C. UN SENTIMENT D'INSATISFACTION DES ACTEURS DE PROMOTION DES LANGUES RÉGIONALES QUANT À LA SIGNATURE ET MISE EN oeUVRE DES CONVENTIONS
Les articles 1er et 7 de la loi Molac ouvrent la voie à la signature de conventions entre l'État, les collectivités territoriales et les offices publics pour la valorisation, l'enseignement et la diffusion des langues régionales.
Il ressort des auditions une attente forte des acteurs de promotion des langues régionales et une certaine déception quant à la signature, au contenu ou à la mise en oeuvre de ces conventions.
Les raisons sont nombreuses et reflètent la diversité des situations rencontrées sur le terrain.
Tout d'abord, certains territoires ne sont pas inclus dans les conventions relatives à leur langue régionale. Tel est le cas de la LoireAtlantique. Alors que la précédente convention spécifique pour la transmission des langues de Bretagne et le développement de leur usage dans la vie quotidienne incluait partiellement la Loire-Atlantique, notamment pour la formation professionnelle, la nouvelle convention couvrant la période 20222027 ne le prévoit plus. Certes, il existe des échanges informels entre toutes ces collectivités territoriales concernées par la même langue régionale, mais l'absence de conventionnement avec la Loire-Atlantique freine la promotion du breton dans ce territoire.
Certaines conventions arrivées à échéance n'ont pas été renouvelées. C'est notamment le cas en Corse, où il existait une convention antérieure à la loi Molac couvrant la période 2016-2021 entre l'État représenté par le préfet et le recteur et la collectivité territoriale de Corse. Dans un contexte politique particulier lié aux débats sur l'autonomie de la Corse, aucune nouvelle convention n'a été signée à l'heure actuelle. Toutefois, selon le recteur de l'académie de Corse, l'absence de nouvelles conventions n'empêche pas la mise en place d'un politique publique forte en faveur de la langue. Par ailleurs, l'écriture d'une nouvelle convention a été actée entre le recteur et le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse et évoquée lors de la réunion du groupe partenarial le 7 mai dernier.
Le renouvellement de certaines d'entre elles fait l'objet de désaccords entre les acteurs concernés. Pour l'occitan, la précédente convention devait arriver à échéance en 2022. Les négociations de la nouvelle convention ont pris du retard, conduisant à une prorogation de la précédente. La pierre d'achoppement des négociations porte sur l'inscription dans le texte d'engagements précis sur le nombre de sites à ouvrir par an et par département ou sur des objectifs chiffrés en termes de pourcentage d'élèves concernés d'une manière ou d'une autre (initiation/sensibilisation, enseignement renforcé, parité horaire, immersion), par l'enseignement de l'occitan.
Pour le catalan, il n'existe toujours pas de conventions avec l'éducation nationale malgré la création de l'office public de la langue catalane il y a cinq ans.
Les rapporteurs ont également été interpellés par les acteurs locaux de promotion des langues régionales - et notamment par les offices publics - concernant le non-respect des stipulations de la convention. L'office public de la langue bretonne a ainsi souligné le retard pris dans le développement de filières bilingues pour atteindre la cible de 30 000 élèves à y être scolarisés en 2027, dans la généralisation progressive de l'enseignement du breton dans le cadre de l'horaire normal des cours dans le premier degré ou encore l'absence d'initiatives par le rectorat pour recenser les personnels aptes et volontaires pour enseigner la langue. Interrogé à ce sujet, le rectorat de Rennes reconnait que certains des objectifs ne seront pas atteints mais souligne les efforts faits en faveur du breton ces dernières années en application de la convention.
En ce qui concerne la convention relative à l'alsacien, le rectorat de Strasbourg est également conscient que les objectifs « ambitieux » fixés par la convention - 50 % des élèves inscrits en section langue régionale à parité horaire en maternelle en 2030 - ne seront pas atteints. En effet, le saut quantitatif est trop important : à la rentrée 2024, seuls 20 % des élèves du public et 21 % de ceux du privé sont scolarisés dans de telles filières.
Le manque d'enseignants capables d'enseigner en langue régionale nécessaire à la mise en oeuvre de ces conventions a également été souligné. Pour l'office public de la langue occitane, la convention « reste un fourreau sans sabre », même en présence de personnes volontaristes au sein des rectorats en raison d'un manque de ressources humaines : malgré une demande forte des communes, seules deux classes bilingues ont ouvert ces dix dernières années - les deux à la rentrée scolaire 2024.
Enfin, le contexte budgétaire contraint également la mise en oeuvre de ces conventions. Ainsi, pour l'alsacien, la convention-cadre entre l'État, la communauté européenne d'Alsace et la région Grand Est couvre la période 2015-2030 et se décline normalement en convention opérationnelle de trois ans. Or, en raison des incertitudes pesant sur le budget des collectivités territoriales, les conventions opérationnelles sont devenues annuelles ces deux dernières années, ce qui diminue la capacité de l'ensemble des acteurs à se projeter sur plusieurs années.
Les rapporteurs constatent ainsi que des progrès sont possibles. Mais ils tiennent toutefois à souligner que la loi Molac a eu comme effet positif de remettre sur le devant de la scène ces conventions et de relancer des négociations qui s'enlisaient. Lors de l'audition de la directrice générale de l'enseignement scolaire, les rapporteurs ont pris connaissance avec intérêt des dernières avancées pour l'occitan. Il semblerait ainsi que l'office public de la langue occitane et le cabinet de la ministre de l'Éducation nationale aient validé le principe d'objectifs non chiffrés. Celui-ci devrait ensuite être décliné dans chacune des académies concernées par l'occitan pour un engagement réciproque de chacun des acteurs correspondant au plus près à la réalité des territoires.
Par ailleurs, la première convention relative à l'enseignement du provençal vient d'être signée entre le rectorat et la région ProvenceAlpesCôte d'Azur.
Ainsi, même si elles ne sont qu'imparfaitement suivies, ces conventions sont, pour reprendre les propos de Jean-Marc Huart, recteur de l'académie de Bordeaux « un élément structurant pour l'ensemble des partenaires et permettent d'avoir des trajectoires » d'enseignement de ces langues.