales fixées par le Gouvernement au titre de l'exercice 2023159(*). À ce titre, au niveau départemental, les commissions d'élus ont été nombreuses à intégrer la dimension environnementale dans les catégories d'opérations prioritaires qu'elles fixent chaque année pour la DETR. Par ailleurs la loi de finances prévoit désormais que 35 % des crédits de la DSIL doivent être orientés vers des projets à dimension environnementale.

Dotations d'investissement contribuant à la transition écologique

(en AE, en millions d'euros)

 

Crédits exécutés favorables à l'environnement

Total des crédits exécutés

En %

DETR

293

1 008

29 %

DSID

86

202

43 %

DSIL

231

538

43 %

Total

610

1 748

35 %

Source : commission d'enquête d'après la DGCL, « les dotations de

soutien à l'investissement des collectivités territoriales en 2023 »

En 2023, plus d'un tiers des subventions accordées au titre de ces trois dotations ont financé des projets favorables à l'environnement. Cette proportion a connu une hausse continue en trois ans : elle concernait 28 % des projets notifiés au titre de la DETR et de la DSIL en 2022, une proportion déjà en hausse de 5 points par rapport à 2021.

Le rapprochement de ces différentes dotations n'est donc pas infondé, d'autant que, dans la pratique, il arrive déjà que des dossiers déposés au titre du fonds vert soient basculés sur la DSIL et la DETR, et réciproquement, selon la disponibilité des crédits sur les différentes enveloppes. Le recul des crédits du fonds vert au cours de l'année 2024 a ainsi amené les collectivités à se recentrer sur les dotations « classiques » d'investissement.

Ces constats amenaient les rapporteurs spéciaux de la mission Relation avec les collectivités territoriales à appeler de leur voeu une meilleure articulation des dotations d'investissement qui poursuivent un objectif similaire, rapprochement qui peut naturellement se faire au sein de cette mission dans la mesure où le fonds vert est intégralement alloué aux collectivités territoriales. Cette articulation renforcée nécessitera toutefois un certain nombre de précautions, la recherche de la simplification ne devant pas se faire aux dépens des territoires ruraux (cf. ci-dessous).

En conclusion, les collectivités territoriales disposent aujourd'hui de différents outils pour soutenir leurs investissements, outils comportant chacun une dimension écologique dans des proportions variables. La fusion envisagée doit être l'occasion de remettre à plat les priorités en matière de soutien aux investissements des collectivités territoriales en matière de transition écologique, de définir clairement les actions soutenues, et de communiquer sur les enveloppes prévisionnelles allouées à chacune de ces priorités, quitte à ce que cette répartition soit revue en cours d'exercice pour coller à la répartition des territoires, offrant ainsi un compromis adéquat entre visibilité et flexibilité. Les priorités définies seraient fondées sur des évaluations renforcées de l'efficacité de ces différentes actions en matière de transition écologique, pour éviter la dispersion de ressources rares.

La proportion minimale de dotations d'investissement en faveur de la transition écologique serait convenue chaque année entre l'État et les collectivités territoriales dans le cadre des contrats État-collectivités (cf. supra), en prenant en compte tant la nécessité de la lutte contre le réchauffement climatique, à travers notamment les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone, que la libre administration des collectivités territoriales, à valeur constitutionnelle, assurément bafouée si les investissements des collectivités se limitent à des dépenses contraintes en faveur de la transition écologique.

Il apparaît par ailleurs souhaitable de ne pas inclure la DETR dans le périmètre des dotations d'investissement fusionnées (cf. ci-dessous). La commission d'enquête a insisté précédemment sur la dérive des finances publiques locales organisée par l'État qui consiste à faire des collectivités territoriales de simples opérateurs. En vue de préserver une marge d'appréciation aux collectivités territoriales, il apparaît donc pertinent de reprendre ici l'une des recommandations formulées par Charles Guené et Claude Raynal, dans leur rapport d'information sur les dotations d'investissement aux collectivités territoriales160(*), à savoir de « permettre aux commissions DETR de fixer un quota indicatif de subventions qui seraient réservées au financement d'opérations ne s'inscrivant pas dans un cadre contractuel ou partenarial ».

En termes de gouvernance, enfin, ces nouvelles dotations renforcées et sécurisées doivent pouvoir faire l'objet d'un engagement formalisé entre les collectivités territoriales et l'État, à travers ses représentants. À l'occasion de son groupe de travail sur la décentralisation, le Sénat a déploré que le déploiement des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) n'ait été à la hauteur des attentes, y voyant là les conséquences d'une absence de volet financier robuste dans ces contrats. Ces contrats, aujourd'hui rebaptisés « contrats pour la réussite de la transition écologique », sont désormais le cadre de référence du dialogue entre l'État et les collectivités (cf. ci-dessus) à l'échelle du bassin de vie. Afin de sécuriser dans le temps les engagements figurant dans ces CRTE, il apparaît essentiel que ces contrats comportent désormais un volet financier suffisamment développé et contraignant pour apporter la visibilité nécessaire aux collectivités territoriales.

Recommandation n° 10 : sanctuariser un socle de dotations d'investissement en faveur des collectivités territoriales mieux évaluées et ciblées (Gouvernement).

Recommandation n° 11 : compléter l'annexe financière des contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) en leur donnant une dimension pluriannuelle (Gouvernement).

c) Des financements enfin à la main des collectivités
(1) Des financements simplifiés, mieux maîtrisés par les collectivités territoriales

Dans le cadre du « Roquelaure de la simplification », le Gouvernement a fait part de son souhait de fusionner les dotations de soutien à l'investissement des collectivités territoriales afin de « faciliter la mobilisation de ces fonds par les collectivités territoriales », citant les démarches entreprises pour mettre en place un guichet unique pour ces dotations.

Ces annonces ne peuvent être que saluées, s'accordant avec la volonté exprimée par le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation de « rationaliser la politique de soutien à l'investissement local » en faisant concorder les calendriers et procédures des différents dispositifs, avec la constitution par exemple de plateformes communes pour déposer les dossiers de demande de subventions. Il était en effet observé que de telles initiatives pouvaient exister localement, mais gagneraient à être généralisées sur le territoire.

Les travaux de la commission d'enquête font en effet ressortir un souhait chez les collectivités de mieux articuler des procédures diverses et complexes. Lors de son audition, M. Bertrand HAUCHECORNE, membre du conseil d'administration de l'association des maires ruraux de France notait ainsi que « la fusion simplifierait certainement les démarches administratives. Effectivement, en préparant le dossier de subvention pour le Fonds vert, j'ai constaté la complexité de la procédure. De nombreux maires des communes rurales se voient contraints de solliciter des cabinets d'études pour mener à bien ces dossiers. » Dans un contexte budgétaire contraint, la nécessité de supporter de tels coûts d'études apparait difficilement justifiable.

Il faut toutefois distinguer simplification administrative et fusion effective des dotations. En effet, lors de cette même audition, le représentant des maires ruraux de France a fait part de ses réticences face à un tel projet de fusion, notant que « la DETR n'est supposée bénéficier qu'aux seuls territoires ruraux », par conséquent « une fusion entraînerait une redistribution du montant global de ces aides, les communes rurales risquant de voir le montant de leurs subventions diminuer ».

Il est primordial que la simplification des dotations d'investissement ne se fasse pas au détriment des collectivités rurales. L'objectif de simplification administrative n'implique pas nécessairement une fusion budgétaire, et compte tenu des spécificités de la DETR, il convient de maintenir une ligne budgétaire séparée pour cette dotation, sans pour autant obérer le travail d'alignement des procédures et des calendriers actuellement en cours, afin qu'il ne soit plus nécessaire de déposer trois fois le même dossier pour demander des subventions au titre du fonds vert, de la DSIL ou de la DETR.

L'alignement des calendriers et des procédures n'épuisera toutefois pas les besoins d'ingénierie des collectivités territoriales. Charles Guené et Claude Raynal, dans leur rapport d'information susmentionné sur les dotations d'investissement aux collectivités, pouvaient écrire qu'« il ressort des déplacements des rapporteurs spéciaux, une insuffisante prise en compte des besoins des collectivités en termes d'ingénierie notamment préalablement au dépôt de leurs projets »161(*). La commission d'enquête a pu constater à la faveur de ses échanges avec la commune de Lyon que même les collectivités les plus importantes s'estimaient mal armées pour solliciter des financements externes du fait de turnover important au sein de leurs équipes techniques.

Les besoins d'ingénierie touchent notamment plusieurs mesures du fonds vert. Dans le cadre des travaux préparatoires à la loi de finances pour 2025, le rapporteur spécial de la mission Écologie, développement et mobilité durables a ainsi constaté que les dossiers pour le fonds « friche » ne sont souvent pas d'une qualité suffisante pour engager les financements. À titre d'exemple, la politique de rénovation énergétique des bâtiments publics requiert une étude préalable des économies d'énergie prévues, étude assurément utile pour évaluer l'efficacité de cette politique, mais qui crée des besoins en ingénierie supplémentaires pour les collectivités territoriales. Le rapporteur spécial fait part d'un diagnostic partagé par l'administration gestionnaire du fonds vert, qui conste qu' « au-delà des aspects financiers, les collectivités souhaitant réaliser des investissements de rénovation énergétique de leur parc peuvent se heurter à des difficultés d'accès à l'ingénierie, surtout les plus petites qui n'ont pas de compétences en interne. »

Or un défaut de compétences en matière d'ingénierie peut créer un effet d'éviction, conduisant à une situation où les élus et représentants de l'État privilégient les mesures les moins exigeantes au niveau des études préalables, au détriment de politiques plus structurantes. Sont ainsi identifiées comme particulièrement complexes la politique de soutien au tri à la source et à la valorisation des biodéchets, de recyclage foncier ainsi que la restructuration des locaux d'activité. Ceci peut expliquer le succès de projets plus légers sur le plan technique, comme la rénovation de l'éclairage public, projets souvent cités au cours des auditions de la commission d'enquête et qui ont bénéficié du report de dossiers.

La commission d'enquête appelle donc à la vigilance sur le fait qu'une fusion du fonds vert avec d'autres dotations en faveur des collectivités territoriales doit être accompagnée d'une offre adéquate d'ingénierie pour ne pas accentuer cet effet de « cannibalisation » des fonds en faveur des projets plus simples à concevoir.

Le directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a mis en avant, au cours de son audition, le travail engagé avec les préfets pour créer un guichet unique en matière d'ingénierie dans chaque département, pour orchestrer l'offre de l'ensemble des acteurs présents dans les territoires (agences techniques départementales, conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), agences d'urbanisme, conseils régionaux et départementaux, intercommunalités, etc.), notant toutefois que si « tous ces acteurs jouent un rôle important en matière de transition écologique », « leur implication demeure très hétérogène selon les territoires ».

Face aux difficultés en matière d'ingénierie exprimées tant par les élus locaux que par les administrations d'État, la commission d'enquête appelle à un renforcement et une meilleure articulation de l'offre d'ingénierie pour garantir le respect effectif du principe d'égalité et permettre à toutes les collectivités de disposer de toutes les dotations d'investissement d'État sur tout le territoire français.

(2) Des financements attribués sans appel à projets : l'exemple à confirmer du fonds territorial climat

Afin de « rationaliser la politique de soutien à l'investissement local », le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation recommandait notamment de limiter le recours aux appels à projets, dénonçant la concurrence instaurée entre collectivités au détriment des collectivités les plus modestes. Ces appels à projets contribuent à restreindre la liberté d'administration des collectivités territoriales.

Il appartient donc, dès que possible, de privilégier les dispositifs qui s'écartent d'une telle logique : c'est le cas du fonds territorial climat créé par la loi de finances initiale pour 2025. Ce fonds avait été proposé par la commission des finances du Sénat dès l'examen de la loi de finances pour 2024 et adopté de manière transpartisane par le Sénat en séance publique. Le Gouvernement s'était engagé à le mettre en oeuvre, et une circulaire du 28 décembre 2024 a prévu qu'une part du fonds vert serait déployée en cours d'année pour accompagner la mise en oeuvre des « plans climat-air-énergie territoriaux » (PCAET).

Le fonds territorial climat avait en effet vocation à attribuer 200 millions d'euros du fonds vert directement aux intercommunalités ayant adopté un PCAET à raison de 4 euros par habitant. Un tel dispositif permet de financer les comportements vertueux en écartant l'obstacle des appels à projets, qui en plus d'enserrer la libre administration des collectivités territoriales peut dissuader les collectivités territoriales d'investir : la planification impose d'avoir en effet une vision de long terme sur le niveau des ressources disponibles, ce qui est impossible lorsque l'avenir des projets dépend d'une instruction menée par les services préfectoraux.

Si ce dispositif apparaît consensuel et exemplaire, la pérennité de ses affectés est toutefois incertaine. Ainsi, dans un premier temps, l'administration gestionnaire a indiqué à la commission des finances, lors de l'examen de loi de finances pour 2025, que « les annulations puis les gels budgétaires n'ont pas permis de créer une part dédiée au sein du fonds vert162(*) ». La ministre chargée des comptes publics s'est depuis montrée plus conciliante, affirmant en mars 2025, lors de son audition par la commission des finances163(*) : « un débat avait eu lieu sur la manière de mettre en place les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Mais ce débat n'a pas lieu d'être : il faut mettre en oeuvre le vote du Parlement, qui a prévu 200 millions d'euros pour ces plans. »

La commission d'enquête appelle à ce que cette enveloppe ne soit pas remise en cause par une éventuelle fusion du fonds vert avec des dotations de soutien à l'investissement des collectivités territoriales. L'objectif premier de la constitution du fonds territorial climat étant une prévisibilité renforcée au service de la planification écologique, une telle annulation serait en effet désastreuse. Elle note que la bonne exécution de ces crédits sera suivie avec attention par des sénateurs qui ont adopté ce dispositif de manière transpartisane. Elle invite le Gouvernement à s'inspirer de ce dispositif pour proposer d'autres concours financiers visant à financer des dépenses contraintes imposées aux collectivités164(*). Il importe de faire enfin confiance aux collectivités territoriales dans la détermination de leurs investissements en matière de transition écologique.

(3) Vers une remise à plat des dotations, qui assume la libre administration des collectivités territoriales et renforce leur capacité d'autofinancement ?

La commission d'enquête a enfin exploré une dernière piste, plus radicale dans le cadre de ses travaux : le basculement vers le fonctionnement d'une partie, plus ou moins importante, des dotations d'investissement aujourd'hui versée par l'État. En effet, comme l'a rappelé la directrice générale des collectivités locales lors de son audition, « ce sont les marges dégagées en fonctionnement qui permettent aux collectivités de constituer une épargne brute qu'elles peuvent ensuite mobiliser pour financer leurs investissements. »

L'audition commune des représentants de la banque postale et d'I4CE a permis de poser les bases théoriques de cette piste. Le directeur des études et de la recherche à la Banque Postale a ainsi exposé que « la stratégie budgétaire d'une collectivité locale dépend surtout du niveau d'autofinancement de celle-ci : c'est l'autofinancement qui paye la dette passée, qui permet une partie de l'investissement et qui engage la dette à venir, puisque c'est avec l'autofinancement futur que l'on pourra rembourser cette dette. » La hausse des dotations de fonctionnement, en renforçant la capacité d'autofinancement des collectivités territoriales, renforce donc fondamentalement l'autonomie de gestion des collectivités territoriales en leur offrant la latitude financière nécessaire.

Ce renforcement de la capacité d'autofinancement voit par ailleurs ses effets accentués par un effet de levier (cf. analyse du levier de l'endettement ci-après), puisque le premier critère de solvabilité considéré par les banques est la capacité de désendettement, soit le ratio entre l'encours de la dette et la capacité d'autofinancement d'une collectivité territoriale.

Partant de l'analyse livrée par le directeur des études et de la recherche à la Banque Postale, le représentant d'I4CE conclut ainsi que « dans ces conditions, redonner de la marge de manoeuvre en autofinancement, ce serait effectivement accélérer le processus. Transformer les quelque 3 milliards d'euros de dotations d'investissement plus ou moins ciblés aujourd'hui en 3 milliards d'euros de dotation globale de fonctionnement (DGF) clairement identifiés redonnerait sans doute de la visibilité, de la capacité prospective et, finalement, une forme d'enthousiasme pour investir. »

Ce soutien de l'État aux recettes de fonctionnement des collectivités territoriales apparaît d'autant plus légitime que ses décisions récentes ont plutôt contribué à en alourdir les charges. Lors de son audition, l'association des Régions de France constatait ainsi une hausse de ses charges de fonctionnement, en grande partie imputable « aux décisions de l'État : revalorisations salariales (120 millions d'euros), coûts liés aux formations sanitaires et sociales (200 millions d'euros), hausse des taux d'intérêt (300 millions d'euros), ou encore revalorisation des indemnités des stagiaires. » Par ailleurs, dans le contexte de la contribution au redressement des finances publiques, la baisse importante de la DGF (de près de 11 milliards entre 2014 et 2017, sans compter les effets de l'inflation - elle s'est depuis stabilisée autour de 27 milliards d'euros) a contribué à détériorer la capacité d'autofinancement des collectivités territoriales.

Autre avantage majeur d'une telle réforme : la simplification qu'elle permet et les économies induites en matière de demande de subvention, tant dans leur formulation par les collectivités territoriales que dans leur instruction par les services de l'État. Dans son rapport remis en 2024, Boris Ravignon165(*) estime ce coût à près d'un milliard d'euros.

Comment augmenter les recettes de fonctionnement des collectivités territoriales ? Comme I4CE, qui évoquait une hausse de la DGF de 3 milliards d'euros, le rapport Ravignon appelle à « convertir les subventions d'investissement de l'État au bloc communal et aux départements en majoration des dotations de fonctionnement des communes, EPCI et départements. » Cette proposition est proche d'une proposition formulée en 2021 par l'association France Urbaine, à travers les deux co-présidents de sa commission des finances, François Rebsamen, maire de Dijon, et Arnaud Robinet, maire de Reims, à savoir le basculement de la DSIL (dotation d'investissement) en une dotation globale qui puisse s'inscrire en section de fonctionnement166(*). Dans cette tribune, France Urbaine questionnait notamment la pertinence économique de voir l'État s'endetter pour financer une DSIL « née du souci de l'État de contrecarrer la baisse de l'investissement public local découlant de la baisse de la DGF, elle-même justifiée par le surendettement de l'État »...

Boris Ravignon a depuis détaillé la mise en oeuvre de la proposition formulée dans son rapport dans un entretien livré à l'association des maires de France en juin 2025167(*) sur le « Roquelaure de la simplification », appelant, d'une part, à transférer les dotations d'investissement en faveur des collectivités territoriales vers la DGF et, d'autre part, à prévoir une exception pour « les communes les plus pauvres » pour lesquelles, « l'objectif intermédiaire, retenu par [le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation], pourrait être de simplifier et de fusionner les différentes dotations pour n'en avoir plus qu'une ».

Comme exposé dans ce rapport, la commission d'enquête considère effectivement que le rapprochement des dotations d'investissement en faveur des collectivités territoriales constitue un préalable indispensable, avec toutes les réserves qu'elle a identifiées (cf. ci-dessus). Elle estime toutefois qu'une réforme d'ampleur ne peut s'appuyer sur la dotation globale de fonctionnement telle que présentement constituée. Le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation recommande notamment de « prévoir une refonte complète de la dotation globale de fonctionnement (DGF) basée sur des critères et des modalités de répartition aisément compréhensibles pour mettre fin à un système devenu illisible, incohérent et instable », élevant même cette refonte au rang de priorité. La nécessaire réforme d'une dotation excessivement complexe, en grande partie issue de compensations de fiscalité passée qui figent une situation chaque jour plus éloignée de la réalité économique du pays, fait désormais consensus168(*). C'est ce constat qui a d'ailleurs amené la commission des finances du Sénat à inscrire à son programme de travail un contrôle budgétaire sur « les modalités de répartition de la DGF ».

Par ailleurs, la suppression des dotations d'investissement au profit des dotations de fonctionnement, nécessiterait a minima, une refonte des engagements réciproques entre État et collectivités territoriales pour veiller au respect des engagements en matière de transition écologique.

En conclusion, le basculement de dotations d'investissement vers le fonctionnement pourrait intervenir à moyen terme, dans le cadre d'une réforme plus générale de la dotation globale de fonctionnement. S'il apparaît prometteur, il nécessiterait d'importants travaux en amont pour en maîtriser l'impact économique et les effets redistributifs.

2. Une fiscalité mieux adaptée aux compétences des collectivités territoriales, pour donner à chaque strate les moyens d'agir

Le renforcement de l'autonomie financière des collectivités territoriales réelle passe nécessairement par une réflexion sur la fiscalité de chaque strate de collectivité territoriale, chacune confrontée à des défis différents.

a) Bloc communal : identifier une base satisfaisante pour un nouvel impôt territorial

Il ressort des travaux de la commission d'enquête que l'autonomie fiscale du bloc communal a été relativement préservée. Cette fiscalité est toutefois déséquilibrée, reposant sur une trop large part sur les propriétaires fonciers, au risque de casser le lien fiscal avec une large partie de la population et de menacer à terme le consentement à l'impôt d'une fraction de la population de plus en plus mise à contribution. De nombreuses pistes existent pour rééquilibrer cette fiscalité par la création d'une nouvelle contribution territoriale. L'exploration de ces pistes amène à se pencher sur le choix de la base d'imposition la plus appropriée pour une fiscalité du logement réformée.

(1) La suppression de la taxe d'habitation est l'occasion de trouver un successeur aux valeurs locatives cadastrales

Le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation appelait à « renforcer la légitimité de l'impôt local en accélérant la révision des valeurs locatives cadastrales ». En effet, le Gouvernement a pu s'appuyer sur la vétusté de cette base pour justifier la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales.

Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a produit une analyse détaillée de la fiscalité du logement169(*) qui arrive au constat que « la fiscalité foncière en France présente un profil régressif en fonction du niveau de vie des propriétaires, les patrimoines immobiliers les plus importants se situant dans les localités aux taux de taxe foncière plus faibles. »

La cause de cet état de fait est largement historique et résulte largement du choix de l'assiette de la fiscalité du logement : les valeurs locatives cadastrales (VLC). Celles-ci sont censées refléter le loyer théorique annuel que le bien, local professionnel ou local d'habitation, serait susceptible de générer. Deux critiques peuvent être formulées à l'encontre des VLC :

les VLC sont vétustes : s'agissant des logements, elles ont été définies en 1970 et peu actualisées depuis. La loi prévoyait que les VLC, fixées à la date de référence du 1er janvier 1970 (propriétés bâties) ou du 1er janvier 1961 (propriétés non bâties) seraient actualisées tous les trois ans et revalorisées chaque année pour prendre en compte l'évolution des loyers. En réalité, cette actualisation n'a eu lieu qu'une seule fois en 1980, à travers un coefficient d'actualisation spécifique à chaque département. Depuis 1981, un coefficient de révision nationale est appliqué. Ce mode de révision est trop fruste et, depuis les années 1970, les écarts entre VLC et la valeur locative réelle se sont accrus entre communes, conduisant à un renchérissement de l'impôt pour les territoires en perte d'attractivité. L'actualisation des VLC ne tient notamment pas compte des variations du prix du foncier, particulièrement dynamiques sur certains territoires ;

la méthode de calcul des VLC tend à favoriser des zones aujourd'hui riches : Paris présentait dans les années 1970 un habitat ancien dégradé quand des départements comme la Seine-Saint-Denis ont à l'inverse été pénalisés, les grands ensembles étant perçus dans les années 1970 comme à la pointe de la modernité. Les revalorisations nationales opérées ne permettent pas de réduire cet écart.

Si les insuffisances des VLC sont aujourd'hui reconnues de tous, leur réforme peine toutefois à advenir. Le principe d'une réforme générale des VLC a été posé dès 1990170(*), loi dont la mise en oeuvre a été bloquée par ses importants effets redistributifs. La loi de finances rectificative pour 2013171(*) avait prévu une nouvelle révision, mais la méthodologie proposée par la direction générale des finances publiques à l'issue d'une expérimentation dans cinq départements n'a pas été retenue.

À défaut de réforme, la simple révision des valeurs locatives cadastrales est un processus long dont les échéances sont sans cesse repoussées. La révision des bases locatives cadastrales des locaux professionnels et commerciaux, décidée en 2010, a été mise en oeuvre en sept ans (3,6 millions de locaux concernés).

Sur le modèle de la réforme des locaux professionnels, une nouvelle révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d'habitation a été enclenchée par la loi de finances pour 2020172(*), mais la réforme a été reportée de 2026 à 2028 par la loi de finances pour 2023173(*), puis a de nouveau été reportée d'un an par la loi de finances pour 2024174(*).

Dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2025, le Gouvernement a déposé un amendement pour décaler de nouveau d'un an la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, « afin que les modalités d'actualisation des paramètres d'évaluation des locaux professionnels puissent être stabilisées », avec un calendrier prévisionnel prévoyant une intégration dans les bases d'imposition au 1er janvier 2029, amendement rejeté au Sénat. Auditionné par la commission d'enquête, le directeur de la législation fiscale a évoqué une révision des valeurs locatives cadastrales d'habitation d'ici 2030...

L'administration peine visiblement à réviser les valeurs locatives cadastrales dans un calendrier acceptable. Son cas n'est pas isolé : le conseil des prélèvements obligatoires (CPO) relève des difficultés similaires dans plusieurs pays européens (Danemark, Irlande, Allemagne), confrontés aux mêmes difficultés techniques et réticences politiques.

Le statu quo n'est pas tenable. La fiscalité foncière est au coeur de la fiscalité locale et son assiette n'est plus opérante. Le Gouvernement s'est appuyé sur ce constat pour supprimer la taxe d'habitation, mais il ne fait pas le nécessaire aujourd'hui pour proposer une base fiscale acceptable dans un délai réaliste et raisonnable. Si les contraintes sont techniques, ceci doit nous amener à envisager d'autres bases fiscales plus adaptées au XXIe siècle.

La référence aux VLC était justifiée par l'existence de la taxe d'habitation : sa suppression (pour les résidences principales) permet d'envisager d'autres modalités de taxation. Dans son rapport susmentionné, le CPO livre les trois qualités recherchées pour une « assiette foncière idéale », une mesure économique pertinente, estimée facilement et pouvant être mise à jour régulièrement et formule deux propositions :

- une assiette fiscale fondée sur la valeur vénale (prix du bien), qui présente l'avantage de mieux refléter la valeur de marché et dont l'imposition contribuerait à réguler les prix du marché et permettrait aux collectivités de tirer profit de l'amélioration de la rente foncière induite par l'amélioration des services publics locaux. La Direction générale des finances publiques (DGFiP) oppose des contraintes techniques qui ne convainquent pas le CPO175(*), qui se réfère à des modèles de « valorisation automatisée des biens immobiliers », développés par des acteurs privés des secteurs financiers et immobiliers qui permettent d'obtenir des prévisions rapides et fiables en s'appuyant sur une base de transactions immobilières ;

- une assiette fiscale prenant davantage en compte le prix du terrain, développée par l'Agence nationale pour l'information sur le logement, qui s'appuie sur une base de données recensant des loyers pour estimer un prix du loyer au m² par zone homogène, selon la localisation et le type de bien, dont l'actualisation serait « plus aisée que celle des VLC actuelles ».

Que ce soit par une réforme des VLC ou par l'adoption d'une nouvelle méthode plus adéquate, il apparaît nécessaire d'établir une assiette fiscale qui ne s'appuie pas sur des données biaisées de plus de 50 ans. Dans le cadre de son audition par la commission d'enquête, le directeur de la législation fiscale a indiqué que le Gouvernement avait confié une mission de réflexion sur ce thème précis à l'inspection générale des finances, afin de déterminer notamment « si une autre méthode produirait de meilleurs résultats ou avec moins d'inconvénients pour les contribuables, moins de lourdeur déclarative, moins de lourdeur en gestion ». La commission d'enquête recommande de rendre public ce rapport pouvant intéresser chaque contribuable et chaque élu sur le territoire.

Recommandation n° 12 : rendre public le rapport de mission de l'inspection générale des finances sur les valeurs locatives et autres assiettes fiscales foncières alternatives (Gouvernement).

(2) Une nouvelle base comme préalable à la création d'un nouvel impôt territorial qui ne peut intervenir que dans le cadre d'une réforme globale de la fiscalité locale

Quelle que soit la base fiscale retenue, il apparaît nécessaire de réformer la fiscalité du bloc communal pour la rééquilibrer et mieux répartir son impact en diversifiant ses leviers. Plusieurs propositions ont été formulées récemment par des acteurs des finances publiques locales.

Le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation a ainsi proposé, fin avril 2025176(*), à titre personnel, la création d'une « contribution modeste au financement des services publics de la commune » en lieu et place de la taxe d'habitation. Les sources de presse placent le niveau de cette contribution entre 10 et 100 euros par an.

Même objectif de répartition de l'effort pour l'association des maires de France, qui en audition a indiqué qu'elle ne défend pas le rétablissement de la taxe d'habitation, mais qu'« elle ne souhaite pas non plus maintenir impérativement la taxe foncière. En revanche, elle plaide pour la mise en place d'un impôt de résidence, car tout le monde doit participer à l'effort collectif ».

L'association des maires ruraux de France (AMRF) privilégie pour sa part une contribution plus progressive. Interrogé en audition, son représentant a proposé « de réintroduire un impôt progressif qui serait applicable à l'ensemble des habitants d'une commune. Cette proposition viserait à établir une contribution minimale, même symbolique, pour les personnes aux revenus les plus modestes, tout en augmentant progressivement la charge pour les foyers plus aisés. En revanche, ce système nécessiterait un mécanisme de péréquation pour éviter les déséquilibres entre communes riches et pauvres. (...)

L'objectif de ce projet est de générer environ 9 milliards d'euros de recettes supplémentaires. En contrepartie, les communes auraient la possibilité de réduire leur taxe foncière sur le bâti. » L'objectif principal d'un tel dispositif serait d'alléger la charge fiscale des propriétaires.

Cette idée s'approche de celle évoquée par le sénateur Bernard Delcros, qui a indiqué qu'« appliquer la même somme à tout le monde, indépendamment de ses revenus, ne me paraît pas être une bonne mesure de justice fiscale » défendant « des impôts locaux différentiés, en fonction des revenus des habitants », proposant « une contribution minimale, faible, qui crée un lien qui responsabilise tout le monde, j'y suis favorable ».

L'idée d'une contribution résidentielle fondée sur une assiette mixte a été formalisée récemment par le think tank Terra Nova177(*). L'assiette de cette contribution résidentielle prendrait en compte la VLC du logement et le revenu imposable de l'individu, pour un produit attendu de 2 milliards d'euros, jugé « important sans être confiscatoire », réparti entre 500 millions d'euros pour la part logement, 1,5 milliard d'euros pour la part revenu). Le dispositif proposé se veut neutre :

- pour les contribuables, le nouvel impôt peut être déduit de leur cotisation d'impôt sur le revenu (la note ne se prononce pas sur une exonération des ménages non imposables à l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP)) ;

- pour l'État, le manque à gagner en matière d'imposition sur les revenus est compensé par une diminution de certaines dotations178(*) versées aux collectivités (occasionnant d'importants effets redistributifs entre les collectivités touchant le nouvel impôt et celles privées de dotations).

Cette proposition fait aussi de la révision des valeurs locatives « un passage obligé ».

À ce stade de la réflexion, il apparaît que ces diverses propositions ne sont pas encore mûres, tant sur le plan technique que politique. Sur le plan technique, le directeur de la législation fiscale a fait part de ses réserves sur les principales solutions envisagées :

- la recréation de la taxe d'habitation : rapportée aux revenus des ménages, la taxe d'habitation affectait particulièrement les ménages modestes. Ceci a conduit l'État à multiplier les dégrèvements pour soulager les contribuables les moins fortunés, affectant la réalité du lien fiscal avec l'ensemble de la population : dans un certain nombre de communes, l'État fournissait la majorité des recettes fiscales ;

- la recréation indirecte de la taxe d'habitation, par exemple en permettant aux propriétaires de transférer à leur locataire une part de leur taxe foncière : il s'agirait d'une taxe d'habitation plus opaque, le propriétaire agissant comme un intermédiaire collectant l'impôt sans connaître les caractéristiques du locataire (revenu, etc.) ;

- l'imposition territorialisée sur le revenu : ce choix d'assiette serait extrêmement inégalitaire, une vaste majorité des communes en France n'accueillant sur leur territoire pratiquement aucun redevable de l'impôt sur le revenu ;

- création d'un impôt forfaitaire local à la capitation (quelques dizaines ou centaines d'euros par habitant) : cette solution présente un risque constitutionnel (l'imposition devant prendre en compte la capacité contributive). Il serait ironique par ailleurs de réintroduire un impôt à la capitation qui avait été supprimé pour des raisons de justice fiscale.

Les différentes propositions exposées se heurtent, sous une forme ou sous une autre, à ces écueils techniques. Au demeurant, le principal obstacle est politique et la commission d'enquête est particulièrement soucieuse de préserver le consentement à l'impôt et de ne pas répondre à chaque difficulté financière par la création d'un nouvel impôt.

Comme l'exprimait le président du Sénat fin avril 2025179(*), « il faut qu'on soit extrêmement attentifs à ne pas susciter à nouveau une demande d'effort fiscal », donc le rattrapage financier doit passer par « une réflexion globale » et non par un rétablissement de la taxe d'habitation. « Il faut remettre à plat tout le système de financement des collectivités territoriales ».

Le débat politique et technique doit encore se tenir, s'agissant notamment de la bonne assiette foncière fiscale à retenir et de l'équilibre général d'une nouvelle fiscalité locale refondée sur lequel il est encore prématuré pour cette commission d'enquête de se prononcer.

b) Départements : pour des ressources plus prévisibles et un pouvoir de taux renforcé
(1) L'attribution d'une part de CSG peut apporter de la stabilité aux budgets des départements

Les ressources des départements sont caractérisées par leur volatilité du fait de la part importante des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) - 31 % du panier fiscal des départements en 2023 -, dont le niveau suit celui du cycle immobilier. Cette volatilité conduit à la situation que nous connaissons depuis plusieurs années où, dans un contexte macroéconomique défavorable, les départements sont confrontés à un « effet ciseau », devant faire face à une hausse des dépenses sociales avec des ressources fiscales en baisse. Il apparaît donc souhaitable de diversifier et stabiliser la base fiscale des départements.

Dans son rapport sur la décentralisation180(*), Éric Woerth fait de l'attribution aux départements d'une fraction de contribution sociale généralisée (CSG) l'une des principales mesures du nouveau schéma de financement qu'il propose pour cette strate. L'attribution d'une fraction d'un impôt existant permet de ne pas créer un nouvel impôt. Au demeurant, la dimension sociale figurait dès la création de la CSG par la loi de finances pour 1991181(*). Composée de quatre impôts juridiquement distincts portant sur quatre assiettes différentes (les revenus d'activité et de remplacement, les revenus du patrimoine, les revenus de placement et les gains et mises de jeu), son assiette large visait à répartir l'effort de solidarité entre le plus grand nombre. Cette proposition s'inscrit, pour l'ensemble de ces raisons, dans l'objectif fixé par le groupe de travail sur la décentralisation du Sénat, « d'attribuer à chaque échelon de collectivité un panier de ressources clarifié et cohérent avec leurs compétences et la dynamique de leurs charges ».

L'ensemble des acteurs auditionnés par la commission d'enquête s'est montré favorable à cette mesure sur le principe, à commencer par Départements de France et Départements solidaires, qui pointent la cohérence de financer des dépenses sociales par des recettes sociales. Le président du comité des finances locales a glissé que « M. Woerth a repris une vieille idée que nous défendons depuis longtemps ». Michel Klopfer enfin, voit l'avantage que les départements trouveraient dans une telle mesure : « Cela fait des dizaines d'années (...) que les départements réclament une part de CSG. Je le comprends très bien, à leur place, j'en ferais autant, car cet impôt est relativement dynamique. » Dans un rapport de 2015, le conseil des prélèvements obligatoires estimait que la valeur du point de CSG, toutes assiettes confondues, se situait à 11,3 milliards d'euros en 2010. Le spécialiste des finances publiques François Ecalle l'estime à 17 milliards d'euros en 2024182(*), soit une progression moyenne de 3,0 % par an.

(2) Des limites identifiées qui ne semblent pas insurmontables

Si un consensus existe sur l'assiette large de la CSG, les préconisations divergent sur ses modalités d'affectation sur le territoire. Le rapport Woerth recommande d'affecter aux départements une fraction de CSG « répartie selon une clé territorialisée » qu'il ne définit pas. Plusieurs critères peuvent être envisagés, par exemple la répartition des allocations individuelles de solidarité (AIS) sur le territoire, ce qui permettrait une fois de plus d'assurer une cohérence entre dépenses et recettes.

Partant toutefois du constat formulé par cette commission d'enquête d'une perte d'autonomie fiscale pour les collectivités territoriales, en partie pour les départements, il apparaît pertinent de chercher à conférer un pouvoir de taux aux départements sur cette part de CSG. Comme l'a noté en audition le président de Départements solidaires, une telle mesure « supposerait un pouvoir de taux, certes encadré, mais effectif pour les départements. (...) Il faut aussi que les départements disposent de leviers pour ajuster les recettes au niveau des dépenses qu'ils supportent. » Le président du comité des finances locales a aussi défendu une autonomie fiscale qui permet d'assurer un dynamisme des recettes, à la main des collectivités territoriales. Dans l'ensemble, Boris Ravignon a lui estimé qu'« il n'y a rien d'incohérent à ce que les départements puissent faire bouger le curseur sur un point de contribution sociale généralisée (CSG) qui serait à leur main, en l'assumant vis-à-vis des contribuables. »

Cette proposition n'est pas sans poser de questions. La Cour des comptes relevait ainsi183(*) que l'assiette de la CSG « ne peut être facilement territorialisée compte tenu des modalités de prélèvement des différentes composantes (activité, remplacement, revenus du capital) ». Interrogé sur ce point par la commission d'enquête, le directeur de la législation fiscale ne nie pas ces difficultés, mais ne les juge pas irrémédiables, notant qu'« il est possible d'envisager des modalités pour mettre en oeuvre une modulation des taux à la main des départements, tant sur les actifs que sur les retraités », avec une interrogation toutefois « quant au lieu à prendre en compte pour déterminer cette imposition, celui de l'employeur ou le domicile du contributeur ». Il pointe par ailleurs « l'extrême inégalité territoriale du revenu des ménages », qui pourrait impliquer une forte inégalité de rendement entre départements.

Ces deux points d'attention mettent en lumière la nécessité d'assortir toute introduction d'une part de CSG d'un dispositif de péréquation, principalement pour contrecarrer les effets des inégalités territoriales identifiées, pour les mêmes raisons qui ont nécessité la création d'un fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (FNP DMTO) par la loi de finances pour 2020184(*). À titre d'exemple, ce fonds comprend un prélèvement fixe (750 millions d'euros), un prélèvement variable185(*) et fait ensuite l'objet d'un reversement sous la forme de trois enveloppes186(*).

Par ailleurs, comme pointée par le directeur de la législation fiscale, cette proposition nécessiterait d'arbitrer entre une imposition en fonction du lieu de travail ou du lieu de résidence, un système mixte pouvant même être envisagé selon la nature du revenu, avec dans tous les cas des risques d'évitement fiscal et de stratégie de « passager clandestin ». L'introduction d'une part de péréquation permet de faire jouer à plein la solidarité nationale.

Comme le montre l'exemple du FNP DMTO, un tel dispositif nécessitera de nombreux arbitrages concernant ses modalités de mise en oeuvre qui devront être convenues entre Départements de France, le Parlement et le Gouvernement. On peut néanmoins envisager une architecture similaire à celle en vigueur pour les DMTO, à savoir la définition de prélèvements au niveau national, alimentant un fonds de péréquation, articulée avec l'instauration d'un pouvoir de taux pour les départements sur une fraction de CSG.

Reste à déterminer aussi le volume de cette nouvelle fraction et le niveau des compensations budgétaires octroyées par les départements. Les produits réels de fonctionnement des départements s'élevaient à 71,1 milliards d'euros en 2023, dont 11,4 milliards d'euros pour les DMTO et 20,4 milliards d'euros pour la TVA. Le rapport Woerth prévoyait une enveloppe de 10 milliards d'euros, ordre de grandeur qui semble réaliste au vu des montants rappelés et de nature à apporter une diversification substantielle des ressources des départements en limitant la distorsion sur l'économie française (soit moins d'un point de CSG grâce à la largeur de la base taxable, ordre de grandeur évoqué en audition par le ministre de l'Aménagement du territoire et de la décentralisation ainsi que par Boris Ravignon).

En termes de compensation, le rapport Woerth préconisait en retour une restitution à l'État par les Départements des accises sur les produits énergétiques dont elles ont le bénéfice (5,1 milliards d'euros en 2023, en baisse de 0,6 % par rapport à 2022). Une telle compensation semble souhaitable dans la mesure où elle permet de ne pas complexifier outre mesure le schéma de financement des départements. Son assiette étant menacée par la transition écologique, sa substitution avec des recettes de CSG dont le dynamisme a été rappelé, serait favorable aux départements. Des compensations additionnelles peuvent être envisagées enfin sur la fraction de TVA versée par l'État aux collectivités territoriales. Cette substitution apparaît une fois de plus pertinente, compte tenu de la base élargie de la CSG par rapport à la TVA et à son caractère moins régressif.

Recommandation n° 13 : attribuer aux départements une fraction de la contribution sociale généralisée, assortie d'un pouvoir de taux et d'un mécanisme de péréquation (législateur).

c) Régions : pour une fiscalité plus territorialisée et recentrée sur l'économie

La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) a amené une déterritorialisation des recettes des régions : en 2019 cette cotisation représentait en effet 72,5 % des recettes fiscales et 32,7 % des recettes de fonctionnement de la strate. En 2023, la principale recette fiscale des régions est une fraction non territorialisée d'un impôt national, la TVA (63 %).

La commission d'enquête s'est efforcée par ailleurs d'identifier les ressources qui pourraient figurer dans un panier adapté aux compétences de chaque strate de collectivité. Dans le cas des régions, cheffes de file en matière de développement économique, il s'agit de réorienter les ressources afin que celles-ci tirent mieux parti des politiques qu'elles mènent dans leur ressort. Deux propositions semblent en mesure de répondre à ces deux objectifs.

(1) Affecter une fraction d'IS sur une base territorialisée pour que les régions récoltent les fruits de leur politique économique

Dans son rapport sur la décentralisation, Éric Woerth propose d'affecter une fraction d'impôt sur les sociétés (IS) aux régions, proposition reprise à son compte par l'association des Régions de France lors de leur audition par la commission d'enquête : « il faut dépasser le simple transfert de fiscalité nationale sans pouvoir de modulation, sans pour autant exiger un bouleversement immédiat. Entre les deux se trouve une voie : le partage de l'impôt. C'est ce que nous avons expérimenté avec le versement mobilité. Pour les régions, ce partage devrait porter sur l'impôt sur les sociétés. En fléchant une part à hauteur de 3,5 milliards d'euros, en substitution de la TVA, des cartes grises et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), on constituerait un panier cohérent, dynamique, en lien direct avec la mission économique des régions. C'est cette orientation que nous défendons. »

De nouveau, s'agissant d'une assiette fiscale marquée par de fortes disparités territoriales, il appartiendrait d'établir concomitamment un mécanisme de péréquation horizontale pour s'assurer que l'ensemble des régions disposent de ressources suffisantes et contenir la compétition entre régions. L'association des Régions de France s'est aussi prononcée en faveur d'un tel mécanisme lors de son audition, indiquant que « Régions de France est fermement attachée au principe de péréquation. Cette exigence est d'autant plus essentielle que nous appelons à un renforcement des compétences des collectivités. Sans mécanisme de solidarité, le système devient inégalitaire. »

Cette proposition n'est toutefois pas dénuée de critiques et de difficultés de mise en oeuvre. Michel Klopfer a évoqué en audition un impôt « extrêmement volatile et difficilement « territorialisable » ». Ces deux dimensions ont été développées par le directeur de la législation fiscale lors de son audition par la commission des finances.

S'agissant de la volatilité du rendement de l'impôt sur les sociétés, il admet que « l'État pourrait vouloir partager le risque lié à la variabilité des recettes avec les collectivités locales », mais estime que pour le bien des régions, ce risque devrait être supporté par l'État. La commission d'enquête relève que cette proposition est portée par Régions de France, directement intéressée, et la plus à même d'évaluer le risque qu'elle soit encline à supporter. Sur le fond, le rapport Woerth devançait cette réserve, notant qu'une part importante des dépenses des régions sont des investissements et des subventions qui peuvent mieux s'accommoder de mouvements plus volatiles.

S'agissant du caractère « territorialisable », le directeur de la législation fiscale pointe l'impossibilité « de vérifier, de contrôler et d'établir des prix de transfert187(*) entre régions françaises pour évaluer les bénéfices réalisés dans chaque région ». En effet, la détermination d'un bénéfice imposable régional, sur lequel la région pourrait appliquer un taux, nécessiterait que chaque entreprise ayant des établissements situés dans plusieurs régions françaises soit en mesure de répartir son bénéfice imposable entre ces régions. La présence de taux différents sur le territoire impliquerait nécessairement des stratégies d'optimisation pour les entreprises françaises, créant de la complexité au niveau des entreprises et requérant des contrôles chronophages et complexes de la DGFiP, comparables au contrôle des prix de transfert aujourd'hui menés, qui nécessitent la production d'une documentation technique dédiée pour les entreprises au-delà d'un certain seuil188(*).

Cette limite technique plaide contre l'attribution d'un pouvoir de taux régional sur l'impôt sur les sociétés. D'autres solutions existent toutefois pour territorialiser l'impôt sur les sociétés. Le rapport Woerth proposait ainsi une fraction d'impôt sur les sociétés « répartie entre les régions sur la base de critères économiques, comme le nombre de salariés ou le foncier d'entreprises dans chaque région. » Contrairement à la définition des prix de transferts, de tels critères sont en effet directement observables et plus difficiles à manipuler dans le cadre d'une stratégie d'optimisation. Une fois de plus, l'identification du critère précis ne pourra se faire que dans le cadre d'un travail prolongé associant Régions de France, le Parlement et le Gouvernement, sur le rendement et les effets redistributifs de l'indicateur retenu, après prise en compte du dispositif associé.

La commission d'enquête recommande donc le transfert par l'État d'une fraction d'impôt sur les sociétés, réparties entre les régions sur la base de critères économiques, à hauteur de 3,5 milliards d'euros en substitution de la TVA, des cartes grises et des accises sur les produits énergétiques. Cette nouvelle fraction serait assortie d'un dispositif de péréquation. Une telle proposition permettrait en outre de sécuriser pour les régions une base taxable moins menacée par la transition écologique.

Recommandation n° 14 : attribuer aux régions une fraction d'impôt sur les sociétés, répartie sur la base de critères économiques et assortie d'un dispositif de péréquation (législateur).

(2) Rétablir une CVAE régionale par réalisme financier

Les régions ont été fortement affectées par la suppression de la CVAE et leur fiscalité apparaît totalement déconnectée de leur territoire (les impôts territorialisés représentaient 12 % des produits de fonctionnement des régions en 2023, contre 20 % pour les départements et 54 % pour le bloc communal).

Il apparaît nécessaire de réinterroger le bien-fondé de cette suppression annoncée. Celle-ci s'est matérialisée par plusieurs réformes successives visant, à terme, à sa suppression. Dans le cadre du plan de relance, la part de la CVAE affectée aux régions a d'abord été supprimée par la loi de finances initiale pour 2021, entraînant une diminution de recettes d'environ 7,2 milliards d'euros. La loi de finances pour 2023 a complété cette réforme et prévu une suppression de la CVAE en deux temps : une diminution du taux de moitié en 2023 (ramenant le taux maximal de 0,75 % à 0,375 %) avant une suppression totale en 2024. À cet effet, depuis le 1er janvier 2023, le produit de la CVAE n'est plus reversé aux collectivités territoriales, qui perçoivent en contrepartie une compensation par l'attribution d'une fraction de la TVA.

Or comme l'a montré cette commission d'enquête, l'annonce de la suppression de cet impôt, certes, imparfait, a constitué un chèque sans provision du Gouvernement. La réalité s'éloigne d'ailleurs chaque année un peu plus des annonces gouvernementales. Dans un premier temps, la loi de finances pour 2024189(*) a repoussé l'échéance de la suppression de la CVAE, prévoyant que celle-ci s'échelonnerait désormais sur 4 ans190(*). Dans un second temps, le réalisme économique a poussé le Gouvernement à proposer dans son projet de loi de finances pour 2025 un report à 2030 de cette suppression, en décalant la trajectoire de baisse des taux initialement prévue de 2025 à 2027 aux années 2028 à 2030, proposition adoptée.

Ce report continuel de la suppression de la CVAE ne peut durer indéfiniment. Alors que le projet de loi de finances pour 2026 s'annonce aussi difficile que son prédécesseur, que le déficit public a atteint 5,8 % du PIB en 2024 et que la France s'est engagée dans son plan budgétaire et structurel de moyen à long terme à ramener ce déficit sous les 3 % en 2029, les prochains exercices budgétaires s'annoncent tout aussi ardus. Si l'on en croit la trajectoire budgétaire de la France depuis 50 ans, rien ne laisse à penser que la France soit en position en 2030 de se passer de cette ressource fiscale.

La France se trouve donc dans « le pire des deux mondes », où sa situation financière la contraint à maintenir un impôt sans qu'elle puisse durablement compter sur les recettes de cet impôt pour investir, du fait d'annonces passées irréalistes.

La commission d'enquête recommande donc d'accepter les faits, de reconnaître que la CVAE est amenée à perdurer à moyen terme, de renoncer à sa suppression et d'en réaffecter le produit aux collectivités territoriales. Cette suppression annulée serait compensée selon une logique proche de celle développée par le président du CFL dans le cadre de son audition par la commission d'enquête, qui proposait « que la CVAE soit versée intégralement aux collectivités territoriales : la partie de CVAE que l'État perçoit serait transférée aux collectivités territoriales ; inversement, ce montant serait déduit, au profit de l'État, de la TVA perçue par les collectivités territoriales. Ainsi, l'opération serait neutre pour l'État et ne coûterait rien, mais les collectivités retrouveraient un levier d'action. »

Une telle proposition permet de préserver les finances publiques pour les prochaines années en enrayant la dynamique baissière irresponsable annoncée. Elle contribue à rétablir le lien contributif entre les entreprises et les territoires, mais s'attache toutefois à ne pas accentuer la pression fiscale et ne revient pas sur les baisses de rendement actées entre 2021 et 2023.

Compte tenu du rendement restreint permis par cette proposition, la commission d'enquête propose que le produit de la CVAE ne soit rétabli que pour les régions, compte tenu de leurs compétences en matière de développement économique et de la faible territorialité de leurs bases fiscales.

Recommandation n° 15 : revenir sur la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et en affecter le produit aux régions (législateur).

d) Mieux orienter la fiscalité répartie
(1) Affecter pleinement les produits de la fiscalité écologique : l'exemple de la « surprime catastrophes naturelles (CatNat) »

Le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), également appelé fonds Barnier, a été créé en 1995191(*) avec pour but initial de financer les indemnités d'expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur. Son utilisation a depuis évolué et il est devenu la principale source de financement de la politique nationale de prévention des risques naturels. Il a pour objectifs d'améliorer la sécurité des personnes face aux risques naturels et de réduire les dommages aux biens. Les mesures finançables par ce fonds sont définies par l'article L. 561-3 du Code de l'environnement. Un taux maximal de subvention ou d'indemnité est fixé pour la plupart des mesures. Certaines mesures sont plafonnées dans leur montant global et dans la durée.

Ce fonds était initialement financé par un prélèvement obligatoire sur le montant payé par les assurés au titre de la garantie contre les catastrophes naturelles (« surprime CatNat »192(*)). Depuis la loi de finances pour 2021, le budget du fonds Barnier a été intégré à la mission Écologie, développement et mobilité durables.

Dans le même temps, le prélèvement qui constitue la « surprime CatNat » a été créé et codifié à l'article 235 ter ZE du code général des impôts, reprenant son assiette et son taux précis, mais affectant l'entièreté de son rendement au budget de l'État.

La commission des finances du Sénat a suivi avec attention la budgétisation du fonds Barnier et a constaté une décorrélation et un écart croissant entre les produits de la « surprime CatNat » versée par les assurés et les finances du fonds Barnier versées en retour.

Comparaison entre le produit du prélèvement sur la garantie « CatNat »
et les sommes allouées au fonds Barnier entre 2015 et 2025

(en millions d'euros)

Note : l'allocation de 220 millions d'euros au fonds Barnier prévue par le PLF 2025 est présentée comme un rebasage, et non comme un abondement exceptionnel comme en 2024. Les chiffres du prélèvement sur la garantie « CatNat » en 2024 et 2025 sont prévisionnels.

Source : commission des finances du Sénat

Le prélèvement obligatoire codifié à l'article 235 ter ZE du code général des impôts est intitulé : « Prélèvement annuel sur le produit des primes ou cotisations additionnelles relatives à la garantie contre le risque de catastrophes naturelles ». Le consentement à cet impôt est lié à l'usage qui est fait de cette ressource. Le rapporteur spécial de la mission écologie193(*) relate ainsi qu' « avant le projet de loi de finances pour 2025, de nombreux acteurs du monde de l'assurance pensaient que le relèvement du taux de la surprime se traduirait par une augmentation à hauteur équivalente des subventions au fonds Barnier. Son absence dans le présent projet de loi de finances a logiquement mené à une forte protestation de la part des assureurs. »

Afin de respecter les attentes légitimes du contribuable et d'affecter les sommes prélevées à l'usage invoqué pour justifier cette contribution, le Sénat a adopté, lors de l'examen de la loi de finances pour 2025, un amendement de la commission des finances visant à augmenter les crédits de la politique de prévention des risques naturels de 220 millions d'euros à 450 millions d'euros en portant le fonds Barnier à 300 millions d'euros, et en finançant des actions de prévention des collectivités territoriales à hauteur de 150 millions d'euros (100 millions d'euros pour la prévention du retrait-gonflement argileux et 50 millions d'euros pour les travaux des communes dotées d'un plan de prévention des risques naturels majeurs).

Cette position a été reprise par le Gouvernement, la ministre chargée de la transition écologique déclarant en mai 2025 que « lorsque les Français payent une surprime sur des catastrophes naturelles qui rapporte 450 millions à l'État, il est légitime que ces 450 millions d'euros aillent vers les politiques de protection ».

La commission d'enquête a identifié un certain nombre de dépenses liées à l'adaptation au changement climatique qui incomberont aux collectivités territoriales sans financement correspondant. Elle recommande par conséquent de systématiser la logique de la répartition de la surprime CatNat votée au Sénat lors de l'examen de la loi de finances pour 2025, à savoir (i) d'identifier le montant de la surprime CatNat, (ii) de financer à cette hauteur des actions de prévention en faveur des collectivités territoriales dans le programme « Prévention des risques » de la Mission Écologie, développement et mobilités durables.

Recommandation n° 16 : inscrire chaque année sur le programme « Prévention des risques » un montant de financement d'actions portées par les collectivités territoriales cohérent avec les sommes collectées au titre du prélèvement sur la garantie « CatNat » (législateur).

(2) Mieux tenir compte des réalités des territoires dans la répartition de la fiscalité transférée

Deux tendances ont contribué à un fort essor de la fiscalité transférée de l'État vers les collectivités territoriales : la compensation d'une part, du transfert de compétences qu'il ne souhaitait plus assumer, d'autre part, de la suppression d'impôts locaux dans un souci de contenir la pression fiscale, avec une suspicion latente que l'impôt local est moins légitime, moins efficace, plus complexe que l'impôt national.

Cette accumulation a conduit à la fossilisation progressive des ressources « concédées » aux collectivités territoriales par l'État central, les dotations et la fiscalité transférée visant à répliquer ponctuellement et à figer les effets de la suppression ou du transfert d'un impôt. Pour ce qui est de la fiscalité, la Cour des comptes a dressé en janvier 2025 un état des lieux par strate de collectivité194(*).

Part des recettes dont la répartition est figée en fonction de données du passé dans les recettes réelles de fonctionnement des collectivités en 2023

Source : Cour des comptes d'après des données de la DGFiP et de la DGCL

EPCI, Départements et Régions195(*) affichent une part significative de recettes remplaçant des impôts locaux supprimés (principalement des fractions de TVA allouées pour la suppression de la THRP, de la CVAE ou de la DGF des régions, mais aussi une part de DGF héritière de la fiscalité supprimée et certains dispositifs pour compenser la taxe professionnelle).

À cette part élevée de recettes s'ajoutent d'autres recettes fiscales nationales réparties en fonction de données historiques, comme les recettes de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) et des accises sur les produits énergétiques (ex-TICPE), attribuées pour compenser des transferts de compétences.

Or la Cour pointe que ces répartitions figées en fonction de situations historiques ne tiennent pas compte de façon dynamique des populations et de leurs caractéristiques et donc, les recettes se trouvent progressivement décorrélées des dépenses, suscitant immanquablement un besoin de financement et des appels à la péréquation, qu'elle soit verticale ou horizontale.

La commission d'enquête a précisément défini l'autonomie financière réelle des collectivités territoriales comme la capacité à disposer de ressources suffisantes pour financer ses dépenses contraintes et conserver un pouvoir discrétionnaire, état de fait de plus en plus mis à mal localement par une croissance des dépenses contraintes sans commune mesure avec des recettes figées, de plus en plus éloignées des réalités économiques du territoire. Lors de son audition par la commission d'enquête, le représentant de la Cour a noté qu'« il est frappant de constater que les différentes catégories de collectivités disposent de capacités très variables pour exercer des compétences obligatoires ou quasi obligatoires. (...) S'agit-il d'une situation normale ? La question mérite d'être posée. »

Dans le rapport précité, la Cour recommande de répartir en fonction de critères démographiques et socio-économiques, appréciés d'après des données contemporaines, la dynamique des recettes des impôts nationaux affectés aux collectivités, en lieu et place d'impôts récemment supprimés (THRP, CVAE) ou réaffectés (TFPB départementale)

De manière générale, toute modification du mode de répartition créera des gagnants et des perdants : il est donc essentiel que chaque année, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances, la répartition annuelle des ressources figées soit revue et convenue par les collectivités territoriales, le parlement et le Gouvernement à l'occasion des conférences territoriales décisionnaires, en s'appuyant sur un diagnostic détaillé et des propositions formulées par le nouveau conseil d'orientation des finances publiques, suivant les deux recommandations de cette commission d'enquête. Une meilleure répartition des ressources en amont doit contribuer à limiter le besoin de dispositifs de péréquation en aval.

3. Le levier de la dette : pour une dette verte maîtrisée

Comment dégager des ressources financières à la hauteur des défis financiers qui se présentent face aux collectivités territoriales et permettant de répondre à la vitesse nécessaire ? Entendu par la commission d'enquête, le maire de Bures-sur-Yvette, Jean François VIGIER, vice-président de l'AMF, a décrit le dilemme qui se présente à nous. « L'urgence climatique est une grande cause nationale, que tout le monde reconnaît comme légitime. Il est important d'investir pour nos enfants ; toutefois, aujourd'hui, les communes ne peuvent plus accroître le montant de leurs investissements, faute de pouvoir s'endetter au-delà d'un certain seuil. (...) Disons-le clairement : nous ne ferons pas la transition écologique en sept, huit ou neuf ans, (...) les dotations ne nous le permettront pas davantage que notre endettement actuel. Nous ferons la transition, mais cela prendra vingt-cinq ans. On peut accepter une telle idée, mais il y a urgence, et nous en sommes tous conscients. »

Pour mémoire, l'accord de Paris196(*) prévoit à son article 2 de « [contenir] l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2° par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5° ». Cet objectif appelle d'importants efforts collectifs d'ici 2050.

Réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de CO2 nécessaires d'ici 2050 pour limiter le réchauffement à 1,5°C ou 2°C

 

Pourcentage de réduction par rapport à 2019

2030

2035

2040

2050

Avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à 1,5°C

GES

43 %

60 %

69 %

84 %

CO2

48 %

65 %

80 %

99 %

Avoir deux chances sur trois de limiter le réchauffement à 2°C

GES

21 %

35 %

46 %

64 %

CO2

22 %

37 %

51 %

73 %

Source : the shift project, note de synthèse du 6e rapport du GIEC

Bien évidemment, les collectivités françaises ne peuvent supporter seules le coût de la transition écologique. Mais comme l'a exposé cette commission d'enquête, leur rôle est crucial dans cet effort collectif et la question d'un financement permettant une réponse suffisamment rapide doit être posée.

a) Une grande majorité de collectivités qui maîtrise l'encours de sa dette et sa capacité d'autofinancement
(1) Une dette des collectivités territoriales qui est restée sous contrôle, contrairement au reste de la dette publique

Dette des administrations publiques locales (APUL) et poids dans la dette
toutes administrations publiques (APU)

Source : observatoire des finances et de la gestion publique locales,
l'encours de dette des collectivités locales et son coût, 2024

La dette publique locale est stable depuis près de 50 ans, oscillant essentiellement entre 7 % et 10 % du PIB depuis 1978, ayant chuté jusqu'à 6,6 % du PIB en 2002 et atteint jusqu'à 9,9 % du PIB en 2020, dans un contexte exceptionnel. Sur la même période, la dette toutes APU a progressé de 21,6 % du PIB en 1978 à 113,2 % en 2024, portée par une dette de l'État qui s'élève à 12,8 % du PIB en 1978 et représente 92 % du PIB en 2024. La part de la dette des administrations publiques locales s'est donc fortement réduite, passant de plus de 30 % de l'ensemble de la dette en 1978 à moins de 9 % depuis 2017.

L'encours de la dette des collectivités territoriales est même inférieur à ce total, une part non négligeable de la dette publique locale étant portée par des « organismes divers d'administration locale ». Parmi ces dernières figurent notamment Île-de-France mobilités et la SGP (Société des grands projets, ex-Société du Grand Paris) dont les activités ont nécessité un recours important à l'endettement197(*).

Ce bilan positif a été confirmé lors de l'audition par la commission d'enquête de M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes198(*) : « sur la question de l'endettement national, pour être tout à fait objectif, l'endettement des collectivités est plutôt stable en proportion du produit intérieur brut, voire légèrement déclinant année après année. Il ne constitue donc pas, en soi, un facteur de risque pour l'ensemble des finances publiques ».

(2) Un constat généralement favorable qui masque des disparités entre collectivités

Lors de cette même audition, M. Viola a détaillé son analyse des collectivités territoriales présentant des marges d'endettement. « La vérité, c'est que nombre de collectivités pourraient, dans l'absolu, s'endetter davantage. On observe, en particulier dans le bloc communal, mais également parmi les départements, des situations où les ratios de désendettement sont extrêmement favorables. (...) D'un côté, il y a des départements dont le ratio d'endettement atteint plusieurs dizaines d'années ; de l'autre, il existe des départements sans aucune dette ou avec une dette symbolique. »

S'agissant des communes, tout d'abord, on observe un très faible niveau d'endettement chez les communes les plus modestes. Pour mémoire, si l'analyse de la capacité de désendettement199(*) doit être adaptée à chaque type de collectivité, on considère généralement que le seuil d'alerte se situe autour de 12 ans : en 2023, le délai moyen de désendettement des communes se situait à 2,9 ans. Si ce délai augmente avec la taille de la commune, il reste dans l'ensemble modéré.

Capacité de désendettement des communes en 2023 par strate de la population

Source : Observatoire des finances et de la gestion publique locales,
l'encours de dette des collectivités locales et son coût, 2024

En comparaison, on observe pour les départements une plus grande diversité de situations, certains départements étant peu ou pas endettés quand d'autres s'approchent ou dépassent les seuils d'alerte. La trajectoire est toutefois globalement positive depuis 2015, 69 % d'entre eux affichent une baisse de leurs encours, et le nombre de départements présentant une capacité de désendettement supérieure à 10 ans est passé de 15 en 2015 à 4 en 2023

Capacité de désendettement des départements

Note : trois départements ne sont pas représentés parce qu'ils affichent respectivement un délai de désendettement supérieur à 20 ans, une épargne brute négative en 2015 et une épargne brute négative en 2023.

Source : Observatoire des finances et de la gestion publique locales,
l'encours de dette des collectivités locales et son coût, 2024

Dans l'ensemble, seuls les régions et groupements à fiscalité propre ont vu une progression significative de leur dette ces dernières années. Dans le premier cas, la progression observée est expliquée par le niveau initialement faible de la dette ainsi que d'importants investissements dans les transports et dans les lycées. Dans le second cas, la hausse observée est notamment expliquée par le transfert de compétences200(*), et de la dette associée, des communes vers les EPCI. Dans les deux cas, le niveau de leur capacité de désendettement était encore raisonnable en 2023 (6,0 années en 2023 pour les régions, 3,3 années pour les communautés de communes, 3,7 années pour les communautés d'agglomération et 4,9 années pour les communautés urbaines et métropoles).

Évolution de l'encours de la dette par strate de collectivité

(base 100 en 2011, euros courants)

Source : observatoire des finances et de la gestion publique locales,
l'encours de dette des collectivités locales et son coût, 2024

(3) Maîtriser son autofinancement pour pouvoir tirer parti de l'effet de levier et accroître ses ressources financières

Comme rappelé précédemment, les besoins de financement des collectivités territoriales sont de taille, et les ressources publiques sont limitées. La question du recours à des financements privés doit donc être envisagée avec sérieux. L'enjeu principal est celui de la solvabilité, soit la capacité à repayer cette dette : l'un de ses principaux indicateurs en est la capacité de désendettement, soit le ratio entre l'encours de la dette et la capacité d'autofinancement. Pour être maîtrisée, une hausse de la dette doit donc s'accompagner d'une hausse de la capacité d'autofinancement.

En d'autres termes, la maîtrise de l'autofinancement peut permettre aux collectivités de dégager un effet de levier. I4CE a explicité ce raisonnement lors de son audition par la commission d'enquête : « le seul effet de levier réel qui existe dans une collectivité, c'est son autofinancement : en effet, pour un euro d'autofinancement, il peut y avoir plus qu'un euro d'investissement, puisqu'il est possible d'ajouter de l'emprunt. »

Une majorité de collectivités peut donc s'appuyer sur la gestion saine de son autofinancement pour dégager des capacités de financement supplémentaires par la dette. Cet autofinancement peut être accru par ailleurs par une poursuite de la logique de décentralisation, qui fasse confiance aux collectivités en basculant certaines dotations d'investissement d'État vers le fonctionnement (cf. supra).

Lors de son audition par la commission d'enquête, le représentant de la Banque postale a rappelé que la capacité d'autofinancement est avant tout dégagée pour financer des projets : « l'État envisage l'autofinancement comme un moyen de réduire le recours à l'emprunt et donc de contribuer à la réduction de la dette publique, alors qu'historiquement, cela ne s'est jamais produit. (...) L'autofinancement provoque de l'endettement et a un effet de levier sur l'investissement, ce qui est assez positif au regard des enjeux, tout en restant, bien évidemment, contradictoire avec une stratégie de réduction de la dette publique. Comment donc mieux articuler ces éléments ? Sans doute en améliorant le dialogue entre l'État et les collectivités locales. » La base de ce dialogue doit être de rappeler le principe financier de base selon lequel, l'endettement est rentable tant que le retour sur investissement est supérieur au coût de la dette : c'est fréquemment le cas en matière de transition écologique.

b) Identifier des investissements verts souvent rentables à moyen terme pour attirer une dette ciblée
(1) Des économies d'énergies qui se traduisent souvent en économies budgétaires

Comme tout investissement, les projets en matière de transition écologique peuvent nécessiter des surcoûts immédiats avant de produire un effet financier futur, que ce soit des produits supplémentaires (ex. : installation de panneaux solaires), ou plus communément une baisse de coûts, souvent à travers des économies d'énergie (ex. : rénovation des bâtiments, éclairage public équipé en LED, etc.).

La commission d'enquête a recueilli en auditions plusieurs témoignages pointant cet effet. L'ancien secrétaire général à la planification écologique a noté qu' « une large part des investissements dans la transition écologique devrait réduire les charges de fonctionnement » quand l'Ademe a choisi de mettre en avant deux exemples particulièrement parlants : « le passage aux LED pour l'éclairage public, avec un retour sur investissement très rapide, et les réseaux de chaleur, soutenus par le fonds chaleur, qui constitue un des fonds emblématiques de l'Ademe ».

La commission d'enquête a déjà présenté l'efficacité du fonds chaleur. S'agissant des LED, la Cour des comptes s'est intéressée récemment à la gestion de l'éclairage public. Certains contrôles ont fait ressortir une baisse de la consommation de plus de 40 % du fait de la simple installation de LED. Ces nouvelles installations permettent par ailleurs une extinction nocturne, à la demande du maire, offrant un rendement supérieur et un retour sur investissement en moins de dix ans201(*).

Boris Ravignon a repris cet exemple lors de son audition par la commission d'enquête, notant que « lorsque vous rénovez l'éclairage public ou isolez votre parc immobilier, il y a un rendement ». Et de fait, la question des économies d'énergie est cruciale financièrement pour les collectivités territoriales. Si cette question s'est rappelée à l'attention de toutes les collectivités territoriales lors de la crise inflationniste de 2022, elle n'en reste pas moins décisive en temps normal : l'ADEME estime ainsi que, dès 2017, les communes dépensent environ 44 euros par habitant pour l'énergie, dont 32,5 euros par habitant dédiés aux dépenses énergétiques des bâtiments communaux202(*).

Compte tenu des marges identifiées en matière d'endettement pour une majorité de collectivités, le financement par l'emprunt peut être encouragé pour financer au moins une partie de ces projets. Les acteurs financiers jouent ici un rôle traditionnel de financeur de projet, les annuités futures des collectivités emprunteuses étant financées par le rendement attendu pour ces investissements.

De tels montages ne peuvent toutefois être prévus pour l'ensemble des investissements dans la transition écologique. Lors de l'audition précitée, Boris Ravignon rapportait ainsi que « quand on construit des pistes cyclables, c'est utile pour la décarbonation des mobilités, mais le rendement est faible, voire négatif pour les finances locales : moins de voitures en ville, cela représente moins de recettes de fonctionnement ». De même, la responsable de la mission transition écologique de l'association des maires de France (AMF) prenait l'exemple de la désimperméabilisation des revêtements de voirie et de la végétalisation des espaces publics, notant que « le vivant coûte cher à l'entretien. Les politiques de désimperméabilisation conduites dans les villes pour lutter contre les effets d'îlots de chaleur engendrent des coûts de fonctionnement importants ». Les collectivités prennent continûment des décisions pour un ensemble de raisons qui dépassent le simple cadre financier : il est essentiel qu'elles en maîtrisent les conséquences financières et qu'elles puissent adapter les modalités de financement en conséquence.

(2) L'introduction de budgets verts pour mieux identifier les investissements dans la transition écologique et leur allouer des financements bonifiés

Le budget vert est une classification des dépenses budgétaires et fiscales selon leur impact sur l'environnement et une identification des ressources publiques à caractère environnemental. Cet outil d'analyse de l'impact environnemental du budget a pour but de mieux intégrer les enjeux environnementaux dans le pilotage des politiques publiques.

L'État français dispose d'un budget vert depuis 2021. C'est aussi le cas désormais pour les collectivités territoriales et leurs groupements de plus de 3 500 habitants, depuis le vote de la loi de finances pour 2024203(*), qui introduit une nouvelle annexe au compte administratif ou au compte financier unique, dite « annexe environnementale des collectivités locales », qui vise à mesurer l'impact des budgets locaux sur la transition écologique.

Le Sénat a défendu dès 2022 l'introduction d'un tel outil pour financer les investissements verts de collectivités territoriales volontaires. Une mission d'information du Sénat sur les obligations assimilables du Trésor vertes204(*) formulait ainsi la recommandation suivante : « si les collectivités territoriales veulent continuer à recourir aux financements verts et bénéficier de leurs avantages, alors elles doivent procéder à l'identification, dans leurs comptes, des dépenses ayant un impact favorable sur l'environnement. »

À ce stade, comme le note l'inspection générale des finances dans son rapport sur l'investissement des collectivités territoriales205(*), le budget vert n'est toutefois qu'un « outil de transparence budgétaire et une source d'informations pour les collectivités territoriales ». Or elle estime que le « développement des prêts verts fléchés par projet est une opportunité pour les collectivités qui se dotent d'un budget vert », notant que « les banques rencontrées par la mission ont indiqué que leurs investisseurs marquaient un intérêt de plus en plus marqué pour financer spécifiquement des prêts « verts » aux collectivités territoriales pour leurs projets concourant à la transition écologique ».

En effet, depuis 2015 et un discours206(*) de celui qui était alors gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, les établissements financiers ont pris conscience du risque climatique qu'il soit physique (impact financier des catastrophes naturelles), juridique (procès intentés par les victimes du changement climatique) ou lié à la transition vers une économie bas-carbone (dépréciation des actifs liés aux énergies fossiles). Les établissements financiers essaient donc de diversifier leur portefeuille et les banques françaises communiquent aujourd'hui sur leur engagement en faveur de la finance durable207(*), indiquant par exemple que le montant des crédits verts et durables au bilan des banques françaises avait été multiplié par 4,4 entre 2020 (76 milliards d'euros) et 2023 (337 milliards d'euros).

À titre d'exemple, dans le cadre d'un déplacement sur place, la ville de Lyon a vanté à la commission d'enquête les mérites des « obligations vertes » qu'elle souscrit depuis 2022. La ville de Lyon a notamment émis une obligation de 10 millions d'euros visant à financer des projets environnementaux (deux projets de rénovation bâtimentaire pour 4,5 millions d'euros chacun, un projet d'éclairage pour 1 million d'euros). La commune a émis une seconde obligation sociale et note208(*) que « suite au succès de ces premières émissions, la multiplication des opérations en lien avec la transition écologique est fortement envisagée pour les prochaines années ».

S'agissant des collectivités territoriales toutefois, l'obligation de budget vert est encore récente et l'offre est en voie de structuration. Dans le rapport précité, l'inspection générale des finances note que « de l'avis des banques rencontrées, ces prêts verts n'offrent pas de taux nettement préférentiels à l'heure actuelle par rapport aux prêts habituels. En outre, ils induisent une charge de rapport accrue pour les collectivités pour établir les conséquences environnementales du projet. »

La commission d'enquête appelle donc à un travail commun entre le Parlement, le Gouvernement et les collectivités territoriales sur les évolutions législatives et réglementaires souhaitables pour que collectivités territoriales et établissements financiers tirent pleinement parti des possibilités offertes par la finance durable.

Par ailleurs, la responsable de la mission transition écologique de l'AMF a mis en garde la commission d'enquête contre une utilisation dévoyée des budgets verts des collectivités territoriales rappelant qu'ils étaient issus d'une démarche volontaire, lancée par l'I4CE et des collectivités désireuses de s'investir en ce sens. Si elle soutient l'initiative et les informations supplémentaires qu'elle apporte, elle rappelle que « l'annexe verte, au fond, n'est qu'une photographie de l'analyse du budget à un instant précis. Elle ne donne pas la moindre indication sur les investissements réalisés dans la période précédente. » À ce titre, elle ne constitue pas un outil adapté pour quantifier l'ensemble des efforts d'une collectivité en faveur de la transition écologique et ne saurait constituer un outil de critérisation des concours financiers versés par l'État aux collectivités territoriales.

c) Des pistes à explorer avec vigilance

Si l'urgence climatique nécessite une accélération des investissements en faveur de la transition, si la majorité des collectivités est relativement peu endettée grâce à une gestion financière prudente et si la finance verte fait miroiter des perspectives de financement moins coûteux recherchées par des investisseurs recherchant une diversification de leur portefeuille et/ou des investissements plus éthiques, il ressort des travaux de la commission d'enquête que la prudence doit rester de mise.

En premier lieu, la dette verte reste avant tout de la dette. Le représentant de la Cour des comptes a rappelé lors de son audition que « la dette verte resterait une dette financière dès lors qu'elle est levée par emprunt. Elle entre donc dans le périmètre de la dette publique, quel que soit son objet », témoignage confirmé avec amusement par le consultant en finances locales, Michel Klopfer, identifié comme le créateur de la capacité de désendettement : « en 2022, alors que l'on commençait à parler d'un fonds sur la transition écologique, j'ai été invité par la direction générale d'une grande banque, qui m'a demandé : « Monsieur Klopfer, ne pourrait-on pas “bidouiller” le ratio de capacité de désendettement, que vous avez créé, afin d'enlever la dette finançant les investissements ? » Je me souviens de négociations compliquées avec cette banque et avec d'autres lorsque je m'occupais des plans de redressement de ce que l'on appelle le « triangle d'or », c'est-à-dire Avignon, Nîmes et Arles (...) Je sais pertinemment que les banques se soucient très peu de savoir si telle enveloppe finance plutôt un giratoire ou la transition écologique ! »

Cet avertissement vaut pour toute forme d'endettement au sens large. Ainsi, Boris Ravignon notait en audition qu' « on observe aussi un phénomène qui, à mon avis, est appelé à s'amplifier : la création de structures pour déconsolider une partie de la dette liée à la transition. Si vous créez une société publique locale (SPL) ou une société d'économie mixte (SEM) pour gérer des investissements, la dette afférente ne sera pas consolidée dans le budget de la collectivité. Même si cela me paraît pertinent dans un certain nombre de cas, il faudrait éviter que cela constitue une dette verte cachée qui se développe de manière anarchique. »

Or tout appel à une hausse du taux d'endettement des collectivités doit être analysé avec vigilance dans un contexte de dégradation des conditions financières des collectivités territoriales. Dans un contexte favorable depuis maintenant 30 ans, une inflexion est en effet observée depuis 2023 dans le poids des charges financières et le coût de la dette des collectivités territoriales.

Poids et coût de la dette des collectivités locales,
hors syndicats, budgets principaux

Note : taux apparent de la dette = charges financières N. / encours de la dette N-1.

Source : Observatoire des finances et de la gestion publique locales,
l'encours de dette des collectivités locales et son coût, 2024

De plus, au niveau national, l'endettement des administrations publiques locales en baisse de 2022 (9,2 points de PIB) à 2023 (8,8 points de PIB) est reparti à la hausse en 2024 (9,0 points de PIB)209(*) et cette tendance devrait se confirmer en 2025 (9,8 points de PIB)210(*).

Dans un contexte budgétaire difficile, la commission d'enquête n'appelle pas les collectivités territoriales à abandonner la prudence qui a permis à une majorité d'entre elles de maîtriser son niveau de dette. Comme le formulait Michel Klopfer lors de son audition, « lorsque je suis face à un exécutif, je rappelle que, dans certains pays ayant connu des crises et des dettes souveraines au début des années 2010, il y a eu de véritables minorations non seulement sur les recettes des collectivités locales, mais également sur les rémunérations des personnels ».

Elle appelle donc à une progression maîtrisée du niveau de la dette, centrée sur les collectivités les moins endettées, dégageant la meilleure capacité d'autofinancement et en faveur de projets qui pourront présenter un retour sur un investissement, privilégiant les ressources fiscales et les concours financiers pour les autres projets.

Elle note enfin que l'introduction de budgets verts pour les collectivités territoriales doit permettre de quantifier une « dette verte ». Or la gouvernance économique européenne a été réformée en avril 2024211(*) pour mieux prendre en compte ce type d'investissements. Les États membres élaborent ainsi désormais des plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme où ils définissent leurs objectifs budgétaires et les réformes et investissements prioritaires sur une période de 4 ou 5 ans. Dans son analyse de ces plans, la Commission européenne tient désormais compte des réformes et investissements répondant aux priorités communes de l'Union au premier rang desquelles figure la transition écologique, visant à concilier les exigences de la rigueur budgétaire avec la nécessité pour les États européens d'être à la hauteur du défi climatique.

EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 8 JUILLET 2025

___________

M. Olivier Henno, président. - Pour la dernière réunion de notre commission d'enquête, avant la conférence de presse, nous procédons à l'examen du projet de rapport.

Je voudrais commencer cette intervention en remerciant chaleureusement l'ensemble des membres de cette commission pour leur disponibilité. Je salue particulièrement le rapporteur, qui a mené nos travaux avec pour fil conducteur l'intérêt des collectivités territoriales et la défense du principe de libre administration, le coeur du métier du Sénat. Je remercie également notre collègue Brigitte Hybert, qui nous a transmis une contribution écrite.

Nous avons mené un travail pluraliste, sans a priori, animé par la recherche du consensus et du pragmatisme, au service de l'intérêt de nos concitoyens, des collectivités et de la transition écologique.

Dans un délai contraint par le calendrier parlementaire, nous avons pu, je crois, aborder tous les aspects d'une problématique large : la libre administration des collectivités territoriales, privées progressivement de leurs recettes propres, et les leviers à mobiliser demain face aux défis de l'investissement dans la transition écologique et les services publics de proximité. Peut-être aurions-nous pu consacrer plus de temps aux services publics de proximité ; mais je crois que nous avons entendu tous les principaux protagonistes de notre sujet.

Nous avons examiné les défis auxquels sont confrontées les collectivités territoriales. Nous avons étudié les conséquences des réformes fiscales décidées ces dernières années, les difficultés que cela soulève en termes de visibilité budgétaire et donc d'incitation à investir massivement pour répondre aux besoins en matière de services publics locaux et aux enjeux de la transition écologique. Nous avons aussi cherché à comprendre ce qui fait obstacle au rétablissement d'un lien de confiance entre l'État et les collectivités territoriales et aux moyens de redonner à ces dernières des capacités d'action.

Il me revient de vous rappeler une dernière fois le formalisme imposé par une commission d'enquête et les règles de procédure applicables à la présente réunion. Nous devons respecter la parfaite confidentialité de nos échanges, à l'instar d'un conclave. Il est du devoir de chacun d'entre vous de contribuer au secret de nos travaux jusqu'à la publication de nos conclusions.

Le rapport sera donc placé sous embargo pendant vingt-quatre heures à compter de la fin de cette réunion. Durant cette période, il ne pourra être consulté qu'aux fins de solliciter la réunion du Sénat en comité secret, à huis clos, pour statuer sur la publication ou la non-publication de l'ensemble du texte ou de certains passages.

Cet embargo sera prolongé jusqu'à la publication de notre rapport, jeudi 10 juillet, date à laquelle les résultats de nos travaux seront présentés en conférence de presse, à 10 heures. D'ici là, rien ne doit filtrer à l'extérieur, ce qui proscrit toute communication à la presse, à des tiers ou sur les réseaux sociaux.

Tous ceux qui contreviendraient à cette règle s'exposeraient à des sanctions fondées sur le code pénal, notamment l'article 226-13, qui prévoit des peines d'emprisonnement en cas de divulgation, dans les vingt-cinq ans, de toute information relative à une partie non publique des travaux d'une commission d'enquête, et sur notre Règlement. Le président du Sénat a rappelé à plusieurs reprises l'interdiction absolue de toute publicité anticipée, même de quelques minutes, sur les rapports ou les conclusions des commissions d'enquête.

Veillons à respecter ces règles, pour des raisons à la fois juridiques et institutionnelles.

La consultation du rapport a été organisée entre le 1er et le 7 juillet. Près de la moitié d'entre nous ont consulté le rapport à cette occasion.

Après l'intervention du rapporteur, ceux d'entre nous qui le souhaitent pourront s'exprimer. Nous procéderons ensuite à l'examen des éventuelles propositions de modification, suivies du vote sur ces propositions, puis sur les recommandations et le titre du rapport. Enfin, nous voterons sur l'adoption et la publication du rapport.

Les groupes politiques peuvent présenter une contribution qui sera annexée au rapport : celle-ci doit être d'une longueur maximale d'une dizaine de pages. Le délai limite pour le dépôt de ces contributions est fixé au 9 juillet, à 17 heures.

Je propose également que le compte rendu de la présente réunion soit, lui aussi, annexé au rapport de la commission d'enquête.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je tiens à remercier M. le président pour la façon dont il a conduit les travaux de notre commission d'enquête, ainsi que l'ensemble des commissaires pour leur disponibilité et leur engagement.

Ma présentation du rapport s'articulera autour de quatre grands axes et de 16 recommandations destinées à redonner aux collectivités territoriales les moyens d'assumer leurs missions sans dépendre de décisions nationales.

Notre première tâche a été d'établir un constat. Il est sans appel : toutes les structures représentant les collectivités territoriales nous ont alertés sur la dégradation de leur situation financière.

En cause, les réformes fiscales engagées depuis près de dix ans, à commencer par la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP) et la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui ont complètement redéfini le panier de recettes des collectivités, leurs incitations économiques et les liens avec leurs administrés.

Certes, différentes mesures de compensation ont été introduites pour neutraliser, au moins à court terme, ces réformes, mais leurs effets viennent s'ajouter à des mesures antérieures - modalités de compensation des transferts de compétences, évolutions de la dotation globale de fonctionnement (DGF), réformes fiscales - : l'ensemble constitue un paysage de moins en moins lisible.

Les effets de ces réformes dépassent par ailleurs le simple aspect financier. En limitant le nombre de leviers fiscaux des collectivités, elles restreignent leur autonomie financière réelle, les leviers restants ne pouvant être indéfiniment actionnés au risque de devenir confiscatoires.

Ces réformes brisent par ailleurs le lien contributif - cette conséquence n'a pas été anticipée. Tous les acteurs ont souligné l'atténuation ou la disparition des liens contributifs habituels entre les ménages et les entreprises, d'un côté, et les collectivités locales, de l'autre.

Ce diagnostic sévère rejoint malheureusement l'opinion dominante en matière de finances publiques locales, à savoir le constat d'un système à bout de souffle.

C'est pourquoi nous avions décidé lors de nos précédentes réunions de recommander une remise à plat de ce système.

Cette situation est aussi le fruit d'un cadre juridique insuffisamment protecteur : le principe d'autonomie financière issu de la révision constitutionnelle de 2003 s'est révélé être une « coquille vide ».

Telle qu'initialement envisagée par le constituant, la révision opérée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République visait un objectif clairement identifié : l'instauration d'un cadre constitutionnel plus protecteur pour les finances locales et le pouvoir fiscal des collectivités territoriales.

Alors qu'il était censé constituer un frein à la recentralisation financière et au recul de la fiscalité locale, le principe d'autonomie financière inscrit à l'article 72-2 de la Constitution a été vidé de sa substance par la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, et son interprétation par le Conseil constitutionnel. En effet, ont été artificiellement incluses dans la catégorie des « ressources propres » des collectivités, des impositions sur lesquelles elles n'ont pas leur mot à dire et ne disposent d'aucun pouvoir de taux ou d'assiette.

Inaptes à protéger le pouvoir fiscal des collectivités, ces nouvelles dispositions juridiques ont, de surcroît, souffert d'une interprétation très restrictive de la part du Conseil constitutionnel.

Se refusant à reconnaître un principe d'autonomie fiscale, le juge constitutionnel s'est borné, depuis deux décennies, à considérer que la réduction des ressources propres des collectivités résultant des lois qui lui ont été déférées n'était pas d'une ampleur suffisante pour entraver leur libre administration.

Le législateur a pu, au fil des réformes de la fiscalité locale, réduire de manière croissante et ininterrompue les marges de manoeuvre fiscales et financières des collectivités, sans risquer la moindre censure de la part du Conseil, dont le contrôle s'est restreint à vérifier le respect des fameux « ratios d'autonomie financière », définis par la loi organique de 2004 : ils sont aujourd'hui supérieurs à 70 % pour chaque strate.

Résultat, les leviers de financement dont disposent les collectivités ne sont pas à la hauteur des enjeux, qu'il s'agisse du maintien des services publics de proximité ou du financement de la transition écologique.

De par leurs compétences, leur patrimoine, leurs infrastructures stratégiques et leur vulnérabilité aux effets du dérèglement climatique, les collectivités sont pourtant en première ligne face aux défis du XXIe siècle : maintenir des services publics de proximité, contribuer à la rénovation énergétique des bâtiments, développer les transports en commun, garantir la préservation des espaces naturels, la gestion de l'eau et des déchets, bref, adapter les territoires aux conséquences déjà visibles du dérèglement climatique...

À ces besoins massifs s'ajoutent les projections robustes de la littérature économique : les collectivités devront plus que doubler chaque année leur niveau actuel d'investissements climatiques à l'horizon 2030, selon la trajectoire bas-carbone définie sur le plan national.

En résumé, il existe un décalage croissant entre les besoins, les objectifs des stratégies gouvernementales et les leviers de financement disponibles.

Une fois posé ce constat d'un mur d'investissements à anticiper à très court terme par les collectivités territoriales, la question des leviers de financement mobilisables se pose avec acuité. Il est frappant de relever que, en matière d'objectifs de neutralité carbone et d'adaptation au dérèglement climatique, les trajectoires définies par le Gouvernement - stratégie nationale bas-carbone (SNBC), plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) - ne reposent sur aucune analyse économique ni financière qui mettrait en regard, d'un côté, une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, et, de l'autre, les sources de financement associées. C'est pourquoi je vous soumettrai tout à l'heure trois recommandations visant à mieux articuler ces stratégies nationales et les interventions locales.

Que faire dans ce contexte que je viens de décrire ?

Nous proposons trois axes de réponse : redonner un cadre protecteur aux collectivités ; rétablir la confiance entre l'État et les collectivités territoriales ; rendre des capacités d'action aux collectivités territoriales.

Premier axe de nos propositions : redonner un cadre protecteur aux collectivités.

L'ambition est grande, mais il est clair que, pour redonner un cadre protecteur aux collectivités, il faudra rénover le cadre constitutionnel, avec pour objectif prioritaire de protéger l'autonomie des collectivités territoriales, en recettes et en dépenses.

La première étape sera la consécration d'un principe d'autonomie fiscale. La commission d'enquête doit recommander une rénovation du cadre constitutionnel et organique, indispensable pour sanctuariser les marges de manoeuvre fiscales que les collectivités ont conservées.

Je vous ferai une proposition en ce sens, prévoyant qu'une part significative des ressources des communes doit provenir d'impositions sur lesquelles celles-ci disposent d'un pouvoir de taux ou d'assiette.

Ces dispositions seraient précisées par le législateur organique afin d'abolir les ratios actuels et de faire en sorte que la part des ressources fiscales sur lesquelles les collectivités bénéficient d'une autonomie ne puisse être inférieure au niveau constaté en 2024. Cette proposition répond à une demande exprimée lors de nos précédentes réunions.

Une approche complémentaire a également été évoquée durant nos travaux : il s'agirait de garantir une « autonomie en dépense » en permettant aux collectivités de faire face à leurs dépenses contraintes.

La reconnaissance d'une telle « autonomie en dépense » consisterait à identifier le montant des dépenses obligatoires - celles qui leur sont imposées par la loi - et à garantir aux collectivités un niveau de ressources suffisant pour les couvrir, tout en disposant d'une marge de manoeuvre pour financer des dépenses propres, reflétant de réels choix en matière de financement des services publics locaux.

Parallèlement, la dégradation de la situation financière des collectivités, à commencer par celle des départements, est liée à l'absence de réévaluation des compensations versées au titre des transferts de compétences.

La commission d'enquête pourrait aussi préconiser la mise en place, via une modification des dispositions constitutionnelles et organiques, d'une procédure de réexamen régulier du montant de ces transferts, afin de préserver les marges de manoeuvre financières des collectivités.

Deuxième axe de nos propositions, rétablir des relations de confiance entre l'État et les collectivités locales.

Le sujet n'est pas nouveau. Il avait déjà été abordé voilà quinze ans à la fois par Gilles Carrez, dans un rapport remis au Gouvernement, et par nos anciens collègues Yves Krattinger et Roland du Luart, dans l'un des premiers rapports d'information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.

La situation n'a fait que se dégrader depuis, qu'il s'agisse des compensations de transfert de compétences, des réformes de la fiscalité locale ou des investissements que les collectivités territoriales doivent réaliser.

Le constat est aujourd'hui partagé par le plus grand nombre : les enjeux auxquels sont confrontées les finances des collectivités locales justifient la mise en place d'une instance de dialogue dotée de compétences étendues, afin de s'assurer que les élus soient suffisamment associés aux décisions affectant les finances locales.

Afin de donner un nouveau souffle au dialogue entre État et collectivités, la commission propose ainsi la création d'une nouvelle instance dotée de prérogatives renforcées : le conseil d'orientation des finances locales.

Composée de représentants des collectivités territoriales et de l'État, cette nouvelle instance remplacerait le Comité des finances locales (CFL) et l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL).

Doté d'un rôle d'expertise et de production de données financières fiables et partagées sur les finances locales, le nouveau conseil d'orientation des finances publiques bénéficierait de moyens et d'une expertise de haut niveau.

L'objectif est clair : il s'agit de disposer d'une structure qui dispose de compétences renforcées par rapport à l'actuel CFL.

Parallèlement, afin de mieux structurer le dialogue au sein de chaque strate de collectivités, la commission d'enquête propose de créer, au sein de ce nouveau conseil, des conférences territoriales représentatives de chaque niveau de collectivités territoriales.

Ces conférences, qui interviendraient à l'issue du vote de la loi de finances de l'année, seraient investies d'un rôle en matière de définition de répartition des fractions d'impôts nationaux affectés, de répartition des dotations de l'État et de renforcement des mécanismes de péréquation horizontale.

Troisième axe : rendre des capacités d'action aux collectivités.

Ce cadre protecteur et ce dialogue rénové doivent permettre aux collectivités d'assurer leurs missions, de financer les services publics locaux et de mener une politique d'investissement en adéquation avec les attentes de nos concitoyens.

Il convient donc, une fois le cadre rénové, de se pencher sur le « nerf de la guerre » et d'identifier les ressources financières qui permettront à chaque collectivité de préparer l'avenir.

Le contexte budgétaire doit nous conduire à prioriser les dispositifs à plus fort rendement, ceux pour lesquels un euro investi produira les effets les plus probants. En matière de transition écologique, une forte hétérogénéité des coûts à la tonne de CO2 évitée est observée : alors que le coût de certains dispositifs se chiffre à plusieurs centaines d'euros par tonne de CO2 évitée, un dispositif a fait l'unanimité parmi l'ensemble des acteurs entendus, le fonds chaleur, avec un coût situé entre 19 et 36 euros par tonne de CO2, selon le périmètre retenu.

Pourtant, les crédits de ce fonds ont été menacés lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025 : il apparaît donc nécessaire, d'une part, de systématiser des évaluations de politique publique qui permettent de comparer leur efficacité relative, et, d'autre part, de privilégier les instruments qui ont fait leurs preuves.

Le Gouvernement a annoncé, fin avril 2025, une « fusion de dotations de soutien à l'investissement », envisageant de fusionner le fonds vert avec certaines dotations de soutien à l'investissement de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Les travaux de la commission d'enquête ont permis de faire ressortir la valeur ajoutée du fonds vert, créé en 2023 pour financer les projets des collectivités territoriales en lien avec la transition écologique. Le fonds répond à un besoin urgent de financement des collectivités, notamment pour la rénovation des bâtiments publics.

Le rapprochement de ces différentes dotations n'est pas infondé. Une part significative des dotations de la mission précitée contribue au financement des projets favorables à l'environnement, et, dans la pratique, il arrive déjà que des dossiers déposés au titre du fonds vert soient basculés sur la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), et réciproquement.

Toutefois, avant toute fusion, il convient au préalable de s'intéresser au périmètre de ces dotations et notamment de recentrer le fonds vert sur les actions les plus utiles, en lien direct avec la transition écologique. Par ailleurs, l'objectif de simplification administrative n'implique pas nécessairement une fusion budgétaire : compte tenu des spécificités de la DETR, il convient de lui maintenir une ligne budgétaire séparée, sans préjudice du travail d'alignement des procédures et des calendriers actuellement en cours.

Passé ce travail d'évaluation, de priorisation et de ciblage, il conviendra de sanctuariser un socle de dotations d'investissement afin de conférer aux collectivités territoriales la visibilité nécessaire pour réaliser des investissements indispensables. Localement, ces dotations renforcées et sécurisées feraient l'objet d'un engagement formalisé entre les collectivités territoriales et l'État, en conférant aux contrats de relance et de transition écologique (CRTE) un volet financier suffisamment développé et contraignant.

Redonner des capacités d'action aux collectivités territoriales suppose également une fiscalité mieux adaptée à leurs compétences, pour donner à chaque strate les moyens d'agir.

Pour le bloc communal, nos travaux ont mis en exergue la difficulté pour les acteurs d'identifier une base satisfaisante pour un nouvel impôt territorial.

La concentration de la fiscalité du bloc communal sur un nombre plus restreint de contribuables met à terme en péril le consentement à l'impôt et casse le lien contributif. Plusieurs propositions existent pour rééquilibrer cette fiscalité, sans qu'aucune ne fasse consensus : restauration de la taxe d'habitation, imposition territorialisée sur le revenu, création d'un impôt forfaitaire local à la capitation... Les pistes sont nombreuses, mais pour ne pas accroître la pression fiscale, elles devront s'intégrer dans une refonte générale de la fiscalité locale, acceptée de tous.

Un point fait néanmoins l'unanimité : il est impératif que la fiscalité foncière puisse s'appuyer sur une assiette plus en phase avec la réalité économique du territoire. Le Sénat appelle de longue date à une révision des valeurs locatives cadastrales (VLC) des locaux d'habitation, dont la réalisation est repoussée chaque année. Les VLC sont vétustes et leur méthodologie favorise les territoires plus aisés. Des assiettes alternatives existent. Dans le cadre des auditions menées par la commission, le directeur de la législation fiscale a indiqué que le Gouvernement avait confié à l'inspection générale des finances (IGF) une mission sur le sujet. La question de l'assiette fiscale foncière occupe une place centrale dans les finances locales et constitue une problématique d'intérêt général. Aussi la commission recommande-t-elle au Gouvernement de rendre publiques les conclusions de cette mission.

La problématique est différente pour les départements : ils ont besoin de ressources plus prévisibles et d'un pouvoir de taux renforcé.

Contrairement au bloc communal, le consensus est plus apparent sur la question de la fiscalité départementale. Il ressort en effet des positions publiques prises par les acteurs et des auditions menées par la commission qu'il serait souhaitable d'attribuer aux départements une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG). Cette proposition présente deux vertus : elle permet, d'une part, d'atténuer la forte volatilité observée aujourd'hui sur les recettes de cette strate du fait de l'importance des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans le panier de recettes, et, d'autre part, d'attribuer une recette à vocation sociale, avec une assiette large, notamment pour répartir l'effort.

Quant aux régions, elles pourraient bénéficier d'une fiscalité plus territorialisée et plus recentrée sur l'économie.

En 2023, la principale recette fiscale des régions est une fraction non territorialisée de la TVA, un impôt national, qui représente 63 % de leurs ressources fiscales. Nous proposons de corriger le panier de ressources des régions, pour qu'il soit plus territorialisé et plus en ligne avec les compétences de cette strate, cheffe de file en matière de développement économique.

Une première proposition porte sur le transfert par l'État aux régions d'une fraction d'impôt sur les sociétés, proposition formulée dans la littérature et reprise par Régions de France. Si ces recettes sont volatiles, une part importante des dépenses des régions peuvent s'accommoder de tels mouvements, s'agissant d'investissements et de subventions. Toutefois, sur le plan technique, l'attribution d'un pouvoir de taux semble irréaliste et sujette à la concurrence fiscale et à l'optimisation : une répartition territorialisée sur la base de critères économiques permettrait d'assurer un côté incitatif pour les régions.

Une seconde proposition porte sur l'annulation de la suppression annoncée de la CVAE, dont le produit n'est plus reversé aux collectivités territoriales depuis le 1er janvier 2023. Or l'échéance de sa suppression complète a déjà été repoussée lors de l'examen des deux derniers projets de loi de finances.

La commission appelle à faire preuve de réalisme financier et à assumer le maintien de ce qu'il reste de CVAE. Le transfert de cette fiscalité aux régions doit permettre de reterritorialiser leurs recettes et de valoriser leur action en matière économique.

Enfin, il convient d'attribuer effectivement aux collectivités territoriales les financements qu'elles sont en droit d'exiger. En matière de transition écologique, une surprime a ainsi été instaurée au titre de la garantie contre les catastrophes naturelles, dite « CatNat ». Or la commission a pu constater un écart croissant entre le rendement de cette surprime - 450 millions d'euros en 2025 - et les actions de prévention qu'elle finance - 220 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2025. Si la discussion budgétaire au Sénat a permis de corriger le tir, la commission d'enquête recommande de s'assurer chaque année que le produit de cette surprime finance bien des actions de prévention des collectivités territoriales.

La commission relève par ailleurs la part toujours plus importante de la fiscalité transférée par l'État aux collectivités territoriales. Il est primordial que ce produit ne soit pas figé et que sa répartition corresponde aux réalités du territoire en s'appuyant sur deux recommandations de ce rapport, un conseil d'orientation des finances publiques qui établit des faits incontestables et des conférences territoriales décisionnaires pour s'accorder sur les montants des flux financiers.

En conclusion, la question d'un recours maîtrisé à l'endettement se pose.

La dette publique locale est stable depuis près de cinquante ans. Si la situation peut varier fortement d'une collectivité à l'autre, dans l'ensemble, une majorité de collectivités dispose d'une bonne capacité d'autofinancement et de marges supplémentaires pour s'endetter.

Les travaux de la commission incitent à la vigilance sur la question de la dette, a fortiori dans un contexte de dégradation de la situation financière des collectivités territoriales : une dette verte reste une dette et il ne s'agit pas de créer une « dette verte cachée », nichée dans des sociétés publiques locales (SPL) ou des sociétés d'économie mixte (SEM).

Il ressort toutefois des auditions menées que certaines collectivités peuvent s'appuyer sur leur situation plus favorable pour aller plus loin dans la transition écologique et mener à bien les investissements nécessaires en dix ans plutôt qu'en vingt-cinq ans. Le levier de la dette apparaît, en outre, particulièrement indiqué pour les projets présentant un retour sur investissement.

Telles sont les principales conclusions de nos travaux.

M. Olivier Henno, président. - Merci, monsieur le rapporteur, pour ce travail de qualité. S'agissant de la nécessité de donner un nouveau souffle au dialogue entre l'État et les collectivités, je note que les nombreux rapports consacrés à ce sujet - dont le rapport d'Éric Woerth remis en mai 2024 - ont souvent eu pour conclusion qu'il fallait écarter la piste d'un nouveau choc de décentralisation.

Or il me semble que cette question se posera, car, au-delà des difficultés rencontrées par les collectivités, c'est bien le système français dans son ensemble qui est à bout de souffle : un tel choc de décentralisation n'est donc pas seulement nécessaire pour les collectivités, mais pour le pays dans son ensemble. Dans un contexte de choc des empires, l'État a en effet vocation à se concentrer sur ses fonctions régaliennes - la défense, la sécurité -, tandis que d'autres politiques - la réindustrialisation, le logement, la transition écologique - pourraient être plus efficaces si elles étaient menées de manière plus autonome par les collectivités.

Au-delà des propositions portées par le rapport, je pense que nous serons amenés à remettre l'ouvrage de la décentralisation sur le métier.

M. Jean-Baptiste Blanc. - Il me paraît malaisé de prendre connaissance de ce rapport pendant notre réunion alors que nous devons le rendre en quittant la salle. Je m'interroge sur la méthode.

M. Olivier Henno, président. - Ce rapport était consultable du 1er au 7 juillet, et nous appliquons les règles valables pour toutes les commissions d'enquête.

M. Jean-Baptiste Blanc. - Cette règle n'est pas satisfaisante.

M. Olivier Henno, président. - Nombre de membres de notre commission ont consulté le rapport dans ce laps de temps.

M. Jean-Baptiste Blanc. - J'en prends note. Je souscris à l'idée d'un choc de décentralisation évoquée par le président et me demande s'il ne faudrait pas aller plus loin dans les recommandations. S'il est question de trouver une fiscalité adaptée aux compétences des collectivités - dont celles qui sont liées à la transition écologique, puisque tel est l'objet de la commission d'enquête -, peut-être qu'il convient de ne pas attendre des réponses de l'État, car les collectivités sont placées sous perfusion, à leur détriment.

Aussi, la recommandation n° 1 ne devrait-elle pas faire apparaître l'adjectif « propres » s'agissant des ressources ? De la même manière, ne faudrait-il pas décliner leurs compétences, en rappelant que certaines sont liées à la transition écologique ? Enfin, nous pourrions essayer de définir un montant suffisant pour pouvoir réellement parler de « ressources propres ».

Toujours dans cette optique, je ne suis pas opposé aux recommandations n° 14 et n° 15, mais celles-ci reviennent à accepter un partage de l'impôt avec l'État, alors que des impôts locaux propres seraient préférables, d'autant que nous devons financer l'exercice de nouvelles compétences.

Par ailleurs, les recommandations nos 7, 8 et 9 ne pourraient-elles pas être étendues à l'ensemble des documents de planification, en prévoyant systématiquement d'y faire figurer un volet financier et fiscal ? Je pense notamment au schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) et à l'objet flottant qu'est la conférence des parties (COP) régionale.

Concernant la recommandation n° 2, qui vise à consacrer un principe constitutionnel d'autonomie fiscale, je pense qu'il faudrait être plus précis et indiquer s'il est question de l'assiette, du taux ou encore d'une déliaison - demandée par les élus locaux. La simple consécration d'un principe ne me semble en effet pas suffisante.

En conclusion, je salue la qualité de ce travail et de nos échanges.

M. Cédric Chevalier. - Monsieur le rapporteur, j'ai le sentiment que le bloc communal n'apparaît guère dans ce travail, la réflexion relative à l'autonomie financière semblant centrée sur les départements et les régions.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je vous remercie pour ce travail, qui n'a rien d'évident compte tenu de la masse d'informations à compiler et de la nécessité d'avancer conjointement, par-delà nos différences.

Je ne saurais trop m'associer aux remarques de Jean-Baptiste Blanc, et j'aurais également tendance à juger la tonalité du rapport trop sage, alors qu'il me paraîtrait nécessaire de pousser les curseurs. Par exemple, qualifier la réforme de 2003 de « rendez-vous manqué » n'est pas suffisant puisqu'il s'est agi d'un véritable enfumage : il faut bien comprendre que certaines forces sont opposées à ce que nous pensons collectivement ici, nonobstant nos différences.

Par ailleurs, je ne pourrais jamais supporter que l'on confonde les intercommunalités avec des collectivités de plein exercice. Que deux représentants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) siègent au sein du conseil d'orientation des finances locales pour quatre représentants des maires, passe encore ; mais on ne peut pas, au-delà, tolérer une telle confusion.

Cette proposition est en effet doublement critiquable : d'une part, car elle est inconstitutionnelle ; d'autre part, car elle donne du grain à moudre à ceux qui souhaitent la fin des communes et des départements. Une fois encore, les communautés de communes ou d'agglomération ne sont pas des collectivités de plein exercice, et il faut les distinguer sémantiquement.

Sur un autre point, les outre-mer sont totalement absents du rapport, et je m'étonne qu'aucun de nos collègues ultramarins n'ait participé à nos travaux.

Mme Brigitte Devésa. - Je remercie également le rapporteur et souhaite m'assurer que les communes sont bien concernées par la recommandation n° 10 relative à la sanctuarisation d'un socle de dotations d'investissement en faveur des « collectivités territoriales ». Vous citez, sur ce point, l'exemple du fonds chaleur, mais j'aurais préféré disposer d'autres illustrations, ce qui nous aurait permis de gagner en clarté, d'autant que le contexte budgétaire contraint doit nous conduire à prioriser certains dispositifs.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Monsieur Blanc, les ressources propres sont abordées dans le cadre de la recommandation n° 2, qui consacre le principe d'autonomie fiscale des collectivités et qui englobe, à mes yeux, les problématiques de taux et d'assiette. Certes, nous ne sommes pas allés très loin dans la rédaction, ce principe ayant vocation à être affiné ultérieurement, dans le cadre d'une proposition de loi constitutionnelle ou d'une proposition de loi organique.

Nous aurions pu, par ailleurs, multiplier les exemples de documents de planification. Parmi les trois exemples cités, la stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique (Spafte) intègre un certain nombre d'aspects.

Concernant la place du bloc communal, les recommandations sont effectivement plus précises s'agissant des départements et des régions, aucun consensus n'ayant émergé quant à la perspective d'un retour d'une fiscalité à l'échelle communale, malgré les nombreux débats que nous avons pu avoir au cours de nos auditions. Le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation est lui-même resté assez flou à ce sujet, ce qui nous a amenés à présenter une série de pistes, mais sans exprimer de préférence pour l'une d'entre elles.

Je vous rassure, par ailleurs, sur les communes, qui sont bien englobées dans la formule « collectivités territoriales ».

De manière générale, j'entends vos remarques sur la tonalité du rapport, mais nous avons souhaité produire un document qui fasse consensus, étant rappelé que les groupes sont libres de proposer des contributions.

Pour ce qui est de la composition du conseil d'orientation des finances locales, je vous propose de supprimer le paragraphe qui détaille sa composition, puisqu'il ne nous appartient pas de fixer cette dernière. Un travail ultérieur permettra d'affiner le fonctionnement de cette interface indispensable entre les collectivités et l'État.

J'en viens aux dotations : il s'agit avant tout de mieux les évaluer et de mieux les cibler dans la mesure où elles ne produisent pas systématiquement l'effet de levier attendu. Nous n'avons effectivement pas détaillé tous les dispositifs aidés par le fonds vert, l'idée globale étant de s'assurer de l'efficacité des dotations et de les objectiver, afin de les maintenir dans un contexte où la transition écologique peut faire l'objet d'ajustements budgétaires.

Enfin, l'analyse de la réforme constitutionnelle de 2003 n'a pas été poussée très loin, bien que plusieurs personnes auditionnées, notamment lors des tables rondes avec les universitaires, aient pu longuement évoquer l'« enfumage » que vous mentionniez.

M. Olivier Henno, président. - Venons-en à l'examen des propositions de modification.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Comme indiqué précédemment, je vous propose de retirer, à la page 63, le paragraphe qui détaille la composition du conseil d'orientation des finances locales, car il ne nous appartient pas d'aller jusqu'à ce niveau de précision, ni d'imposer aux acteurs la façon dont ils sont représentés.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je loue tout à fait ce souci diplomatique, mais, si le Sénat n'a pas vocation à dicter ses vues, il peut émettre des recommandations. Nous pourrions ainsi, sans préciser le nombre de représentants, en définir la liste, en maintenant bien la distinction entre les collectivités de plein exercice et les autres catégories.

Très concrètement, nous pourrions mentionner les « parlementaires » à la place des « députés et sénateurs », les « représentants des collectivités de plein exercice », les « représentants des intercommunalités » et enfin les « représentants de l'État ».

La proposition du rapporteur, amendée par M.Hugonet , est adoptée.

M. Jean-Baptiste Blanc. - S'agissant de la recommandation n° 2, je propose de préciser que les ressources des collectivités territoriales doivent être à la fois « propres » et « suffisantes ».

La proposition de modification de M. Jean-Baptiste Blanc est adoptée.

M. Christian Redon-Sarrazy. - La recommandation n° 3 mentionne les dépenses contraintes : j'y ajouterais volontiers les « charges », qui recouvrent, par exemple, les réévaluations du point d'indice.

La proposition de modification de M. Christian Redon-Sarrazy est adoptée.

M. Jean-Baptiste Blanc. - J'en reviens aux documents de planification : sans en dresser une liste exhaustive, nous pourrions préciser qu'ils devraient comporter un volet économique et financier.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - La formule « et tout autre document de planification » pourrait être ajoutée au niveau de la recommandation n° 7 après « Pnacc ».

La proposition de modification de M. Jean-Baptiste Blanc est adoptée.

Mme Marie-Claude Varaillas. - S'agissant de la recommandation n° 4, que faut-il entendre par « réexamen régulier » des compensations financières versées aux collectivités territoriales au titre des compétences transférées ? Ces dernières pourraient-elles être révisées à la hausse ?

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Oui. Ce réexamen serait effectué par le conseil d'orientation des finances locales.

M. Olivier Henno, président. - Précisons qu'il s'agit d'une simple recommandation, qui ne sera pas forcément suivie d'effets. Je rappelle qu'un ministre avait évoqué des compensations « à l'euro près » au cours de débats précédents portant sur les transferts de compétences...

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous en arrivons au titre du rapport. Je vous soumets trois propositions : « Réformes de la fiscalité locale : vers le déclin de la libre administration des collectivités ? » ; « Ressources des collectivités locales : la libre administration perdue » ; ou, enfin, « Les collectivités locales sont-elles encore libres de s'administrer ? »

Mme Brigitte Devésa. - Le premier titre contient l'idée de déclin, ce qui me convient.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les différentes réformes ont entraîné un déclin de la libre administration, comme le démontre le rapport.

M. Jean-Baptiste Blanc. - Je préférerais un titre plus positif.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Donnons de l'espoir, au-delà d'un constat négatif.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - La tonalité de certaines auditions était assez pessimiste.

M. Olivier Henno, président. - La situation n'est en effet guère enthousiasmante.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je suggère le titre suivant : « Libre administration des collectivités : une urgence démocratique et écologique. »

Le titre du rapport, ainsi modifié, est adopté.

La commission d'enquête adopte, à l'unanimité, le rapport ainsi modifié et en autorise la publication.

Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.

TRAVAUX EN COMMISSION

___________

Les comptes rendus des auditions plénières de la commission d'enquête sont consultables via le lien suivant :

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/commission-denquete-sur-la-libre-administration-des-collectivites-territoriales.html

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

MARDI 25 MARS 2025

M. Joël RUFFY, responsable du pôle juridique et institutionnel de l'association Amorce.

MERCREDI 26 MARS 2025

M. Daniel CORNALBA, maire de l'Étang-la-Ville, membre du bureau de l'association des petites villes de France (APVF).

MARDI 1ER AVRIL 2025

M. Bertrand HAUCHECORNE, membre du conseil d'administration de l'association des maires ruraux de France (AMRF).

MERCREDI 2 AVRIL 2025

MM. François THOMAZEAU, directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique de l'Institut de l'Économie pour le Climat (I4CE), et Luc-Alain VERVISCH, directeur des études et de la recherche de La Banque Postale.

Association des maires de France (AMF) et des présidents d'intercommunalité : M. Jean-François VIGIER, vice-président, maire de Bures-sur-Yvette, Mme Gwénola STEPHAN, responsable de la mission transition écologique.

MARDI 8 AVRIL 2025

M. Antoine PELLION, secrétaire général à la planification écologique (SGPE).

- MM. Aurélien BAUDU, professeur de droit public, Université de Lille, Xavier CABANNES, professeur de droit public, Université de Paris Cité, et Mme Géraldine CHAVRIER, professeur des universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

MERCREDI 9 AVRIL 2025

- M. Boris RAVIGNON, président d'Ardenne métropole, maire de Charleville-Mézières et vice-président en charge des finances d'intercommunalités de France.

- M. François de MAZIÈRES, maire de Versailles, président de la communauté d'agglomération Versailles Grand Parc et membre de France Urbaine.

MARDI 29 AVRIL 2025

M. Éric SCHAHL, conseiller régional d'Île-de-France, représentant l'association Régions de France (ARF).

MARDI 6 MAI 2025

- M. Michel MÉNARD, président de l'association des départements solidaires (ADS).

- Table ronde de professeurs de droit : Mme Céline VIESSANT, professeur des universités, membre du centre d'études fiscales et financières (UR 891), secrétaire générale de la société française de finances publiques, Université d'Aix-Marseille, MM. Matthieu HOUSER, maître de conférences habilité à diriger des recherches (HDR) en droit public, directeur de l'Institut de préparation à l'administration générale (IPAG), Université de Franche-Comté, et Matthieu CONAN, professeur de droit public à l'école de droit de la Sorbonne (EDS) - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

MERCREDI 7 MAI 2025

M. Jean-Léonce DUPONT, président de la Commission finances et fiscalité locales de l'assemblée des départements de France (ADF), président du département du Calvados.

MARDI 13 MAI 2025

- Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : M. Sylvain WASERMAN, président du conseil d'administration et Mme Patricia BLANC, directrice générale déléguée.

- M. Olivier DUSSOPT, ancien ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.

MARDI 20 MAI 2025

- M. André LAIGNEL, président du Comité des finances locales (CFL).

Mme Cécile RAQUIN, directrice générale des collectivités locales (DGCL).

MERCREDI 21 MAI 2025

- M. Michel KLOPFER, consultant en finances locales.

- M. Jean-Pierre VIOLA, conseiller maître, président de la section « Administration territoriale de l'état, finances publiques locales et certification des comptes des assemblées parlementaires » de la quatrième chambre de la Cour des comptes.

MARDI 27 MAI 2025

M. Stanislas BOURRON, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

MERCREDI 28 MAI 2025

MM. Bertrand FAURE, professeur des universités en droit public, Éric OLIVA, agrégé des Facultés de droit, Vincent DUSSART, professeur des universités.

JEUDI 5 JUIN 2025

- M. Matthieu ROUVEYRE, avocat en droit public, auteur de la thèse : « Contribution à une redéfinition de l'autonomie financière des collectivités territoriales ».

- Direction de la législation fiscale (DLF) : M. Laurent MARTEL, directeur de la législation fiscale, et Mme Ève PERENNEC-SEGARRA, sous-directrice de la fiscalité locale.

MARDI 10 JUIN 2025

- M. Pascal BERTEAUD, directeur général du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

- Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) : MM. Charles-Antoine GAUTIER, directeur général, David BEAUVISAGE, directeur général adjoint, et Régis TAISNE, chef du département cycle de l'eau.

MERCREDI 11 JUIN 2025

- M. François REBSAMEN, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

- M. Grégory BERKOVICZ, essayiste et docteur en droit public dont l'audition n'a pas pu se tenir en raison d'une modification de l'ordre du jour du Sénat a transmis une contribution écrite.

DÉPLACEMENT : LYON, 16 MAI 2025

Dans le cadre de cette commission d'enquête, un déplacement a été organisé à Lyon afin d'échanger directement avec des élus locaux de trois strates différentes pour mieux appréhender les dépenses qu'elles supportent et les confronter aux ressources dont elles disposent. Ce déplacement a permis d'analyser les problématiques que ces acteurs identifient et les solutions qu'ils proposent.

I. CONTEXTE ÉCONOMIQUE DE LA VILLE ET DE LA MÉTROPOLE DE LYON

Avec une population de 520 774 habitants en 2022, Lyon est la troisième commune de France en termes de population. Elle est la ville-centre de la Métropole de Lyon qui comprend 58 communes et constitue le second pôle économique de France après la région parisienne.

La Ville de Lyon regroupe 36 % des habitants de la Métropole, mais concentre 45 % des effectifs salariés. Par rapport à la moyenne nationale, la population lyonnaise est comparativement plus aisée et bénéficie structurellement d'un taux de chômage légèrement inférieur.

L'économie lyonnaise est diversifiée, bien que principalement tournée vers les services aux entreprises et les services aux particuliers. Si l'industrie ne représente plus que 7 % des emplois lyonnais, elle se distingue par son dynamisme, en particulier dans les domaines de la santé et des sciences de la vie. Dans le domaine de la santé, la construction en cours du campus académique de l'Organisation Mondiale de la Santé, qui pourrait accueillir 16 000 élèves, devrait renforcer la place de Lyon en tant que pôle de santé mondial.

II. VILLE DE LYON

a) Une situation financière favorable

La situation financière de la ville de Lyon est favorable. L'agence Morningstar a maintenu le 28 mars 2025 sa note de AA, invoquant notamment « de solides performances financières et un niveau d'endettement très modéré ».

Les axes stratégiques de la Ville de Lyon en termes de politiques publiques ont été définis dans le Plan de mandat 2020-2026, avec la transition écologique comme fil conducteur. La mise en oeuvre de ce Plan de mandat s'appuyait notamment sur un Plan Pluriannuel des Investissements (PPI) de 1,25 milliard d'euros, réévalué à 1,312 milliard d'euros en mars 2024 (cf. ci-dessous).

Les marges de manoeuvre fiscales de la Ville demeurent importantes et disponibles pour atténuer les éventuels impacts de chocs externes sur la soutenabilité de sa trajectoire financière, et ce malgré la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP). La taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), principal levier en recettes, représente 57 % des recettes de fonctionnement au budget 2024. La TFPB est constituée d'une base taxable résiliente et très peu sensible aux cycles économiques.

Évolution des recettes réelles de fonctionnement

Source : ville de Lyon

Malgré une hausse de 9 % en 2023, le taux de TFPB de 31,89 % reste nettement inférieur à la moyenne nationale pour les communes (39,74 % en 2024). Par ailleurs, Lyon dispose aussi de marges de manoeuvre sur les produits des services.

Les performances budgétaires de la Ville de Lyon sont solides et ont été relativement résilientes au cours des dernières années. En 2024, malgré la baisse proche de 17 % des DMTO, le taux d'épargne brute est demeuré favorable s'établissant à plus de 13 %. Entre 2020 et 2023, la Ville a été en mesure de maintenir un taux d'épargne brute de 13,7 % en moyenne annuelle malgré différents chocs externes tels que la pandémie de la Covid-19 et le contexte inflationniste. La stratégie d'achat d'énergie de la Ville lui a permis d'atténuer l'impact budgétaire de la hausse des prix de l'énergie en ce qui concerne le gaz en 2022 et en 2023.

L'agence Morningstar estime que la Ville devrait être en mesure de maintenir un taux d'épargne brute proche de 8 % d'ici à 2027. La trajectoire budgétaire de la Ville sera affectée par la contribution des collectivités locales aux efforts de consolidation budgétaire nationaux, dont l'impact budgétaire total pour la Ville est estimé à plus de 10 millions d'euros en 2025.

Depuis 2017 et de nouveau en 2024, la Ville a été en mesure de réduire continuellement son encours de dette et d'améliorer ses ratios d'endettement, à l'exception de l'année 2020 en raison de la pandémie de la Covid-19. En fin d'année 2024, le taux d'endettement consolidé et la capacité de désendettement estimés de la Ville étaient très favorables s'élevant respectivement à 40,9 % et 3,1 années. Ces ratios devraient se détériorer au cours des prochaines années avec la mise en oeuvre du PPI, mais le taux d'endettement consolidé et la capacité de désendettement resteront probablement à des niveaux relativement favorables, respectivement proches de 60 % et de 8 années d'ici à 2027.

b) Un Programme d'investissements ambitieux

D'après Morningstar, « la stratégie financière claire de la collectivité et ses marges de manoeuvre budgétaires devraient lui permettre de mettre en oeuvre son Plan Pluriannuel des Investissements (PPI) de 1,312 milliard d'euros tout en maintenant un profil budgétaire favorable et un niveau d'endettement modéré ». Dans les faits, les dépenses d'équipement n'ont connu qu'une hausse relativement récente.

Évolution des dépenses d'équipement

Source : ville de Lyon

Le PPI 2021-2026 affiche une hausse substantielle par rapport au PPI précédent (+23 % par rapport au PPI 2015-2020), avec un fort accent mis sur la transition écologique.

Priorités du PPI 2021-2026

Source : ville de Lyon

Les principaux investissements réalisés sont les suivants :

· Éducation (321 millions d'euros, 24 % des investissements) : 6 nouveaux groupes scolaires, 4 reconstructions, 9 rénovations énergétiques, 3 extensions, 4 restaurants scolaires ;

· Végétalisation (143 millions d'euros, 11 %) : restauration de parcs et jardins, végétalisation des rues et places ;

· Éclairage (40 millions d'euros, 3 %) : entretien, renouvellement, investissements pour optimiser les consommations.

Projet emblématique : la reconfiguration de l'îlot Kennedy, au coeur d'un quartier populaire (8e arrondissement), avec un accent mis sur la sobriété énergétique et la végétalisation :

- nouveau groupe scolaire J-F. Kennedy (18 classes, une cour d'école végétalisée) ;

- ateliers de la danse, espace de création et de spectacles ;

- nouveau complexe sportif avec une piscine publique, un gymnase et des terrains de sport ;

- réaménagement des espaces publics.

c) De nombreux défis pour l'avenir et des financements très incertains

La commission d'enquête s'est entretenue avec Mme Audrey Hénocque, adjointe au maire de Lyon déléguée aux finances, à la culture et aux grands événements, et M. Sylvain Godinot, adjoint au maire de Lyon délégué à la transition écologique et au patrimoine. Les échanges ont permis de passer en revue l'étendue des sujets intéressant la commission d'enquête.

En matière de gouvernance financière, tout d'abord, la ville a détaillé les différents canaux qu'elle emploie pour demander des financements. Elle a noté, tout d'abord, que si les projets qu'elle porte peuvent prétendre à des financements dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) ou des fonds européens, ces financements sont conditionnés en amont par un « filtre » régional. Indépendamment des rivalités pouvant exister entre les exécutifs des différentes strates, cette situation interroge sur les tensions suscitées par cette organisation, et donc ses limites, les priorités d'une région et de ses communes n'étant pas nécessairement alignées. Quant aux financements en provenance de l'État, la ville a présenté les différentes dotations obtenues et a constaté un effet de « vases communicants » entre les différentes subventions, notamment le fonds vert et la DSIL.

En matière de patrimoine, la ville constate une faible maîtrise, largement héritée, caractérisée par une importante dette patrimoniale (fuites, passoires thermiques, etc.). Elle insiste sur son importance (1 200 bâtiments, 2 millions de m², et sur la place que son renouvellement prend dans sa politique d'investissement (cf. supra), présentant notamment son programme de rénovation des groupes scolaires.

Les nombreux enjeux perçus par la ville ont ensuite été abordés, à commencer par la loi accessibilité, dont les objectifs nécessitent d'importants investissements pour adapter notamment des bâtiments historiques. La question de la rénovation énergétique a aussi été abordée, avec notamment les objectifs ambitieux fixés par le décret tertiaire, pour lesquels la ville adopte une « approche statistique », ciblant les principaux projets avec le plus fort impact. La ville a détaillé par ailleurs les enjeux importants en matière d'adaptation au changement climatique, pour lesquels il n'existe pas de norme nationale, avec, dans le cas de la ville de Lyon, des investissements nécessaires pour se protéger des glissements de terrain, des canicules dans les crèches et écoles, etc.

La ville pointe des injonctions contradictoires de l'État, avec des difficultés techniques pour respecter ces différentes normes, mais aussi les normes en matière de sécurité incendie, l'ensemble contribuant à une explosion des coûts des travaux. Elle constate par ailleurs un faible appui de l'État, l'Ademe se concentrant sur les petites communes et le Cerema facturant ses prestations.

En matière de financement, la ville a présenté le dispositif d'obligation verte et sociale auquel elle a eu recours, s'appuyant sur une notation extra-financière de l'agence Moody's et qui, selon elle, lui a permis d'obtenir des financements dans des conditions plus intéressantes. Elle a rappelé que l'endettement doit s'appuyer sur une bonne capacité d'autofinancement, justifiant ainsi son choix d'augmenter en 2023 le taux de taxe foncière.

La ville s'inquiète néanmoins d'un « effet ciseau » globalement défavorable, caractérisé par des dépenses en hausse et des dotations en baisse. En termes de dépenses, elle pointe notamment le coût des dépenses en matière de petite enfance, avec un fort enjeu d'attractivité sur cette compétence, mais aussi les dépenses liées au vieillissement de la population, notamment via le centre communal d'action sociale (CCAS).

Elle a pointé enfin la grande difficulté à monter un budget 2025 du fait des fortes incertitudes liées au projet de loi de finances pour 2025, estimant que son impact final s'est chiffré à 10 millions d'euros pour la ville, financé par une baisse des dépenses et des subventions accordées.

III. MÉTROPOLE DE LYON

a) Une collectivité sui generis

La métropole de Lyon est une nouvelle collectivité territoriale créée par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM).

La métropole de Lyon est une collectivité à statut particulier (comme le prévoit l'article 72 de la Constitution), créée en lieu et place de la communauté urbaine de Lyon et du département du Rhône, qu'elle remplace sur le territoire métropolitain, depuis le 1er janvier 2015. Elle exerce sur son territoire toutes les compétences exercées auparavant par ces collectivités territoriales, ainsi que des compétences complémentaires en provenance des communes212(*).

Territoires de la métropole de Lyon et du nouveau Rhône

Source : métropole de Lyon

b) Une situation financière longtemps favorable, mais qui se détériore

Dans son dernier rapport sur la Métropole de Lyon, la CRC Auvergne-Rhône-Alpes jugeait que la situation financière de cette dernière « était satisfaisante jusqu'à la crise sanitaire de 2020 (...) grâce à des efforts de maîtrise des dépenses, mais surtout à une forte hausse des droits de mutation à titre onéreux portés par le dynamisme du marché immobilier, ce qui pourrait constituer une fragilité pour l'avenir.

La suppression de la taxe d'habitation et le transfert de la taxe sur le foncier bâti aux communes, prévus par la loi de finances pour 2020 (compensés dans les deux cas), modifieront la structure des recettes et peuvent remettre en cause une dynamique fiscale liée au développement du territoire, jusqu'alors favorable à la métropole.

La situation financière s'est dégradée depuis cette date-là. Le budget primitif du budget principal (BP) pour 2025 affiche des recettes réelles de fonctionnement en baisse de 0,8 % (-24 millions d'euros), conséquence de la baisse des recettes fiscales, dont la TVA (-36 millions d'euros) et les DMTO (53 millions d'euros) et des dotations de l'État (-12 millions d'euros).

Les dépenses réelles de fonctionnement sont contenues (en baisse de -0,2%), la hausse des dépenses à caractère social (+1,3 %, +12 millions d'euros) et des dépenses de personnel (+3,0 %, +14 millions d'euros) étant atténuée par une baisse des charges à caractère général (-5,5 %, -16 millions d'euros).

La métropole affiche par conséquent une dégradation de son autofinancement, de 221 millions d'euros en 2024 à 203 millions d'euros en 2025 et une hausse significative de l'encours de sa dette, de 1 353 millions d'euros en 2024 à 1 650 millions d'euros en 2025 au budget principal.

On observe mécaniquement une détérioration de la capacité de désendettement du budget principal213(*), qui s'établit à 8 ans et 1 mois au 1er janvier 2025 (contre 6 ans et 1 mois en 2024).

La métropole avait déjà dû adopter une décision modificative à l'automne 2024 pour inscrire des dépenses supplémentaires de 50,9 millions d'euros, dont 20 millions d'euros de dépenses sociales (revalorisation du RSA notamment), mais aussi des dépenses de ressources humaines en hausse.

c) Un programme d'investissements recentré sur la transition écologique

Le conseil de la métropole de Lyon a voté un plan d'investissements de 3,6 milliards d'euros pour les années 2021-2026, soit une hausse de 8% par rapport à l'exécution du PPI précédent (3,3 milliards d'euros).

Principaux axes du PPI 2021-2026

Source : métropole de Lyon, dossier de presse PPI.

Parmi les évolutions principales, on peut noter :

- La hausse de 35 % des crédits « environnement, énergie, agriculture, eau et déchets » : portée notamment par les investissements dans le cycle des déchets, portés à 145 millions d'euros (+120 %) pour étendre la collecte des déchets organiques ;

- La hausse de 12 % des crédits « déplacements et mobilités », avec une forte hausse notamment des crédits « métropole cyclable et apaisée » portés à 200 millions d'euros (+ 277 %), avec notamment la réalisation d'un Réseau express vélo de 200 à 250 km de voies cyclables larges, rapides et sécurisées, devant mailler tout le territoire d'ici 2026 ;

- Une baisse de 8 % des opérations d'urbanisme, qui restent l'axe principal du plan (945 millions d'euros), mais qui ont été retravaillées pour faire ressortir la dimension écologique et sociale.

d) Un « effet ciseau » défavorable, marqué par une hausse des coûts et une baisse des recettes

La commission d'enquête a rencontré Philippe Guelpa-Bonaro, vice-président énergie, climat et réduction de la publicité, et Mme Béatrice Vessiller, vice-présidente urbanisme et renouvellement urbain, action foncière et patrimoine bâti, de la Métropole de Lyon.

Les échanges ont d'abord permis de présenter les différentes actions de la métropole en matière de transition écologique et notamment leur coût. Comme cela avait été indiqué en audition, la métropole a ainsi pointé le coût de fonctionnement que suscitaient les dépenses en matière de végétalisation. Elle a aussi pointé, pour un territoire comme Lyon, des coûts de dépollution parfois prohibitifs qui ne permettent parfois pas une prise en compte totale, citant l'exemple d'un projet de centrale solaire dans la vallée de la chimie fortement affecté par la pollution au mercure du sol.

Les élus de la Métropole ont dénoncé l'impact négatif de la loi de finances, mais aussi de la loi de financement de la sécurité sociale (hausse des taux de cotisation CNRACL) qui affecte fortement les recrutements de la Métropole, mais aussi les investissements portés, avec in fine un fort impact sur le secteur du BTP local. La Métropole a notamment pâti du gel de la fraction de TVA perçue en compensation de la suppression de la CVAE. Sur le plan financier, les élus ont indiqué qu'un déplafonnement du versement mobilité pourrait constituer une piste intéressante.

Les élus ont aussi pointé les difficultés en matière de gouvernance, s'agissant de ses relations tant avec l'État qu'avec la région, le premier ayant par exemple refusé de transmettre des informations qui auraient pu faciliter la mise en oeuvre des zones à faible émission (identification en amont des propriétaires des véhicules concernés), la seconde ne partageant pas les mêmes priorités que la Métropole sur le plan ferroviaire.

IV. DÉPARTEMENT DU RHÔNE

a) Une situation financière dégradée

La situation financière du département du Rhône a fait l'objet de plusieurs articles au niveau local et national, en 2024 (« Finances : le département du Rhône proche de l'asphyxie »214(*)) comme en 2025 (« Rhône : Le budget du Département prend l'eau, les élus écopent »215(*)).

À l'occasion des débats sur le PLF 2025, le président du conseil départemental a dénoncé les efforts supplémentaires demandés aux départements, faisant un lien explicite avec la perte d'autonomie fiscale des départements (« on nous demande des dépenses, mais il n'y a aucune recette en face »216(*)).

Comme une majorité de départements, le Rhône doit composer avec un « effet ciseau » défavorable, avec une baisse des recettes (notamment des DMTO et des dotations de l'État) et une hausse des dépenses (notamment des dépenses sociales et de la facture énergétique).

En 2025, les recettes réelles de fonctionnement du département baissent de 3 %, à 504,6 millions d'euros, tandis que les dépenses réelles de fonctionnement, qui atteignent 482 millions d'euros, se stabilisent. Dans le détail, l'évolution des dépenses réelles de fonctionnement masque une hausse des dépenses sociales et diverses mesures d'économie et d'optimisation, le département communiquant sur les 120 mesures prises pour permettre une baisse des dépenses de 10 millions d'euros (réduction de postes, associations, routes, dépenses non obligatoires de solidarité).

En outre, le Dilico du département du Rhône s'élèverait à 5 millions d'euros, suscitant la réaction suivante de M. Verchère, rapporteur général du budget : « Ces 5 millions seront retirés des 10 millions que nous versions chaque année à nos communes pour les aider dans leurs investissements ».

L'autofinancement du département baisse de façon spectaculaire de 59 % (de 55,5 millions d'euros en 2024 à 22,6 millions en 2025).

Dans son rapport sur les orientations budgétaires pour 2025, le département estime que les tendances observées sont structurelles et doivent conduire à un déséquilibre durable de la section de fonctionnement.

Le département du Rhône a fait le choix par ailleurs de maintenir son niveau d'investissement, qui doit s'élever à 97 millions d'euros en 2025.

Prévision et consommation du plan global d'investissement (PGI)

(en millions d'euros)

Source : Département du Rhône

Or l'encours de la dette du département suit une trajectoire à la hausse depuis 2022 :

Évolution de l'encours de la dette au 31 décembre

Source : Département du Rhône ; dette nette retraitée des montages
réalisés en 2016 pour sécuriser les emprunts toxiques du département.

Cette trajectoire à la hausse se poursuivrait en 2025, avec des remboursements à hauteur de 29 millions d'euros et des nouveaux emprunts à hauteur de 70 millions d'euros.

b) Des investissements malgré tout sauvegardés

Le département du Rhône affiche sa volonté de maintenir son niveau d'investissements, tout en notant que certains projets exceptionnels pèsent de façon croissante, s'agissant notamment de son « plan collèges neufs », de la réfection du pont de Condrieu et de la mise en oeuvre du plan Rhône MégaWatt.

Composition du plan global d'investissements

Source : Département du Rhône

S'agissant en particulier du plan Rhône MégaWatt, il s'agit d'une initiative visant à déployer le photovoltaïque sur le territoire du département, atteignant une production de 500 GWh d'ici 2050, soit 36 % de la consommation totale des ménages.

Rhône MégaWatt est une Société par actions simplifiée (SAS) constituée avec trois partenaires retenus à la suite d'un appel à manifestation d'intérêt (détenue à 40 % par le Département du Rhône et 20 % par chacun des autres opérateurs).

c) Une relation financière détériorée avec l'État qui nécessite d'importants efforts du département

La commission d'enquête a rencontré Mme Sylvie Épinat, vice-présidente en charge des finances, des affaires juridiques et des fonds européens, et M. Patrice Verchère, rapporteur général du budget, du Conseil départemental du Rhône.

En guise d'introduction, les élus départementaux ont pointé la dérive constante en matière d'autonomie financière, qui touche particulièrement la strate départementale, déplorant un revirement complet depuis les grands actes de décentralisation qui ont caractérisé la France jusqu'au début des années 2000, pour aboutir aujourd'hui à une situation où les départements doivent composer avec des dépenses obligatoires assises sur des recettes aléatoires.

Les élus ont décrit par la suite l'aléa moral niché au coeur du système de compensation retenu, avec une prime aux mauvais élèves, ce niveau dépendant du niveau de fiscalité passée qui était faible dans le cas du département du Rhône. Ils déplorent par ailleurs le gel de la dynamique de la TVA en PLF 2025, alors que cette dynamique avait été mise en avant auprès des collectivités territoriales au moment de la réforme.

La loi de finances initiale pour 2025 a nécessité d'importants ajustements, à commencer par un plan de maîtrise des dépenses de fonctionnement (cf. supra), des reports en matière d'investissement, s'agissant notamment d'un important projet de rénovation du musée gallo-romain du département, et d'une hausse de l'endettement.

Le département a aussi pointé les injonctions contradictoires auxquelles il était confronté dans ses relations avec l'État, citant en exemple un projet de réhabilitation de friche industrielle bloqué pendant des mois du fait de désaccords techniques entre la Direction départementale des territoires et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.

Les élus départementaux ont mis en valeur enfin l'important travail mené en lien avec la direction générale des finances publiques (DGFIP) en matière de certification des comptes, qui ont permis de fluidifier les liens et de sécuriser les relations. Le département a fait valoir qu'il a ainsi pu s'appuyer sur la qualité de ses comptes pour obtenir des financements de la Banque européenne d'investissement.

LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ACRONYMES
UTILISÉS DANS LE RAPPORT

A

Ad'AP : Agendas d'accessibilité programmée

ADEME : Agence de la transition écologique

AE : Autorisation d'engagement

AIS : Allocations individuelles de solidarité

AMF : Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité

AMRF : Association des maires ruraux de France

ANCT : Agence nationale de la cohésion des territoires

APA : Allocation personnalisée d'autonomie

APU : Administration publique

APUL : Administration publique locale

Apur : Atelier parisien d'urbanisme

APVF : Association des petites villes de France

B

BIACT : Biomasse chaleur industrie agriculture tertiaire

C

CAUE : Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement

Cerema : Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement

CFE : Cotisation foncière des entreprises

CFL : Comité des finances locales

CGCT : Code général des collectivités territoriales

CNEN : Conseil national d'évaluation des normes

CNH : Conférence nationale du handicap

CNT : Conférence nationale des territoires

COP : Conférences des parties

CP : Crédit de paiement

CPO : Conseil des prélèvements obligatoires

CRC : Chambre régionale des comptes

CRTE : Contrats pour la réussite de la transition écologique

CSG : Contribution sociale généralisée

CTU : Collectivité territoriale unique

CVAE : Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises

D

DETR : Dotation d'équipement des territoires ruraux

DGCL : Direction générale des collectivités locales

DGF : Dotation globale de fonctionnement

DGFIP : Direction générale des finances publiques

DILICO : Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités

DMTO : Droits de mutation à titre onéreux

DOFP : Débat d'orientation des finances publiques

DPV : Dotation politique de la ville

DRF : Dépenses réelles de fonctionnement

DSID : Dotation de soutien à l'investissement des départements

DSIL : Dotation de soutien à l'investissement local

E

EBE : Excédent brut d'exploitation

EPCI : Établissement public de coopération intercommunale

ERP : Établissement recevant du public

F

FNCCR : Fédération nationale des collectivités concédantes et régies

FNP : Fonds national de péréquation

FPRNM : Fonds de prévention des risques naturels majeurs

G

GES : Gaz à effet de serre

GIEC : Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat

I

IGF : Inspection générale des finances

I4CE : Institut de l'Économie pour le Climat

IPP : Institut des politiques publiques

IS : Impôt sur les sociétés

IR : Impôt sur le revenu

IRPP : Impôt sur le revenu des personnes physiques

L

LPFP : Loi de programmation des finances publiques

O

OAT : Obligations assimilables du Trésor

OFCE : Observatoire français des conjonctures économiques

OFGL : Observatoire des finances et de la gestion publique locales

P

PCAET : Plan climat-air-énergie territorial

PCH : Prestation de compensation du handicap

PIB : Produit intérieur brut

PLF : Projet de loi de finances

PNACC : Plan national d'adaptation au changement climatique

PPE : Programmation pluriannuelle de l'énergie

PPI : plan pluriannuel des investissements

Q

QPC : Question prioritaire de constitutionnalité

R

RSA : Revenu de solidarité active

S

SEM : Société d'économie mixte

SFEC : Stratégie française de l'énergie et du climat

SGP : Société des grands projets

SGPE : Secrétariat général à la planification écologique

SNBC : Stratégie nationale bas-carbone

SPAFTE : Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale

SPL : Société publique locale

T

TFPB : Taxe foncière sur les propriétés bâties

THRP : Taxe d'habitation sur les résidences principales

TICPE : Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques

TRACC : Trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique

TSCA : Taxe spéciale sur les conventions d'assurance

TVA : Taxe sur la valeur ajoutée

V

VLC : Valeur locative cadastrale

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
DES RECOMMANDATIONS

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Redéfinir un système de financement des collectivités territoriales qui permette de garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes propres, en lien avec leurs compétences, et à la hauteur des charges qu'elles supportent (législateur).

Parlement

Gouvernement

2030

Dispositions législatives et réglementaires

2

Consacrer un principe constitutionnel d'autonomie fiscale des collectivités afin de préserver leurs marges de manoeuvre fiscales.

Parlement

2026

Révision constitutionnelle

Loi organique

3

Garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes pour financer leurs charges et dépenses contraintes (législateur).

Parlement

Gouvernement

2030

Loi organique

Dispositions législatives et réglementaires

4

Instaurer un principe de réexamen régulier des compensations financières versées aux collectivités territoriales au titre des compétences transférées.

Parlement

2026

Révision constitutionnelle

Loi organique

5

Créer un Conseil d'orientation des finances locales chargé de produire des données et des analyses de référence pour encadrer les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales, définir des trajectoires pluriannuelles et assurer le suivi de l'adéquation des recettes locales à l'évolution des charges des collectivités (législateur et gouvernement).

Parlement

Gouvernement

Collectivités territoriales

2026

Dispositions législatives et réglementaires

6

Créer des conférences territoriales décisionnaires de haut niveau entre l'État et chaque strate de collectivités territoriales, compétentes pour fixer les critères de répartition des dotations de l'État et des impôts nationaux partagés.

Parlement

Gouvernement

Collectivités territoriales

2026

Dispositions législatives et réglementaires

7

Compléter le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), et tout autre document de planification, d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Gouvernement

2026

Disposition réglementaire

8

Compléter la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées (Gouvernement).

Gouvernement

2026

Disposition réglementaire

9

Conférer à la Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE) une portée transversale et interministérielle en y associant notamment les ministères chargés respectivement de la transition écologique, de l'agriculture et de la recherche et de l'enseignement supérieur ; la compléter d'une analyse économique et financière dressant une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, mise en regard avec les sources de financements associées à un horizon plus large que 2027 (Gouvernement).

Gouvernement

2026

Disposition réglementaire

10

Sanctuariser un socle de dotations d'investissement en faveur des collectivités territoriales mieux évaluées et ciblées (Gouvernement).

Gouvernement

2030

Disposition réglementaire

11

Compléter l'annexe financière des contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) en leur donnant une dimension pluriannuelle (Gouvernement).

Gouvernement

2026

Disposition réglementaire

12

Rendre public le rapport de mission de l'inspection générale des finances sur les valeurs locatives et autres assiettes fiscales foncières alternatives (Gouvernement)

Gouvernement

2026

Disposition réglementaire

13

Attribuer aux départements une fraction de la contribution sociale généralisée, assortie d'un pouvoir de taux et d'un mécanisme de péréquation (législateur).

Parlement

Gouvernement

2027

Dispositions législatives et réglementaires

14

Attribuer aux régions une fraction d'impôt sur les sociétés, répartie sur la base de critères économiques et assortie d'un dispositif de péréquation (législateur).

Parlement

Gouvernement

2027

Dispositions législatives et réglementaires

15

Revenir sur la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et en affecter le produit aux régions (législateur).

Parlement

Gouvernement

2027

Dispositions législatives et réglementaires

16

Inscrire chaque année sur le programme « Prévention des risques » un montant de financement d'actions portées par les collectivités territoriales cohérent avec les sommes collectées au titre du prélèvement sur la garantie « CatNat » (législateur).

Parlement

Gouvernement

2026

Dispositions législatives et réglementaires


* 1 SudOuest.fr avec AFP, Publié le 30 avril 2025

* 2 Commission des finances du Sénat, audition du Premier président de la Cour des comptes, mercredi 12 octobre 2022.

* 3 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 4 Le Monde, Macron veut supprimer la taxe d'habitation pour 80 % des Français, 24 février 2017.

* 5 Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, article 3.

* 6 Baisse de 30 % en 2018, 65 % en 2019, 100 % en 2020.

* 7 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, article 16.

* 8 Pierre Madec et Mathieu Plane, Évaluation de la réforme de la taxe d'habitation d'Emmanuel Macron, Policy brief 18, OFCE, 26 juin 2017.

* 9 Cour des comptes, L'évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l'impôt, janvier 2025.

* 10 En 2022, les 10 % des personnes les plus modestes ont un niveau de vie inférieur à 12 970 €, tandis que les 10% les plus aisées ont un niveau de vie au moins 3,4 fois supérieur, au-delà de 43 840 €.

* 11 Laurent Bach, Antoine Bozio, Paul Dutronc-Postel, Etienne Fize, Arthur Guillouzouic, Clément Malgouyres, Rapport Institut des politiques publiques n° 48 Évaluation de la réforme de la taxe d'habitation, décembre 2023.

* 12 Réduction de moitié de la CVAE, réduction de moitié de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour leurs établissements industriels évalués selon la méthode comptable, abaissement de 3 % à 2 % du taux de plafonnement de la cotisation économique territoriale (CET) en fonction de la valeur ajoutée.

* 13 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, article 8.

* 14 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, article 55.

* 15 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, article 29.

* 16 Le sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France, Groupe de travail présidé par Michel Camdessus, 2004.

* 17 Rompre avec la facilité de la dette publique, commission présidée par Michel Pébereau, 2005.

* 18 Solidarité et performance, Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales, Pierre Richard, 2006.

* 19 Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, sous la présidence de Jacques Attali, 2008.

* 20 Conférence sur les déficits publics, Rapport du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales, présidé par Gilles Carrez, Michel Thénault, 2010.

* 21 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur les dotations d'investissement aux collectivités territoriales, par MM. Charles Guené et Claude Raynal, n° 806, 20 juillet 2022.

* 22 L'évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l'impôt, Cour des comptes, janvier 2025.

* 23 Alors que le taux « théorique » de la CVAE s'élevait à 1,5 % (avant 2021) et correspondait au produit reversé aux collectivités territoriales, le taux effectivement acquitté par les entreprises variait entre 0 % et 1,5 %, en fonction de leur chiffre d'affaires. La différence entre le taux théorique et le taux effectif était prise en charge par l'État à travers un dégrèvement « barémique ».

* 24 Effet estimé par la Cour des comptes en appliquant un taux d'imposition de 20 % à la somme de :

a) la baisse du montant de CVAE dû par les entreprises entre 2020, année au cours de laquelle les encaissements de CVAE ont été les plus élevés, et 2023 (14 362 - 6 104 = 8 258) ;

et b) le montant de la prise en charge par l'État de la réduction de moitié des bases des locaux industriels en 2023 (4 081 M€).

* 25 Groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur pouvoir d'agir », 6 juillet 2023.

* 26 Audition du 8 avril 2025.

* 27 Décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990, Loi relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux.

* 28 Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999.

* 29 Décision n° 2000-432 DC du 12 juillet 2000, Loi de finances rectificative pour 2000.

* 30 Rapport d'information n° 447 de Michel Mercier, « Pour une République territoriale : l'unité dans la diversité », 28 juin 2000.

* 31 Assemblée nationale, première séance du mardi 19 novembre 2002.

* 32 Géraldine Chavrier, audition du 8 avril 2025.

* 33 Rapport n° 27 (2002-2003) de René Garrec, au nom de la commission des Lois du Sénat, 23 octobre 2002.

* 34 Loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales

* 35 Rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur "pouvoir d'agir" », 6 juillet 2023.

* 36 Xavier Cabannes, audition du 8 avril 2025.

* 37 Commentaire de la décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, Loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

* 38 Rapport n° 912 (2017-2018) de Christophe Jerretie et Charles de Courson, au nom de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, mission flash sur l'autonomie financière des collectivités territoriales, mai 2018.

* 39 Décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017, Loi de finances pour 2018.

* 40 Aurélien Baudu, audition du 8 avril 2025.

* 41 Décision n° 2009-599 DC du 29 déc. 2009, Loi de finances pour 2010.

* 42 Décision n° 2019-796 DC, Loi de finances pour 2020.

* 43 Cour des comptes, « Finances publiques locales 2023 - Fascicule 2 », octobre 2023.

* 44 Ibid.

* 45 Décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017.

* 46 Lors de son audition, le 28 mai 2025, par la commission d'enquête, le professeur Éric Oliva a par exemple estimé que le bilan mitigé de la révision constitutionnelle de 2003 était en partie lié au fait que « le Conseil constitutionnel n'a pas été un grand protecteur de l'autonomie financière ».

* 47 Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998.

* 48 Décision n° 2025-874 DC du 13 février 2025, Loi de finances pour 2025.

* 49 Audition du 8 avril 2025.

* 50 Voir également à cet égard l'article 102 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et les articles 94 et 98 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État.

* 51 Décisions n° 2003-487 DC du 18 décembre 2003 et n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003.

* 52 Rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur "pouvoir d'agir" », 6 juillet 2023.

* 53 En effet, trois ressources nouvelles ont été mises en place : un dispositif de compensation péréquée (DCP) financé sur les frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), un fonds de solidarité départementale (FSD) et un relèvement du taux plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

* 54 Décision n° 2011-144 QPC du 30 juin 2011.

* 55 Ibid.

* 56 Selon les observations transmises par le professeur Matthieu Conan à la commission d'enquête.

* 57 Audition du 28 mai 2025.

* 58 Cour des comptes, Communication à la commission des finances du Sénat : « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution », octobre 2022.

* 59 Rapport du Gouvernement au Parlement pris en application de l'article 5 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 et relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales - Rapport 2024 (Données de l'exercice 2022).

* 60 Ibid.

* 61 Audition du 6 mai 2025.

* 62 Audition du 8 avril 2025.

* 63 Audition du 20 mai 2025.

* 64 Le calcul comprend les compensations d'exonérations et les dégrèvements.

* 65 Cour des comptes, « Finances publiques locales 2023 - Fascicule 2 », octobre 2023.

* 66 Éric Oliva, audition du 28 mai 2025.

* 67 Voir notamment la recommandation n° 13 visant à attribuer aux départements une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG), assortie d'un pouvoir de taux.

* 68 Cour des comptes, « Finances publiques locales 2023 - Fascicule 2 », octobre 2023.

* 69 31,7 % en 2022.

* 70 Cour des comptes, « Finances publiques locales 2023 - Fascicule 2 », octobre 2023.

* 71 Audition du 28 mai 2025.

* 72 Audition du 5 juin 2025.

* 73 L'article L.1612-4 du code général des collectivités territoriales dispose que : « le budget de la collectivité territoriale est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d'investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère [...] ».

* 74 Audition du 28 mai 2025.

* 75 Audition du 28 mai 2025.

* 76 Cour des comptes, « Finances publiques locales 2023 - Fascicule 2 », octobre 2023.

* 77 Audition du 5 juin 2025.

* 78 Rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur "pouvoir d'agir" », 6 juillet 2023.

* 79 Avis budgétaire fait par Loïc Hervé, au nom de la commission des lois, sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances pour 2020, déposé le 21 novembre 2019.

* 80 La Cour des comptes a employé cette expression à propos de la présentation qui est faite, sur le site de la direction générale des collectivités locales (DGCL), des missions du comité des finances locales (CFL), décrit comme une instance destinée « à défendre les intérêts financiers des collectivités territoriales et chargé de les concilier avec ceux de l'État » (Cour des comptes, « Finances publiques locales 2023 - Fascicule 2 », octobre 2023).

* 81 Ibid.

* 82 Audition du 20 mai 2025.

* 83 Par la loi n° 79-15 du 3 janvier 1979 instituant une dotation globale de fonctionnement versée par l'État aux collectivités locales et à certains de leurs groupements et aménageant le régime des impôts directs locaux pour 1979.

* 84 Cour des comptes, Communication à la commission des finances du Sénat : « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution », octobre 2022.

* 85 Et ce alors même que l'engagement avait été pris de la réunir tous les six mois sous la présidence du Premier ministre.

* 86 Audition du 20 mai 2025.

* 87 Prévus à l'article 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Leur application avait été suspendue lors de la crise liée à l'épidémie de covid-19.

* 88 Rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur "pouvoir d'agir" », 6 juillet 2023.

* 89 Article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, déposé à l'Assemblée nationale le 26 septembre 2022.

* 90 Il s'agissait d'un dispositif de surveillance de l'évolution des dépenses locales par catégories de collectivités territoriales, assorti d'un volet correctif permettant de sanctionner les collectivités ne respectant pas l'objectif en les excluant de l'octroi des dotations de l'État.

* 91 La commission des finances a adopté le 27 octobre 2022 les amendements identiques de suppression de Rémi Féraud, de Vanina Paoli-Gagin, de Daniel Breuiller, de Pascal Savoldelli ainsi que du rapporteur Jean-François Husson. En séance, l'amendement n° 73 du Gouvernement tendant à rétablir l'article n'a pas été adopté.

* 92  Rapport n° 23 (2023-2024) de M. Jean-François Husson, déposé le 11 octobre 2023.

* 93 L'instauration en 2022 d'un rapport sur les finances locales annexé au projet de loi de finances (PLF) constitue un premier pas en ce sens (loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques).

* 94 Cour des comptes, « Finances publiques locales 2023 - Fascicule 2 », octobre 2023.

* 95 Texte n° 869 (2021-2022), déposé au Sénat le 9 août 2022 par Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues.

* 96 Rapport n° 471 (2022-2023) d'Agnès Canayer, fait au nom de la commission des lois, déposé le 29 mars 2023

* 97 Audition du 20 mai 2025.

* 98 Rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur "pouvoir d'agir" », 6 juillet 2023.

* 99 Avant-dernier alinéa de l'article L. 2434-37 du code général des collectivités territoriales, tel que modifié par l'article 245 de loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 100 Audition du 1er avril 2025.

* 101 Audition du 26 mars 2025.

* 102 Cour constitutionnelle italienne, arrêt n° 36/2004.

* 103 Rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur "pouvoir d'agir" », 6 juillet 2023.

* 104 Cour des comptes, Communication à la commission des finances du Sénat : « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution », octobre 2022.

* 105 Ibid.

* 106 Inspection générale des finances, L'investissement des collectivités territoriales, octobre 2023.

* 107 Rapport d'information 2019-609, Mission d'information sur la sécurité des ponts, juin 2019.

* 108 Communication du Cerema à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, mai 2025.

* 109 Déplacement de la commission d'enquête à Lyon en date du 16 mai 2025.

* 110 Rapport de mission parlementaire, La simplification des normes applicables aux collectivités, juin 2011.

* 111 Audition de M. Boris Ravignon, président d'Ardenne Métropole, maire de Charleville-Mézières et vice-président chargé des finances d'Intercommunalités de France, le 9 avril 2025.

* 112 Sixième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), 2023.

* 113 Rapport n° 474 d'information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, mars 2024.

* 114 Rapport n° 015725-01, Préconisations pour la mise en oeuvre de la TRACC dans les politiques de l'environnement, du climat, de l'énergie, des transports, de la construction et de l'urbanisme, avril 2025.

* 115 Audition menée le 8 avril 2025.

* 116 Les quatre autres volets étant la baisse des émissions carbonées ; la préservation de la biodiversité ; l'accès aux ressources naturelles ; les enjeux de santé-environnement.

* 117 Les incidences économiques de l'action pour le climat : rapport à la Première ministre, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, mai 2023.

* 118 Le dernier alinéa de l'article 42 de la loi du 3 aout 2009 mentionne : « Un plan national d'adaptation climatique pour les différents secteurs d'activité sera préparé d'ici à 2011. »

* 119 Rapport annuel 2023, « Acter l'urgence, engager les moyens » ; rapport annuel 2024, « Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population ».

* 120 Mesure n° 7 du PNACC-3.

* 121 Mesure n° 13 du PNACC-3.

* 122 Mesure n° 27 du PNACC-3.

* 123 Données : Direction du Budget.

* 124 Cour des Comptes, Rapport annuel 2024 : « L'action publique en matière d'adaptation climatique ».

* 125 Audition de M. Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette, vice-président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), et Mme Gwenola Stephan, responsable de la mission transition écologique de l'AMF, le 2 avril 2025.

* 126 Déplacement de la commission d'enquête à Lyon le 16 mai 2025.

* 127 Ressources disponibles sur la page internet correspondante de la Métropole de Lyon, "Millénaire 3" : https://millenaire3.grandlyon.com/

* 128 Entretien réalisé par Wandrille Jumeaux le 16 juin 2025, disponible au lien suivant : https://millenaire3.grandlyon.com/Interview/2025/magali-reghezza-zitt-geographe-seule-la-reussite-de-l-attenuation-du-changement-climatique-rend-l-adaptation-possible

* 129 Selon la bibliographie commentée notamment dans l'étude « Les bâtiments face aux nouvelles vagues de chaleur : investir aujourd'hui pour limiter la facture demain », I4CE, 2022. 

* 130 Il s'agit selon I4CE du surcoût actuel - qui pourrait être réduit par effet d'apprentissage - qui intègre l'ensemble des éléments relatifs à la qualité durable du bâtiment par rapport au même bâtiment standard règlementaire.

* 131 Rapport d'information n° 511 (2018-2019) de MM. Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 16 mai 2019.

* 132 CGE, 2020. « Rapport sur la rénovation des bâtiments scolaires ».

* 133 Guide environnemental applicable aux projets d'aménagement et de construction, Ville de Paris, 2023.

* 134I4CE, Le réflexe adaptation dans les investissements publics en pratique : pistes pour 2025 et perspectives, janvier 2025.

* 135 Source : Météo France.

* 136 Cerema et Ademe, Rafraîchir les villes : des solutions variées, mars 2021.

* 137 Carbone 4, Le rôle des infrastructures dans la transition bas-carbone et l'adaptation au changement climatique de la France, 2022.

* 138 Ville de Paris, Actualisation du diagnostic de vulnérabilités et de robustesses de Paris face aux changements climatiques et à la raréfaction des ressources, 2021.

* 139 Atelier parisien d'urbanisme, Espaces publics à végétaliser à Paris : étude exploratoire, juin 2020.

* 140 Audition de M. Daniel Cornalba, maire de l'Étang la Ville, membre du Bureau de l'Association des Petites Villes de France, 26 mars 2025.

* 141 Audition de M. Éric Schahl, conseiller régional d'Île-de-France, représentant l'association Régions de France, le 29 avril 2025.

* 142 Audition de MM. François Thomazeau, directeur des programmes Collectivités locales et Adaptation au changement climatique de l'Institut de l'économie pour le climat, et Luc-Alain Vervisch, directeur des études et de la recherche à la Banque Postale, le 2 avril 2025.

* 143 Audition de M. Joël Ruffy, responsable du pôle juridique et institutionnel de l'Association Amorce, 25 juin 2025

* 144 Contribution écrite de l'ANCT suite à l'audition par la commission d'enquête de son directeur général Stanislas Bourron le 27 mai 2025.

* 145 Audition du 13 novembre 2024 devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

* 146 Inspection générale des finances, L'investissement des collectivités territoriales, octobre 2023.

* 147I4CE, « Collectivités locales : comment financer l'accélération des investissements climat ? », décembre 2023.

* 148 Cité par le rapport d'information sénatorial n° 2023-87 « Transition environnementale : aider les collectivités locales à s'organiser », p. 180.

* 149 Avis budgétaire n° 148 (2024-2025) sur le projet de loi de finances pour 2025 : chapitre II - les crédits consacrés à la transition écologique et au climat, novembre 2024.

* 150 « Engager et réussir la transition environnementale de sa collectivité », rapport d'information n° 87 (2023-2024) du 9 novembre 2023, par MM. Guy Benarroche, Laurent Burgoa et Pascal Martin.

* 151 I4CE, la Banque postale, Panorama des financements climat des collectivités locales, septembre 2024.

* 152 Cf. Sénat, Groupe de travail sur la décentralisation, 2023 : « un système de financement des collectivités territoriales à bout de souffle ».

Cour des comptes, le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution, octobre 2022 - « un système de financement complexe et à bout de souffle ».

* 153 Sud-Ouest, « Impôts locaux : il n'est « pas juste » que les locataires n'en paient pas, estime Gérard Larcher », 30 avril 2025.

* 154 « La valeur de l'action pour le climat : une référence pour évaluer et agir », Rapport de la commission présidée par Alain Quinet, France Stratégie, mars 2025.

* 155 Intégrée depuis dans un nouveau Haut-Commissariat au plan élargi par le décret n° 2025-450 du 23 mai 2025 portant création du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan.

* 156 Effet d'aubaine : soudaine augmentation de besoins ou demandes, notamment financiers, suite à l'apparition d'une possibilité de les satisfaire, par exemple par des subventions.

Effet rebond : fait que certains gains environnementaux dus à une gestion des ressources plus efficace ou à des évolutions techniques sont sensiblement diminués ou annulés par une augmentation de la consommation ou une modification des usages.

* 157 La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit que 38 % de la consommation finale de chaleur devra être d'origine renouvelable en 2030 et entend multiplier par cinq la quantité de chaleur renouvelable et de récupération livrée par les réseaux de chaleur.

La PPE confirme cet engagement, avec un objectif d'augmentation de la consommation de chaleur renouvelable de 25 % en 2023 et de hausse de 40 % à 60 % en 2028 par rapport à 2016.

* 158 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 159 Les quatre priorités étant le plein emploi, la transition écologique, la refondation des services publics et l'ordre républicain.

* 160 Rapport d'information n° 806 (2021-2022) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les dotations d'investissement aux collectivités territoriales, Charles Guené et Claude Raynal, 22 juillet 2022.

* 161 Rapport d'information n° 806 (2021-2022) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur les dotations d'investissement aux collectivités territoriales, Charles Guené et Claude Raynal, 22 juillet 2022, page 28.

* 162 Aboutissant même à un contre-sens, puisque cette même réponse précisait que « l'identification des projets PCAET parmi les projets du fonds vert permet de souligner que ces projets sont nombreux à solliciter et à bénéficier du fonds vert » alors même que l'innovation de ces crédits consistait dans leur attribution directe aux intercommunalités, sans passer par la procédure classique du fonds vert.

* 163 Commission des finances du Sénat, 19 mars 2025, audition de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics.

* 164 L'élaboration d'un PCAET est prévue par les articles L. 229-26 et suivants du code de l'environnement.

* 165 Coûts des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités : évaluation, constats et propositions, Boris Ravignon, mai 2024.

* 166 « Une dotation de consolidation de l'autofinancement local plutôt que de soutien à l'investissement ! », la Gazette des communes, 12 novembre 2021.

* 167 Entretien avec Boris Ravignon : « Le Roquelaure de la simplification n'est qu'un début ! », Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, 2 juin 2025.

* 168 Cf. dernièrement, le rapport de la Cour des comptes sur la dotation globale de fonctionnement publié en octobre 2024, qui appelle à une « réforme systémique » de cette dotation.

* 169 Pour une fiscalité du logement plus cohérente, conseil des prélèvements obligatoires, décembre 2023.

* 170 Loi n° 90-669 du 30 juillet 1990.

* 171 Loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, article 74.

* 172 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, article 146.

* 173 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, article 106.

* 174 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, article 152.

* 175 La DGFiP met en avant qu'un bien est mis sur le marché en moyenne tous les 19 ans, ce qui ne faciliterait pas l'évaluation de sa valeur vénale.

* 176 Entretien. Comment François Rebsamen « veut simplifier la vie des élus... et des Français », Ouest France, 26 avril 2025.

* 177 Quel avenir pour l'impôt local ? Quel financement des services publics locaux ? Groupe fiscalité de Terra Nova, 4 septembre 2023.

* 178 La note évoque en particulier « la compensation sur la part salaire (CPS) datant de 2003 et versée aux collectivités au moment de la suppression de la part sur les salaires de l'ancienne taxe professionnelle »

* 179 "Ils ne participent plus au financement public": Gérard Larcher ne trouve "pas juste" que les locataires ne paient plus d'impôts locaux, BFMTV, 30 avril 2025.

* 180 Décentralisation : le temps de la confiance, rapport d'Éric Woerth au Président de la République, Mai 2024.

* 181 Loi de finances pour 1991 (n° 90-1168 du 29 décembre 1990), articles 127 à 135 devenus articles L. 136-1 à L. 136-8 du code de la sécurité sociale.

* 182 Dans le cadre de son audition par la commission d'enquête, le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation a estimé ce rendement à 19 milliards d'euros.

* 183 Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution, communication à la commission des finances du Sénat, Cour des comptes, octobre 2022.

* 184 Loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, article 255.

* 185 0,34%du montant de l'assiette des DMTO perçus l'année précédant la répartition en 2024. Ce montant n'est pas fixé ex ante et varie chaque année selon l'assiette des droits.

* 186 Visant à assister de différentes façons les départements fragiles, avec un taux de pauvreté élevé, un potentiel financier faible ou en tenant compte du reste à charge et de la population.

* 187 Définis par l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ».

* 188 Cf. article L. 13 AA du livre de procédures fiscales.

* 189 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, article 79.

* 190 Avec un taux d'imposition maximal à la CVAE porté à 0,28 % en 2024, 0,19 % en 2025, 0,09 % en 2026 et une CVAE totalement supprimée en 2027.

* 191 Loi 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement.

* 192 Il s'agit d'un prélèvement de 12% qui représente une « surprime » de 12% ou 6% selon qu'il s'agit d'un contrat habitation ou automobile.

* 193 Projet de loi de finances pour 2025, rapport sur la mission « Écologie, développement et mobilités durables », commission des finances du Sénat.

* 194 Cour des comptes, l'évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l'impôt, janvier 2025.

* 195 Sur les 9,9% des communes, 6,8% correspondent à la part de DGF compensant de la fiscalité supprimée.

* 196 Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, traité international juridiquement contraignant adopté par 196 parties à Paris le 12 décembre 2015, entrée en vigueur le 4 novembre 2016.

* 197 L'OFGL note que l'encours de dette de fin d'année d'Ile-de-France Mobilités s'élevait à 10,4 milliards d'euros fin 2023 (+18% en un an) quand la SGP s'élevait à 26,9 milliards d'euros fin 2022.

À titre de comparaison, d'après l'INSEE (au 28 mai 2025), la dette des APUL s'élevait à 248,1 milliards d'euros fin 2023.

* 198 Auditionné en sa qualité de président de la section « administration territoriale de l'état, finances publiques locales et certification des comptes des assemblées parlementaires » de la 4e chambre de la Cour des comptes.

* 199 Encours de la dette / capacité d'autofinancement.

* 200 Ex : transfert des compétences eau et assainissement.

* 201 Cour des comptes, rapport public annuel 2021, tome II, La nécessaire optimisation de la gestion des éclairages publics : l'exemple de communes d'Auvergne-Rhône-Alpes.

* 202 Ademe, Dépenses énergétiques des collectivités locales, État des lieux en 2017, 2019.

* 203 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, article 191.

* 204 Sénat, rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) vertes, 13 juillet 2022.

* 205 Inspection générale des finances, l'investissement des collectivités territoriales, octobre 2023.

* 206 Bank of England, Breaking the tragedy of the horizon - climate change and financial stability, Mark Carney, 29 septembre 2015.

* 207 Fédération bancaire française, Finance durable, les banques françaises leaders, juillet 2024.

* 208 Ville de Lyon, Allocation des fonds levés dans le cadre des émissions vertes, sociales et durables, rapport 2024.

* 209 INSEE, dette des administrations publiques au sens de Maastricht, au 28 mai 2025.

* 210 Rapport sur la dette des administrations publiques, rapport prévu par l'article 48 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, 10 octobre 2024.

* 211 Trois actes législatifs ont été adoptés par le Conseil le 29 avril 2024 qui réforment le cadre de gouvernance économique et budgétaire de l'UE :

- le règlement du Conseil et du Parlement européen relatif à la coordination efficace des politiques économiques et à la surveillance budgétaire multilatérale et abrogeant le règlement (CE) nº 1466/97 du Conseil ;

- le règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ;

- la directive du Conseil modifiant la directive 2011/85/UE sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres.

* 212 Définies à l'article 26 de la loi MAPTAM.

* 213 Au niveau consolidé, la capacité de désendettement est de 7 ans et 3 mois (5 ans et 8 mois en 2024).

* 214 Les Échos, publié le 1er février 2024.

* 215 Le Progrès, publié le 5 avril 2025.

* 216 Tout Lyon, publié le 21 novembre 2024.

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