N° 31
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 octobre 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de
l'éducation, de la communication
et du sport (1) par la mission
d'information sur la mise en oeuvre
de la loi du 21 mai 2021 relative
à la protection
patrimoniale
des
langues régionales,
dite loi Molac,
Par M. Max BRISSON et Mme Karine DANIEL,
Sénateur et Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Mireille Conte Jaubert, Evelyne Corbière Naminzo, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Paulette Matray, Catherine Morin-Desailly, M. Georges Naturel, Mme Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, François Patriat, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.
L'ESSENTIEL
Plus de 70 langues régionales sont encore parlées en France. La Constitution reconnaît à son article 75-1 leur appartenance « au patrimoine de la France ». Leur utilisation et leur visibilité se sont toutefois progressivement estompées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sans sursaut politique et sociétal fort, ces langues seront quasiment éteintes d'ici une à deux générations.
La loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite « loi Molac », vise à apporter des solutions concrètes à ce déclin des langues à travers trois axes : renforcer leur enseignement, sécuriser leur usage dans l'espace public et reconnaitre leur valeur patrimoniale. Adopté dans un large consensus, ce texte a fait naître de grands espoirs et attentes parmi les défenseurs des langues régionales, mais aussi beaucoup d'incompréhension et de la colère à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel de deux de ses articles, dont celui relatif à l'enseignement immersif.
Quatre ans après l'adoption de ce texte, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a souhaité évaluer son application. Parce que la transmission familiale a quasiment disparu et que l'avenir de ces langues dépend désormais de l'école, les rapporteurs ont concentré leurs travaux sur les dispositions relatives à l'enseignement.
Malgré des avancées en termes de reconnaissance, le nombre de locuteurs continue de s'effondrer. Aussi, la commission a adopté 23 recommandations visant les objectifs suivants : renforcer leur enseignement, mieux valoriser ces langues tout au long du parcours scolaire et former davantage d'enseignants capables de les transmettre.
I. UNE LOI DE PROMOTION DES LANGUES RÉGIONALES ATTENDUE DEPUIS LONGTEMPS
A. LA LOI MOLAC : PREMIÈRE LOI DE PROMOTION DES LANGUES RÉGIONALES
À bien des égards, la loi Molac représente la première loi de promotion des langues régionales. En effet, la loi Deixone de 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux est davantage un texte de tolérance de ceux-ci que de valorisation. Quant à la réforme constitutionnelle de 2008 qui a inséré dans la Constitution un article 75-1 disposant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », elle n'a pas eu d'effets concrets majeurs en faveur de celles-ci.
Aussi, la loi Molac a suscité auprès des défenseurs de ces langues beaucoup d'attentes et d'espoirs. Outre la sécurisation de leur usage dans l'espace public et un renforcement de leur protection patrimoniale, ce texte constitue la première loi en faveur de leur apprentissage scolaire.
Au regard de la quasi-disparition de la transmission familiale, l'école représente l'avenir des langues régionales. Aussi, les rapporteurs ont centré leurs travaux sur les articles relatifs à l'enseignement.
Ils se sont également concentrés sur les langues de France métropolitaine, la transmission familiale des langues ultramarines étant encore très forte.
La loi Molac prévoit notamment :
· un renforcement de l'enseignement des langues régionales : l'État et des collectivités territoriales deviennent les acteurs de la promotion, de l'enseignement et de la diffusion des langues régionales. En effet, dans le cadre de conventions entre l'État et les collectivités territoriales, leur enseignement peut avoir lieu lors des heures normales de cours.
· Une clarification de la participation financière des communes à la scolarisation de leurs élèves dans des établissements privés d'enseignement bilingue.
· La levée des restrictions pour l'enseignement des langues régionales à Mayotte.
B. UNE CENSURE PARTIELLE DU TEXTE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL FRAGILISANT L'AVENIR DE CES LANGUES ET SOURCE D'INCOMPRÉHENSION DANS LES TERRITOIRES
La censure partielle par le Conseil constitutionnel de deux articles de ce texte, dont celui relatif à l'enseignement immersif a conduit à une incompréhension et de nombreuses manifestations dans les territoires.
Cette décision remet en cause la possibilité du recours à l'enseignement immersif. Elle affaiblit très fortement les réseaux privés d'enseignement immersif (Diwan, Seaska, Bressola, Calandreta, ABCM-Zweitsprachigkeit et Scola corsa), alors même que des contrats d'association lient certains de ces établissements avec l'éducation nationale depuis plus de 30 ans.
En outre l'immersion a prouvé son efficacité pour former des locuteurs de bon niveau sans préjudice de la maîtrise par les élèves du français et des autres savoirs fondamentaux à la fin du primaire.
C. LA CIRCULAIRE DU 14 DÉCEMBRE 2021 : UNE VOIE D'APAISEMENT ET UN CADRE MODERNISÉ POUR LES LANGUES RÉGIONALES
La circulaire du 14 décembre 2021 propose un cadre modernisé à l'enseignement des langues régionales. Elle reconnait l'intérêt éducatif d'un bilinguisme français/langue régionale et appelle à développer les ouvertures de classes bilingues à l'école, au collège et au lycée.
Elle ouvre également une voie de passage pour l'enseignement immersif, renommé « méthode bilingue par enseignement immersif » en assouplissant la manière d'apprécier le respect du principe de parité horaire. Celle-ci peut désormais être calculée à l'échelle des cycles scolaires, les trois premiers cycles scolaires (jusqu'en 6ème) formant un tout.
Elle permet l'enseignement de trois langues régionales supplémentaires (le kibushi, le shimaoré et le flamand occidental) et impose le développement par le CNED d'une offre d'enseignement du basque, du breton, du corse et de l'occitan.
II. QUATRE ANS APRÈS, UN BILAN CONTRASTÉ : LES LANGUES RÉGIONALES TOUJOURS MENACÉES
A. UNE PROGRESSION DES EFFECTIFS SCOLAIRES QUI RESTE INSUFFISANTE AU REGARD DE LA CHUTE DU NOMBRE DE LOCUTEURS
À la rentrée 2023, plus de 107 000 élèves de primaire suivent un enseignement de langue vivante régionale.
De la maternelle au lycée, ce sont 168 000 élèves qui sont concernés.
Les effectifs de primaire sont en progression de 47 % entre 2021 et 2023, soit une augmentation de près de 35 000 élèves. Cette augmentation est d'autant plus remarquable que sur la même période le nombre d'écoliers chute de 172 000 en raison de la déprise démographique.
Le nombre de filières bilingues augmente également légèrement. Les filières immersives à l'école primaire publique, bien que restant pour l'instant relativement confidentielles, se développent.
Cette évolution doit toutefois être nuancée sur trois points :
· Le rythme du développement de l'enseignement est insuffisant pour compenser la diminution du nombre de locuteurs. À titre d'exemple, plus de 60 % des brittophones sont actuellement âgés de plus de 60 ans.
· Les ouvertures de filières bilingues sont décrites comme un parcours du combattant par les acteurs concernés, avec un manque d'information des parents par l'éducation nationale et des règles d'ouverture qui changent d'une année sur l'autre.
· Les données sur les effectifs transmises par le ministère de l'éducation nationale ne font pas la distinction entre les différentes intensités dans l'apprentissage de ces langues, qui peuvent varier de quelques heures par an dans le cadre d'une sensibilisation ou initiation à un volume hebdomadaire plus élevé avec l'enseignement renforcé (3 heures par semaine), la parité horaire voir l'enseignement immersif.
B. UN ABANDON MASSIF DE L'APPRENTISSAGE DES LANGUES RÉGIONALES À L'ENTRÉE DANS LE SECONDAIRE
L'entrée au collège constitue souvent une première rupture dans l'apprentissage des langues régionales qu'accentue ensuite l'entrée au lycée. La réforme du lycée et du baccalauréat, en marginalisant la place des options dans les emplois du temps et leur reconnaissance au baccalauréat, a accéléré la chute des effectifs.
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ont présenté une LVC langue régionale au baccalauréat |
ont présenté une discipline non linguistique en langue régionale au baccalauréat |
ont conservé une spécialité LLCR-langue régionale en terminale |
C. DES DIFFICULTÉS QUI PERDURENT DANS L'APPLICATION DU FORFAIT SCOLAIRE POUR LES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT IMMERSIF
Les modifications apportées aux conditions de versement du forfait scolaire pour les établissements d'enseignement privés n'ont pas permis d'apaiser les tensions. Celles-ci portent sur le principe même de ce versement, sur les conditions permettant aux communes d'en être exonérées ainsi que sur le montant du forfait scolaire.
D. DES ATTENTES DÉÇUES QUANT À LA SIGNATURE ET LA MISE EN oeUVRE DE CONVENTIONS ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES POUR LA PROMOTION DES LANGUES RÉGIONALES
Quatre ans après le vote de la loi, le bilan des conventions signées entre l'État et les collectivités territoriales pour la promotion des langues régionales est très mitigé. Ces conventions devraient constituer un élément structurant pour l'ensemble des partenaires et permettre de fixer des trajectoires.
Toutefois, la déception est forte pour les promoteurs des langues régionales : des territoires ne sont toujours pas couverts, certaines conventions n'ont pas été renouvelées ou ne sont pas appliquées.
Enfin, la mise en oeuvre de ces conventions bute sur un contexte budgétaire tendu et incertain, ainsi que sur une très forte carence en ressources humaines : trop peu d'enseignants maîtrisent les langues régionales, ce qui freine l'ouverture de nouvelles filières d'enseignement renforcé (3 heures par semaine), bilingues, voire immersives.
III. UNE URGENCE : SE DONNER LES MOYENS CONCRETS DE LA
PRÉSERVATION ET DE LA TRANSMISSION DES LANGUES
RÉGIONALES
Nombreux ont été les ministres à affirmer leur attachement aux langues régionales. Ces propos tenus à la tribune des assemblées doivent se concrétiser dans les politiques publiques.
La commission a défini 5 axes d'actions, qui doivent être mis en oeuvre sans délai, pour contrer le déclin rapide du nombre de locuteurs des langues régionales. Si rien ne change, celles-ci pourraient être définitivement éteintes à court terme.
Axe n° 1 : élaborer au niveau national une politique publique en faveur des langues régionales. La promotion et l'enseignement des langues régionales relèvent aujourd'hui davantage de rapports de force et de négociations bilatérales que d'une politique nationale assumée. Il en résulte d'importantes différences dans leurs prises en compte par les services déconcentrés et un manque d'impulsion au niveau national.
Axe n° 2 : développer une véritable offre d'enseignement en langue régionale à l'école publique. Une politique ambitieuse en faveur des langues régionales implique que leur apprentissage ne soit plus l'apanage de l'école privée. L'école publique doit se donner les moyens de former des locuteurs de bon niveau, à travers le développement de filières bilingues et immersives ainsi que la mise en place d'une continuité des parcours bilingues de la maternelle au lycée.
Axe n° 3 : sécuriser financièrement les réseaux privés associatifs d'enseignement privé. Ces réseaux participent à la sauvegarde des langues régionales et leur action est reconnue par l'État depuis plus de 30 ans.
Axe n° 4 : renforcer les moyens humains. La carence en moyens humains est le principal frein au développement de l'enseignement des langues régionales. Pour y remédier, une triple action est nécessaire : utiliser davantage les ressources dormantes de l'éducation nationale, renforcer la place de ces langues dans la formation initiale et accroitre les efforts dans l'accompagnement des personnels (formation continue, matériel pédagogique).
Axe n° 5 : mieux valoriser les langues régionales tout au long de la scolarité. Une meilleure reconnaissance passe par la possibilité de composer certaines épreuves des examens (brevet, baccalauréat) en langue régionale ainsi que par la mise en place d'une certification du niveau de langue.


