N° 895

SÉNAT

2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 septembre 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur le thème :
« 
Faciliter l'accès aux services publics : restaurer le lien de confiance
entre les
administrations et les administrés »,

Président
M. Gilbert-Luc DEVINAZ,

Rapporteure
Mme Nadège HAVET, 

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette mission est composée de : M. Gilbert-Luc Devinaz, président ; Mme Nadège Havet, rapporteure ; MM. Jean-Luc Brault, Ronan Dantec, Éric Gold, Mmes Marianne Margaté, Olivia Richard, Marie-Pierre Richer, MM. Hugues Saury, Adel Ziane, vice-présidents ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Lise Housseau, secrétaires ; Mmes Catherine Conconne, Patricia Demas, MM. Éric Dumoulin, Philippe Folliot, Mmes Béatrice Gosselin, Corinne Imbert, Gisèle Jourda.

L'ESSENTIEL

Créée à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), la mission d'information « L'accès aux services publics : renforcer et rénover le lien de confiance entre les administrations et les usagers » a fait le constat, face à une dématérialisation des services publics qui s'impose désormais dans de nombreuses démarches, de fractures persistantes qui sont autant de difficultés et de contraintes pour certains usagers, malgré les avancées réalisées au cours des dernières années pour améliorer l'accès aux services publics.

La mission d'information a ainsi identifié les défis à relever et les progrès à promouvoir pour parvenir à des services publics à la fois simples, accessibles, efficaces et humains, gages d'égalité et de cohésion sociale. L'objectif est de concilier la poursuite de la modernisation des services publics, qui va de pair avec leur digitalisation, et la nécessaire attention portée tant à l'usager éloigné des nouvelles technologies qu'à celui dont le cas s'accommode mal de démarches standardisées.

Au terme de ses travaux, elle formule 20 recommandations réparties en 4 axes :

- améliorer l'accueil et l'accompagnement des usagers,

- rendre le réseau France services - dont les acquis doivent beaucoup à l'engagement des collectivités - plus performant afin de renforcer l'accès aux services publics dans les territoires,

- protéger plus efficacement les usagers contre les sites trompeurs et/ou frauduleux qui proposent d'effectuer des démarches administratives contre rémunération,

- mettre à profit les récents progrès technologiques pour promouvoir une administration au service des usagers et renforcer la lutte contre l'exclusion numérique.

I. L'ACCÈS AUX SERVICES PUBLICS ENTRE FRACTURE NUMÉRIQUE ET FRACTURE TERRITORIALE

« La dématérialisation des démarches administratives s'est imposée comme une nouvelle norme du service public » : « 73 % des Français ont en 2024 effectué une démarche administrative en ligne au cours de l'année ».

Le dernier Baromètre du numérique confirme ainsi que l'accès aux services publics passe désormais principalement par un canal dématérialisé : les quelque 572 millions de démarches administratives effectuées en ligne chaque année (hors école, hôpitaux, collectivités territoriales, police et gendarmerie) représentent 82 % du total des démarches réalisées sur une année.

 

Nombre de démarches administratives effectuées en ligne

Ce vaste mouvement de dématérialisation n'est pas spécifique à la France. Au Danemark, plus de 90 % des échanges entre les usagers et l'administration sont réalisés numériquement ; la loi a rendu obligatoire l'utilisation du numérique pour l'accès aux services administratifs, les voies téléphonique ou postale devenant l'exception. L'Espagne occupait en 2020 le deuxième rang en Europe en matière d'administration numérique, avec un score nettement supérieur à la moyenne. Au Royaume-Uni, l'accès aux informations et aux démarches administratives relevant de l'État central passe désormais par un guichet unique numérique. Une résolution du Parlement européen du 18 avril 2023 encourageait une accélération de la transition numérique des services publics, notant que les citoyens de l'Union européenne « s'attendent désormais à ce que les services publics soient accessibles en ligne », car « au cours de la pandémie de COVID-19, presque toutes les activités sont passées en ligne ».

Le rapport de la mission d'information du Sénat sur l'illectronisme et l'inclusion numérique estimait toutefois, en 2020, que si « un consensus assez large existe sur l'apport que peut constituer le numérique pour le fonctionnement et l'accès au service public », la dématérialisation n'en laisse pas moins de côté un grand nombre d'usagers qui, par exemple en raison de leur âge, de leur handicap ou d'un équipement défaillant, peinent à effectuer des démarches en ligne : ce constat reste d'actualité.

D'après le Baromètre du numérique de 2025, « presque un Français sur deux (44%) rencontre des difficultés dans la réalisation de démarches en ligne » ; près du quart des jeunes adultes de 18-24 ans, pourtant nés avec le numérique, ont « peur de se tromper » en effectuant ces démarches.

De manière très concrète, les difficultés rencontrées par certains de nos compatriotes établis hors de France pour s'identifier sur France connect, faute de numéro de téléphone français, peuvent être autant d'obstacles à l'accomplissement de démarches en ligne, notamment en matière de retraite.

Certains élus consultés par la mission d'information sur le site du Sénat en avril-mai 2025 témoignent : « La dématérialisation est adaptée à un public autonome mais totalement inadaptée et source d'angoisses pour un public défavorisé » ; elle est à l'origine d'une déshumanisation des services publics, voire d'une forme de « précarité relationnelle » pour les usagers qui, perdus devant leur écran, ont besoin d'un contact humain - guichet ou téléphone.

Aux effets de la fracture numérique s'ajoutent les perturbations causées par la contraction du maillage territorial de nombreux services publics (fermetures d'écoles, de bureaux de postes, de trésoreries, d'organismes de protection sociale, etc.) L'éloignement géographique des services publics dits de proximité, parallèlement à leur dématérialisation qui constitue une autre forme d'éloignement, est durement ressenti dans les territoires ruraux et constituait un thème récurrent des Cahiers de doléances, ouverts dans les mairies en 2018-2019 dans le contexte de la crise des gilets jaunes.

Les élus locaux consultés par la mission d'information ont témoigné du « sentiment d'abandon » lié, dans certains territoires, à cette évolution.

« Quand on ne peut plus mettre un nom et un visage sur un agent du service public, on ne peut guère s'étonner que les termes même de "service public" n'aient plus de sens pour nos administrés. »

La fracture territoriale ne se limite pas à la France rurale ; elle est également marquée dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV). Dans les outre-mer, pour accéder à certaines plateformes téléphoniques nationales, les usagers sont pénalisés par les horaires d'ouverture, alignés sur le fuseau horaire hexagonal : l'accès aux services publics peut constituer un défi pour nos concitoyens ultramarins.

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