III. AU-DELÀ DES ANNONCES POLITIQUES : L'URGENCE DE SE DONNER LES MOYENS CONCRETS D'UNE PRÉSERVATION ET D'UNE TRANSMISSION DES LANGUES RÉGIONALES

A. DÉFINIR UNE POLITIQUE NATIONALE EN FAVEUR DES LANGUES RÉGIONALES

1. Renforcer la coordination et la promotion des langues régionales à l'échelle nationale et territoriale

Depuis les années 2000, nombreux ont été les ministres à affirmer devant les parlementaires leur attachement aux langues régionales. Toutefois, les rapporteurs regrettent que ces propos à la tribune des assemblées ne se concrétisent pas suffisamment dans les politiques publiques.

Dès lors, la promotion et l'enseignement des langues régionales relèvent aujourd'hui davantage de rapports de force, de statuts dérogatoires ou d'expérimentations, dont certaines existent désormais depuis plus de dix ans, obtenus dans des négociations bilatérales, que d'une politique nationale assumée. Comme le souligne Caroline Pascal, directrice générale de l'enseignement scolaire, ce phénomène de successions de dialogues bilatéraux entraîne un héritage de situations très différentes qui pèsent sur les académies, ainsi que sur les langues, leurs prises en compte et leurs reconnaissances par les services déconcentrés de l'État.

Il en résulte des différences de traitement entre les langues, parfois entre deux académies, mais aussi entre les élèves - par exemple sur la possibilité de passer des épreuves d'examen en langue régionale.

Surtout, cette absence de cadre national conduit à un manque de directives claires pour les services déconcentrés, notamment ceux de l'éducation nationale qui doivent déjà mettre en oeuvre de nombreuses priorités nationales. Le développement des langues régionales à l'échelle des territoires dépend aujourd'hui de l'appétence et du volontarisme des services déconcentrés sur ces questions. À cet égard, les langues régionales, présentes sur un large territoire, permettent de constater les effets de l'absence d'impulsion nationale sur les politiques déconcentrés. La prise en compte de l'occitan varie fortement entre les trois académies concernées. Ce constat est le même entre les dix-neuf départements concernés. Quant au breton, les efforts en faveur du développement de cette langue sont sensiblement différents entre les quatre départements de la Région Bretagne et celui de la Loire-Atlantique, qui dépendent de deux académies différentes.

Recommandation n° 1 : Définir une stratégie nationale de l'enseignement et de la promotion des langues régionales afin de garantir une égale impulsion dans l'ensemble des territoires concernés.

Cette stratégie nationale se traduit notamment dans les territoires par deux aspects.

Il s'agit tout d'abord, de veiller à ce que les conventions, régulièrement renouvelées, couvrent l'ensemble des territoires concernés par une langue régionale. Comme l'a souligné Paul Molac aux rapporteurs, la rédaction des articles 1er et 7 est très souple concernant le type de collectivités territoriales signataires : il peut ainsi s'agir de la région, du département ou même d'intercommunalités.

Recommandation n° 2 : Prévoir pour chaque langue régionale une convention couvrant l'ensemble du territoire linguistique entre l'État, les collectivités territoriales et lorsqu'il existe l'office public de la langue concernée, et le cas échéant prévoir a minima une déclinaison académique de celle-ci.

Par ailleurs, les comités académiques des langues régionales (CALR) doivent devenir des instances privilégiées de dialogue et de programmation du développement des langues régionales. Plusieurs personnes auditionnées ont d'ailleurs souligné le rôle de ces CALR permettant de rassembler autour de la table l'ensemble des acteurs locaux. Lorsque ceux-ci fonctionnent bien, le cas échéant, précédés par des groupes de travail infra-régionaux pour les langues régionales présentes sur un large territoire, de réelles avancées deviennent possibles.

Pour les rapporteurs, les CALR doivent également être le lieu de suivi de la mise en oeuvre des conventions et de planification du développement de l'enseignement des langues régionales, en tenant compte des demandes des collectivités territoriales, de la stratégie académique pour permettre une continuité de parcours pendant la scolarité, des mouvements potentiels de personnels au sein des écoles à l'échelle de deux ou trois ans, mais aussi de l'évolution de la carte scolaire. À cet égard, des rapprochements avec les observatoires des dynamiques rurales22(*) - lieu d'échange et de partage des perspectives de démographie scolaire à trois ans - sont nécessaires.

Par ailleurs, il convient d'élargir la liste des langues concernées par un CALR afin que celle-ci corresponde à celles de langues régionales enseignées. L'arrêté du 19 avril 2002 fixant la liste des académies dans lesquelles est créé un CALR ne mentionne pas l'académie de Lille ni celle de Mayotte. Or, la circulaire du 14 décembre 2021 mentionne le flamand occidental, le picard, le kibushi et le shimaoré parmi les langues pouvant faire l'objet d'un enseignement.

Recommandation n° 3 : Réunir régulièrement les comités académiques des langues régionales et renforcer les liens entre ceux-ci et les observatoires des dynamiques rurales, afin de mettre en place à l'échelle territoriale une stratégie pluriannuelle de promotion des langues régionales.

2. Garantir la constitutionnalité du système de l'enseignement immersif privé

La censure par le Conseil constitutionnel de l'article 4 de la loi Molac a fragilisé la possibilité de recourir à l'enseignement immersif au sein des établissements scolaires qui sont associés au service public de l'enseignement.

Les rapporteurs souhaitent souligner trois points qui leur semblent essentiels :

· en raison de la très forte diminution de l'usage des langues régionales dans le cadre familial et dans l'espace public, le recours à l'enseignement immersif au moins sur une partie du primaire est le moyen le plus efficace pour former des locuteurs de bon niveau. Ce constat est encore plus fort pour les langues régionales qui n'ont pas de racines latines : un enseignement de quelques heures par semaine, à raison de 36 semaines par an, n'est pas suffisant tant la structure de langue et des mots est différente,

· par ailleurs, le législateur n'a jamais eu l'intention à travers cet article 4 de remettre en cause la langue française comme langue de la République, mais de valoriser l'immersion comme une méthode pédagogique. Il a également fixé comme objectif une maîtrise égale des deux langues. Le texte censuré précisait d'ailleurs que l'enseignement immersif pouvait se faire mais « sans préjudice de l'objectif d'une bonne connaissance de la langue française »,

· L'enseignement immersif est donc une méthode pédagogique et il apparaît clairement que pour les rapporteurs les différentes modalités d'apprentissage d'une langue n'auraient pas dû relever du domaine de la loi.

Toutefois, il faut désormais tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel. Comme l'ont unanimement exprimé les représentants des réseaux d'enseignement immersif : « nous avons une épée de Damoclès juridique au-dessus de nos têtes »23(*).

Pour les rapporteurs, la possibilité de recourir à l'enseignement immersif s'inscrit dans la philosophie de l'article 75-1 de la Constitution qui précise que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Parce que l'incertitude sur la possibilité de recourir à cette méthode d'apprentissage est désormais de niveau constitutionnel, il revient désormais au constituant de préciser les grands axes de protection de ce patrimoine afin qu'il reste vivant.

Recommandation n° 4 : Préciser que la reconnaissance des langues régionales comme appartenant au patrimoine de la France (Art. 75-1 de la Constitution) implique de pouvoir former des locuteurs complets dans ces langues, condition indispensable à leur sauvegarde.

Il s'agit de sécuriser l'enseignement immersif, méthode pédagogique visant au bilinguisme intégral et à former des locuteurs complets en français et en langue régionale. Une révision de la Constitution pourrait être utile afin de renforcer la reconnaissance des langues régionales dans la loi fondamentale.

Les rapporteurs souhaitent réaffirmer le rôle crucial joué par les associations d'enseignement immersif dans la sauvegarde des langues régionales. D'ailleurs, une part significative des enseignants bascophones ou brittophones de l'enseignement public sont d'anciens élèves des réseaux immersifs Seaska et Diwan.

Ces réseaux sont reconnus par l'État à travers les conventions qui les lient directement à ce dernier ou via les contrats d'association entre leurs établissements d'association et le ministère de l'Éducation nationale.

Pour les rapporteurs, il convient de finaliser les renouvellements en cours des conventions entre certains de ces réseaux et l'État. C'est le cas de la convention avec Seaska en attente depuis plusieurs mois.

Ces conventions et la connaissance de leurs contenus par l'ensemble des personnels des services de l'éducation nationale doivent permettre de mieux accompagner ces établissements d'enseignement, dont l'existence reste souvent précaire.

Recommandation n° 5 : Assurer le renouvellement des conventions entre l'État et chacun des réseaux d'enseignement immersif.


* 22 Les rapporteurs rappellent la position de la commission de la culture de permettre la réunion d'instances similaires aux observatoires des dynamiques rurales dans des zones plus urbaines qui sont également concernées par la déprise démographique et les évolutions de carte scolaire.

* 23 Joseph Turchini, président d'Eskolim.

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