II. UN NOUVEAU MODÈLE QUI CHERCHE ENCORE SES MARQUES
Annoncé au moment de sa création et engagé depuis plusieurs années, le mouvement du Cerema vers les collectivités s'est cependant retrouvé confronté à des blocages devenus insurmontables sans un changement de statut de l'établissement. Ce constat est à l'origine du nouveau modèle juridique de l'opérateur, devenu un outil commun partagé entre l'État et les collectivités territoriales dans le cadre d'un système original de quasi-régie conjointe.
Avant le changement de statut du Cerema opéré par les dispositions de l'article 159 de la loi « 3DS »26(*) de février 2022, l'article 45 de la loi du 28 mai 201327(*) réservait quasi exclusivement le Cerema aux services de l'État. Si l'établissement pouvait « prêter concours (...) aux services déconcentrés de l'État dans leurs missions d'assistance aux collectivités territoriales », ce n'est « qu'à titre accessoire » que l'opérateur était autorisé à réaliser des prestations « directement pour le compte de tiers autres que l'État »28(*).
Article 45 de la loi n° 2013-431 du
28 mai 2013 portant diverses dispositions
en matière
d'infrastructures et de services de transports avant sa modification
en
février 2022 par l'article 159 de la loi
« 3DS »
Pour l'accomplissement de ses missions, l'établissement assure, essentiellement à la demande de l'État, des activités de conseil, d'assistance, d'études, de contrôle, d'innovation, d'expertise, d'essais et de recherche. Il peut prêter concours, dans ses domaines de compétences, aux services déconcentrés de l'État dans leurs missions d'assistance aux collectivités territoriales, notamment pour des raisons de solidarité nationale ou pour la mise en oeuvre des politiques publiques.
À ces fins, l'État peut faire appel au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement dans le cadre du 1° de l'article 3 du code des marchés publics.
À titre accessoire, l'établissement peut réaliser les prestations définies au premier alinéa du présent article directement pour le compte de tiers autres que l'État.
Source : loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports
Le deuxième alinéa de ce même article prévoyait que l'État pouvait, selon un système de quasi-régie29(*), passer commande au Cerema sans être tenu de procéder à une mise en concurrence préalable. En vertu des normes du droit européen de la concurrence, ce système de quasi-régie d'État était cependant conditionné au fait que les prestations « accessoires » du Cerema réalisées en dehors du cadre de cette quasi-régie, notamment pour le compte des collectivités ou d'acteurs privés, ne dépassent pas 20 % de son activité. Or, avant la réforme prévue par la loi « 3DS », compte-tenu notamment de la bascule progressive du Cerema vers les collectivités, cette limite fatidique était sur le point d'être atteinte.
Ainsi, à l'orée de la décennie 2020, le Cerema, duquel ses tutelles exigeaient qu'il développe ses ressources propres, notamment émanant des collectivités, pour compenser la baisse continue de la dotation annuelle qui lui était versée par l'État, se retrouvait-il confronté à une double impasse, juridique et budgétaire.
Outre cette impasse, le Cerema estimait à l'époque que les complexités des règles de la commande publique et la lourdeur des procédures afférentes constituaient un frein, pour lui comme pour certaines collectivités, dans le développement de leurs relations commerciales. Les difficultés invoquées alors par l'établissement avaient notamment été signalées dans le rapport de 2021 du CGEDD et de l'IGA (voir encadré ci-après).
Avant son changement de statut, les
difficultés invoquées par le Cerema
dans ses relations
juridiques avec les collectivités dans le cadre
des règles de
la commande publique
Le Cerema constate que compte tenu de sa qualité d'intervenant expert, les formules juridiques permettant de faire bénéficier les collectivités de ses compétences ne sont pas toujours aisées a` définir et que le temps de préparation de ces contrats est très consommateur d'énergie.
Autant les services juridiques des collectivités sont a` l'aise avec les procédures les plus classiques de la commande publique, autant la mise au point des contrats de partenariat de différents types leur apparait plus complexe, alors même que dans le même temps, les collectivités souhaitent trouver le moyen de traduire une relation de confiance avec l'expert neutre et impartial que représente pour elles le Cerema.
Les marchés de type recherche développement ou services innovants sont également contraignants pour mettre en oeuvre des innovations techniques.
Le Cerema souligne enfin que l'établissement n'est pas par tradition organisé pour répondre de façon importante à des appels d'offres.
Source : le rôle du Cerema en matière d'appui aux collectivités territoriales, rapport du CGEDD et de l'IGA, juin 2021
C'est dans la perspective de poursuivre le virage du Cerema vers les collectivités, en répondant aux impasses et aux difficultés qui menaçaient de l'entraver, que le changement de statut juridique de l'établissement a été adopté par le Parlement en février 2022 dans le cadre de la loi « 3DS ».
A. LES PREMIERS RÉSULTATS DE LA QUASI-RÉGIE CONJOINTE ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS
1. Un nouveau statut, une gouvernance réformée et un accès facilité au Cerema pour les collectivités adhérentes
L'article 159 de la loi « 3DS » a révisé le statut juridique du Cerema pour en faire un établissement public partagé entre l'État et les collectivités. Désormais, conformément aux nouvelles dispositions de l'article 45 de la loi du 28 mai 2013, les collectivités peuvent adhérer à l'établissement afin de participer à sa gouvernance et pouvoir accéder à ses services selon le modèle de la quasi-régie30(*), c'est-à-dire par simple voie conventionnelle, sans qu'une procédure de mise en concurrence préalable ne soit requise.
Article 45 de la loi n° 2013-431 du
28 mai 2013 en vigueur aujourd'hui
après sa modification par
l'article 159 de la loi « 3DS »
Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent demander à adhérer au Cerema.
Les demandes d'adhésion sont soumises à l'approbation du conseil d'administration.
Pour l'accomplissement de ses missions, l'établissement exerce des activités de conseil, d'assistance, d'étude, de contrôle, d'innovation, d'expertise, d'essais, de recherche, de formation et d'intervention. Ces activités sont assurées essentiellement à la demande de l'État, des collectivités territoriales ou de leurs groupements adhérents du Cerema.
L'État, les collectivités territoriales et leurs groupements adhérents peuvent faire appel au Cerema dans le cadre des articles L. 2511-1 à L. 2511-5 du code de la commande publique.
À titre accessoire, l'établissement peut réaliser les prestations définies au troisième alinéa du présent article pour le compte de tiers autres que l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements adhérents.
Source : loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports
En vertu des dispositions du code de la commande publique, pour qu'une relation de quasi-régie puisse être instaurée entre des pouvoirs adjudicateurs (en l'occurrence ici les collectivités adhérentes au Cerema) et la personne morale concernée (en l'occurrence le Cerema), trois conditions cumulatives doivent être réunies :
- les pouvoirs adjudicateurs doivent exercer conjointement sur la personne morale un contrôle analogue à celui qu'ils exercent sur leurs propres services, c'est-à-dire une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de l'entité en question ;
- la personne morale doit réaliser 80 % de son activité dans le cadre des tâches qui lui sont confiées par les pouvoirs adjudicateurs qui la contrôlent, ou par d'autres personnes morales contrôlées par les mêmes pouvoirs adjudicateurs ;
- le capital de la personne morale ne doit pas comporter de participations privées.
Pour que le Cerema respecte la première de ces trois conditions, celle du contrôle des pouvoirs adjudicateurs, sa gouvernance devait être réformée pour y faire une place plus significative aux collectivités. La réforme de la gouvernance de l'établissement était donc une condition préalable indispensable à la mise en oeuvre de son nouveau statut juridique de quasi-régie conjointe.
Alors que ses grandes lignes sont établies par les dispositions de l'article 46 de la loi du 28 mai 2013 modifié par l'article 159 de la loi « 3DS », les détails de cette nouvelle gouvernance sont fixés par un décret du 27 décembre 201331(*), lui-même modifié en juin 202232(*) pour traduire les évolutions rendues nécessaires par le changement de statut.
La nouvelle gouvernance du Cerema a été concrètement mise en place en mai 2023 avec l'installation à la fois de son nouveau conseil d'administration et de son conseil stratégique. Elle a sensiblement renforcé le poids des collectivités dans les instances de l'établissement, leur donnant un rôle substantiel dans la détermination des orientations stratégiques de l'opérateur comme dans la définition de sa programmation.
Le conseil d'administration de l'établissement se compose désormais de 20 représentants des collectivités et de leurs groupements, de 6 représentants de l'État et le directeur général de l'ANCT, de 3 personnalités qualifiées et de 5 représentants des personnels. Avec 40 voix sur un total de 100, contre 35 pour les représentants de l'État, 15 pour les personnalités qualifiées et 10 pour les représentants des personnels, les collectivités territoriales et leurs groupements disposent d'une majorité relative au sein de cette instance.
Si une majorité qualifiée au bénéfice des collectivités territoriales et de leurs groupements est exigée pour l'adoption des délibérations relatives aux décisions qui les concernent directement, l'État disposent néanmoins d'une minorité de blocage.
Le conseil stratégique se compose quant à lui de 34 membres dont 20 représentants des collectivités, 13 de l'État et le directeur général de l'ANCT.
Le conseil d'administration comme le conseil stratégique sont présidés par des représentants des collectivités adhérentes.
Les représentants des collectivités adhérentes sont également majoritaires au sein des autres instances de l'établissement, en particulier celles qui participent à la programmation annuelle des activités du Cerema : les comités d'orientation thématiques nationaux ainsi que les comités d'orientation territoriaux organisés dans chaque région.
Dans le cadre de ce nouveau modèle, les collectivités qui font le choix d'adhérer peuvent attribuer au Cerema des marchés publics par simple voie conventionnelle, sans application des obligations de publicité et de mise en concurrence exigées par le code de la commande publique. Les collectivités adhérentes s'engagent sur une durée de quatre ans et s'acquittent d'une cotisation selon leur démographie ou en fonction de leur type, selon un barème délibéré en conseil d'administration. Le premier barème, dont le détail est présenté dans le tableau ci-après, avait été voté par le conseil d'administration du 6 octobre 2022 qui a précédé le lancement de la campagne d'adhésion.
Barème de cotisations des collectivités adhérentes à la quasi-régie conjointe
(en euros)
Catégories de collectivités |
Montant de la contribution en année pleine |
Montant de la contribution au titre de l'année 2023 |
Communes et groupements de 10 000 habitants et moins |
500 € |
250 € |
Communes et groupements de 10 001 à 39 999 habitants |
0,05 € par habitant |
Abattement de 50 % sur le montant issu du barème applicable en année pleine |
Communes et groupements de plus de 40 000 habitants |
2 000 € |
|
Départements |
2 500 € |
1 250 € |
Régions |
5 000 € |
2 500 € |
Source : réponses du CGDD au questionnaire du rapporteur
Par ailleurs, les collectivités adhérentes disposent d'autres avantages tels qu'un interlocuteur dédié ou encore un accès exclusif et gratuit à des webinaires. Par ailleurs, elles reçoivent en avant-première l'ensemble des guides techniques diffusés par l'établissement et peuvent bénéficier d'un premier diagnostic gratuit relatif à l'adaptation au changement climatique
2. De premiers enseignements qui semblent témoigner de l'enclenchement d'une dynamique vertueuse
Les premiers résultats quantitatifs observés après le changement de statut du Cerema semblent manifester une véritable dynamique. En mai 2025, 1 013 collectivités avaient adhérées, dont 16 régions, 87 départements, 476 communes et 434 groupements de collectivités.
Le Cerema reçoit en moyenne entre 5 et 10 demandes d'adhésions par mois depuis le 1er trimestre 2024 après avoir enregistré 831 adhésions dès l'année 2023. Ce démarrage a été plus rapide qu'anticipé puisqu'à l'origine, l'établissement ne visait que 600 adhésions en 2023. À l'horizon 2027, le Cerema a désormais pour objectif l'adhésion de 1 500 collectivités.
Les effets de cet engouement initial se lient également dans la progression des ressources propres que l'établissement perçoit des collectivités. Depuis la mise en place de la quasi-régie conjointe, ces recettes ont en effet réalisé un bond de 64 % (8,2 millions d'euros), passant de 12,8 millions d'euros en 2022 à 21 millions d'euros en 2024 alors qu'elles n'avaient progressées que de 36 % (3,4 millions d'euros) entre 2018 et 2022.
La dynamique née du nouveau modèle s'observe aussi dans le nombre de contrats conclus par le Cerema avec des collectivités adhérentes qui s'inscrivent dans le cadre du système de quasi-régie. Au nombre de 91 en 2023, pour environ 900 000 euros, ils se sont élevés à 515 en 2024 pour un montant de 5,7 millions d'euros, soit 27 % du montant total des ressources propres provenant des collectivités perçues cette année-là par l'établissement (21 millions d'euros). Par ailleurs, ce montant correspond exactement à la hausse de ces ressources propres observée entre 2023 et 202433(*).
Répartition des recettes issues
en 2024 des contrats de quasi-régie
conclus par le Cerema avec
des collectivités adhérentes
(en milliers d'euros et en %)
EPCI : établissements publics de coopération intercommunale.
EPL : établissements publics locaux.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur
* 26 La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
* 27 La loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports.
* 28 Article 45 de la n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports avant sa modification en février 2022 par l'article 159 de la loi « 3DS ».
* 29 Également appelé « in house ».
* 30 Dans le cadre des articles L. 2511-1 à L. 2511-5 du code de la commande publique.
* 31 Le décret n° 2013-1273 du 27 décembre 2013 relatif au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
* 32 Le décret n° 2022-897 du 16 juin 2022 modifiant le statut du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
* 33 Celles-ci sont en effet passées de 15,3 millions d'euros en 2023 à 21 millions d'euros en 2024.